Intraitables - Marc Bonnel - E-Book

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Marc Bonnel

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Beschreibung

Rien ne va plus au Cours François, une école chic de la rive gauche...

Les années ont passé, la crise est arrivée, et les choses se gâtent au Cours François, institution vénérable de la rive gauche.
Jean-Baptiste n'est plus un prof débutant, il a accepté des responsabilités et se retrouve en première ligne dans un conflit qui oppose la direction de l'école — notamment son conseil d'administration — et l’ensemble du personnel dont les emplois sont menacés.
Tout comme les professeurs au bord de la crise de nerfs, le Cours François aux abois y laissera des plumes, et pour toujours son âme.
Heureusement, pour traverser la tempête, il y a les collègues et les étudiants, personnages souvent insolites, baroques mais surtout attachants.

Plongée dans le monde des profs à travers une galerie de personnages haut en couleurs !

EXTRAIT

Le jour de mon départ, la « chef » des profs, la contrôleuse-pointeuse qui fait également office de concierge, celle qui établit les emplois du temps des profs à sa guise et les épie à longueur de journées, une petite boulotte mauvaise comme la gale et dont j’ai oublié le nom, habituellement installée entre son tableau-feutre et sa table d’écoute sur laquelle elle a posé son casque audio qui lui permet d’écouter ce qui se dit dans les salles de cours, se tient ce jour-là sur ma droite, à distance, dans le bureau du directeur que je n’ai jamais rencontré en huit mois de présence.
Un vaste bureau en rotonde tout à fait directorial, une moquette si épaisse qu’il faut la tailler une fois par mois.
Le regard de la boulotte, un regard fixe, noir et mauvais exprime à la fois le dépit et la rage. On lui a déjà fait le coup, j’en suis sûr. Je ne dois pas être le premier à prendre la tangente. Et il y en aura d’autres.
Soulagé, j’avais remis ma lettre de dém’quelques jours plus tôt, une fois assuré que le Cours François souhaitait vraiment s’assurer mes précieux services. Dans le bureau de M. Bruyère, le directeur de l’école, on s’était mutuellement assurés en toute confiance. Du moment que la confiance règne, tout devient possible.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Marc Bonnel est né à Charenton, en Val-de-Marne. Après un baccalauréat littéraire, il est diplômé du Master de Traduction anglaise de la Sorbonne et du Proficiency Diploma à l’Université de Cambridge. Il a enseigné successivement dans deux établissements secondaires britanniques puis a occupé le poste de professeur-conférencier à la C.C.I.P (l‘A.C.I. et Négocia) et a été professeur-formateur en anglais et FLE chez A.J.N. (Architectures Jean Nouvel) et J.N.D. (cabinets d’Architecture et de Design). Longtemps syndicaliste, prônant les valeurs du collectif, il reste à contre-courant d’une époque fortement marquée par un individualisme exacerbé. Aujourd’hui auto-entrepreneur, traducteur et écrivain, il est père d’une petite fille de 11 ans.

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Marc Bonnel

Intraitables

C’est lorsqu’il parle en son nom que l’homme est le moins lui-même. Donnez-lui un masque et il vous dira la vérité.

–Oscar Wilde

Chapitre 1 : Ça y est, je pars !

Le jour de mon départ, la « chef « des profs, la contrôleuse-pointeuse qui fait également office de concierge, celle qui établit les emplois du temps des profs à sa guise et les épie à longueur de journées, une petite boulotte mauvaise comme la gale et dont j’ai oublié le nom, habituellement installée entre son tableau-feutre et sa table d’écoute sur laquelle elle a posé son casque audio qui lui permet d’écouter ce qui se dit dans les salles de cours, se tient ce jour-là sur ma droite, à distance, dans le bureau du directeur que je n’ai jamais rencontré en huit mois de présence.

Un vaste bureau en rotonde tout à fait directorial, une moquette si épaisse qu’il faut la tailler une fois par mois.

Le regard de la boulotte, un regard fixe, noir et mauvais exprime à la fois le dépit et la rage. On lui a déjà fait le coup, j’en suis sûr. Je ne dois pas être le premier à prendre la tangente. Et il y en aura d’autres.

Soulagé, j’avais remis ma lettre de dém’quelques jours plus tôt, une fois assuré que le Cours François souhaitait vraiment s’assurer mes précieux services. Dans le bureau de M. Bruyère, le directeur de l’école, on s’était mutuellement assurés en toute confiance. Du moment que la confiance règne, tout devient possible.

Je quittais donc la très « exclusive and expensive » multinationale Leibnitz pour une institution germanopratine respectable au management et aux finalités pédagogiques plus en accord avec mes valeurs et ma vision du salariat, et même plus globalement ma vision du monde.

On est des profs, on a sa dignité, on a fait des études, on a droit au respect. Ce n’est pas parce qu’on est jeunes et qu’on a besoin de bosser qu’il faut se croire permis de nous traiter par-dessus la jambe. Un emploi du temps à trous, des cours quotidiens sur des sites différents et éloignés les uns des autres, des journées à rallonge, un salaire de survie, aucune reconnaissance. C’est bon, j’avais décidé de jeter l’éponge.

