La découverte - Claude Marquis - E-Book

La découverte E-Book

Claude Marquis

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Beschreibung

La révélation de ses super pouvoirs bouleverse la vie d'un jeune homme et celle de son ami...

Peu désireux de suivre la voie tracée par ses parents, Jordan entre à l’université pour réaliser son rêve : devenir sociologue. Le jeune homme se lie très vite d’amitié avec son colocataire, Danny, même si cet adolescent silencieux à la carrure d’athlète ne laisse pas facilement deviner ses sentiments.
Mais très vite, Jordan se rend compte que Danny excelle en tout, et est même doté d’une force extraordinaire. Surveillés depuis leur arrivée par le professeur Mitchell, ce dernier leur révèle l’existence de ce qu’on appelle des sangs noirs. Plus intelligents, plus rapides, plus forts, ils évoluent dans les castes les plus hautes de la société, et sont recrutés en priorité par les universités. Ignorant tout de ces capacités, qui ne s’étaient alors jamais manifestées, Danny accepte de rejoindre les rangs du professeur Mitchell qui, depuis des années, œuvre pour le bien commun. Mais très vite, le jeune homme est rattrapé par son passé, et ses vieux démons pourraient bien l’emporter du côté sombre. Alors, seul son ami Jordan, désigné comme le successeur du professeur, pourra le sauver.

Le premier tome d'une saga fantastique très prometteuse !

EXTRAIT

– Tu te rappelles, je devais m’occuper de ma famille ? Les occasions de fêter et l’envie étaient plutôt rares et quand cela pouvait se présenter, la raison et le budget nous ramenaient vite à l’ordre. Nous ne pouvions pas réellement nous le permettre… dans notre famille.
Cette dernière phrase mit un peu mal à l’aise Jordan. Se rappelant très bien les dernières années où celui-ci profitait pleinement de la vie, expérimentant d’un assez jeune âge les sorties entre amis et les fêtes. Il se vit comme un enfant gâté comparé à Danny, où la vie ne semblait guère lui avoir fait de cadeau sur ce point. Ce dernier semblait même venir d’un milieu plutôt défavorisé financièrement.
– Désolé, Danny. Je me sens un peu mal. Tu as eu une vie beaucoup plus difficile que moi, c’est évident.
– Tu n’as pas à t’excuser. Ce n’est pas ta faute. J’espère juste que tu me comprends mieux. De toute façon, même si j’en avais l’occasion, je ne crois pas que je me laisserais aller jusqu’à me saouler. Je préfère garder toutes mes facultés au cas où quelque chose arrive. Par exemple, une situation d’urgence à laquelle je pourrais toujours répondre adéquatement.
– C’est pour ça que tu n’es pas un gars qui fait la fête ?
– Entre autres.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Claude Marquis est né en 1969 à Brigham, un petit village au sud du Québec. Très tôt passionné par l'écriture, il noircit des pages entières de ses ébauches d'histoires, mais finit par les mettre de côté. Jusqu'au jour où, à l'aube de ses 43 ans, l'idée de son premier roman L'Autre destinée émerge. De nouveau plongé dans l'écriture, il propose aujourd'hui aux lecteurs son deuxième livre : Sang Noir.

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Claude Marquis

Sang Noir

La Découverte

Introduction

Les « Sangs Noirs » sont des êtres exceptionnels que l’on retrouve un peu partout sur la planète et ils existent depuis toujours. Ce sont des êtres humains qui ont la chance de pouvoir utiliser les capacités de leur cerveau et de leur corps physique en pourcentage plus élevé que la moyenne des gens. Par exemple, la normale des êtres humains utilise plus ou moins 10 % de son cerveau. Des génies comme Albert Einstein utilisaient, dit-on, 11 à 12 % de leur cerveau. Mais les Sangs Noirs peuvent en utiliser 20 %, 30 % et même plus. Ils peuvent donc, par la très grande concentration dont ils sont capables, mieux contrôler leur corps également. C’est-à-dire, leur respiration, leurs battements de cœur, enzymes, hormones, etc. Par exemple, l’endorphine et l’adrénaline pour ne pas sentir la douleur, ou encore pour leur donner de la force. Ils peuvent aussi contrôler leurs champs magnétiques. On croit donc qu’ils sont dotés de pouvoirs surnaturels, mais en fait, ils ne font que mieux exploiter les ressources disponibles dans leur corps et leurs possibilités. Ils ont donc un pouvoir sur la nature que les autres n’ont pas, car les autres ne savent tout simplement pas comment faire. Mais, selon le professeur Mitchell, on ne peut devenir un Sang Noir. On l’est ou on ne l’est pas. A-t-il raison ? Connaît-il réellement tout sur les Sangs Noirs ? Ou cache-t-il quelque chose ?

1.

