Echappée Fatale - Henri Clérau - E-Book

Echappée Fatale E-Book

Henri Clérau

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Beschreibung

Il vient de déserter Paris, son boulot, sa femme, terrassé par l'ennui et par l'habitude que procure la routine accablante. Elle s'est enfuie de New-York, poursuivie par des kidnappeurs. Rien n'annonçait leur recontre, mais le hasard liera leur destinée...

Maxence est au bord du burn-out, alors un jour il s’offre une respiration, une semaine de vacances volée à son boss et sa femme.
En chemin il croise Chloé, qui fuit New York et ceux qui la traquent. Il n’a que des doutes, elle n’a que des certitudes…démarre alors un road trip meurtrier, dont chaque étape les éloigne un peu plus de leur vie d’avant. Qu’en restera t’il au bout de la route ?

Un roman captivant aux histoires liées, aux rebondissements inattendus et course-poursuites à perte haleine. Impossible de le lâcher avant de connaitre le fin mot de l'histoire !

EXTRAIT

Maxence avait serré son poing à s’en faire mal et il sentait monter en lui tout à la fois la confiance et l’adrénaline dont il avait besoin.
Frapper le premier… aux cris de Chloé, Olivier avait juste commencé de tourner la tête vers lui, il la tenait toujours aussi fermement, il avait entrouvert la bouche… aucun son ne sortit, le poing le frappa sauvagement en plein visage et le sang gicla sans retenue sur le costume sombre et la chemise blanche. Il tomba lourdement au sol entrainant avec lui sa prisonnière. Il porta une main à son visage en émettant un gargouillis du fond de la gorge, sa main droite cherchait fébrilement quelque chose à l’intérieur de sa veste. Il avait lâché sa proie.
Frapper le plus fort possible… sans reprendre son souffle, Maxence lança son pied dans l’estomac de l’homme à terre. Le bruit sec, c’était à coup sûr des cotes qui cassaient. Il avait lancé son pied comme au foot, comme un gardien qui dégage et ce dégagement était réussi.
Décamper… ne pas poser de questions, on verrait ça après… il attrapa vivement Chloé par le bras, la tirant à lui et se rua vers sa voiture.

A PROPOS DE L'AUTEUR - Henri Clérau

Côté cour : des études supérieures, des voyages en Europe et en Amérique du Nord, une carrière menée dans plusieurs groupes internationaux.
Côté jardin: le cinéma, la littérature, la musique…et l’envie d’être acteur plus que spectateur… et l’envie d’écrire…c’est ainsi que nait « échappée fatale ».

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Henri CLERAU

Échappée fatale

Roman

Prélude

Maxence était assis sur les vieilles marches de pierre de sa maison. Le soleil n’était pas encore levé et la douceur de l’océan tout proche ne calmait pas le froid de la nuit.

Il observait ses mains qu’éclairait la lune. Une lune pleine et lumineuse. Il ne bougeait pas, ses bras étaient tendus, comme pour tenir à distance ces mains que Maxence observait.

Ce n’était pas des mains de travailleur manuel. Elles étaient fines avec des ongles soignés, mais en les examinant bien, on remarquait des rougeurs, des griffures et des marques de coups.

Depuis toujours il suivait un chemin tranquille et bien tracé, dont rien ne semblait devoir le détourner et pourtant, l’embardée de ces deux derniers jours avait été tellement soudaine, tellement brutale ! Il se remémorait l’enchainement des évènements et les décisions prises, sans qu’il comprenne ce qui se jouait et ce qui l’avait fait basculer du côté de ces vies parallèles et marginales. Des vies qui suivent leurs propres règles et leurs propres lois, ignorant, niant même, celles qui s’appliquent au reste des hommes.

« Tu ne tueras point ».

Maxence regardait ses mains et se demandait comment et pourquoi il avait tué un homme.

Il les posa sur les marches, bien à plat et sentit la fraicheur et l’humidité des vieilles pierres, sur lesquelles avant lui son père, son grand-pèreet combien d’autres encore qui l’avaient précédé s’étaient assis.

Il respira à pleins poumons et l’air salin le remplit de la puissance de l’océan. Il se sentit plus fort et se dit que quoi qu’il arrive, il ne se laisserait pas faire. Le sentiment d’avoir trop subi durant toutes ces années était devenu obsédant et depuis quelque temps déjà, il résistait. Dans la partie inégale qui se jouait maintenant, il refusait d’être l’agneau docile du sacrifice et même si sa vie semblait lui échapper, il ferait tout pour rester dans le jeu.

