J'écris pour toi - Jean Chaussade-Redon - E-Book

J'écris pour toi E-Book

Jean Chaussade-Redon

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Beschreibung

Que vas-tu faire de la chance inouïe que tu as eue de naître ? La réponse de ce grand-père à sa petite fille est simple : profites-en !

La vie ne comporte-t-elle pas un minimum d’écarts par rapport aux normes, aux règles, aux usages, aux modes, à ce qui se dit et s’écrit, et même en certaines circonstances aux lois qui nous gouvernent ?

Ne faut-il pas animer sa vie, l’égayer, la déchagriner, en prenant le risque de sortir, voyager, s’engager, s’entraider, se divertir. Oui, en prenant le risque d’aimer et d’être aimé ? Est-ce si sage d’être sage ? Est-ce si déraisonnable de manquer parfois de raison ?

C’est en se référant aux grands écrivains, philosophes, poètes, et chansonniers, du passé et du présent, de Montaigne à Edgar Morin en passant par Rousseau, Brassens et quelques autres, que ce grand-père entend délivrer un message d’espoir à sa petite fille.

Mais aussi, par les divers thèmes qu’il aborde : la politique, l’engagement, la vie amoureuse, le rôle des arts et des sciences, le besoin de transcendance, l’homme et la nature… la vie…la mort, c’est à chacun de nous qu’il s’adresse.

Une série de réflexions s’achevant par cette formule choc : ne renoncer ni à la révolte ni à l’Espérance.

Se lit d’une traite !


À PROPOS DE L'AUTEUR


Jean Chaussade-Redon, Directeur de recherche émérite au CNRS, géographe et essayiste, auteur de nombreux ouvrages à caractère scientifique et littéraire.
Pour en savoir plus sur l’auteur : http://jean.chaussade.free.fr 


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Jean Chaussade-Redon

J’écris pourtoi

J’écris pour toi… Alice, Juliette, Louise, Maëlle, Noémie, Valentine…

… et pour d’autres aussi qui voudront bien me lire.

Bientôt, je quitterai ce monde que j’ai tant aimé.

De là où je serai, je penserai à toi, je serai à tes côtés, un peu comme ton ange gardien.

Alors aie confiance !

N’aie pas peur !

Souris à la vie !

Elance-toi !

Introduction

Tout a commencé quand ton père, l’autre jour au téléphone, m’a suggéré de mettre par écrit les quelques conseils que j’aurais à donner à sa fille, ma petite fille. Quelle idée me suis-je dit sur le coup ! Me laisser croire que mes paroles, fussent-elles celles d’un senior, puissent trouver quelque écho auprès d’un enfant, ce petit être en devenir, c’est sans doute me faire un grand honneur et aussi me dire avec gentillesse et une certaine naïveté qu’il me reste peu de temps pour les coucher sur le papier.

Et d’abord quels conseils ?

Le mot lui-même vous met sur un piédestal que vous ne méritez pas. Ça vous érige en professeur de morale ou en vieux sage jugeant d’en haut et avec un certain détachement les affaires de ce bas monde. Comme si avec l’âge, les passions, les humeurs, les appétits, s’assoupissaient au point de vous transformer en un être éthéré au-dessus de tout, susceptible de montrer le chemin de la vérité et du bonheur de vivre.

Ce qui est faux naturellement. L’être de chair et de sang que je suis continue de mordre à la vie, de lire, d’écrire, de voyager, de m’intéresser aux joutes politiques, de suivre assidûment le Tour de France, d’aller au concert, de randonner dans les bois, de jouer de la guitare et même quelquefois de chanter… mal hélas. Bref, je suis le contraire d’un retraité alangui vivant tranquillement le reste de sonâge.

Et des conseils par rapport à quoi ? A ce que j’ai vécu ? Aux erreurs commises ? A ce qu’il eût été bon d’éviter ? Aux chances que je n’ai su saisir ? En somme, des conseils en forme de « tuyaux » pour éviter les maladresses, les déconvenues, les désillusions ? Mais à quoi bon ? Elles font partie de la vie, elles sont le sel de la vie.

