Dans l'oeil du juge - Roland Meyer - E-Book

Dans l'oeil du juge E-Book

Roland Meyer

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Beschreibung

La quarantaine, j'y suis depuis l'enfance, j'ai grandi dans cette catégorie. j'ai rencontré cette vieille dame très jeune. Oui! Je n'ai pas usé mes pantalons sur les bancs d'école mais bel et bien troqués contre ceux de l'administration pénitentiaire. D'après un ténor du barreau de Nancy, à la SPA, les détenus seraient mieux logés. Il me manque pas d'idée pour nous torturer, mentalement, psychiquement. Ok! Tu es condamné pour un délit, coupable ou non, mais condamné et pas amendé à subir leur bassesse et leur injustice. Quand tu vois lors d'un entretien avec un expert psychiatre ou psychologue, envoyé par le juge, ne t'accorde que dix minutes pour rendre compte de ta vie, tu as de quoi te poser des questions. je ne suis pas plus mauvais garçon qu'un autre. Je fais en sorte de me faire oublier. J'ai une bonne conduite vis-à-vis du personnel. Pourtant, j'ai prix une peine de six ans, j'en est déjà effectué trois. Je devrais avoir les mêmes privilèges que les autres détenus mais là encore ce n'est pas le cas. Je ne demande pas grand-chose mais seulement quelques jours pour voir mes filles.

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Préface

La quarantaine, j’y suis depuis l’enfance, j’ai grandi dans cette catégorie. J’ai rencontré cette vieille dame très jeune. Oui ! Je n’ai pas usé mes pantalons sur les bancs d’école mais bel et bien troqués contre ceux de l’administration pénitentiaire. J’ai connu l’enfermement dans des moments très durs.

Actuellement les ministres de la justice, homme ou femme, fleurissent comme des fleurs au printemps. Alors quand tu es détenu, tu ne sais plus vers quel saint te vouer car les textes de loi changent tout le temps. Mais on te les applique à leur sauce et selon leur humeur. Si, aujourd’hui, on dit que les prisons sont des clubs Med, venez-y faire un tour et vous verrez par vous-même l’envers du décor. C’est un système où l’on cultive le vice.

D’après un ténor du barreau de Nancy, à la SPA, les détenus seraient mieux logés. Il ne manque pas d’idée pour nous torturer, mentalement, psychiquement. Ok ! Tu es condamné pour un délit, coupable ou non, mais condamné et pas amendé à subir leur bassesse et leur injustice. Le système carcéral n’a point évolué. Quand tu as un passé, systématiquement tu es face à la carotte. Je crois même aujourd’hui, les directeurs et les chefs de détention n’ont plus aucun pouvoir avec le système judiciaire qui date de Mathusalem.

A l’époque, un chef de détention avait son mot à dire, normal car c’est l’administration pénitentiaire qui vit avec nous. Un contact permanent qui transforme leur profession en semi-liberté. Pourquoi on ne leur pose pas des questions nous concernant ? Quand tu vois lors d’un entretien avec un psychiatre ou un psychologue, envoyé par le juge, ne t’accorde que dix minutes pour rendre compte de ta vie, tu as de quoi te poser des questions.

Ce rapport est le plus important dans la décision d’un juge pour toutes tes demandes. Quand tu vois ces jeunes magistrats, qui ont à peine trente ans, ils sont justes là pour te rejuger alors tu as compris ta douleur. Tu fournis tous les efforts pendant ta détention mais le jour où tu passes devant le JAP1 pour statuer sur un aménagement, ton passé est l’élément déclencheur du résultat. Et forcément tu repayes l’addition car là est l’addiction du juge. Dans telle prison, un juge peut plaider en ta faveur et dans une autre il peut te rendre fou car c’est le seul maître à bord. Il a ta liberté entre ses mains et tu ne peux rien y faire.

