Dans l'œil du hibou - Luc Fisher - E-Book

Dans l'œil du hibou E-Book

Luc Fisher

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Beschreibung

Irina, l’assistante d’un affairiste caucasien à Moscou, est victime d'une sombre machination. Va-t-elle accepter, pour s’en sortir, de saisir la main tendue par Marc, un consultant français en intelligence économique ?
Harcèlement, manipulation, histoire d’espionnage et de trafic drogue composent ici un cocktail vivifiant.
Cette histoire vous emportera Ioin des valeurs occidentales et vous fera voyager de Lyon à Tbilissi en passant par Moscou et Genève. Le titre de la série auquel appartient ce roman est « Dalieko » qui signifie « Ioin » en russe.


À PROPOS DE L'AUTEUR


L’auteur a choisi un pseudonyme pour préserver son passé dans les services de renseignement. Il connaît bien la Russie et le Caucase pour y avoir travaillé de nombreuses années. Il bénéficie d’une expérience concrète dans le secteur de l’intelligence économique. Ce roman ne se réduit pas pour autant à une histoire d’espionnage. Il est plutôt le récit d’une manipulation qui dérape vers une aventure pleine de rebondissements.

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Luc Fisher

Dalieko

Dans l’oeil duhibou

Préambule

Deux hommes d’affaires sans scrupule, une jeune femme russe harcelée mais déterminée à se venger, un consultant français en intelligence économique agissant entre la France, la Suisse, la Russie et la Géorgie emporteront le lecteur dans une aventure originale.

Marc, le personnage central de ce roman, agit comme le chef d’un réseau d’espionnage entre Lyon, Moscou et Tbilissi. Il manipule à distance d’autres personnages mais sait aussi aller sur le terrain et prendre des risques calculés. Il existe beaucoup de « Marc » dans le monde du renseignement privé ou de l’intelligence économique. Certains sont d’anciens officiers de renseignement qui valorisent honnêtement leur expérience dans le privé. D’autres sont des spécialistes autoproclamés dont la compétence et les méthodes sont douteuses. Ils sont souvent qualifiés de « barbouzes » ou de « pieds nickelés ». Notre héros, ancien des services français, possédant une solide expérience en Russie, dispose de toutes les compétences pour être crédible. Il commence le traitement d’un mandat d’intelligence économique de façon tout à fait classique mais, très vite, il sera confronté à des évènements imprévisibles et au comportement inattendu de certains personnages.

L’auteur, qui a choisi d’utiliser un pseudonyme pour préserver la confidentialité de ses activités passées, pourrait être « Marc ». Il a eu l’occasion de travailler en Russie dans les lieux qui sont décrits dans le roman. Il dédie ce livre aux officiers de renseignement qui font leur devoir en prenant des risques élevés. Il a une pensée amicale pour tous les acteurs de l’intelligence économique qui font un métier très difficile. Leurs clients leur demandent parfois l’impossible alors qu’eux ne disposent pas des moyens d’investigation des services secrets étatiques. Pour les satisfaire, ils sont amenés à jouer avec les limites de ce qui est légal.

