Butterfly - Eva B. - E-Book

Butterfly E-Book

Eva B.

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Beschreibung

Charlie se replonge dans son passé en quête de ses souvenirs...

Charlie est une femme brillante qui a tout pour elle. Tout, sauf ses souvenirs. À ses quinze ans, un terrible accident en mer lui a pris ses parents, et tous ses souvenirs, la laissant amnésique. Accompagnée par Stan, son meilleur ami de toujours, elle retourne à Saint Amour, lieu du drame, mais aussi le lieu de toute son enfance. En quête de son passé, elle fait la rencontre d’hommes magnifiques, dignes d’Apollon, notamment de Sébastien, qui la trouble intensément... Qui est-il ? Et pourquoi Stan se met-il à réagir étrangement ? Il est parfois dangereux de remuer le passé...

Eva B. signe une romance contemporaine magnifique : un décor idyllique, des hommes qu'on voudrait croquer... et une intrigue passionnante !

EXTRAIT

Je lui tends une main qu’il attrape et qu’il serre fermement. Je vois alors sa mâchoire se contracter. J’aurais peut-être dû lui faire la bise…
— Vous aimez les voitures de collection Charlie ? s’empresse-t-il de me demander.
— Elle est à vous ? réponds-je en bégayant à moitié.
— Oui, et j’en suis dingue ! Un rêve de gosse… C’est une…
— Aston Martin DB2 Vantage Drophead coupé LHD, construite à l’origine pour David Brown, le président d’Aston Martin… C’est une six cylindres de deux litres six à double arbre à cames en tête. Elle a une excellente capacité de freinage et de tenue de route et peut atteindre quatre-vingt-seize kilomètres-heure en onze secondes…
Sébastien s’est figé, les mains sur les hanches, la bouche entre-ouverte.
— Je… Alors là ! Vous m’en bouchez un coin mademoiselle ! Comment…
— Mon père avait la même, sauf qu’elle était rouge, pas verte, fais-je en baissant la voix. C’est une voiture assez rare… C’est incroyable, je n’en reviens pas.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Eva B. a toujours aimé lire et mûrissait depuis longtemps l’idée de passer du côté de l’écriture. Alors, quand la maternité dans laquelle elle travaillait a fermé ses portes, elle s’est dit que rien n’arrive par hasard, et elle a décidé de relever le défi d’écrire ! Après sa saga Je t’ai rêvée, elle se lance dans l’écriture de Butterfly.

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Synchronicité :

« Une synchronicité apparaît lorsque notre psychisme se focalise sur une image archétypale dans l’univers extérieur, lequel comme un miroir nous renvoie une sorte de reflet de nos soucis sous la forme d’un événement marqué de symboles afin que nous puissions les utiliser. Nous nous trouvons face à un “hasard” signifiant et créateur. ».

C.G. Jung.

Chapitre 1

— Tu veux bien te marier avec moi ?

— Ha bah oui je veux bien, mais je crois que c’est pas possible.

— Pourquoi ?

— Ma maman et mon papa voudront pas.

— On n’a pas besoin de leur dire !

— Mais si, faut bien qu’ils achètent ma robe de mariage quand même ! Et ma bague en diamants ? C’est toi qui vas la payer ?

— J’ai des sous dans ma tirelire, plein même !

— Ah oui ? Mais tu crois que t’as cent euros ? Parce que une robe de mariée ça coûte au moins ça, tu sais !

— Cent euros ? Faudrait compter, mais je sais pas aller jusqu’à cent. Tu sais toi ?

— Je crois que oui. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze, quatorze, dix-huit, vingt-cinq, vingt-six, vingt-dix, trente-neuf, quarante et onze, trente-sept, soixante-et-un, cinquante-dix, cent !

— T’es forte en mathématiques…

— Ouais, je sais. On va goûter ?

— Oui et après on casse ma tirelire !

— Alors, t’es mon amoureux pour de vrai ?

— Oui, et toi t’es mon amoureuse pour toujours !

Chapitre 2

— Charlie, dépêche-toi ! Tout le monde est dehors ! Pourquoi n’as-tu pas enfilé tes bottes ?

— Je veux pas.

— Comment ça, tu ne veux pas ? C’est l’heure de la récréation, allez viens là, je vais t’aider.

— Non.

— Pas d’histoire Charlie, tu sors jouer un point c’est tout.

Je croise maladroitement les bras et baisse la tête, bien décidée à ne pas bouger davantage. Je ne veux pas aller dehors, il fait froid et il pleut. Je suis mieux au chaud.

La maîtresse attrape nerveusement ma paire de bottes jaunes et tente d’y glisser mes pieds, mais sans succès.

— Lève-toi et aide-moi, dit-elle dans un souffle d’agacement.

— Ça fait mal.

— Ha, mais je ne comprends pas pourquoi tes pieds ne rentrent pas ! Allez, pousse un peu !

— Ça fait mal.

— Ce sont bien tes bottes ?

— Oui.

— Bon alors ! Mets-toi debout ! dit-elle en m’empoignant sous les bras.

Elle m’observe un instant, perplexe, pendant que je peine à trouver mon équilibre.

Elle m’aide ensuite à enfiler mon imperméable aussi jaune que mes bottes et remonte la fermeture éclair avant d’enfoncer le petit chapeau de pluie, couleur citron encore, sur mes oreilles. Elle soupire.

— Bien ! On y est arrivées ! Maintenant où sont tes gants ?

— Dans mes bottes.

Je n’ai pas encore très bien la notion du temps, mais je sais que je ne resterai pas longtemps sous le préau qui sent mauvais. Demain je me cacherai ce sera plus facile.

Une fois dehors, j’observe les enfants qui courent et qui crient. Je les déteste.

Je n’aime pas ma maîtresse. Et l’école non plus.

C’est tous les jours pareil, je pleure quand maman me laisse ici et j’ai mal au ventre toute la journée. J’attends son retour en regardant par la fenêtre. Le temps est long.

Mais le pire c’est l’heure de la sieste et juste avant, le déjeuner.

Parce que moi, je ne mange rien et je ne dors pas.

Je veux juste que maman revienne.

Je suis à la petite école, la maternelle, ça s’appelle.