On fait des projets qui ne se réalisent pas, on change d’aiguillage, on butte, on tombe parfois mais on se relève et on poursuit sa route vaille que vaille. C’est ainsi que se forge un caractère et c’est ainsi qu’on s’adapte.

S’adapter, c’est accepter ce qui se présente, agréable ou non, et faire en sorte d’en tirer le meilleur parti possible.

Et puis, il arrive que l’échec se métamorphose en réussite... Chance/malchance, on connaît le proverbe chinois.

La vie n’est-elle pas une suite d’actes manqués, accomplis, réussis, ratés, recommencés ? J’ai vu des êtres malingres, indolents et quelque peu froussards réussir des choses étonnantes, à l’opposé de ce qu’ils donnaient à voir et peut-être de ce qu’eux-mêmes se sentaient capables de réaliser : sauter en parachute, vaincre un haut sommet alpin, se lancer dans l’écriture, monter une entreprise, sortir de son confort douillet pour se consacrer à quelques bonnes œuvres. Sans remonter jusqu’à Mathusalem, n’a-t-on pas vu durant l’Occupation de simples quidams se transformer en résistants audacieux…

La vie est une aventure, du latin adventura, ce qui doit arriver. Et ce qui doit arriver, personne ne le sait. Pas plus toi que moi. Qui décidera du ou des métiers que tu feras, des revers ou des succès qui l’accompagneront, du hasard des rencontres, des lectures qui t’inspireront et viendront nourrir ta pensée ?

La page est vierge. A chacun de la remplir comme il l’entend.

Aussi bien, j’aurais pu en rester là et me contenter de te souhaiter bonne chance, d’aimer la vie aussi intensément que je l’ai aimée, d’être en bonne santé le plus longtemps possible et d’avoir le courage de surmonter les échecs (ou qui t’apparaîtront comme tels), les peines et les déceptions qui ne manqueront pas de jalonner ton existence.

Oui, j’aurais pu ne pas donner suite à cet appel, ce qui eût été, j’en conviens, une façon peu glorieuse de me débarrasser d’un sujet embarrassant et ô combien délicat, celui d’une humanité en souffrance, angoissée, agitée, qui en arrive à douter de sa propre survie.

Devrais-je me taire ? Ne rien dire de ce monde où tu vas devoir tracer ta route ? N’est-il pas de mon devoir de te donner des raisons de vivre et d’espérer.

Certes, le monde où tu vas grandir et exercer tes talents sera fort différent de celui que j’ai connu.

Le mien fut relativement simple. Succédant à la dure période de l’Occupation et après plusieurs années de privations, il était tout imprégné d’optimisme. On allait à la conquête d’un monde nouveau aux contours un peu flous certes mais dont on ne doutait pas un instant qu’il serait meilleur que celui qu’on venait de vivre.

Le mot d’ordre en France comme partout ailleurs dans le monde, était d’aller de l’avant, d’investir, de bâtir, de produire à tout va, de s’abandonner aux délices de la consommation sans trop se soucier du reste, de ce que cet accroissement de richesses représentait pour une planète aux ressources inépuisables ou que l’on feignait de croire comme telle.

L’Homme maître et possesseur de la nature, l’Homme triomphant dans sa voluptueuse et féconde virilité, déployant tout son génie créateur à l’accomplissement de ses désirs les plus fous. Tel était l’état d’esprit de l’époque !

Celui dans lequel tu vas entrer est assurément plus incertain. En cause, diverses anomalies météorologiques qui nous font craindre le pire : hausse des températures, succession d’étés chauds, vagues de sécheresses, gigantesques incendies, inondations dévastatrices, fréquence des ouragans, contraction de la banquise arctique, fonte des glaciers, montée du niveau de la mer, érosion accélérée de secteurs littoraux…, autant de symptômes d’un profond dérèglement climatique à l’échelle de la planète. Tout se passe comme si la nature, à force d’avoir été maltraitée et brutalisée, entendait se rebiffer face aux excès commis par l’Homme à son endroit.