Lyon - Moscou - Tbilissi

1. Marc se met en marche.

Marc contemplait Lyon depuis la terrasse panoramique de Fourvière. La brume en ce matin de septembre ne permettait pas de distinguer à l’horizon la chaîne des Alpes, mais seulement les contreforts plus proches du Jura. Peu importe, il était toujours heureux de passer quelques minutes à admirer, depuis ce spot touristique, la ville où il avait décidé de s’établir après une longue carrière au service de la France alternant les postes à Paris et à l’étranger. Lyon, la ville des deux fleuves et des deux collines, lui plaisait de plus en plus. Sa promenade habituelle faisait le tour de Fourvière. Il passait d’abord devant le grand théâtre romain, site historique remarquable et lieu de spectacle toujours utilisé pour le Festival des nuits de Fourvière. Après la terrasse panoramique côté Alpes, il pouvait voir les monts d’Or puis le Massif central. Quand il n’était pas en déplacement pour son nouveau métier, il s’organisait pour effectuer ce tour magique seul ou avec Florence. Ce matin, sa femme étant partie tôt faire visiter un appartement à un client de son agence immobilière, Marc se promenait seul et se repassait le film de son dernier mandat. Il se faisait la réflexion que le seul point commun entre son travail et celui de sa femme était cette notion de mandat. Florence recevait des mandats pour vendre des appartements et lui pour des missions d’intelligence économique. Derrière cette belle appellation « intelligence économique », pour un indépendant comme lui, tout était envisageable. Le plus souvent il s’agissait de rassembler et d’analyser des informations provenant de sources dites ouvertes. Il suffisait de savoir utiliser les moteurs de recherche sur internet avec des méthodes spécifiques. Parfois, il fallait aller plus loin et trouver des accès dans des fichiers normalement réservés à certaines administrations. Cela supposait d’avoir des amis bien placés. Certaines affaires nécessitaient d’aller sur le terrain, y compris à l’étranger. Le dernier mandat pour Marc avait été une nuit de planque dans une voiture rue Wilhem, à Paris dans le 16e. Il avait été déclenché sans préavis par un ami également dans l’intelligence économique. La force de Marc était d’avoir un bon réseau dans ce business et, pour l’entretenir, il n’hésitait pas à rendre service. Quand Franck l’avait appelé pour lui dire que son équipe à Paris avait besoin d’un renfort urgent pour la nuit, Marc avait donc foncé à Part-Dieu prendre le premier TGV. Ensuite, cela avait été une opération de surveillance assez banale pour un client libanais fortuné qui avait des doutes sur la fidélité de son épouse. Il fallait s’assurer que la jeune femme était bien seule dans son appartement parisien. En fait, elle était rentrée à trois heures du matin en compagnie d’un homme de son âge. Au petit matin, Franck avait résolu son problème d’effectif et pouvait poursuivre la surveillance. Marc était revenu à Lyon bien content de ne pas travailler plus longtemps sur une affaire qui ne l’intéressait absolument pas. Il ne se considérait pas comme un détective et avait horreur des opérations de filature et de surveillance. En tant qu’ancien officier de renseignement, il préférait les missions plus sophistiquées. À son retour de Paris, il avait apprécié quelques jours de répit à Lyon et en avait profité pour travailler sa communication. En effet, pour réussir dans l’intelligence économique, la clef est de savoir démarcher des clients potentiels avec une communication soignée. Il faut se faire connaître sans être trop voyant ou commercialement agressif. Les clients potentiels souhaitent des prestataires discrets pour ne pas dire secrets. La recherche de nouveaux mandats est donc un art particulièrement subtil et chronophage. Heureusement, Marc, compte tenu de son passé dans les services spécialisés, avait la chance d’avoir une crédibilité dans sa zone de compétence. Il avait longtemps travaillé dans les pays de l’ex-Union soviétique. Mais, depuis l’annexion de la Crimée par la Russie et les sanctions économiques qui en résultaient, les mandats devenaient rares. Il se disait que, si cela continuait, il lui faudrait aussi songer à l’immobilier. Pourquoi ne pas travailler avec Florence en attirant des investisseurs russes à Lyon ? Avec sa maîtrise du russe et ses contacts à Moscou, c’était une idée à creuser. La dernière partie de sa promenade avait un côté un peu sinistre ou philosophique, selon la façon dont on considère notre condition de mortel. Le cimetière de la Loyasse, qui est le Père-Lachaise lyonnais, lui offrait une opportunité de réfléchir en prenant du recul. Il aimait aussi la vue sur les monts du Forez et continuait ensuite jusqu’à Saint-Just où il habitait. Juste avant d’arriver chez lui, alors qu’il passait devant une belle fontaine datant de l’époque romaine, son portable vibra. Un message de Bernard Rosier, un ancien collègue, s’affichait sur WhatsApp : « Bonjour Marc pourrais-tu me contacter dans la journée ? Signé Bernard R à Genève. » J’adore la Suisse se dit Marc, et encore plus quand je sens venir un mandat. Bernard n’est pas du genre à me demander de le rappeler dans la journée sans une bonne raison. Pour la forme, je ne vais pas me précipiter et je lui téléphonerai dans deux heures. Si ensuite on doit négocier un mandat, autant ne pas lui donner l’impression que je suis complètement disponible. Entre-temps, il allait faire des recherches internet sur le groupe GLcosmetic dont Bernard était le directeur sécurité. En fait, Bernard était aussi et surtout chargé des affaires sensibles. Pour résoudre certains problèmes épineux, il avait besoin de prestataires spécialisés. La prochaine conversation téléphonique avec lui pouvait donc être tout à fait fructueuse. Marc souhaitait vérifier auparavant si GLcosmetic n’avait pas rencontré récemment des difficultés en Suisse ou à l’étranger. Il est toujours bon d’avoir un coup d’avance. Bien installé dans son bureau à domicile, il lança la recherche en commençant par taper quelques mots clefs en français. Il ne trouva rien de significatif à part les litiges commerciaux que connaissent toutes les entreprises de la taille de GLcosmetic. Il continua les recherches en anglais, sans plus de succès. Si Bernard me sollicite, cela pourrait être lié à la Russie car il sait que j’y dispose de contacts utiles pour mener des investigations. Marc recommença donc avec, cette fois, un moteur de recherche en russe. Assez rapidement, il remarqua un court article qui indiquait que GLcosmetic avait rompu un contrat avec l’homme d’affaires d’origine géorgienne Koba Berishvili. Il était aussi indiqué que GLcosmetic pourrait réduire ses effectifs en Russie. Marc lança alors une recherche approfondie sur ce Koba. Il ne lui fallut que quelques minutes pour préciser le profil d’un homme d’affaires s’étant enrichi trop rapidement pour être honnête. Ce Géorgien avait commencé comme gérant de marchés à ciel ouvert. Il était maintenant un important investisseur immobilier qui possédait sa propre entreprise de construction. Il avait certainement employé des méthodes peu orthodoxes pour réussir dans ces activités qui, en Russie, ne sont pas réservées aux enfants de chœur. Si GLcosmetic avait fait affaire avec lui, c’est qu’une vérification sérieuse n’avait pas été réalisée au préalable. Marc appela son ami Gilles à Moscou en passant par Skype, non sans avoir, comme à son habitude, sécurisé son appel à l’aide d’un logiciel de cryptage.

–Bonjour Gilles, comment vont les affaires à l’Est ?

–Salut Marc, c’est calme en ce moment. Depuis l’annexion de la Crimée, je sens mes amis russes un peu tétanisés. Ils ont toujours envie de placer leur argent à l’étranger mais, en même temps, ils se disent qu’à l’Ouest on peut à tout moment décider de bloquer leurs avoirs. Ils attendent de voir comment cela va évoluer dans les prochaines semaines.

–Bon, je n’ai pas de mandat pour toi actuellement, mais j’aurais besoin d’un petit service au cas où.