Avant c’était bien, avec l’autre maîtresse. Cette année je suis chez les grands. Je ne suis pas allée chez les moyens, j’ai sauté la classe. Maman et papa étaient contents, moi pas trop. Je serais bien restée avec ma maîtresse Katy, elle était gentille. Des fois je la vois et elle vient me faire un câlin. Mais elle ne reste pas. Alors je pleure encore.

La maîtresse des grands dit que je suis difficile alors je lui tire la langue.

Les enfants de ma classe m’énervent et je n’aime pas qu’ils m’approchent. Quand ça arrive, je les pousse ou je les mords. Je tire les cheveux et je donne des coups de pied.

Après, je suis punie.

Maman et papa ne comprennent pas, car à la maison je suis très sage. Ils m’ont demandé ce qui n’allait pas à l’école, alors j’ai dit que je ne voulais plus y aller. Ils ont souri et m’ont embrassée en me disant que ça allait s’arranger.

Mais c’est pas vrai.

Le temps passe et je m’ennuie toujours.

Et maman continue de m’emmener à l’école. Et je pleure encore.

Chapitre 3

— Alors tu préfères qui ? Mathieu ou moi ?

— Ni l’un ni l’autre, vous êtes bêtes. Et moches en plus.

— Tu dis ça parce que tu sais pas qui choisir entre nous, c’est tout.

— Non, je dis ça parce que c’est vrai.

— Mais nous on est amoureux de toi alors tu dois choisir.

— Laissez-moi tranquille, je vous aime pas.

— C’est parce que t’es amoureuse de quelqu’un d’autre ! Allez dis-le !

Je soupire et tourne les talons.

C’est vrai qu’ils sont moches et je me fiche pas mal qu’ils soient amoureux de moi.

Je sais que cette année de CE1 va être longue et difficile. Je l’ai dit à mes parents. Mais comme d’habitude ils ont souri et m’ont dit que ça passerait. Ils savent que je vais m’ennuyer pourtant. Je suis tellement bien quand on est en vacances à Saint Amour, loin de cette école que je déteste. J’aime la mer, les promenades, le sable, les chevaux aussi… On monte à cru avec papa. J’adore sentir le vent dans mes cheveux et l’eau qui chatouille mes pieds quand on galope dans les petites vagues. Un jour je suis tombée, alors papa a eu très peur, mais je n’avais rien et on a beaucoup ri, car les chevaux en avaient profité pour s’échapper. Heureusement ils sont revenus tout seuls. Une autre fois on s’est fait surprendre par la pluie, on est rentrés trempés et là encore j’avais rigolé.

Je fais du dessin aussi avec maman, et de la peinture.

Il y a un escalier dans la maison et mes plus belles œuvres y sont accrochées. Maman dit que j’ai hérité d’elle, que moi aussi je suis une artiste. Papa me regarde souvent dessiner, j’aime bien quand il reste près de moi sans me parler.

Je n’ai pas vu mon amoureux cet été. Papa et maman m’ont dit qu’il était parti à la montagne pour les vacances. Il m’a manqué. Ça m’a rendue triste.

On a ramassé des coquillages qu’on a lavés et fait sécher avant de les coller sur du carton. Ensuite je les ai décorés et papa a mis un cadre autour. C’est joli, même magnifique, a dit maman.

Chapitre 4

Les murs sont très hauts et j’étouffe dans cette cour.

Je porte une robe et des chaussures bleu marine avec des socquettes blanches. J’ai mal aux pieds.

J’ai encore changé d’établissement parce que ça s’est mal terminé dans celui d’avant. J’ai cassé plusieurs fois les carreaux des classes, mis de la colle sur la chaise de mon professeur d’anglais, éclaté des cartouches d’encre dans plusieurs cartables, manqué de respect au surveillant qui voulait m’obliger à manger à la cantine, et pour finir je suis montée sur le toit du gymnase. Il a fallu appeler les pompiers pour me faire descendre.

J’ai eu plusieurs avertissements, mais rien n’y a fait et la directrice a finalement dit à mes parents qu’elle ne pouvait plus me garder.

Je n’ai pas été punie. Mes parents savent que l’école sera toujours compliquée pour moi.

Pourtant je travaille bien, c’est tellement facile. Mais je m’ennuie. Et surtout je n’aime pas être enfermée.

Alors je suis là, au milieu de cette cour, les yeux rivés vers le ciel. J’observe les toits, je compte les fenêtres des bâtiments immenses qui m’encerclent et qui m’oppressent. Il y en a beaucoup. Beaucoup trop.

Une sonnette retentit et je comprends que c’est l’heure de se mettre en rang sur les numéros peints au sol. On m’a dit d’aller sur le 5A.

Je regarde le troupeau d’enfants se précipiter et se ranger docilement deux par deux sur les nombres. C’est bien. Ils sont disciplinés.

Je tourne sur moi-même en écartant les bras, les yeux de nouveau dans les nuages, puis je me stoppe et me dirige vers le grand portail vert. Celui par lequel je suis arrivée tout à l’heure avec mes parents. Je ne vois pas la rue tellement il est haut. Il parait infranchissable alors j’essaie de sortir simplement par la porte. Elle est fermée. Je la secoue de toutes mes forces, mais elle ne cède pas. J’ai mal au ventre.

— Je peux savoir ce que vous faites ici mademoiselle ?

— Je veux sortir.

— Tiens donc ! me dit la bonne sœur en levant un sourcil.

— Je veux m’en aller d’ici.

— C’est ce qu’on va voir… siffle-t-elle en m’empoignant pour la suivre de force.

Chapitre 5

— Lily, c’est moi ! Alors ?

— Alors quoi ?

— Ho, Lily, arrête ! Tu as regardé les résultats ?

— Pour quoi faire ?

— Au moins pour savoir si tu as une mention, pardi !

— Je m’en fous, tu le sais très bien.

— Oui je sais. Bon alors je te le dis puisque tu n’iras pas voir ?

— Si tu veux.

— Tu as eu mention très bien et même les félicitations ! T’es une championne !

— Non, je suis moi. On se voit avant que je parte ?

— Bien sûr qu’on se voit ! J’ai quelque chose d’important à te dire.

— Dis-moi maintenant !

— Moi aussi je fais ma valise !