Maxence poussa sur ses mains pour se relever, entra dans la maison et observa silencieux la jeune femme prostrée sur le canapé. Après quelques instants, la voix étouffée, mais sûre, il dit simplement :

–Ils seront bientôt là, il faut repartir. 

J-13

Ce mardi à 7 h 30, la circulation était fluide dans le sens de la province. Paris dans le dos, Maxence était parti une demi-heure plus tôt. Trop tôt comme d’habitude. Son rendez-vous n’était qu’à 9h30 et bien sûr M. Guillet serait en retard. Pas de beaucoup, car c’était un homme sérieux et tous deux s’appréciaient, mais il serait en retard. C’était un peu leur relation qui voulait ça, comme quand on dit « j’arrive » à un ami et que dix minutes après on n’est toujours pas parti. Yves Guillet en retard, il arriverait une heure en avance à ce rythme. Bien sûr il allait s’arrêter à la station-service de Mirepin pour prendre un café croissant et préparer sa visite, mais il avait quand même plus d’une heure d’avance. Pour rien en fait, pensa-t-il. Dix minutes pour un café auraient suffi, car la visite chez ce petit client sans surprises n’avait guère besoin de préparation. Guillet Imprimeur lui achetait tout son papier, en tout cas tout ce qu’il pouvait lui vendre.

Maxence était commercial chez un grand distributeur de papier. À chaque fois qu’on lui demandait ce qu’il faisait, il sentait une grande fatigue l’envahir. « Je vends du papier ». Tout le monde en utilisait, mais personne ne connaissait le monde du papier, ni l’imprimerie. Cela faisait partie des secteurs Business To Business, B To B comme disent les journaux, mal connu du grand publique. Trop spécifique, trop en amont, trop petit… le monde du papier avait autant de notoriété que celui des films plastiques ou des métaux spéciaux… aucune. Il fallait donc expliquer, avec des mots simples et des exemples : du papier impression écriture, pas du papier journal ni du papier toilette. Du papier pour les plaquettes commerciales, du papier pour les livres, du papier pour les entêtes de sociétés …  « Et ça marche et ça te plait ? »… Maxence se sentait las de dire oui à chaque fois. Toute conviction avait disparu et cela se devinait avant même qu’il ait commencé à parler. Une ou deux secondes de silence, c’est peu, mais c’est trop long quand il s’agit de dire son enthousiasme.

7 h 45, Maxence avait les deux mains sur le volant. Le soleil ce matin d’octobre était exceptionnellement lumineux et annonçait une belle journée. Il roulait à 110 kilomètres/h. L’autoroute du sud était limitée à 110 sur plusieurs dizaines de kilomètres au départ de Paris et si la circulation était déjà dense, elle restait fluide. Que de belles promesses en ce début de journée… et il se posa alors l’inévitable question : qu’est-ce que je fous dans cette bagnole ? Cette interrogation voilà déjà bien six ou sept ans qu’elle tournait dans sa tête, lancinante, revenant régulièrement à la surface pour l’interroger sur la vacuité de sa vie. Franchement, vendre du papier, est-ce que cela avait un sens ? Est-ce que cela pouvait donner un sens à l’existence ? Il en doutait de plus en plus et pourtant son existence, depuis quinze ans, tournait autour du papier, des imprimeurs, du prix des papiers qui baissaient qui montaient, des clients qu’il fallait augmenter, des clients qui payaient mal puis qui ne payaient plus… comment ne pas être fatigué ?

Le panneau signalant la halte habituelle de Maxence indiquait 2 kilomètres. Il calcula rapidement, 2 kilomètres à 110 kilomètres/h cela faisait tout juste une minute. Encore une minute avant de s’arrêter. La bretelle de sortie approchait. Il était presque 8 h, son rendez-vous était dans une heure et demie. Maxence avait le regard fixe, encore trente secondes peut-être avant la bretelle. Trente secondes pour prendre sa décision. Décider n’avait jamais été simple pour lui… alors décider en trente secondes ! En même temps il suffisait de ne pas décider. Ne pas décider de sortir, continuer tout droit, ne pas se poser de question, juste continuer. Il arrivait au niveau de l’aire, il ne détourna pas la tête, sa vitesse n’avait pas varié, 110 kilomètres/h en direction du sud.