Moi pour mes remises de peine ou pour mes permissions de sortie, je n’obtiens jamais satisfaction. Je ne suis pas plus mauvais garçon qu’un autre. Je fais en sorte de me faire oublier. J’ai une bonne conduite vis-à-vis du personnel. Je fais tout pour avoir une bonne réinsertion. Mais ils me le font payer au prix fort. Une petite parenthèse, mon ami Vincent a été condamné à quarante-huit mois de prison et il en est sorti au bout de dix-neuf du CD de Nancy. Mon beau-frère, quant à lui, condamné à la même peine et libéré au bout de vingt mois de détention au CD d’Ecrouves. Pour moi par-contre, on n’accorde même pas une permission de sortie avec monsieur le curé. Pourtant, j’ai prix une peine de six ans, j’en ai déjà effectué trois. Je devrais avoir les mêmes privilèges que les autres détenus mais là encore ce n’est pas le cas. Je ne demande pas grand-chose mais seulement quelques jours pour voir mes filles.

1 JAP/ juge d'application des peines.

Table des matières

I

Au commencement

La prière du gitan

Le nouveau monde

La passion, mon grand-père

La danse des parapluies

Notre paradis perdu

Une guerre sans bouton

L’engrenage

L’entrée en matière

Alcoolisé par la vie

Amicalement nous

Cochon rouge

À nous la quinte flush

L’ombre de ma flamme

Une fête endiablée

Betty

Sans fatigue

1981

L’évasion ratée

Jean, balle en disco

Ils sont tombés

Et un soir

Quand la balance flanche

La reprise

Une belle rencontre

Le marché

Comme un proverbe

Charolaise en or

Un sacré coup

Le plus vieux métier

C’était mon paradis

La fuite

Sur la piste, vert bouteille

Le changement

Une soirée de merde

Transfert

Notre politique

Flamber

Au dernier jugement

La pyramide

Ma dernière conquête

Quand tout va bien…

Une chance, elle était de permanence

Tout va mal…

Vingt-huit septembre 2015

Et la balance a penché

Avis d’ordonnance rendue et le mien

Résumons, inculpons

Le renvoi

Colmar assiégée

Une lettre oubliée

Et dans le journal

Toul, l’heure de ma vie

I

Au commencement

La prière du gitan

Je suis un bohémien, un pauvre voyageur, ma caravane est mon monastère, je fais de mon cœur un lieu de prière, Je ne possède pas d’habits élégants, Dieu dit que le corps est plus beau que les vêtements,

Je ne me soucie pas de la nourriture de demain, le nôtre père demande le pain quotidien,

J’amasse pour mon âme une tirelire d’amour, elle est à Dieu, elle sera ouverte un jour,

Mon cœur ne convoite pas de grand bien, son gros appétit est d’aimer son bien prochain,

Ma roulotte est petite, bien plus qu’une maisonnette, mais toi seigneur, tu n’avais pas où reposer ta tête,

Les policiers viennent me contrôler, je leur souris, seigneur, ces hommes font leur métier,

Je rempaille des chaises, je vends des paniers, des gens moqueurs m’insultent avec grossièreté,

Je veux t’aimer seigneur, jusqu’à leur pardonner,

Dans le calme, la nuit tombe peu à peu, pour te prier seigneur, j’allume un feu,

J’ouvre les évangiles, je goûte à ta paix, comme une brebis docile,

Sois béni, Dieu d’amour, je sais que tu m’aimes et que tu m’aimeras toujours.

Poésie pour les gens du voyage

Roland le Yéniche.

Le nouveau monde

Face au nouveau monde, un terrain, la famille Remetter, des voyageurs yeniches, un lieu dit à l’écart pour des gens comme nous, avait été offert après guerre, racheté d’office pour éviter d’être expulsé. Les souvenirs rejaillissent de ma mémoire. Ce petit pont juste à côté de cette source, une eau pure de Soultz, petit village d’Alsace, connue de tout le monde. Un endroit qui m’a vu grandir où d’ailleurs dès l’âge de mes quatre ans, j’en avais perdu mon nom et récolté un autre qui dans l’avenir aller faire la une des faits divers.

