Elle s'appelait… - Tome 2 - Harley Hitch - E-Book

Elle s'appelait… - Tome 2 E-Book

Harley Hitch

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Beschreibung

Lorsque ses yeux se posent à nouveau sur elle, il comprend que son destin sera à jamais lié au sien...

Il n’était jamais vraiment tombé amoureux, jusqu’au jour où elle a débarqué dans sa vie. Il était à la recherche d’une aventure sans histoire. Mais ce fut la découverte de la passion et du désir véritable. Ils pensaient ne plus jamais se revoir, mais deux ans plus tard, le destin les réunit à nouveau. En deux ans, beaucoup de choses peuvent changer... Mais qu’en est-il de leurs sentiments les plus profonds ? Pourra-t-il échapper une seconde fois à la passion ?

Plongez dans la suite de Il s’appelait... et découvrez ses pensées à lui. Une intrigue passionnante, un suspense intenable, une écriture addictive... prouvent encore une fois le talent de l’auteure !

EXTRAIT

J’aurais dû dire stop. J’aurais dû empêcher mon meilleur pote de suivre les conneries de mon collègue. Mais en lâche que j’étais, je n’avais pas osé intervenir. J’avais laissé faire et y avais participé, y avais pris plaisir. Si ma raison avait été plus forte que mon appétit sexuel à contenter, je ne me serais pas propulsé dans une situation dont j’aurais du mal à me dépêtrer, une situation à laquelle je ne m’attendais pas.
Putain, mais pourquoi ? Pourquoi avait-il fallu que je m’inscrive sur ce site ?
Sans mes deux comparses, jamais je ne l’aurais rencontrée. Jamais je ne serais tombé amoureux d’une autre qu’Alice, et Jérémy, quant à lui, serait probablement toujours avec Olivia.
La vie aurait été certes bien plus tranquille… mais pour ma part, surtout bien plus fade.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"L'auteur, que je découvre grâce a ce roman, a un talent certain pour le suspense et le mystère. L'écriture est fluide et addictive. Il n'y a pas de longueur, ni de passages inutiles." - Marine Bookine.

"Je n'ai qu'une hâte, découvrir le tome 2 du point de vue du garçon. J'ai hâte de connaître ses pensées et son avis sur la femme. De voir leur relation évoluer, car en plus, le prologue du tome1 nous dévoile que beaucoup de choses vont changer dans la vie des deux personnages et j'ai trop hâte d'en connaître la suite!" - lecturesdeber0se.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Mariée, un enfant, Harley Hitch est dans la vie spontanée, impatiente, entière et aime se démarquer et se surpasser. Elle voit la vie en rose. Fan inconditionnelle de thrillers et de suspense, elle ne se voit plus vivre sans la lecture et l’écriture. Il s’appelait... a remporté un Watty en 2019 sur la plateforme Wattpad.

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PROLOGUE

28 août 2021 / Aujourd’hui

Elle était mon Yseult.

Celle qui a embrasé chaque parcelle de mon être. La passion à l’état brut. Un aimant. Une drogue.

La flamme s’est instantanément ravivée quand sa route a de nouveau croisé la mienne.

Je la contemple, stupéfait de la revoir après autant de temps. Stupéfait oui, mais plus que satisfait.

Les rayons chauds du soleil illuminent sa magnifique chevelure brune et créent de doux reflets châtains. Un léger rictus dévoile ses petites fossettes sexy dont j’étais éperdument tombé amoureux. Elle est plongée dans sa lecture comme lors de notre dernier rendez-vous. Ce livre réussit à éclairer son visage heureux et il attise ma jalousie. Deux ans auparavant, j’étais celui qui lui dérobait d’immenses sourires, celui qui éclairait son regard, celui qu’elle touchait. Je m’imagine être entre ses doigts, caressé comme les douces pages de son roman d’amour. Un souvenir agréable resurgit alors aussitôt. Ma tête posée sur son ventre, elle me chatouillait les cheveux et les entortillait avec délicatesse. Un moment magique et d’une tendresse incroyable. À cette simple idée, mon cœur se serre. Renoncer à elle avait été le choix le plus difficile de toute ma vie et elle m’avait manqué à chaque instant depuis.

Elle était mon Yseult malgré le fait que je n’étais pas son preux chevalier Tristan. J’en étais bien loin même et je n’avais pas cette prétention. Elle méritait tellement plus qu’un simple écuyer. Elle aurait dû être traitée comme la reine qu’elle était et non comme une vulgaire servante de la cour royale.

J’ai longtemps pensé que notre liaison n’avait été que le fruit de mon imagination débordante, une histoire dont je rêve encore, deux ans après, une addiction en veille qui me hante, un goût d’inachevé. Et pourtant, elle est là, assise droit devant, face à moi, à cette table, seule avec ses pensées, toujours aussi superbe et mystérieuse.

Alors qu’elle évite soigneusement mon regard, le mien s’attarde sur ses longues jambes bronzées et dénudées. Sa manière de les croiser et de balancer son pied chaussé d’un joli escarpin à talon très haut m’hypnotise. Sa cheville fine effectue des petits cercles avec une certaine élégance.

Mes yeux remontent peu à peu vers sa poitrine qui me plaisait tant. Petits seins certes, mais parfaitement symétriques et qui tiennent sans l’aide d’un soutien-gorge, un bonnet B, largement suffisant pour ma part. Son décolleté léger laisse apparaître un tatouage discret qui n’existait pas auparavant, une sorte d’inscription. Je fronce les sourcils, tentant de deviner ce qui est écrit sans pouvoir y arriver, bien trop éloigné de ma cible. Mes poils se hérissent à l’idée de parcourir de mes doigts cette partie de son anatomie. Des pensées lubriques envahissent mon esprit et refusent de le quitter.

Oui, elle m’avait vu mais avait aussitôt détourné les yeux, visiblement décontenancée par ma présence. Elle rougit. Elle sait que je suis en train de la contempler. Je ne peux faire autrement, elle irradie autant que le soleil au zénith à cette heure de la journée. Son petit air innocent me fait toujours autant d’effet, surtout alors que je sais qu’il est en complète opposition avec la réalité. Une femme mature, farouche et qui connaît ses principaux atouts. Une femme impossible à apprivoiser. Malgré son sex-appeal évident, elle ne remarque même pas qu’elle plaît. Le peu d’hommes qui passent par là n’hésite pas à la reluquer sans aucune discrétion. Ce qu’ils ignorent, c’est que moi, j’ai eu le privilège de l’embrasser, de la prendre dans mes bras et de lui faire l’amour de nombreuses fois. J’en éprouve une petite fierté et satisfaction personnelle.

Mon cœur bat la chamade. Il me faut lui parler. Je m’empare donc de mon téléphone et lui pianote un rapide message pour attirer son attention.

[Intéressant ton livre ? Rassure-moi, le mec ne prend pas encore une balle pour sa copine ?]

Ma respiration se coupe quand je comprends que non, elle n’a pas changé de numéro de portable car il a vibré avec vigueur sur la table face à elle. Même cachée derrière ses lunettes de soleil, je devine que ses yeux rient à la lecture de mon petit sms. Je la comprends mieux que personne d’autre. Elle aime ce genre de taquineries. Elle aime qu’on la titille, qu’on la convoite, qu’on la chasse. Je suis plutôt ravi de ne pas avoir perdu la main.

[Et… je suis ravi que tu n’aies pas changé de numéro.]