Maxence roula encore une demi-heure puis il s’arrêta sur une aire de repos. La semaine démarrait et pourtant du repos il en avait besoin. Il avait arrêté sa voiture face au soleil et restait assis sans bouger, les deux fenêtres avant légèrement baissées. Il avait le regard dans le vide. Il tentait d’analyser les sentiments contradictoires qui l’assaillaient. Excitation, crainte et jubilation mêlées rendaient sa respiration irrégulière et courte. Maxence jeta un coup d’œil rapide à son téléphone portable. 8 h 30. La demi-heure qui venait de s’écouler était la plus importante de sa journée. Elle était le sas qui le faisait passer du silence au bruit, du calme à l’agitation, de la sécurité au danger. 8h30 marquait formellement pour lui le top départ, comme la cloche sonne à Wall Street le début et la fin de la séance. Chaque journée était pour Maxence une séance boursière, avec ses hauts, ses bas et ses gros coups de stress.

Mais si 8 h 30 donnait le top pour les gens bien élevés, Vincent qui se moquait bien de la politesse quand il s’agissait des autres et qui n’était pas son boss pour rien, aurait déjà dû l’appeler. Comme il ne l’avait pas fait, c’était à Maxence alors, suivant cette loi jamais posée, mais toujours vérifiée, qu’il revenait d’appeler son patron, pour ce rituel du premier coup de fil de la journée. Un coup de fil d’allégeance qui le rendait malade d’avance.

Il regarda le livre posé sur le siège passager, « 16 décisions qui changent tout ». Il n’appellerait pas, il ne s’était pas arrêté à la station habituelle, il ne passerait pas le coup de fil habituel… la journée ne serait pas habituelle.

C’est alors que le téléphone sonna. Le prénom qui s’affichait sur l’écran était sans surprise et glaça Maxence. Qu’avait-il cru ? Il hésita le temps d’une sonnerie, puis de deux… il prit une profonde respiration et décrocha.

–Allo, tu dors ? Je te réveille ? Le ton était enjoué et il s’en sentit piteusement soulagé.

–Tu es où ? reprit la voix lointaine

–Bonjour Vincent, je suis sur la route pour voir Guillet, j’ai rendez-vous dans demi-heure.

–Guillet… encore ! mais tu y étais il y un mois. Tu bosses pour eux maintenant ? 

Vincent avait pour habitude de déstabiliser Maxence. Il le faisait avec tous et particulièrement ses collaborateurs les plus proches. C’était son mode de management à lui, un mélange de harcèlement pervers et de complicité forcée. Il leur faisait rarement des compliments. En tout cas jamais de compliment qui ne le serve lui. D’ailleurs Vincent faisait rarement des choses qui ne le servaient pas. Manipulateur par nature, son aide n’était gratuite qu’en apparence et il savait toujours vous rappeler, même plusieurs mois après, le coup de pouce réel ou inventé que vous lui deviez. Avec le temps il n’y avait plus que des services inestimables. Il fonctionnait comme ça. Il mettait tous ceux qu’il pouvait sous son emprise et Maxence était tombé en quelques semaines. Il n’avait pas su opposer de réelle résistance… beaucoup de compromis, de renoncements, d’acceptation s’étaient accumulés durant toutes ces années, formant la gangue dans laquelle il se débattait maladroitement.

Maxence ne tenta logiquement pas de discuter avec Vincent. Il n’argumenta même pas sur sa visite à Guillet, la voix enjouée de son boss était un petit capital à préserver pour sa tranquillité, surtout ne pas le gaspiller. Il demanda quelques nouvelles de Vincent. Vincent s’aimait beaucoup et il aimait qu’on l’aime. Alors Maxence se montra attentif, ou Vincent était-il ? Qui allait-il voir ? De gros rendez-vous, beaucoup de kilomètres, de la fatigue,… bien sûr Vincent devait se ménager, mais il était en forme,… Maxence avait la tête qui tournait. Son boss lui souhaita une bonne journée « rappelle-moi »… « bien sûr ce soir »…

Maxence ferma les yeux, il se sentait très fatigué et le mal de tête s’était invité, la journée commençait vraiment.

Au bout d’un moment il tourna la clé de contact et décida de faire demi-tour. Il serait à peine en retard. Peu importe qu’il n’ait rien préparé, Yves Guillet jouera le jeu et fera semblant de ne rien remarquer. Ils parleraient de l’activité, du marché, il évoquerait le dernier investissement du groupe, peut-être un petit tour d’atelier et puis très vite ils oublieraient le papier et parleraient d’économie en général, de la société, de politique, comme ils aimaient le faire.

Un soir à New York

Les yeux vissés à ses jumelles, casque sur la tête, l’homme assis face à sa fenêtre était depuis un long moment concentré sur ce qu’il observait et écoutait. Cela aurait pu être la course des avions dans le ciel rougeoyant de New York, ou encore un pinson sur un arbre, car la résidence de ce quartier de l’East Side bénéficiait de vastes espaces verts ou s’abritaient toute une population d’oiseaux, d’écureuils et autres petits animaux qui trouvaient là un espace calme et protégé au cœur de la ville frénétique. Mais en fait ce qu’il épiait avec attention se déroulait dans l’appartement d’en face. Rien ne lui échappait des activités de la jeune locataire aux cheveux roses du 22e étage, appartement 4G, qu’aucun rideau ne protégeait de son intrusion, quand lui-même se savait invisible derrière le film protecteur appliqué sur les vitres.

