La dernière vie de Pierre - Philippe L'Huillier - E-Book

La dernière vie de Pierre E-Book

Philippe L'Huillier

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Beschreibung

S'exiler loin de la civilisation pour un nouveau départ...

Pour prendre du recul sur sa vie passée et réfléchir à son futur, Pierre décide de s'isoler sur une île perdue au milieu du Pacifique, aux antipodes de la civilisation, de son modernisme et de sa vie effrénée. Ce paradis est habité par une population primitive refusant tout ce qui vient de l’extérieur, et ce, quel qu’en soit le domaine. Pourtant, Pierre va réussir à se faire adopter par ce peuple. Il vivra alors selon ses coutumes et découvrira un mode de pensée qui le conduira à renoncer à tout ce qu’il connaissait jusqu’alors.
Nouvelles aventures, nouvelle vie, nouvel amour pour un nouveau bonheur, mais pour combien de temps ? Une fois de plus la nature sera-t-elle plus forte que l’être humain ?

Un roman captivant qui pousse à la réflexion.

EXTRAIT

Le navire marchand stoppa ses machines assez loin finalement de la côte. Le capitaine lui expliqua alors qu’il n’existait pas d’infrastructure pouvant permette à un bateau de cette taille d’accoster. De plus les fonds n’étaient pas suffisamment profonds pour approcher plus près de l’île et les seuls endroits où la profondeur aurait été suffisante, il n’y avait aucune possibilité d’accoster à cause de rochers tombés çà et là des falaises du littoral. C’était une île volcanique et la nature avait fait en sorte de la protéger d’une certaine façon du monde extérieur. Dans les faits, le navire venait régulièrement toutes les trois semaines environ pour approvisionner deux missions scientifiques américaines. La première était venue étudier les trois volcans sous-marins qui entouraient l’île et l’autre était venue étudier la faune, la flore mais surtout le mode de vie de cette population retirée de notre monde civilisé. Il lui avait fallu d’ailleurs obtenir certaines autorisations du gouvernement américain pour pouvoir envisager de séjourner sur cette île.

Quand il posa le pied sur l’île, il comprit instantanément qu’il était au bon endroit, qu’il avait fait le bon choix de venir ici seul et loin de tout.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Paris dans un milieu modeste, Philippe L’Huillier suit des études qui le conduiront à évoluer dans le monde des chiffres et de la finance.
Cependant, très vite, le besoin de s’évader se fait ressentir. Il se passionne pour la musique, les voyages à travers le monde, et part à la rencontre de nouvelles cultures. Puis, il se tourne vers l’écriture, s’adonne à la méditation, et pratique le chamanisme.
Aujourd’hui, il publie son premier roman, et s’embarque dans une toute nouvelle aventure.

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Philippe L’HUILLIER

La dernière vie de Pierre

Roman

CHAPITRE 1

LA RENCONTRE

Il arriva seul sur cette plage. Il était enfin en vacances. Il allait enfin pouvoir se reposer. Après une longue période de chômage, il avait compris que s’il ne créait pas lui-même son emploi, il resterait sur le ban de la société. Alors il avait décidé de créer sa propre société de conseils. Et pour se donner toutes les chances de réussir, il avait travaillé sans relâche pendant près de trois ans, délaissant parfois ses amis, délaissant souvent sa vie privée. Maintenant son cabinet tournait bien. Son professionnalisme était reconnu. Il gagnait très correctement sa vie. Il décida alors pour la première fois depuis longtemps de marquer une halte et de faire une pause qu’il estimait bien méritée. Fatigué par ces longs mois de travail, il opta pour une destination la plus éloignée possible de son cadre de vie habituel, recherchant le dépaysement, le calme, et, dans la mesure du possible, un éloignement de toute la sphère informatique et téléphonique pour être quasiment sûr de ne pouvoir être joint par téléphone.

C’est à la suite d’un reportage à la télévision qu’il avait trouvé sa destination de vacances. Un petit coin de paradis. Une petite île perdue au milieu du Pacifique, accessible uniquement par bateau car trop petite pour pouvoir accueillir un aérodrome bien en dessous d’Hawaii. Le trajet avait été long pour y arriver depuis Lyon ! Un premier avion jusqu’à Francfort puis un second jusqu’à Los Angeles et enfin un troisième jusque Honolulu. Vingt-quatre heures de voyage et douze heures de décalage horaire. À son arrivée sur Honolulu, il avait dû attendre une journée avant de pouvoir embarquer sur ce navire marchand qui approvisionnait l’île depuis qu’elle avait été découverte et que les hommes avaient cru utile de tenter de civiliser la population qui y vivait à l’écart de tout progrès technologique ou d’une quelconque science qui aurait pu venir nuire à leur mode de vie. La durée de la traversée était de quatre jours et quatre nuits si la météo était clémente. Enfin à l’aube du cinquième jour de navigation, il était arrivé sur cette île dont il ne connaissait que ce dont il se souvenait du reportage télévisuel d’il y a plusieurs mois déjà.

Pendant la traversée, le capitaine ou les marins lui avaient demandé pourquoi il souhaitait passer presque quatre semaines sur cette île avec une population dont finalement nous ne savions pas grand-chose si ce n’est qu’elle était constituée d’à peine un millier d’individus, vivant quasiment nus, avec les seules ressources produites par l’île et refusant toute idée de progrès et de technologie. Il n’était ni médecin ni scientifique, alors pourquoi avait-il choisi cette destination du bout du monde ? Il ne sut pas vraiment quoi leur répondre si ce n’est qu’il avait justement envie de s’éloigner le plus possible de ce monde agité et parfois violent dans lequel il vivait au quotidien et qu’il souhaitait retrouver d’une certaine façon et pour un temps, un mode de vie des plus simples qui soit, quitte à renouer avec une existence presque primitive. Mais dans son for-intérieur, il savait que sa démarche était plus profonde que cela. Il avait besoin de faire le point avec lui-même, sur sa vie, sur son devenir et il voulait trouver pour cela un endroit simple, sauvage, dénué de tout, ou nul ne viendrait perturber sa réflexion.

Le navire marchand stoppa ses machines assez loin finalement de la côte. Le capitaine lui expliqua alors qu’il n’existait pas d’infrastructure pouvant permette à un bateau de cette taille d’accoster. De plus les fonds n’étaient pas suffisamment profonds pour approcher plus près de l’île et les seuls endroits où la profondeur aurait été suffisante, il n’y avait aucune possibilité d’accoster à cause de rochers tombés çà et là des falaises du littoral. C’était une île volcanique et la nature avait fait en sorte de la protéger d’une certaine façon du monde extérieur. Dans les faits, le navire venait régulièrement toutes les trois semaines environ pour approvisionner deux missions scientifiques américaines. La première était venue étudier les trois volcans sous-marins qui entouraient l’île et l’autre était venue étudier la faune, la flore mais surtout le mode de vie de cette population retirée de notre monde civilisé. Il lui avait fallu d’ailleurs obtenir certaines autorisations du gouvernement américain pour pouvoir envisager de séjourner sur cette île.

Quand il posa le pied sur l’île, il comprit instantanément qu’il était au bon endroit, qu’il avait fait le bon choix de venir ici seul et loin de tout.

