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Dans des moments et des lieux hors du commun, ce livre raconte les voyages de 14 entités féminines confrontées à des destins troublés. À la croisée des contes et des légendes surréalistes, chaque histoire suscite des interrogations, des perplexités, et éveille l'esprit. Il s'agit d'un témoignage symbolique du parcours de l'auteure, et ce recueil, qui explore des concepts au-delà de notre conscience habituelle, nous entraîne vers les frontières de réflexions existentielles profondes.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Peintre, sculpteure, créatrice de livres-jeux pour enfants,
Florence Chalvignac façonne son imaginaire avec la liberté de la plume et du pinceau, composant avec la matière comme avec les mots. D’épreuves en sursauts, parvenue à une étape clé de son parcours, c’est dans l’intimité de l’écriture qu’elle tente de cristalliser l’essence métaphorique de ses réflexions.
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Florence Chalvignac
Échappées
14 nouvelles d’outre-conscience
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Florence Chalvignac
ISBN : 979-10-422-2204-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Encore une nuit agitée. Je n’ai réussi à fermer l’œil que quelques heures et, comme chaque fois, je traîne au lit en attendant les premières lueurs du matin. Je perds tout bonnement mon temps à attendre tour à tour le sommeil et le jour, et cette impression de laisser filer les heures sans leur offrir de contenu m’est devenue insupportable. Autant se lever. Il n’y a pas de moment indécent pour commencer la journée quand on est seul.
J’enfile rapidement mon T-shirt de la veille avant de descendre les quelques marches qui mènent au vestibule sans prendre la peine d’éclairer le couloir. J’entrouvre machinalement la porte d’entrée, ramasse à l’aveugle le paquet sur le paillasson, referme derrière moi puis remonte jusqu’au salon. J’éventre la petite boîte de carton pour en extraire le contenu – jaune 1 x 2 plots – que j’ajoute aussitôt aux quelques centaines d’objets similaires dans le volumineux bocal de verre.
J’observe, perplexe, la vaste collection multicolore à laquelle je ne parviens toujours pas à donner un sens. Car il y en a bien un, à n’en pas douter. Mais lequel ?
***
Tout a commencé voilà plus d’un an. Ce devait être une de ces épouvantables journées de juin qui s’étirent sans jamais vouloir céder la place à l’obscurité. La matinée s’annonçait interminable.
Dans le jardin aride, les rares plantes à n’avoir pas succombé réclamaient un arrosage quotidien.
Ce matin-là, je sortis m’atteler à la tâche un peu avant l’aube.
À peine avais-je franchi le seuil que je manquais de trébucher sur un mystérieux paquet déposé devant la porte. Instinctivement, je scrutai l’obscurité devant moi. J’aperçus avec circonspection plus que soulagement la silhouette impassible du portail au bout de l’allée, fermé. Je ne l’avais moi-même ouvert pour la dernière fois qu’il y a bien longtemps et je savais la tâche particulièrement ardue. Il était impossible d’entrer ou de sortir par la voie terrestre depuis des lustres. Courrier et victuailles étaient déposés devant l’infranchissable structure de fer forgé et il me fallait user de patience et d’ingéniosité pour parvenir à hisser le tout du bon côté.
Comment ce petit colis avait-il pu parvenir jusqu’au seuil de ma porte ? L’énigme aurait le mérite de m’occuper l’esprit quelque temps. Je laissai l’objet de côté pour y regarder de plus près à mon retour. Lorsque je fus enfin disposée à m’y intéresser, je constatai que l’emballage cartonné était vierge, il ne comportait aucun nom, aucune adresse, rien qui pût indiquer qu’il m’était destiné. De forme cubique, d’une dizaine de centimètres de côté, il était léger et laissait supposer qu’un élément rigide s’y baladait librement.
Je glissai un doigt dans l’amorce d’ouverture semi-circulaire et tirai proprement la languette pour déverrouiller le couvercle. Au fond de la boîte sombre se trouvait un petit objet familier auquel les circonstances donnaient un caractère parfaitement insolite.
Une brique de Lego… rouge, 2 x 2 plots.