Ah oui, j’allais oublier ! Tout ce qu’elle avait pu entendre avec son casque audio pendant mes cours, Mlle Grandes Oreilles ! Je peux imaginer… Je n’ai pas dû dire trop de conneries sinon j’aurais été viré il y a belle lurette.

Quand même bizarre, cette manie d’espionner le petit personnel ! Les employés, décrétés suspects numéro un de sabotage, ennemis intérieurs sournois et supposément malintentionnés, à surveiller de près. Des fois qu’on dirait du mal des chefs et de la boîte par derrière. Dans une entreprise de cette envergure et de renommée internationale, ça fait un peu, beaucoup même, mesquin.

Cette raison seule aurait suffi à me faire partir.

La boulotte se veut sarcastique : « Monsieur Parmentier, sept mois que vous êtes chez nous, vous ne vous êtes pas acclimaté, on dirait. On peut dire que vous serez venu ici pour passer des vacances… »

Elle est contente de son petit effet. Le coup de pied de l’âne juste avant de partir. Pan dans les dents ! Et devant le directeur en plus, ça ne peut qu’améliorer son image de cadre modèle. Si toutefois elle en avait besoin…

Venant d’elle, je n’en attendais pas moins !

Je réfléchis cinq secondes… tout en me préparant à rendre mon classeur et ma clef de casier, et à signer le solde de tout compte. Je regarde le chiffre en bas. Oui effectivement, ça ne fait pas bézef, je ne vais pas aller loin.

Ma mère aurait dit : « On ne va pas faire de grosses crottes avec ça ! » Tout le langage fleuri de ma mère me revient en mémoire.

Je tourne la tête vers la boulotte : « Ne vous inquiétez pas mademoiselle, il y aura toujours d’autres citrons à presser. » Regard noir, sourire figé. Si elle pouvait me gifler… Elle en meurt d’envie.

Lui, impassible et fair-play, me tend la main. Je la lui serre, je tourne les talons et me dirige vers la porte capitonnée. Au revoir ! Ou plutôt adieu !

Je quitte le quartier des affaires de la rive droite et rentre chez moi sur les hauteurs de Ménilmontant. Je vais préparer mon stage de formation pour entrer au Cours François, rive gauche. Je cours littéralement. Je vole !

C’est bon de se sentir loup, courir, courir, fuir, et courir encore… sans collier.

Chapitre 2 : Tu finiras employé de banque derrière un guichet

C’était la menace préférée de ma mère. Son cauchemar, et qui devint rapidement le mien : travailler enfermé 8 heures par jour, sous les yeux de tous et les ordres d’un chefaillon.

Ambition, ambition… Attendez voir… Je réfléchis… Non, je n’ai pas d’ambition. N’en ai jamais eu. Oui, je sais c’est décevant. Surtout pour les parents. Je mets ça au pluriel parce que question éducation, ma mère comptait pour deux. Mon père était trop occupé avec ses propres affaires et avait laissé à son épouse le soin de faire tourner la maisonnée. Il avait de bonnes raisons de ne pas s’occuper de la scolarité de ses deux fils. Il avait quitté l’école à 16 ans et avait avancé dans la vie sans autre diplôme que son Certificat d’Études Primaires qui ne lui avait jamais servi à rien, si ce n’est à écrire français correctement d’une belle écriture soignée, et sans fautes d’orthographe, et à calculer mentalement rapidement. Le reste, il l’avait appris tout seul.

Et il avait bien gagné sa vie avec son atelier de mécanique de précision avant d’être dépassé par les progrès de l’automatisation et de la production de masse, lui qui travaillait chaque pièce de métal au palmer à micromètre et à l’œil nu.

Alors les études, les diplômes… Seuls comptaient pour lui le savoir-faire, le doigté, l’agilité de la main, le coup d’œil, la précision chirurgicale et l’inventivité. Il n’a jamais parlé de son boulot à la maison et a fermé son atelier, j’avais 20 ans. Tout ce que je sais, je l’ai reconstitué à partir de mes seules observations lors de mes rares visites dans ce monde de paille de fer qui puait la graisse à lubrifier et qui m’était totalement étranger comme l’était pour lui, une bibliothèque ou un musée. Il était heureux comme cela avec son atelier, sa famille, ses matchs de tennis et de rugby à la télé, ses polars, et par-dessus tout la politique, la grande passion de sa vie. Mais aucune ambition affichée dans ce domaine. Ainsi, il ne risquait pas d’être déçu.

Mais pour ma mère, c’était un drame, un vrai gâchis, un fils aîné sans ambition. Elle ne comprenait pas. Elle aurait voulu que je fasse médecine comme son frère aîné Marcel. Pourquoi ? Parce que c’était comme ça. À la maison, on ne demandait jamais aux enfants ce qu’ils voulaient faire. J’ai passé mon enfance à m’opposer. J’ai toujours été dans l’opposition. Je ne sais rien faire d’autre.