Je suis sortie du circuit scolaire depuis longtemps. C’est ce qu’il y avait de mieux à faire et à 15 ans, je viens donc d’obtenir mon baccalauréat avec mention très bien.

Nous allons « fêter ça » alors.

Mes parents sont fiers de moi, c’est bien tout ce qui compte à mes yeux.

Maintenant, la vraie vie va commencer.

J’ouvre la fenêtre de ma chambre, je suis à Paris. J’inspire l’air à pleins poumons et souffle sur la tour Eiffel qui n’est pas loin, comme si j’allais la faire plier, avant de scruter le ciel sans nuages. Les vacances sont là ; il me tarde de partir et de retrouver la maison de vacances à Saint Amour. Cette année, nous allons naviguer sur le nouveau catamaran de mon père. Le bateau doit déjà nous attendre sur place. J’ai tellement hâte.

Je me laisse tomber à la renverse sur mon lit sans quitter le ciel des yeux et mentalement prépare ma valise.

Et je souris en pensant à mes bottes de pluie jaunes que je n’oublierai pas, car là-bas à Saint Amour, quand il pleut, il pleut.

Chapitre 6

C’est le téléphone qui me réveille.

Je dormais bien pour une fois et je grogne en le cherchant à tâtons sur la table de nuit.

— Allô, parviens-je à articuler sans m’éclaircir la voix.

— Lily ? Tu es arrivée ? Je m’inquiète, tu devais m’appeler hier soir !

— Mhhh, non je suis pas partie en fait.

— Comment ça tu n’es pas partie ?

— J’étais fatiguée hier, et puis j’avais des choses à préparer encore.

— Bon, tu prends la route aujourd’hui ? Je dois prévenir William pour qu’il te donne les clefs de la maison.

— Oui, je vais partir vers 10 heures, je pense.

Ma tante Cécile éclate de rire.

-10 heures ? Mais il est midi ma chérie !

— Ha… Bon, alors disons 15 heures, plutôt.

— OK. Donc tu seras à Saint Amour dans la soirée.

— Oui, on va dire ça.

— Je compte sur toi pour me dire quand tu es arrivée hein ?

— Mais oui… ne t’inquiète pas.

— Sois prudente sur la route, je t’embrasse.

— Oui, moi aussi, à plus tard.

Je raccroche et soupire, puis essaie de me souvenir de mon dernier rêve. Mais comme presque tous les jours, je n’y parviens pas.

Le soleil passe timidement à travers les volets. Il ne doit pas faire très beau et c’est aussi bien. J’aurai moins chaud pour conduire.

J’ai repoussé mon départ déjà trois fois, mais aujourd’hui je me sens prête. Enfin presque.

C’est la première fois depuis vingt-trois ans que je vais me retrouver vraiment seule à Saint Amour. J’appréhende un peu, mais il est temps que je mette le nez dans mes souvenirs, même si j’en ai peu.

En sortant de la douche, je jette un œil dans l’entrée. Mes valises sont bouclées et j’ai même l’impression qu’elles trépignent d’impatience pour partir.

J’avale un café en faisant un dernier tour d’appartement. Tout est rangé, propre. Je souffle.

Voilà, cette fois j’y suis. Je regarde la tour Eiffel par la fenêtre de ma chambre pour y trouver un peu de courage. J’ai toujours fait comme ça et d’habitude j’y puise de l’énergie, mais là… rien.

Je sais que ça ne va pas être facile, mais pourtant je dois le faire. J’ai la sensation de partir vivre une expérience interdite, un voyage au cœur de l’extrême dont je ne reviendrai pas indemne. Oui, c’est un peu ça. J’ai peur et en même temps je suis impatiente.

*

J’ai de la chance et je ne galère pas pour sortir de la capitale, c’est de bon augure, me dis-je en contrôlant mon GPS. Si tout va bien je serai à Saint Amour vers 22 heures.

J’ai réservé une chambre au Lodge Park. J’aime le confort, mais ce n’est pas pour ça que je l’ai choisi, non, c’est surtout pour son emplacement. L’hôtel de luxe est situé un peu à l’écart du village, surplombant la mer et offrant une vue imprenable sur presque toute la baie. Je sais que de là, je verrai ma maison. Je l’observerai de loin, l’épierai un moment histoire de m’en imprégner à distance.

J’ai juste à récupérer les clefs et j’espère que William sera d’accord pour me les apporter. Je me dis que je pourrais aussi lui demander de les déposer à la réception, ce serait sans doute même plus simple.

La musique se stoppe et me tire de mes pensées pour laisser la place à un appel. C’est Stan.

— Oh mon chou ! T’es arrivée ?

— Non je suis sur la route, ça va ?

— Ben ouais plutôt pas mal ! Et toi ?

— Oui, on va dire ça. Alors tu me rejoins quand ?

— Je sais pas trop… j’ai fait une rencontre hier soir ! ajoute-t-il en riant.

— Ha, mais tu vas venir ? Tu m’as promis Stan…

— Bien sûr que je vais venir, mais peut-être pas ce week-end !

— Quand alors ? dis-je d’une voix inquiète.

— Lundi probablement. Tu vas tenir le coup jusque-là ? On est jeudi, ça va aller !

— Je comptais sur toi demain, moi ! fais-je en couinant pour l’apitoyer.

— Oui je sais… mais là, je te jure je peux pas passer à côté de ça…

— Tu fais chier Stan, je te déteste.

— Moi aussi je t’aime, allez tu m’appelles en arrivant, OK ?

— Non, dis-je en lui raccrochant au nez.

Stan est mon meilleur ami, le seul à qui je dis tout, celui qui m’accompagne depuis vingt-trois ans, presque vingt-quatre maintenant. Sa vie est un bordel à l’état brut, je pourrais presque dire un art de vivre. Je ne sais pas comment il fait, mais il le fait très bien. À la perfection même.

Il traîne lui aussi des démons depuis longtemps, mais il a une rage de vivre que je n’ai jamais vue chez quelqu’un d’autre. C’est un être à part avec un seul objectif dans la vie, celui d’être le plus heureux possible. Il s’en sort pas mal de ce côté-là aussi, même si parfois il joue avec le feu. Il a eu une enfance houleuse, une mère toxicomane, un père violent et lui, perdu, au milieu de tout ça. C’est ce qui l’a conduit à l’hôpital en même temps que moi, et heureusement en fait, sinon on ne se serait jamais rencontrés.