–OK Marc, je te fais confiance. Je sais que tu me feras travailler quand tu pourras.

–Oui, il s’agit d’avoir des infos pour négocier un potentiel contrat. L’idée est de montrer que nous sommes bien tuyautés à Moscou.

–Vu. Qu’est-ce que tu veux savoir ?

–Il me faudrait des infos sur un homme d’affaires géorgien. Je te donne son nom par un autre canal.

–Pas de problème, dans mon club d’aviation, j’ai un pote géorgien. Tu sais, à Moscou, les Géorgiens qui font des affaires se connaissent tous.

–OK, merci Gilles rappelle-moi dès que possible.

–C’est noté, j’attends la suite !

Gilles vivait à Moscou depuis plus de dix ans et avait une charmante épouse russe. Il avait réussi à se positionner comme un intermédiaire dans différentes affaires entre la Russie et la France. Il avait surtout un excellent réseau au sein de Russes fortunés passionnés comme lui d’aviation. Il était fasciné par le monde du renseignement et était toujours volontaire pour répondre aux sollicitations de Marc. Il lui avait déjà rendu différents services et espérait participer un jour à une affaire qui le ferait vraiment vibrer. Marc envoya le nom du Géorgien sur une adresse mail qui était gérée depuis la France par le frère de Gilles. Il écrivit seulement : « Koba Berishvili ». Gilles appellerait ensuite son frère qui lui ferait passer le nom du Géorgien au milieu d’une longue conversation sur des histoires de famille. En Russie, on n’est jamais trop prudent et il est utile de brouiller les pistes.

2. Une alliance caucasienne conclue dans la vapeur russe.

Koba était confortablement assis à l’arrière de son gros SUV Mercedes et regardait avec ennui les façades des immeubles qui bordaient le Kalso1. Comme d’habitude en soirée, la circulation était paralysée par des bouchons invraisemblables. Le calme de sa Géorgie natale lui manquait de plus en plus. Bien sûr, il avait réussi à Moscou et il était même certainement envié par ses frères et cousins qui n’avaient pas eu le courage de venir chercher fortune en Russie.

Mais Koba, à 59 ans, était fatigué par l’environnement urbain et humain dans lequel il devait évoluer. Moscou était pour lui la ville où tout était possible, mais elle était immense et il devait souvent se déplacer en périphérie où se développait la majorité de ses chantiers de construction. Il ne supportait plus les heures passées dans les bouchons dans une atmosphère polluée. Il était aussi stressé par la compétition sauvage pour obtenir les marchés immobiliers les plus juteux. Oui il était fortuné, mais à quel prix ! Il avait peur d’y perdre définitivement la santé ou pire, la vie. Beaucoup de ses connaissances avaient déjà connu un destin peu enviable. Certains avaient tout perdu après le raid2 d’un concurrent soutenu par des siloviki3 complices. Dans le meilleur des cas, ils étaient seulement ruinés. Parfois, ils croupissaient en prison et les moins chanceux ou ceux qui avaient eu la mauvaise idée de résister maladroitement étaient physiquement éliminés. Koba, grâce à des appuis bien choisis et généreusement récompensés, avait non seulement survécu mais surtout prospéré. Cela avait été néanmoins au prix de beaucoup d’efforts et d’une tension permanente. Cela commençait à avoir des effets sur sa santé. Il dormait mal et depuis peu son manque de vigueur sexuelle l’inquiétait. Il se demandait si la vieillesse n’était pas en train de le rattraper se disait qu’il était peut-être temps de penser à la retraite ; il pourrait ainsi profiter de sa fortune, vivre sainement en Géorgie et retrouver une forme caucasienne. Avant cela, il avait l’intention de mener à bien encore une ou deux affaires importantes. Il avait justement reçu un appel d’un autre Caucasien de Moscou, Sergueï Sarkissian, comme lui dans les affaires immobilières. Sergueï était le type même du partenaire qui pouvait lui apporter un gros coup et dont il fallait aussi beaucoup se méfier. Il lui avait donné rendez-vous dans un bania4discret loin du centre de Moscou. L’établissement n’était pas le plus prestigieux de la capitale, mais avait l’avantage d’être privatisable. Les clients fortunés pouvaient ainsi y tenir des conversations confidentielles en toute sécurité. Le patron du bania garantissait l’absence de caméra ou de micros cachés dans son établissement et en faisait même un de ses principaux arguments. Il faisait régulièrement vérifier les différentes pièces par une société spécialisée dans la recherche de dispositifs d’enregistrement audio et vidéo. Afin de rassurer la clientèle, il affichait dans les vestiaires un tableau avec les dates de passage de cette société. Pour les clients russes, souvent obsédés par la confidentialité, le bania offre un autre avantage évident. Les différentes activités au bania, c’est-à-dire les passages successifs dans la vapeur brûlante, puis dans des bains froids et tièdes, nécessitent d’être nus ou en maillot de bain. Dans ces conditions, il est impossible de garder son téléphone portable ou un micro pour enregistrer à l’insu d’un interlocuteur. Le point fort de ce bania était le personnel de service composé de jeunes femmes très prévenantes. Sergueï avait donc invité Koba dans cet établissement pour partager un moment de détente après une journée de travail, mais aussi pour discuter d’une affaire confidentielle. Il attendait Koba dans le vestiaire déjà dévêtu avec une longue serviette autour des reins.

–Bonjour mon ami, comment vont les affaires ? dit-il avec un large sourire et une longue poignée demain.

