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Ce roman, dont Alexandre Dumas fils tira aussi un drame, est inspiré de l’existance authentique de Marie Duplessis. Merveilleusement belle et intelligente, cette courtisane fut adorée du Tout-Paris et de l’auteur lui-même. Il dut renoncer à elle, car il n’était pas assez riche. Verdi fit de ce drame un opéra sublime. La Traviata. Armand et Marguerite vivent un amour immense qui survit á tous les obstacles et á toutes les tromperies. Le père d’Armand interdit cet amour inconvenant. Mais rien n’aura empêché le bonheur d’aimer, la virginité retrouvée, l’argent et les conventions dédaignés. L’amour véritable, c’était pour Marguerite l’espoir, le rêve et le pardon de sa vie. Tout lui fut donné, mais á quel prix !
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Alexandre Dumas fils
LA DAME AUX CAMÉLIAS
First published in 1848
Copyright © 2018 Classica Libris
Mon avis est qu’on ne peut créer des personnages que lorsque l’on a beaucoup étudié les hommes, comme on ne peut parler une langue qu’à la condition de l’avoir sérieusement apprise.
N’ayant pas encore l’âge où l’on invente, je me contente de raconter.
J’engage donc le lecteur à être convaincu de la réalité de cette histoire, dont tous les personnages, à l’exception de l’héroïne, vivent encore.
D’ailleurs, il y a à Paris des témoins de la plupart des faits que je recueille ici, et qui pourraient les confirmer, si mon témoignage ne suffisait pas. Par une circonstance particulière, seul je pouvais les écrire, car seul j’ai été le confident des derniers détails sans lesquels il eût été impossible de faire un récit intéressant et complet.
Or, voici comment ces détails sont parvenus à ma connaissance. – Le 12 du mois de mars 1847, je lus, dans la rue Laffitte, une grande affiche jaune annonçant une vente de meubles et de riches objets de curiosité. Cette vente avait lieu après décès. L’affiche ne nommait pas la personne morte, mais la vente devait se faire rue d’Antin, n° 9, le 16, de midi à cinq heures.
L’affiche portait en outre que l’on pourrait, le 13 et le 14, visiter l’appartement et les meubles.
J’ai toujours été amateur de curiosités. Je me promis de ne pas manquer cette occasion, sinon d’en acheter, du moins d’en voir.
Le lendemain, je me rendis rue d’Antin, n° 9.
Il était de bonne heure, et cependant il y avait déjà dans l’appartement des visiteurs et même des visiteuses, qui, quoique vêtues de velours, couvertes de cachemires et attendues à la porte par leurs élégants coupés, regardaient avec étonnement, avec admiration même, le luxe qui s’étalait sous leurs yeux.
Plus tard, je compris cette admiration et cet étonnement, car, m’étant mis aussi à examiner, je reconnus aisément que j’étais dans l’appartement d’une femme entretenue. Or, s’il y a une chose que les femmes du monde désirent voir, et il y avait là des femmes du monde, c’est l’intérieur de ces femmes, dont les équipages éclaboussent chaque jour le leur, qui ont, comme elles et à côté d’elles, leur loge à l’Opéra et aux Italiens, et qui étalent, à Paris, l’insolente opulence de leur beauté, de leurs bijoux et de leurs scandales.
Celle chez qui je me trouvais était morte : les femmes les plus vertueuses pouvaient donc pénétrer jusque dans sa chambre. La mort avait purifié l’air de ce cloaque splendide, et d’ailleurs elles avaient pour excuse, s’il en était besoin, qu’elles venaient à une vente sans savoir chez qui elles venaient. Elles avaient lu des affiches, elles voulaient visiter ce que ces affiches promettaient et faire leur choix à l’avance ; rien de plus simple ; ce qui ne les empêchait pas de chercher, au milieu de toutes ces merveilles, les traces de cette vie de courtisane dont on leur avait fait, sans doute, de si étranges récits.
Malheureusement les mystères étaient morts avec la déesse, et, malgré toute leur bonne volonté, ces dames ne surprirent que ce qui était à vendre depuis le décès, et rien de ce qui se vendait du vivant de la locataire.
Du reste, il y avait de quoi faire des emplettes. Le mobilier était superbe. Meubles de bois de rose et de Boule, vases de Sèvres et de Chine, statuettes de Saxe, satin, velours et dentelle, rien n’y manquait.
Je me promenai dans l’appartement et je suivis les nobles curieuses qui m’y avaient précédé. Elles entrèrent dans une chambre tendue d’étoffe perse, et j’allais y entrer aussi, quand elles en sortirent presque aussitôt en souriant et comme si elles eussent eu honte de cette nouvelle curiosité. Je n’en désirai que plus vivement pénétrer dans cette chambre. C’était le cabinet de toilette, revêtu de ses plus minutieux détails, dans lesquels paraissait s’être développée au plus haut point la prodigalité de la morte.