Mon deuxième message fait de nouveau trembler son téléphone. Je lui souris, elle est visiblement troublée. Ses doigts sont prêts à taper une réponse mais une jeune et jolie jeune femme, probablement une amie à elle, la rejoint à cet instant. Elles se saluent, s’embrassent et rient ensemble. Elle en oublie ma présence. Et à ma grande déception, les deux ne restent pas pour le déjeuner. Elle empoigne son sac et passe suffisamment près de moi pour que j’entende un fragment de leur conversation, conversation qui m’est en partie destinée.

— Non, je t’assure, tu n’as pas à t’en faire Laure. C’est juste que… je crois que les prochaines semaines risquent d’être… intenses.

Intenses… cela ne peut être le fruit du hasard, mais plutôt un message subliminal. Je ferme les yeux, profitant de son doux parfum fleuri balayé par une brise fraîche qui caresse délicatement mes narines et m’envoûte en l’espace de quelques secondes. Seulement pendant quelques secondes, car il me faut revenir ensuite à la réalité. Mon ex-amante s’est déjà volatilisée et je me retrouve nez à nez avec Alice.

— À quoi tu pensais ? m’interroge-t-elle un sourire aux lèvres.

— À rien ! rétorqué-je innocemment. Tu as commandé nos boissons ?

— Le serveur nous rejoint dans quelques minutes. Il ramène les cartes, me répondit-elle. J’ai super mal au dos, j’en peux plus. Je suis une grosse baleine. Une grosse baleine qui va finir par exploser.

Je lui souris.

— Mais non, tu n’es pas une grosse baleine… juste un petit cachalot ! la charrié-je finement en guise de représailles pour m’avoir traîné dans toutes ces boutiques contre ma volonté.

Alice a l’habitude de mon humour décalé et ne s’en formalise plus, elle ne réagit même plus.

— J’ai mal au dos, mes pieds sont gonflés, c’est atroce, se plaint-elle.

Je ne sais combien de fois j’ai entendu cette rengaine depuis plusieurs mois. Mais je fais avec. J’affiche ma mine la plus compatissante et je tente de la divertir. Et ça fonctionne, c’est l’essentiel. J’essaie de faire passer ma frustration par des touches d’ironie et pointes de sarcasme qu’elle ne détecte cependant pas forcément à mon grand désarroi… ou pas.

— Allez, assieds-toi mon petit cachalot ! plaisanté-je en tapant sur son assise.

Elle s’efforce de ne pas rire à ma bêtise sans succès. Elle est belle, bien plus que d’habitude. Ses cheveux châtains ont blondi au soleil et des taches de rousseur sont apparues sur son visage fatigué. La grossesse lui va bien. Son ventre énorme attire souvent le regard des autres femmes. Elle est radieuse même lorsqu’elle râle. Alice partage ma vie depuis près de six ans maintenant. Je l’aime, c’est une évidence.

Pourtant, elle n’est pas mon Yseult. Elle ne le sera jamais.

CHAPITRE 1

28 août 2021 / Aujourd’hui

— Hey, salut gros ! Alors ça avance ?

Jérémy. Mon ami d’enfance. Ce grand blond au look de faux surfeur joue de son apparence physique de tombeur pour entuber toutes les femmes qu’il croise. Après sa rupture deux ans plus tôt avec Olivia, il a pété littéralement un câble et a fait n’importe quoi. Il a enchaîné pendant des mois les histoires sans lendemain. Il refuse de s’avouer qu’elle lui manque. Il a merdé. Il l’a trompée, elle l’a découvert et elle l’a quitté. Contrairement à moi, lui s’est fait prendre. J’ai eu de la chance, je pense. Jérémy a tout fait pour se racheter, il l’a suppliée, l’a harcelée, mais elle avait pris sa décision. Il était trop tard.

— Putain, c’est le bordel ici ! T’as rien foutu depuis hier ! s’exclame-t-il en claquant la porte d’entrée.

La franchise est d’ordinaire une qualité, mais seulement si cette dernière va de pair avec le tact. Terme qu’il ne saisit visiblement pas.

Bon, ok, notre nouvel appart est un véritable chantier. Il y a des cartons dans chaque recoin. Mais pour notre défense, nous venons à peine d’emménager. Il le fallait pour le bébé. Nous avions besoin de plus d’espace et de nous rapprocher du nouveau lieu de travail d’Alice. L’école n’était qu’à cinq cents mètres. La seule chose qu’elle regrettait, c’était de ne pas pouvoir assurer cette rentrée scolaire. Elle n’était qu’à deux mois de son terme et ne pouvait assurément pas envisager de reprendre en septembre. Après les congés d’été, elle a donc enchaîné directement sur un arrêt pour grossesse pathologique. Son rôle d’institutrice qui lui tient à cœur devra attendre début d’année prochaine.

— Tu rigoles ou quoi ? Regarde, y’a un carton en moins sur la pile là-bas ! le taquiné-je.

— Arrête, ça fait une semaine que c’est comme ça ! rétorque-t-il du tac au tac.

Sans demander la permission, il se dirige vers la cuisine et ouvre le frigo à la volée.

— T’en veux une ? me lance-t-il en brandissant une bière.

Je refuse d’un hochement de tête.

— Putain ! Il est où le décapsuleur, sérieux ! T’as vraiment rien rangé, t’abuses ! Elle est pas là, Alice ?

— Nan, elle est partie faire les magasins avec sa mère pour le bébé, encore. Regarde, dans les cartons derrière toi, t’en trouveras peut-être un dedans !

Pendant que Jérémy commence à fouiller en râlant, je scrute mon téléphone. Pas de message. Sa silhouette, son visage radieux ne me quittent plus depuis ce midi. Je déverrouille un dossier sécurisé dans mon téléphone et admire la seule photo que j’ai gardée d’elle depuis tout ce temps. Je n’avais jamais pu me résoudre à l’effacer définitivement. Je ne pouvais ou je ne voulais pas l’oublier. C’était une manière de me rappeler qu’elle n’avait jamais été un rêve mais bel et bien une réalité. Même si ses cheveux ont poussé, elle n’a pas changé. Elle est même encore plus magnifique.

— Oh, oh, oh ! Putain de merde ! rigole Jérémy subitement, me tirant hors de mes pensées.

J’appuie sur le bouton de la tranche de mon téléphone pour le mettre en veille et le glisse dans ma poche. Même si mon ami est au courant de mon infidélité tout comme j’étais au courant de la sienne, je préfère cette fois-ci éviter de lui en parler, cela lui rappellerait de mauvais souvenirs.

— Qu’est-ce que t’as ? T’as trouvé le décapsuleur ? lui demandé-je en slalomant entre les cartons.

— Ouais c’est bon mais c’est pas ça ! Regarde !

Eh merde, il a trouvé ce fichu poster. Comme un con, il imite cet homme à la chemise violette et au nœud papillon vert croquant dans une banane. Je souris bêtement et balance la tête de gauche à droite avec un air blasé.

— Tu vas le remettre dans ton salon, dis ? Allez !

— Y’a pas moyen, Alice en a marre de ce poster. Elle me dit que le bébé va être traumatisé avec la tronche de ce mec. Et puis, c’est bon, j’ai perdu un pari, j’ai assumé le gage, ça fait plus de deux ans ! Y’a prescription ! répliqué-je.

— T’es vraiment beaucoup moins fun Tristan !

— Si tu l’aimes tant que ça, prends-le chez toi !