Meyer Roland, voilà le petit bonhomme que j’étais. Une maison préfabriquée par les Américains et monté par les mains de mon grand-père. Sans eau ni électricité, mes grands-parents après avoir connu les désastres du camp nazi, car il faut le rappeler mes origines étaient les premières à être raflées par la police française et les allemands, avaient vécu la dureté de l'après-guerre. J’avais grandi éclairé de lampe à pétrole dans un univers verdoyant de nature, dans un monde isolé entouré de mes proches.

De ce temps-là, dans mes culottes courtes, avec les cousins, je gambadais à travers champs. Écoutant lors de ces veillées, ce grand-père aux mille histoires face à la cheminée pendant que grand-mère était gardienne de la cuisinière à bois. Je sens encore aujourd’hui ces odeurs qui embaumaient toutes les pièces, ces couleurs de la vie qu'elle rassemblait dans nos assiettes. La chaleur que se dégageai de ses plats, cet amour que l’on savourait. J’étais inconscient du monde qui m’entourait.

Le nouveau monde est un endroit encore existant situé à un kilomètre et demi de Soultz, bordé de rivières, de vergers, de champs, de forêts et de vignes. Il relie l’Alsace à Belfort par une route nationale. Nos rires d’enfants, ces jeux de gamins, les concerts de canards, les ronchonnements de cochons et bien d’autres encore rendaient le lieu vivant. J’ai encore faim de ces souvenirs, de ces moments partagés par la famille ou un tube de cuivre allait participer à la richesse d’un mets succulent, le hérisson. Un des moments magiques de mon enfance, c’était cette chasse au niglo.

L’emblème

Mon grand-père, accompagné de ses chiens, dressés spécialement pour les hérissons, nous emmenait parfois à travers cette campagne, notre univers, les traquer dans leurs terriers. Nous étions heureux, nous le suivions les yeux brillants d’excitation. La panse déjà ravie du festin qui allait suivre. La meilleure saison pour cet événement est l’automne au moment où les hérissons sont bien gras avant de plonger dans l’hibernation. Quand nos besaces étaient remplies, nous rentrions fier de notre excursion.

Un grand feu illuminait l’ambiance, nous jetions, mes cousins et moi, les patates dans la braise. Après avoir fait un trou sur une patte de l’animal et infiltré le tube en cuivre, nous soufflions dedans pour le gonfler afin de le dépouiller de sa peau. Ma grand-mère, quant à elle, les faisait griller en les accommodant d’herbes et d’ail cette chair si délicate. Un vrai délice, un plaisir à savourer que si on l’a déjà goûté. Beaucoup prennent un air dégoûté, horrifié même à l’idée de manger cet étrange animal. Pourtant il ne manque pas de piquant en saveur.

La passion, mon grand-père

Dès mon plus jeune âge, la fascination de la chasse était une de mes plus grandes passions car je l’ai partagé avec mon grand-père et aujourd’hui encore reste bien ancré dans mes souvenirs comme une ressource, un merveilleux rêve. Une histoire d’amour à laquelle je reste fidèle.

Dès l’âge de onze ans, je sautais sur mon petit fusil 22 long rifle préféré et je partais en quête d’un faisan, d’un lapin voire d’un sanglier. Armé, je n’avais pas peur, la nuit je tirais à vue. Parfois, un vent s’engouffrait dans mon pull en laine par son col abîmé et me laissait une sensation étrange et glaciale, mais cela ne m’empêchait pas de grimper en lisière de forêt, pour me mettre à l’affût d’une proie.

Une vie ordinaire dans un ciel noir sans étoile, j’étais un enfant. Je regardais de mes yeux de petit bonhomme, fasciné, ce grand-père faire des paniers en osier. On allait les chercher à la campagne et on les trempait dans la rivière pendant trois ou quatre jours, derrière chez nous, car on les sortait quand ils étaient plus souples. Puis assis devant la maison sur un tonneau renversé, on les épluchait de leur écorce. Mon grand-père, armé de sa serpette, s’amusait à faire des paniers. Bien souvent, il travaillait sur commande et cela à cause de ma grand-mère, qui pendant ce temps partait chiner et vantait le travail de son homme.