Sur une grande table, adossée au mur, table de trois pieds de large sur six de long, brillaient tous les trésors d’Aucoc et d’Odiot. C’était là une magnifique collection, et pas un de ces mille objets, si nécessaires à la toilette d’une femme comme celle chez qui nous étions, n’était en autre métal qu’or ou argent. Cependant cette collection n’avait pu se faire que peu à peu, et ce n’était pas le même amour qui l’avait complétée.
Moi qui ne m’effarouchais pas à la vue du cabinet de toilette d’une femme entretenue, je m’amusais à en examiner les détails, quels qu’ils fussent, et je m’aperçus que tous ces ustensiles magnifiquement ciselés portaient des initiales variées et des couronnes différentes.
Je regardais toutes ces choses dont chacune me représentait une prostitution de la pauvre fille, et je me disais que Dieu avait été clément pour elle, puisqu’il n’avait pas permis qu’elle en arrivât au châtiment ordinaire, et qu’il l’avait laissée mourir dans son luxe et sa beauté, avant la vieillesse, cette première mort des courtisanes.
En effet, quoi de plus triste à voir que la vieillesse du vice, surtout chez la femme ? Elle ne renferme aucune dignité et n’inspire aucun intérêt. Ce repentir éternel, non pas de la mauvaise route suivie, mais des calculs mal faits et de l’argent mal employé, est une des plus attristantes choses que l’on puisse entendre. J’ai connu une ancienne femme galante à qui il ne restait plus de son passé qu’une fille presque aussi belle que, au dire de ses contemporains, avait été sa mère. Cette pauvre enfant à qui sa mère n’avait jamais dit : tu es ma fille, que pour lui ordonner de nourrir sa vieillesse comme elle-même avait nourri son enfance, cette pauvre créature se nommait Louise, et, obéissant à sa mère, elle se livrait sans volonté, sans passion, sans plaisir, comme elle eût fait un métier si l’on eût songé à lui en apprendre un.
La vue continuelle de la débauche, une débauche précoce, alimentée par l’état continuellement maladif de cette fille, avait éteint en elle l’intelligence du mal et du bien que Dieu lui avait donnée peut-être, mais qu’il n’était venu à l’idée de personne de développer.
Je me rappellerai toujours cette jeune fille, qui passait sur les boulevards presque tous les jours à la même heure. Sa mère l’accompagnait sans cesse, aussi assidûment qu’une vraie mère eût accompagné sa vraie fille. J’étais bien jeune alors, et prêt à accepter pour moi la facile morale de mon siècle. Je me souviens cependant que la vue de cette surveillance scandaleuse m’inspirait le mépris et le dégoût.
Joignez à cela que jamais visage de vierge n’eut un pareil sentiment d’innocence, une pareille expression de souffrance mélancolique.
On eût dit une figure de la Résignation.
Un jour, le visage de cette fille s’éclaira. Au milieu des débauches dont sa mère tenait le programme, il sembla à la pécheresse que Dieu lui permettait un bonheur. Et pourquoi, après tout, Dieu, qui l’avait faite sans force, l’aurait-il laissée sans consolation, sous le poids douloureux de sa vie ? Un jour donc, elle s’aperçut qu’elle était enceinte, et ce qu’il y avait en elle de chaste encore tressaillit de joie. L’âme a d’étranges refuges. Louise courut annoncer à sa mère cette nouvelle qui la rendait si joyeuse. C’est honteux à dire, cependant nous ne faisons pas ici de l’immoralité à plaisir, nous racontons un fait vrai, que nous ferions peut-être mieux de taire, si nous ne croyions qu’il faut de temps en temps révéler les martyres de ces êtres, que l’on condamne sans les entendre, que l’on méprise sans les juger ; c’est honteux, disons-nous, mais la mère répondit à sa fille qu’elles n’avaient déjà pas trop pour deux et qu’elles n’auraient pas assez pour trois ; que de pareils enfants sont inutiles et qu’une grossesse est du temps perdu.
Le lendemain, une sage-femme, que nous signalons seulement comme l’amie de la mère, vint voir Louise, qui resta quelques jours au lit, et s’en releva plus pâle et plus faible qu’autrefois.
Trois mois après, un homme se prit de pitié pour elle et entreprit sa guérison morale et physique ; mais la dernière secousse avait été trop violente, et Louise mourut des suites de la fausse couche qu’elle avait faite.
La mère vit encore : comment ? Dieu le sait.
Cette histoire m’était revenue à l’esprit pendant que je contemplais les nécessaires d’argent, et un certain temps s’était écoulé, à ce qu’il paraît, dans ces réflexions, car il n’y avait plus dans l’appartement que moi et un gardien qui, de la porte, examinait avec attention si je ne dérobais rien.
Je m’approchai de ce brave homme à qui j’inspirais de si graves inquiétudes.
– Monsieur, lui dis-je, pourriez-vous me dire le nom de la personne qui demeurait ici ?
– Mademoiselle Marguerite Gautier.