— Tu rigoles ou quoi, comment je vais faire avec mes plans cul ? Elles vont croire que j’ai pas que des tendances hétéro. C’est mort ! J’vais perdre en crédibilité.

— Toi aussi t’es moins fun, tu vois ! Ce poster, même si je m’y suis habitué, Alice n’en veut plus, elle voulait même le jeter. Je voulais le garder au moins en souvenir. Donc, je n’ai pas le choix, on va changer de style.

Jérémy fait la grimace. Un voile de tristesse lui obscurcit soudain le visage. Lorsqu’il a appris la grossesse d’Alice, il a été le premier heureux de la nouvelle, mais il s’est vite rendu compte que notre vie ne serait plus la même. J’allais avoir une famille alors que lui avait laissé échapper la possibilité d’en fonder une avec Olivia.

Il s’affale dans le canapé encombré de cadres à accrocher et vide la moitié de sa bouteille de bière pour faire fi de ses regrets.

— Alice a des nouvelles de Liv ? s’enquiert-il.

Je ne sais plus quoi lui dire quand il lance le sujet. Je me sens mal pour lui, même si ces derniers temps, il s’est ressaisi et a arrêté les conneries. Finis les coups d’un soir, cependant, il noie encore quelques fois son chagrin dans la boisson. Quand je le vois ainsi, je me dis que je ne peux replonger dans mes travers. Mais revoir mon amante après deux ans m’a fait l’effet d’un électrochoc. De toute évidence, si elle avait vraiment envie de me retrouver, elle m’aurait déjà répondu. Cela vaut peut-être mieux.

— Oui, Olivia organise sa baby shower dans quinze jours.

— Ah… et… tu sais si elle a quelqu’un en ce moment ? m’interroge-t-il.

— Je crois pas… mais tu sais, on ne parle pas trop de Liv avec Alice, elle sait qu’on se voit toujours. Elle veut pas que tu saches quoi que ce soit de sa vie.

— Même après deux ans, elle m’en veut toujours autant, soupire Jérémy. J’l’aimais pas en plus cette foutue nana du site… J’en avais rien à foutre. Contrairement à toi… Toi, t’es tombée sur celle qui t’a retourné le cerveau. Et de nous deux, t’es celui qui s’en est sorti. J’ai joué, j’ai perdu. C’est comme ça.

Son air défaitiste me fend le cœur. Je déteste le voir dans cet état de déprime.

— Tu l’aimes Alice ? me demande-t-il tout à coup. T’as jamais pu l’oublier l’autre, hein ?

Ses questions me perturbent. Je suis incapable d’y répondre sans devoir y réfléchir avant. Le bip de mon portable m’indique l’arrivée d’un message. J’en profite pour y jeter un œil et mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Je ne peux réprimer un immense sourire.

[Salut Tristan… Non, j’ai arrêté de lire des romances, trop barbant ! Je me suis remise dans une valeur sûre, les thrillers !]

— Qu’est-ce que t’as à sourire comme un con ? me lance Jérémy. Alice t’a envoyé une photo coquine ou quoi ?

Mon ami est bien loin du compte. Si seulement il savait.

Mais dans quoi allais-je me réembarquer ?

CHAPITRE 2

1er décembre 2018 / Deux ans et demi plus tôt

Ce soir-là, sortie entre potes sans nos nanas pour nous surveiller. Jérémy ne cessait de se plaindre du fait qu’Olivia ne soit pas sexuellement entreprenante. Les deux étaient ensemble depuis le lycée, autrement dit, une éternité. Il n’en avait jamais testé une autre qu’elle et visiblement, cela le démangeait. Il voulait absolument connaître tous les détails de mes ébats avec Alice, pour comparer et inciter sa copine à prendre un peu plus de risques. Il en avait plus que ras-le-bol de la position du missionnaire.

Je compatissais. Je vivais plus ou moins la même chose. J’aimais Alice. Mais son éducation guindée, son style de petite bourge et de sainte nitouche ne cachaient malheureusement pas un tempérament de petite cochonne. Elle était un bon parti et était issue d’une famille de richards que j’adorais détester et critiquer. Jolie, bosseuse, pas prise de tête. La copine idéale.

Je ne pouvais résolument pas en espérer plus. J’étais chanceux.

Olivia me l’avait présentée trois ans et demi plus tôt. Elle et Alice s’étaient rencontrées à la fac. Jérémy ressentait le besoin de me caser et avait harcelé sa moitié pour organiser un rendez-vous arrangé. Rendez-vous qui s’était soldé par une nuit des plus torrides. Mais il était loin le temps où le sexe entre nous était excitant et original. À présent, il était routinier, sans surprise, sans saveur. Mais je l’aimais. La douceur et l’attention dont elle faisait preuve à mon égard m’indiquaient clairement que j’étais tombé sur la femme parfaite. Enfin presque.

Malgré cela, je l’avais trompée. Une seule fois, en octobre de cette année. Une gonzesse rencontrée dans un bar. Cette dernière m’avait dragué. J’étais bourré, c’était une erreur. Une erreur vite oubliée. Elle ne m’avait même pas réellement fait d’effet. J’avais tout juste bandé. Je lui avais donné un faux numéro le lendemain matin en partant de chez elle et ne l’avais jamais revue. Jérémy m’avait couvert auprès d’Alice. Nous avions officiellement bien trop bu. Elle n’avait pas voulu en savoir plus et me faisait confiance. J’avais honte mais je ne culpabilisais pas. Ce qui était fait, était fait.

— Putain Tristan, arrête de faire ton asocial et ramène tes fesses ! me cria Jérémy.

 Le grand blond me rejoignit à l’extérieur du bar dans lequel nous passions la soirée. J’étais sorti quelques minutes pour prendre l’appel d’Alice qui me rappelait gentiment de boire avec modération vu comment s’était terminé notre dernière soirée entre mecs.

— J’fais pas mon asocial, Alice m’a appelé. On s’entend pas dans ce bar !

— Alice, Alice ! Elle peut pas te lâcher la grappe pour une fois !?

La porte principale s’ouvrit derrière lui pour laisser apparaître un homme de grande taille, les cheveux châtains et ondulés tombants dans les yeux. Un style classique, jean noir parfaitement ajusté, chemise blanche et veste de costard. Impeccablement rasé, il affichait toujours ce putain de sourire à la Colgate.

Benjamin. Un de mes collègues du centre sportif d’escalade. Il était de ceux qui ne laissaient aucune femme indifférente. Elles auraient été presque capables de se taper dessus pour avoir le privilège de l’avoir en coach. Et ce grand gaillard en profitait. Les nénettes se trémoussaient en grimpant les parois et lui offraient une vue splendide sur leur fessier ferme et plus qu’agréable à mater. J’en profitais aussi, fallait bien se l’avouer. Mais pour ma part, j’étais maqué. Lui ne voulait pas s’embarrasser d’une copine qui, je cite, « lui péterait les couilles ». Il nous rabâchait sans cesse à Jérémy et à moi notre manque de jugeote à ce sujet.

— Bon, Tris. Je discutais avec Ben à l’intérieur. Et sérieux, toutes les meufs dans le bar veulent le pécho ! Y’a moyen d’avoir des plans ce soir !

— Jérém, j’sais pas si c’est une bonne idée, tu sais. Imagine Liv l’apprend ?

— Bah Alice l’a jamais su pour toi !

— J’ai eu de la chance. Simplement de la chance. C’est trop risqué. C’est sans moi sur ce coup-là.

