Dépit amoureux - Jean-Baptiste Poquelin Molière - E-Book

Dépit amoureux E-Book

Jean-Baptiste Poquelin Molière

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Extrait : " ERASTE : Veux-tu que je te die? une atteinte secrette. Ne laisse point mon âme en une bonne assiette: Oui, quoi qu'à mon amour tu puisses repartir..."

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Les personnages

ÉRASTE, amant de Lucile.

ALBERT, père de Lucile.

GROS-RENÉ, valet d’Éraste.

VALÈRE, fils de Polydore.

LUCILE, fille d’Albert.

MARINETTE, suivante de Lucile.

POLYDORE, père de Valère.

FROSINE, confidente d’Ascagne.

ASCAGNE, fille sous l’habit d’homme.

MASCARILLE, valet de Valère.

MÉTAPHRASTE, pédant.

LA RAPIÈRE, bretteur.

Acte I
Scène première

Éraste, Gros-René.

ÉRASTE
Veux-tu que je te die ? une atteinte secrette
Ne laisse point mon âme en une bonne assiette :
Oui, quoi qu’à mon amour tu puisses repartir,
Il craint d’être la dupe, à ne te point mentir ;
Qu’en faveur d’un rival ta foi ne se corrompe,
Ou du moins qu’avec moi toi-même on ne te trompe.
GROS-RENÉ
Pour moi, me soupçonner de quelque mauvais tour,
Je dirai, n’en déplaise à Monsieur votre amour,
Que c’est injustement blesser ma prud’homie
Et se connaître mal en physionomie.
Les gens de mon minois ne sont point accusés
D’être, grâces à Dieu, ni fourbes, ni rusés.
Cet honneur qu’on nous fait, je ne le démens guères,
Et suis homme fort rond de toutes les manières,
Pour que l’on me trompât, cela se pourrait bien :
Le doute est mieux fondé ; pourtant je n’en crois rien,
Je ne vois point encore, ou je suis une bête,
Sur quoi vous avez pu prendre martel en tête.
Lucile, à mon avis, vous montre assez d’amour :
Elle vous voit, vous parle à toute heure du jour ;
Et Valère, après tout, qui cause votre crainte,
Semble n’être à présent souffert que par contrainte.
ÉRASTE
Souvent d’un faux espoir un amant est nourri :
Le mieux reçu toujours n’est pas le plus chéri :
Et tout ce que d’ardeur font paraître les femmes
Parfois n’est qu’un beau voile à couvrir d’autres flammes.
Valère enfin, pour être un amant rebuté,
Montre depuis un temps trop de tranquillité ;
Et ce qu’à ces faveurs, dont tu crois l’apparence,
Il témoigne de joie ou bien d’indifférence
M’empoisonne à tous coups leurs plus charmants appas
Me donne ce chagrin que tu ne comprends pas,
Tient mon bonheur en doute, et me rend difficile
Une entière croyance aux propos de Lucile.
Je voudrais, pour trouver un tel destin plus doux,
Y voir entrer un peu de son transport jaloux ;
Et sur ses déplaisirs et son impatience
Mon âme prendrait lors une pleine assurance.
Toi-même penses-tu qu’on puisse, comme il fait,
Voir chérir un rival d’un esprit satisfait ?
Et si tu n’en crois rien, dis-moi, je t’en conjure,
Si j’ai lieu de rêver dessus cette aventure.
GROS-RENÉ
Peut-être que son cœur a changé de désirs,
Connaissant qu’il poussait d’inutiles soupirs.
ÉRASTE
Lorsque par les rebuts une âme est détachée,
Elle veut fuir l’objet dont elle fut touchée,
Et ne rompt point sa chaîne avec si peu d’éclat,
Qu’elle puisse rester en un paisible état.
De ce qu’on a chéri la fatale présence
Ne nous laisse jamais dedans l’indifférence ;
Et si de cette vue on n’accroît son dédain,
Notre amour est bien près de nous rentrer au sein :
Enfin, crois-moi, si bien qu’on éteigne une flamme
Un peu de jalousie occupe encore une âme,
Et l’on ne saurait voir, sans en être piqué,
Posséder par un autre un cœur qu’on a manqué.
GROS-RENÉ
Pour moi, je ne sais point tant de philosophie :
Ce que voyent mes yeux, franchement je m’y fie,
Et ne suis point de moi si mortel ennemi,
Que je m’aille affliger sans sujet ni demi.
Pourquoi subtiliser et faire le capable
À chercher des raisons pour être misérable ?
Sur des soupçons en l’air je m’irais alarmer !
Laissons venir la fête avant que la chômer.
Le chagrin me paraît une incommode chose ;
Je n’en prends point pour moi sans bonne et juste cause,
Et mêmes à mes yeux cent sujets d’en avoir
S’offrent le plus souvent, que je ne veux pas voir.
Avec vous en amour je cours même fortune ;
Celle que vous aurez me doit être commune :
La maîtresse ne peut abuser votre foi,
À moins que la suivante en fasse autant pour moi ;
Mais j’en fuis la pensée avec un soin extrême.
Je veux croire les gens quand on me dit « Je t’aime, »
Et ne vais point chercher, pour m’estimer heureux,
Si Mascarille ou non s’arrache les cheveux.
Que tantôt Marinette endure qu’à son aise
Jodelet par plaisir la caresse et la baise,
Et que ce beau rival en rie ainsi qu’un fou,
À son exemple aussi j’en rirai tout mon soûl,
Et l’on verra qui rit avec meilleure grâce.
ÉRASTE
Voilà de tes discours.
GROS-RENÉ
Mais je la vois qui passe.
Scène II