–Très bien Sergueï et merci pour l’invitation. Un bon bania est tout à fait ce qu’il me faut. Je suis un peu surmené en ce moment.

–Tu verras, ici c’est parfait et je suis sûr que cela va te remettre d’aplomb.

Koba se changea à son tour et se dirigea avec Sergueï vers les douches puis entra dans la première étuve. Les deux hommes restèrent quelques minutes dans la vapeur bouillante coiffés d’un bonnet de feutre pour se protéger le crâne de la chaleur. Ils échangèrent des propos insignifiants et Koba se rassura un peu sur son état de santé en observant son compagnon. Comparé à lui, Sergueï était plus jeune de trois ans mais paraissait plus âgé. Koba était un peu voûté, mais avait un embonpoint tout à fait raisonnable. Il avait gardé des cheveux épais, bruns avec peu de cheveux blancs. Sergueï était presque chauve et surtout petit et relativement obèse. Son ventre paraissait ridicule au-dessus de ses jambes maigres. En sortant de la fournaise, les deux hommes plongèrent rapidement dans une grande cuve glaciale et y restèrent quelques secondes avant de se détendre dans une piscine bien chauffée. Assez vite, Sergueï aborda le sujet qui motivait leur rencontre.

–Koba, tu sais que j’ai plusieurs projets à l’ouest de Moscou dans la région d’Istra.

–Je sais que c’est ta zone et que tu as déjà vendu plusieurs lotissements.

–Oui, et j’ai une nouvelle zone à valoriser pour un ensemble de villas avec un hôtel et un golf. J’ai appris que de ton côté tu avais réussi à bien te sortir d’un deal avec une société suisse ? Tu as dû mettre beaucoup de cash de côté sur ce coup ?

–Je vois que tu es bien renseigné, Sergueï ! Qu’est-ce que tu as dans la tête exactement ?

–Eh bien disons qu’un spécialiste de la construction comme toi qui a aussi des appuis et les moyens d’investir pourrait me permettre d’accélérer sur le projet d’Istra.

–Tu me proposes d’être ton associé sur ce coup ? Mais je te connais Sergueï, tu ne vas pas partager ton gâteau sans une bonne raison.

–Tu as vu juste, j’ai deux bonnes raisons pour te contacter. La première est que le projet va nécessiter au moins 50 millions de dollars d’investissement c’est beaucoup pour moi toutseul.

–Et la deuxième raison ?

–C’est un peu délicat, mais disons que j’aurais besoin de ton réseau pour surmonter certains obstacles.

–Tu peux préciser, cela restera entre nous que je signe ou pas avectoi.

–D’accord, mais d’abord on se fait un deuxième passage, j’ai un peusoif.

Koba et Sergueï se retrouvèrent au bar privatif adjacent au vestiaire avec chacun un demi-litre de bière et un plateau de poisson et de viande séchés. Sergueï, après avoir fini rapidement son premier verre, reprit ses explications.

–Tu sais que depuis la réélection du président, il y a beaucoup de changements dans les administrations locales. J’ai perdu certains amis chargés des affaires immobilières et d’autres qui étaient bien placés dans la police ducoin.

–Je ne comprends pas, tu m’as dit que tu avais déjà obtenu les terrains, alors quel est le problème ?

–Le problème est que certaines parcelles sont encore détenues par des propriétaires qui ne veulent pas vendre et surtout, une association d’écologistes conteste le projet dans sa totalité. Les militants affirment qu’une bonne partie de la zone est un espace naturel non constructible.

–Bien sûr, tu avais négocié le changement de classification des terrains avec l’ancienne administration ?

–Oui, et je sais que toi tu as de bonnes connexions au sein du gouvernement.

Koba réfléchit un peu et demanda :

–Au sujet des propriétaires qui ne veulent pas quitter leurs vieilles datchas, je ne comprends pas. Tu sais très bien résoudre ce genre de problème d’habitude,non ?

–Oui, mais les temps changent. Pour faire dégager les anciens propriétaires, il faut soit les payer une fortune, soit avoir des appuis sérieux à la procurature5

–Bon, j’ai compris, ton affaire n’est pas facile mais peut rapporter gros, n’est-cepas ?

Sergueï s’empressa de répondre.

–J’ai fait mes calculs, on peut espérer doubler notre mise en deux ou trois ans. On peut gagner chacun 25 millions.

Koba se dit que c’était exactement ce qu’il lui fallait avant de prendre sa retraite, à condition d’être prudent. Il devrait prendre des précautions pour ne pas se faire doubler par Sergueï.

–D’accord Sergueï, il faudrait d’abord que tu m’expliques les détails en me montrant aussi les plans du projet.

–Bien sûr, je peux venir dans ton bureau cette semaine ?

–Oui, disons après-demain à 14 heures. Avant cela, on refait un passage et on continue de discuter dans la piscine.

Les deux hommes effectuèrent trois fois le circuit : vapeur, bains, piscine et bière. Ils abordèrent les points les plus sensibles dans la piscine. À la fin du dernier passage, ils se séparèrent pour rejoindre chacun une masseuse de l’établissement totalement disponible pour apporter une relaxation complète. Ils se retrouvèrent ensuite au bar pour sceller leur accord de principe autour d’une dernière bière. Complètement détendu et satisfait par les perspectives offertes par le projet de Sergueï, Koba somnola à l’arrière de sa voiture durant les trente minutes de trajet jusqu’à son domicile.