Benjamin me scrutait un rictus plaqué sur les lèvres. Il avait cet air sûr de lui qui émanait de tout son être. Cette aura particulière qui attirait les femmes comme des mouches. Les sorties avec lui finissaient rarement sans qu’on soit soumis à la tentation. Ce mec était une vraie star internationale.

— Si tu flippes de te faire choper, ou que la meuf balance tout à ta copine, je te conseille les sites de rencontres extraconjugales. Tu peux tomber sur des femmes un peu plus matures, mariées, qui ne demandent que de la discrétion. Aucune prise de tête, juste des moments agréables. Après, faut tomber sur la bonne. Un peu plus compliqué. J’ai essayé et ça n’a pas marché avec la seule qui m’ait répondu. C’est le loto là-dessus. Mais bon, qui tente rien n’a rien.

— J’vais me créer un profil sur le site… ricana Jérémy. C’est vrai qu’au moins avec ce genre de plan, logiquement, pas de souci avec sa copine, vu que l’autre est aussi en couple.

— On peut finir la soirée chez moi si vous voulez. Pas de trace de vos historiques sur vos ordis perso du coup… Si ça vous plaît, y’a des applis qui vont avec, poursuivit Benjamin.

J’avais beau avoir essayé à plusieurs reprises de détourner Jérémy de son obsession actuelle, rien n’y faisait. Il s’était donné pour mission de se taper une autre nana que la sienne pour voir ce que cela faisait. Le problème là-dedans, c’était que j’étais son pote. Son meilleur pote. Et entre potes, on était solidaires. Valait mieux que je le surveille de toute façon. Quitte à ce qu’il aille au bout de son projet, autant que je sois derrière lui pour vérifier ce qu’il trafiquait.

Je les avais suivis dans leur délire de mecs en manque.

Pourquoi ?

Sûrement par curiosité. Sûrement pour les imiter. Sûrement pour me sentir moins con. Je m’étais laissé embarquer dans leur idée pas des plus ingénieuses.

J’aurais dû dire stop. J’aurais dû empêcher mon meilleur pote de suivre les conneries de mon collègue. Mais en lâche que j’étais, je n’avais pas osé intervenir. J’avais laissé faire et y avais participé, y avais pris plaisir. Si ma raison avait été plus forte que mon appétit sexuel à contenter, je ne me serais pas propulsé dans une situation dont j’aurais du mal à me dépêtrer, une situation à laquelle je ne m’attendais pas.

Putain, mais pourquoi ? Pourquoi avait-il fallu que je m’inscrive sur ce site ?

Sans mes deux comparses, jamais je ne l’aurais rencontrée. Jamais je ne serais tombé amoureux d’une autre qu’Alice, et Jérémy, quant à lui, serait probablement toujours avec Olivia.

La vie aurait été certes bien plus tranquille… mais pour ma part, surtout bien plus fade.

CHAPITRE 3

1er septembre 2021 / Aujourd’hui

Je ne pensais pas qu’elle répondrait. Je ne le pensais pas, non, mais je l’espérais plus que tout. Son message m’a rendu extatique. Mes yeux brillaient, certains souvenirs avec elle ont refait instantanément surface. Je n’ai jamais oublié l’odeur de son parfum d’amande douce, la douceur et la chaleur de sa peau, le goût de ses lèvres, peu importe lesquelles. Tout est revenu comme si nous nous étions quittés la veille seulement.

Cette envie irrépressible de l’enlacer, de la posséder, de la faire jouir et crier mon prénom. Ce désir de plonger mon regard dans le sien d’un noir profond et mystérieux. Ce souhait de retrouver cette intensité unique qui nous unissait, cette complicité naturelle qu’aucune autre femme avant elle n’a été capable de m’apporter, même pas Alice.

Nous avons échangé quelques messages après le départ de Jérémy. Ce dernier n’a cessé de me tanner pour savoir ce que je lui cachais, mais j’ai tenu bon et gardé pour moi le secret inavouable qui m’obsédait.

[Oh mais tu as fait des progrès ! La romance, c’est pas de la vraie littérature de toute façon !] l’ai-je charriée.

[Mais si enfin, tout dépend de ce que tu lis ! Tristan et Yseult, tu connais ?]

[Pourquoi crois-tu que je m’appelle Tristan ? Ma mère adorait ce bouquin…]

[Elle a bon goût, je dois avouer…]

[La tienne aussi était romantique visiblement…] lui ai-je rétorqué, amusé.

[Les vraies romances finissent tragiquement de toute façon… Pas de happy end !]

[Ouais, c’est clair ! Ils meurent de chagrin ou se suicident… c’est d’une gaieté !]

[On a vécu une vraie passion tous les deux… sans en arriver à ces extrémités…] a-t-elle aussitôt rebondi.

[On n’est pas dans une pièce de Shakespeare ! Et j’ai envie de dire tant mieux… car pour finir, je te retrouve plus belle que jamais, deux ans plus tard…]

[Le destin ?]

[Probablement…]

[Tu m’as manqué] m’a-t-elle avoué.

Elle m’a manqué aussi. Terriblement.

Le bruit des pas lourds d’Alice résonnant déjà dans le couloir et celui de ses clés cherchant la serrure m’obligent à couper court aux sms échangés avec mon ex-amante à contrecœur. Je range rapidement l’objet de mon délit et me précipite vers l’entrée pour la débarrasser de ses emplettes, encore. Notre nouvel appartement va bientôt être trop petit. Derrière elle se tient sa mère, qui passe de plus en plus de temps avec nous. Logique, au vu de la condition de sa fille chérie.

Marie de Montégu est la copie conforme d’Alice avec vingt-cinq ans de plus. Elle me salue, radieuse, comme toujours. C’est une magnifique femme au visage sévère, aux cheveux colorés blond platine, des yeux d’un bleu gris captivant. Elle observe chaque personne qu’elle rencontre d’un œil très critique, une impression flippante d’être passé aux rayons X. Plutôt mince, athlétique et élancée, elle est d’une prestance incroyable. Nul besoin d’être perchée sur ses hauts talons pour me dépasser largement en taille. Malgré sa cinquantaine bien avancée, physiquement, il semble que sa plastique de rêve garde une jeunesse éternelle, comme si elle avait arrêté de vieillir, les traits figés dans le temps. Elle est l’une des chirurgiennes esthétiques les plus réputées du département. Je doute qu’elle se soit opérée elle-même, mais il y a un sérieux avantage à travailler dans le milieu de la recherche du corps parfait. Les injections de botox lui garantissent une expression de moitié moins que son âge réel.

Au début, les parents d’Alice n’approuvaient pas notre relation. Ils avaient des attentes différentes et plus hautes pour leur unique descendante. Quand ils ont compris que nous nous aimions vraiment au bout d’une année à les défier, ils ont finalement pris sur eux et nous ont laissés vivre notre amour sans interférer et ont même commencé à m’apprécier. Mon humour décalé a clairement été un facteur déterminant dans l’amélioration de nos relations.

Je masque au mieux mon expression déçue de les voir arriver pile au mauvais moment. J’endosse rapidement le rôle du gendre irréprochable, celui dont la famille d’Alice a toujours rêvé mais que je ne suis malheureusement pas.

Un large sourire égaye leurs expressions éclatantes, ma dulcinée s’empresse de presser ses lèvres contre les miennes, plus que ravie que cette séance de shopping et de torture s’achève. Elle se plaint mais c’est elle qui le cherche. Aucune pitié. Elle balance ses chaussures dans le hall en poussant un profond soupir de soulagement.