Il fut accueilli en premier lieu par le chef de la mission scientifique en charge des fonds volcaniques sous-marins. Ce dernier le toisa d’un air suspicieux, se demandant clairement pourquoi un français, non scientifique de surcroit, venait passer un mois dans cet endroit reculé du monde loin de toute civilisation moderne. Bien que prévenu par les autorités d’une part, et par le capitaine du navire d’autre part, il vérifia néanmoins les documents officiels délivrés par l’administration américaine autorisant le porteur desdits documents à séjourner sur l’île et à s’y promener et y vivre comme bon lui semblerait. L’incompréhension était palpable au même titre que les tensions qui pourraient naître entre ces deux hommes s’ils devaient cohabiter. Heureusement il n’en serait rien. Après un rapide petit-déjeuner et sous une chaleur qui commençait déjà à être significative malgré l’heure matinale, il dut attendre trois heures pour que le responsable de l’autre mission plus humaniste à défaut d’être humanitaire ne vienne le chercher. Le contact fut de suite beaucoup plus cordial. Visiblement ce dernier comprenait la quête de ce visiteur français et il était ravi de pouvoir échanger quelques mots dans la langue de Molière, lui qui, bien qu’étant originaire du Texas, avait une mère née française qui lui avait imposé de parler les deux langues.

Dereck, le chef de mission lui expliqua qu’il n’y avait aucune structure touristique d’accueil de quelque nature qu’elle soit sur l’île et que s’il voulait il pouvait rester dans la mission, dans une tente qui serait mise à sa disposition. L’autre possibilité qui lui était offerte était de s’installer dans une tente laissée près du principal village de l’île sur le rivage complètement à l’opposé du campement des missions scientifiques. Cette tente était restée installée là-bas pour éviter de la transporter à chaque fois que les scientifiques devaient se rendre sur place pour étudier la population locale ou la faune et la flore environnantes. Pierre choisit la deuxième solution et le chef de mission l’y conduisit dans l’après-midi.

Fatigué par son long voyage pour arriver jusque-là et ne sachant pas vraiment ce qu’il allait finalement trouver ni de quelle façon il allait vivre, il demanda au chef de la mission de pouvoir prendre une douche avant de partir, ne serait-ce que pour se détendre un peu mais surtout faire un brin de toilette ne sachant pas ce qu’il y aurait sur place dans ce domaine. Il commença alors à penser qu’il avait été un peu fou de vouloir vivre si loin de toute civilisation et de tout modernisme mais très vite il se ressaisit en pensant que pour une fois dans sa vie, il allait sans doute vivre une aventure extraordinaire et, tout compte fait, en dehors d’un repos bien mérité, c’était ce qu’il était venu secrètement chercher en venant ici dans ce territoire inconnu il y a encore peu de temps.

Il se déshabilla et apprécia pleinement cette douche fraîche alors que la température extérieure était déjà élevée. Sentir cette eau couler sur sa peau lui procura un bien-être auquel il ne savait pas quand il pourrait de nouveau goûter. Cela fut bref car on lui avait précisé que l’eau non salée ici était une denrée rare et qu’il fallait l’économiser. Il enroula une serviette autour de sa taille et alla s’étendre sur une sorte de chaise longue, visiblement fabriquée de toutes pièces avec les moyens du bord qui se trouvait à l’arrière du bâtiment de la mission scientifique. Il remarqua alors les odeurs enivrantes qui berçaient l’atmosphère des lieux. Un mélange de saveurs fruitées et florales qu’il ne reconnaissait pas vraiment. Il avait bien quelques idées mais se serait bien gardé de les exprimer car le doute persistait. Il ferma les yeux pour mieux encore profiter des odeurs qui l’entouraient. Seul le bruit éloigné du moteur du groupe électrogène qui générait l’électricité de la station lui parvenait comme un doux ronronnement. Il s’assoupit et finit par s’endormir.

Dereck vint le réveiller environ deux heures après. Il sourit de voir ce Français quasi nu, avec juste une serviette autour de la taille dormir ainsi sur un siège finalement pas si confortable que cela et il pensa que ce dernier devait être très fatigué pour pouvoir dormir ainsi avec si peu de confort. Lui qui connaissait, pour les avoir étudiées, les conditions de vie qu’attendait ce visiteur un peu particulier, se fit la réflexion que s’il était capable de dormir dans de telles conditions, il pourrait déjà plus facilement s’adapter à la nouvelle condition de vie qu’il s’était choisie pour ce mois de vacances peu ordinaire. Dereck se demanda par ailleurs pourquoi mais surtout ce que cherchait cet homme qui semblait avoir les pieds sur terre et une intelligence certaine, pour venir ici.

Il se réveilla et était assez confus de s’être endormi ainsi dans cette tenue si légère au milieu d’hommes et de femmes qui s’agitaient professionnellement. Finalement il prit le parti d’en rire avec celui qui était venu le réveiller pour déjeuner avant de prendre la route pour rejoindre le village en question. Il mit des vêtements propres, plus légers et plus adaptés au climat local avant de se rendre au réfectoire où l’ensemble du personnel de la mission scientifique était déjà attablé. Son arrivée fut soulignée par un soudain silence et il dut supporter tous les regards interrogateurs pour ne pas dire inquisiteurs qui se tournaient vers lui. Dereck, se rendant rapidement compte de la situation prit la parole pour le présenter et expliquer à ses collègues qu’il ne faisait que passer et qu’il allait dès la fin du repas l’accompagner à l’autre bout de l’île dans le village principal où il allait passer un peu plus de trois semaines. Dereck en profiterait pour procéder par ailleurs aux relevés des différents instruments d’étude laissés sur place. Puis il l’invita à sa table pour partager un repas composé de poisson, de légumes et de fruits, le tout, venant essentiellement de l’île. Le repas terminé ils partagèrent un moment en tête-à-tête autour d’une tasse de thé. Dereck lui expliqua qu’avant de partir ils devaient passer par la pharmacie afin de lui donner des médicaments pour se soigner au cas où et qu’ils partiraient ensuite rejoindre le village. Au cours du trajet il lui expliquerait ce qu’il pouvait s’attendre à trouver sur place de la part des habitants locaux, ce qu’ils avaient pu observer déjà de leur mode de vie et lui enseigner quelques bribes de langage qu’ils avaient pu comprendre et apprendre auprès de cette population depuis maintenant quasiment une année de contacts répétés. Cela lui serait bien utile une fois sur place pour pouvoir vivre, évoluer et se faire comprendre dans les meilleures conditions possible.

Pierre se souvenait parfaitement bien du reportage télévisuel qui l’avait décidé à venir ici, à la rencontre de cette population dont le mode de vie respirait la sérénité et le bonheur. Mais il n’en dit rien à Dereck. Il voulait se rendre compte ainsi des différences éventuelles de ce que l’on peut nous montrer à la télévision et la réalité du terrain. Ils roulèrent pendant trois bonnes heures sur une piste très chaotique avant d’arriver dans une petite crique où se trouvait le hors-bord qui allait les amener sur la plage au plus près du village, de l’autre côté de l’île. La traverser par les terres aurait pris trop de temps et Dereck voulait arriver au campement de base avant la nuit. Pierre aurait tout le loisir pendant son séjour de s’enfoncer dans cette végétation luxuriante pour la découvrir. Le seul point d’eau potable de l’île étant une cascade qui partait du haut de cette petite montagne, sans nul doute un ancien volcan n’étant plus en activité, du centre de l’île et qui devenait une rivière allant se jeter dans l’océan à quelques centaines de mètres de l’endroit où était installé le campement de la mission scientifique. C’est d’ailleurs cette particularité géographique qui avait incité la mission à s’installer à cet endroit.