Il se dit que ce soir comme les précédents, elle éteindrait sans doute assez tôt, après quelques coups de fil à des amis et un épisode de House of Cards suivi sur son ordinateur.

Depuis quelque temps maintenant, elle avait réduit les sorties et semblait mener une vie plus calme, concentrée sur son travail, dans une des plus grosses agences de communication des États-Unis. À part ce changement, léger d’ailleurs, rien de notable et c’est encore ce qu’il dirait à son coéquipier de la nuit, qui bientôt prendrait sa relève.

La Réunion

Les courbes de couleurs différentes, plus ou moins parallèles, descendaient et remontaient, puis redescendaient. Surement la tendance était à la baisse, mais le regard fixe de Maxence effaçait toute netteté du trait et son œil abusé recomposait un tableau psychédélique. Garder le regard fixe, surtout ne pas ciller. La projection sur l’écran ne tournait pas encore comme dans les kaléidoscopes de son enfance, mais il espérait ce trouble et le moment où le tremblement qu’il percevait et cherchait à augmenter finirait en danse libre et aérienne.

–Voyons ce qui se passe pour les papiers couchés.

La voix de Vincent avait accompagné le changement de slide. Le tableau était proche du précédent, mais la vision de Maxence avait retrouvé toute sa précision et la tendance toujours à la baisse s’affichait en couleurs criardes, presque obscènes.

La voix qui montait parfois dans des aigus étonnants continua de commenter la situation du marché, les différents segments du marché, les parts de marché, les nôtres, les leurs, l’évolution des prix… tout ça et encore plus sur un seul slide pensa Maxence ironique, incroyable ! Incroyable et en même temps c’était chaque mois la même chose. Comment pouvait-on trouver tous les mois un truc nouveau à dire sur un sujet aussi peu intéressant ?

Maxence en était là, lorsqu’il se rendit compte que la voix s’était tue et que Vincent le regardait fixement derrière ses fines lunettes en or. Le silence soudain devint assourdissant.

–Un commentaire, un avis, quelque chose d’intéressant à dire ? 

Le débit était rapide, la voix ironique et cinglante était partie directement dans les aigus, cachant mal son impatience.

–Non, non, c’est très clair, il n’y a rien à ajouter.

–Rien à ajouter ? On se demande pourquoi tu es là alors ?

Puis il enchaîna :

–Dis-moi, où en es-tu avec l’Imprimerie Darcy ? Car là il y a du potentiel sur les papiers couchés là-bas ! Tu y es toujours fourré et on vend cinquante tonnes par an sur les deux milles qu’ils achètent !

Maxence répondit mollement, le ton fuyant, sachant que Vincent était parti pour ne le lâcher qu’après l’avoir bien laminé. 

–J’y passe régulièrement, pour maintenir le lien, mais tu sais bien qu’on a un problème de prix.

–Je vais le reprendre Darcy

Le ton était définitif et l’envie de blesser bien là.

–Tu ne sais pas y faire avec eux, c’est pas une question de prix, toi tu ne sais que baisser les prix. C’est comme avec STP, tu as baissé et elles sont ou les commandes ? C’est là qu’il faut que tu fasses le siège, deux mois au moins que tu n’y as pas mis les pieds. 

Maxence sentit le sang lui monter brutalement au visage, puis le quitter aussi rapidement…

–J’y étais il y a 3 semaines. On a livré la commande d’offset pour l’essai et ils n’ont pas encore imprimé le papier. Cela doit se faire la semaine prochaine et j’ai demandé à assister au tirage. J’y serai et ça avance. 

Maxence aurait bien voulu ne pas céder, ne pas céder surtout à ces multiples sentiments contradictoires qu’il sentait monter en lui. La colère d’abord, contre Vincent, contre sa façon d’amalgamer, de mentir, de travestir. La colère contre son aplomb sans limites, contre cette attitude si sûre de lui que rien jamais ne faisait vaciller. Le doute aussi, le doute qui s’insinuait partout, comme l’eau de la crue pénètre la maison et finit par tout pourrir. Le doute au premier questionnement, à la première attaque… douter de lui, de ce qu’il avait dit, ce qu’il avait fait… douter des autres, douter de tout.