3. Jouer avec un coup d’avance pour convaincre le client suisse.

Marc arriva un peu avant 15 heures à la gare Cornavin et se rendit dans le lobby cossu d’un des plus chics hôtels de Genève situé à proximité. Bernard Rosier entra quelques minutes plus tard accompagné d’une petite femme d’une quarantaine d’années maigre et assez austère.

–Bonjour Marc, je te présente Igrid Schlauder, notre responsable conformité. Igrid, comme tu le sais déjà, Marc Guilpin est mon ancien collègue qui connaît bien le pays qui nous intéresse.

–Bonjour, très heureux de faire votre connaissance, madame, répondit chaleureusementMarc.

Sans prolonger les politesses, Mme Schlauder passa à des formalités plus concrètes.

–Bonjour monsieur Guilpin. Avant d’entamer notre discussion, je vous prie de lire et signer cet accord de confidentialité.

–Oui, biensûr.

Marc parcourut rapidement le document précisant qu’il s’engageait à ne pas divulguer à un tiers le contenu global du mandat qui pouvait lui être confié. Il n’était autorisé à transmettre que les informations techniques nécessaires au bon déroulement de son travail. Cela signifiait qu’il pouvait seulement dévoiler des informations partielles aux enquêteurs ou analystes qu’il utiliserait en renfort pour ce mandat. Marc se dit que cet accord de non-divulgation était précis comme une montre suisse et aussi sévère que son auteur.

Après avoir signé le document, il se tourna vers Bernard.

–Je t’écoute. Que me vaut le plaisir de cette rencontre à Genève ?

Il ponctua le mot « plaisir » d’un clin d’œil discret pour lui faire comprendre qu’il avait bien noté le style pincé de Mme Schlauder.

Bernard partageait cette opinion à propos de sa responsable conformité mais ne voulait surtout pas la froisser. Il réagit en marquant seulement une petite pause.

–Tout d’abord, Marc, je voudrais te poser une ou deux questions.

–Pas de problème, répondit Marc en pensant que Bernard était atteint par le virus de la prudence suisse, ou bien qu’il en rajoutait un peu pour être en phase avec sa collègue.

–As-tu toujours un réseau fiable en Russie et des possibilités sur la Géorgie ?

Marc pensa qu’il avait vu juste en demandant à son contact à Moscou des informations sur Koba Berishvili. Gilles avait confirmé la réputation d’affairiste sans scrupule du Géorgien.

–J’ai toujours des accès en Russie et, si nécessaire, je pourrais envoyer une équipe en Géorgie.

–Es-tu disponible pour traiter une affaire sur plusieurs pays qui risque de durer plusieurs semaines ?

–Oui, je suis disponible actuellement et toujours volontaire pour traiter un mandat à l’international. Quant à la faisabilité, cela dépendra de ce que tu vas m’expliquer.

Bernard regarda Mme Schlauder qui, d’un coup de tête discret, signifia son accord.

–Nous avons un gros problème avec un partenaire en Russie, précisa Bernard.

–Évidemment, Koba Berishvili vous avait demandé une grosse avance pour commencer le partenariat ?

–Comment connais-tu son nom ? Bernard semblait vraiment surpris.

–C’est simple, j’ai demandé à mon réseau à Moscou si votre groupe avait rencontré des difficultés en Russie récemment. Il se trouve que votre Géorgien n’en est pas à son premier coup. Il a la réputation de travailler sérieusement avec les Russes car il ne veut pas avoir d’ennuis « définitifs », mais il a déjà escroqué des sociétés occidentales. Il a des amis à la procurature et il a toujours gagné au tribunal. Il sait que les Occidentaux en restent au niveau judiciaire, alors il n’hésitepas.

Marc vit le visage de Mme Schlauder se décomposer.

–Vous estimez que nous ne pourrons jamais récupérer notre argent ? demanda-t-elle.

–Tout est possible en Russie, chère madame, le pire comme le meilleur. Il faut seulement mettre toutes les chances de votre côté, c’est-à-dire travailler le dossier pour trouver le bon angle d’attaque.

–Nous avons prévu de vous demander d’établir une liste de ses avoirs pour exiger une saisie de ses biens, précisa Mme Schlauder.

–C’est en effet une première phase utile. Cela nous permettra de mieux connaître l’objectif 6Koba. L’idéal serait de trouver un levier pour le ramener à la table des négociations et l’obliger

à reprendre le partenariat. Pour cela, il faut chercher le moyen de l’amener à vous respecter. Je peux donc commencer à travailler sur ses avoirs et vous faire ensuite d’autres propositions.

–Le problème, dit Bernard, est que nous avons déjà essayé de le faire via un cabinet de juristes russes. Koba ne détient rien directement à son nom. Il a mis en place un montage complètement opaque avec des sociétés offshore et probablement des membres de sa grande famille géorgienne. Les bases de données russes habituelles mentionnent seulement une maison et un appartement à Moscou.

–Si vous faites appel à moi, c’est que le mandat nécessite une approche spécifique, j’imagine ?

–Oui, il faudra sans doute trouver un accès bien placé pour réaliser son environnement7, indiqua Bernard.

–Cela signifie recruter une source pour accéder à l’inventaire de ses biens immobiliers et constituer un dossier sur chacun d’entreeux ?

–C’est exactement ce que nous avons prévu dans le projet de mandat, dit froidement Mme Schlauder en montrant un dossier.