Le lendemain, j’avais presque oublié cette brève intrusion dans mon rythme de vie solitaire.
Accaparée par la santé précaire de mes plantations, j’étais sur le point de franchir le seuil de la porte, chargée de mon arrosoir, quand je fus stoppée dans mon élan par la découverte du même petit paquet, centré sur le paillasson comme l’était celui de la veille, au centimètre près.
Je m’en saisis et le portai instinctivement à mon oreille en le secouant. Un nouvel objet rigide s’y déplaçait, plus volumineux peut-être, à peine plus lourd, de consonance plus mate lorsqu’il heurtait les parois de carton.
Levant les yeux, je distinguai au bout du chemin la masse opaque et rassurante du portail clos. Aucun signe d’effraction…
Troublée par cette seconde intrusion, je négligeai temporairement l’arrosage de mes végétaux qui, une fois n’est pas coutume, ne m’en tiendraient pas rigueur, et regagnai le salon sans plus attendre pour y desceller le paquet. Une autre brique solitaire gisait au fond de la boîte… Bleue, 4 x 2 plots.
Le jour suivant, j’avais toujours en tête ces deux intrigantes découvertes lorsqu’il me fallut me rendre au jardin. À dire vrai, mon intention à ce moment-là n’était plus d’aller abreuver la poignée de plantes insatiables, et c’est d’ailleurs sans mon arrosoir que je me dirigeais vers la sortie.
Mon cœur s’emballa au moment de tirer la porte, comme si un quelconque danger pouvait surgir de l’entrebâillement. J’ouvris et mon regard se figea sur le paillasson. Je restai interdite.
La scène était en tout point identique, j’avais l’impression de revivre cet épisode pour la troisième fois. Même paquet, même emplacement, même portail clos, même désarroi. À se demander si je n’avais pas fini par m’égarer dans un rêve absurde à trop souhaiter que la réalité soit moins affligeante.
Les jours qui suivirent furent marqués par le même rituel. Je délaissais définitivement l’entretien de mes plantations superflues pour mener une enquête dans laquelle les indices se cumulaient sans jamais rien révéler de leur finalité.
Les semaines passaient et se ressemblaient. Les journées débutaient toujours de la même manière. Quelle que soit l’heure, de jour comme de nuit, dès le saut du lit je descendais et trouvais invariablement le petit paquet disposé au centre du paillasson.
Le protocole virait à l’obsession et me rendait aveugle à tout ce qui ne pouvait alimenter mon enquête. Je voyais des briques partout, je rêvais briques, raisonnais briques, j’entendais malgré moi le son de la brique nouvelle tombant sur l’amas de briques anciennes, je succombais à la folie.
À défaut de saisir le sens de ces mystérieux messages tridimensionnels, je stockais le contenu de mes livraisons quotidiennes dans une boîte à chaussures, rapidement remplacée par un beaucoup plus volumineux bocal sphérique.
***
C’est devenu une véritable obsession. Il est évident que je ne retrouverai pas le sommeil tant que ce jeu de piste accaparant n’aura rien livré de son énigme. Je dois comprendre, il en va de mon équilibre et de la survie de mes plantations. Mais aucun sursis ne paraît viable. Tout cela doit prendre fin définitivement. Ce sera aujourd’hui ou jamais.
Je m’assieds devant le bocal, décidée à percer le mystère une fois pour toutes.
Déterminée, je saisis une brique, en sélectionne une autre, les assemble, convaincue d’y voir émerger quelque indice prometteur.
L’union en appelle une autre, c’est encourageant. Je poursuis. Et ça me plaît. Il y a une forme de logique de laquelle naît l’harmonie. Plus j’assemble, plus je sens émerger quelque chose d’important.
La pertinence se confirme à mesure que le volume prend forme. Il y a comme une évidence, la tâche m’illumine de bonheur.
La satisfaction croît à mesure que le bocal se vide. Quelque chose de grand est sur le point de naître… Les heures passent, la nuit s’achève déjà.
Lorsque je me trouve devant le bocal vide, je suis au comble de la jubilation. Il ne manque presque rien pour achever ma création et parachever mon exaltation.
