Le fils prodigue - Sylvie Thomas - E-Book

Le fils prodigue E-Book

Sylvie Thomas

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Beschreibung

En 1956, Lilly fait partie d'un groupe d'anarchistes hongrois qui veut faire entendre ses idées au milieu du chaos, jusqu'à ce qu'elle tombe enceinte...

1956, Hongrie. Un groupuscule anarchiste profite du chaos politique pour faire entendre ses idées. Fidèle au mouvement, Lilly se voit pourtant écartée lorsqu’elle tombe enceinte du leader. Un fils naîtra, aussitôt caché aux yeux du monde.
De nos jours, en France. Laura peine à comprendre les moments d’égarement de sa mère. Sont-ils dus à la vieillesse, à une maladie, ou aux secrets qu’elle refuse de révéler ? Une lettre envoyée de Hongrie va plonger la famille dans une aventure aux antipodes de leur vie parisienne. Les certitudes des uns se retrouvent fissurées, tandis que les motivations d’un fils oublié demeurent obscures.
Le passé et le présent jonglent ensemble, laissant le futur incertain. Entre Paris et Budapest, découvrez une intrigue policière haletante, mêlant amour et rebondissements.

De Budapest à Paris, découvrez un thriller empli d'action, de suspense et d'amour familial, qui mêle passé et présent, renverse les certitudes et déterre des secrets autour d'un fils oublié.

EXTRAIT

Lilly n’était pas vraiment honnête envers Luc et Laura. Inquiets et perdus, ils cherchaient simplement à aider leur mère de leur mieux.
La communication avec les gens devenait plus difficile, certes, mais ces silences étaient si féconds ! Il n’était pas question que des drogues les vident de leur contenu pour la métamorphoser en zombie. Quitte à passer pour une originale ! Les psychiatres décelaient des problèmes là où Lilly ressentait un épanouissement. Et puis elle avait passé l’âge de se préoccuper du qu’en-dira-t-on, du regard désapprobateur des gens. Et tant pis pour les dangers potentiels, il fallait bien mourir de quelque chose. Pourquoi pas d’un trop-plein de sentiments ?
–Tout va bien, maman ? répéta Laura.
Lilly se tourna vers sa fille. Comme toujours quand elle rentrait dans ces moments lunaires, les sensations émergeaient.
« Quel joli ovale », découvrit-elle en suivant le contour du visage de Laura, encadré de cheveux bruns savamment coupés court en mèches rebelles. Une apparence enfantine s’en dégageait. « Et puis elle sent bon le chocolat chaud ! » Une ambiance de chalet de montagne s’installa. Images et ressentis se télescopaient. Une vague de tendresse maternelle resurgit, l’envie de la prendre dans ses bras.
–Tu veux que je te prépare quelque chose, un café, un thé… du chocolat chaud ? demanda Laura.
Elle ne comprit pas pourquoi sa mère se mit à rire. Lilly caressa doucement la joue de sa fille qui la regarda avec un petit pincement au cœur.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Sylvie Thomas est née à Clamart en 1958. Elle a suivi des études de lettres modernes à la Sorbonne, avant de s’orienter vers une formation de Professeur de Yoga à l’école Française de Yoga de Paris (EFY). Depuis, elle a développé des cours, ateliers et stages de yoga au sein de son association YOG’ART et dans différentes structures en région parisienne et en Provence. Le fils prodigue est son premier roman.

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Sylvie Thomas

Le fils prodigue

Mille mercis à Sylvie Mascle pour son aide précieuse sans laquelle mon livre n’aurait pas vu le jour.

Merci à mes filles, Charline, Manon et Lou pour leur lecture enthousiaste, leurs remarques avisées et bienveillantes.

LILLY

Le regard de Lilly s’égara vers l’horizon. À travers la vitre du salon, la nuit descendait nonchalamment sur Paris. Son appartement situé en proche banlieue parisienne surplombait la capitale. Des bribes de son enfance resurgirent…

Gamine, déjà, elle restait de longs moments en contemplation presque hypnotique devant le paysage qui s’étalait devant elle. La fenêtre de la salle de bains se trouvant juste au-dessus de la baignoire, elle restait dans son bain jusqu’à ce que l’eau soit totalement refroidie, que le bout de ses doigts se ride et que son père lui crie à travers la porte : « Si tu ne sors pas, tu vas te transformer en poisson. »

Quand elle fermait les yeux, elle discernait distinctement cette ligne plate coupée par endroits de quelques lignes verticales et d’une petite colline couronnée de clochers arrondis. Un résumé architectural de Paris, comme un logo.