–Je peux m’engager à tout mettre en œuvre pour trouver les informations demandées mais cela va prendre un peu de temps et peut coûter cher en frais de recherche. Mais là n’est pas le plus important, ajouta Marc. Je pense que le mandat doit être assez large et prévoir des phases complémentaires permettant « d’inciter » notre Koba à reprendre une coopération honnête avec votre groupe.

–Cela me semble cohérent, répondit Bernard avec un sourire. Tu comprendras que le mandat définitif sera rédigé de façon à justifier nos dépenses auprès de notre DG mais il ne décrira pas les actions que tu entreprendras pour obtenir les résultats attendus. Consulte le dossier qui explique le fond de l’affaire et prépare un devis pour des services de conseil. Dans un document distinct qui restera entre nous, rédige un descriptif général du mode d’action que tu prévoies pour la première phase. Si ton devis est accepté, on se retrouve la semaine prochaine pour signer le mandat à une adresse que je t’indiquerai.

Marc prit le dossier préparé par Mme Schlauder, salua ses deux interlocuteurs et quitta l’hôtel. En attendant son train retour vers Lyon, il décida de marcher sur le quai Wilson au bord du lac Léman. Marc ne pouvait concevoir de passer à Genève sans une petite promenade avec vue sur le fameux jet d’eau. Il aimait réfléchir en marchant. Habituellement, il trouvait alors des idées utiles qu’il détaillait ensuite en travaillant sur son ordinateur. Pour ce mandat, il avait seulement une semaine devant lui. Il devait d’abord définir exactement la méthode et les moyens nécessaires pour préciser l’environnement de Koba. Ce travail préalable devait lui permettre de formuler ensuite un devis cohérent. Il sentait que ce mandat pouvait réserver des surprises et qu’il devait donc envisager plusieurs options. La première étape était de passer en revue la liste de ses contacts à Moscou et de décider lesquels solliciter en priorité. Il devait ensuite trouver un prétexte crédible pour justifier quelques déplacements à Moscou. En raison de son passé dans les services secrets français, les demandes de visa de Marc pour la Russie pouvaient faire l’objet d’un examen particulier de la part des autorités. En arrivant là-bas, Marc devrait aussi tenir compte d’une possible surveillance. Les Russes considéraient qu’un ancien officier de renseignement restait toujours plus ou moins en activité. Il était donc considéré comme un espion potentiel. Sa nouvelle activité dans l’intelligence économique et le conseil était parfaitement légale, du moins en France. En Russie, il préférait redoubler de précautions car il savait que les prisons russes étaient particulièrement inconfortables.

En marchant, Marc approfondit sa réflexion et visualisa les premières démarches à accomplir. Il commença par appeler son ami lyonnais Laurent Moulin, un des dirigeants du cluster Reten, regroupant différentes entreprises de la région Rhône Alpes. Le cluster permettait notamment à de petites et moyennes entités de regrouper leurs moyens pour des opérations de prospection et de développement à l’international.

–Bonjour Laurent, je t’appelle rapidement de Genève pour caler une petite réunion avectoi.

–Salut Marc, cela sera avec plaisir, mais je sens que tu vas me demander encore un service particulier, n’est-cepas ?

–Oui, on ne peut rien te cacher. Mais j’ai réfléchi à un montage gagnant-gagnant.

–OK, on pourrait se faire un déjeuner d’affaires, demain si tu veux ?

–Parfait, on se retrouve à ton bureau à midi puis on ira à ta brasserie préférée.

–À demain alors,Marc.

Durant le trajet retour, Marc commença à rédiger son plan d’action en faisant de courtes pauses pour admirer le paysage. Entre Genève et Lyon, la voie ferrée traverse une partie du Jura et, cet automne, la mosaïque de couleur des forêts bordant les falaises calcaires était tout à fait remarquable. Amateur de randonnée et de ski de fond, il avait un faible pour cette région.

4. Tout prévoir et joindre l’utile à l’agréable.

Sergueï déroulait sur une grande table de réunion dans le bureau de Koba les plans du futur lotissement Novaia-Istra.

–Voici le projet qui va nous rendre vraiment riches : cinquante villas de luxe, un golf, un centre de remise en forme avec une grande piscine, un restaurant et un hôtel. J’ai déjà des acheteurs potentiels, rajouta Sergueï avec une satisfaction évidente.

Koba examina longuement le plan, posa quelques questions techniques et finit par déclarer :

–J’ai réfléchi. Je pense qu’il faut d’abord travailler certains points. Nos juristes vont préparer un accord. La meilleure solution, je crois, serait de créer une société dont nous détiendrions chacun la moitié des parts. Nous pourrions l’immatriculer à Chypre où j’ai de bons contacts. Nous aurions une petite filiale à Moscou chargée de piloter le projet. Mais nous devons aussi régler les problèmes que tu as évoquéshier.

–Oui, il faut en plus aller vite avant que les journalistes ne s’y intéressent. Si les opposants retiennent l’attention des médias, les futurs acheteurs comprendront que le projet va prendre du retard.

Dans ces conditions, ils ne verseront aucune avance pour financer le début de la construction.

–Pour la résolution de certains problèmes, je te propose d’en rediscuter dehors. Mon bureau est normalement sûr mais on ne sait jamais. Après notre réunion, nous pourrons faire un petit tour dans le parc Sokolniki, juste en face. Avant, je vais te présenter une personne de confiance qui pourrait nous aider à piloter le projet et à régler certaines difficultés.

Koba décrocha le téléphone intérieur.

–Irina, tu peux nous rejoindre dans mon bureau, s’il te plaît ?