Marinette, Éraste, Gros-René.

GROS-RENÉ
St, Marinette !
MARINETTE
Oh ! oh ! que fais-tu là ?
GROS-RENÉ
Ma foi,
Demande, nous étions tout à l’heure sur toi.
MARINETTE
Vous êtes aussi là, Monsieur ! Depuis une heure
Vous m’avez fait trotter comme un Basque, je meure !
ÉRASTE
Comment ?
MARINETTE
Pour vous chercher j’ai fait dix mille pas,
Et vous promets, ma foi….
ÉRASTE
Quoi ?
MARINETTE
Que vous n’êtes pas
Au temple, au cours, chez vous, ni dans la grande place.
GROS-RENÉ
Il fallait en jurer .
ÉRASTE
Apprends-moi donc, de grâce,
Qui te fait me chercher ?
MARINETTE
Quelqu’un, en vérité,
Qui pour vous n’a pas trop mauvaise volonté,
Ma maîtresse, en un mot.
ÉRASTE
Ah ! chère Marinette,
Ton discours de son cœur est-il bien l’interprète ?
Ne me déguise point un mystère fatal ;
Je ne t’en voudrai pas pour cela plus de mal :
Au nom des Dieux, dis-moi si ta belle maîtresse
N’abuse point mes vœux d’une fausse tendresse.
MARINETTE
Eh ! Eh ! d’où vous vient donc ce plaisant mouvement ?
Elle ne fait pas voir assez son sentiment !
Quel garant est-ce encore que votre amour demande ?
Que lui faut-il ?
GROS-RENÉ
À moins que Valère se pende,
Bagatelle ! son cœur ne s’assurera point.
MARINETTE
Comment ?
GROS-RENÉ
Il est jaloux jusques en un tel point.
MARINETTE
De Valère ? Ah ! vraiment la pensée est bien belle !
Elle peut seulement naître en votre cervelle.
Je vous croyais du sens, et jusqu’à ce moment
J’avais de votre esprit quelque bon sentiment ;
Mais, à ce que je vois, je m’étais fort trompée.
Ta tête de ce mal est-elle aussi frappée ?
GROS-RENÉ
Moi, jaloux ? Dieu m’en garde, et d’être assez badin
Pour m’aller emmaigrir avec un tel chagrin !
Outre que de ton cœur ta foi me cautionne,
L’opinion que j’ai de moi-même est trop bonne
Pour croire auprès de moi que quelqu’autre te plût.
Où diantre pourrais-tu trouver qui me valût ?
MARINETTE
En effet, tu dis bien, voilà comme il faut être :
Jamais de ces soupçons qu’un jaloux fait paraître !
Tout le fruit qu’on en cueille est de se mettre mal,
Et d’avancer par là les desseins d’un rival :
Au mérite souvent de qui l’éclat vous blesse
Vos chagrins font ouvrir les yeux d’une maîtresse ;
Et j’en sais tel qui doit son destin le plus doux
Aux soins trop inquiets de son rival jaloux ;
Enfin, quoi qu’il en soit, témoigner de l’ombrage,
C’est jouer en amour un mauvais personnage,
Et se rendre, après tout, misérable à crédit :
Cela, seigneur Éraste, en passant vous soit dit.
ÉRASTE
Eh bien ! n’en parlons plus. Que venais-tu m’apprendre ?
MARINETTE
Vous mériteriez bien que l’on vous fît attendre,
Qu’afin de vous punir je vous tinsse caché