Je connaissais cette fille de nom et de vue.
– Comment ! dis-je au gardien, Marguerite Gautier est morte ?
– Oui, monsieur.
– Et quand cela ?
– Il y a trois semaines, je crois.
– Et pourquoi laisse-t-on visiter l’appartement ?
– Les créanciers ont pensé que cela ne pouvait que faire monter la vente. Les personnes peuvent voir d’avance l’effet que font les étoffes et les meubles ; vous comprenez, cela encourage à acheter.
– Elle avait donc des dettes ?
– Oh ! monsieur, en quantité.
– Mais la vente les couvrira sans doute ?
– Et au-delà.
– À qui reviendra le surplus, alors ?
– À sa famille.
– Elle a donc une famille ?
– À ce qu’il paraît.
– Merci, monsieur.
Le gardien, rassuré sur mes intentions, me salua, et je sortis.
– Pauvre fille ! me disais-je en rentrant chez moi, elle a dû mourir bien tristement, car, dans son monde, on n’a d’amis qu’à la condition qu’on se portera bien. Et malgré moi je m’apitoyais sur le sort de Marguerite Gautier.
Cela paraîtra peut-être ridicule à bien des gens, mais j’ai une indulgence inépuisable pour les courtisanes, et je ne me donne même pas la peine de discuter cette indulgence.
Un jour, en allant prendre un passeport à la préfecture, je vis dans une des rues adjacentes une fille que deux gendarmes emmenaient. J’ignore ce qu’avait fait cette fille ; tout ce que je puis dire, c’est qu’elle pleurait à chaudes larmes en embrassant un enfant de quelques mois dont son arrestation la séparait. Depuis ce jour, je n’ai plus su mépriser une femme à première vue.
La vente était pour le 16.
Un jour d’intervalle avait été laissé entre les visites et la vente pour donner aux tapissiers le temps de déclouer les tentures, rideaux, etc.
À cette époque, je revenais de voyage. Il était assez naturel que l’on ne m’eût pas appris la mort de Marguerite comme une de ces grandes nouvelles que ses amis apprennent toujours à celui qui revient dans la capitale des nouvelles. Marguerite était jolie, mais autant la vie recherchée de ces femmes fait de bruit, autant leur mort en fait peu. Ce sont de ces soleils qui se couchent comme ils se sont levés, sans éclat. Leur mort, quand elles meurent jeunes, est apprise de tous leurs amants en même temps, car, à Paris presque tous les amants d’une fille connue vivent en intimité. Quelques souvenirs s’échangent à son sujet, et la vie des uns et des autres continue sans que cet incident la trouble même d’une larme.
Aujourd’hui, quand on a vingt-cinq ans, les larmes deviennent une chose si rare qu’on ne peut les donner à la première venue. C’est tout au plus si les parents qui payent pour être pleurés le sont en raison du prix qu’ils y mettent.
Quant à moi, quoique mon chiffre ne se retrouvât sur aucun des nécessaires de Marguerite, cette indulgence instinctive, cette pitié naturelle que je viens d’avouer tout à l’heure me faisaient songer à sa mort plus longtemps qu’elle ne méritait peut-être que j’y songeasse.
Je me rappelais avoir rencontré Marguerite très souvent aux Champs-élysées, où elle venait assidûment, tous les jours, dans un petit coupé bleu attelé de deux magnifiques chevaux bais, et avoir alors remarqué en elle une distinction peu commune à ses semblables, distinction que rehaussait encore une beauté vraiment exceptionnelle.
Ces malheureuses créatures sont toujours, quand elles sortent, accompagnées on ne sait de qui.
Comme aucun homme ne consent à afficher publiquement l’amour nocturne qu’il a pour elles, comme elles ont horreur de la solitude, elles emmènent ou celles qui, moins heureuses, n’ont pas de voiture, ou quelques-unes de ces vieilles élégantes dont rien ne motive l’élégance, et à qui l’on peut s’adresser sans crainte, quand on veut avoir quelques détails que ce soient sur la femme qu’elles accompagnent.
Il n’en était pas ainsi pour Marguerite. Elle arrivait aux Champs-élysées toujours seule, dans sa voiture, où elle s’effaçait le plus possible, l’hiver enveloppée d’un grand cachemire, l’été vêtue de robes fort simples ; et, quoiqu’il y eût sur sa promenade favorite bien des gens qu’elle connût, quand par hasard elle leur souriait, le sourire était visible pour eux seuls, et une duchesse eût pu sourire ainsi.
Elle ne se promenait pas du rond-point à l’entrée des Champs-élysées, comme le font et le faisaient toutes ses collègues. Ses deux chevaux l’emportaient rapidement au Bois. Là, elle descendait de voiture, marchait pendant une heure, remontait dans son coupé, et rentrait chez elle au grand trot de son attelage.
Toutes ces circonstances, dont j’avais quelquefois été le témoin, repassaient devant moi, et je regrettais la mort de cette fille comme on regrette la destruction totale d’une belle œuvre.