4. Tout prévoir et joindre l’utile

–Oui, bien sûr, j’arrive tout de suite.

Une minute plus tard, Sergueï vit entrer une éblouissante blonde aux yeux bleus, vêtue d’un tailleur de marque rouge etnoir.

–Sergueï, je te présente Irina, mon assistante de direction qui pourra nous aider sur ce dossier. Elle connaît bien le secteur de la construction et est très douée en relation publique.

Sergueï, visiblement sous le charme, se contenta de serrer doucement la main tendue d’Irina.

–Irina, dorénavant tu travailleras aussi pour Sergueï Borissovich, mon partenaire pour un projet important dans la région d’Istra. Tu participeras à la coordination en faisant le lien entre nous deux. Tu pourras aussi nous aider à régler certaines difficultés. Nous parlerons des détails plustard.

–Merci pour votre confiance, Koba, je ferai de mon mieux, répondit Irina d’un ton professionnel.

–Tu peux disposer et étudier ce dossier.

Koba lui tendit les plans apportés par Sergueï et des documents complémentaires. Irina quitta la pièce sans un regard pour Sergueï qu’elle dominait d’une bonne tête. Koba déclara alors :

–Irina pourra t’accompagner sur notre projet. Elle est un peu fière mais je vais lui faire comprendre qu’elle devra se montrer tout à fait conciliante avec toi. Elle me doit beaucoup et je ne lui ai jamais rien demandé d’extraordinaire. Mais attention, Sergueï, ne fais pas n’importe quoi avec elle. Il faut l’utiliser pour arrondir les angles avec certains fonctionnaires qui te posent problème. Elle va vite comprendre le fond du dossier et elle saura proposer des solutions. Je vais lui promettre une bonne prime si le dossier aboutit.

- Cela devrait la motiver, précisa Koba avec un clin d’œil lourd de sous-entendus.

–Merci Koba. De mon côté je n’ai pas une assistante de cette qualité à te proposer pour me représenter dans ce dossier mais je pourrai mettre dans l’équipe un de mes juristes qui est débrouillard.

–Sergueï, j’espère que tu sauras valoriser tout le potentiel d’Irina en restant concentré sur le projet, conclut Koba en souriant.

Koba connaissait le point faible de Sergueï, qui aimait dominer les femmes, en particulier les plus intelligentes. L’homme d’affaires arménien avait les moyens de se payer des call-girls et ne s’en privait pas ; Koba s’était renseigné à ce sujet. Mais il pensait que Sergueï serait flatté de pouvoir avoir sous son autorité Irina, une assistante cultivée et vive d’esprit. Compte tenu de l’attitude de Sergueï quand Irina était entrée dans le bureau, Koba savait qu’il avait vu juste. Il lui faudrait toutefois prévenir Irina de ce qu’il attendait exactement d’elle en la mettant dans les mains de son partenaire. Avant de parler à Irina, il accompagna comme convenu Sergueï pour une petite promenade dans le parc Sokolniki. Les deux hommes abordèrent le sujet sensible de la pression à exercer sur les quatre propriétaires récalcitrants. Koba pouvait, avec son équipe de sécurité rapprochée composée de solides Géorgiens, apporter un soutien à l’équipe de Sergueï, majoritairement arménienne. La première étape consistait seulement à intimider ces propriétaires en leur faisant comprendre qu’ils avaient intérêt à changer d’avis rapidement. Koba et Sergueï se mirent d’accord sur une juste répartition des missions pour cette première phase.

–Bon, nous sommes bien d’accord, Sergueï, tu t’occupes de celui qui a une datcha dans la parcelle du futur hôtel. Je te le laisse volontiers car, d’après ce que tu me dis, c’est un coriace. Et moi, je négocie fermement avec les trois autres propriétaires.

–Oui, on évite la manière forte tant qu’on n’a pas trouvé un bon accès auprès du procureur de la région. Sans compter qu’il faudra aussi discuter avec la police locale au cas où on devrait passer à des mesures plus radicales.

–Je me renseigne sur le procureur à toutes fins utiles, je vois qui est son chef direct à Moscou. Avec un peu de chance, j’aurai le bon accès, indiquaKoba.

–Pour la police, il faudra comme d’habitude persuader le chef du poste le plus proche et lui donner de temps en temps une petite enveloppe. J’espère qu’on ne va pas tomber sur un incorruptible. Tu sais, on en trouve maintenant dans notre police !

–On verra bien, répondit Koba en souriant. Il n’était pas vraiment inquiet sur la possibilité d’arrondir les angles avec la police en cas de besoin.

–Nous n’allons pas nous précipiter pour contacter le procureur ou la police, cela les rendrait plus gourmands. Il faut juste se renseigner pour préparer les contacts si la phase une ne suffitpas.

–Pour l’association des écologistes, tu as une idée ?

–Je pense qu’avec eux, il faut négocier tout de suite. Potentiellement, c’est le problème qui peut déraper. Il faudra leur donner des compensations et une idée qui leur permettra de sauver la face. Sur ce dossier, Irina pourrait t’aider je pense, elle a beaucoup d’imagination.

–J’adore les femmes qui ont de l’imagination, répondit Sergueï avec un regard lubrique.

–Il faudra aussi s’occuper du bureau des affaires immobilières et consolider tes certificats de constructibilité. Je pense avoir le bon contact pour régler cette question.