Autres nuages menaçants, les revendications identitaires à caractère culturel, ethnique, politique, religieux, sexuel. Nourries par les fausses nouvelles (fake news), amplifiées par les réseaux sociaux, elles contribuent à aggraver les tensions sociales et à remettre en cause un certain vouloir vivre ensemble. Notre république une et indivisible y résistera-t-elle ?

Et puis, en toile de fond de tout cela, il y a le contexte international marqué par les guerres aux Proche et Moyen-Orient, les flots de réfugiés traversant la Méditerranée, les attentats islamistes et la sourde anxiété née du déclin relatif de l’Occident face à la montée en puissance de la Chine avec son milliard et demi d’habitants et ses prétentions à l’hégémonie mondiale.

D’où un sentiment d’angoisse et de peur que l’irruption inattendue de la dernière pandémie n’a fait qu’exacerber.

Le monde serait-il devenu fou ? Va-t-on vers une irréversible catastrophe climatique ? Une nouvelle guerre froide ? Des conflits sociaux incontrôlables ? Des guerres civiles voire des affrontements de civilisations comme le prédit l’Américain Samuel Huntington ?1

A coup sûr, nous allons vers la fin d’un monde, celui de la prédominance d’un système économique où les forces du marché, mal contrôlées et livrées à elles-mêmes, ont démontré qu’elles n’étaient plus en mesure de régler les grandes questions humanitaires et environnementales de notre époque (redistribution des richesses, pauvreté, faim, sauvegarde des équilibres naturels…)

L’humanité est bel et bien entrée dans une phase de changement civilisationnel en passe d’affecter toutes les sphères de la vie économique, sociale, culturelle et politique de nospays.

Une transformation en profondeur de nos modes de vie qui loin de me faire adhérer aux discours alarmistes des uns, lénifiants des autres, m’encouragent au contraire à exprimer un point de vue délibérément et énergiquement optimiste. Oui, un sentiment de confiance en l’avenir qui, en l’occurrence, me semble l’attitude la plus réaliste pour se sortir d’affaire !2

En ce sens, le monde de demain, celui dans lequel tu devras tracer ta route, s’annonce aussi passionnant, si ce n’est plus, que celui que nous venons de vivre. Non pas à cause des risques encourus par notre village planétaire, et qu’il ne s’agit nullement de nier, mais grâce à ces derniers et à l’urgente nécessité d’inventer un modèle de développement impliquant d’autres manières de produire, de consommer et de répartir les richesses, d’autres façons d’apprendre, de travailler, de voyager, de se distraire, en un mot d’agir et de vivre ensemble.

C’est donc un message d’espoir que je voudrais te transmettre, d’espoir en un monde plus humain, plus fraternel, plus bienveillant avec la promesse d’accéder à un niveau supérieur d’humanité et de bonheur de vivre. C’est le discours que je vais essayer de tenir devant toi.

A toi plus tard de faire le tri, de lire entre les lignes et de ne retenir que ce qui te convient. Ou de ne rien retenir du tout.

Mais au moment où ces phrases s’inscrivent sur mon écran, je ne sais trop où tout cela va m’amener. Serais-je à la hauteur ? Aurais-je même le courage d’aller jusqu’au bout ?

1 Samuel Huntington : The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order (paru en 1996)

2 La pandémie que nous venons de subir a été un révélateur de notre extrême vulnérabilité face à la nature mais aussi de notre extraordinaire capacité de réaction, notre résilience. En moins de deux ans, nous avons inventé plusieurs vaccins qui, dupliqués et inoculés à plusieurs milliards d’individus, ont permis d’endiguer la pandémie et d’atténuer considérablement ses effets maléfiques. Une prouesse à la fois scientifique, technico-commerciale et organisationnelle !