— Mes pieds me font horriblement mal ! Trois heures à piétiner dans les magasins, imagine ! Tu me feras un massage ce soir mon amour ?

— Évidemment mon cœur… lui réponds-je en parfait servant de la reine.

Alice s’effondre dans le canapé, exténuée. J’invite Marie à s’installer à ses côtés et leur propose à toutes les deux un café, qu’elles acceptent avec empressement.

Je me rends compte que je joue un rôle, un double jeu. Je suis l’acteur secondaire d’un téléfilm romantique sur la une. J’ai cette impression de n’être que ce qu’Alice a toujours eu envie que je sois. Le conjoint idéal, qui l’aime, qui lui montre ses sentiments chaque jour avec diverses attentions, du type massage, plateau-repas, petit déjeuner au lit, bain moussant ou encore chocolats.

Elle m’a modelé selon ses désirs et au fur et à mesure des années, je l’ai laissée faire. Je ne m’étais même pas aperçu à quel point j’avais changé pour elle avant de vivre cette passion dévorante, avant de rencontrer l’amour véritable. Celui qui vous retourne entièrement, celui qui vous rend addict, celui qui vous consume peu à peu, celui pour lequel vous fantasmez nuit et jour, jour et nuit. Cet amour est réapparu hier et remet dorénavant tout en cause. Absolument tout.

Mon regard s’attarde sur le ventre arrondi de celle qui partage ma vie. Non, je ne peux pas. Je ne peux pas faire cela à cet enfant à naître, à mon enfant. Impossible, je dois résister à la tentation. Il le faut.

Hélas, sans mon ex-amante, je ne suis pas entier. À présent, la réalité me saute aux yeux. Depuis ces deux dernières années, je ne suis que l’ombre de moi-même. J’ai cru qu’elle pouvait faire partie de mon passé. Mais malheureusement, elle fait partie de mon passé, mon présent et sans conteste, mon futur. Enfin, je l’espère.

— Alors Tristan… quand allez-vous vous décider à faire votre demande à ma fille ?

Je soupire intérieurement. Cette question revient encore et encore comme si j’allais changer d’avis aussi facilement grâce à sa ténacité. Elle se dit probablement que je vais finir par en avoir assez et me résigner. Je comprends parfaitement leur vision de la famille parfaite. J’ai mis Alice en cloque alors maintenant, nous vivons dans le péché. Quel sacrilège !

Je suis contre le mariage. Alice le sait. Elle le savait avant même que l’on ne se mette ensemble. Ce n’est donc pas une surprise. Elle a accepté ce choix en s’installant avec moi. Mais ses parents plutôt catho n’hésitent pas à m’envoyer une piqûre de rappel une fois de temps en temps. D’autant plus depuis qu’ils ont appris la grossesse de leur fille. J’ai régulièrement droit à la fameuse leçon de morale.

« Non mais il faut officialiser ! Qu’est-ce qui te freine ? Vous êtes heureux, non ? C’est important pour le bébé ! »

— Maman ! intervient Alice. Arrête de lui mettre la pression. Tu sais bien pourquoi on ne se marie pas.

— Oui mais ce n’est pas parce que sa mère a eu deux unions catastrophiques que ce sera le cas pour vous deux ! Et puis regarde ton père et moi ! Nous sommes mariés depuis trente-cinq ans ! se défend-elle bec et ongles. Tous les couples ont des hauts et des bas !

Moi, je suis là, sans réaction. Je garde le silence. Je les laisse débattre de ce sujet pour la dix-millième fois. Mes pensées sont dirigées vers la seule qui a réussi à faire battre mon cœur comme jamais auparavant. Je rêve de ses lèvres, de son corps. Je ne peux penser à autre chose. Il ne me faudra pas très longtemps avant de succomber de nouveau. Je le sais, je le sens. Perdu dans mes songes, je n’entends pas que ma belle-mère m’interpelle.

— N’est-ce pas, Tristan ?

Elle marque une pause d’un court instant. Comme elle n’obtient aucune réaction de ma part, elle m’interpelle une nouvelle fois.

— Tristan ?

— Hum ? Oui, oui ! réponds-je subitement faisant mine de suivre la discussion.

— Oui ? sourit-elle, enchantée.

Alice m’observe interloquée. Je ne comprends pas tout de suite la portée de mes propos.

— Heu, oui, j’ai pas suivi ?

— Vous ne pouvez me faire plus plaisir ! Quand je vais l’annoncer à Philippe, il sautera au plafond. Merci à vous d’y réfléchir.

Mon expression ébahie atteste que j’ai acquiescé à quelque chose que je risque de regretter amèrement.

— Bon, eh bien je vous laisse les amoureux ! annonce Marie en se levant aussitôt.

Elle s’empare de son sac, nous embrasse à tour de rôle et quitte les lieux dans la foulée.

Je regarde Alice d’un air ahuri.

— J’ai pas vraiment écouté la conversation… rassure-moi s’il te plaît… À quoi ai-je dit oui ?

— Ouais en effet, ça m’étonnait aussi… en gros, tu as accepté de réfléchir à l’idée de nous marier. Ma mère ne va plus jamais te lâcher avec ça maintenant, tu le sais ?

Je souffle d’exaspération. Je me suis mis dans la merde. Mais en même temps, cela me passe au-dessus. La seule chose à laquelle je pense, c’est de retrouver mon ex-amante. Elle a envahi ma tête comme avant et ce sentiment est grisant. Je débarrasse la table basse des tasses de café sous l’œil scrutateur d’Alice. Je lui souris machinalement.

— Qu’est-ce que ça changera à d’habitude ? rétorqué-je lascivement.

— Un peu plus d’acharnement… plaisante-t-elle.

— Rien de nouveau quoi. Tu veux autre chose ? lui demandé-je.

— Un câlin ?

Comment ai-je fait pour en arriver là ?

Peu importe sa requête, je ne rechigne jamais. Je m’exécute comme un brave petit soldat. Jusque-là, cela ne me dérangeait pas plus. Mais depuis hier… tout est différent.

Blotti dans les bras de la future mère de mon enfant, je ferme les yeux. Je ferme les yeux mais c’est plus fort que moi, je la vois, elle. Mon Yseult.

CHAPITRE 4

5 janvier 2019 / Deux ans et demi plus tôt

J’étais devenu accro à ce site. Accro aux échanges avec des nanas, pour la plupart des escortes, dont l’ultime mission était de faire raquer les nouveaux profils masculins. Un abonnement coûtait une trentaine d’euros mensuels pour les basiques, en somme, une blinde, alors qu’il n’était même pas certain de trouver chaussure à son pied. Le rajout d’options était obligatoire pour avoir accès à l’ensemble des fonctionnalités. Côté femmes, c’était tout bénef, le fait qu’elles soient une denrée un peu plus rare, l’adhésion était donc gratuite. Complètement injuste !

J’avais téléchargé l’application sur mon téléphone et y allais dès que j’étais seul ou qu’Alice avait le dos tourné, en véritable ninja, préparant mes coups en douce.