Pierre apprit que cette peuplade avait un très grand respect pour tout ce qui venait de l’océan. Elle craignait un peu ce fort élément de la nature qui les entourait, ne sachant pas ce qu’il pouvait dissimuler mais surtout ce qu’il y avait de l’autre côté de l’horizon. Ce n’était pas un peuple de marins. Aucun d’entre eux d’ailleurs ne semblait savoir nager. Et finalement pourquoi auraient-ils voulu quitter cette île qui subvenait à tous leurs besoins ? Ils vivaient ici depuis toujours, en complète autarcie et en parfaite harmonie avec la nature mais surtout avec eux-mêmes. Ils avaient certes des croyances, transmises de génération en génération par les anciens qui formaient, éduquaient et enseignaient aux plus jeunes. Ils ne savaient ni lire ni écrire mais de toute façon ils n’en avaient pas besoin. Cependant ils avaient une remarquable intelligence qui avait permis à beaucoup d’entre eux d’apprendre rapidement quelques éléments du langage de ces étrangers qui étaient venus sur leur île et ce qui leur permettait d’échanger un peu et ce, bien qu’ils refusent catégoriquement toute aide, tout élément de modernisme de quelque nature que ce soit. Ils avaient refusé tous les cadeaux qui leur avaient été offerts, n’en trouvant aucune utilité dans leur mode de vie. Bien qu’accueillants, pacifiques et finalement très agréables, ils avaient cependant toujours refusé l’accès de leur village et de leur maison à tout étranger, toute personne ne souhaitant pas partager leur mode de vie et leur culture. De ce fait, le camp de base de la mission se trouvait à l’extérieur de l’enceinte du village, à quelques centaines de mètres.

Le fait d’arriver par l’océan donnait à Pierre et Dereck une aura de respect du point de vue de ces gens car tout ce qui venait de l’océan à leurs yeux méritait le respect, peut-être par crainte, peur de l’inconnu ou tout simplement par méconnaissance. En l’écoutant, Pierre repensait au reportage. Cette population ne vénérait aucun dieu ni aucune divinité mais pratiquait un certain nombre de rituels qui ressemblaient étrangement aux rituels chamaniques. Pierre se sentait tout à fait à l’aise avec cela car il pratiquait lui-même ce type de rituels. Il avait découvert il y a quelques années de cela le chamanisme lors d’un festival international qui se déroulait tous les ans près de Dole dans le Jura et avait de suite adopté cette philosophie. Il savait combien il était important de respecter la nature, de remercier la terre mère et le ciel père pour leurs bienfaits et il se disait que cela l’aiderait sans nul doute à entrer plus facilement en contact avec cette population qu’il avait déjà hâte de découvrir. Il écoutait à peine ce que lui disait son guide sur ce peuple. Il le savait déjà. Une phrase cependant attira grandement son attention. Dereck lui dit que ces gens étaient tous beaux, hommes, femmes et enfants, physiquement bien sûr mais ce n’était pas le plus important. Ils étaient tous beaux dans leur âme, leur façon de vivre de se comporter les uns vis-à-vis des autres et dans leur soif d’apprendre et de partager. Pierre trouva que ces paroles dans la bouche d’un scientifique à l’esprit très cartésien, prenaient une autre dimension.

Alors qu’ils pensaient accoster seuls sur cette plage de laquelle ils prendraient un chemin qui les mènerait jusqu’au camp de base, ils eurent la surprise de voir que non seulement ils semblaient être attendus par un petit groupe d’une dizaine de personnes mais qu’en plus il semblait régner une certaine agitation tout à fait inhabituelle pour cette population. Le chef du village était là. C’était un très vieil homme auquel il aurait été bien difficile de donner un âge. On pouvait penser cependant qu’il pourrait avoir entre soixante-dix et quatre-vingts ans. Il se nommait Tunpim et était bien sûr fort respecté par l’ensemble de son clan. Son fils Gao était là aussi, beaucoup plus jeune bien sûr, entre trente et quarante ans sans doute. Dereck désigna ensuite celui qu’il appelait le sorcier ou le guérisseur mais qui dans la réalité des faits, Pierre le découvrirait plus tard était le chaman du village. Ils étaient accompagnés de trois autres hommes du village et de deux femmes tenant par la main chacune deux jeunes enfants.

Pierre les observa en silence avec un œil bienveillant et le sourire aux lèvres. Il était vrai que toutes et tous avaient une beauté physique parfaite. Dereck sur ce point ne s’était pas trompé. Leur beauté et les lignes parfaites de leurs corps étaient d’autant plus faciles à voir qu’ils ne portaient quasiment aucun vêtement pour dissimuler leurs formes. Les femmes avaient pour seul vêtement une sorte de paréo autour de la taille qui leur descendait jusqu’à mi-cuisse. Les hommes eux ne portaient qu’un pagne de forme triangulaire qui cachait juste leur sexe laissant à l’air libre leur fessier. Le chef du village portait en plus une sorte de couronne végétale sur la tête et un collier de coquillages et de morceaux de bois. Son fils portait le même collier mais sans la couronne végétale quant au sorcier, il avait lui, une couronne de plumes ainsi que des petites lianes autour des poignets et chevilles en guise de bracelets.

Dereck fit s’échouer le hors-bord sur la plage et Pierre et lui sautèrent sur le sable fin et chaud. À cet instant précis, tous se turent et dans un silence presque assourdissant regardèrent leurs visiteurs s’approcher d’eux. Dereck compris alors que quelque chose d’important avait dû se passer car c’était bien la première fois qu’il recevait un tel accueil. Il en fit part immédiatement à Pierre en lui conseillant de ne rien dire dans un premier temps, voire d’être quelque peu sur ses gardes. Tunpim, suivi quelques pas derrière lui de son fils Gao, s’approcha et Dereck et lui se saluèrent comme ils avaient a priori coutume de le faire. Puis ce fut au tour de Gao et enfin du chaman de s’incliner respectueusement devant ces visiteurs venus de l’océan. Avant que Dereck n’eut le temps de présenter Pierre, Tunpim prit la parole et il expliqua que le chaman avait eu une vision et qu’il savait que l’homme de la mer viendrait aujourd’hui accompagné de l’homme peint, que c’était pour eux un immense privilège de le recevoir et c’est pour cela que les membres les plus importants du village étaient là pour les accueillir sur la plage.

Dereck se demanda un instant pourquoi ils appelaient Pierre l’homme peint. Puis en se retournant vers Pierre qui était, selon ses conseils, resté quelque peu en arrière, il comprit aussitôt. Se remémorant Pierre endormi au sortir de sa douche le matin, il avait pu constater que celui-ci avait plusieurs tatouages. L’un partait de sa hanche droite pour descendre tout le long de sa jambe jusqu’à sa cheville. L’autre partait de son coude gauche, remontait sur l’épaule pour redescendre ensuite vers le milieu du dos. Ils n’avaient encore jamais eu l’occasion de voir un homme avec des tatouages maoris et c’est pour cela qu’ils l’appelaient l’homme peint ! Le sorcier avait donc une fois de plus vu juste et il se demandait bien comment il avait pu deviner et voir cela. Il fit signe alors à Pierre de le rejoindre et lui expliqua en français, langage que ne comprenait pas cette population, ce qu’il venait d’apprendre.