Ce soir, le ciel ondulait sous la brume et Lilly laissa sa pensée s’échapper vers une interprétation surréaliste du phénomène météorologique. Le ciel grelottait, Paris avait dû prendre froid. Le mois de décembre débutant, il y avait une logique dans tout ça !

Malgré ses soixante-dix ans, elle cultivait le côté enfantin de son caractère. Une innocence calculée ou non, va savoir… D’ailleurs, une innocence peut-elle être calculée ? Sa divagation onirique la poussa à rechercher un remède. Quels médicaments pouvaient soigner un ciel malade ? Après tout, le ciel de Paris s’embrumait fréquemment, ne serait-ce pas aller contre sa nature que d’essayer de le clarifier ?

Un souffle de vent, quelques gouttes de pluie devraient suffire pour aujourd’hui…

Elle sourit intérieurement.

Son rêve éveillé perdura un certain temps, l’emportant vers des contrées faites de nuages de pluie balayant l’horizon sous le souffle dantesque d’un Dieu tout-puissant auquel pourtant Lilly ne croyait pas… ou plus depuis une période troublée de sa jeunesse qu’elle préférait taire.

Puis soudain, alors que sa rêverie commençait à s’effilocher en tous sens, la petite lumière fusa. Une petite lumière intérieure qui, depuis quelques mois déjà, lui faisait perdre par moments le contrôle des mots. Ils se transformaient en sons n’évoquant plus rien, vidés de leur substance. Elle-même ne pouvait plus les reproduire. Quant aux notions grammaticales de sujet, verbe, complément d’objet direct, indirect… de traviole ? Bifurquant vers où, vers quoi ? Cela devenait un galimatias informel et pesant.

Elle pencha légèrement la tête et le flot des paroles s’écoula de son crâne. Une libération !

Les mots ne venant plus, une interprétation différente de ce qui l’entourait se fit jour. Lors de ces décrochages, son esprit ne structurait plus, voilà, c’est cela, elle n’avait plus de construction mentale rationnelle. L’instant présent se vivait à travers des ressentis, d’ambiances, d’intuitions. Elle comprenait la situation mais n’analysait plus, ne théorisait plus et les mots fuyaient.

Sa fille Laura décela ce petit mouvement qu’elle savait être le prélude chez sa mère à la perte de la parole. Ce qu’elle ne savait pas, c’est où la menaient ces plages de mutisme. Vers quelles contrées imaginaires plus ou moins défaillantes s’envolait son esprit ?

–Tout va bien, maman ?

Lilly ne répondit pas.

Depuis plusieurs mois, ces états contemplatifs revenaient de plus en plus souvent. Ils pouvaient durer quelques minutes comme plusieurs heures.

Ces phénomènes inquiétaient Laura et son frère Luc. Ils incitèrent vivement leur mère à consulter un médecin. Si elle faisait un malaise ou était victime d’un accident ? Elle vivait seule ! Comment pourrait-elle appeler les secours et surtout expliquer ce qui lui arrivait durant ces périodes muettes ?

Toutes sortes de spécialistes se succédèrent pour comprendre d’où venaient les échappées mentales de Lilly : neurologue, phoniatre, gériatre, oncologue, sait-on jamais…, mais sans résultat !

Les examens ne décelèrent aucune pathologie, aucune attaque neurologique.

Un bilan gériatrique la dirigea vers des psys qui, eux, ne manquèrent pas de diagnostiquer toutes sortes de troubles plus ou moins graves, lui prescrivant des médicaments roses, bleus, verts du plus bel effet artistique à ingurgiter le matin, le midi et le soir… avant, après et pendant les repas, au risque de lui faire perdre toute personnalité.