Enfin, se dit Jordan. J’y suis, les deux pieds sur le campus. Ma nouvelle vie commence. Après ces dernières années d’incertitudes à ne pas savoir si, oui ou non, il intégrerait les rangs d’une université, il se sentait enfin récompensé. Cependant cette joie était entrecoupée de sentiments divers. Entre autres, il se disait qu’il devait encore trimer dur pendant quelques années afin d’obtenir son diplôme. Mais, par la suite, il obtiendrait le métier qu’il désirait. Du moins, celui qu’il désirait plus que celui que ses parents avaient prévu pour lui. En réalité, il faisait tout cela pour fuir ce métier décidé pour lui. C’est-à-dire, reprendre l’entreprise familiale. Ce qui ne lui plaisait pas du tout. Cette voie toute tracée d’avance lui donnait l’impression qu’il perdait le contrôle de sa vie. Ce ne serait qu’à la remise de son diplôme qu’il pourrait finalement souffler. Du moins, un peu plus. La perspective d’être sociologue le réjouissait. Ce n’était certes pas le métier dont tous les ados rêvaient. Ce n’était pas ce qui pouvait le rendre riche et célèbre, mais c’était quelque chose qu’il pouvait faire et qui l’intéressait quand même suffisamment pour s’en donner la peine. Un bel avenir se dressait devant lui, pensait-il. En regardant tout autour de lui, il se rendit compte qu’une certaine atmosphère du genre « féerique » flottait dans l’air. Les autres jeunes qui l’entouraient semblaient fébriles. Les rires fusaient d’un groupe de jeunes filles tout près, tandis que les gars qui passaient près d’elles se plaisaient à les observer. On imaginait bien qu’un des groupes commentait l’autre et vice-versa. On imaginait aussi facilement le genre de commentaires, à voir les regards.

Retour à la réalité. Maintenant et pour tout le temps que dureraient ses études, il habiterait sur le campus. C’était le temps pour Jordan d’aller chercher les clefs de sa chambre. Peut-être son colocataire était-il déjà là. Il ne connaissait même pas son nom, et d’ici la fin de la journée, ils cohabiteraient pourtant ensemble. Pourvu qu’ils s’entendent bien. Et surtout, que ce ne soit pas l’un de ces « gorilles sportifs », comme ceux qui observaient sans gêne le groupe de filles de tout à l’heure. C’est que Jordan était plutôt du genre intello, timide et réservé, quoiqu’il ait bien l’intention d’y remédier pendant son séjour à l’université. Cesser d’être catalogué comme le fils à sa maman qui est beau et sage comme une image. Celui qui ne fait jamais de connerie. Car en réalité, comme tous les jeunes de son âge, il en avait fait. Par chance, ses parents ne l’avaient jamais su. Mais, là maintenant, l’université, ça, c’était la vie. La vraie. Pas seulement des enfantillages. La vraie grande vie commençait. Puis, cette rêverie fut interrompue lorsqu’arrivé devant le comptoir de la réception, il fut interpellé par la réceptionniste qui ce faisant, refroidit temporairement sa bonne humeur.

–Votre nom ? demanda-t-elle sur un ton tranchant, arborant la joie de vivre d’un bloc de béton.

–Jordan Leger, répondit-il rapidement et solennellement, tel un officier répondant à son commandant.

Feuilletant rapidement les listes de noms sur son bureau, elle se retourna par la suite pour prendre un trousseau de clefs sur le mur derrière elle. Elle le déposa fermement et bruyamment sur le bureau devant Jordan.

–Voici vos clefs et ça, ce sont les instructions et le règlement intérieur à respecter à la lettre. Lisez-le bien attentivement, et si vous avez des questions, référez-vous à votre professeur principal. Pour vous, c’est le professeur Mitchell. Son local, si vous désirez le rencontrer, est indiqué sur le document ainsi que le numéro de téléphone pour le rejoindre. Pour l’instant, vous devez vous rendre au dortoir B, chambre 204. Ce dortoir se trouve à votre gauche en sortant.

Jordan demeura immobile devant la réceptionniste, ne sachant si celle-ci avait terminé ou non.

–Il y a quelque chose que vous n’avez pas compris, jeune homme ?

–Non… non, tout est très clair, dit-il après un bref sursaut.

–Suivant ! reprit la réceptionniste fortement, ce qui, cette fois, fit sursauter Jordan de façon très perceptible.

En s’éloignant, Jordan se dit que cette personne était plutôt spéciale, quoiqu’efficace. Il est vrai que la rentrée scolaire ne devait pas être l’une de ses meilleures journées. Du moins, pas celle qui devait être la plus tranquille. Elle devait sûrement répéter toute la journée pratiquement la même chose, tel un perroquet. À voir tous ces nouveaux visages, ça ne devait pas être évident. Il y en avait sûrement qui devaient avoir d’innombrables questions auxquelles ce n’était pas à elle de répondre. C’est probablement pour cette raison qu’elle se donnait cet air si autoritaire et peu attrayant. Pour dissuader les jeunes d’aller plus loin, de poser trop de questions ou de lui raconter leur vie. Bref, Jordan était déjà à l’œuvre comme sociologue et, se mettant dans la peau du personnage, tentait d’analyser les sujets de cette société qui l’entourait. Mais tout ceci n’était que pure spéculation. Peut-être aussi était-ce la vraie personnalité de cette femme. Pas aimable pour cinq sous, et ce, à longueur d’année. Quoi qu’il en soit, il se le redisait, c’était efficace. Brutal, mais efficace.

