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La régionalisation du droit international public a de nombreuses facettes. L’ouvrage traite à la fois des divers domaines de la régionalisation (droit de la mer, droit de la sécurité collective, droits de l’homme, droit de l’environnement, droit des organisations internationales…) de l’étendue, des degrés et des techniques de la régionalisation. Il aborde également les interactions (concurrence et complémentalité) tant entre les niveaux universel et régional qu’entre les régionalismes. Le présent ouvrage intéressera les avocats en droit public et droits de l’homme, les magistrats, les fonctionnaires, ainsi que les professeurs et leurs étudiants.
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ISBN 978-2-8027-3907-4
Propos introductifs
Stéphane Doumbé-Billé1
La question qui est abordée dans le présent ouvrage n’est pas, de prime abord, de celles qui suscitent des difficultés particulières ; du moins devrait-il en pratique en être ainsi. Certes, si on l’appréhende à partir du dyptique « régionalisme/régionalisation », il est possible de s’interroger, comme certaines études ne manquent pas de le faire, sur le sens et la portée que le phénomène de la régionalisation stricto sensu revêt en droit international public.
Pour autant, prendre ce prisme pour toile de fond de son approche juridique et technique impose une démarche conceptuelle, dont le postulat est que le droit international public serait soumis à deux tendances d’évolution contradictoires. La première, de caractère centrifuge, favoriserait une approche régionaliste, source d’autonomie structurelle des droits régionaux et de ce fait, porteuse ab initio d’une fragmentation menaçante pour l’unité du droit international public. Quant à la seconde, de portée centripète et, à ce titre unificatrice par principe, elle se satisferait volontiers d’une approche certes pluraliste des régimes régionaux mais ordonné autour du droit universel, qui manifesterait ainsi sa capacité d’attraction irrésistible et son pouvoir d’évocation. La régionalisation, qui traduit cette tendance, ne serait dès lors qu’une simple modalité de développement du droit régional dont l’effet ultime serait de le faire apparaître comme une simple expression de la logique profonde de développement du droit international général.
Ce début est bien connu, notamment dans certains domaines du droit international public où se manifeste encore une authentique tension entre régionalisme et régionalisation2. Le droit de la mer comme le droit d’intégration dans la multiplicité de ses aspects en portent témoignage.
L’objet et l’intérêt du programme de recherche du Centre de droit international pour l’année 2012, sont justement d’examiner attentivement ces tendances d’évolution, non plus toutefois à partir du couple « régionalisme/régionalisation », mais autour de la notion de « régionalisation ». Les raisons qui justifient ce choix sont assez aisées à comprendre. L’on est parti de l’idée, évoquée à propos du constat d’ « affermissement du droit international régional et risques de fragmentation », par les auteurs du « Nguyen Quoc Dinh »3, que le régionalisme, qui a longtemps désigné ce mouvement de renforcement, a une forte connotation négative. Cette situation fait que son utilisation est toujours assez délicate, ne serait-ce que « pour éviter de trop avoir à s’interroger sur son impact réel sur le droit international régional »4.
Il est vrai qu’évoquer le régionalisme en droit international eût été une étude complexe et … coûteuse. Ce n’est pas trahir la mémoire des origines des courants régionalistes que de s’être refusé à interroger, à partir de l’ancien « droit international européen »5 ou, selon l’expression de Lauterpacht, du « prétendu »6 « droit international américain »7, l’actualité éventuelle d’un droit international continental, considéré comme une alternative au droit international général. Le professeur Truyol y Serra soutient notamment, dès l’avant-propos de son Histoire du droit international public que celle-ci « ne considère pas le monde des États comme un ensemble gravitant dans une perspective ptolémaïque, autour de la société européenne élargie à l’Amérique, même s‘il en a été apparemment ainsi au cours des derniers siècles »8.
Le programme de recherches sur « la régionalisation du droit international » n’invalide pas l’approche régionaliste et la logique « autonomiste » qu’elle porte , presque génétiquement en elle, comme l’expression, au sens de Maurice Hauriou, d’un pluralisme institutionnel que la logique unitaire du droit international général ne saurait abolir. Dans son approche fort marquante des études sur l’organisation de l’État en France, le professeur J.A. Mazères a tenté de clarifier l’action respective du régionalisme et de la régionalisation dans la détermination de « l’objet local »9. Il montre notamment que les tendances centrifuges qui s’attachent au régionalisme constituent une menace permanente à l’unité structurelle et fonctionnelle de l’État. Dès lors, et à l’inverse, la régionalisation n’est, au sens de Maurice Hauriou, qu’une « manière d’être » de l’État qui crée pour ses besoins un modalité très « contrôlée » d’aménagement des fonctions étatiques10.
L’on a pourtant cru bon de regrouper les évolutions récentes sous le vocable unique de « régionalisation ». Il s’agit en effet de tenter de rendre compte de place du phénomène régional dans le droit international d’aujourd’hui. La régionalisation du droit international traduit plus commodément, nous semble-t-il, ce double mouvement « montant » et « descendant » que développe si remarquablement la créativité institutionnelle et normative.
Certes, deux séries de faits semblent pouvoir atténuer la portée de ce choix. Il y a bien entendu d’abord l’important colloque fut organisé, il y a plus d’un tiers de siècle déjà, sur le dyptique « Régionalisme et universalisme dans le droit international contemporain »11. La réflexion théorique sur ses conditions d’évolution, particulièrement en droit de la mer, demeurent d’actualité, comme devrait le montrer très prochainement la thèse de doctorat de Mlle Anna-Maria Smolinska12. Il y a ensuite le fait que les niveaux d’élaboration du droit international public restent concernés. A ce titre, l’activité normative de l’Union africaine, bien que largement formelle (i.e. avec des difficultés importantes d’effectivité des règles mises en place), de même que, sous l’action des juges européens (CEDH et CJUE), l’affirmation d’une autonomie de ces ordres juridiques laisse encore la porte ouverte aux grandes interrogations.
Derrière ces divers processus, faut-il voir une réaction d’humeur ou une lame de fond ? Sans doute serait-on tenté d’y voir, comme cela a été justement écrit « une réaction à un environnement international hostile », solidement soudé autour des solidarités qui sont à l’origine du mouvement régional. Il reste que, quel que soit le degré assez poussé de l’intégration régionale, la perspective du droit universel n’est jamais totalement absente, comme le montrent les domaines nouveaux d’intervention tels que la protection régionale de l’environnement.
Il paraît dès lors possible d’avancer, sans aller jusqu’à dire qu’une telle démarche « sent la naphtaline »13, qu’elle ne paraît plus aller « dans le sens de l’histoire », dans laquelle le droit international public paraîtrait désormais s’ordonner autour d’une « constitution mondiale » que serait la Charte de l’ONU14.
Une telle orientation, de pure commodité, conduit également à mettre en perspective de façon plus conciliatrice au sein du droit international public lui-même, les statuts respectifs du régionalisme et de la régionalisation, comme des formes d’organisation particulière de l’ordre international, axées sur cette double logique « montante ou descendante » déjà évoquée mais comme présentant des traits inconciliables15.
Dans ces conditions, il pourrait être fort à parier que de tels débats, toujours centrés sur la place du régionalisme en droit international, n’apparaissent comme des débats d’école, quel que soit par ailleurs l’intérêt suscité par la question toujours actuelle d’un consentement général à la coutume internationale16. C’est que le régionalisme apparaît avec constance comme une forme permanente de revendication et traduit une forme de « militantisme juridique », source de « doctrines continentales » tendant à souligner le particularisme de certains régimes internationaux, à l’exemple du régionalisme latino-américain ou de ce que l’on un peu hâtivement appeler le régionalisme africain.