Jérémy avait tchatté environ une dizaine de jours avant de trouver un profil avec lequel un match s’était opéré. J’en étais limite un peu jaloux, comme si nous avions entamé une course folle à celui qui choperait en premier. Il échangeait avec une certaine Vanessa, en couple, mariée, un enfant. Elle était un poil réticente à le rencontrer aussi vite. La crainte de tomber sur un pervers, un type louche. Si j’avais été une femme, j’aurais probablement eu des a priori et serais resté sur mes gardes, c’était donc compréhensible. Du coup, les deux discutaient en ligne tous les jours depuis mi-décembre. Mon ami avait flashé sur le photo-portrait de cette inconnue du net. Cheveux noirs épais et raides, une jolie frange en travers du regard, un teint laiteux et des lèvres rosées. Il était sous le charme et la réciprocité était flagrante. Jérémy gardait pour lui le détail de leurs messages mais au vu de son enthousiasme, cela semblait chaud voire même très chaud. Pourtant, elle hésitait toujours à accepter un rendez-vous. Il essayait de la convaincre doucement mais sûrement. C’était devenu un jeu pour lui. Un jeu de séduction auquel je m’amusais aussi de mon côté mais avec un peu plus de réserve.

Benjamin me coachait. Il me donnait quelques astuces pour réussir en premier lieu à obtenir une réponse d’un profil dit « cobaye ». Car contrairement à mon ami d’enfance, j’avais un peu de mal à emballer. Je n’attirais que de faux profils d’escortes. Mais c’était assez amusant, je le voyais plutôt comme une sorte d’entraînement. Je n’avais pas dû faire ce genre d’efforts pour rencontrer Alice, Olivia et Jérémy s’en étant chargés.

— Si tu veux de la femme mature mon Tristan, va falloir te différencier des autres machos inscrits… me souffla mon collègue et incitateur au crime.

Je le scrutais, un demi-sourire sur le visage. Ce mec était tout bonnement le mec à fuir. Un vrai vivier de conseils pour m’encourager à franchir le cap, pour passer du côté obscur de la force. Il avait un formidable don de persuasion. Il était flippant. Cela ne m’étonnait guère qu’il ait une nouvelle conquête différente dans son lit quasiment chaque semaine.

— Donc, déjà, tu remplis le formulaire de ta fiche d’inscription en détail, pas n’importe comment. Tu es beau gosse, tu es sportif, athlétique, brun, barbu… les nanas, elles adorent ça ! T’as tout pour toi, alors profites-en ! poursuivit-il. Tu vois bien qu’en un mois, tu n’as eu aucune touche intéressante ! Tu tournes en rond ! Alors, écoute Tonton Ben et fais ce qu’il te dit !

Je me râclai la gorge. J’étais fichu avec lui. Mais pour une question d’honneur et de fierté mal placée, je me devais de faire mieux que Jérémy. Je suivais donc ses directives avec attention. J’enregistrai une photo naturelle sans trop en faire et la floutai pour que l’on ne me reconnaisse pas. Aucune envie de tenter le diable.

— Ok, c’est bon. Et maintenant ? demandai-je à mon instructeur.

— Tu vas sur la page principale et tu tapes dans les dernières connexions féminines… Tiens, tiens… une petite nouvelle, regarde !

Une nouvelle inscrite venait de faire son apparition. Aucune photo, aucun détail, rien. Selon mon collègue, les dernières adhérentes avaient plus de chances de répondre. Il fallait juste être le premier à engager la conversation. On aurait pu croire qu’on était à l’ouverture d’un magasin le premier jour des soldes.

— Y’a rien comme infos, Ben ! Et si elle me plaît pas ? râlai-je.

— Et si elle te plaît ? rétorqua-t-il. Au pire, vois ça comme une occasion d’user de tes charmes et admirer le résultat… tu prendras confiance…

— Mouais…

— Allez Mister10 ! m’encouragea mon collègue et ami.

Devant mon inertie et manque d’enthousiasme, il s’emballa.

— Vas-y bouge, tu m’énerves. Je vais lui envoyer un message à ta place ! Observe et prends-en de la graine !

[Salut toi, enchanté… Moi c’est Mister10, j’ai vingt-neuf ans… je préfère être direct, je cherche à m’amuser, ça te dit de discuter ?]

— Nan mais franchement, tu crois pas qu’avec ça, elle va répondre ? me moquai-je.

— Et comment qu’elle va répondre ! Attends deux secondes, tu vas voir !

Et en effet, il avait raison. Notre cible répondit quelques instants plus tard à peine. J’étais scotché. En général, pas de retour avant le lendemain ou le surlendemain… et encore. Quatre-vingts pour cent du temps, le message restait sans aucun retour, pour peu qu’il soit lu.

[Salut… moi c’est Lili. Mariée, deux enfants. Pourquoi pas discuter, oui…]

— Qu’est-ce que je t’avais dit Petit Padawan ! Toujours écouter Maître Yoda ! Allez, ma poule, je te laisse gérer !

Ben n’avait peur de rien. Lui le pouvait, il ne risquait rien. Le célibat avait du bon parfois. Je me cachais derrière une façade de mec sûr de lui et pourtant je n’en menais pas large devant une inconnue sur un site de rencontres extraconjugales. J’hésitais encore. Le visage d’Alice ne cessait d’apparaître dans mon esprit, tentant de me faire dévier du chemin emprunté. Un chemin sombre et qui ne me mènerait qu’au fond du gouffre. La dernière fois, cela s’était bien terminé pour moi, j’avais réussi à remonter sans trop d’égratignures, mais cette nouvelle infidélité pourrait bien être fatale à mon couple.

Étais-je réellement prêt à le mettre en péril pour copier mes potes ?

Tenter l’expérience une seconde fois était risqué. Très risqué. Mais l’adrénaline que je ressentais était plus forte. Elle effaçait le regard implorant de ma copine pour ne laisser qu’une envie de découvrir la personne qui se cachait derrière l’autre écran.

[Parfait… je vis en concubinage aussi]

La conversation était lancée.

CHAPITRE 5

3 septembre 2021 / Aujourd’hui

La vérité m’est revenue en pleine figure comme un boomerang. Tout n’était qu’une vaste illusion. Je vivais dans le mensonge et avais fini par y croire.

Mon but ultime était de l’oublier ou à défaut, de réussir à vivre en pensant à elle le moins possible. La tâche allait être des plus ardues. Lorsque nous nous sommes quittés pour suivre la raison au détriment de nos sentiments, une seule solution s’est imposée à moi pour m’accompagner dans cette voie. Une seule personne pouvait inconsciemment m’aider à atteindre mon objectif.

Alice.

J’ai cru que je finirais par ressentir pour ma copine la même chose que ce que je ressentais pour mon amante.

Je me suis donc jeté à corps et âmes perdus dans ma relation officielle. Je me suis réfugié dans les bras de celle qui partage mon quotidien. Je désirais ardemment qu’elle remplace cette autre femme qui avait allumé le feu en moi. Je voulais retrouver ces sensations identiques… avec elle.

Était-ce possible ?

La réponse à cette question était évidente mais je me refusais à l’entendre.

Alors j’ai tout mis en œuvre pour réparer mon cœur déchiré. J’ai été attentionné, j’ai été tendre, je lui faisais l’amour comme jamais auparavant. Alice ne pouvait en être plus satisfaite. Mon changement d’attitude à son égard et mon investissement ne sont pas passés inaperçus. Elle ne s’est jamais interrogée sur ce revirement soudain, préférant s’en délecter.

Elle voulait de l’engagement. J’avais besoin de passer à autre chose.

Alors, je me suis accroché à elle comme à une bouée de sauvetage.