La danse des parapluies

La spécialité de ma grand-mère c'était la réparation des parapluies. Chaque fois qu'elle en récupérait, elle les démontait, celles cassées jetées, les baleines étaient triées pour réutiliser les bons, souvent il fallait trois pépins pour récolter le fruit de ce travail. Les fermoirs et la toile étaient aussi inspectés par son œil expert. Et tout ça sans déverser une larme d’argent en matière première.

Mes cousins et moi on fouillait les décharges, je dis bien toutes. Et la danse des parapluies commençait. On repartait avec les pépins jetés par les gens. Car les riches de l’époque sont à ceux d'hier, ils jettent tout et n'importe quoi.

Je me souviens encore de cette expédition à la décharge, j’avais dix-douze ans, je crois. Nous étions une troupe de six ou sept enfants, un jour de pluie, mon grand-père m’avait demandé d’aller décharger la brouette à la déchetterie. J’étais tombé sur une grenade allemande, presse-purée ils appelaient ça.

Les autres me gueulaient dessus pour la jeter, juste pour voir si elle pétait. Pour vérifier, cela nous avait coûté l’hôpital. Je m’étais fait explosé juste à la sortie des soins. Mon grand-père et mon oncle m'avaient donné le goût de ne plus toucher aux explosifs. Pour voir une explosion, notre inconscience aurait pu nous coûter la vie.

Notre paradis perdu

Dans les beaux jours, avec mes cousins et amis, on mettait les sandalettes pour aller pêcher. Dans la rivière derrière la maison, on fouillait les berges, sur des kilomètres, à la recherche de poissons. De nos mains nues parfois on en sortait de belles pièces. On chassait aussi les couleuvres d’eau.

On était tout le temps dans la rivière de mon enfance. Dans le temps les Pipelines de gaz arrivaient de Russie, passaient non loin de notre rivière. Leur pelleteuse géante, creusaient des tranchées et traversaient nos plus belles campagnes. A cause de ces tuyaux cela rendait l’endroit inconstructible. Une brigade même avait été mise en place spécialement pour cette surveillance du site.

Nous, comme des débiles, on allait au fond de ces trous, on se baignait chaleureusement. Un moment plus tard, on sortait couvert de boue, une thalasso gratuite, pour se faire sécher et l'on devenait comme des zombies. Qu’est-ce qu’on était bien quand on était gamin. On partait des journées entières, on dormait à la belle étoile. Malgré notre âge et le nombre d’une douzaine qui jouait les « cacous » à la nuit tombée, au moindre bruit les dents claquaient, c’est vrai, on flippait nos races.

Quand il pleuvait, on faisait des abris avec ce que l’on trouvait faute de tente et on dormait.

Une guerre sans bouton

À la saison des champignons, on déclarait la guerre. Je n’avais pas de bouton à mon âge, mais l’envie d’avoir envie, le trésor de mon village était notre fierté.

On ramassait jusqu’à dix kilos dans l’après-midi de Cèpes, Trompettes de la mort, Chanterelles.

Là, où il y avait les plus beaux châtaigniers, là était la frontière entre Soultz et Guebwiller. On connaissait la forêt comme notre poche.

Quand les deux villages se rencontraient, les jeunes coqs que nous étions, attaquaient, souvent les autres fuyaient sous nos coups. Enfin, quand nous étions en nombre suffisant, sinon nous apprenions à courir. Nous savions, où se trouvait le repère des trompettes de la mort, un champignon bien planqué.

Un vrai butin dans notre cœur, gagné parfois grâce à quelques marrons. Du nez de Soultz, un lieu-dit, une roche qui se grimpe par des sentiers, une vue panoramique, un paradis, on partait ainsi dans les bruyères du plateau.