Ce que l’on a donc postulé, dès le départ mais qui peut évidemment être discuté, notamment à l’occasion du colloque de publication du présent ouvrage, est de considérer comme étant l’expression de la régionalisation, le développement du phénomène régional en droit international public. Si l’on en croit la doctrine, il y a là un fait essentiel dans le processus historique de formation de ce corps de règles, particulièrement à l’épreuve des « évolution(s) de la société internationale »17, du fait précisément de sa « transformation » profonde.
Si l’on veut bien accepter avec nous que la régionalisation du droit international suffit à recouvrir les deux mouvements de la dynamique régionale, c’est que la notion paraît présenter un caractère fonctionnel qui permet d’identifier et de qualifier l’ensemble du phénomène régional, dans toutes les dimensions à travers lesquelles il s’exprime. Celles-ci sont largement déclinées dans les diverses études contenues dans le présent ouvrage. Chacune d’entre elles, ainsi que celles qui seront abordées à titre complémentaire dans le colloque de publication, vaut par sa lecture directe et/ou combinée avec les autres.
La complémentarité qui les caractérise permet le constat, à relever ici, que cette régionalisation du droit international public réinterprétée ne constitue pas non plus un phénomène nouveau, en dépit du renouvellement important dont chacune de ses composantes est l’objet dans l’évolution juridique récente. Elle reste, comme devait le montrer le professeur Gautron dans son analyse désormais classique du « fait régional dans la société internationale »18, l’illustration la plus complète du phénomène régional en droit international public. Considérée parfois comme un défi au caractère universel du droit international, la régionalisation est en réalité à l’œuvre depuis bien longtemps et apparaît bien comme l’une des dimensions essentielles du développement de l’ordre international. Ses manifestations se font en effet ressentir tant du point de vue de la structure de la société internationale que de la nature des règles qu’elle secrète.
Sur le premier point, il n’est pas douteux que le caractère « décentralisé » de la société internationale a été certainement corrigé, dans les « efforts d’institutionnalisation »19 considérés comme un « marqueur » de son évolution, par la recherche par les États de formes diverses et multiples de regroupements de proximité, propres à favoriser la solidarité que les éléments divers et multiples de rapprochement, qui peuvent être invoqués, leur impose. Ce développement d’organisations régionales est assez remarquable, même si son analyse demeure à bien des égards incertaine, notamment du point de leur complémentarité ou au contraire de leur concurrence20, et doit, comme cela a été le cas, être mis en perspectives avec le phénomène parallèle de création des organisations universelles21.
Sur le second point, la formulation d’un « droit régional » est devenue une caractéristique de l’activité normative internationale22, et de manière générale de l’élaboration du droit international23, conduisant parfois à superposer les unes aux autres des règles pratiquement identiques mais destinées à un usage très différent.
Il faut certainement y voir une illustration de cette « dialectique de la flexibilité et de la rigueur » évoquée par le professeur A. Mahiou24. Ce que l’on a appelé le régionalisme normatif paraît ainsi se déployer sans fin, conduisant à s’interroger sur la différenciation ou au contraire la convergence des ordres juridiques en cause.
Des menaces ont pu être évoquées, notamment à « l’unité de l’ordre international »25, du fait d’une crainte anxiogène de la « fragmentation » du droit26 à laquelle les « tendances » régionales pourraient contribuer27. Les évolutions déjà évoquées, particulièrement en ce qui concerne les antinomies d’ordres juridiques impliquées par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne à propos de l’affaire Kadi font certainement douter d’une quelconque convergence, l’ordre juridique de l’UE apparaissant « tellement spécifique que l’on a parfois hésité à y voir encore des éléments du droit international »28.
Un tel risque peut cependant être écarté29 car la régionalisation, en son état actuel de développement intégré, doit être perçue comme l’expression d’un « mécanisme de réalisation »30 particulier du droit international lui-même, à travers la figure d’un ordre juridique original que le juge a pour mission de faire respecter. Ce qu’il convient en toute circonstance de conserver à l’esprit est qu’en effet, l’action commune se déroule sur des plans différents qui peuvent certes entrer parfois en contradiction.
Deux niveaux d’appréciations peuvent à cet égard être distingués : d’une part, à l’intérieur même d’un cadre régional, avec notamment le développement, que l’on lira ici avec intérêt, de « sous-régionalismes » ou même de formes paradoxales31, dans certaines régions comme en Afrique ou en Amérique latine ; d’autre part, entre les plans universel et régional. C’est dans ce dernier cas de figure qu’il convient d’analyser le processus en cours depuis quelques années « d’européanisation du droit international »32. Comment en effet ne pas y voir, ainsi que l’avaient déjà pressenti tant le professeur A. Truyol y Serra, au plan global33 que le professeur Laghmani34, à propos de l’apport de la culture juridique musulmane, une des multiples manifestations de la « diversité des cultures juridiques »35 ?
La régionalisation telle que repensée doit alors être analysée comme une tentative de s’adapter aux nécessités auxquelles un groupe d’États doit faire face, par rapport auxquelles ceux-ci construisent des finalités particulières, dans le respect du droit international général. Ces finalités l’entraînent, selon les spécificités en cause, à présenter des visages multiples, ordonnées autour d’une double préoccupation dont l’une est plus classique et l’autre plus ambitieuse.
Dans un premier cas, la régionalisation peut en effet emprunter la voie d’une simple coordination des fonctions étatiques. Elle constitue alors le « degré zéro » du rapprochement régional, les principes de fonctionnement demeurant profondément marqués par les caractères traditionnels de la souveraineté et de la coopération interétatique. Telle est d’ailleurs encore aujourd’hui la forme la plus courante de la régionalisation du droit international public, à travers le cadre d’organisations internationales régionales, qu’elles soient fermées ou ouvertes.
Dans le second cas, la régionalisation s’engage dans une coopération plus avancée, plus renforcée, qui « oblige » les États à des abandons de souveraineté, afin de mettre en avant un nouveau sujet qui les résume à travers le caractère intégré de leur coopération. Cette seconde forme ne conduit pas pour autant à la disparition des États qui la constituent mais la superposition des régimes à laquelle elle conduit n’est pas sans difficulté ni ambigüité sur la nature statutaire de la construction à l’œuvre. Elle n’en apparaît pas moins ambitieuse dans la volonté, peut-être fantasmatique, de création de nouvelles entités de caractère supra-étatique.
L’exemple de l’Union européenne et, à un moindre degré, celui des communautés économiques et ou monétaires en Afrique et en Amérique latine rendent pareillement compte d’une unité profonde bien que souterraine entre régionalisme et régionalisation au sens étroit. Derrière la question de la diversité des cultures juridiques au sein du droit international, se profile de moins en moins insidieusement le thème de la « continentalisation » de ce droit. A cet égard, on notera que l’expression « européanisation du droit international » est à la mode36 tant chez les publicistes37 que chez les privatistes38, poussant le juge européen, à l’occasion d’affaires restées célèbres39, à évoquer directement l’autonomie de cet ordre juridique spécial à l’égard de l’ordre international. Du coup, on voit apparaître, notamment au plan africain des conceptions similaires, notamment quant au traitement pénal international à accorder aux ressortissants africains dans le cadre de la Cour pénale internationale40.
Toutefois, comme l’a montré le professeur M. Forteau, il se pourrait bien que ce « particularisme » ait ses « limites »41 et si, comme l’a écrit le professeur Ruiz Fabri, rien n’est tranché42, il se pourrait bien que le bouleversement attendu soit effectivement de faible portée.
Un tel constat n’enlève rien de leur intérêt ou de leur importance aux évolutions en cours. Il démontre que des relations, même si elles peuvent avoir un caractère problématique à certains moments, n’ont cessé d’exister entre niveau universel et niveau régional. La régionalisation du droit international public illustre la permanence de ce dialogue et la richesse des échanges qu’il produit, tant pour l’identité structurelle des entités en dialogue – États et organisations internationales – que pour les entrecroisements normatifs qu’il invente sans cesse, faisant ainsi du droit international public un système juridique en recherche constante de modernisation.