Pierre décida alors de se diriger vers Tunpim et il s’inclina respectueusement devant lui avant de lui tendre la main. Hésitant, Tunpim tendit à son tour la main. Pierre la saisit et donna une chaleureuse accolade à Tunpim. Il fit le choix de faire la même chose avec Gao. Pour le chaman, il eut une attitude tout aussi respectueuse mais différente. Il s’inclina devant lui ; lui tendit la main et quand le chaman lui tendit la sienne, il mit un genou à terre et posa la main du chaman sur sa tête. Il ne savait pas vraiment pourquoi il avait fait cela. Cela lui paraissait naturel et le chaman sembla fort apprécier ce geste distinctif d’une personne étrangère qui reconnaissait ainsi ses pouvoirs. Dereck fut fort surpris de voir Pierre se comporter de la sorte et il commença sérieusement à se demander qui était réellement ce Français venu sur cette île, qui visiblement semblait connaitre les rituels d’une population encore inconnue et qui avait de suite trouvé les bons gestes en fonction de ses interlocuteurs. Il se dit alors que si Pierre avait été à ses côtés depuis le début de son étude de cette population, ses travaux auraient sans nul doute avancé beaucoup plus rapidement et que grâce à lui, il allait peut-être avoir des réponses aux nombreuses questions qu’il se posait encore sur ces gens. Tunpim présenta les autres personnes venues les accueillir puis le petit groupe se mit en marche vers le campement de base de la mission scientifique. Gao avait voulu porter le sac de Pierre et se tenait à ses côtés pendant le trajet. Tunpim ouvrait seul la marche. Dereck et le chaman suivaient Pierre et Gao et les autres membres du groupe qui étaient allés chercher le reste des sacs et matériel de Dereck fermaient la marche.

Après un bon quart d’heure de marche, le petit groupe arriva enfin au campement de base. Dereck ouvrit la tente et s’y engouffra rapidement. Tunpim, Gao et tous les autochtones se contentèrent de déposer les affaires qu’ils avaient portées à l’extérieur de la tente et reculèrent précipitamment de trois ou quatre pas comme s’ils avaient peur d’être atteints de quelque façon que ce soit par la technologie se trouvant dans la tente. Pierre s’amusa intérieurement de cette attitude mais prit bien soin de dissimuler à ceux qui seraient ses hôtes pendant un peu plus de trois semaines, son amusement de la situation. Il pénétra à son tour dans la tente, aidant à y entrer toutes les affaires apportées dont les siennes. C’était une tente carrée comme il avait pris l’habitude d’en voir dans les longs-métrages américains lorsque l’armée se déployait dans une contrée étrangère. Une partie était remplie de tables recouvertes d’instruments en tout genre. À l’opposé se trouvaient trois lits de camp et autant d’armoires destinées sans doute à accueillir temporairement les scientifiques à chaque fois que nécessaire. Enfin un coin cuisine avec réchaud à gaz, tables chaises et armoires enfermant le strict nécessaire en matériel de cuisine finissait de garnir ce campement somme toute d’un confort très spartiate. Dereck expliqua ensuite que pour tout ce qui était hygiène corporelle, ils avaient l’habitude de se rendre à une dizaine de minutes de marche, dans la rivière qui passait tout près puis il lui montra le fonctionnement des toilettes sèches installées un peu à l’écart de la tente sur le chemin qui menait à la rivière.

Tunpim et son peuple étaient toujours là. Dereck expliqua alors qu’il était habituel que le jour de leur arrivée, le repas soit pris en commun ce qui permettait entre autres de continuer à échanger et apprendre réciproquement le langage de l’autre. Pierre trouva l’idée fort plaisante. Ce premier repas pris ensemble fut composé de poisson et de légumes qu’il ne connaissait pas et de fruits exotiques qu’il avait en revanche déjà eu l’occasion de déguster lors de ses précédents voyages. Ce repas fut accompagné non pas d’un grand millésime mais d’une boisson chaude qui ressemblait à du thé. Pierre se demandait sincèrement si cela pouvait en être réellement car il n’imaginait pas comment ces Indiens, c’est comme ça qu’il se décida de les appeler, auraient pu avoir la connaissance de la préparation du thé. Tunpim, Gao et toute sa tribu prirent finalement congé et rejoignirent leur village protégé par cette grande palissade et Pierre et Dereck se retrouvèrent enfin seuls.

Pierre épuisé par la fatigue accumulée ces dernières années, ce long voyage pour arriver jusqu’ici et l’impact des douze heures de décalage horaire, manifesta très vite l’envie d’aller dormir. Il tira de son sac à dos, non pas un duvet mais ce qu’il appelait familièrement son sac à viande. Il s’agissait en fait d’un sac de toile très légère qui lui ferait office de drap et le protégerait des insectes éventuels qu’il pourrait y avoir ici la nuit. Habituellement, les moustiques avaient plutôt tendance à l’ignorer mais ici, il ne savait pas ce qu’il pourrait trouver. Cela fit bien rire Dereck qui lui fit remarquer que pendant tout le trajet ou le diner autour du feu de camp, aucun insecte de quelque nature n’était venu perturber ces moments d’échanges. Pierre se déshabilla entièrement, se glissa dans son sac à viande et resta ainsi quelques instants sur le dos, les mains derrière la tête à repenser à tout ce qu’il avait vécu depuis son arrivée sur l’île. Dereck quant à lui ôta seulement ses chaussures et se coucha tout habillé à même la toile de jute du lit de camp. Les deux compères s’endormirent rapidement pour une nuit de sommeil bien mérité et qui serait sans nul doute fort réparatrice.

À cause sans doute de l’effet du décalage horaire, ce fut Pierre qui s’éveilla le premier à moins que ce ne soient les ronflements très sonores de Dereck qui ne l’aient réveillé. Il n’avait aucune idée de l’heure qu’il pouvait bien être. Il avait perdu l’habitude de porter une montre et n’avait pas pensé à en prendre une. Habituellement c’est sur son téléphone portable qu’il prenait l’heure mais ce dernier n’avait plus de batterie et il ne savait comment ni quand il pourrait la recharger. Il se dit qu’il ne faudrait pas qu’il oublie de demander à Dereck comment faire. Il sortit de son sac une paire de tongues et un short qu’il enfila puis prit sa serviette de bain et sortit de la tente en essayant de faire le moins de bruit possible afin d’éviter de réveiller son compagnon de route.

Voulant se baigner, il prit l’option de retourner vers l’océan plutôt qu’à la rivière. Il reprit donc le chemin inverse de la veille au soir, bien décidé alors de profiter du paysage sur son chemin, chose qu’il n’avait pas pu faire au milieu du groupe qui l’accompagnait hier. Il y remarqua une végétation dense, odorante et colorée. Sur son passage des oiseaux multicolores s’envolèrent bruyamment. Il arriva seul sur la plage et prit enfin conscience qu’il était en vacances et que non seulement il allait enfin pouvoir se reposer tout en ayant la certitude qu’il allait vivre de grandes choses et que son séjour ici allait lui apporter beaucoup de richesses intérieures. Il était très loin alors de s’imaginer tous les bouleversements profonds qu’il allait vivre et qui allaient à jamais changer sa vie et la perception qu’il avait du monde dans lequel il avait l’habitude de vivre et d’évoluer.

Le sable était déjà chaud. Il décida d’aller jusqu’au hors-bord. Il y déposa sa serviette de bain, ses tongues et son short et c’est nu qu’il pénétra dans l’océan. L’eau était fort claire et agréable et bien que salée, elle lui procura un plaisir certain et il se dit que c’était là un bon moyen de bien commencer sa journée ! Rien de tel qu’un bon bain de mer pour se mettre en forme ! Ancien maître-nageur, apnéiste et pratiquant de façon régulière la plongée sous-marine, il se sentait souvent beaucoup plus à l’aise dans l’eau que sur terre. Il passa donc un long moment à nager, tant en surface que sous l’eau avant de décider de rentrer au campement de base pour y prendre un petit-déjeuner qui serait sans doute frugal et accompagné du même thé qu’hier soir. Au moment de sortir de l’eau, il se rendit compte qu’il n’était plus seul. Gao se tenait debout à côté du hors-bord et l’observait. Un court instant Pierre se demanda si le fait de sortir nu de l’eau n’allait pas le gêner. Puis il se ravisa en constatant que finalement le pagne de Gao ne couvrait qu’une infime partie de son anatomie et qu’après tout ils étaient entre hommes. Cela ne poserait sans nul doute aucun problème. Instinctivement, quand il le vit s’approcher, Gao se recula. Pierre sortit de l’eau, attrapa sa serviette pour se sécher puis enfila son short. Gao ne bougea pas, ne dit aucun mot et se contenta de le saluer de la tête. Pierre lui sourit et lui rendit son salut. Gao lui sourit en retour puis disparut aussi rapidement dans la forêt qu’il était finalement apparu.