Un pays merveilleux pour la faune sauvage et la flore, tous vivaient cachés dans ce monde ouvert et mystérieux de ma jeunesse. Aujourd'hui tout a changé, tout disparaît dans les vers du temps.

L’engrenage

Une autre passion allait venir, la mécanique des vélos, des Mobylettes et des voitures. Dans le seul garage du coin, un diéséliste dont le temps avait délavé l’enseigne, allait devenir ma deuxième maison. .

On allait faucher quelques pièces de vélos par-ci par-là pour en réparer d’autres et souvent on allait les essayer dans les champs sans pneu ni chambre à air, seules les jantes criaient de notre passage. Souvent les roues étaient différentes entre l’avant et l’arrière. C’était comme ça que la moto est venue à nous, on accrochait du carton à l’aide d’épingle à linge. Le bruit faisait de nos vélos des Harley.

On ne risquait rien car les hirondelles n’avaient que des deux roues sans moteur. Ces gendarmes avaient une cape noire en guise d’ailes et leur matraque en bois peint en blanc, souvent leur seul arme. De toute façon, leur arme à feu s’arrêtait au 7,65 St Etienne et avant, ça c’était des ordonnances. Puis dans les années 80, le Manurhin, 357 Magnum allaient venir à leur ceinturon. Il valait mieux car plus souvent alcoolisés que l’alcool lui-même dans la bouteille. Tous les jours, ils étaient assis au bistrot du village. Ils n’étaient pas là pour contrôler.

Par petit jeu entre nous on leur crevait les pneus. On cassait aussi les chaînes de leur vélo, les rayons, un jeu d’ange à dix ans. Ah ! Ma première Mobylette orange combla mes treize ans. Elle était honnête. Par la suite, la beauté mécanique n’était que des pièces empruntées discrètement sur d’autres. Une clé de douze suffisait à dégager le surpoids des bécanes des voisins. On faisait aussi de la moto, mais on ne touchait pas le sol une fois dessus, mais on partait en trombe, inconscient. On roulait tant qu’il y avait de l’essence.

On arrachait l’insigne sur la seule voiture de la brigade conduite par le commissaire. Une 403 comme celle d’un personnage en imperméable d’une série. Juste le plaisir, de lui dire: on est là et tu ne nous vois pas.

À cette époque la sécurité n’était pas d’actualité. On partait dans les chemins environnants, au volant d’une voiture, d’une moto rafistolée par nos soins, pendant un instant, on était devenus des cascadeurs sans fiction. On rigolait sans oublier de rire des autres. Je me prenais, du haut de mon adolescence, pour un pilote mécano à coup de petit effort, je coulissais la vitre d’une 4L, grimpais à l’intérieur et démarrais sans clé sous les chapeaux de roue.

Je voyais défiler les arbres dans ma fuite, je ne regardais pas dans les rétroviseurs, car ce qui est derrière reste derrière. J’ai toujours appris à aller de l’avant. Et cette expression me sera bien utile par la suite, surtout dans les moments d’émotion et de tristesse.

Par-contre la DS, elle, demandait déjà un petit savoir faire. Je me munissais d’un tournevis et d’une lime à ongles en guise de clé de contact. Déjà un petit génie !

L’entrée en matière

Comme la plupart du temps nous étions livrés à nous-mêmes. A notre charge de nous occuper. La complication de cette époque ne devait pas nous faire sortir de l’école St Cyr. L’apprentissage allait se durcir avec l’évolution. Une adaptation naturelle de ce savoir, car le garagiste nous l’offrait sur un plateau d’argent.

J’ai eu une scolarité différente des autres, enfermé dans le grenier, une scie à fil en guise de crayon et des planches faisant office de cahiers. Mon instituteur me faisait travailler le côté technologique de la chose, c'est-à-dire construire des nichoirs et des cages d’oiseaux. J’ai plus vécu l’école de la rue que celle des bancs. Je me souviens, noir de suie pour gagner ma croûte, j’arpentais de cheminée en cheminée, où je brûlais le temps fumant de ce travail mal payé.