Ce feu intérieur qui n’aspire qu’à se consumer

Fillette, ma chère enfant, tu es là, bien présente devant moi, je te vois sourire, courir, sauter, faire la moue, manger avec appétit, lire ou faire semblant de lire, câliner ton nounours, jouer avec ton père… je t’entends rire aux éclats, te chamailler avec tes jouets, lever la tête et poser des questions à ta mère...

Tout en toi n’est que vie et mouvement, avec tes grands yeux ouverts sur ce qui t’entoure, sur ce monde que tu vas apprendre à connaître et que tu ne finiras jamais de connaître.

Que deviendras-tu ? Que feras-tu de ce feu intérieur qui n’aspire qu’à se consumer ?

La première idée qui me vient à l’esprit et dont je voudrais te persuader, c’est que, bien qu’étant semblable à toutes les petites filles, celles qui ont vécu, vivent aujourd’hui ou vivront demain, tu es, comme chacun d’entre nous, quelqu’un d’unique, d’irremplaçable. Personne au monde ne te ressemble. Personne ne te ressemblera. Singularité de ton corps, de tes yeux, de ton visage, de ton regard, singularité dans ta façon de parler, sourire, exprimer tes humeurs, de te comporter avec les autres…

Sais-tu que tu aurais pu ne pas être et qu’il a fallu une succession invraisemblable de hasards (de ta conception à ta naissance), pour que tu émerges du néant, pour que tu sois là devant moi, souriante, épanouie.

C’est inespéré ce qui t’arrive !

Y a-t-il une chose en toi qui ne soit pas née de cette rencontre entre ton père et ta mère ? Souviens-toi de cela : tu es le fruit attendu d’une union de deux êtres faits pour se désirer et s’unir. Une chance inouïe.

C’est ta chance…, le cadeau de ta naissance…, ton appétit, ton essence…, ta force, ta dissonance…, ta source, ta dissidence...3

*

De cette chance, que vas-tu en faire ? La réponse est simple : profites-en !

Oui, ta vie, joue-là pleinement, intensément, sans retenue. D’autant qu’elle passe vite !

Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard dit Aragon.

Trop de gens vivent leur vie sans entrain, frileusement, précautionneusement ; ils avancent à petits pas feutrés, apeurés, effrayés de ce qui pourrait leur arriver, comme si la vie était un trésor à cacher ou à surprotéger. Ceux-là ne vivent pas, ils survivent. Ne les imite pas. Surtout pas. Tu n’as qu’une seule vie ma chère enfant, alors, joue-là àfond.

Vivre pleinement, cela ne veut pas dire agir sans discernement, en se laissant aller à ses émotions, à ses désirs immédiats, et répondre sans réfléchir aux mille sollicitations de la mode, à ceux qui vous promettent monts et merveilles. Non ! Tu seras amenée comme tout un chacun à faire preuve de retenue, parfois de tempérance, et nous aurons sûrement l’occasion de revenir sur cet aspect des choses. Mais dans une première approche il me semble important d’insister là-dessus : toute vie pleinement vécue comporte une certaine part de risque4.

Que dire d’une vie qui consisterait à éviter tout excès de table, tout excès d’amour, toute exubérance et toute effusion, à ne jamais sortir de chez soi de peur de faire de mauvaises rencontres, de se méfier des étrangers aux mœurs étranges, des jeunes qu’on trouve mal élevés, des plus âgés souvent grincheux, de ceux qui ne sont pas comme ceci ou comme cela, de se montrer raisonnable en tout et en tout lieu ? D’une vie qui se contenterait de suivre les prescriptions de son médecin, les directives de son patron, les consignes de son délégué syndical, les conseils de son banquier, les avis de son maire ou les leçons de moral de son curé, à faire attention à tout et ne participer à rien ?

La vie ne comporte-t-elle pas un minimum d’écarts par rapport aux normes, aux règles, aux usages, aux modes, à ce qui se dit et s’écrit, et même en certaines circonstances aux lois qui nous gouvernent ?

Ne faut-il pas animer sa vie, l’égayer, la déchagriner, en prenant le risque de sortir, voyager, s’engager, s’entraider, se divertir. Oui, en prenant le risque d’aimer et d’être aimé ?