Le grand secret pourquoi je vous ai tant cherché.
Tenez, voyez ce mot, et sortez hors de doute :
Lisez-le donc tout haut, personne ici n’écoute.
ÉRASTE lit
« Vous m’avez dit que votre amour
Était capable de tout faire :
Il se couronnera lui-même dans ce jour,
S’il peut avoir l’aveu d’un père.
Faites parler les droits qu’on a dessus mon cœur ;
Je vous en donne la licence ;
Et si c’est en votre faveur,
Je vous réponds de mon obéissance, »
Ah ! quel bonheur ! Ô toi, qui me l’as apporté,
Je te dois regarder comme une déité.
GROS-RENÉ
Je vous le disais bien : contre votre croyance,
Je ne me trompe guère aux choses que je pense.
ÉRASTE lit
« Faites parler les droits qu’on a dessus mon cœur ;
Je vous en donne la licence ;
Et si c’est en votre faveur,
Je vous réponds de mon obéissance. »
MARINETTE
Si je lui rapportais vos faiblesses d’esprit,
Elle désavouerait bientôt un tel écrit.
ÉRASTE
Ah ! cache-lui, de grâce, une peur passagère,
Où mon âme a cru voir quelque peu de lumière ;
Ou si tu la lui dis, ajoute que ma mort
Est prête d’expier l’erreur de ce transport,
Que je vais à ses pieds, si j’ai pu lui déplaire,
Sacrifier ma vie à sa juste colère.
MARINETTE
Ne parlons point de mort, ce n’en est pas le temps.
ÉRASTE
Au reste, je te dois beaucoup, et je prétends
Reconnaître dans peu, de la bonne manière,
Les soins d’une si noble et si belle courrière.
MARINETTE
À propos, savez-vous où je vous ai cherché
Tantôt encore ?
ÉRASTE
Eh bien ?
MARINETTE
Tout proche du marché,
Où vous savez.
ÉRASTE
Où donc ?
MARINETTE
Là, dans cette boutique
Où, dès le mois passé, votre cœur magnifique
Me promit, de sa grâce, une bague.
ÉRASTE
Ah ! j’entends.
GROS-RENÉ
La matoise !
ÉRASTE
Il est vrai, j’ai tardé trop longtemps
À m’acquitter vers toi d’une telle promesse,
Mais…
MARINETTE
Ce que j’en ai dit, n’est pas que je vous presse.
GROS-RENÉ
Oh ! que non !
ÉRASTE
Celle-ci peut-être aura de quoi
Te plaire : accepte-la pour celle que je dois.
MARINETTE
Monsieur, vous vous moquez ; j’aurais honte à la prendre.
GROS-RENÉ
Pauvre honteuse, prends, sans davantage attendre :
Refuser ce qu’on donne est bon à faire aux fous.
MARINETTE
Ce sera pour garder quelque chose de vous.
ÉRASTE
Quand puis-je rendre grâce à cet ange adorable ?
MARINETTE
Travaillez à vous rendre un père favorable.
ÉRASTE
Mais s’il me rebutait, dois-je….
MARINETTE
Alors comme alors !
Pour vous on emploiera toutes sortes d’efforts ;
D’une façon ou d’autre, il faut qu’elle soit vôtre :
Faites votre pouvoir, et nous ferons le nôtre.
ÉRASTE
Adieu : nous en saurons le succès dans ce jour.
MARINETTE
Et nous, que dirons-nous aussi de notre amour ?
Tu ne m’en parles point.