Mais aussi après un nettoyage corporel faire du porte-à-porte à porte avec ma grand-mère vendre du linge de maison et bien d’autre chose encore. Et ce travail, quand le Papepa2 revenait avec de vieilles chaises. Trois en paille et six en cannage.

Aussitôt arrivé, il se mettait au travail. Et moi je l’aidais en apprenant du même coup. Il découpait six morceaux de cannage et les trempait dans la rivière. Au bout d’une heure, il avait pris les mesures et agrafait le cannage, collait et avait terminé proprement les bordures.

Moi, j’avais dépouillé les chaises à rempailler. Lui avec son cutter avait coupé des fibres de paille de dix mètres. Il m’a montré le métier des anciens. J’ai sous son regard, placé la paille, tiré, et tapé sur les côtés avec le burin et je terminais pour finir en glissant le bout qui restait sous le siège, en nœud. Il était fier de moi. Les temps étaient très durs, mais on avait toujours de quoi manger sur la table.

2 Grand-père

Alcoolisé par la vie

Le temps des découvertes, l’adolescence au bord de l’eau, après avoir acheté quelques bières au village, nous buvions. Attention la canette n’était pas au goût d’aujourd’hui, pour finir rond comme une queue de pelle. Il y avait aussi quelques fumeurs voleurs, souvent on piquait les cigarettes dans les paquets des plus vieux, quand on n’avait pas d’argent. Les disques bleus, même style que la gauloise ou la gitane, mais qui arrachait la tête. Vendu par quatre. Moi, je préférais garder la joie de sentir la nature, l’odeur de la vie.

Une boisson faisait partie de notre soirée, à proximité du feu. Tous, on l’aimait. La tomate ou le perroquet, à base de pastis et de sirop, soit grenadine ou menthe. Moins on mettait d’eau plus on se pétait la tête. J’avais grandi ainsi depuis toujours dans l’inconscience du vice que je devais découvrir un jour ou l’autre.

Peut-être n’est-ce pas le jour où Denis et Rocco qui malgré un parcours scolaire normal venaient me voir charbonner pour six francs six sous. Un travail lourd dont la pesée de cinquante kilogrammes faisait plus que mon poids. De ne plus les charger et les décharger dans les camions, de ne plus les livrer chez les clients, j’ai réalisé que cette vie ne serait pas la mienne. Depuis ce temps où j’ai abandonné les sacs de charbon aux autres, m’avait soulagé de prendre une autre voie.

Amicalement nous

Vers mes quinze ans, en sortant de boîte, avec cette même bande de potes, on piquait sur les bords des fenêtres, quitte à grimper pour les atteindre, des plats pour s’offrir un bon repas. Il est vrai durant ces années-là, les frigos n’étaient pas inventés sauf pour les riches. On les ramenait chez Denis et on les dégustait tout frais, sans frais. Normalement ils étaient prévus pour le dîner du dimanche des gens. Sans compter les petits pains au chocolat et les croissants qui disparaissaient des étals de la boulangerie. En y repensant, les odeurs du passé me font sourire.

Et de temps en temps, quand nous étions nombreux en rentrant de boîte, malgré la possession d’appartement pour certain, le garde-manger était malheureusement souvent bien vide. Alors même accompagnés par les belles d’un soir, nous faisions un détour par les jardins pour vider un ou deux clapiers à lapins et dans la bande, nous avions toujours un bon cuistot. IL y avait généralement des italiens et pour la cuisine des spaghettis adentés, il fallait toujours la présence d’une viande. Nous évitions de voler les gallines car il fallait les déplumer. C’était trop de travail à cinq heures du mat. Les gallines3 n’étaient pas nos poules d’un soir, malgré notre basse-cour.