Puis, graduellement, tout en marchant vers le dortoir, l’humeur du jeune homme revint au beau fixe. Il se dirigeait vers sa chambre, nouveau milieu de vie, et cela pour les prochaines années. Ce serait fort probablement un lieu de refuge également.

Arrivé dans le corridor, il remarqua que la porte de ladite chambre 204 était entrouverte. Effectivement, comme il l’avait prévu, pour ne pas dire, comme il l’avait redouté, son colocataire était déjà arrivé. Jordan poussa doucement la porte. Il vit son futur compagnon de dos en train de défaire ses valises. Plutôt costaud, se dit-il en remarquant la carrure de l’individu. Il avait bel et bien le physique d’un joueur de foot.

Zut, exactement le genre que je redoutais. Bon, bien, il faudra s’adapter, se dit-il en avançant prudemment dans la chambre.

–Bonjour ! se risqua Jordan, timidement.

Son colocataire se redressa lentement et se retourna, faisant face à Jordan. Ce dernier ravala sa salive devant ce colosse imposant qui n’avait même pas sursauté, comme s’il avait senti la présence de son interlocuteur depuis bien longtemps.

–Bonjour ! répondit-il calmement en tendant la main à Jordan. Moi, c’est Danny.

–Et moi, Jordan. Ça fait longtemps que tu es là ?

–Comme tu peux le constater, pas vraiment. Quinze minutes tout au plus. J’ai pris la liberté de prendre la place la plus près de la porte. Je t’ai laissé celle près de la fenêtre. Mais il n’est pas trop tard pour changer si tu le désires.

–Non… non, c’est parfait comme ça. C’est justement ce que j’aurais choisi.

Il était surpris de la courtoisie de Danny, il poursuivit et engagea plus formellement la conversation.

–Tu as eu le temps de visiter l’université ?

–Non, je suis arrivé directement avec mes bagages. Mais, toi, tu n’en as pas ?

–Si, bien sûr. Je les ai laissés dans la voiture. Je préférais voir où je mettais les pieds avant de tout déballer.

–Ah bon. Moi je n’ai pas eu ce choix. J’arrive par le bus. Je n’ai pas de voiture.

Jordan se sentit un peu gêné. Comme s’il se sentait soudain coupable de posséder des biens que d’autres ne pouvaient se permettre. Car l’allusion lui semblait très claire à ce sujet. Il poursuivit timidement, se trouvant par le fait même une excuse pour s’éclipser.

–Bon, bien, enchanté de te connaître, moi je vais aller chercher tout ça dans… la voiture. J’y vais.

–Tu veux qu’on visite le campus ensemble après ? Ça nous donnera l’occasion de discuter et d’apprendre à nous connaître un peu.

–Oui, bien sûr. C’est super, on fera ça.

Sur ce, Jordan sortit de la chambre aussi étonné qu’heureux. Pour le bref entretien qu’il venait d’avoir avec un individu qui, à première vue, lui semblait peu accessible, ce fut plutôt agréable. Danny était au final, amical, et la première impression que Jordan avait eue de lui s’estompait graduellement. Il croyait avoir affaire à un gars qui ne se préoccupait que de ses muscles ou des filles qui l’entouraient, alors que le timbre de sa voix, le vocabulaire qu’il employait et son attitude générale démontraient le contraire. En retournant à sa voiture, Jordan respirait le bonheur à nouveau. Il regardait autour de lui et crut que tout était parfait dans sa vie. Ses rêves se réalisaient. Par contre, il était loin de se douter de ce que l’avenir lui réservait. À vrai dire, il faisait bien de profiter de ce moment de plénitude, car le stress viendrait bien assez vite. Et plus qu’il ne l’imaginait. Pas seulement pour les fins de sessions et les examens. Il était heureux maintenant, et c’est ce qui était important pour lui à ce moment.

De retour à la chambre avec ses bagages, Jordan s’aperçut rapidement que Danny avait déjà terminé de ranger ses effets personnels, et fut surpris d’entendre ce dernier lui proposer son aide.

–Besoin d’un coup de main pour tout ça ?

Effectivement, Jordan avait bien besoin d’aide pour… tout ça. Il semblait avoir déménagé la totalité de ses biens, à tel point qu’il se demandait si la place de rangement disponible était suffisante. Finalement, avec une bonne organisation et un peu de patience, les deux garçons réussirent à tout placer.

–Et voilà, c’est fait, soupira Jordan quelque peu essoufflé, ce qui ne passa pas inaperçu aux yeux de Danny.

–Manque d’exercice ?

–C’est si évident que ça ?

–On le remarque, oui.

–Bon, eh bien, j’essayerai de m’inscrire à quelque activité parascolaire qui sera plus physique qu’intellectuelle.

–On pourrait s’inscrire à des cours de karaté et pratiquer ici le soir. Non ?

Jordan sentit le sang se glacer dans ses veines avant de se retourner lentement et de fixer Danny du regard. Il le vit arborer un large sourire avant d’ajouter…

–Je plaisante. Ne stresse pas avec ça.

–Ouf, merci mon Dieu, ce n’est qu’une plaisanterie. Je ne sais pas si tu as remarqué, mais il y a une sacrée différence entre toi et moi. Je préfère de loin être ton ami que le contraire. Au combat, je suis certain de perdre contre toi. C’est sûr, au premier coup, je tombe.