Ce n’est pas là, la moindre des qualités que revêt la régionalisation, que de donner du droit international public, un point de vue moins lointain assurément, moins abstrait peut-être.
1Professeur de droit pubic, Université Lyon 3, Directeur du Centre de droit international.
2Cf. A. Hurrel, « Regionalism in a Theoretical Perspective », in L. Fawcett and A. Hurrell (ed.), Regionalism in World Politics: Regional Organization and International Order, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 38.
3Cf. P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet,Droit international public, Paris, LGDJ, 8ème éd., 2009, pp. 86-89.
4Ibidem, p. 86.
5On pense ici, de manière générique, au fameux jus gentium Europaeum à la présentation duquel se sont attachés de très nombreux auteurs. Voy. par exemple M. Chemillier-Gendreau, « La tradition européenne du droit international », Baltic YBIL, 2006, pp. 37-48. V. égal. S. Laghmani,Histoire du droit des gens ; du jus gentium imperial au jus publicum europaeum, Paris, Pedone, 2003.
6Cité par L.C. Green : « New States, Regionalism and Internationl Law », ACDI, 1967, t. 5, pp. 118 et s.
7Tel qu’exposé dans l’opinion dissidente du juge Alvarez dans l’affaire du droit d’asile (Colombie c. Pérou); cf. CIJ, 20 novembre 1950, Rec. 1950, www.icj-cij.org; voir égal. L’opinion dissidente du juge Read dans la même affaire.
8Voy. A. TruyolySerra,Histoire du droit international public, Paris, Economica,1995, p.VII.
9Cf. J. A. Mazères, « Régionalisme et régionalisation », in Aspects et tendances du système administratif français, Toulouse, 1972.
10Ibidem. Voy. Egal. CREDILA, La régionalisation, Actes du colloque franco-sénégalais de Dakar, éd. Du CREDILA, 1998.
11Cf. SFDI, Régionalisme et universalisme dans le droit international contemporain, Paris, Pedone, 1977.
12Cf. A-M. Smolinska,Régionalisme et Universalisme en droit de la mer, Thèse Lyon 3, à paraître Bruylant 2013.
13Expression utilisée par le professeur J.P. Cot à propos de la protection consulaire ; Cf. SFDI, La protection consulaire, Journée d’études de Lyon, Paris, Pedone, 2006, p. 181.
14Cf. R. Chemin et A. Pellet, La Charte des Nations Unies, constitution mondiale ? CEDIN, Cahiers internationaux, n° 20, Paris, Pedone, 2006.
15Cf. J. Beaufays,Théorie du régionalisme, Bruxelles, 1985.
16Cf. L.C. Green, « New States, Regionalism and International Law », Annuaire Canadien de droit international, 1967, t. V, pp. 118-141.
17Selon l’expression des auteurs du « Nguyen Quoc Dinh » ; Cf. P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet,Droit international public, op. cit., p. 70.
18Cf. J. Cl. Gautron, « le fait régional dans la société internationale », in SFDI : Régionalisme et universalisme dans le droit international contemporain, Pedone, 1977, pp. 3 et s.
19Cf. P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, p. 79.
20Voy. Pour les organisations régionales africaines, M. Fau-Nougaret (dir.), La concurrence desorganisations régionales en Afrique,L’Harmattan, 2012 ; V. part. S. Doumbé-Billé, « La multiplication des organisations régionales en Afrique : concurrence ou diversification ? », in M. Fau-Nougaret, La concurrence desorganisations régionales en Afrique, op. cit.
21Cf. L. BoissondeChazournes, « Les relations entre organisations régionales et organisations universelles », RCADI, t. 347 (2010).
22Voy. H. Golsong, « Le développement du droit international régional », in SFDI, Régionalisme et universalisme dans le droit international contemporain, op. cit. pp. 233 et s.
23Voy. SFDI, L’élaboration du droit international public, Paris, Pedone, 1975.
24Cf. A. Mahiou, « Le droit international ou la dialectique de la rigueur et de la flexibilité », RCADI, vol. 337 (2008).
25On doit désormais l’expression au « Cours » du professeur P.M. Dupuy à l’Académie de droit international, Cf. P.M. Dupuy, « L’unité juridique de l’ordre international », RCADI, vol. 197 (2002) ; Voir B. Conforti, « Unité et fragmentation du droit international », RGDIP, 2007, pp. 5 et s.
26Voy. Sur cette analyse, M. Koskenniemi et P. Leino, « Fragmentation of International Law ? Postmodern Anxieties », Leiden Journal of International Law, 2002, pp. 553 et s.
27Cf. CDI, Rapport du groupe de travail sur la fragmentation du droit international, 2006, A/CN.4/L.682.
28Cf. P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, op. cit. p. 87.
29Sur les autres risques, v. I. Buffard et G. Hafner, « Risques et fragmentation en droit international », L’Observateur des Nations Unies, 2007, pp. 5 et s.
30Cf. R. Rivier,Droit international public, Paris, PUF, coll. Themis droit, 1ère éd., 2012, p. 3.
31Le modèle de l’OHADA, organisation intergouvernementale mais d’intégration du droit des affaires par le droit est évidemment directement concerné. Outre l’étude de M. G. Anou dans cet ouvrage, v. S. Doumbé-Billé, « A propos de la nature de l’OHADA », Mélanges en l’honneur du professeur M. Benchikh, Paris, Pedone, 2011, pp. 432 et s.
32Cf. J. Wouters, A. Nollkaemper, E. de Wet (eds), The Europeanisation of International Law. The Status of International Law in EU and its Members, TMC, Asser Press, 2008.
33Cf. A. TruyolySerra, Histoire du droit international public, op. cit.
34Cf. S. Laghmani, Histoire du droit des gens,op. cit., p. 5
35Cf. SFDI, Droit international et diversité des cultures juridiques, Paris, Pedone, 2008.
36Cf. J. Wouters, A. Nollkaemper, E. De Wet (eds.), The Europeanisation of International Law. The Status of International Law in EU and its Members, The Hague, T.M.C. Asser Press, 2008, 260 p.
37Cf. Ph. Weckel et A. Rainaud, « Union européenne et développement d’une culture européenne de droit international », in SFDI, Droit international et diversité des cultures juridiques, op. cit., pp. 297 et s.
38Cf. J.S. Bergé,Droit européen, Paris, PUF, coll. Themis droit, 2011 ; Voir égal. J.S. Bergé, M. Forteau, « Les interactions du droit international et européen », JDI, 2010, pp. 887-910.
39Cf. Les affaires Kadi et autres : CJUE, Yassin Abdullah Kadi et Al Barakaat International Foundation / Conseil et Commission, 3 septembre 2008, C-402/05 P et C-415/05 P.
40Cf. La position de l’Union africaine sur la saine de la CPI et dans l’affaire Hissène Habré.
41Cf. M. Forteau, « La contribution de l’Union européenne au développement du droit international général. Les limites du particularisme ? », in J.S. Bergé, M. Forteau, « Les interactions du droit international et européen », Chron. loc. cit.
42Cf. H. Ruiz Fabri, « Nécessité d’une approche européenne du droit international ? Ni oui, ni non, ni blanc, ni noir », in SFDI, Droit international et diversité des cultures juridiques, op. cit., pp. 223 et s.