Vincent haussa les épaules.

–Je vais appeler Darcy et tu vas voir. Quant à STP c’est pas une commande d’essai qui va changer quoi que ce soit. Essayer un des papiers leaders du marché, ça rime à quoi ? Tu te fais balader. On en reparlera de ça aussi.

Maxence respira fort et s’appuya à fond contre son dossier. Presque quarante ans et subir ainsi. Dans quarante ans il en aurait quatre-vingt, est-ce que ce sera pareil ? La vieillesse est un naufrage avait dit de Gaulle et si même de Gaulle avait fait naufrage, lui qui se sentait déjà couler que pouvait-il espérer ? Alors Maxence serra son poing droit et intérieurement se mit à répéter en boucle des affirmations positives apprises par cœur et tirées des nombreux livres de développement personnel qui peuplaient sa bibliothèque. Voilà plusieurs années déjà qu’il puisait dans ces techniques les aides précieuses lui permettant d’avancer et surtout de repartir lorsqu’il mettait genou à terre. Repartir mieux armé, convaincu qu’il n’y avait pas d’échec, juste un apprentissage, parfois douloureux, dont il devait tirer les leçons et qui le rendait plus fort. Au fur et à mesure qu’il enchaînait les mots magiques comme dans une roue de prière tibétaine, il sentait les forces lui revenir. Il y travaillait, il fallait y croire. Croire en ses capacités, en son talent en la force de sa volonté et de son travail.

C’était son engagement au quotidien qui ferait la victoire sur lui-même et sur tous les Vincent qu’il croiserait. Ces derniers jours il avait négligé la routine matinale qu’il s’était imposée depuis plus d’une année maintenant et qui lui permettait de lancer sa journée avec énergie et optimisme. Dès demain, il la reprendrait et cette idée lui autorisa un léger sourire, que Vincent pris pour de l’ironie et qu’il se promit de lui faire payer très vite et très cher.

Déjeuner d’équipe

La SCGP, société commerciale des grands papiers était située à La Défense et l’habitude, après ces réunions mensuelles du vendredi, pour « souder l’équipe », était pour Vincent d’emmener tout ce petit monde déjeuner à l’extérieur.

« On est une sacrée bonne équipe » aimait-il à répéter, « il y a une bonne ambiance chez nous » et de comparer avec les autres bureaux de vente, en Allemagne, en Angleterre, en Espagne où selon lui l’atmosphère était vraiment irrespirable.

Irrespirable comment ? pensait Maxence, irrespirable comme chez nous ? Il n’avait toujours pas su déterminer au bout de toutes ces années si Vincent parlait haut et fort de l’entrain de sa petite équipe pour couper toute velléité de critique, ou s’il le pensait sincèrement. La sincérité n’était vraiment pas son trait de caractère le plus marqué, pourtant il avait très bien pu s’en convaincre, s’abuser lui-même, tant était grande sa capacité à tordre la réalité. La tordre pour la conformer à sa vision des autres, de son petit monde, de son petit système solaire au centre duquel il était.

Manipulation, sincérité… il y avait sûrement un peu des deux pensait Maxence. Pour lui il y avait d’ailleurs toujours un peu des deux dans chaque situation, chaque personne, chaque sentiment et ce, un peu des deux, lui pourrissait la vie et l’empêchait de vraiment aimer ou détester, de vraiment goûter ce qui s’offrait à lui. Par un effet de transparence subtil le revers de la médaille lui était presque toujours visible.

Cinq personnes à table, dans une brasserie où les tables rondes n’existent pas, c’est toujours un laissé pour compte. Ce rôle était habituellement dévolu à Bernard. Lui, non plus, ne devait pas trouver l’ambiance tellement sympa, puisqu’il se serait plaint de harcèlement à l’encontre du grand Vincent. L’affaire était ancienne, Maxence n’était pas encore là et c’est Vincent lui-même qui lui en avait parlé. C’est à cela que se reconnaissent les grands égocentriques pervers pensait-il, tellement sûrs d’eux qu’ils vous racontent même les histoires à charge et vous prennent à témoin de l’ignominie qu’on leur fait !

Bernard prit donc la place sans vis-à-vis. Penché un peu sur la droite, à peine, il tacherait de participer a minima.