–Allez, ne te sous-estime pas. Tu n’es pas si mal, j’en suis convaincu. De toute façon, ce n’est pas la taille qui compte. C’est ce que l’on fait avec ce que l’on a. Et très souvent, ce sont nos connaissances qui jouent le plus grand rôle. Les muscles, ça passe après.

–C’est rassurant, merci. Bon, on y va visiter ce campus ?

–Go.

Les deux nouveaux compagnons se promenèrent un bon moment. Ils se rendirent vite compte que ce campus d’université était immense. Beaucoup plus qu’ils ne se l’étaient imaginé au départ. Ils se rendirent devant les portes des classes qui étaient inscrites sur leurs horaires, afin d’identifier l’endroit exact à l’avance, pour pouvoir estimer le temps approximatif afin de s’y rendre depuis leur chambre. De cette façon, ils pouvaient compter ne pas arriver en retard ni être pris au dépourvu dès la première journée de classe. Excellente initiative que les deux garçons avaient prise, et cela sans même se consulter. Comme si tout allait de soi. Les raisons en étaient, par contre, probablement différentes. Pour Danny, son sens de l’organisation, tandis que Jordan, c’était probablement la curiosité qui l’emportait.

Puis, ils finirent par comprendre également pourquoi on les avait associés comme colocataires. Pour la presque totalité de leurs cours, sauf peut-être pour les cours optionnels, ils avaient les mêmes, avec les mêmes professeurs. Les deux comparses étudiaient en sociologie. Seul Jordan avait choisi des cours optionnels en philosophie tandis que Danny avait opté pour le tai-chi. Au moment où leur visite libre tirait à sa fin, une autre « faim » les tiraillait. Ils remarquèrent justement un petit kiosque mobile sur le campus leur offrant une odeur attirante. Hot-dogs et frites semblaient les inviter à se rapprocher de cette petite usine ambulante, qui s’arrêtait à des points stratégiques du campus. Après avoir commandé, Danny et Jordan allèrent s’asseoir à une table de pique-nique aménagée sous les arbres. Tout en se rassasiant, ils commencèrent à se parler d’autre chose que de l’université. Jordan, curieux de nature, commença à poser les questions le premier.

–Tu viens de quelle région ?

–De la Caroline du Nord, et toi ?

–Du Vermont. Et tu as choisi cette université pour quelle raison ?

–Je ne l’ai pas vraiment choisie. C’est plutôt elle qui m’a choisi. J’avais fait des inscriptions dans plusieurs autres universités, mais la plupart m’ont refusé, et les autres qui m’ont accepté étaient dans des États encore plus éloignés. Je ne voulais pas être trop loin de ma famille. J’ai donc choisi l’université la plus près qui voulait bien de moi. À quelques heures de bus de la maison, c’est bien.

–Oh, je vois. Tu es très proche de ta famille. Pas juste en ce qui concerne la distance, mais côté sentimental aussi, sûrement.

–Oui. Mon père nous a quittés alors que j’étais très jeune et ma mère, ma petite sœur et moi, on est très proches les uns des autres.

–Désolé, toutes mes condoléances pour ton père.

–Oh, ce n’est pas qu’il est mort. Quand je dis qu’il nous a quittés, c’est qu’il est parti refaire sa vie dans d’autres pays. Physiquement, il est encore bien vivant. Enfin, je crois. Je n’ai jamais eu de ses nouvelles depuis. Mais émotionnellement, c’est vrai que c’est tout comme s’il était mort. Et depuis, j’ai assumé très jeune le rôle d’homme de la maison. C’est un peu pour cette raison que je me retrouve ici. Parfaire mes études, décrocher un très bon emploi dans ma ville natale, et subvenir aux besoins de ma famille par la suite. C’est aussi pour ça que je ne voulais pas trop m’en éloigner. Je peux être là en quelques heures au besoin.

–Wow, et tu n’as pas de petite amie ?

–Non. Ni le temps, et à vrai dire, pas vraiment le goût. Après avoir vu la relation de mes parents éclater, après si peu de temps. Avant de m’engager moi-même dans une relation, ça devra être du sérieux. Du très sérieux. Crois-moi que ce ne sera pas sur un simple coup de tête. Je devrai bien connaître la personne. De plus, je devrai être à 100 % sûr de ses sentiments pour moi, et des miens pour elle.

Soudain, Danny s’arrêta de parler. Il s’était quelque peu emballé et s’aperçut qu’il dévoilait sa vie et des détails très personnels dont il n’avait pas l’habitude de parler. Surtout pas à quelqu’un qu’il ne connaissait que depuis quelques heures à peine. Jordan semblait à première vue être une bonne personne à qui il pouvait se confier, mais il décida de renverser la situation.

–Assez parlé de moi. Toi, qu’est-ce qui t’a poussé à venir étudier en Pennsylvanie ?

–Eh bien, pour ma part, je voulais fréquenter une université dans un État un peu plus au sud. En ce qui me concerne, c’est un peu la situation inverse. Je ne suis pas très proche de ma famille, émotionnellement. Mes parents possèdent une concession automobile et ils aimeraient beaucoup que je reprenne la relève. Seulement, je ne suis pas vendeur pour cinq sous et le commerce, je n’ai pas ça dans le sang. Donc, pour les études, je désirais me dépayser un minimum. J’aurais rêvé d’une université en Californie ou en Floride. Les plages, les filles et bon, tout le reste.