Je souris en doublant une file de camions.

Nous sommes des zèbres tous les deux. Zèbres parce que c’est plus sympa que surdoués ou haut potentiel comme disent les psychologues. Nos cerveaux bouillonnent. Lui, réfléchit vite, s’interroge en permanence, pose des questions sur les questions, passe d’une idée à une autre aussi vite que va la lumière, pendant que moi, je suis plus dans les émotions qui explosent, dans les valeurs fortes, sans pour autant les partager, et j’ai une sensibilité parfois extrême.

Stan a toujours fait ce qu’il a voulu. Depuis que je le connais, c’est un rebelle, mais tellement gentil avec moi ! Je ne sais pas ce que je ferais de ma vie sans lui.

Il a décidé qu’il savait tout et ce qu’il ne sait pas encore, il l’apprend. Ce mec est une machine à savoir et en plus, il a un humour de dingue.

Il a toujours le kit mains libres vissé sur les oreilles, et il parle, il parle, il parle. On ne sait pas à qui, mais ça a l’air toujours très important. Il parle économie, finance, mondialisation, psychologie et philosophie, de cinéma, de théâtre, de littérature, de musique, mais aussi de sujets improbables, voire absurdes, et case toujours trois mots anglais par phrase quand il veut faire son intéressant. Des fois il parle tellement qu’il me fatigue et il le sait, alors il en rajoute jusqu’à ce que je l’envoie bouler. Après on en rigole. Bref, Stan est un personnage haut en couleur. Il me fait rire et nous savons tous les deux que nous pourrons toujours compter l’un sur l’autre.

*

J’arrive au premier péage et là encore je n’attends pas ! Incroyable, mais le trafic est tellement fluide que je ne m’arrête même pas pour passer la barrière. Merci le télépéage !

C’est vraiment le temps idéal pour conduire, le soleil est pâle et il doit faire une vingtaine de degrés.

Je regarde dans mon rétroviseur comme si je laissais ma vie actuelle derrière moi. Un sentiment étrange m’envahit. Je ne sais pas l’expliquer, mais j’ai la sensation que ma vie va changer après ce séjour là-bas. Je frissonne malgré la température clémente et me force à penser à autre chose. Oui, penser à Stan et à sa vie tempétueuse est mieux que de m’inquiéter inutilement sur ce qu’il va se passer là-bas.

Je souris et pouffe en repensant à la conversation qu’on a eue avant-hier en sortant du restaurant. Je ne sais plus comment la discussion en est arrivée là, mais Stan m’a raconté un souvenir de son enfance, dans lequel il avait failli s’étouffer en avalant une mouche en cours de sciences, quand il était au collège. Bien entendu, le voir me mimer et m’expliquer la scène m’a fait mourir de rire et j’en avais encore mal aux joues en rentrant chez moi. J’aime bien quand il me parle de son passé. Ses histoires sont souvent drôles et il semble les revivre en les racontant. Ce sont toujours de grands moments de rires. Il lui arrive de se répéter, mais je ne relève pas, je le laisse dire. Je l’envie.

Je perds mon sourire. Je voudrais moi aussi me souvenir, mais ma mémoire en a décidé autrement. Je n’ai presque pas de vie avant ce matin du 18 juillet 1995 où je me suis réveillée dans cet hôpital.

Je frissonne de nouveau. Je n’aime pas repenser à cette période et pourtant je sais que dans les prochains jours, je vais y être confrontée. Je le veux, car je dois passer à autre chose. Alors je sais. Je sais que ça va me faire mal et bien plus encore. J’ignore si je vais trouver des réponses à mes questions, mais je dois me retrouver face à mes fantômes. Il faut que je fouille ce passé douloureux et sans images. Je soupire et sens les larmes monter. Non, non pas maintenant.

Un panneau m’indique une aire d’autoroute à trois kilomètres, ça tombe bien. Je vais m’arrêter et respirer un moment.

Il est presque 17 heures et je ne sais pas trop où je me trouve. J’appelle ma tante Cécile pour lui dire que je suis en chemin, puis William. Il est d’accord pour venir jusqu’au Lodge et veut être là pour m’accueillir en personne. Il y a bien longtemps que je ne l’ai pas vu… Au moins sept ans puisque je ne suis pas revenue à Saint Amour, depuis le mariage de ma cousine Peggy, et encore je n’étais restée que quelques heures. Je me demande quel âge il peut avoir… Au moins cent douze ans, me dirait Stan. Je secoue la tête et souris.

— Allez, en avant, dis-je à voix haute en redémarrant. Si je m’arrête toutes les heures je ne suis pas arrivée…

Chapitre 7

Il est presque 22 h 30 quand je passe le panneau Saint Amour. (En vraie fille j’ai dû m’arrêter plusieurs fois pour aller aux toilettes, ce qui m’a fait perdre un temps non négligeable).

Je ne suis pas surprise en arrivant, car j’ai pris soin de regarder l’état de la petite ville sur Google Maps, pour voir un peu comment elle avait changé depuis toutes ces années.

Le paysage s’est transformé et beaucoup de maisons se sont construites à l’entrée du village. Je trouve qu’il a perdu de son charme. Le décor naturel a disparu en grande partie, au profit d’une composition de structures et d’espaces conçus pour répondre aux besoins de ses habitants, enfin des vacanciers surtout. Cela ne fait aucun doute. Même l’endroit réservé aux mini-cirques qui venaient chaque été s’est volatilisé. À sa place, une aire de jeux pour les enfants, avec toboggans dernier cri et balançoires en tous genres.

— C’est moche, dis-je à haute voix.

La route refaite est bordée de bacs où s’épanouissent des fleurs par centaines qui ne souffrent visiblement pas du manque d’eau. Elles bénéficient assurément de beaucoup d’attention pour taper dans l’œil du touriste qui doit en prendre plein les yeux, dès son arrivée.