La réalité était que je n’avais jamais été amoureux avant de rencontrer mon Yseult. Je n’étais pas amoureux d’Alice ni de mes ex-copines. Je les aimais, oui, mais différemment. Elles étaient là pour combler un vide, pour m’éviter la solitude et faire « comme tout le monde ». Elles se pliaient toutes en quatre pour mes beaux yeux. Je n’avais pas à bouger le petit doigt, j’étais chouchouté, tel un dieu vivant. Je jouissais d’être aimé sans qu’il y ait forcément une réciprocité. Cela me suffisait. J’étais heureux. Je me pensais heureux…

Alors quand cette femme mariée sortie de nulle part a fait irruption dans ma vie, elle a tout chamboulé. Je suis tombé sous son charme. Je pensais à elle sans cesse alors qu’elle n’était pas mienne. Un autre la possédait et ne lui donnait pas ce qu’elle attendait. Elle m’a forcé à affronter mes propres démons, elle m’a appris à aimer une autre personne que moi-même.

Malheureusement, m’engager avec elle n’était pas envisageable. Elle n’aurait jamais quitté son mari pour moi. Jamais.

Pourquoi l’aurait-elle fait ?

J’étais tout le contraire de la stabilité qu’une femme de cette trempe recherchait et je trompais ma copine. De toute façon, ce n’était pas ce que je lui avais demandé. Notre histoire était déjà finie avant même d’avoir commencé. Elle était vouée à l’échec.

Pourquoi a-t-il fallu que je tombe amoureux d’elle ?

Il ne me restait qu’une seule chose à faire… je me suis tourné vers Alice.

C’est horrible de penser que je la considérais à ce moment-là comme un lot de consolation, une roue de secours. Horrible oui. Plutôt que d’avoir le courage de mettre fin à notre relation et lui rendre sa liberté, en lâche et égoïste que j’étais et suis toujours, j’ai préféré passer outre et essayé de la voir autrement que comme la petite prude avec qui je vivais. Je n’ai pensé qu’à moi et mon bien-être.

Du jour au lendemain, j’ai formaté mon esprit pour qu’il ne voie plus la sainte nitouche mais une magnifique, drôle, adorable et séduisante jeune femme. Je voulais effacer l’image de mon péché et souhaitais me repentir auprès d’elle sans qu’elle ne sache jamais de quoi il en retourne. Je voulais l’aimer comme j’aimais et aime toujours mon ex-amante. Je l’ai emmenée en vacances improvisées, je l’ai couverte de cadeaux, de fleurs… sans aller jusqu’à la demande en mariage. Le mariage est pour moi une belle connerie. Ma mère a loupé le coche par deux fois. Je pouvais prouver ma sincérité à Alice sans devoir en arriver là.

Au fur et à mesure des semaines, j’y suis parvenu. Enfin, je le croyais. Je me voilais la face. Je me suis créé une existence parfaite qui s’est fissurée à l’instant même où ma belle inconnue du site est réapparue dans mon champ de vision.

Tout était factice et fragile. Un petit grain de sable en trop est venu effondrer tout le château que je m’étais efforcé à bâtir avec solidité. Elle a torpillé mes remparts en un seul souffle.

Je suis malhonnête. Je me mens à moi-même et à Alice. Ces deux dernières années n’étaient que dissimulation, imposture et mirage. Je suis devenu quelqu’un d’autre, un inconnu.

Depuis le trente-et-un août, mes nuits sont ponctuées de cauchemars.

Alice qui pleure, Alice qui hurle, Alice qui m’insulte… et Alice qui m’empêche de voir mon fils. Je l’implore. Je la supplie de rester. Mais rien n’y fait. Elle a choisi. Olivia l’entraîne avec elle et, les trois partent, me laissant seul dans l’obscurité.

Je me retourne, j’ai chaud.

— Tristan… Tristan… réveille-toi, tu fais un cauchemar, me susurre la voix douce de ma copine.

Je sursaute et fronce les sourcils devant son regard apeuré et inquiet. Mon corps parle à ma place pendant mon sommeil.

— C’est pas la première fois cette semaine… tu vas bien ? continue-t-elle.

Je décale mon bras pour l’inviter à se blottir contre moi.

— Oui, ça va. T’inquiète pas.

— Tu criais mon nom… tu me disais de revenir.

J’aurais pu crier son prénom à elle… celui de l’initiatrice de tout ce désordre mental. Alice aurait pu l’entendre…

Comment l’aurais-je justifié ?

— Ce n’est qu’un rêve.

— Je me fais du souci pour toi. Depuis quelques jours, tu sembles perturbé… tu me le dirais si quelque chose te tracassait ?

Je caresse ses longs cheveux soyeux pour la rassurer. Elle aime que je glisse mes doigts dans ses longueurs. Cela a une vertu thérapeutique, réconfortante.

— Je te le dirais. C’est juste… j’ai peur que tu ne finisses par me laisser tomber si on ne se marie pas. Tes parents me mettent la pression. Tout ça me stresse plus que je ne le pensais.

J’ai menti. Rien à faire de la pression que me mettent ses parents. Ma décision est une conviction. Jamais je ne me marierai. C’est un choix ferme et irrévocable. Mais Alice sait que quelque chose ne va pas. J’ai donc dû trouver une parade à ses questionnements.

— T’embête pas avec eux. Je sais que ma mère est un peu trop insistante. Je leur parlerai à tous les deux, me sourit-elle. Tu veux un café ?

Je lui réponds par l’affirmative.

— Je t’aime… me chuchote-t-elle.

— Moi aussi.

Moi aussi… jamais je ne lui réponds « moi aussi ». Quel con ! J’ai la tête en vrac. Elle m’a mis la tête en vrac comme avant.

Putain !

— Je t’aime Alice, me rattrapé-je.

Elle m’adresse un demi-sourire étrange, se lève difficilement, enfile un gilet moelleux par-dessus son tee-shirt de pyjama et quitte la chambre en se tenant le bas du ventre.

J’en profite pour consulter mon téléphone posé sur la table de chevet. Depuis deux jours, j’hésite à renvoyer un message à mon ex-amante. Mais la tentation est trop forte. Bien trop forte.

[Tu m’as manqué aussi. Je n’ai jamais réussi à t’oublier. J’ai envie de te voir.]

Je prends une profonde inspiration. Je me lance sur une pente raide et glissante. Je le sais. Les cauchemars sont un avertissement. Je suis conscient que tout peut basculer et que je peux tout perdre… mais je suis incapable de résister.

CHAPITRE 6

21 février 2019 / Deux ans et demi plus tôt

La première fois avec elle avait été absolument fantastique et difficilement descriptible. Je ne me souvenais pas avoir éprouvé autant de sensations différentes en aussi peu de temps. La passion, le désir, l’adrénaline, l’excitation, l’ivresse, la nervosité. Je n’avais qu’une seule idée en tête, recommencer. Recommencer encore et encore afin de contenter ma soif grandissante. J’avais goûté à ce divin nectar et une seule coupe avait transformé l’homme que j’étais jusqu’alors.

Je ne devais pas perdre de vue qu’entre nous cela ne devait être qu’un jeu, que de bons moments, l’aspect uniquement physique de la chose. Rien de plus.

Au fil des semaines, je sentais que je basculais de plus en plus vers la dépendance et cela devenait dangereux. J’attendais avec impatience chaque nouveau rendez-vous. Le con que j’étais l’avais ramenée dans mon appartement, celui que je partageais avec Alice. Jérémy n’avait pas pu m’aider cette fois-là, lui-même étant dans la panade avec sa belle Vanessa. J’avais donc pris un énorme risque.

Pourquoi ?