À la fin de leur promenade, les deux hommes étaient satisfaits du début de leur coopération. Être originaire du Caucase et partager les mêmes schémas de pensée les rapprochaient. Ils étaient tous les deux de fins calculateurs, prudents mais sans scrupule. Ils devaient réussir ce projet sans prendre trop de risques et résoudre les principaux problèmes dans un temps limité.

Pendant ce temps, Irina étudiait le dossier confié par son patron en se posant beaucoup de questions. Elle était satisfaite de la confiance que lui manifestait Koba en lui accordant un nouveau rôle de coordinatrice et d’agent de liaison pour un projet important. Mais quelles étaient les difficultés à régler auxquelles Koba avait fait allusion ? Pourquoi Koba s’était-il contenté devant Sergueï de lui confier le dossier à étudier sans lui donner immédiatement plus d’explications ? Surtout, elle avait un mauvais pressentiment au sujet du petit chauve avec lequel elle devrait travailler. Il était du genre faux timide et Irina savait que ce type d’homme était dangereux. Irina aimait donner une image d’animal à certaines personnes : elle voyait en Sergueï un gros rat. Elle sourit en pensant que le hibou avait préféré ne pas manger tout de suite le rat et avait même scellé une alliance avec lui. En réalité, avec cette représentation animalière, elle espérait se donner du courage. Elle attendait avec une certaine nervosité les explications à venir de son patron. Elle espérait aussi que cette nouvelle mission lui laisserait un peu de temps pour sa nouvelle vie avec Igor. Elle s’efforçait de le voir le plus souvent possible mais c’était compliqué. Igor habitait au sud de Moscou et refusait de venir dans l’appartement de Koba. Il estimait que, si Koba mettait à la disposition d’Irina cet appartement relativement luxueux, c’est que tôt ou tard une compensation serait à payer sous une forme ou sous une autre. Irina avait passé beaucoup de temps à lui expliquer en vain que Koba ne lui demandait rien de particulier. Igor n’était pas persuadé et refusait de la rencontrer dans l’appartement d’un autre homme dont il était jaloux. Irina devait donc le rejoindre dans le petit appartement miteux qu’il louait en banlieue. Pour s’y rendre, elle perdait beaucoup de temps en raison des conditions de circulation très difficiles à Moscou. Parfois, elle était bloquée tard le soir à son bureau ou devait accompagner Koba à des dîners d’affaires qui se prolongeaient. Igor, de son côté, en plus de ses cours de karaté, travaillait parfois de nuit comme garde de sécurité dans des zones commerciales ou des parkings. Ils devaient donc se contenter de rares nuits ensemble en semaine et de week-ends trop courts. Ils avaient longuement discuté pour chercher une solution. Ils souhaitaient une relation durable et comprenaient que les conditions actuelles n’étaient pas favorables. La crise en Russie avait mis fin à la période faste qui permettait aux employés qualifiés comme Irina de changer facilement d’emploi en négociant chaque fois un salaire plus élevé. Aujourd’hui, il devenait au contraire vital de conserver son poste. Irina ne pouvait tout simplement pas se permettre de quitter son emploi pour se rapprocher d’Igor. Les maigres revenus d’Igor étaient juste suffisants pour vivre chichement à Moscou. Irina lui demandait donc d’être patient mais était assez pessimiste. En fait, elle ne voyait pas de solution. Elle était seulement sûre d’une chose, elle devait travailler. Igor ne gagnerait jamais assez pour deux, même en travaillant encore plus. Par ailleurs, l’emploi proposé par Koba avait mis fin à une période très difficile. Elle ne voulait pas revenir en arrière, être de nouveau à la merci de patrons instables et sexuellement obsédés. Irina pensait que seul un miracle leur permettrait de vivre décemment ensemble.

5. Une couverture lyonnaise pour travailler en Russie.

Marc, de retour à Lyon, commença par appeler Svetlana à Lille. Étudiante à l’EDHEC, Marc l’avait rencontrée à Paris dans une association d’amitié franco-russe. Il avait compris que cette jeune femme russe, particulièrement intelligente, recherchait des activités pour financer ses études en France. Il lui avait expliqué qu’il travaillait dans l’intelligence économique sur la Russie, les pays du Caucase et d’Asie centrale. Il avait ajouté qu’il avait parfois besoin de s’appuyer sur des personnes de confiance, qui puissent travailler rapidement et surtout discrètement. Elle avait vite saisi la perche tendue et avait parlé de sa recherche d’activité complémentaire. Marc avait précisé qu’une étudiante en économie en mesure d’effectuer des recherches approfondies sur des bases de données et d’utiliser les réseaux sociaux russes pouvait lui être utile. Il avait déjà des contacts en Russie mais préférait, pour des raisons de sécurité, solliciter une Russe qui était en France. Cela facilitait les communications et brouillait un peu les pistes. Elle avait donné un accord pour ce genre de travail et, par la suite, ne l’avait pas déçu. Elle était capable de rechercher rapidement ce qui était disponible sur les sites internet russes et elle faisait ensuite une synthèse bien rédigée en français. Elle lui avait fait gagner beaucoup de temps sur plusieurs mandats.

–Bonjour Svetlana, j’ai un nouveau travail pourtoi.

–Bonjour Marc, je t’écoute.

–Il s’agit de faire l’environnement d’un homme d’affaires. J’ai déjà fait des recherches sur ses activités professionnelles et sur sa réputation, qui est d’ailleurs très mauvaise. Il faut approfondir en déterminant la liste de ses plus proches collaborateurs et associés.

–Je fais une recherche passive ou je peux tenter de poser des questions via Vkontakte et Odnoclassniki8?