Or, il était impossible de voir une plus charmante beauté que celle de Marguerite.
Grande et mince jusqu’à l’exagération, elle possédait au suprême degré l’art de faire disparaître cet oubli de la nature par le simple arrangement des choses qu’elle revêtait. Son cachemire, dont la pointe touchait à terre, laissait échapper de chaque côté les larges volants d’une robe de soie, et l’épais manchon qui cachait ses mains et qu’elle appuyait contre sa poitrine, était entouré de plis si habilement ménagés, que l’œil n’avait rien à redire, si exigeant qu’il fut, au contour des lignes.
La tête, une merveille, était l’objet d’une coquetterie particulière. Elle était toute petite, et sa mère, comme dirait de Musset, semblait l’avoir faite ainsi pour la faire avec soin.
Dans un ovale d’une grâce indescriptible, mettez des yeux noirs surmontés de sourcils d’un arc si pur qu’il semblait peint ; voilez ces yeux de grands cils qui, lorsqu’ils s’abaissaient, jetaient de l’ombre sur la teinte rose des joues ; tracez un nez fin, droit, spirituel, aux narines un peu ouvertes par une aspiration ardente vers la vie sensuelle ; dessinez une bouche régulière, dont les lèvres s’ouvraient gracieusement sur des dents blanches comme du lait ; colorez la peau de ce velouté qui couvre les pêches qu’aucune main n’a touchées, et vous aurez l’ensemble de cette charmante tête.
Les cheveux, noirs comme du jais, ondés naturellement ou non, s’ouvraient sur le front en deux larges bandeaux, et se perdaient derrière la tête, en laissant voir un bout des oreilles, auxquelles brillaient deux diamants d’une valeur de quatre à cinq mille francs chacun.
Comment sa vie ardente laissait-elle au visage de Marguerite l’expression virginale, enfantine même qui le caractérisait, c’est ce que nous sommes forcés de constater sans le comprendre.
Marguerite avait d’elle un merveilleux portrait fait par Vidal, le seul homme dont le crayon pouvait la reproduire. J’ai eu depuis sa mort ce portrait pendant quelques jours à ma disposition, et il était d’une si étonnante ressemblance qu’il m’a servi à donner les renseignements pour lesquels ma mémoire ne m’eût peut-être pas suffi.
Parmi les détails de ce chapitre, quelques-uns ne me sont parvenus que plus tard ; mais je les écris tout de suite pour n’avoir pas à y revenir, lorsque commencera l’histoire anecdotique de cette femme.
Marguerite assistait à toutes les premières représentations et passait toutes ses soirées au spectacle ou au bal. Chaque fois que l’on jouait une pièce nouvelle, on était sûr de l’y voir, avec trois choses qui ne la quittaient jamais, et qui occupaient toujours le devant de sa loge de rez-de-chaussée : sa lorgnette, un sac de bonbons et un bouquet de camélias.
Pendant vingt-cinq jours du mois, les camélias étaient blancs, et pendant cinq ils étaient rouges ; on n’a jamais su la raison de cette variété de couleurs, que je signale sans pouvoir l’expliquer, et que les habitués des théâtres où elle allait le plus fréquemment et ses amis avaient remarquée comme moi.
On n’avait jamais vu à Marguerite d’autres fleurs que des camélias. Aussi chez madame Barjon, sa fleuriste, avait-on fini par la surnommer la Dame aux Camélias, et ce surnom lui était resté.
Je savais, en outre, comme tous ceux qui vivent dans un certain monde, à Paris, que Marguerite avait été la maîtresse des jeunes gens les plus élégants, qu’elle le disait hautement, et qu’eux-mêmes s’en vantaient, ce qui prouvait qu’amants et maîtresse étaient contents l’un de l’autre.
Cependant, depuis trois ans environ, depuis un voyage à Bagnères, elle ne vivait plus, disait-on, qu’avec un vieux duc étranger, énormément riche et qui avait essayé de la détacher le plus possible de sa vie passée, ce que, du reste, elle avait paru se laisser faire d’assez bonne grâce.
Voici ce qu’on m’a raconté à ce sujet.
Au printemps de 1842, Marguerite était si faible, si changée que les médecins lui ordonnèrent les eaux, et qu’elle partit pour Bagnères.
Là, parmi les malades, se trouvait la fille de ce duc, laquelle avait non seulement la même maladie, mais encore le même visage que Marguerite, au point qu’on eût pu les prendre pour les deux sœurs. Seulement la jeune duchesse était au troisième degré de la phtisie, et peu de jours après l’arrivée de Marguerite elle succombait.
Un matin, le duc, resté à Bagnères comme on reste sur le sol qui ensevelit une partie du cœur, aperçut Marguerite au détour d’une allée.