C’était décidé avant même qu’elle ne tombe enceinte, je devais être médecin. C’était son challenge mais, je n’avais aucun talent pour cela et surtout, ça ne m’intéressait pas. Apprendre et retenir toutes les maladies et leurs symptômes, traiter les humeurs et les dégénérescences du corps humain. Hypocondriaque et inquiet comme je suis, vous rigolez ! Vendre des médicaments, j’aurais préféré.

Ou alors faute de mieux, elle me voyait avocat… Bien qu’elle ne les aimât pas. Comme le grand-père qui, lui, avait ses raisons. Il avait été flic, inspecteur à la P.J. de Paris.

Il en avait vu des suspects, des voyous, des psychopathes, des escrocs, et même des avocats, au 36, au bord de la Seine, du temps de Maigret. Il ne les portait pas dans son cœur, les avocats. Des gens payés à défendre la voyoucratie, ça ne lui plaisait guère au grand-père, payé lui à les attraper pour les empêcher de nuire. J’ai dû hériter de lui.

Oui je sais, on peut avoir des principes moraux et les mettre de côté le temps d’un procès. Il faut bien gagner sa vie ! On peut aussi n’avoir aucun principe moral, aucun scrupule, la fin justifiant les moyens. Question d’éducation. On sait où cela mène…

Je ne me voyais pas défendre un assassin d’enfant, un politicien véreux et corrompu (si, si, ça existe !), un escroc sans scrupule. Pas moi ! Un militant politique exalté, un cocu vengeur ou une femme battue, des pauvres gens devenus meurtriers sur un coup de sang et sans calcul, oui d’accord. Mais c’est tout. Cela dit, il faut bien quelqu’un pour défendre Dutroux et Klaus Barbie.

C’est la règle dans un État de droit. Mais je n’avais pas envie de voir la face noire de l’humanité. Et puis apprendre par cœur des articles de loi dans un langage abscons et rébarbatif, non merci !

Décidément, le droit, la médecine, les maths et la physique, ce n’était définitivement pas pour moi.

Alors prof de lettres, pourquoi pas ?… Donner le meilleur de soi-même, instruire et transmettre si possible en joignant l’utile et l’agréable, plus coach et guide que père fouettard, ça me plaisait bien. Mon prof d’anglais au lycée avait un jour lancé en classe de terminale que c’était le plus beau métier du monde. Je ne sais pourquoi, cela m’avait frappé. Il n’y avait pas de raison de le contredire, de toute façon je n’en savais rien.

Je le crus sur parole. Je savais seulement que quelques-uns de ses collègues auraient dû choisir une autre carrière, ne serait-ce que pour ne pas dégoûter à vie certains d’entre nous de certaines matières. J’en ai rencontré des polytraumatisés de l’anglais ou des maths, vous pouvez me croire !

Alors pas d’ambition, même à 20 ans ?…

Ah si, une. Qu’on me foute la paix ! Quand je pense que certains se croyant investis d’une mission républicaine transcendante veulent devenir maire, député ou président de la République ! Il faut vraiment être maso et aimer se faire des ennemis, être entouré de jaloux, d’envieux, d’assassins potentiels, aimer les emmerdements, quoi ! Et ça tombe 24 heures sur 24 ces trucs-là, sans prévenir, même à 3 heures du matin. Et surtout, en toute circonstance ne jamais oublier de garder le sourire, son sang-froid, et de rester poli, même au salon de l’Agriculture.

Il n’y a plus alors que dans les toilettes qu’on peut être tranquille quelques petites minutes par jour.

Donc, désolé maman, je ne serai ni médecin ni avocat, pas même politicien, je ne suis pas fait pour cela.

Elle a dû être triste, elle a dû m’en vouloir, la frustration, la colère, je comprends avec le recul.

Je ne ferai pas non plus tourner des machines en fonte d’une tonne, les mains dans le cambouis et les pieds dans la paille de fer. D’ailleurs tu avais bien compris papa que j’étais complètement hors-sujet. Je n’ai jamais été très habile de mes petits doigts.

Donc, Jean-Baptiste Parmentier sera prof – formateur en langues étrangères et accessoirement traducteur. Travailler pour la bonne cause, avoir une noble mission, c’est-à-dire travailler au rabais, en dessous de ses qualifications, souvent dans une association à but non-lucratif.

Il n’y a pas de sot métier, il n’y a que des sots dans tous les métiers. Même les plus qualifiés ?

Ah oui ! Tous sans exception. Un con diplômé, ça existe ! J’en ai rencontré.

Chapitre 3 : Apollonis et Fernandez complices

Dans la salle des profs, Apollonis retrouve Fernandez, bien entendu déjà au courant des frasques de son collègue et copain.

« Tu es con quand même ! Lui faire ça, à elle ! Une main aux fesses !…

–J’ai pas pu m’en empêcher. Mais en même temps, au moment où je l’ai fait, je savais que j’allais le regretter.

–Tu lui as écrit ta lettre d’excuse ? »

Apollonis (penaud) :

« Oui.

–Et le double pour Ramirez ?

–Oui

–Tu sais que tout le monde est au courant ? 

–Arrête, c’est déjà assez dur comme ça. Il y en a qui ne me disent plus bonjour. 

–Plus ceux qui ne t’ont jamais dit bonjour, ça doit faire du monde… »