Partie 1 Domaines de la régionalisation
Chapitre 1 La sécurité collective
LouisBalmond1
Expression d’un constat, d’un souhait ou d’une volonté ? À vrai dire, il n’est pas évident que la sécurité collective soit un « domaine de la régionalisation ». La sécurité collective entretient en effet avec le fait régional des relations complexes car elle doit être appréhendée autant comme un concept que comme un système. La sécurité collective est d’abord une « vision globale de la sécurité internationale qui vise à assurer la sécurité pour tous sur la base de l’égalité de chacun en termes de sécurité »2. Mais c’est aussi un « système par lequel une collectivité d’États conclut, en vue de prévenir l’emploi de la force contre l’un d’eux, des engagements de règlement pacifique des différends aux termes desquels chacun pourra bénéficier sous formes d’actions communes, de la garantie de l’ensemble de la collectivité »3. Dans cette deuxième dimension, la sécurité apparaît naturellement contingente puisqu’elle se concrétise par « l’engagement pris par chaque État d’apporter son appui à une décision collective de s’opposer à tout État coupable au jugement de la majorité, d’une agression ou d’une menace à la paix »4. La sécurité collective peut ainsi trouver à se manifester au plan universel comme au plan régional : Il n’y a pas a priori d’antinomie entre régionalisme et sécurité collective Toutefois, l’alliance, dont procède la sécurité collective, lorsqu’elle s’organise au plan régional, si elle offre une garantie de sécurité aux membres, peut être perçue comme menaçante par les tiers, les encourager à construire leur propre alliance pour garantir leur sécurité, le tout conduisant à Sarajevo.
Le concept d’alliance, à la base de la sécurité collective, peut donc en être également le fossoyeur. Dès lors, si la sécurité collective n’exclut pas les systèmes régionaux de sécurité, c’est pour autant qu’ils en respectent les principes et demeurent subordonnés au système universel. C’est cette subordination qui va contribuer à faire disparaître le caractère potentiellement agressif de l’alliance. La sécurité collective régionale a donc un sens mais pour autant qu’existe une articulation avec l’universel.
L’exigence d’une telle articulation n’allait cependant pas de soi. Avec la Société des Nations est apparue l’idée de sécurité collective qui devait, selon le président Wilson, reposer sur l’universalisme, le régionalisme, synonyme d’alliance militaire ne pouvant constituer qu’une menace à la paix et à la sécurité internationale Le Pacte fera néanmoins une place au régionalisme, ne serait-ce que pour tenir compte de la doctrine Monroe, en son article 21 aux termes duquel « Les engagements internationaux, tels que les traités d’arbitrage, et les ententes régionales, comme la doctrine de Monroe, qui assurent le maintien de la paix, ne seront considérés comme incompatibles avec aucune des dispositions du présent Pacte ». Cette reconnaissance, quoique limitée et contrainte, trouvera une consécration institutionnelle dans la composition du Conseil de la SDN qui aura recours aux groupes régionaux pour la désignation des membres non permanents5.
L’Organisation des Nations unies (ci-après O.N.U.) a fait elle aussi le choix de la sécurité collective en s’efforçant de remédier aux principaux défauts de la SDN. Elle s’est également trouvée confrontée aux revendications des partisans du régionalisme, fussent-elles contradictoires ; certains États souhaitant compenser par le régionalisme l’omnipotence, d’autres l’impuissance éventuelle du Conseil de sécurité6. Le régionalisme trouvait en effet, avant même la Charte, une expression institutionnelle dans la Ligue des États Arabes (ci-après L.E.A.) créée le 22 mars 1945 et dans l’Union Panaméricaine créée en 1910 succédant à l’Union Internationale des Républiques Américaines créée en 1890 qui allait donner naissance à l’Organisation des États Américains (ci-après O.E.A.).
Ces revendications ont été satisfaites par l’insertion dans la Charte d’un chapitre VIII7 consacré aux « accords et organismes régionaux » qui, selon un formalisme strict, organise leur intervention dans le mécanisme général de maintien de la paix et de sécurité internationale reposant sur le chapitre VI (règlement pacifique des différends) et le chapitre VII (Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression). Au titre du premier, l’article 52 confère une priorité aux organismes régionaux pour résoudre leurs différends de manière pacifique avant de les soumettre au Conseil de sécurité. Au titre du second, l’article 53 prévoit que le Conseil utilise les accords régionaux pour l’application des mesures coercitives prises sous son autorité. Le régionalisme est donc intégré aujourd’hui, du fait du chapitre VIII, au système de sécurité collective organisé par la Charte. Il est symptomatique à cet égard de constater que les grandes organisations régionales se sont vues explicitement conférer la qualité d’organisme régional au sens du chapitre VIII8.
Il est bien connu toutefois que le système de sécurité collective minutieusement organisé par la Charte a été bouleversé par la pratique sous les coups de divers facteurs : l’évolution de la conflictualité ; le remplacement de l’action coercitive par l’interposition et le maintien de la paix ; l’interprétation extensive donnée par le Conseil de sécurité à la notion de menace à la paix et à la sécurité internationale. Les incidences sur la position du régionalisme dans la sécurité collective ont été directes car les mécanismes mis en place dans le cadre des articles 52 et 53 se sont avérés beaucoup trop rigides face à des situations exigeant une grande plasticité9.
C’est que dans le même temps le régionalisme a cru de manière exponentielle. Les grandes mutations internationales intervenues après 1945 vont contribuer à l’apparition de nouvelles organisations régionales : l’émergence de deux blocs antagonistes ; la reconstruction de l’Europe, la décolonisation, plus tard la mondialisation économique poussant à l’intégration vont susciter l’apparition de nouvelles organisations régionales10. La conjonction de ces deux phénomènes a produit un résultat paradoxal : le fait régional n’a jamais été aussi présent dans la sécurité collective mais sans que cette omniprésence se manifeste dans les cadres juridiques prévus par le chapitre VIII. Le concept de sécurité collective semble dès lors avoir pris le pas sur le système de sécurité collective : la fin, la paix internationale, justifie les moyens qui ne devront pas être entravés par des cadres juridiques et des procédures trop stricts.
A la question de savoir si la sécurité collective est un domaine où se manifeste la régionalisation, la réponse est donc assurément positive. Les acteurs internationaux ne la conçoivent plus sans une intervention déterminante des organismes régionaux. Toutefois celle-ci s’opère dans des conditions qui n’ont qu’un rapport très ténu avec les dispositions de la Charte de l’O.N.U. Ce constat de l’existence d’un néo-régionalisme en matière de sécurité collective11 a été opéré par un certain nombre d’auteurs éminents12. La formulation la plus récente et la plus définitive en a été donnée par le professeur Laurence Boisson de Chazournes dans son cours à La Haye en 201013 qui en explique les principales manifestations : élargissement de la notion d’organisme régional ; brouillage des phases de la procédure ; abandon de la référence au chapitre VIII au profit du chapitre VII dont les organismes régionaux ne sont qu’un instrument.
Dès lors, si l’omniprésence du régionalisme dans le domaine de la sécurité collective est un fait, elle prend des formes très diverses, ce qui contribue à rendre particulièrement évolutifs les rapports entretenus en pratique par l’universalisme et le régionalisme.
Section 1 L’omniprésence différenciée du régionalisme dans le domaine de la sécurité collective
Si l’omniprésence du régionalisme dans le domaine de la sécurité collective a été rendue possible par la multiplication des organismes régionaux depuis 1945, l’explication réside sans doute aussi dans l’évolution de la sécurité collective elle-même. Dans la Charte, le périmètre en est défini à la fois par l’interétatisme et par le règlement pacifique et l’action coercitive. Mais ce périmètre a été modifié par l’évolution des rapports internationaux mais surtout par les conséquences qu’en a tiré le Conseil de sécurité et qu’il va s’efforcer d’assumer par une interprétation particulièrement constructive de la menace à la paix et à la sécurité internationale. Il considère d’une part ce qu’il est convenu d’appeler les nouvelles menaces à la paix et à la sécurité internationales qui viennent s’ajouter aux différends ou conflits interétatiques classiques : ainsi, la sécurité que le système international doit s’efforcer désormais de garantir est en réalité la sécurité humaine. Cette approche, soutenue par l’ensemble du système des Nations unies14 conduit d’autre part à une démarche plus globale s’appuyant sur un recours plus systématique à la prévention en amont mais aussi sur une tentative de consolidation de la paix en aval.