Maxence lui s’installa en face de Sophie. Pas par choix, mais l’arrivée autour de la table en avait décidé ainsi. En fait, il l’évitait. Elle était pour lui le prototype de la femme compliquée à fuir. Compliquée comme sa vie sentimentale était compliquée. Toujours entre deux liaisons trop courtes, elle tutoyait la quarantaine et le supportait manifestement mal. Tous les clignotants sont au rouge songeait Maxence. Sophie faisait le yoyo au niveau du poids, ses cheveux trop fins étaient souvent gras et ce laissé aller témoignait de sa détresse, comme de celui d’une adolescente de seize ans. Son caractère lui, restait invariablement positionné sur mauvaise humeur et virait assez facilement à agressif. En tout cas avec ses collègues, car ce qui fascinait Maxence, c’était la facilité qu’elle avait de repasser en mode convivial dès qu’il s’agissait de ses clients, mais également de Vincent. Un certain équilibre semblait exister entre eux. Sophie plongea littéralement dans la découverte de la carte que lui tendait le serveur et derrière laquelle elle disparut à la vue de Maxence. Il se dit que le repas allait être, comme toujours, très long. Cette fois encore plus que d’habitude il avait envie d’être ailleurs. Loin de ce restaurant qui sentait la végétaline, loin de ces compagnons de table qu’il n’avait pas choisis et avec qui cependant il passait sa vie.

Il se tourna alors vers Patrick de Lembort, installé à côté de Sophie. Patrick, lui, souriait. Patrick était né heureux… ou plutôt optimiste. Directeur marketing d’un des gros fournisseurs de la société, il savait surtout faire profiter de sa bonne humeur ceux qui se trouvaient autour de lui. Clients et collègues de travail recherchaient sa présence et le quittaient toujours rassurés et confiants.

Vincent s’était installé au bout de la banquette et prenait la moitié de la place à lui tout seul. Comme à son habitude, rituel invariable, il sortit le Laguiole à manche de palissandre sombre qui ne le quittait jamais. Il s’en servait à chaque repas et cette manière de paysan contrastait tellement avec ce qu’il dégageait dans son blazer bleu nuit impeccable et sa cravate club au milieu des tours de La Défense, que cela aussi composait son personnage.

–Alors Patrick, notre usine préférée, comment ça tourne ?

Vincent avait lancé LE SUJET

–Impeccable, vraiment très très bien. Il y a deux semaines je n’aurais pas dit ça, on avait encore pas mal de déclassés, mais là ça y est la qualité est au rendez-vous là et la machine tourne à une sacrée vitesse. Jeudi on a dépassé les huit cents tonnes produites. On est en route vers de nouveaux records !

–N’exagérons rien, le mois dernier on a battu un record, mais de problèmes avec cette jauge qui mesurait n’importe quoi ! On a eu de la chance de ne pas avoir plus de clients touchés. L’excellence, ce n’est pas encore pour tout de suite.

Patrick sourit de connivence. Maxence sourit également. C’était la seule participation dont il se sentait capable, un petit commentaire muet et pas trop engageant.

–Mais tous ils ont des problèmes comme ça, tous ! On te dit qu’il n’y a que toi, mais c’est faux, tous les producteurs en ont et tu le sais Vincent, tu es un homme d’expérience. Ces variations de brillance c’était très embêtant, mais on l’a bien géré et vous l’avez particulièrement bien géré en France. Évidemment on va encore avoir quelques remontées, inévitablement à cause des stocks.

–Ça promet maugréa Bernard.

–Ah Bernard, le moindre problème et on baisse les bras ! lança Vincent. À croire que c’est la première fois ! mais s’il n’y a pas de problème, tu sers à quoi ?

–Bien sûr Vincent, je sais et en clientèle je défends l’affaire, mais entre nous on peut se le dire.

–Non ! ça n’avance à rien. Patrick a raison, cette usine c’est toujours de nouveaux records !

L’ironie n’était pas voilée. Vincent n’était que de son bord. Enfoncer Bernard, mais railler notre premier fournisseur cela lui allait bien. C’était une façon de lui dire en particulier, mais aussi à tous, on croule sous les problèmes, mais vous avez de la chance je suis là pour tenir les clients français et pour faire ça il n’y a que moi.

Maxence n’avait pas d’appétit. Il avait chaud et se sentait vaguement écœuré. « On ressasse, on ressasse… on ressasse toujours les mêmes sujets, on parle toujours des mêmes personnes, avec les mêmes individus que seul le hasard a mis à cette table. Je passe ma vie avec des gens qui me font chier ! »

« Putain j’ai chaud » et il s’épongea le front avec sa serviette. Je suis en train de devenir comme Bernard, c’est sûr. Encore quelques années avec eux et je serai comme lui. J’aurai grossi, je porterai des cravates fluos et je serai toujours mal en point. Il faut que je bouge.

Maxence se leva si brusquement qu’il manqua de renverser son verre sur Sophie, dont le regard noir lui parut maléfique.

–Excusez-moi, je passe aux toilettes.