Alors que Danny secouait la tête de gauche à droite, signifiant à Jordan la futilité de ses propos, ce dernier prit conscience que les rôles étaient inversés. Il croyait dès le début que les jeunes athlètes universitaires, baraqués comme des bœufs, ne pensaient qu’au sport et aux filles alors que les intellos de son genre n’avaient de considération que pour les études. Dans le cas de Danny et Jordan, cette propension semblait s’être inversée. Il se reprit donc.

–Eh bien quoi ? Joindre l’utile à l’agréable, non ?

–Oui, bien sûr. Et ces universités plus au sud ne t’ont pas accepté si je comprends bien ?

–Exact. Dans mon cas, j’ai décidé de venir à l’université la plus loin de chez moi qui voulait bien de moi.

–Et celle qui t’a accepté, mais qui se trouvait plus près de ta résidence, par curiosité, c’était où ?

–Dans ma ville natale.

–Ironique, soupira Danny.

–Je crois que nous allons quand même nous plaire ici, dit Jordan en regardant passer deux jeunes filles qu’il semblait trouver à son goût.

Danny observa Jordan à ce moment, leva les yeux au ciel puis donna une claque sur l’épaule de son compagnon, le projetant quasiment par terre.

–Allez, Don Juan, reviens sur terre. On doit se préparer pour nos cours de demain.

–Se préparer pour quoi ? On ne sait même pas ce que nous aurons à étudier.

–Vrai, mais on peut quand même préparer nos cahiers de notes avec le titre des cours, faire notre programme d’heures d’étude et planifier un minimum.

–Oh là, maman, sors de ce corps. Tu ne devais pas me suivre jusqu’ici.

Alors, les deux compagnons regagnèrent tranquillement leur chambre. Aussitôt arrivé, Danny se plongea dans son planning et comme mentionné, fit le programme dont il avait parlé. Mince alors, se dit Jordan, il était sérieux. Et moi qui pensais avoir affaire à un sportif peu soucieux de ses études, me voilà flanqué d’un bourreau de travail. Un juste milieu aurait été apprécié.

Un peu intimidé par le comportement de Danny, Jordan l’imita et se prépara du mieux qu’il le pouvait. Révisant les cours de la semaine, il tenta de mémoriser le nom des professeurs. Le professeur Jones en sociologie de base, Morales en éthique et morale. Morales en morale. Tiens, ça sera facile à retenir, pensa-t-il. Professeur Mitchell en philosophie, etc.

–Au fait, Danny, pourquoi avoir choisi la fac de sociologie ?

–Pour devenir sociologue.

Jordan se retourna vers Danny, le fixa et ajouta.

–Évidemment, mais avec un peu plus de détails, s’il te plaît.

–Eh bien, suite aux différents événements que j’ai vécus dans ma vie, j’aimerais comprendre notre société d’aujourd’hui. Et toutes les sociétés, d’ailleurs. J’aimerais également y apporter ma contribution pour la rendre meilleure. De plus, dans ma région natale, il manque cruellement de sociologues, paraît-il. Des postes sont ouverts présentement, et pour les combler, selon les conseillers du coin, ce n’est pas demain la veille. Ils m’ont assuré avoir un travail dans ce domaine dès que je recevrai mon diplôme. Toujours selon les conseillers que j’ai consultés, j’aurai droit à un très bon salaire aussi.

–Alors, ton avenir est déjà tout tracé ?

–Je l’ai déjà tout tracé. Pas quelqu’un d’autre.

–Alors que moi, ce sont mes parents qui l’ont déjà tout tracé, en espérant que je reprenne l’entreprise familiale. Je viens ici pour y échapper et y faire n’importe quoi d’autre.

–Tu n’avais pas projeté d’être sociologue ?

–Pas du tout. C’est un choix, presque de dernière minute qui me permet de faire simplement quelque chose d’autre que ce que je n’aime vraiment pas. Plus précisément, la vente automobile.

–Mais tes parents te laissent quand même faire, non ?

–Oui, mais ils sont persuadés que ce n’est qu’une passe d’adolescent et que je ne ferai rien de mon diplôme, même si je l’obtenais, que je ne me trouverai jamais d’emploi dans ce domaine. Ils croient vraiment que ce n’est que du bla-bla et que, quand j’en aurai assez de perdre mon temps, je reviendrai à la réalité et je reprendrai le commerce familial.

–Tu pourrais venir travailler avec moi dans ma ville. On y ouvrirait un bureau ensemble.

–C’est une idée. De toute façon, mes parents ne sont pas pressés de se retirer. Ils pensent toujours me léguer l’entreprise familiale graduellement. Un jour ou l’autre.

–Ils pourraient être surpris, si tu finis par ne jamais leur succéder. Que feront-ils ? Tu as des frères ou des sœurs à qui ils pourraient refiler ce commerce ?

–Non, je suis fils unique. Si je ne poursuis pas leurs rêves, ils vendront probablement leurs parts à des neveux ou nièces, en espérant que si jamais leur fils est en difficulté, ces derniers pourront toujours lui offrir un emploi pour le dépanner.