Denis, Rocco et moi, étions toujours ensemble et ça depuis les bancs d’école et pour faire les quatre cents coups aussi. Mes deux amis étaient plus âgés. J’ai commencé à travailler avec eux, en devenant videur à seize ans. Quand je travaillais dans cette boîte, Denis, Rocco et deux autres videurs, Gabi et Francky, surveillaient la piste en bas et moi, en haut en faction à la caisse tenue par la grand-mère, avec le père Bauer. Je me souviens, la scène était sur rail, quand les clients arrivaient en nombre, elle se repliait pour agrandir la piste de danse, découvrant ainsi les tables au fur et à mesure.

J’étais taillé comme un tronc d’arbre, les cheveux blonds bouclés sur les épaules, l’œil vif avec des bras de bûcheron. Quant à Rocco, ce grand maigre brun au visage rieur et aux muscles durs allait devenir mon beau-frère par la suite. Il a obtenu son diplôme de tourneur. Un bon élève. Il avait deux chemins, une voie pour la délinquance et un sentier d’homme d’affaire. Il a réussi dans le commerce.

Je me souviens du coup des poubelles, lui et moi, je n’avais pas seize ans et toutes mes dents encore. On allait au bar « Chez Charlie » le PMU, on encaissait jusqu’à un plateau par personne de ce breuvage qu’on aimait tant, cette tomate bien rouge qui se reflétait sur nos visages à la sortie du bistrot.

Quand nous repartions, les pieds vaillants d’ivrogne on piquait les plus belles poubelles sur notre chemin et on les ramenait dans la cour de chez lui. Son père a son lever, c’était sauve qui peut, car c’était un honnête citoyen. Il avait pété les plombs, il hurlait en italien, bon à rien celui qui peut tuer. Je crois qu’à ce moment-là, heureusement qu’il nous avait pas sous la main. C’était nous…

Denis, un nerveux au poing de fer, châtain pour rythmer avec une de ses spécialités, la châtaigne. Il aimait la bagarre. Il ne fallait pas le provoquer car il partait directement à l’affrontement peu importe le nombre en face. Denis n’était pas d’une famille de voyageurs, son père était garde champêtre et policier municipal, sa mère était au foyer. Ses frères et sa sœur ont tous une bonne situation, un ingénieur, un maire de village et femme de médecins. Lui, il était le chouchou de sa mère. Il était bon élève jusqu’au lycée.

Et dans ce trio, il y a moi sans savoir écrire et sans lire un mot, j’ai compris la vie avant bien d’autres. J’ai vite appris à monter les échelons.

3 Les poules.

Cochon rouge

Tous les matins, en lisière de forêt, moi et quelques amis, de bonne heure à la lueur du jour, quand la rosée vient de se poser, nous parcourions les routes de nos belles campagnes. À quatre dans la voiture, le chauffeur, le ramasseur et les deux tireurs. Quand on voyait un beau lièvre gambader dans les champs, sur le chemin, vitre baissée, la carabine sur le bord de la portière, il suffisait d’une balle pour toucher la cible à quatre-vingts mètres. Balle creuse au niveau de l’omoplate, l’animal finissait dans la malle arrière. On avait tout un réseau de restaurateurs qui nous passait commande. C’était de l’argent facilement gagné. Cela ne faisait de mal à personne.

Même si le braconnage est interdit dans notre pays, c’est un sport de bourgeois. Et cela, je l’ai compris très vite. Car un beau matin, à l’âge de seize ans, les képis ont débarqué chez mes parents pour une perquisition. Et oui ! C’était la première fois de ma vie que j’ai été balancé. Balancé par notre chauffeur habituel, ce dernier, n’a rien trouvé de mieux que d’aller siphonner l’énergie pour son propre moteur, l’essence même de sa voiture pourrie. Le gars était âgé de vingt-cinq ans. Il nous avait tous livrés. Mes parents ont dû payer une forte amende. Mais ne croyez pas que l'histoire de ce Marco aller en rester là car quelques années plus tard, il a de nouveau croisé ma route.