Il lui sembla voir passer l’ombre de son enfant et, marchant vers elle, il lui prit les mains, l’embrassa en pleurant, et, sans lui demander qui elle était, implora la permission de la voir et d’aimer en elle l’image vivante de sa fille morte.
Marguerite, seule à Bagnères avec sa femme de chambre, et d’ailleurs n’ayant aucune crainte de se compromettre, accorda au duc ce qu’il lui demandait.
Il se trouvait à Bagnères des gens qui la connaissaient, et qui vinrent officiellement avertir le duc de la véritable position de mademoiselle Gautier. Ce fut un coup pour le vieillard, car là cessait la ressemblance avec sa fille ; mais il était trop tard. La jeune femme était devenue un besoin de son cœur et son seul prétexte, sa seule excuse de vivre encore.
Il ne lui fit aucun reproche, il n’avait pas le droit de lui en faire, mais il lui demanda si elle se sentait capable de changer sa vie, lui offrant en échange de ce sacrifice toutes les compensations qu’elle pourrait désirer. Elle promit.
Il faut dire qu’à cette époque, Marguerite, nature enthousiaste, était malade. Le passé lui apparaissait comme une des causes principales de sa maladie, et une sorte de superstition lui fit espérer que Dieu lui laisserait la beauté et la santé, en échange de son repentir et de sa conversion.
En effet, les eaux, les promenades, la fatigue naturelle et le sommeil l’avaient à peu près rétablie quand vint la fin de l’été.
Le duc accompagna Marguerite à Paris, où il continua de venir la voir comme à Bagnères.
Cette liaison, dont on ne connaissait ni la véritable origine, ni le véritable motif, causa une grande sensation ici, car le duc, connu par sa grande fortune, se faisait connaître maintenant par sa prodigalité.
On attribua au libertinage, fréquent chez les vieillards riches, ce rapprochement du vieux duc et de la jeune femme. On supposa tout, excepté ce qui était.
Cependant le sentiment de ce père pour Marguerite avait une cause si chaste, que tout autre rapport que des rapports de cœur avec elle lui eût semblé un inceste, et jamais il ne lui avait dit un mot que sa fille n’eût pu entendre.
Loin de nous la pensée de faire de notre héroïne autre chose que ce qu’elle était. Nous dirons donc que tant qu’elle était restée à Bagnères, la promesse faite au duc n’avait pas été difficile à tenir, et qu’elle avait été tenue ; mais une fois de retour à Paris, il avait semblé à cette fille habituée à la vie dissipée, aux bals, aux orgies même, que sa solitude, troublée seulement par les visites périodiques du duc, la ferait mourir d’ennui, et les souffles brûlants de sa vie d’autrefois passaient à la fois sur sa tête et sur son cœur.
Ajoutez que Marguerite était revenue de ce voyage plus belle qu’elle n’avait jamais été, qu’elle avait vingt ans, et que la maladie endormie, mais non vaincue, continuait à lui donner ces désirs fiévreux qui sont presque toujours le résultat des affections de poitrine.
Le duc eut donc une grande douleur le jour où ses amis, sans cesse aux aguets pour surprendre un scandale de la part de la jeune femme avec laquelle il se compromettait, disaient-ils, vinrent lui dire et lui prouver qu’à l’heure où elle était sûre de ne pas le voir venir, elle recevait des visites, et que ces visites se prolongeaient souvent jusqu’au lendemain.
Interrogée, Marguerite avoua tout au duc, lui conseillant, sans arrière-pensée, de cesser de s’occuper d’elle, car elle ne se sentait pas la force de tenir les engagements pris, et ne voulait pas recevoir plus longtemps les bienfaits d’un homme qu’elle trompait.
Le duc resta huit jours sans paraître , ce fut tout ce qu’il put faire, et, le huitième jour, il vint supplier Marguerite de l’admettre encore, lui promettant de l’accepter telle qu’elle serait, pourvu qu’il la vît, et lui jurant que, dût-il mourir, il ne lui ferait jamais un reproche.
Voilà où en étaient les choses trois mois après le retour de Marguerite, c’est-à-dire en novembre ou décembre 1842.
Le 16, à une heure, je me rendis rue d’Antin.
De la porte cochère on entendait crier les commissaires-priseurs.
L’appartement était plein de curieux.
Il y avait là toutes les célébrités du vice élégant, sournoisement examinées par quelques grandes dames qui avaient pris encore une fois le prétexte de la vente, pour avoir le droit de voir de près des femmes avec qui elles n’auraient jamais eu occasion de se retrouver, et dont elles enviaient peut-être en secret les faciles plaisirs.