–On vient vraiment de deux mondes différents.

–Mais toi, de ton côté, vu qu’on en parle de nos parents, tu n’as jamais essayé de retrouver ton père ?

Sans s’en douter vraiment, Jordan venait de toucher une corde très sensible chez Danny. L’expression de celui-ci changea quelque peu et graduellement, son visage devint de plus en plus impassible.

–Je n’en vois pas l’intérêt. C’est lui qui a décidé de nous quitter. Ce serait à lui de faire le premier pas et de nous contacter. De toute façon, on a bien appris à se passer de lui. Ce serait même, d’une certaine façon, je crois, plus insultant s’il se pointait aujourd’hui. Nous avons de moins en moins besoin de lui. Pas seulement pour son apport financier pour faire vivre sa famille, mais surtout de sa présence comme époux ou père de famille.

–Je comprends. Désolé, je ne voulais pas…

Cette dernière phrase de Jordan mourut entre ses lèvres et c’est ce qui mit fin à la discussion, pour quelque temps. Ils poursuivirent leur préparation de la semaine. Ce n’est que sur la fin de la journée que Jordan se risqua à nouveau à entreprendre une discussion, sur un autre sujet cette fois-ci. Le courant semblait bien passer entre les deux garçons. Plus le temps passait, plus ils apprenaient à se connaître et à ressembler à de vieux amis. Il y demeurait un fait, les questions et la prise de direction des conversations provenaient pratiquement exclusivement de Jordan. Danny ne se contentait que d’y répondre.

Le lendemain, premier jour officiel de cours. Jordan et Danny, frais et dispos se présentèrent à leur classe avec le sourire. Mais ce premier cours fut de courte durée. Le professeur ne se contenta que d’expliquer brièvement ce qu’il attendait des élèves, comme le respect et la ponctualité. Il donna des copies où étaient imprimées les lignes directrices du cours, ainsi que les volumes à se procurer à la Coop de l’université et finalement, les pages à lire pour le prochain cours.

À peine vingt minutes après le début de ce cours, qui devait à la base durer trois heures, le tout était complété. Puis, le professeur libéra les élèves pour le reste de ces trois heures normalement allouées, et ce, au grand bonheur des étudiants. Cela leur permettrait de se rendre aux différentes activités organisées pour les nouveaux, question de se familiariser avec l’endroit et de faire de nouvelles connaissances.

–Alors Danny tu te dépêches ? demanda Jordan, impatient d’aller s’amuser un peu.

–Bof, vas-y sans moi. Je vais retourner directement à la chambre après avoir été chercher les bouquins pour le cours.

Jordan demeura un moment sans voix. Probablement en attente d’une autre réplique de Danny, lui confirmant que ce dernier blaguait. Mais cette réplique ne vint pas, et Danny avait l’air des plus sérieux. Jordan reprit donc la parole pour briser le silence qui commençait à lui peser.

–Tu blagues, j’espère ?

–Non, pas du tout. Je vais même commencer la lecture et ce sera toujours ça de fait. Pourquoi ?

–Mais parce que nous aurons tout le temps voulu pour le faire plus tard. Le prochain cours pour cette matière n’est que la semaine prochaine. Nous n’allons tout de même pas rater cette merveilleuse occasion de connaître plein de gens qui, j’en suis persuadé, sont des plus intéressants.

–Tu veux dire, intéressantes ?

Jordan sourit timidement.

–Bon, c’est vrai. Ça me donnera l’occasion de connaître quelques filles. Et même si toi, tu n’es pas si pressé que ça d’en connaître, viens quand même juste pour t’amuser. De toute façon, rien n’est jamais pris au sérieux lors de ces activités. Ce n’est pas l’endroit pour se trouver une relation sérieuse, juste s’amuser et lâcher son fou.

Soudain, Danny perdit toute expression. Surtout amicale. Le peu de sourire qu’il lui restait tomba d’un seul coup. Arborant un visage de marbre et d’une voix presque tranchante, il ajouta simplement :

–Je te remercie de ton invitation, très aimable de penser à moi, mais je ne changerai pas d’idée. Je ne me sens vraiment pas sociable aujourd’hui. Je crains d’être de très mauvaise compagnie pour toi. Je risque plus de gâcher ta journée.

–Mais toutes les belles activités qu’ils ont organisées pour nous ? insista Jordan.

À ce moment, des images du passé de Danny lui revinrent en tête. De douloureux souvenirs le rattrapaient et un état de peur panique qu’il n’avait pas ressenti depuis des années s’empara de lui. Il y revoyait des activités du genre, où les autres enfants en profitaient pour rire et s’amuser ferme… à ses dépens. Il était le bouc émissaire. Il était toujours pris pour cible en ces occasions. Les humiliations qu’il y subissait sans pouvoir se défendre, et personne vers qui se tourner, le rendaient fou de rage.