Ainsi, le spectre sur lequel se manifeste la sécurité collective est beaucoup plus large et de ce fait beaucoup plus d’organisations régionales doivent y trouver leur place. C’est assurément la position du Secrétaire général de l’O.N.U. lorsqu’il envisage le rôle des accords régionaux et sous-régionaux dans la mise en œuvre de la responsabilité de protéger15. Désormais toute organisation régionale a vocation à pouvoir participer/contribuer à la sécurité collective, de l’organisation militaire dans la mesure où elle est susceptible de participer à la contrainte armée jusqu’à l’organisation économique à laquelle, il sera demandé dans le cadre de la consolidation de la paix de contribuer à la relance du développement. En pratique, ce ne sont pas les compétences de l’organisation régionale qui commandent sa participation au système de sécurité collective mais le contexte dans lequel elle agit (ou elle choisit d’agir) suivant que les mécanismes de la sécurité collective y trouvent à se manifester ou non.
Par contre, si l’on considère, du point de vue de la sécurité collective, le régionalisme réel et non pas potentiel, le nombre d’organismes concernés se trouve naturellement réduit. La recension opérée par le Réseau de recherche francophone sur les opérations de paix16 ne dénombre cependant pas moins de 20 organisations régionales qui contribuent activement à la sécurité collective. Elles présentent néanmoins des différences considérables et face à plusieurs typologies possibles, on mettra l’accent sur l’opposition entre les organisations régionales qui se bornent à assurer la sécurité collective entre leurs membres, se limitant ainsi à un rôle régional et les organisations régionales qui, de plus, revendiquent et exercent un rôle global, en s’efforçant d’externaliser la sécurité au-delà de leurs frontières.
I. L’organisation régionale, acteur de la sécurité collective régionale
Avec la création d’une organisation internationale, les États membres ont défini des objectifs communs qu’ils vont atteindre grâce à une solidarité particulière formulée dans l’acte constitutif. Elle s’appuie sur une coopération privilégiée qui se distingue des relations qu’ils entretiennent avec les tiers. Solidarité et coopération ont pour corollaire le règlement pacifique des différends pouvant survenir entre eux. L’organisation régionale délimite ainsi un espace de sécurité collective. La persistance ou la réapparition de conflits armés dans le champ de compétence de l’organisation pourra la conduire néanmoins à se doter des instruments militaires nécessaire au rétablissement de la sécurité régionale.
A. Les organisations régionales et la recherche de la sécurité collective régionale par des moyens pacifiques
La recherche de la sécurité collective par des moyens non armés caractérise les organisations que l’on pourrait qualifier d’historiques. Les États membres dont elles expriment la communauté d’intérêts ont eu une influence déterminante dans les débats qui ont conduit à l’adoption du chapitre VIII de la Charte. Il n’est donc pas étonnant qu’à la suite de leur création, elles se soient vues reconnaître le statut d’organisme régional au sens du chapitre VIII. Ce sera le cas de la L.E.A. et de l’O.E.A., puis de l’Organisation de l’Unité Africaine (ci-après O.U.A.) en 1963. Organisations de nature politique, destinées à assurer la coopération et la paix entre leurs membres, elles répondent très exactement aux souhaits de l’article 52 de la Charte de voir les membres de ces organisations faire tous leurs efforts pour régler pacifiquement les « différends d’ordre local ». Par contre, elles ne disposent pas à l’origine des moyens nécessaires pour appliquer les mesures coercitives prises sous l’autorité du Conseil de sécurité comme le prévoit l’article 53. Mais cela semble inutile car dans un premier temps, la confiance dans le Conseil de sécurité est réelle et sa compétence en la matière apparaît exclusive puisqu’il n’utiliserait les organismes régionaux que « s’il y a lieu ». Ce qui leur est demandé, et justifiera leur élection au titre du chapitre VIII, c’est donc de pouvoir mettre en œuvre des mécanismes de règlement pacifique des différends entre leurs membres. Ainsi pour la Charte de l’O.E.A.17 (laquelle, dans le cadre des Nations unies « est un organisme régional », article 1§1), les différends de caractère international entre deux ou plusieurs États américains doivent être réglés par des moyens pacifiques (article 3i) dont les modalités sont prévues au chapitre V, sans que celui-ci altère les droits et obligations que les États membres tirent des articles 34 et 35 de la Charte. De même, dans le cadre de l’O.U.A.18, qui avait pour objectif de « favoriser la coopération internationale en tenant dûment compte de la Charte des Nations Unies », les États membres s’engagent à régler leurs différends par des voies pacifiques et à cet effet créent une Commission de médiation de conciliation et d’arbitrage (article XIX). Enfin, la L.E.A. à l’article 5 du Pacte du 22 mars 194519 proscrit le recours à la force et renvoie au Conseil le soin de régler pacifiquement les différends entre les membres par la médiation ou l’arbitrage.
Postérieurement, deux autres organisations régionales s’inscriront dans cette même démarche de manière toutefois originale. Si la Déclaration de Bangkok du 8 août 196720 dans son article 2§2, se borne à fixer comme objectif à l’Association des Nations de l’Asie du Sud Est (ci-après, A.S.E.A.N.), entre autres, de « promouvoir la paix et la stabilité régionale (…) conformément aux principes de la Charte des Nations Unies », le Traité d’amitié et de coopération en Asie du sud-est du 24 février 1976 passé entre les États membres prévoira en son chapitre IV un mécanisme de règlement pacifique des différends, réservant toutefois le droit pour les États membres de recourir aux modes de règlement pacifique de l’article 33§1 de la Charte des Nations unies. Après sa reconnaissance en qualité d’organisme régional au sens du chapitre VIII de la Charte, l’A.S.E.A.N. a poursuivi la mise en place des instruments nécessaires à une sécurité collective régionale, avec l’adoption de la Charte de l’organisation, signée le 20 novembre 2007 et entrée en vigueur le 20 décembre 2008 et surtout avec le projet de Communauté Politique et de Sécurité adopté le 1er mars 2009. Fondé, sur le principe de « comprehensive security », le projet vise à dépasser les exigences de la sécurité traditionnelle pour s’efforcer de garantir la sécurité humaine. Cet objectif doit être poursuivi notamment par la mise en œuvre du M.O.U. entre l’A.S.E.A.N. et l’O.N.U.
L’originalité de l’Organisation de la Sécurité et de la Coopération en Europe (ci-après O.S.C.E.) réside enfin dans le fait que cette organisation s’est auto-désignée comme un accord régional au sens du chapitre VIII à un moment où, dans la Déclaration finale d’Helsinki, en 1992, sous la forme de la C.S.C.E. ; elle ne disposait pas encore de la personnalité juridique21. À la suite du sommet de Budapest du 6 décembre 1994, l’organisation régionale O.S.C.E. conserve comme objectif la construction d’un « espace régional de sécurité » par la mise en œuvre de moyens politiques et diplomatiques qui s’inscrivent strictement dans le cadre du chapitre VIII ; en effet « en tant que membres d’un accord régional au sens du chapitre VIII de la Charte des Nations Unies, les États participants à la C.S.C.E./O.S.C.E. ne ménageront aucun effort pour régler d’une manière pacifique les différends d’ordre local avant de les soumettre au Conseil de sécurité de l’O.N.U. »22. Ainsi, cinq grandes organisations régionales (L’O.U.A. ayant été remplacée par l’Union africaine en 2002) s’intègrent explicitement au système de sécurité collective mis en place par l’O.N.U. avec le chapitre VIII. Cette intégration ne vaut cependant que pour le règlement pacifique des différends d’ordre local de l’article 52, faute pour ces organisations de disposer des instruments leur permettant d’être utilisées par le Conseil de sécurité, dans le cadre de l’article 53, pour « l’application des mesures coercitives prises sous son autorité ».