Je m’étonne d’ailleurs du peu d’agitation qui règne, car les vacances viennent de commencer. Il devrait y avoir plus de monde que ça…

Je roule lentement dans les petites rues tortueuses du village. Finalement, en m’enfonçant entre les maisons colorées je me dis que tout n’a pas tellement changé. Les petits commerces ont juste ravivé leurs vitrines, c’est plutôt joli, de nuit en tout cas.

Je prends soin de passer loin du bord de mer, préférant garder le spectacle que l’océan va m’offrir quand je serai enfin à l’hôtel. Ce qui ne devrait plus tarder maintenant. J’emprunte donc la route de derrière puis un bout de la corniche et roule presque au pas. Une foule se dirige à pied et monte vers le casino, voisin du Lodge. Voilà donc où ils sont tous ! Il y a probablement une soirée d’organisée et peut être même qu’un feu d’artifice est prévu ! Je me réjouis à cette idée.

Je ralentis encore et dois laisser passer un groupe de personnes pour entrer sur le premier parking de l’hôtel, puis je me stoppe à hauteur du voiturier qui me fait signe.

— Bonsoir, me dit-il en s’avançant. Puis-je vous aider ?

— Bonsoir, j’aimerai savoir où je dois me garer s’il vous plaît !

— Vous êtes cliente du Lodge, madame ?

— Oui, j’ai réservé une chambre, mais je n’ai peut-être pas pris la bonne entrée ?

— Effectivement, répond-il derrière un sourire à tomber. Il fallait arriver par l’autre côté, mais ce n’est pas grave, vous pouvez accéder à l’hôtel par ici. Je vais vous accompagner et nous allons prendre votre véhicule en charge.

Je ne me fais pas prier, ravie de poser enfin un pied dehors. Cette route m’a fatiguée et je n’ai qu’une hâte, c’est de me détendre au grand air. Je regrette de ne pas être partie plus tôt, j’aurais pu profiter du coucher de soleil.

Je confie ma petite valise au voiturier (celle que j’ai prévue à part pour la première nuit) et suis docilement le jeune homme qui m’accompagne à la réception. Nous traversons un jardin majestueux éclairé avec goût, pendant que les bruits de la rue s’éteignent un peu plus à chaque pas que nous faisons.

La dernière fois que je suis venue, l’endroit était en construction et faisait jaser.

Les jeunes étaient enthousiastes à l’idée de ce projet luxueux qui allait donner un coup de pouce à l’économie du village. Les anciens l’étaient beaucoup moins, craignant de voir leur patelin envahi par une population riche et exigeante, irrespectueuse et qui se comporterait en malotrus. Ils redoutaient les grosses voitures qui allaient polluer l’air, le monde sur les petites plages qu’ils préservaient sauvagement, et la multiplication des bateaux que le petit port n’était pas en mesure d’accueillir. Le maire de la ville avait rassuré tout le monde en promettant que les embarcations seraient limitées, à la fois en taille, mais aussi en nombre. Concernant la tranquillité de la faune et de la flore, des brigades seraient mises en place pour une surveillance maximale. Tolérance zéro et rappel à l’ordre au moindre débordement. La propreté et le respect de l’environnement avaient toujours été de rigueur à Saint Amour, et chacun y mettait du sien pour respecter les consignes. Il fallait que ça dure et visiblement le deal avait été honoré.

À mesure que nous avançons, mon attention est soudain attirée par un léger bruit d’eau et je cherche des yeux sa provenance. Une fontaine semblant sortie tout droit d’une autre époque apparaît soudain et devant mon étonnement, le voiturier sourit.

— Les clients sont toujours surpris en découvrant la fontaine de Gustave, me dit-il en se tournant vers moi.

Je m’arrête l’air interrogateur.

— Effectivement, c’est assez surprenant de voir ce petit point d’eau qui semble bien vieux comparé à la modernité qui l’entoure, dis-je perplexe.

— Oui, c’est vrai, mais elle était là bien avant l’hôtel et le directeur a voulu la conserver en l’état. Il y tient comme à la prunelle de ses yeux.

— Vous savez pourquoi ? dis-je piquée par la curiosité.

— Eh bien, commence-t-il… l’histoire prétend qu’elle a été redécouverte au moment de la démolition de la ferme qui occupait ce terrain avant. Cette fontaine était emmurée et son accès était quasiment impossible tellement il était exigu. On aime à raconter qu’il y a deux cents ans, seulement quelques familles vivaient ici. Le village se situait à la lisière d’une immense forêt dans laquelle se cachait cette fontaine et que seuls les enfants pouvaient trouver, car ils avaient un cœur pur. L’eau qui naissait de cette source était soi-disant capable de guérir et même de réaliser les vœux.

Il s’arrête un instant. J’écoute le récit enthousiaste du jeune homme avec grand intérêt. Il semble y croire, c’est attendrissant et l’espace de quelques instants je me retrouve projetée dans un espace-temps féerique où je m’abandonne volontiers.

Il reprend sa narration, le regard perdu sur les fleurs qui nous entourent :

— Mais un jour, le lieu fut découvert par le sorcier Phéléolus qui était méchant et ne cherchait qu’à faire le mal. Alors, l’eau se tarit pour qu’il ne puisse pas s’en servir et la fontaine demeura sèche pendant très longtemps. Bien des années plus tard, un fermier au grand cœur décida de s’établir ici. Sa femme décédée en mettant leur fils Gustave au monde, il avait dû batailler seul pour sauver son enfant fragile et malade. Gustave refusait de grandir et sa taille à dix ans ne dépassait pas le mètre. Un jour de grande sécheresse, alors que les habitants du village mouraient les uns après les autres, car l’eau manquait, la fontaine se décida à renaître de ses cendres. Mais elle n’était pas accessible facilement et il n’y eut que le petit Gustave qui réussit à l’atteindre. Il sauva alors le village d’une mort certaine et resta vénéré de tous. Au fil du temps, d’autres histoires se sont greffées et il se raconte que l’enfant fut touché par la grâce de Dieu. À l’aide de cette eau cristalline et magique, il fut soi-disant ensuite capable de guérir toutes les maladies et même de réaliser certains vœux, si bien sûr ceux-là étaient purs. Depuis, la fontaine a gardé sa magie et l’hôtel n’a pu être construit qu’à la condition de la conserver. Il parait que le directeur a lui-même fait un souhait à l’ouverture du Lodge et que celui-ci s’est réalisé… Je ne sais pas de quoi il s’agit, mais ce qui est certain c’est qu’il y vient régulièrement et qu’il y dépose des fleurs. Les gens sont généralement intrigués par cette histoire et ils jettent eux aussi des pièces en faisant des vœux. Alors… si elle continue de couler, c’est bien que nous accueillions ici qu’une clientèle au cœur pur ! termine-t-il en me montrant à nouveau une rangée de dents parfaites.