L’eau froide dont il s’aspergea le visage une minute plus tard le calma un peu. Il observa son image dans le miroir et s’adressa à elle d’une voix fiévreuse et énervée.

–Il faut que je me barre, j’ai besoin d’air, d’air frais d’air pur, je crève ici, je crève, logé et nourri.

Il avait défait son col et sa cravate était de travers.

–J’ai presque quarante ans bordel, quarante ans !! Je ne vais pas supporter ça jusqu’à la retraite. Et c’est quoi l’ambition de ma vie, la retraite ? et pouvoir dire que j’ai tenu jusqu’au bout ? Que j’ai enduré, que rien ne me plaisait, que tout était pénible, mais que j’ai enduré, que j’ai nourri ma famille ? … mais je n’ai pas d’enfants alors pourquoi ? Et puis ma femme travaille et gagne plus que moi ! Alors tout ça rime à quoi ? J’occupe le temps en attendant la mort ! Après tout je pourrais aussi anticiper un peu les choses. Tiens ça le calmerait Vincent si je retournais tranquillement à table et que je me tranche les veines avec son Laguiole ! Du sang dans les fraises, comme au cinéma. Une sortie à la Tarantino, ça ralentirait la pellicule au moins quelques heures, peut-être quelques jours ! Mais qu’est-ce que je fous putain, qu’est-ce que je veux ? 

Ses deux mains appuyées sur le rebord du lavabo tremblaient un peu… il cria presque :

–Qu’est-ce que tu veux ?

Le reflet ne répondit pas et Maxence ajusta son col, sa cravate, ses cheveux et repartit rejoindre la salle de restaurant.

La discussion continuait son cours, Vincent et Patrick animaient les débats. L’arrivée de Maxence les stoppa et comme il s’asseyait, tous le regardèrent interrogatifs, mais ce fut Vincent qui posa la question que chacun avait sur les lèvres.

–Ça va Maxence ? Tu es tout pâle.

–Ça va, ça va bien, juste un petit coup de fatigue, je ne sais vraiment pas pourquoi, mais ça va déjà mieux, ça va bien.

Il prit une grande inspiration, puis continua :

–Je me reposerai la semaine prochaine, pendant ma semaine de congé en Espagne…

L’idée lui était venue au moment même où il se disait fatigué. Maintenant il regardait Vincent en souriant doucement, se disant que cette semaine de vacances valait mieux que de répandre son sang sur la table. Ce serait bien moins définitif comme réponse, mais il gagnait malgré tout du temps et puis ce coup de bluff soudain lui donnait une énergie nouvelle. Alors qu’il ressentait encore son attaque de panique à sa respiration courte et hachée, il avait le sentiment de reprendre un peu la main. Tandis qu’il regardait toujours Vincent en souriant aussi paisiblement que possible, il serra son poing sous la table et se répéta mentalement en boucle une des affirmations positives qu’il préférait.

–Comment ça tu as pris une semaine, mais tu ne m’en as jamais parlé !

–Bien sûr, je t’avais dit que je partais au soleil pour mon anniversaire de mariage. Eh bien c’est l’Espagne. C’est programmé depuis au moins trois mois. Je ne t’en ai pas reparlé récemment, j’aurai dû, mais on en avait discuté avant l’été.

Maxence avait dit tout cela presque calmement, de manière assurée, tandis que Vincent le dévisageait, incrédule. Il avait une très bonne mémoire et lui savait mentir avec aplomb, cela lui donnait toujours l’avantage dans ce type d’échange. Mais là, il hésitait. Il hésitait, car il était tellement certain de son emprise sur Maxence, qu’il ne pouvait l’imaginer tentant un mensonge aussi grossier.

–OK, on en reparle au bureau.

Cela sonna la fin de l’aparté et le repas reprit son cours. Maxence ne dit presque plus rien, écoutant les points de vue des uns et des autres sur les cycles de leur industrie. Il songeait qu’en fait de cycle, tout cela tournait en rond et eux avec, petits hamsters dans leurs roues, qui courent, qui courent, qui courent de plus en plus vite… mais lui tentait enfin une sortie.

19 h 30, la voiture de Maxence sortait du parking de La Défense. Il n’avait pas mis la radio, il était fatigué et il avait besoin de silence pour réfléchir. Il avait pour cela 30 minutes devant lui, le temps de rejoindre son appartement. C’était peu. Qu’allait-il faire maintenant ? Ni vacances, il n’avait pas de projet avec sa femme et d’ailleurs ce n’était pas leur anniversaire de mariage. Ni travail, il venait de régulariser avec Vincent après un quart d’heure de discussion et ses congés étaient désormais enregistrés. Seule concession qu’il s’en voulait d’avoir acceptée : un appel une fois par jour, au cas où le bureau aurait besoin de lui.