B. Les organisations régionales et la recherche de la sécurité collective par la mise en place de capacités de contrainte
Face à la question de l’élargissement de leurs compétences pour disposer de moyens coercitifs leur permettant éventuellement de satisfaire aux dispositions de l’article 53, les positions adoptées par ces organisations régionales sur la base de leur autonomie institutionnelle s’avèrent très différentes. Elles s’expliquent à la fois par la nature propre de ces organisations mais également par leurs relations à la sécurité collective. De ce point de vue, le cas de l’Union africaine est tout à fait original.
L’A.S.E.A.N., l’O.E.A., la L.E.A., l’O.S.C.E. n’ont pas choisi de se doter d’instruments coercitifs leur permettant d’agir dans le cadre de l’article 53. Cela correspond en premier lieu à leur perception de la sécurité collective régionale23 mais également à des facteurs tenant à leur composition ou au contexte régional dans lequel elles s’insèrent : présence des États-Unis (O.E.A.), méfiance à l’égard de la sécurité collective renforcée par l’influence de la Chine (A.S.E.A.N.) ; méfiance entre les États membres qui rend toute tentative de réforme illusoire (L.E.A.) 24 ; architecture régionale de sécurité dans laquelle la fonction coercitive peut être assumée par d’autres organisations (O.S.C .E.). Et si la sécurité régionale reconnaît la possibilité d’actions armées, c’est sur la base de la notion de légitime défense collective telle qu’elle résulte de l’article 51 de la Charte. Dès le Traité interaméricain d’assistance mutuelle du 2 septembre 1947, les États parties consacraient le principe du règlement pacifique des différends au moyen des procédures prévues par le système interaméricain avant qu’il en soit référé à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité (article 2) mais reconnaissaient également (article 3) que toute attaque contre un État américain sera considérée comme une attaque contre tous les États américains droit à la légitime défense collective25. La sécurité collective régionale telle qu’elle est conçue par ces organisations repose donc uniquement sur des mécanismes de règlement pacifique26 même si l’organisation régionale s’efforcera parfois de les étendre au-delà du périmètre des États parties27.
Avec l’Union africaine, qui a remplacé l’Organisation de l’Unité Africaine en 2002, on se trouve au contraire en présence d’une organisation régionale qui s’est dotée délibérément des instruments nécessaires à la mise en œuvre des dispositions de l’article 53 de la Charte à travers la construction d’une architecture africaine de paix et de sécurité (A.A.P.S.)28. Celle-ci s’est imposée du fait des atteintes à la paix et à la sécurité internationales constatées sur le continent africain, jointes à l’impuissance voire au désintérêt du Conseil de sécurité, alors même que la Charte de l’U.A. ne prévoit, de manière classique, que le principe du règlement pacifique des conflits entre ses membres (article 4e). L’A.A.P.S. repose sur la création du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine par le Protocole adopté le 9 juillet 2002 et entré en vigueur le 26 décembre 2003 qui se substitue au Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits de l’O.U.A. mais avec un pouvoir de décision. Il est assisté par des mécanismes opérationnels, le système continental d’alerte rapide, le Conseil des Sages, la Force Africaine en Attente (F.A.A.) le Comité d’État major, qui répondent à une logique dans la manière d’appréhender les conflits, à savoir analyser, évaluer et agir29.Il bénéficie également du concours du Président de la Commission de l’U.A. et des ressources résultant de la mise en place d’un Fonds (Fond de la paix). La principale originalité de l’AAPS réside toutefois dans le rôle joué par les organisations sous régionales africaines. Celles-ci, la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (C.E.D.E.A.O.), la Communauté Economique des États d’Afrique Centrale (C.E.E.A.C.), l’International Authority For Development (I.G.A.D.). Pour l’Afrique de l’Est, la Southern African Development Community (S.A.D.C.) et l’Union du Maghreb Arabe (U.M.A.)30ont connu au cours des années 1990 une évolution destinée à en faire les piliers de l’A.P.S.S. À l’origine organisations consacrées au développement économique (elles sont évoquées dans les textes comme des Communautés économiques régionales) ; elles ont progressivement investi le domaine de la sécurité collective régionale en mettant en place leur propre architecture de sécurité31 suivant un rythme et des modalités variables32.Leur apport essentiel se situe dans leur contribution à la Force africaine en attente qui devrait reposer sur la mise en place de cinq brigades en attente, chacune étant encadrée par une des organisations sous régionales. Cette construction, dont les ambitions vont jusqu’à l’élaboration d’une Politique africaine commune de défense et de sécurité voire à l’édification d’une armée panafricaine33 a suscité parfois quelques doutes. On a pu parler de « bricolage institutionnel »34 tout en mettant l’accent sur la faiblesse des moyens que les États africains peuvent engager dans un tel processus35. Il n’en demeure pas moins que l’effort de structuration est évident36 et s’avérait nécessaire devant les interventions tous azimuts de l’organisation continentale et des organisations sous régionales. Désormais, c’est un principe de subsidiarité qui les régit. L’appropriation de la sécurité régionale africaine par les africains suppose toutefois encore de s’affranchir, au moins en partie du soutien des États occidentaux. Celui-ci peut provenir des États dans le cadre de programmes bilatéraux tel le programme R.E.C.A.M.P. initié par la France en 1998 et qui s’appuie depuis 2002, sur l’architecture de paix et de sécurité de l’Union africaine37. Il peut provenir également d’organisations régionales jouant un rôle global en matière de sécurité collective38.
II. L’organisation régionale, acteur global de la sécurité collective
On peut considérer que le chapitre VIII de la Charte conçoit le rôle des organismes régionaux au service de leur propre sécurité régionale, sous réserve des pouvoirs généraux que détient le Conseil de sécurité en sa qualité de responsable principal du maintien de la paix et de la sécurité internationale. Toutefois, si des organismes régionaux se situent délibérément hors du cadre du chapitre VIII, ils peuvent également contribuer à la sécurité internationale, pour autant qu’ils respectent l’obligation résultant de l’article 53 d’obtenir une autorisation du Conseil de sécurité avant l’adoption de toute mesure de contrainte armée. Dans ce cadre, deux organisations régionales jouent aujourd’hui un rôle essentiel dans la sécurité collective, à la fois garantes de la sécurité collective régionale mais également instruments de la sécurité collective globale : l’Union européenne et l’O.T.A.N.