Le soleil se lève, je cours jusqu’à l’entrée, le regard comme toujours tourné vers le paillasson avant même d’avoir entrebâillé la porte.
J’ouvre… Rien.
Ce matin, le premier depuis des mois, le paillasson est demeuré vierge.
Je descends timidement les trois marches tout en serrant contre moi la réalisation inachevée.
Je marque une pause en bas du perron pour savourer sous mes pieds nus la fraîcheur des petits cailloux de la longue allée bordée de végétaux desséchés. Puis j’avance de quelques pas, portant mon regard loin devant. Au bout de l’allée, le portail est grand ouvert.
La consigne arbitraire qui venait de pénétrer les profondeurs de son polochon jusqu’à l’y extraire de ses songes lui sembla pour le moins inopportune. Savourant benoîtement les vestiges de sa longue nuit auprès de Morphée, elle ne voyait pas ce qui pût en pareil moment justifier une sortie prématurée du cocon tiède qui l’hébergeait aimablement. Ce matin-là plus que jamais, l’attitude était au repli. Maintenir la tête émergée de sa couette bienveillante lui était déjà pénible, et c’est bien faute d’aptitude à la rébellion qu’elle tolérait les frasques de sa chevelure en proie à de violentes bourrasques.
Interpellée par l’atmosphère inhabituelle, elle se redressa.
Une partie de la réponse s’exprimait sous ses yeux. La virulence autant que la détermination des rafales avaient eu raison de l’étanchéité des huisseries. Le joint fatigué de la fenêtre avait vaillamment lutté une partie de la nuit avant de céder le passage au souffle glacial. Non résigné, il persistait à vibrer dans un râle monocorde effrayant.
Troublée par la tonalité dramatique de cette allégation, elle entreprit de quitter momentanément sa prétendue quiétude pour évaluer, sinon relativiser la situation.
La scène qui s’imposa à son regard tout juste sorti des limbes était apocalyptique. Aucune pièce ne semblait épargnée, aucun espace n’était plus en mesure d’offrir le minimum de sérénité que l’on pouvait attendre d’un logement moderne. Un profond sentiment d’insécurité s’y était installé à l’insu de ses hôtes, inondant chaque recoin de l’habitat, condamnant toute échappatoire.
La nuit était encore sombre à cette heure matinale et la perception de chaque bruit se trouvait exacerbée, ajoutant un peu plus au sentiment de chaos. Agitation et confusion régnaient en maître.
Le plafonnier du salon vacillait dangereusement, révélant quantité d’ombres fantomatiques à grand renfort de distorsions.
Le chat, à la fois paniqué et agréablement surpris de découvrir les portes de l’armoire grandes ouvertes, avait trouvé refuge entre deux piles de serviettes de toilette.
Le chien de porte de l’entrée, mû par une force persuasive, avait quitté son poste pour rouler à plusieurs mètres du seuil.
Libéré de son bâillon, le soupirail indésirable s’exprimait vaillamment, faisant valser moutons, feuilles mortes et autres dépouilles d’insectes, les rejetant toujours plus loin au rythme de ses expirations.
La cheminée refoulait une haleine âcre, dispersant dans l’appartement de fines particules de suie grasse au gré des mouvements d’air.
Sortie de son paisible sommeil, la laine de verre du faux plafond s’ébrouait en dissipant la couche séculaire de poussière et de déjections diverses qui lui tenait lieu de linceul.
Le faux plafond négligent, habitué quant à lui à refouler vers les combles les quelques degrés positifs dont l’appartement pouvait encore se vanter, se trouvait tout à coup bien zélé dans son nouveau rôle d’exutoire, déversant quantité de particules plus ou moins volatiles et odorantes désireuses de recouvrir à leur tour ce que la suie avait momentanément épargné.
Le papier peint de la chambre, partiellement avachi sous le poids de l’humidité, avait l’air d’acquiescer devant le spectacle, redressant et courbant l’échine sans relâche, cédant à chaque mouvement un peu plus de terrain au plâtre jauni dont les tâches de vieillesse vert de gris éclataient au grand jour.