Encore aujourd’hui, ce souvenir doit lui rappeler, nu pied, un grand marathon. Je l’ai amené dans une déchetterie.

Je lui ai fait faire un cinq cents mètres sans chaussures, sans chaussettes. Il courrait assez vite, mais pas assez pour moi. Dans le vide-poche de sa voiture, un petit calibre chargé. J'ai voulu tellement qu’il soit le plus rapide, j’ai augmenté l’entraînement en lui tirant au-dessus de sa tête. Il courrait vraiment vite. A cause de la vitesse, son regard, fouetté par le vent, pleurait. Mais j’ai eu pitié en voyant ses pieds esquintés. Alors je lui ai dit qu’il pouvait rentrer chez lui. Dans ses yeux, une lueur avait éclairé un espoir. Je l’ai regardé sans un mot. Il hésitait. Je l’ai vu prendre le chemin de sa voiture. Je l’ai arrêté net. Il est reparti sans monture avant de voir sa voiture partir en fumée. Tout le monde l’avait baptisé le cochon rouge depuis cette soirée. Personne n’a par la ensuite retravaillé avec lui. Ces quelques lignes pour mes amis Rocco, Jean-Claude, Denis, Schnapsy et sans oublier notre première garde-à-vue.

À nous la quinte flush

Avec Denis, une fois par mois nous devions surveiller, veiller sur la caisse et les jetons d’une partie de poker. Il y avait les plus gros joueurs de poker d’Alsace, Paul, le père guignol, Alex, le garagiste, Riser le coiffeur, le baron, Gérald Klein. Du beau monde à l’argent facile pour une poignée de fer était tout autour d’une table. Quand on a seize ans, on envie des personnes comme ça.

Il y avait des fois plus de deux cent mille francs dans la soirée. Jusqu’au jour où Denis et moi, on avait plus envie de faire les larbins pour ces messieurs. Alors l’idée à Denis s’était d’attendre que la partie soit bien entamée et que la caisse déborde de beaux billets Pascal. Il me ferait un clin d’œil ou d’un signe de la tête à mon intention et je disparaitrai avec la caisse. Sans demander mon reste, je m’étais barré, mais seulement ce soir-là, on n’avait pas de voiture. Du coup nous avions dû voler un solex, un seul pour deux. Il était devant un bar et nous voilà partis, Denis pédalait pour avancer plus vite.

Quand nous étions à l’abri, nous avions réalisé avoir réellement fait une énorme connerie. Mais nous ne nous sommes pas dégonflés. Vu qu’il y avait énormément d’argent, nous en avions planqué une partie et nous nous sommes présenté dans un bar à fille, « Le popcorn ». Nous payions quelques bouteilles de champagne aux filles pour que Paul, un des joueurs et organisateur de la partie de poker, n’ait pas tout perdu dans l’histoire. Par la suite, les semaines ont été vraiment très dures. Mais de cela, nous en sommes sortis sans égratignure. Aujourd’hui en y repensant, j’en pleure encore de rire. Les années folles pour des jeunes branchés sexes, drogue et pognon. Denis avait un fort caractère mais un grand sens de la sincérité et d’une amitié hors pair.

L’ombre de ma flamme

J’avais tout pour être heureux, des amis et Christine la sœur de Rocco à mes bras. Quoi demander de plus à seize ans. Un amour de femme, depuis l’école son regard me rendait existant. On s’aimait tellement. J’ai travaillé aussi à la piscine de Guebwiller, à la surveillance des deux bassins. Un travail qui me plaisait, mais la jalousie de Ria allait me faire perdre l’amour du travail. Ria surnom donné à Christine, cette blonde au regard bleu azur, élancée dans sa taille de guêpe, une femme qui deviendrait la mienne en 1975 et deviendrait en cette même année la mère de ma fille. À l’âge de mes dix-huit ans, le mariage avec cette plante de dix-neuf ans allait changer ma vie.