Madame la duchesse de F... coudoyait mademoiselle A..., une des plus tristes épreuves de nos courtisanes modernes ; madame la marquise de T... hésitait pour acheter un meuble sur lequel enchérissait madame D..., la femme adultère la plus élégante et la plus connue de notre époque ; le duc d’Y... qui passe à Madrid pour se ruiner à Paris, à Paris pour se ruiner à Madrid, et qui, somme toute, ne dépense même pas son revenu, tout en causant avec madame M..., une de nos plus spirituelles conteuses qui veut bien de temps en temps écrire ce qu’elle dit et signer ce qu’elle écrit, échangeait des regards confidentiels avec madame de N..., cette belle promeneuse des Champs-élysées, presque toujours vêtue de rose ou de bleu et qui fait traîner sa voiture par deux grands chevaux noirs, que Tony lui a vendus dix mille francs et... qu’elle lui a payés ; enfin mademoiselle R... qui se fait avec son seul talent le double de ce que les femmes du monde se font avec leur dot, et le triple de ce que les autres se font avec leurs amours, était, malgré le froid, venue faire quelques emplettes, et ce n’était pas elle qu’on regardait le moins.
Nous pourrions citer encore les initiales de bien des gens réunis dans ce salon, et bien étonnés de se trouver ensemble ; mais nous craindrions de lasser le lecteur.
Disons seulement que tout le monde était d’une gaieté folle, et que parmi toutes celles qui se trouvaient là beaucoup avaient connu la morte, et ne paraissaient pas s’en souvenir.
On riait fort ; les commissaires criaient à tue-tête ; les marchands qui avaient envahi les bancs disposés devant les tables de vente essayaient en vain d’imposer silence, pour faire leurs affaires tranquillement. Jamais réunion ne fut plus variée, plus bruyante.
Je me glissai humblement au milieu de ce tumulte attristant, quand je songeais qu’il avait lieu près de la chambre où avait expiré la pauvre créature dont on vendait les meubles pour payer les dettes. Venu pour examiner plus que pour acheter, je regardais les figures des fournisseurs qui faisaient vendre, et dont les traits s’épanouissaient chaque fois qu’un objet arrivait à un prix qu’ils n’eussent pas espéré.
Honnêtes gens qui avaient spéculé sur la prostitution de cette femme, qui avaient gagné cent pour cent sur elle, qui avaient poursuivi de papiers timbrés les derniers moments de sa vie, et qui venaient après sa mort recueillir les fruits de leurs honorables calculs en même temps que les intérêts de leur honteux crédit.
Combien avaient raison les anciens qui n’avaient qu’un même dieu pour les marchands et pour les voleurs !
Robes, cachemires, bijoux se vendaient avec une rapidité incroyable. Rien de tout cela ne me convenait, et j’attendais toujours.
Tout à coup j’entendis crier :
– Un volume, parfaitement relié, doré sur tranche, intitulé : Manon Lescaut. Il y a quelque chose d’écrit sur la première page. Dix francs.
– Douze, dit une voix après un silence assez long.
– Quinze, dis-je.
Pourquoi ? Je n’en savais rien. Sans doute pour ce quelque chose d’écrit.
– Quinze, répéta le commissaire-priseur.
– Trente, fit le premier enchérisseur d’un ton qui semblait défier qu’on mît davantage.
Cela devenait une lutte.
– Trente-cinq ! criai-je alors du même ton.
– Quarante.
– Cinquante.
– Soixante.
– Cent.
J’avoue que si j’avais voulu faire de l’effet, j’aurais complètement réussi, car à cette enchère un grand silence se fit, et l’on me regarda pour savoir quel était ce monsieur qui paraissait si résolu à posséder ce volume.
Il paraît que l’accent donné à mon dernier mot avait convaincu mon antagoniste : il préféra donc abandonner un combat qui n’eût servi qu’à me faire payer ce volume dix fois sa valeur, et, s’inclinant, il me dit fort gracieusement, quoique un peu tard :
– Je cède, monsieur.
Personne n’ayant plus rien dit, le livre me fut adjugé.
Comme je redoutais un nouvel entêtement que mon amour-propre eût peut-être soutenu, mais dont ma bourse se fût certainement trouvée très mal, je fis inscrire mon nom, mettre de côté le volume, et je descendis. Je dus donner beaucoup à penser aux gens qui, témoins de cette scène, se demandèrent sans doute dans quel but j’étais venu payer cent francs un livre que je pouvais avoir partout pour dix ou quinze francs au plus.
Une heure après j’avais envoyé chercher mon achat.
Sur la première page était écrite à la plume, et d’une écriture élégante, la dédicace du donataire de ce livre. Cette dédicace portait ces seuls mots :
Manon à Marguerite,
Humilité.
Elle était signée : Armand Duval.
Que voulait dire ce mot : humilité ?
Manon reconnaissait-elle dans Marguerite, par l’opinion de ce Monsieur Armand Duval, une supériorité de débauche ou de cœur ?
La seconde interprétation était la plus vraisemblable, car la première n’eût été qu’une impertinente franchise que n’eût pas acceptée Marguerite, malgré son opinion sur elle-même.
Je sortis de nouveau et je ne m’occupai plus de ce livre que le soir lorsque je me couchai.