Est-ce si sage d’être sage ? Est-ce si déraisonnable de manquer parfois de raison ?

*

Si la vie n’était qu’un long fleuve tranquille, on s’y ennuierait terriblement.

La vie, on pourrait la comparer à un long cheminement à travers divers paysages, les uns accueillants d’autres moins. Conjonctures favorables, défavorables, à toi de faire preuve de vaillance, à toi de t’adapter.

Dans les verts pâturages, tout te semblera facile. Le bonheur simple et vivifiant, le bonheur à portée de main. Dans ces moments-là, « ne te prive pas d’être heureuse ! » nous dit le poète Pablo Neruda.

D’autres contrées seront semées d’embûches et plus délicates à parcourir. Si possible, évite-les ou si cela ne se peut, affronte-les avec courage ! Certaines t’apparaîtront difficiles voire impossibles à franchir. Tu seras alors tentée d’abandonner la partie et de faire demi-tour. C’est humain. Dans ce cas-là, ne cède pas au désespoir, continue d’avancer, gagne s’il le faut le gîte le plus proche, repose-toi un moment et reprends ta marche en avant.

Ne cesse jamais d’espérer, ne cesse jamais de progresser. C’est en avançant qu’on finit par découvrir le passage ouvrant sur d’autres horizons.

*

Autre chose que je tiens à te dire : non seulement tu vis mais tu es reconnue. Tu tiens une place dans la grande famille humaine. Le jour même de ta naissance, ton père a entrepris les démarches nécessaires pour enregistrer ton nom, ton prénom, ainsi que le jour et l’heure de ta naissance, tout cela est inscrit sur un grand cahier de la mairie de ta ville ou de ton village. Ainsi l’exige la loi.

Tu existes donc pour cette chose anonyme et abstraite qu’on appelle l’État et à travers lui pour l’ensemble de la communauté nationale.

Cet État qui t’accorde des droits dont ceux d’aller à l’école, de recevoir une instruction, de te faire soigner, d’être protégée et plus tard d’exercer un métier, d’exprimer librement tes opinions…, mais envers lequel tu auras des devoirs à assumer, celui en premier lieu de respecter les lois qui nous gouvernent, mais aussi de payer tes impôts, d’assumer tes responsabilités de citoyenne...

Tu vis et tu existes pour la communauté humaine mais tu comptes encore plus pour nous tes proches, tes parents, grands-parents et l’ensemble de ta famille, pour tes amies et tes copains d’école qui t’appellent par ton prénom et t’entourent de leur affection.

Par l’amour et l’amitié qu’ils te portent, ils feront naître en toi le bien peut-être le plus précieux qui soit : la confiance, cette foi en la vie qui, en s’enracinant au plus profond de ton être, sera ton meilleur allié quand plus tard tu voudras prendre en main ton destin de femme.

*

Autre mot qui me tient à cœur et que je voudrais soumettre à ta réflexion : l’amitié.

C’est un bien joli privilège que de pouvoir compter sur une ou plusieurs amies.

Amie/Amitié, le mot est souvent galvaudé. On ne doit pas le confondre à ces vagues accointances qui unissent les anciens d’une même école, les adhérents d’un même syndicat, les supporters d’un même club sportif, les membres d’un même courant de pensée…

L’amitié va bien au-delà de ces correspondances. Elle touche à l’affection que se portent librement et pleinement deux êtres sans que n’entre dans cette relation un quelconque attrait charnel.

Comme le dit si joliment Montaigne, contrairement « au feu actif, plus cuisant et plus âpre de l’amour… l’amitié émet une chaleur constante et posée, toute en douceur et élégance… »5. Et d’ajouter plus loin : «  dans l’amitié dont je parle, ce sont deux âmes (qui) se mêlent et se confondent l’une en l’autre…. en un mélange si total qu’elles effacent la couture qui les a jointes…

C’est pour cela que l’amitié met souvent du temps à se construire. Ce qui n’était au départ que bienveillance et désir de mieux se connaître, se transforme au fil des mois et parfois des années en un compagnonnage fait d’un curieux mélange d’affection, de confiance et de savoirs partagés.