— C’est une magnifique histoire, dis-je pensive.

— Oui magnifique, répète-t-il en repartant.

Il a vingt-cinq ans tout au plus. C’est un beau garçon. Grand, bien taillé, et je devine un regard clair dans la pénombre. Calme, à la voix grave, il dégage une classe innée. En le voyant comme ça, habité par ce qu’il raconte, je me dis que lui aussi a certainement un bon cœur. Il a quelque chose de lumineux, de sincère. C’est rare de rencontrer des personnes de ce genre, belles au-dedans comme au-dehors.

Tout en parcourant les quelques mètres qu’il nous reste à faire pour arriver, je me demande pourquoi je n’ai jamais entendu cette légende. Je me ravise aussitôt, plombée. Peut-être que je la connaissais après tout et qu’elle fait partie des souvenirs que ma mémoire a encore englouti. Je soupire.

Les lumières tamisées de la réception offrent une ambiance apaisante et donnent à l’endroit, épuré, mais magnifiquement décoré, un charme fou.

De chaque côté de la large pièce au sol de marbre, campent des fauteuils et canapés en velours blanc et bleu clair, rassemblés autour de tables basses en verre. Les murs sont en pierres apparentes et quelques gros bouquets de fleurs blanches sont disposés de façon soignée. Le comptoir, blanc aussi, est éclairé par le haut et brille de mille feux.

Derrière, un homme d’une trentaine d’années (pas mal lui aussi) nous accueille sourire aux lèvres.

Le voiturier se fait discret, dépose ma valise sans un bruit et s’éclipse après m’avoir souhaité une bonne soirée et un excellent séjour.

Le réceptionniste à la tenue irréprochable vérifie ma réservation puis me renseigne à voix feutrée sur les commodités de l’hôtel (comme si on ne devait pas nous entendre malgré le fait que nous soyons seuls) avant de m’inviter à suivre le bagagiste que je n’ai pas entendu arriver et qui patiente derrière moi. Nous empruntons ensuite un couloir vitré, revêtu de moquette bleu marine au sol avec au milieu des motifs blancs. Tout est superbe, reflétant bien la catégorie de l’établissement qui affiche cinq étoiles à sa porte. Dehors la nuit est maintenant installée, mais je devine encore un jardin magnifique, sublimé par un éclairage parfait. Jusqu’à présent cet endroit mérite la note maximale. Tout est somptueux et invite aisément au repos.

Au bout du couloir, un ascenseur nous attend et nous mène au troisième et dernier étage, toujours teinté de bleu. Quelques pas et nous sommes enfin devant la porte sur laquelle brille le numéro 238 en lettres d’or.

Chapitre 8

La chambre est spacieuse, telle que je l’avais vue sur le site internet. C’est celle que je voulais et ma demande a été respectée scrupuleusement. Encore heureux, me dis-je, au prix où est facturée la nuit ! Le grand lit a l’air confortable et je m’y assieds pour en tester le matelas. Là encore, je ne suis pas déçue. Les oreillers sont moelleux, le linge est blanc impeccable, comme les murs, sauf un qui est bleu nuit. À nouveau une décoration limitée : un bureau, deux chaises, deux lampes énormes laquées argent sur des chevets suspendus, une console étroite en bois peint contre le mur, lui-même orné d’un tableau abstrait aux couleurs vives. Je l’observe quelques secondes, mais peu inspirée je le lâche rapidement des yeux au profit de la baie vitrée que d’épais rideaux dissimulent.

Je les tire d’un coup sec et m’empresse de déverrouiller la large vitre.

Un courant d’air iodé vient aussitôt me chatouiller les narines. J’inspire profondément en fermant les yeux. Mon Dieu que ça fait du bien ! J’écarte les bras pour accueillir la légère brise et gonfle mes poumons en avançant sur le balcon. Le bruit qui arrive du casino situé légèrement en contrebas me confirme que le village tout entier s’y est sans doute retrouvé. J’entends des rires, des cris et de la musique, apparemment les gens s’amusent. Je laisse alors mon regard s’en aller sur la mer même si je ne distingue pas grand-chose. Le ciel est clair, parsemé d’étoiles qui se reflètent sur l’océan à peine agité, pendant qu’au-dessus de moi, la lune ronde comme un point sur un i suit doucement son éternel chemin.

Je n’ai pas encore tenté un regard sur ma droite et pourtant j’en ai envie. J’inspire de nouveau et ancre mes mains à la rambarde. Je suis là pour ça de toute manière.

Je tourne alors la tête et en bas dans les lumières qui bordent la plage je cherche ma maison des yeux.

Je la trouve instantanément. Je n’ai pas eu besoin de compter les habitations pour la deviner et pourtant j’en suis assez loin. Rien n’a changé de ce côté du village. La plage et son muret, la route qui les sépare des maisons, et puis au bout, je devine le chemin qui monte sur la falaise jusqu’à la petite église. Non, tout est là, intact. Je regarde de nouveau ma maison. Elle est triste vu d’ici. Elle semble dormir ou prête à m’avaler quand j’aurai un pied dedans. Je fronce les sourcils. Ce bout de terre prend soudain des airs de lieu fantôme d’un conte gothique et je frissonne.

Un téléphone sonne. Je sursaute, perdue dans mes pensées.

C’est la réception qui m’informe que William est là alors je me hâte de descendre, pressée de retrouver un visage familier.

— Charlie, te voilà enfin ! dit le vieil homme en me tendant ses bras dans lesquels je me jette.

— William ! Quel plaisir de te voir ! Depuis tout ce temps !

— Laisse-moi te regarder, fait-il en me tenant pas les épaules. Tu es toujours aussi jolie ! Non que dis-je ! De plus en plus jolie ! Ho, Lily, si tu savais comme je suis heureux de te voir !