Pierre rentra au camp de base et contre toute attente c’est une bonne odeur de café qui l’accueillit. Dereck, réveillé, était allé chercher de l’eau à la rivière pensant y trouver Pierre. Comme il ne l’avait pas trouvé il avait immédiatement pensé qu’il était parti à l’océan et ne s’était pas inquiété plus que ça. Il avait sorti de son sac un bocal de café soluble, avait fait bouillir de l’eau et avait donc préparé un café. Il avait sorti également de ses affaires un paquet de biscuits qu’il partagea avec Pierre pour le petit-déjeuner et ils mangèrent également une mangue puisqu’il restait des fruits apportés par Tunpim et son peuple la veille au soir. Pierre raconta alors sa brève entrevue avec Gao sur la plage et Dereck parut choqué quand il comprit que Pierre, non seulement s’était baigné nu mais qu’il s’était de surcroit montré nu devant Gao et ce même s’il comprenait qu’il fallait bien que Pierre sorte de l’eau à un moment ou à un autre. Pierre, devant son attitude, préféra ne pas lui dire que pour lui, la nudité n’était pas un problème et que d’ailleurs, quand il était chez lui en France, il pratiquait le naturisme aussi souvent que possible. Il se souvint que cette pratique n’avait pas forcément bonne presse chez les Américains au puritanisme parfois un peu trop poussé à l’extrême.

Pendant les heures qui précédèrent son retour à la mission scientifique, Dereck expliqua à Pierre tout le fonctionnement des différents appareils se trouvant dans la tente et notamment comment se servir de la radio si pour une quelconque urgence, il devait en avoir besoin. Il lui montra ensuite les endroits où il pourrait trouver des fruits pour se nourrir et à quel endroit il lui serait facile de pêcher dans la rivière avec le fusil de chasse sous-marine qui se trouvait dans la tente. Il n’eut pas besoin de lui en expliquer le fonctionnement car Pierre au cours de ses plongées avait déjà eu l’occasion d’utiliser ce genre d’arme. Dereck lui précisa néanmoins qu’il ne devait pas trop s’en faire pour la nourriture car Tunpim leur faisait parvenir quotidiennement de quoi se nourrir. Effectivement, à leur retour de la rivière, Lumi, la plus jeune fille de Tunpim les attendait avec un panier rempli de fruits et de poissons séchés. Pierre se saisit du panier et pour lui signifier sa gratitude s’inclina respectueusement devant elle. Lumi lui rendit sa marque de respect et Dereck fut une nouvelle fois surpris de constater que Pierre avait su visiblement trouver immédiatement la bonne attitude en fonction des circonstances.

Dereck comprit très vite que Pierre serait rapidement accepté par le peuple de Tunpim, Il lui demanda alors de faire le maximum pour se faire accepter par eux et de faire en sorte qu’il puisse entrer dans le village, chose que les membres de la mission n’avaient jamais pu faire, et de lui rendre compte aussi souvent que possible par la radio de ce qu’il y verrait et de ce qu’il y vivrait. Pierre ne lui promit rien mais lui précisa que si tel était le cas, oui il lui ferait sans doute un compte rendu de son expérience, ce qui serait sa façon à lui de le remercier de toute l’aide qu’il lui avait apporté jusque-là. Le moment pour Dereck de rentrer à la mission était venu. Il laissa à Pierre les quelques provisions qu’il avait apportées avec lui comme le café et les biscuits puis ils allèrent tous deux jusqu’à la plage. Pierre aida à mettre le hors-bord à l’eau puis le regarda s’éloigner jusqu’au moment où il ne devint plus qu’un point minuscule à l’horizon. Quand il ne le vit plus, il réalisa qu’il était enfin seul et qu’il pouvait enfin commencer un autre voyage, celui qui le conduirait au plus profond de lui-même.

Après être resté un long moment à contempler l’horizon, il s’en retourna à la tente qui lui servirait de logement pour les semaines à venir. Il ne croisa personne sur son chemin. Visiblement le peuple de Tunpim ne se rendait pas souvent vers cet océan qui semblait le fasciner mais l’inquiéter également. Arrivé dans la tente, il entreprit de ranger ses affaires dans le vestiaire se situant à côté de son lit de camp, puis il fit le point des vivres qui lui restaient et en conclut qu’il pourrait tenir deux voire trois jours, il lui faudrait simplement aller chercher des fruits et de l’eau. Passés ces trois jours il faudrait alors qu’il aille à la pêche et trouver d’autres légumes et fruits. Mais Dereck ne lui avait-il pas dit que le peuple de Tunpim était souvent généreux envers ses visiteurs ? De toute façon il verrait bien. Cela finalement ne l’inquiétait nullement. Sur le petit réveil à piles qui se trouvait parmi les instruments divers posés sur les tables, il se rendit compte qu’il était déjà vingt heures. Il comprit mieux alors son sentiment de fatigue. Il grignota quelques biscuits et deux ou trois fruits. Il décida ensuite de se rendre à la rivière pour s’y baigner un court instant histoire de se dessaler après son passage dans l’océan. Il se glisserait ensuite dans son sac à viande pour sa seconde nuit sur cette île.

À l’approche de la rivière, il entendit des voix et ce qui lui semblait être des rires sans pour autant en être certain. Il ralentit le pas et tendit l’oreille. C’étaient bien des rires et des voix masculines qu’il entendait. Il s’approcha doucement en faisant tout son maximum pour ne pas être vu ni entendu. Il souhaitait découvrir ce qui se passait sans être vu. Il ne se sentait pas pour autant une âme d’espion mais il ne voulait pas être celui qui allait déranger s’il s’agissait d’un rituel de la tribu de Tunpim. Dans la rivière il reconnut Tunpim, Gao et il compta une douzaine d’hommes avec eux. Deux d’entre eux faisaient partie de la délégation qui les avait reçus sur la plage. Il les observa caché à l’abri de grandes fougères. Comme des enfants, les hommes jouaient à s’arroser, s’éclabousser. Du moins c’est ce qu’il pensa dans un premier temps. Dans la réalité des faits, c’était tout autre chose. Après s’être mouillés, ils se penchèrent tous vers le fond de la rivière pour y prendre des pierres noires et ils commencèrent à se frotter avec comme s’ils se savonnaient. Puis par paire, chacun frottait la tête, le dos et les fesses de l’autre. Ainsi Tunpim s’occupa-t-il de son fils puis Gao en fit de même avec son père. Une fois qu’ils furent tous recouverts de cette substance noire, ils s’immergèrent totalement dans l’eau afin de se rincer et ils continuèrent à discuter puis rire entre eux. Pierre bien sûr ne comprenait pas ce qu’ils disaient. Il remarqua par ailleurs qu’aucune femme n’était présente. Au bout de quelques instants, ils sortirent tous de la rivière, les plus jeunes aidant les plus anciens à ne pas glisser. Chacun enfila son pagne et sans se sécher ils reprirent tous le chemin de leur village. Pierre attendit quelques instants qu’ils s’éloignent, puis se mit nu, entra dans la rivière, se lava et repartit aussitôt vers le campement de base. Il se glissa dans son sac de toile et s’endormit quasi instantanément.