Après quelques jours de déambulation triste, traînant des pieds du lit à son fauteuil et de son fauteuil à la cuisine, Lilly balança le tout à la poubelle ! Quand elle referma le couvercle, un sentiment de liberté et de révolte éclata : « Mais que suis-je devenue ?… L’enfant de mes propres enfants ! Ils décident pour moi, pensent pour moi et prennent des rendez-vous chez ces acrobates du bonnet qui, sous le couvert de théories plus ou moins fumeuses, décident de me légumifier. »

Lilly n’était pas vraiment honnête envers Luc et Laura. Inquiets et perdus, ils cherchaient simplement à aider leur mère de leur mieux.

La communication avec les gens devenait plus difficile, certes, mais ces silences étaient si féconds ! Il n’était pas question que des drogues les vident de leur contenu pour la métamorphoser en zombie. Quitte à passer pour une originale ! Les psychiatres décelaient des problèmes là où Lilly ressentait un épanouissement. Et puis elle avait passé l’âge de se préoccuper du qu’en-dira-t-on, du regard désapprobateur des gens. Et tant pis pour les dangers potentiels, il fallait bien mourir de quelque chose. Pourquoi pas d’un trop-plein de sentiments ?

–Tout va bien, maman ? répéta Laura.

Lilly se tourna vers sa fille. Comme toujours quand elle rentrait dans ces moments lunaires, les sensations émergeaient.

« Quel joli ovale », découvrit-elle en suivant le contour du visage de Laura, encadré de cheveux bruns savamment coupés court en mèches rebelles. Une apparence enfantine s’en dégageait. « Et puis elle sent bon le chocolat chaud ! » Une ambiance de chalet de montagne s’installa. Images et ressentis se télescopaient. Une vague de tendresse maternelle resurgit, l’envie de la prendre dans ses bras.

–Tu veux que je te prépare quelque chose, un café, un thé… du chocolat chaud ? demanda Laura.

Elle ne comprit pas pourquoi sa mère se mit à rire. Lilly caressa doucement la joue de sa fille qui la regarda avec un petit pincement au cœur.

Elle s’inquiétait de son évolution mentale après son rejet des anxiolytiques et antidépresseurs prescrits par les psychiatres. Mais c’était son choix et elle le respectait. Elle le respectait d’autant plus que ces médicaments se révélèrent être plus source de problèmes que d’une quelconque amélioration. Ils ne traitaient pas la cause, ils ne lui redonnaient même pas une parole digne de ce nom, tout juste quelques mots tristes prononcés lentement et si bas qu’on les comprenait à peine. En quoi cela restaurait-il une communication fructueuse et lui apportait-il une meilleure qualité de vie ?

Laura était une battante, elle chercherait encore et encore une solution. Elle étudierait toute proposition raisonnable permettant à Lilly de retrouver une vie sociale satisfaisante, refusant de dramatiser la situation, avec cette pointe d’humour décalé qui faisait son charme. Et jusqu’à preuve du contraire, bilans médicaux à l’appui, sa mère n’était pas malade !

Elle ouvrit le placard où le lait était habituellement rangé, sans le trouver.

–Pas de lait, pas de chocolat ! Pas de café non plus… Tu veux du thé ?

Sa mère lui sourit.

–Je prends ça pour un oui. Alors… thé à la menthe, thé à la menthe et… thé à la menthe ! Il est temps de faire des courses !

Laura fit chauffer de l’eau et sortit deux tasses qu’elle posa sur la petite table du salon. L’une d’elles était ébréchée. Un autre signe de la prise de distance de Lilly vis-à-vis du quotidien. Le côté « domestique » l’intéressait de moins en moins. Laura laissa glisser sa main le long des livres de la bibliothèque et choisit des poèmes de Prévert. Un remède aux angoisses des esprits cartésiens. Demain est un autre jour…

Son bouquin dans une main, elle versa l’eau dans les tasses de sa main libre puis s’assit dans le pouf bleu canard informe qui s’étalait au milieu de la pièce. Elle lança un regard attentif à sa mère installée en face d’elle sur le canapé recouvert de motifs d’oiseaux des îles multicolores, se demandant combien de temps allait durer sa rêverie. Un petit côté exotique, inattendu dans l’appartement d’une femme de l’âge de Lilly, renforcé par la présence de nombreuses plantes, apportait une touche de gaieté à l’endroit.