J’aurais pu la ramener à l’hôtel… mais non, je n’avais pas réfléchi. J’avais pris cette décision sur un coup de tête. Je n’avais pas beaucoup médité sur la question et aux possibles conséquences désastreuses qui auraient pu en découler. Bien loin d’avoir un tempérament calculateur, vivre au jour le jour, sans paillettes ni artifices, était mon crédo. Et puis, je m’étais dit qu’Alice ne remarquerait rien, qu’un nettoyage d’une extrême minutie suffirait. Que ce n’était qu’une seule fois.

Elle ne se sentait pas à l’aise. Elle était crispée. Il était flagrant qu’elle n’était pas une habituée de ce genre de rencontres. Pendant que je préparais nos verres de vin, je l’avais détaillée discrètement depuis la cuisine. Elle n’avait même pas pensé à retirer son alliance. Elle entourait toujours son doigt comme si les deux avaient fusionné, indissociables l’un de l’autre. Elle avait ce petit « je ne sais quoi » qui la rendait terriblement craquante. Ses petites fossettes sûrement… ou encore sa façon de plisser les yeux en pleine contemplation de la décoration de mon appartement. Même avec ses boots d’hiver faisant partie de sa tenue anti-séduction par excellence, son aura avait déclenché en moi une sorte de puissante fascination.

J’avais peur qu’elle ne me file entre les doigts, je lui avais donc menti dans l’unique but de la sécuriser.

Non, elle n’était pas dans l’antre d’un psychopathe sanguinaire. Je n’allais ni la tuer ni la forcer à faire quoi que ce soit contre sa volonté. Elle était libre de ses mouvements ou de partir si elle le souhaitait.

Pour autant, j’avais enfermé ma bonne conscience dans un placard et avais laissé la mauvaise prendre l’acte suivant car oui, j’étais décidé. J’allais de nouveau trahir ma copine. Je voulais renouveler cette expérience. La dernière avait été catastrophique.

— On va se détendre un peu… lui avais-je lancé. Si ça peut te rassurer, c’est pas chez moi ici. On est chez un de mes potes qui me prête son appart.

Quel mythomane je faisais... J’aurais dû avoir honte de moi. J’avais l’impression d’abuser de la femme fragile qui se tenait face à moi. Je n’aimais pas le rôle que je jouais, ce rôle de prédateur prêt à planter ses crocs acérés dans la chair fraîche. Ce n’était pas moi.

Pour ma défense, l’histoire du poster était cependant véridique. La seule minuscule différence était la personne qui avait perdu le pari. L’astuce pour emballer une femme d’après Benjamin était de mentir le plus habilement possible tout en disant la vérité. En somme, un savant mélange entre bobard et sincérité. Selon lui, les femmes n’y voyaient que du feu et n’en étaient que plus faciles à berner et à mettre en confiance.

— La règle d’or mon Tristan : Pour rendre un mensonge plus crédible, il doit contenir la plus grande part de vérité, m’avait-il confié. Disons 70 - 30. Capiche ?

— Y’a des règles argent et bronze ? l’avais-je taquiné, n’y croyant pas un seul instant.

— En effet ! La règle d’argent : Mentir avec aplomb. Si tu veux mettre une femme en confiance, il faut qu’elle sente que tu es une épaule sur laquelle elle puisse se reposer. Tu dois croire en ce que tu dis ! Tu dois CONVAINCRE !

— Nan mais j’y crois pas… t’aurais pas écrit un bouquin par hasard ? avais-je ri.

Imperturbable, il n’avait pas relevé ma taquinerie.

— Next ! La règle de bronze : Lui montrer ton intérêt. Parle-lui d’elle et non de toi. Cela lui montrera que tu es ouvert et non autocentré sur toi-même.

Ce mec était mon opposé. Il anticipait, calculait et analysait absolument tout.

— Tu devrais breveter ta méthode en trois points ! Le guide du parfait baratineur…

Je m’en étais amusé, mais mine de rien, ses conseils avaient fonctionné.

Règle d’or, les doigts dans le nez.

Pour la règle d’argent, j’avais usé de l’aplomb que dans ce genre de cas précis, en général, je n’avais pas. Mais je m’étais senti pousser des ailes, même si à l’intérieur, la peur m’oppressait et que j’étais aussi terrorisé qu’elle.

Concernant la dernière règle, je l’avais un peu appliquée dans sa voiture. Le lieu était optimal pour des échanges naturels et la mise en condition. Même si la gêne nous accompagnait comme troisième passager, j’avais réussi à la faire sourire. Tout était dans la poche.

Ma belle inconnue plus détendue, les choses sérieuses avaient pu commencer. Sa douceur, sa façon d’être, me rendaient fou et me forçaient à la revoir chaque semaine encore et encore. Au plus je la voyais, au plus je la désirais, comme si elle m’avait jeté un sort.

Arrivé au centre sportif, une fois ma tenue de travail enfilée, je m’avançais vers les immenses parois factices, pentues, raides, surplombées par moment par d’immenses blocs ajoutant ou réduisant la difficulté des grimpeurs. J’aimais ces murs. Ils étaient mon havre de zénitude. J’avais découvert ce qu’était l’escalade à mon dixième anniversaire, je m’y réfugiais pour éviter de supporter les cris et les disputes de ma nouvelle fratrie que je détestais plus que tout. Je les considérais comme des étrangers envahissant mon espace. Ma mère m’avait imposé son nouveau mari et ses deux filles issues d’un premier mariage à l’âge de cinq ans et était rapidement tombée enceinte de deux autres enfants, un fils, une fille. Le temps et l’attention qu’elle m’accordait avaient sérieusement diminué. Pour l’en remercier, je lui en faisais voir de toutes les couleurs. Il me fallait une échappatoire. Donc, pour avoir la paix, elle avait accepté de m’offrir ce que je souhaitais plus que tout à l’époque, une inscription annuelle dans la salle d’escalade près de chez nous. C’était un véritable coup de cœur sportif, coup de cœur qui s’était transformé en vocation. L’escalade m’avait choisi et je ne me voyais pas faire autre chose de ma vie.

Je connaissais la moindre prise, le moindre recoin mais pourtant, chaque montée était différente. Mon esprit divaguait, voguant principalement d’un souci ou problème personnel à un autre, puis à un autre.

À dix ans, solidement accroché à l’une des parois, je pensais à mes détestables demi-sœurs qui me pourrissaient l’existence.

À quinze ans, je me focalisais davantage sur mon beau-père qui hurlait sur ma mère, le tout me donnant une migraine d’enfer.

À dix-huit ans, je me sentais de trop. Le couple que formait ma mère avec mon beau-père se dégradait chaque jour un peu plus. Je rêvais uniquement de fuir la maison, toutes ces tensions m’étaient devenues insupportables.

À vingt ans, je me libérais enfin de ces fichues contraintes familiales en prenant mon envol et décrochais un job étudiant dans un fast-food du coin pour payer mes études en STAPS, option escalade. Dorénavant en complète indépendance, les années suivantes, bien que plus dures côté financier, m’avaient cependant permis de souffler psychologiquement. J’étais déterminé, inébranlable et audacieux.

À vingt-sept ans, officiellement coach sportif en escalade depuis deux ans, je rencontrais Alice. Les choses s’étaient très vite accélérées. Nous emménagions ensemble au bout de six mois seulement. Tout avait été bien trop vite pour moi mais je taisais ma maudite voix intérieure qui me criait que c’était une grosse erreur. Je tentais d’imaginer ce que serait ma vie future avec elle, malheureusement sans jamais y parvenir.