Pour ne rien te cacher, l’amitié a du mal à se raconter.

Je reviens à Montaigne et à son indéfectible amitié pour La Boétie : « Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne peut s’exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce c’était moi ».

L’amitié, c’est encore dans les récits, les histoires, les légendes qu’elle s’exprime le mieux.

On la trouve dans l’entraide à la vie, à la mort que se portent Les Trois Mousquetaires dans le roman éponyme d’Alexandre Dumas avec sa devise : Un pour tous, tous pour un !

D’une façon exubérante et polissonne chez Rabelais dans son inénarrable Gargantua : « Hé ! Frère Jean, mon ami, Frère Jean, mon grand couillon, Frère Jean, de par le diable, viens-là, mon couillon, que je t’éreinte à force de t’embrasser… ».

Plus modestement mais non moins intensément chez ces deux grands champions d’athlétisme que furent le Français Alain Mimoun et le Tchèque Emile Zatopek qui, durant près d’une dizaine d’années s’affrontèrent sur tous les stades du monde avant de devenir de vrais amis, de véritables frères comme ils l’avouaient eux-mêmes.

J’aime ce que dit la philosophe Simone Weil6 de l’amitié :

Je la ressens à la poignée de main qu’il me donne et au sourire qui l’accompagne… ; elle est de ces choses qui sont données par surcroît…elle ne se recherche pas, ne se rêve pas, ne se désire pas, elle s’exerce. C’est une vertu. Comme le beau, c’est un miracle. 

3 Chanson de Jean-Jacques Goldman : C’est ta chance.

4 A ce sujet, on peut se demander si nos élus n’ont pas commis une faute majeure en insérant le principe de précaution dans la Constitution. La prévention oui mais pas la précaution qui annihile toute prise de risque.

5 Dictionnaire des Essais de Montaigne (sous la direction de Bénédicte Boudou) éditions Léo Scheer, p 82

6 Simone Weil La pesanteur et la grâce, Nouvelle édition 2019, Plon

L’immensité des choses à savoir

Bientôt tu iras à l’école, ce lieu magique où l’on apprend à lire, écrire, compter, à parler et enrichir son langage, à se situer dans l’espace et le temps, et à bien d’autres choses comme chanter, dessiner, danser, sculpter, fabriquer de ses mains, s’initier au théâtre, faire du sport, écrire des vers et que sais-je encore…

C’est un bien beau et intéressant voyage que celui de s’aventurer dans la vaste panoplie des savoirs et des apprentissages, de pouvoir aiguiser son intelligence, développer son autonomie de jugement et forger son caractère, affirmer sa personnalité, ce quelque chose qui n’appartient qu’à soi et est constitutif du savoir-vivre avec et parmi ses semblables.

L’école, lieu privilégié de toutes les expériences vécues, heureuses, malheureuses, des épreuves subies, surmontées, réussies et plus encore du recul que l’on prend par rapport à tout cela.

Bien utilisé, le savoir selon Montaigne est la plus noble et la plus puissante des conquêtes de l’homme… etbien des erreurs de jugement sont le produit de l’ignorance.

*

Mais cette aventure, si belle qu’elle soit, commence par une rupture d’avec celle qui, vous ayant couvé jusqu’ici de son infinie tendresse, s’apprête, parce qu’il en va ainsi, parce que c’est dans l’ordre des choses, à vous abandonner entre les mains d’une inconnue.

Des décennies après, je me souviens encore de ce matin d’avril ! La rentrée de Pâques. Ce jour si attendu et si redouté. Je sais qu’il faut y aller. « Ne t’inquiète pas, tout va bien se passer » n’a cessé de répéter ma mère devant mon air désemparé. N’empêche que je n’en mène pas large affublé de mon grand tablier noir et mon cartable flambant neuf à la main.