Sa santé ne lui permettant plus de se déplacer autant qu’elle l’aurait voulu tout autour du globe, elle avait fait de son intérieur une invitation au voyage. Une façon de raviver ses souvenirs et de rêver à d’autres escapades.

Laura ne savait pas trop quelle attitude adopter. Tout faire pour renouer le dialogue, ou laisser sa mère dans cet état indéchiffrable qui avait, malgré tout, l’air de la rendre heureuse !

De longues minutes passèrent sans un mot, l’une lisant, l’autre rêvant. Laura finit par mettre un disque d’Édith Piaf et fredonna les paroles. Le rythme musical réamorçait parfois la dynamique du langage chez Lilly. Et c’est ce qui se produisit, sa mère se mit à chanter avec elle.

–Alléluia, tu parles ! Un cierge à Marie, patronne des mamans paumées !

–Mais je ne suis pas paumée !

–Excuse-moi, maman, ce n’est pas ce que je voulais dire, mais je ne sais pas trop ce qui t’arrive quand tes pensées semblent partir ailleurs, que tu ne dis plus rien.

–Je m’allège !

–D’accord, d’accord… et la petite marmotte entoura la tablette de chocolat de papier d’aluminium, rétorqua Laura, se référant à une pub loufoque qui passait à la télévision, afin de souligner l’étrangeté de l’explication de sa mère.

–Mais tu t’allèges de quoi, maman ? Aurais-tu des secrets cachés ? continua-t-elle avec un sourire complice.

L’humour devait l’aider, tout en naviguant à vue, à ne pas perdre le dialogue avec Lilly, aussi farfelu soit-il.

–Je m’allège de ce qui m’alourdit.

–Aaah… monsieur de la Palisse quand tu nous tiens ! dit Laura en soupirant.

–Fiche-toi de moi, mais c’est sérieux… je synthétise… juste des images, des impressions, je relativise aussi.

–C’est beau, finalement, tu devrais peindre ce que tu vois. L’impressionnisme revisité par Lilly !

–Non, tout est en moi, je n’ai pas besoin d’exprimer mes émotions sur une toile, ça les transformerait. Juste des plages de vie agréables, sans question, sans projection sur l’avenir, pas de retour vers le passé non plus.

–Un état d’innocence en quelque sorte.

–Oui, ça y ressemble… Mais chanter dans la rue accompagnée à l’orgue de Barbarie me tenterait bien.

–Pardon… ???

Après un moment de stupéfaction, les paroles d’Édith Piaf aidant, Laura vit sa mère sous les traits d’une fille des rues clamant d’une voix rocailleuse des chansons françaises de la grande époque de Saint-Germain-des-Prés. Elle lui prit les mains, s’imaginant dans un vieux film de Marcel Carné et l’entraîna dans une valse entre les meubles du salon.

Le cinéma était le péché mignon de Laura. Dans le cadre de son métier, au lycée de banlieue parisienne dite « difficile » dans lequel elle enseignait la littérature, elle incitait ses élèves à regarder des films récents comme anciens pour découvrir l’évolution de la langue française. Pour les moins réceptifs, elle espérait tout simplement les captiver par une approche plus ludique de la littérature : le texte dit pour apprécier le texte écrit ! Quelques adolescents se découvraient parfois une passion pour le cinéma ou encore mieux, d’un point de vue littéraire, pour le théâtre. Il arrivait à Laura de terminer son année scolaire par la projection d’un film, moment fort apprécié par la classe qui se divisait à cette occasion entre les jeunes qui en profitaient pour dormir, rattrapant ainsi leur soirée festive de la veille, et ceux qui jouaient le jeu pour s’ouvrir à des pensées, des cultures ou des idéologies différentes des leurs.

La chanson également lui servait de support pédagogique. Des chants traditionnels au rap, tout était bon pour « faire sauter les verrous ». Ceux de la langue, ceux du milieu social ou encore ceux des origines. Ces outils pédagogiques, multiples et variés, permettaient à un maximum de ses élèves d’en tirer bénéfice et, avantage non négligeable pour elle, concouraient à la rendre populaire auprès d’eux.