— Moi aussi je suis contente, tu sais !

— Depuis combien de temps tu n’es pas venue à Saint Amour, dis-moi !

— Plus de sept ans, réponds-je en baissant la tête. Je sais, j’aurais dû venir plus souvent, mais… bref, et toi dis-moi ! Comment tu vas ?! Tu as dîné ? On boit un café ?

— Je ne reste pas ma chérie, je suis juste venu t’apporter les clefs de chez toi, mais on se verra demain matin. Tu m’appelles quand tu veux et je rapplique plus vite que l’éclair, d’accord ? Je dois te montrer deux-trois bricoles à la maison.

— D’accord, je t’appelle en fin de matinée, ça ira ?

— Oui c’est parfait. Allez, je me sauve, je dois encore passer au port avant de rentrer et tu sais la Juliette elle n’est pas commode ! Elle n’a pas changé et vu l’heure je vais encore me faire enguirlander c’est sûr !

— D’accord, à demain, William, et merci ! dis-je alors qu’il me claque deux grosses bises sur les joues.

— Oui à demain ! Dors bien !

— Toi aussi !

Je le regarde s’en aller, boitant à moitié et balançant un bras plus vite que l’autre. Il a vieilli, mais c’est bien le même. Lui non plus n’a pas changé : il a toujours cette peau écaillée par le soleil, les mains rugueuses, les yeux bleus délavés et cette odeur si particulière de sel mêlée à celle du sable. Oui, cette senteur qui n’appartient qu’aux gens qui vivent dehors sur le littoral par tous les temps. Comme William.

Je serre les clefs dans ma main et jette ensuite un coup d’œil au réceptionniste qui me gratifie d’un sourire, puis remonte dans ma chambre.

Je prends deux minutes pour envoyer un message à ma tante et à Stan avant de savourer une douche bien méritée. La salle de bain est toute aussi belle que le reste et j’hésite même à prendre un bain, car elle dispose d’une baignoire, mais j’opte pour la rapidité. À vrai dire il me tarde maintenant d’essayer ce lit XXL et de dormir. J’ai un peu faim, mais j’ai surtout sommeil, alors l’estomac attendra.

Mon père est assis près de moi, il me regarde dessiner. Il ne dit rien, mais il sourit comme à chaque fois. Je veux lui dire de ne pas partir, mais je n’y arrive pas, ma bouche reste fermée et mes larmes coulent.

Je me réveille en sursaut, les yeux humides.

Je me lève, désorientée. Il me faut quelques instants pour me débarrasser de mes chimères et pour me souvenir que je suis là, à Saint Amour. Il est 4 heures du matin.

La baie vitrée restée ouverte laisse passer un air qui me fait du bien, mais qui ne suffit pas à me détendre. Je m’approche du balcon pour sortir puis je me rappelle que je ne porte qu’une simple culotte, alors je me ravise. Je reste un moment un pied dans la chambre et l’autre dehors, remonte mes cheveux d’une main et laisse le petit vent me rafraîchir. Dehors, la nuit a déposé son voile, les gens sont rentrés, les lumières se sont éteintes. Seule la lune éclaire la mer et la baie de Saint Amour. Tout est paisible.

J’hésite à enfiler un tee-shirt pour m’installer un moment à l’extérieur, puis je me dis qu’à cette heure il n’y aura sans doute personne pour me reluquer si je sors comme ça. Tout le monde dort, c’est certain !

Je sors alors et attrape une chaise, m’y installe et croise les jambes en posant les pieds sur la rambarde.

La tête renversée sur le dossier, je contemple les étoiles et me concentre sur le bruit de la mer. J’ai mis du temps avant d’apprécier la mélodie des vagues et je pensais même ne jamais pouvoir me re baigner un jour après l’accident. J’en ai passé des heures chez le psy… Je ne pouvais plus prendre de bain et rien que le contact de l’eau sur mon visage me terrorisait. C’est finalement l’hypnose qui a réussi à me sortir de là.

Je soupire et ferme les yeux. Je dois absolument m’apaiser pour retrouver le sommeil.

Un bruit de porte qui claque me sort de ma rêverie. Tout est pourtant calme, rien ne bouge. Je ne distingue aucune lumière dans les chambres voisines que je peux juste apercevoir. Ici l’intimité est préservée et il n’y a aucun vis-à-vis. Il y a simplement une lueur qui éclaire faiblement le dernier étage de l’aile d’en face. Je plisse les yeux, mais je ne vois pas bien. On dirait une suite ou un appartement, je ne sais pas trop. En tout cas c’est grand et la terrasse semble gigantesque. Je regarderai mieux demain, me dis-je en rentrant me recoucher.

Cet hôtel est vraiment au top et je pense que Stan va vouloir passer une nuit ici quand je lui aurai raconté tout ça. Je souris. Vivement qu’il arrive.

Chapitre 9

Après un petit déjeuner extraordinaire servi par un jeune Apollon, je me prépare rapidement. J’ai finalement passé une excellente fin de nuit et il est déjà presque 11 heures quand je quitte ma chambre.

L’esprit bien occupé par le fait d’aller seule dans ma maison, je ne remarque pas la personne qui avance dans le couloir.

— Bonjour !

— Bonjour ! dis-je surprise.

L’homme marche vers moi et s’arrête brutalement. Le sourire qu’il affichait il y a un instant, envolé. La scène ne dure qu’une demi-seconde.

Son visage s’éclaire de nouveau.

— Je suis désolé de vous avoir fait peur, dit-il en plantant ses yeux sombres dans les miens.

— Ho ce n’est pas grave ! réponds-je en me sentant presque rougir.

— Bonne journée !

— Merci, à vous aussi !

— Cela ne fait aucun doute ! lance-t-il les sourcils relevés tout en se retournant sur moi alors qu’il me dépasse.

Je reste plantée dans le couloir en le regardant s’éloigner. Mais d’où sort cet avion de chasse !? Je fonds. Il est… Il est… Oh là là, comme dirait Stan… C’est une bombe ! La quarantaine, brun aux yeux marron ou noirs je ne sais pas trop, des dents parfaites et un sourire à tomber.