Jordan ne devait pas savoir. Il ne devait même pas se douter. Le rythme cardiaque de Danny s’étant accéléré, il avait maintenant des sueurs froides. Son imagination s’emporta et il crut un moment que le danger était présent à nouveau. Même s’il n’était pas face à la situation, il envisageait sa possibilité. Il se l’imaginait comme s’il était sur le point de la revivre. Il devait se débarrasser de ces idées, de ces souvenirs humiliants et de la présence de Jordan au plus tôt, avant de lui mettre la puce à l’oreille et qu’il ne se mette à poser d’autres questions. Il ne voulait pas non plus lui faire de mal, car ce n’était pas de sa faute. Il ne pouvait savoir. Il reprit alors, en espérant être clair face à Jordan.

–Justement, je déteste toutes ces sottises. Je ne me suis pas inscrit ici pour m’amuser, mais pour étudier, et prendre soin de ma famille par la suite.

Maintenant, Danny n’avait pas seulement un visage de marbre. Il avait un regard carrément menaçant et son timbre de voix trahissait l’exaspération. C’était sorti plus dur qu’il ne le voulait, et voyant l’air dévasté de Jordan il se calma enfin, puis reprit, non sans laisser entendre un profond soupir.

–Excuse-moi si je suis un peu rude. Tu es d’un tempérament beaucoup plus sociable et je ne me sens pas très bien, là. Allez, vas-y. Va t’amuser.

Pratiquement lancées comme un ordre plus qu’un conseil, les paroles de Danny convainquirent Jordan de ne plus insister. Ce dernier le remercia comme s’il venait d’avoir sa bénédiction et s’éclipsa rapidement.

Plus tard dans la soirée, vraiment plus tard, Jordan rentra dans la chambre. Il y faisait noir. Danny doit sûrement dormir, se dit-il. En essayant de ne pas faire de bruit, c’est en fait tout le contraire qui se produisit. Il trébucha sur quelque chose, perdit l’équilibre et se retrouva allongé par terre.

–Merde, grommela-t-il.

–T’en fais pas, je ne dors pas.

–Tu dis ça pour me rassurer ? Je viens de te réveiller là ?

–Non, c’est la pure vérité. Je viens juste de m’étendre. J’ai pratiquement lu la moitié d’un bouquin. Très intéressant en passant. Je ne pouvais m’en extirper. Et toi, à ce que je constate, tu as eu du mal à t’en extirper aussi. Je parle de la fête, bien entendu.

–Eh bien oui, c’est un peu vrai, répondit Jordan en ayant peine à se relever.

–Une soirée bien arrosée, à ce que je constate.

Devant le mutisme soudain de son colocataire, Danny poursuivit en soupirant.

–Tu sens l’alcool jusqu’ici. J’espère que tu le supportes bien et que tu ne seras pas malade. Ce n’est pas moi qui te ramasserai.

–Je ne suis pas si ivre que ça et oui, je le supporte à merveille.

Sur ces mots, Jordan s’affaissa sur son lit, tel un arbre que l’on vient d’abattre.

–Jordan ? Jordan, répéta Danny.

Pour toute réponse, un léger ronflement. Danny se leva, maugréa un peu en allant fermer la porte de la chambre que Jordan n’avait même pas pris la peine de clore et il retourna se coucher.

Le lendemain matin, Danny se fit un plaisir de réveiller son ami fêtard. Il le secoua un peu.

–Eh, monsieur party, il est temps de se lever. Oh là, ça ne s’améliore pas avec le temps, tu empestes encore plus qu’hier. Va prendre une douche et te changer. Si bien sûr tu veux y assister à ton cours de ce matin.

–Non, je ne veux assister à rien, bougonna Jordan en se couvrant partiellement avec les draps.

–Allez, tu te lèves et tu vas te laver, ou c’est moi qui le fais, comme si j’étais ta mère.

Feignant de joindre l’acte à la parole, Danny s’avança vers Jordan. Celui-ci se leva à contrecœur comme s’il avait peur de son ami. Il trébucha au pied du lit, se releva non sans peine et se dirigea vers la salle de bains.

–Ok, ok, j’y vais. Mais c’est juste pour toi. Juste pour que tu ne sois pas seul en cours, et pour te protéger du méchant professeur qui donne de terribles devoirs.

–Allez, tu ne sais même pas ce que tu dis. Va te dégriser un peu et on en reparlera tout à l’heure.

Au sortir de la salle de bains, Jordan avait déjà meilleure mine.

–Tu sais, Danny, je ne suis pas saoul du tout, là. Un peu hier, mais là, tout va bien. Comme s’il ne s’était rien passé hier.

–Super !

–Oh, mais ne crie pas si fort, je ne suis pas sourd.

–J’ai à peine murmuré. Comme s’il ne s’était rien passé hier, hein ? C’est ça.

Pour le cours de la matinée, le professeur Morales semblait le faire exprès. Il étira la sauce le plus longtemps possible. Probablement bien au fait que les étudiants avaient fait la fête la veille, il s’en donna à cœur joie pendant son cours de morale. Alors que Danny semblait être le seul à ne pas en être incommodé, le reste de la classe regardait impatiemment tourner les aiguilles de l’horloge. L’enseignant prit jusqu’à la dernière fraction de seconde qui lui était permise de prendre avant de remercier les élèves.

Sur l’heure du midi, les deux colocataires allèrent déjeuner à la même petite cantine à hot-dogs de la veille. Alors que Danny commandait un déjeuner plutôt colossal, Jordan se contenta d’un léger trio, plutôt simple.