Certes, Manon Lescaut est une touchante histoire dont pas un détail ne m’est inconnu, et cependant lorsque je trouve ce volume sous ma main, ma sympathie pour lui m’attire toujours, je l’ouvre et pour la centième fois je revis avec l’héroïne de l’abbé Prévost. Or, cette héroïne est tellement vraie, qu’il me semble l’avoir connue. Dans ces circonstances nouvelles, l’espèce de comparaison faite entre elle et Marguerite donnait pour moi un attrait inattendu à cette lecture, et mon indulgence s’augmenta de pitié, presque d’amour pour la pauvre fille à l’héritage de laquelle je devais ce volume. Manon était morte dans un désert, il est vrai, mais dans les bras de l’homme qui l’aimait avec toutes les énergies de l’âme, qui, morte, lui creusa une fosse, l’arrosa de ses larmes et y ensevelit son cœur ; tandis que Marguerite, pécheresse comme Manon, et peut-être convertie comme elle, était morte au sein d’un luxe somptueux, s’il fallait en croire ce que j’avais vu, dans le lit de son passé, mais aussi au milieu de ce désert du cœur, bien plus aride, bien plus vaste, bien plus impitoyable que celui dans lequel avait été enterrée Manon.
Marguerite, en effet, comme je l’avais appris de quelques amis informés des dernières circonstances de sa vie, n’avait pas vu s’asseoir une réelle consolation à son chevet, pendant les deux mois qu’avait duré sa lente et douloureuse agonie.
Puis de Manon et de Marguerite ma pensée se reportait sur celles que je connaissais et que je voyais s’acheminer en chantant vers une mort presque toujours invariable.
Pauvres créatures ! Si c’est un tort de les aimer, c’est bien le moins qu’on les plaigne. Vous plaignez l’aveugle qui n’a jamais vu les rayons du jour, le sourd qui n’a jamais entendu les accords de la nature, le muet qui n’a jamais pu rendre la voix de son âme, et, sous un faux prétexte de pudeur, vous ne voulez pas plaindre cette cécité du cœur, cette surdité de l’âme, ce mutisme de la conscience qui rendent folle la malheureuse affligée et qui la font malgré elle incapable de voir le bien, d’entendre le Seigneur et de parler la langue pure de l’amour et de la foi.
Hugo a fait Marion Delorme, Musset a fait Bernerette, Alexandre Dumas a fait Fernande, les penseurs et les poètes de tous les temps ont apporté à la courtisane l’offrande de leur miséricorde, et quelquefois un grand homme les a réhabilitées de son amour et même de son nom. Si j’insiste ainsi sur ce point, c’est que, parmi ceux qui vont me lire, beaucoup peut-être sont déjà prêts à rejeter ce livre, dans lequel ils craignent de ne voir qu’une apologie du vice et de la prostitution, et l’âge de l’auteur contribue sans doute encore à motiver cette crainte. Que ceux qui penseraient ainsi se détrompent, et qu’ils continuent, si cette crainte seule les retenait.
Je suis tout simplement convaincu d’un principe qui est que : pour la femme à qui l’éducation n’a pas enseigné le bien, Dieu ouvre presque toujours deux sentiers qui l’y ramènent ; ces sentiers sont la douleur et l’amour. Ils sont difficiles ; celles qui s’y engagent s’y ensanglantent les pieds, s’y déchirent les mains, mais elles laissent en même temps aux ronces de la route les parures du vice et arrivent au but avec cette nudité dont on ne rougit pas devant le Seigneur.
Ceux qui rencontrent ces voyageuses hardies doivent les soutenir et dire à tous qu’ils les ont rencontrées, car, en le publiant ils montrent la voie.
Il ne s’agit pas de mettre tout bonnement à l’entrée de la vie deux poteaux, portant l’un cette inscription : Route du bien, l’autre cet avertissement : Route du mal, et de dire à ceux qui se présentent : Choisissez ; il faut, comme le Christ, montrer des chemins qui ramènent de la seconde route à la première ceux qui s’étaient laissé tenter par les abords ; et il ne faut pas surtout que le commencement de ces chemins soit trop douloureux, ni paraisse trop impénétrable.
Le christianisme est là avec sa merveilleuse parabole de l’enfant prodigue pour nous conseiller l’indulgence et le pardon. Jésus était plein d’amour pour ces âmes blessées par les passions des hommes, et dont il aimait à panser les plaies en tirant le baume qui devait les guérir des plaies elles-mêmes. Ainsi, il disait à Madeleine : « Il te sera beaucoup remis parce que tu as beaucoup aimé », sublime pardon qui devait éveiller une foi sublime.
Pourquoi nous ferions-nous plus rigides que le Christ ? Pourquoi, nous en tenant obstinément aux opinions de ce monde qui se fait dur pour qu’on le croie fort, rejetterions-nous avec lui des âmes saignantes souvent de blessures par où, comme le mauvais sang d’un malade, s’épanche le mal de leur passé, et n’attendant qu’une main amie qui les panse et leur rende la convalescence du cœur ?