Chapitre 2

L’INVITATION AU VILLAGE

Pierre fit une très longue nuit d’un sommeil fort réparateur. Il est vrai que ces derniers jours avaient été intenses. Ce qui le frappa tout d’abord était ce silence qui l’entourait. Pas de bruits de ville, de voiture ou d’activité économique. Pas non plus de cris d’enfants jouant dans une cour de récréation et encore moins de jeunes faisant fonctionner à fond divers appareils diffusant une musique qu’il n’appréciait guère. Petit à petit, son oreille s’acclimata aux nouveaux bruits qui l’entouraient. Le vent dans les feuillages aux alentours, le chant des oiseaux et quelques fois ce qui lui semblait être des cris d’animaux qu’il ne connaissait pas. Aucun bruit qui lui était habituellement familier n’arrivait jusqu’à lui. Puis ce sont les odeurs et les fragrances diverses qui lui parvinrent. Il se dit alors que l’odeur d’un bon café lui aurait été agréable à son réveil. Il décida donc de sortir de son sac de toile pour aller se préparer son petit-déjeuner et eut la surprise de constater que le réveil affichait déjà onze heures trente. Il avait donc dormi près de quatorze heures non-stop ! Cela faisait bien longtemps que cela ne lui était arrivé. Il se demanda même si cela lui était arrivé une fois dans sa vie. Même quand il avait traversé sa longue période de chômage, il s’était toujours contraint à se lever tôt chaque matin pour ne pas tomber dans une léthargie malsaine. Il avala son café et se nourrit de quelques biscuits.

Il entendit qu’on l’appelait au dehors. Il enfila en vitesse son short et ses tongues et ouvrit la tente pour sortir. Il reconnut Lumi la plus jeune fille de Tunpim. Elle le salua respectueusement et lui montra de la main qu’elle lui avait apporté quelques provisions constituées une fois de plus de poisson séché, de légumes et de fruits. Pierre la remercia vivement. Puis avec les quelques mots d’anglais qu’elle connaissait, elle lui fit comprendre qu’il ne devait pas se rendre à la rivière ce soir car il crut comprendre que ce soir la rivière était pour les femmes. Il en déduisit que le rituel du bain qu’il avait vu hier soir avec les hommes se ferait ce soir avec les femmes. Il commençait à découvrir quelque peu le mode de vie de ces gens et se demandait si la mission scientifique avait eu connaissance de ce rituel et si, comme lui hier soir, ils avaient pu y assister à défaut d’y participer.

Lumi était une très belle jeune femme à qui il s’interdisait de donner un âge tant il était difficile pour lui de se faire une opinion sur ce point. Elle avait un corps parfait selon lui qui aurait fait pâlir de jalousie un certain nombre de ses connaissances européennes ! Comme la veille, elle ne portait que son paréo autour des hanches. Ses cheveux étaient attachés et elle portait un peu à la manière tahitienne une fleur d’hibiscus dans les cheveux au-dessus de son oreille droite. Il l’observa quelques instants et s’aperçut qu’elle portait comme des petites cicatrices au-dessus de son sein gauche. Ces petites cicatrices représentaient un motif dont il ignorait la signification mais il pensa plus sage de différer la question qui lui brulait les lèvres. Quelle était la signification de ce symbole au-dessus de sa poitrine. Lumi remarqua l’endroit de son anatomie sur lequel se portait son regard et instinctivement posa sa main sur ce symbole pour le dissimuler, comme s’il représentait un élément fort de sa vie qu’elle ne voulait pas partager avec cet inconnu qui l’observait. Pour autant, aucune gêne n’était palpable de sa part. Elle fit brusquement volte-face et disparut rapidement au bout du chemin qui menait à son village. Pierre ramassa les victuailles que Lumi lui avait apportées, les rangea dans le placard de ce qui faisait office de cuisine sous la tente et il décida alors de se rendre à la plage.

Il prit le chemin de la plage le cœur léger avec la ferme intention de voir si les fonds marins proches pourraient lui fournir quelques crustacés et fruits de mers dont il raffolait comme homards, langoustes, huitres ou autres fruits de mer. Il prit sa serviette de bain et partit d’un pas enjoué. Il réfléchirait plus tard au sens de sa vie. Pour le moment il ne voulait réfléchir et ne penser à rien d’autre que de profiter pleinement des instants présents. À son arrivée sur la plage, il eut la surprise d’apercevoir au loin, sur le plus haut des rochers, Gao. Il regardait droit devant lui, fixant l’horizon comme s’il cherchait à savoir ce qu’il se cachait derrière. Pierre décida alors de ne pas le déranger et de faire comme si finalement il ne l’avait pas vu. Il posa sa serviette sur le tronc d’un palmier, se dévêtit et entra dans l’océan. Il nagea longtemps, alternant les apnées recherchant ici ou là les fruits de mers tant convoités. Il eut le plaisir de découvrir ce qu’il cherchait pas très loin des rochers de la crique, à l’opposé de ceux où se tenait Gao. Son séjour se présentait sous de bons auspices ! Il pourrait manger facilement des produits qu’il affectionnait tout particulièrement. Seul le vin pour les accompagner risquait de lui manquer.

Quand il sortit de l’eau, il se rendit compte que Gao avait quitté son rocher et qu’il se tenait debout maintenant tout près de l’endroit où il avait laissé serviette de bain, short et tongues. Alors qu’il était nu et qu’il se dirigeait vers ses affaires, il n’était pas gêné de se montrer ainsi devant Gao pour la seconde fois. Gao le salua et il lui rendit son salut avant d’attraper sa serviette pour se sécher. Il enfila son short et se retourna vers Gao qui n’avait pas bougé. Il lui sourit et Gao lui rendit ce sourire. Gao lui tendit la main et ils échangèrent la même accolade que celle du premier jour. Gao prit la parole. À la grande surprise de Pierre, il s’exprimait avec un vocabulaire en langue anglaise certes un peu limité mais chaque mot utilisé l’était à bon escient. Assis en tailleur l’un en face de l’autre ils commencèrent alors à échanger quelques mots tout d’abord pour évoluer vers ce qui serait bientôt une belle conversation entre deux personnes cherchant à se découvrir mutuellement.

Gao demanda à Pierre pourquoi il allait souvent dans l’océan, bougeant comme un poisson et disparaissant parfois sous l’eau pour revenir quelque temps après. Il lui dit qu’il était inquiet quand il partait sous l’eau car il avait peur que l’océan ne le laisse pas ressortir. Il voulait savoir également comment il pouvait bouger comme ça dans l’eau car lui ne savait pas le faire. Pierre vit là l’occasion de créer un lien fort avec Gao. Il lui proposa de lui apprendre à nager pour qu’il puisse, tout comme lui, évoluer comme un poisson dans l’eau. Gao voulut apprendre de suite. Il retira son pagne et se dirigea vers l’océan. Son impatience presque infantile amusa beaucoup Pierre. Quand il eut de l’eau jusqu’aux genoux, Gao se stoppa net, n’osant plus faire un pas de plus. Pierre se dévêtit à nouveau et rejoignit Gao dans l’eau. Ce dernier ne pouvait plus avancer car l’immensité qui se tenait devant lui était une grande source d’inquiétude pour ne pas dire de peur. Pierre le comprit instantanément. Il prit Gao par la main et l’invita à faire quelques pas de plus avec lui. Il avait conscience que cela demandait de gros efforts à Gao mais que ce dernier, ne voulant certainement pas perdre la face vis-à-vis de cet étranger, les faisait néanmoins. Quand ils eurent de l’eau jusqu’à la taille, il se mit face à lui, lui prit son autre main et lui demanda de s’accroupir pour se mettre ensuite à genou. Gao n’était pas rassuré mais il le fit et se trouva donc rapidement avec de l’eau jusqu’aux épaules. Ils restèrent ainsi sans bouger se regardant dans le blanc des yeux. Pour Gao c’était une façon de se rassurer et pour Pierre de deviner quand son élève aurait retrouvé le calme et aurait chassé son angoisse. Il lâcha une main de Gao puis la seconde et s’éloigna un peu de lui. Gao se mit alors à trembler. Pierre s’en rendit compte immédiatement et, pour le rassurer et le calmer, il le prit machinalement dans ses bras. Gao, au contact chaleureux de Pierre se calma progressivement. Pierre l’aida à se relever et ils regagnèrent la plage. Pierre comprit que ce premier bain de mer pour Gao, si court fut-il, était un grand pas pour lui. Gao remit son pagne et Pierre remit son short. Ils reprirent ensemble le chemin du campement de base sans prononcer un seul mot. Devant la tente, en guise d’au revoir, Gao serra un long moment Pierre dans ses bras puis prit congé et s’en retourna vers son village. Pierre quant à lui rentra sous la tente, sortit de son sac un cahier et un crayon et commença à rédiger ce qu’il venait de vivre, peut-être pour le montrer ensuite à Dereck mais surtout pour lui.