Maintenant il devait décider de ce que seraient ces précieux jours. Il allait en discuter avec Pauline. Il l’imaginait déjà, riant de bon cœur du tour qu’il avait joué à Vincent et fier qu’il ait tenté et gagné ce coup de bluff. Elle serait heureuse qu’il ait volé une semaine à ce quotidien dont elle savait bien qu’il lui pesait. Il voyait aussi dans son regard danser cette petite flamme qui dirait beaucoup de son admiration amoureuse et de l’envie qu’elle aurait de lui.

Pour toutes ces raisons il voulait arriver vite et raconter le moindre détail de sa petite aventure… et pourtant, et pourtant… à chaque feu orange il ralentissait et retardait son arrivée de quelques instants.

Et s’il ne disait rien ? Et s’il prolongeait cette sensation de liberté qu’il avait soudain ressentie en leurrant Vincent. Leurrer, mentir… comment un mensonge pouvait-il rendre libre ? Et pourtant… c’était là le paradoxe, car avec ce mensonge, échappant au contrôle de Vincent et avec lui aux contraintes professionnelles qui corsetaient l’essentiel de sa vie, il sentait confusément que le champ des possibles se dilatait bien au-delà de quelques jours. Il pouvait même l’élargir encore, il suffisait peut-être de ne rien dire à Pauline.

La page était blanche, c’était à lui de l’écrire, à lui d’y faire des dessins, ou de ne rien y faire… ce serait dommage songea-t-il… ne rien dire ? L’idée tournait en boucle dans sa tête.

–Toute la semaine ?! 

Pauline avait dit ça d’un air à la fois incrédule et déçu. Le cœur de Maxence le piqua un peu, furtivement. Il répondit un peu vite et s’en voulut.

–Oui, toute la semaine, je descends jusqu’à Pau, ça va encore être une tournée pénible, longue, mille cinq cents kilomètres, au moins. Retour à la maison vendredi soir tard. 

–Mais tu ne pars jamais aussi longtemps ? 

–Ça s’est arrangé comme ça, Vincent veut voir un ou deux clients avec moi. Les trajets se goupillent mal, on perd du temps entre chaque client sur cette tournée. Voilà, c’est pour ça… mais enfin tu sais que dans le sud-ouest c’est toujours très long !

–Pauline vint vers lui et le regarda avec douceur.

–Ne t’énerve pas, c’est juste une question… tu devrais plutôt te réjouir, je m’intéresse à toi !

Elle se blottit contre lui sans détacher ses yeux des siens. Il essaya de ne pas ciller, de ne pas détourner son regard. Il ne cachait rien d’inavouable au bout du compte.

Il embrassa Pauline longuement et songea que ce soir il ferait peut-être l’amour.

Le week-end leur parut si court, comme à chaque fois. Entre sport et intendance, séance ciné et coups de téléphone aux amis et à la famille, la parenthèse fut vite refermée.

Dimanche soir Maxence prépara sa valise. L’habitude rendait cette obligation facile. Seul comptait le nombre de jours à l’extérieur, les réponses à toutes les autres questions que l’on se pose habituellement en découlaient logiquement : chemises, cravates, sous-vêtements… tout était déterminé par ça. Maxence disait parfois en riant qu’il avait développé un business model infaillible pour faire sa valise en trois minutes sans rien oublier, et qu’il devrait le faire breveter.

Cette fois-ci il mit plus de temps…

Il se demandait de quoi il aurait besoin sur cette semaine particulière. Il décida de faire comme d’habitude et rajouta simplement son nouveau livre de développement personnel.

New York – Paris

Le souffle court et le pas rapide, Chloé avançait déterminée. Elle fendait sans ménagement la foule compacte des couloirs souterrains de la station Saint-Michel, à la recherche du RER C, direction la gare de Massy TGV. Elle avait couvert ses cheveux d’un châle dont la couleur rose pâle était parfaitement raccord avec ses longues boucles. Elle avait d’abord pensé que c’était une bonne idée avant de se dire qu’au contraire c’était peut-être pire. Pire que de laisser ses cheveux libres, libres d’attirer les regards des caméras de vidéosurveillance, qui ne voyaient peut-être au bout du compte qu’en noir et blanc.

Elle avait adopté le rose lors de sa période londonienne. Avec cette coloration très girly elle avait vraiment eu le sentiment d’entrer dans la grande famille cosmopolite et tolérante des Londoniens. Londres et ses hipsters