Je pars à sa suite, me délectant au passage du parfum qu’il a déposé dans le couloir, mais je perds sa trace dans l’ascenseur. Mince il a dû prendre les escaliers !

J’étais déjà décidée à passer une nouvelle nuit ici, mais pour le coup c’est maintenant certain ! Décidément cet hôtel est un endroit fabuleux et la journée commence plutôt bien.

J’informe le nouveau réceptionniste, encore sorti tout droit d’un magazine de mode, que je souhaite conserver la chambre, puis celui-ci fait venir un voiturier pour m’accompagner jusqu’à mon véhicule,

Je découvre donc le devant de l’hôtel.

Cette fois nous sortons par l’entrée principale et pour la rejoindre nous traversons encore un couloir majestueux. Vitré d’un côté, j’aperçois la piscine extérieure avec quelques clients qui s’y baignent au milieu d’un jardin chic, entretenu à la perfection. L’autre côté est plaqué de miroirs, ce qui donne un effet d’optique assez incroyable. La fragrance qui embaume l’air et le doux son de cymbales tibétaines m’indiquent que nous arrivons aux abords du SPA. Effectivement, un large passage au décor épuré et contemporain, éclairé cette fois artificiellement, invite instantanément à l’évasion de l’esprit. Je ralentis puis demande un instant au jeune homme qui m’escorte.

— À quelle heure ferme l’espace bien-être s’il vous plaît ?

— À 23 heures madame, mais le personnel se tient à votre disposition quand vous le souhaitez. Vous pouvez y accéder à toute heure sur simple demande, tout comme à l’espace fitness que vous trouverez dans l’aile droite de l’hôtel.

Je le remercie en souriant. L’endroit semble être à la hauteur des autres prestations proposées par le palace et je prévois aussitôt d’y emmener Stan dès qu’il sera là. Je me dis d’ailleurs que ce pourrait être un super appât pour le faire venir plus vite. Oui, c’est une excellente idée…

La BMW que j’ai louée pour venir m’attend sous le porche et je constate aussitôt que le pare-brise a été nettoyé. Encore une sympathique attention à l’image du Lodge, me dis-je en saluant le voiturier.

À y être, ils auraient pu aussi me faire le plein !

J’ai le sourire pour l’instant, mais je sens l’angoisse qui monte sournoisement. Bientôt je vais devoir commencer à essayer d’affronter mon passé (enfin ce qu’il en reste) et je ne suis pas certaine d’être tout à fait prête, contrairement à ce que pensent Stan et mon psy.

Bien entendu la maison n’est plus telle qu’elle était au moment de l’accident. Censée m’aider à recouvrer la mémoire, elle est restée en l’état pendant deux ans. Mais devant l’inefficacité des séjours passés ici presque de force, ma tante Cécile et son mari David ont pris les choses en main. Ils ont modifié pas mal de choses à l’intérieur. Ils n’en pouvaient plus. Ils refusaient de tomber toujours plus dans le pathos en restant dans une ambiance qui ne faisait qu’appeler les larmes, à chaque fois que nous venions.

Alors un jour, ils ont décidé qu’il fallait tourner la page et les travaux ont commencé.

Personnellement ça ne me chagrinait pas plus que ça puisque je n’avais aucun souvenir de cette villa. C’était plutôt eux que les changements affectaient. Cécile et David avaient des scrupules, ne se sentaient pas le droit de toucher aux affaires de mes parents ni aux murs d’ailleurs.

Pourtant, en me gardant avec eux, ils ont dû prendre des décisions. Il a fallu s’organiser en faisant ce qu’ils pensaient être le mieux pour moi.

J’étais déjà une enfant difficile, alors la mission s’annonçait compliquée.

S’occuper du jour au lendemain d’une ado rebelle au QI supérieur à la normale, orpheline et, qui plus est, amnésique n’allait pas être simple… D’autant plus qu’ils avaient fait le choix de ne pas avoir d’enfant à eux.

— Tu parles d’un cadeau ! dis-je à voix haute.

Bien sûr cela a pris du temps, mais avec beaucoup d’amour et surtout énormément de patience, ils ont réussi à me redonner un équilibre. Nous avons eu des jours douloureux et pire que ça même, c’est sûr… mais aujourd’hui je vais bien. Mon seul problème, et pas des moindres, c’est ma mémoire évanouie. Cela dit, je n’ai jamais perdu espoir et si aujourd’hui je suis de retour ici c’est que j’y crois toujours, vingt-trois ans après.

Il y a trois mois encore, je n’imaginais pas que je serais là aujourd’hui, mais j’ai fait un rêve qui est devenu récurent. Un rêve où je me vois à Saint Amour, dans cette maison. Dans ce songe, je trouve une boite en métal contenant des photos qui s’animent en me montrant ce passé que j’ai oublié.

J’ai appelé mon psychiatre pour lui en parler, il m’a conseillé de me rendre sur les lieux si je m’en sentais capable.

Stan a fait le reste en m’obligeant à le faire.

Alors aujourd’hui me voilà de retour, là où tout a commencé. Bien sûr j’ai demandé à ma tante si cette boite existait, mais elle m’a juré qu’elle n’en avait jamais vu de pareille ici. Je n’espère pas en trouver une cachée dans un mur, non, mais je me dis que ce rêve est peut-être plus simplement une sorte de message que mon cerveau veut bien laisser passer ! Les médecins n’y croient plus depuis très longtemps, mais si ça marchait quand même ? C’est tellement difficile de vivre sans vie. Tellement…

*

Le village est beaucoup plus animé qu’hier soir et les rues grouillent de touristes. Je regrette presque de ne pas avoir filé sur la corniche qui m’aurait conduite chez moi en quelques minutes.

Bloquée dans la circulation, j’envoie un message à William pour lui dire que je serai à la maison dans un petit moment.

J’en profite aussi pour regarder un peu les transformations qui ont eu lieu. Certaines boutiques sont là comme avant, à l’identique, semblant figées dans le temps. D’autres ont disparu et ont été remplacées. Il y a un salon de thé à la place du vieux bar PMU, et le coiffeur s’est agrandi. J’avance de quelques mètres et constate que c’est jour de marché. Voilà pourquoi ça roule si mal !