Il mangea un peu, alla ensuite se dessaler à la rivière puis entreprit de visiter un peu cette forêt qui entourait le camp de base. Il se munit de son appareil photo numérique, bien décidé à capturer le maximum d’images qu’il pourrait ensuite revoir lorsque la nostalgie de cette île lui viendrait après son retour sur Lyon. La végétation était dense et luxuriante. Plus il avançait, plus il lui semblait que la palette des couleurs s’agrandissait. Il avait recensé au moins une dizaine de tons de vert différents au milieu desquels, les fleurs ou les fruits sur les arbres apportaient de belles touches de couleurs dans les jaunes, orangés, rouge, blanc ou bleu. À certains endroits, les arbres étaient tellement hauts qu’il avait l’impression de ne plus voir le ciel pourtant bien bleu, sans nuages dans lequel brillait un soleil qui donnait à ce sous-bois cette douce chaleur. Il apprécia cette longue balade et prit de nombreux clichés. Le silence de cette forêt était régulièrement perturbé par des chants d’oiseaux ou des cris d’animaux mais il n’arrivait pas à les apercevoir. Ils étaient soit trop éloignés de son champ visuel, soit bien dissimulés à l’abri de cette belle végétation qui leur procurait un refuge idéal. Il regretta une seule chose. On pouvait jusqu’alors prendre des photos pour rapporter des images, faire des enregistrements pour rapporter des sons mais il n’existait rien pour rapporter les odeurs et il aurait énormément apprécié pouvoir ramener avec lui en France les fragrances qui se propageaient ici et qui avaient tendance à lui faire tourner un peu la tête. Passionné d’œnologie, Pierre avait une aisance particulière avec les odeurs, les saveurs et les fragrances. Certains de ses amis disaient de lui qu’il était le nez du vin lors des dégustations. Son odorat s’était ainsi fort développé et il percevait souvent des odeurs que bien d’autres ne pouvaient pas sentir. Ici son odorat était submergé d’arômes, de senteurs et de fragrances dont certaines lui étaient familières mais pour la majorité d’entre elles, elles lui étaient étrangères.

Sur le chemin du retour au camp de base, Pierre ressentit une étrange sensation. Il avait l’impression d’être observé ou suivi. Il s’arrêta, fit semblant de refaire un lacet de ses chaussures de randonnée dont il s’était équipé pour cette longue balade de découverte en forêt, et attendit quelques instants immobile en regardant autour de lui mais il ne vit rien et n’entendit rien d’autre que les bruits habituels de la forêt. Pourtant il en était sûr, il était observé. Il avait d’ailleurs ressenti cette sensation la veille quand il était allé à la rivière. Était-ce Lumi, Gao, Tunpim ou un autre membre du clan ? Était-ce le chaman qui le faisait suivre au travers des yeux d’un animal totem ? Était-ce tout simplement le fruit de son imagination ? Il n’aurait su le dire mais cette sensation était bien réelle. Il reprit son chemin d’un pas alerte, en chantonnant. Quand il arriva à la tente, il put constater que celle-ci était ouverte. Il avait cependant la certitude de l’avoir fermée à son départ. Plus surpris que véritablement inquiet, il pénétra à l’intérieur et il ne trouva personne à l’intérieur et visiblement rien ne manquait. Il commençait à penser qu’il avait sans doute oublié de fermer en partant quand son œil fut attiré par une tache de couleur sur le lit de camp sur lequel il avait laissé étendu son sac de couchage en drap blanc. Il s’approcha et trouva trois fleurs d’hibiscus posées dessus. Les mêmes fleurs que Lumi portait dans ses cheveux lorsqu’elle était venue lui apporter de quoi manger. Quelqu’un était donc bien venu en son absence et il pensa de suite que c’était la belle Lumi qui était venue lui déposer ces quelques fleurs. Il fut sincèrement touché et ému par cette pensée.

Dix-neuf heures sur le réveil. Il s’étonna de voir avec quelle rapidité cette première journée s’était passée. Il se souvint alors des jolies langoustes qu’il avait vues lors de sa plongée près des rochers et pensa que l’une d’entre elles pourrait tout à fait constituer son dîner du soir. Il ferait alors un feu de camp sur la plage pour la manger fraîchement pêchée. Il se changea, mit dans un sac trouvé dans le fond du placard de cuisine un briquet, un couteau, prit dans la caisse à outils une pince qui pourrait l’aider à casser la carapace de la langouste et se dirigea vers la plage. Quand il arriva sur la plage, il put distinguer une silhouette qu’il reconnut aussitôt. Il s’agissait de Gao. Il ralentit le pas et décida de ne pas se manifester de suite pour l’observer. Gao se tenait debout au bord de l’eau face à l’océan. Il le vit ôter son pagne et avancer très doucement dans l’eau jusqu’aux genoux. Puis il tendit le bras comme s’il tenait la main de Pierre et avança alors dans l’eau jusqu’à la taille. Puis il s’accroupit avant de se mettre à genoux et avoir ainsi de l’eau jusqu’aux épaules. Il venait de reproduire à l’identique ce qu’il avait fait avec Pierre le matin même. Mais cette fois il l’avait fait seul et semblait prendre confiance dans cet élément. Intérieurement, Pierre se sentit fier de son élève et décida alors d’aller le rejoindre pour lui dire à quel point il était content de lui. Il posa son sac, se dévêtit et alla rejoindre Gao en prenant soin de se manifester pour l’avertir de son arrivée. Quand il entendit son nom, Gao se releva et se retourna vers Pierre. Un sourire éclatant illuminait son visage. Il était manifestement très heureux d’avoir franchi cette étape seul. Comme à chaque fois qu’ils se voyaient ils se saluèrent respectueusement en se serrant la main d’abord puis en se faisant l’accolade ensuite.