A. L’Union européenne, acteur privilégié de la sécurité collective
Privilégiant les relations entre l’Union européenne et l’O.N.U., on oublie parfois que la contribution de l’U.E. à la sécurité collective comporte également une dimension interne, reposant sur les caractères propres du processus d’intégration. Destiné à approfondir la solidarité des peuples européens et à créer entre eux une union sans cesse plus étroite, le processus européen se situe au-delà des rapports étatiques entre ses membres. Entre les 27 États, le partage de valeurs communes fait que la question de la sécurité collective ne se pose plus en termes de règlement pacifique ou de mesures de contrainte mais en termes d’état de droit et de contrôle du juge. Il n’existe plus de conflits, seulement des différends dont le règlement obéit à des mécanismes purement judiciaires. Et, si l’article 7 du T.U.E. prévoit la possibilité pour le Conseil de constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2 et de lui faire des recommandations, il n’a pas pour objet de traiter d’un conflit entre État membre mais du non-respect par un État des principes qui commandent la constitution matérielle de l’Union. L’Union européenne a donc dépassé le stade de la sécurité collective entre ses membres pour atteindre la Communauté de droit avant de parvenir à l’Union de droit39. Cette originalité de l’Union européennequi ne peut être assimilée à une organisation internationale classique, se retrouve dans sa contribution à la sécurité collective globale40. Le traité sur l’Union européenne est particulièrement clair sur ce point. Aux termes de l’article 3.1 T.U.E., l’Union a pour but de promouvoir la paix » et (article 3.5), « dans ses relations avec le reste du monde, l’Union (…) contribue à la paix, à la sécurité (…) ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la Charte des Nations unies ». On mesure à ces formules que l’Union européenne entend se situer vis-à-vis de l’ONU sur le terrain des principes, les deux institutions adhérant « à certaines normes ou valeurs, parce qu’elles ont des conceptions proches de la « paix et de la sécurité internationale et des moyens de les servir »41.Dans leurs relations, il n’y a pas de place pour les dispositions du chapitre VIII, l’Union européenne ne se considérant pas comme un organisme régional au sens de ce texte. Pour autant, son action dans le cadre de la sécurité collective doit respecter les principes de la Charte et notamment les pouvoirs du Conseil de sécurité en matière de recours à la force armée. Cette démarche d’autonomie institutionnelle et de soumission au respect du principe de l’article 2§4 de la Charte sera à la fois constamment réaffirmée mais également progressivement structurée par le développement de la Politique de Sécurité et de Défense Commune. Ainsi, la Stratégie européenne de sécurité adoptée par le Conseil européen le 12 décembre 2003 affirme le soutien de l’Union européenne à un « ordre international fondé sur un multilatéralisme efficace » dans lequel « la responsabilité première pour le maintien de la paix et de la sécurité internationale incombe au Conseil de sécurité ». « Une des priorités de l’Union européenne est de renforcer l’O.N.U. en la dotant des moyens nécessaires pour qu’elle puisse assumer ses responsabilités et mener une action efficace »42. Soutien actif sans subordination :les débats autour de la révision de la stratégie43 n’affecteront pas cette position et encore moins le principe d’une autorisation nécessaire du Conseil de sécurité en cas de recours à la force. C’est sur ces bases conceptuelles qu’a été construite progressivement la P.S.D.C. Deux indices significatifs peuvent en être fournis. D’une part, les missions assignées à la P.S.D.C. reposent sur les missions dites de Petersberg, elles-mêmes inspirées de l’Agenda pour la paix de Boutros Boutros-Ghali : missions humanitaires et d’évacuation, missions de prévention des conflits et de maintien de la paix, missions de forces de combat pour la gestion des crises y compris les opérations de rétablissement de la paix. Elles ont été complétées par le Traité de Lisbonne qui ajoute désormais (article 43§1 T.U.E.) les actions conjointes en matière de désarmement, les missions de conseil et d’assistance et les opérations de stabilisation à la fin des conflits44. Toutefois, ces nouvelles missions ne s’écartent pas de l’approche retenue désormais par l’O.N.U. pour définir les actions concourant à la sécurité collective mais confirment au contraire la nécessaire actualisation de l’Agenda pour la paix. D’autre part, les moyens opérationnels en voie d’élaboration dans le cadre de la P.S.D.C. tiennent dûment compte des besoins de l’O.N.U. Ainsi, les Groupements tactiques45, unités militaires comptant environ 1500 hommes sur une base multinationale, destinés à donner une capacité de réaction rapide à l’Union dans la gestion des crises, doivent, selon l’Objectif global de capacités pour 2010, renforcer « la capacité de l’Union à répondre à d’éventuelles demandes des Nations Unies »46. On peut parler dans ce cas d’un véritable réajustement des capacités de la PSDC (dans lequel naturellement les considérations budgétaires ne sont pas absentes) sur les besoins de l’organisation mondiale47.
B. L’O.T.A.N., acteur controversé de la sécurité collective
La relation entre l’O.T.A.N. et la sécurité collective globale est beaucoup plus controversée48. Pour un certain nombre d’observateurs, la contribution de l’Alliance atlantique ne saurait répondre aux objectifs de la communauté internationale49, déqualifiée à la fois par la présence des États Unis, son caractère d’organisation militaire et par un usage de la force conduit parfois, comme en ex-Yougoslavie, sans autorisation du Conseil de sécurité. Ces arguments ne sont pas pour autant déterminants. D’une part, la pratique de la contribution des organismes régionaux à la sécurité collective révèle que celle-ci peut ne pas s’inscrire dans le cadre strict du chapitre VIII. Si l’O.N.U. n’a jamais envisagé de lui conférer le statut d’organisme régional au sens de ce texte, l’O.T.A.N., pour sa part, n’a jamais entendu fonder ses interventions sur ces dispositions, souhaitant conserver sa liberté d’action. D’autre part, la définition de l’organisme régional par rapport à la sécurité collective est beaucoup plus large : c’est l’organisme reconnu explicitement par l’O.N.U. et singulièrement par le Conseil de sécurité comme étant de nature à contribuer à la sécurité collective50. Cette reconnaissance apparaît dans le droit qui est accordé à des États membres d’agir, dans le cadre d’accords ou d’organismes régionaux, pour mettre en œuvre un mandat du Conseil de sécurité comme on le trouve par exemple dans la résolution 1973 du 17 mars 201151. Ainsi, dans une telle hypothèse, plus que l’organisme, c’est le mandat qui est déterminant car il confère sa légalité (et également fixe ses limites) à l’intervention régionale. On peut donc en conclure, dès lors, que si l’O.T.A.N. n’est pas devenue un organisme du chapitre VIII, elle participe de ce néo-régionalisme qui contribue à la sécurité collective globale. C’est bien le choix qui a été opéré progressivement par l’O.T.A.N. du fait de l’évolution du contexte international.
Initialement alliance militaire et organisation de défense collective relevant à ce titre du chapitre 51 de la Charte, elle deviendra de surcroit, avec la disparition de l’ennemi, organisation de sécurité collective, tant il est vrai que défense et sécurité collectives traduisent une distinction de plus en plus brouillée52. Dès le traité de Washington qui la crée le 4 avril 1949, l’O.T.A.N. fixe également les termes de sa relation avec les Nations unies. Les États parties en effet réaffirment « leur foi dans les buts et les principes de la Charte » s’engagent « ainsi qu’il est stipulé dans la Charte des Nations unies, à régler par des moyens pacifiques tous différends internationaux dans lesquels elles pourraient être impliquées »53 et à « s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force de toute manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». Avec la disparition du Pacte de Varsovie et l’implosion du camp socialiste, la question de la pertinence de l’existence de l’O.T.A.N. s’est posée. Elle a été résolue par l’affirmative mais au prix d’une inflexion de son rôle que l’on voit apparaître avec le nouveau concept stratégique de l’Alliance adopté les 23-24 avril 1999. Si celui-ci réaffirme la mission défensive de l’O.T.A.N., il lui reconnaît également de nouvelles missions destinées à la gestion des crises, qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 5 du traité de Washington et qui permettent de traiter les situations « hors zone »54. Ces nouvelles actions doivent naturellement respecter les buts et principes de la Charte des Nations unies et la « responsabilité principale du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et la sécurité internationales »55. Le concept stratégique pour la défense et la sécurité des membres de l’O.T.A.N. adopté à Lisbonne le 19 novembre 2010 confirme le nouveau rôle qu’entend jouer l’O.T.A.N., se reconnaissant compétent pour la défense collective mais aussi pour la gestion de crise et la sécurité coopérative. En effet, « Les crises et conflits au-delà des frontières de l’O.T.A.N. peuvent constituer une menace directe pour la sécurité du territoire et des populations des pays de l’Alliance. En conséquence, l’O.T.A.N. s’engagera, lorsque c’est possible et nécessaire, pour prévenir ou gérer une crise, stabiliser une situation post-conflit ou aider à la reconstruction », « La coopération entre l’O.T.A.N. et l’O.N.U. dans le cadre d’opérations à travers le monde continue à contribuer (en effet) de manière importante à la sécurité ».