–À ce que je constate, tu supportes bien l’alcool, mais le lendemain de veille est plutôt difficile.

–Rigole toujours, je me rattraperai bien le jour où ce sera toi qui auras la gueule de bois.

–Ce n’est pas demain la veille, mon cher ami.

–Ne me dis pas que tu ne te saoules jamais ?

–À vrai dire, je ne l’ai jamais fait.

–Tu sais que tu es bizarre toi. Tu viens de quelle planète déjà ?

–Je n’en ai tout simplement pas eu l’occasion. Ni vraiment l’envie, à vrai dire.

–Dis-moi donc ce qui fait que tu n’en aurais jamais eu l’occasion et encore moins l’envie ?

–Tu te rappelles, je devais m’occuper de ma famille ? Les occasions de fêter et l’envie étaient plutôt rares et quand cela pouvait se présenter, la raison et le budget nous ramenaient vite à l’ordre. Nous ne pouvions pas réellement nous le permettre… dans notre famille.

Cette dernière phrase mit un peu mal à l’aise Jordan. Se rappelant très bien les dernières années où celui-ci profitait pleinement de la vie, expérimentant d’un assez jeune âge les sorties entre amis et les fêtes. Il se vit comme un enfant gâté comparé à Danny, où la vie ne semblait guère lui avoir fait de cadeau sur ce point. Ce dernier semblait même venir d’un milieu plutôt défavorisé financièrement.

–Désolé, Danny. Je me sens un peu mal. Tu as eu une vie beaucoup plus difficile que moi, c’est évident.

–Tu n’as pas à t’excuser. Ce n’est pas ta faute. J’espère juste que tu me comprends mieux. De toute façon, même si j’en avais l’occasion, je ne crois pas que je me laisserais aller jusqu’à me saouler. Je préfère garder toutes mes facultés au cas où quelque chose arrive. Par exemple, une situation d’urgence à laquelle je pourrais toujours répondre adéquatement.

–C’est pour ça que tu n’es pas un gars qui fait la fête ?

–Entre autres.

Sur ces paroles, Danny sembla songeur et Jordan sentit bien la portée des mots « entre autres », qui voulait très clairement signifier qu’il y avait bel et bien autre chose. Il changea donc de sujet.

–Cet après-midi, c’est notre cours optionnel où l’on n’est pas ensemble. Tu te sens assez fort pour passer au travers sans mon aide ?

–Très drôle.

–C’est bien le tai-chi ?

–Exactement. Respiration, mouvement, concentration et relaxation.

–Et moi qui ai pris un cours de philosophie. Quelle journée ! À quoi ai-je bien pu penser pour vouloir me martyriser comme ça ?

–À ta maman qui veut que tu vendes des voitures.

–Ah, bon. C’est vrai, tu as raison. C’est une bonne, très bonne raison.

–Tu me diras ce soir si « être ou ne pas être » est LA question.

Les deux amis se mirent à rire de bon cœur. L’atmosphère était maintenant détendue.

Puis, pendant que Danny apprenait une séquence de gestes lents, mais précis, ainsi qu’à contrôler sa respiration, Jordan écoutait le professeur Mitchell exposer son idée sur la pertinence de l’existence de l’être humain dans l’univers. À sa grande surprise, Jordan ne somnolait pas du tout et se trouva pris d’un réel intérêt pour les propos du professeur. On aurait dit que toutes traces de sa virée d’hier s’étaient totalement dissipées. De plus, au contraire du professeur Morales, le professeur Mitchell semblait intéressant, car il paraissait intéressé à donner ce cours. Une certaine énergie semblait émaner de cet individu qui ne laissait aucun temps mort. Il avait la capacité d’impliquer les étudiants dans la conversation. Car c’en était bel et bien une, de conversation. Loin d’être un monologue qu’il tenait devant tous ces étudiants, régulièrement, il pointait un élève en lui demandant :

–Qu’en pensez-vous ? Dites ce que vous pensez réellement, maintenant, sans trop y réfléchir quand même. Il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse. Il y a votre réponse. Dites-le simplement, nous en discuterons par la suite.

En procédant ainsi, il ouvrait la porte à la réflexion sur la pensée elle-même de l’homme. Car la réflexion débouchait sur une réponse différente, amenant une nouvelle réflexion et ainsi de suite. Plusieurs fois, le regard du professeur et celui de Jordan se croisèrent, mais sans jamais que ni l’un ni l’autre ne pose de question. Les premières fois, Jordan se sentit un peu mal à l’aise et se demanda pourquoi. Par contre, plus le cours avançait, plus il observait que l’enseignant répétait ce manège avec d’autres élèves. Celui de regarder droit dans les yeux de quelqu’un sans lui adresser la parole ou lui poser de question. Mais ce qu’il ne remarqua pas, c’est qu’à la sortie de la classe, le professeur Mitchell ne concentra son attention que sur Jordan et qu’il le suivit du regard jusqu’à ce que ce dernier ne soit plus à portée de vue.

Le temps passa, les cours se succédèrent de jour en jour, et une certaine routine s’installa. Jusqu’au jour où…