Pierre avança dans l’océan de telle sorte que debout, il ait de l’eau juste au-dessus des épaules. Gao ayant la même taille que lui, il lui fit signe de venir le rejoindre. Gao tendit les bras devant lui à l’horizontale et commença de marcher doucement. Quand il eut de l’eau au niveau du torse, il marqua un temps d’arrêt. Pierre l’encouragea à continuer et à poursuivre son avancée jusqu’à lui. Gao sembla hésiter puis finalement reprit sa marche jusqu’au moment où, ayant les bras tendus devant lui, ses mains purent se poser sur les épaules de Pierre. Son angoisse passée, il sourit de nouveau, fier d’avoir réussi à franchir cette nouvelle étape. Pierre décida de ne pas ressortir de l’eau tout de suite pour que Gao puisse s’habituer à avoir de l’eau jusqu’au cou. Il lui expliqua qu’il était venu pour pêcher une langouste près des rochers pour la faire cuire ensuite sur la plage et en faire son dîner. Gao ne savait pas ce qu’était une langouste et de plus il ne pouvait pas s’imaginer que cette immense étendue d’eau où jusqu’alors il n’avait jamais osé pénétrer pouvait donner de la nourriture aux hommes. Il expliqua à Gao qu’il allait aller plus loin là où ses pieds ne toucheraient plus le sol pour aller pêcher. Gao fut inquiet et décida de retourner sur la plage. Pierre lui dit alors qu’il allait pêcher et lui demanda s’il pouvait allumer un feu sur la plage, ce que Gao accepta de suite.

Une petite demi-heure plus tard, Pierre ressortit de l’eau tenant à la main fièrement une magnifique langouste. Gao l’attendait sur la plage près du feu qu’il avait allumé. Pierre se demanda comment il avait réussi à allumer ce feu sans utiliser de briquet ni d’allumettes. Mais bon il se dit qu’il lui demanderait cela une autre fois. Il montra le fruit de sa pêche à Gao qui était à la fois surpris et inquiet car il n’avait encore jamais vu un tel animal. Pierre lui tendit pour qu’il le prenne se disant que pendant qu’il la tiendrait il pourrait enfiler son short sans poser la langouste sur le sable. Mais Gao ne souhaita pas prendre l’animal. Pierre resta donc nu et lui demanda d’attiser un peu le feu. Quand il jugea qu’il y avait suffisamment de braises, il y déposa la langouste. Gao en fut fort surpris. Pierre en surveilla la cuisson. Il n’avait certes pas de montre pour surveiller le temps de cuisson mais il en avait une certaine habitude. Il prit conscience soudainement qu’il était resté nu et enfila donc son short. Le temps que la langouste refroidisse un peu, il raconta à Gao son exploration de la forêt et la surprise qu’il eut à son retour de trouver quelques fleurs sur son lit. Pensant que c’était Lumi qui avait déposé ces fleurs pour lui, il demanda à Gao de remercier sa sœur pour lui. Gao lui dit alors qu’il doutait que ce soit sa sœur qui ait déposé ces fleurs sur sa couche mais que si c’était bien elle, il lui transmettrait ses remerciements. Pierre ne voyait pas qui à part Lumi, aurait pu lui déposer ces hibiscus car il n’avait encore croisé aucune autre femme depuis son arrivée.

Quand il estima que sa langouste était suffisamment refroidie, il commença à la décortiquer pour pouvoir ainsi la savourer. Gao le regardait intrigué. Pierre lui en tendit un morceau. Gao répétait tous les gestes que Pierre faisait pour le décortiquer et finalement pu découvrir le goût qu’avait cette chair blanche et rouge, légèrement tiède. Il fut surpris par le goût mais apprécia visiblement ce qu’il mangeait. Pierre décida de continuer de partager son repas avec Gao. Pour l’en remercier, ce dernier disparut quelques instants dans la forêt et en revint avec des fruits qu’il partagera avec Pierre. C’était la première fois que Pierre partageait un repas avec un habitant de l’île. Puis Pierre lui demanda pourquoi jusqu’alors il n’avait croisé que Tunpim, Lumi et lui mais personne d’autre. Il trouvait étrange de n’avoir croisé encore aune autre personne, homme ou femme de son peuple alors que finalement ils étaient très proches du camp de base. Gao lui expliqua alors que tant que le chaman n’aurait pas de vision sur Pierre qui lui permettrait de dire que les autres habitants du village pourraient venir à sa rencontre, il ne verrait que lui, son père et sa sœur. Pierre se félicita alors de s’être tenu à distance l’autre soir quand il avait vu le groupe d’hommes se baigner à la rivière. Ils reprirent ensemble le chemin du camp de base et une fois arrivé, se saluèrent respectueusement et se séparèrent. Gao prit le chemin du village sans se retourner et Pierre quant à lui entra dans sa tente pour aller se coucher.

Quand Gao arriva à son village, il se rendit directement dans la case de Tunpim. Ce dernier l’attendait en compagnie de Kami le chaman. En fait Gao avait pour mission d’observer pour ne pas dire surveiller ce nouvel étranger venu sur l’île mais dont ils ne connaissaient pas les motivations. Sa présence inquiétait. Visiblement ce n’était pas une personne de l’équipe qu’ils avaient l’habitude de voir. Il ne parlait pas le même langage et de plus c’était un homme peint. Il allait souvent à l’océan alors que les autres non. Il bougeait dans l’eau comme un poisson alors qu’eux ne savaient pas le faire. Gao leur raconta sa journée. Il leur raconta comment à deux reprises il était allé dans l’océan avec lui et qu’il avait décidé de lui apprendre comment bouger comme lui dans l’eau. Il leur expliqua les deux fois où il l’avait accompagné dans l’océan et les peurs qu’il avait eues mais aussi comment Pierre l’avait aidé à faire disparaître ses peurs et que maintenant il pouvait aller dans l’eau jusqu’au cou. Il leur décrivit l’animal que Pierre avait sorti de l’eau, comment il l’avait fait cuire pour le manger et qu’il lui avait offert de partager ce repas avec lui. Il avait d’ailleurs trouvé l’animal très bon. Tunpim demanda alors ce que l’étranger lui avait demandé en retour pour lui avoir enseigné comment rentrer dans l’eau et partagé ensuite son repas. Gao se rendit compte alors que Pierre ne lui avait rien demandé en retour ce qui surprit fortement son auditoire. Jusqu’alors, les autres étrangers avaient toujours voulu quelque chose en échange de ce qu’ils voulaient leur donner et c’est pour cela qu’ils avaient toujours tout refusé et notamment leur avaient refusé l’accès à leur village. Or à l’inverse, ce nouvel étranger donnait sans jamais rien demander en retour. Kami se demanda ce que cela pouvait bien signifier. Il prit congé de Tunpim et Gao en leur précisant qu’il allait de ce pas entrer en contact avec les esprits pour tenter d’en savoir plus sur cet étranger.

Gao quitta la case de Tunpim pour rejoindre la sienne. Plus petite que celle de son père, c’était néanmoins un privilège pour lui d’en avoir une. Il ne dormait pas dans la grande case collective des hommes célibataires. Il était le fils du chef du village et prendrait sa suite quand son père déciderait qui lui succéderait. Cela lui concédait quelques privilèges dont celui d’avoir sa case individuelle. Dans son peuple, les hommes seuls vivaient ensemble dans une grande case collective. Les femmes seules vivaient également dans une grande case qui leur était réservée. Seuls les couples, qu’ils aient ou non des enfants vivaient dans une case qu’ils devaient se construire eux-mêmes pour abriter leur famille. Le chef du village et chacun des membres de sa famille avaient le droit d’avoir leur case personnelle. Il en était de même pour Kami le chaman qui lui se servait de sa case pour recevoir les personnes qu’il guérissait avec ses pouvoirs ou ceux qui venaient le consulter. Ainsi, quand un jeune homme avait des vues sur une jeune femme, il consultait le chaman afin de savoir si l’union envisagée était possible, il interrogeait les esprits. Si les esprits donnaient une réponse favorable, le jeune homme pouvait alors entamer une approche vis-à-vis de la jeune fille qui savait aussitôt que les esprits acceptaient cette démarche. Pourtant elle était libre de refuser de s’unir au jeune homme. À l’inverse, une jeune femme n’avait pas le droit de faire une démarche similaire auprès du chaman quand elle avait remarqué un jeune homme qui lui plaisait.