Les prises de position de l’Union européenne et de l’O.T.A.N. révèlent que les deux organisations n’ont pas la même perception de leur rôle dans la sécurité collective globale. Pour la première, il s’inscrit nécessairement dans une coopération, fût-elle vigilante, avec l’O.N.U. Pour la seconde au contraire qui tend parfois à se définir comme une organisation similaire à l’O.N.U.56 cette coopération n’est qu’un des moyens parmi d’autres de contribuer à la sécurité internationale. Le constat ne fait que confirmer, au-delà de leur participation de principe, les approches différenciées des organisations régionales face à la sécurité collective. Celles-ci se retrouvent dans les rapports entretenus, en pratique par l’universalisme et le régionalisme au service de la sécurité collective.
Section 2 L’évolution des rapports entre le régionalisme et de l’universalisme dans le domaine de la sécurité collective
Le constat est très largement opéré, « bien qu’elles ne soient pas toujours strictement observées dans la pratique, les dispositions du chapitre VIII soulignent qu’il est utile pour la prévention et la protection, d’entretenir des relations de travail entre les organisations mondiales, régionales et sous-régionales »57. Il est vrai que si leur esprit général est conservé, les dispositions du chapitre VIII apparaissent datées. Elles vont non pas commander les relations entre organismes régionaux et organisation mondiale, mais simplement les inspirer de manière pragmatique au nom d’intérêts communs bien compris58. D’un côté, l’Organisation des Nations unies peut difficilement se passer des organisations régionales qui lui fournissent des moyens (humains, financiers, logistiques) sans lesquels elle ne pourrait assumer des missions multipliées, mais également qui rendent acceptables les actions conduites au nom de la proximité (politique, culturelle, religieuse). De l’autre, les organisations régionales, qui restent des systèmes partiels et dissimulent parfois des situations étatiques hégémoniques, doivent inscrire leurs actions dans le cadre de la Communauté internationale dont l’O.N.U. est l’expression, fut elle déformée. Il en résulte donc des rapports nécessaires entre l’O.N.U. et les organisations régionales dont les modalités institutionnelles et normatives sont désormais bien connues59. Ces rapports, nés pour l’essentiel de la pratique, sont toutefois en constante évolution. On se bornera, ici, à mettre l’accent sur deux problématiques qui apparaissent comme des constantes dans les rapports entre l’O.N.U. et les organisations régionales, opposant d’une part légalité et légitimité, d’autre part, partenariat et autonomie
I. Les rapports entre l’O.N.U. et les organisations régionales : entre légalité et légitimité
La question de légalité dans les rapports entre O.N.U. et organisations régionales se situe a priori dans le cadre défini par le chapitre VIII qui en fixe les règles de manière précise. La question de légitimité est pour sa part réglée par l’intervention du Conseil de sécurité, responsable principal du maintien de la paix et de la sécurité internationale et par le rôle « constitutionnel » de la Charte qui prévoit les conditions de l’action des organismes régionaux. La pratique a contribué à bouleverser cet ordonnancement.
A. Le respect par les organisations régionales de la légalité définie par la Charte des Nations unies
La mise à l’écart de la lettre du chapitre VIII au profit de son esprit et le développement de la coopération entre l’O.N.U. et les organismes régionaux ne permettent plus de trouver dans ce seul texte le cadre juridique commandant les rapports entre les deux types d’organisation.
La légalité s’est déplacée pour partie du chapitre VIII au chapitre VII et plus particulièrement à propos de la question des mesures de contraintes armées. La Charte établit à cet égard un régime juridique non seulement obligatoire mais impératif reposant sur l’article 2§4 qui fixe les conditions de la légalité du recours à la force dans les relations internationales60 et dont l’article 53 n’est que la déclinaison au profit des organisations régionales. Il en résulte que toute action armée d’une organisation régionale doit être autorisée par le Conseil de sécurité. La pratique révèle toutefois les interrogations que suscite cette formule.
On notera d’abord que la question se pose de manière différente pour la contrainte non armée et la contrainte armée. Dans le premier cas, le texte de l’article 53 qui évoque les « mesures coercitives » semble s’appliquer et donc interdire aux organismes régionaux d’adopter des sanctions économiques sans l’accord du Conseil. La pratique révèle toutefois qu’il n’en est rien, que les organisations régionales adoptent des sanctions non armées de leur propre autorité, sanctions qui sont devenues une de leurs armes diplomatiques privilégiée. La pratique des organisations a été sur ce point consacrée par la doctrine61. Cette position confirme également au passage le caractère désormais insuffisant de la référence à l’article 53. Si l’on peut admettre qu’il a été coutumièrement modifié en ce qui concerne la coercition non armée, il n’en est pas de même en ce qui concerne la coercition armée dans la mesure où celle-ci est commandée par les dispositions de l’article 2§4 de la Charte. L’exigence de l’autorisation du Conseil de sécurité prévue à l’article 53 pour qu’une organisation régionale puisse recourir à la force armée semble donc s’imposer pour assurer le respect du principe impératif contenu par l’article 2§4.
La question de la légalité de l’usage de la force par une organisation régionale sans autorisation du Conseil de sécurité a néanmoins été abondamment débattue notamment à l’occasion de l’intervention aérienne de l’O.T.A.N. au Kosovo en 199962. Les arguments en faveur de cette thèse n’emportent pas la conviction, qu’ils se situent ex ante (intervention d’humanité) ou ex post (validation a posteriori par le Conseil de sécurité). Et, ni par l’adoption d’un texte formel, ni par une pratique générale et constante, les États et leurs organisations internationales n’ont entendu déroger au principe de l’article 2§4. Il est symptomatique à cet égard de constater que l’O.T.A.N. qui s’était dispensée de l’autorisation du Conseil pour agir en ex-Yougoslavie est intervenue en Libye sur mandat de celui-ci et s’est gardée d’intervenir jusqu’à présent en Syrie, malgré les sollicitations pressantes de plusieurs États, faute de pouvoir disposer d’une résolution au Conseil de sécurité.
Il reste cependant que l’inaction du Conseil de sécurité est de nature à fournir une justification morale63 à une action armée d’une organisation régionale, conduisant certaines d’entre elles à se doter d’instruments juridiques de nature à faire face à ce type de situations. C’est le cas en Afrique où l’action tardive et peu résolue de l’O.N.U. dans la crise du Rwanda est sans doute à l’origine de l’adoption du Protocole sur les amendements à l’Acte constitutif de l’Union africaine des 3 février et 11 juillet 2003 qui prévoit en son article 3 le droit pour l’U.A. d’intervenir (par la force armée) dans un État membre sur décision de la Conférence, dans certaines situations graves à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité ainsi qu’une menace grave de l’ordre légitime afin de restaurer la paix et la stabilité dans l’État membre de l’union sur la recommandation du Conseil de paix et de sécurité. Le texte ne faisant nulle mention d’une éventuelle autorisation du Conseil de sécurité, et ne renvoyant pas au chapitre VIII de la Charte,64il fournirait à lui seul une base légale à une intervention armée de l’Union africaine notamment pour des motifs humanitaires. Il est vrai que certaines prises de position des États africains ont pu le laisser entendre. Ainsi, lorsqu’ils se prononcent sur la réforme des Nations Unies, ils prohibent tout recours à la force qui n’est pas fondé sur l’article 51 de la Charte ou sur l’article 4(H) de l’Acte constitutif de l’O.U.A.65. Une partie de la doctrine en a donc tiré la conclusion que l’U.A. pourrait déclencher discrétionnairement une intervention militaire, sa légalité résultant néanmoins de la validation ex post par le Conseil de sécurité ou de l’existence d’une règle coutumière régionale. Le premier argument, souvent avancé, a fait l’objet de nombreuses critiques et d’une réfutation décisive par Jean-Marc Sorel66