C’est à ma génération que je m’adresse, à ceux pour qui les théories de Monsieur de Voltaire n’existent heureusement plus, à ceux qui, comme moi, comprennent que l’humanité est depuis quinze ans dans un de ses plus audacieux élans. La science du bien et du mal est à jamais acquise ; la foi se reconstruit, le respect des choses saintes nous est rendu, et si le monde ne se fait pas tout à fait bon, il se fait du moins meilleur. Les efforts de tous les hommes intelligents tendent au même but, et toutes les grandes volontés s’attellent au même principe : soyons bons, soyons jeunes, soyons vrais ! Le mal n’est qu’une vanité, ayons l’orgueil du bien, et surtout ne désespérons pas. Ne méprisons pas la femme qui n’est ni mère, ni sœur, ni fille, ni épouse. Ne réduisons pas l’estime à la famille, l’indulgence à l’égoïsme. Puisque le ciel est plus en joie pour le repentir d’un pécheur que pour cent justes qui n’ont jamais péché, essayons de réjouir le ciel. Il peut nous le rendre avec usure. Laissons sur notre chemin l’aumône de notre pardon à ceux que les désirs terrestres ont perdus, que sauvera peut-être une espérance divine, et, comme disent les bonnes vieilles femmes quand elles conseillent un remède de leur façon, si cela ne fait pas de bien, cela ne peut pas faire de mal.
Certes, il doit paraître bien hardi à moi de vouloir faire sortir ces grands résultats du mince sujet que je traite ; mais je suis de ceux qui croient que tout est dans peu. L’enfant est petit, et il renferme l’homme ; le cerveau est étroit, et il abrite la pensée ; l’œil n’est qu’un point, et il embrasse des lieues.
Deux jours après, la vente était complètement terminée. Elle avait produit cent cinquante mille francs.
Les créanciers s’en étaient partagés les deux tiers, et la famille, composée d’une sœur et d’un petit-neveu, avait hérité du reste.
Cette sœur avait ouvert de grands yeux quand l’homme d’affaires lui avait écrit qu’elle héritait de cinquante mille francs.
Il y avait six ou sept ans que cette jeune fille n’avait vu sa sœur, laquelle avait disparu un jour sans que l’on sût, ni par elle ni par d’autres, le moindre détail sur sa vie depuis le moment de sa disparition.
Elle était donc arrivée en toute hâte à Paris, et l’étonnement de ceux qui connaissaient Marguerite avait été grand quand ils avaient vu que son unique héritière était une grosse et belle fille de campagne qui jusqu’alors n’avait jamais quitté son village.
Sa fortune se trouva faite d’un seul coup, sans qu’elle sût même de quelle source lui venait cette fortune inespérée.
Elle retourna, m’a-t-on dit depuis, à sa campagne, emportant de la mort de sa sœur une grande tristesse que compensait néanmoins le placement à quatre et demi qu’elle venait de faire.
Toutes ces circonstances répétées dans Paris, la ville mère du scandale, commençaient à être oubliées, et j’oubliais même à peu près en quoi j’avais pris part à ces événements, quand un nouvel incident me fit connaître toute la vie de Marguerite et m’apprit des détails si touchants, que l’envie me prit d’écrire cette histoire et que je l’écris.
Depuis trois ou quatre jours, l’appartement, vide de tous ses meubles vendus, était à louer, quand on sonna un matin chez moi.
Mon domestique, ou plutôt mon portier qui me servait de domestique, alla ouvrir et me rapporta une carte, en me disant que la personne qui la lui avait remise désirait me parler.
Je jetai les yeux sur cette carte et j’y lus ces deux mots : Armand Duval.
Je cherchai où j’avais déjà vu ce nom, et je me rappelai la première feuille du volume de Manon Lescaut.
Que pouvait me vouloir la personne qui avait donné ce livre à Marguerite ? Je dis de faire entrer tout de suite celui qui attendait.
Je vis alors un jeune homme blond, grand, pâle, vêtu d’un costume de voyage qu’il semblait ne pas avoir quitté depuis quelques jours et ne s’être même pas donné la peine de brosser en arrivant à Paris, car il était couvert de poussière.
M Duval, fortement ému, ne fit aucun effort pour cacher son émotion, et ce fut des larmes dans les yeux et un tremblement dans la voix qu’il me dit :
– Monsieur, vous excuserez, je vous prie, ma visite et mon costume ; mais, outre qu’entre jeunes gens on ne se gêne pas beaucoup, je désirais tant vous voir aujourd’hui, que je n’ai pas même pris le temps de descendre à l’hôtel où j’ai envoyé mes malles et je suis accouru chez vous craignant encore, quoiqu’il soit de bonne heure, de ne pas vous rencontrer.
Je priai Monsieur Duval de s’asseoir auprès du feu, ce qu’il fit, tout en tirant de sa poche un mouchoir avec lequel il cacha un moment sa figure.