–J’imagine la tête de Luc si je lui explique que tu veux devenir chanteuse de rue, reprit Laura, revenant aux propos de Lilly. L’image de sa mère tournant la manivelle de l’orgue avec entrain l’amusa.

–Et alors ? répondit la maîtresse de maison en se rasseyant essoufflée. Ton frère a perdu son âme d’enfant, il est bien trop rationnel !

–Pas faux, mais reconnais qu’il est toujours là pour s’occuper de ce qui « t’alourdit ». Remplir tes formulaires, effectuer des démarches auprès des administrations et, sans vouloir te rappeler de mauvais souvenirs, s’excuser auprès du postier que tu as frappé avec ton parapluie parce que tu l’avais pris pour un voleur !

–Mais il est ballot ce facteur, il est rentré chez moi sans sonner !

–N’empêche qu’il voulait porter plainte. Tu t’imagines en prison pour coups et blessures à soixante-dix ans ?

Lilly dodelina de la tête mi-gênée, mi-amusée. Le côté burlesque du souvenir de la scène, son facteur courant sous ses coups de parapluie, finit par l’emporter et elle rit de bon cœur.

C’est alors que le téléphone de Laura sonna, le nom de sa correspondante s’affichant à l’écran : « Carole. »

Elle hésita à répondre. Son amie était aussi chaleureuse qu’envahissante. Elles se connaissaient depuis toujours, enfin depuis l’école maternelle, une éternité ! Personne ne la cernait mieux que Carole, un atout autant qu’un handicap, songea Laura. Désirait-elle se plonger dans une de leurs conversations à n’en plus finir avec conseils et reproches à l’appui ? Le moment n’était pas propice, sa visite chez sa mère lui apportant une de ces bulles d’intimité qui risquaient de se raréfier si les moments de mutisme de Lilly se multipliaient.

Elle finit par répondre plus par sentiment de devoir que par envie.

Un vrai fil à la patte ce téléphone. Comment un petit rectangle de plastique et de ferraille se débrouillait pour imposer sa loi ?

–Hello ! Ma poulette, tu vas bien ? tonitrua Carole de sa voix enjouée. Tu viens ce soir à la soirée de Paulo ?

–Euh, Paulo ?… Connais pas !

–Mais si, tu l’as rencontré, mon copain brésilien !

Pour Carole, une rencontre fortuite de quelques minutes avec une personne vous faisait devenir les meilleurs amis du monde. Reine des réseaux sociaux, elle avait des centaines d’amis virtuels ou réels dont des femmes rwandaises parrainées par une ONG, des ouvrières en lutte pour garder leur emploi dans le nord de la France mais aussi sa boulangère, son plombier, ses voisins, sa prof de guitare…

–Paulo… mais oui, je me souviens maintenant. Je l’ai rencontré le temps de vous dire bonjour au café en bas de chez toi. Je me souviens très bien, ça a duré deux minutes, montre en main. Paulo, mais bien sûr, je ne connais que lui !

–Oh, tu es chafouine, toi ! Quand tu es désagréable, c’est que tu es chafouine ! Ça ne va pas ?

–Je m’inquiète pour ma mère, dit Laura en baissant le ton. Je suis avec elle ce soir. J’ai besoin de me poser, de faire le point.

–Tu parles de phrases toutes faites : se poser, faire le point. Tu me balades là ! Tu peux très bien te « poser » sur le canapé de Paulo et « faire le point » sur votre situation avec un verre de caïpirinha dans les mains. Qu’il prépare divinement d’ailleurs ! Tu verras, on relativise après.

–Laisse tomber les cocktails, j’essaie de comprendre ce qui lui arrive, de trouver une raison à ces états étranges. Ses pertes de la parole se multiplient ! chuchota Laura. Elle en voulait à Carole d’avoir à s’expliquer, de plus à voix basse pour que sa mère ne l’entende pas.

–Viens avec elle !

–Pardon ??!!

–Demande-lui de t’accompagner, ça lui changera les idées !

–Non, mais ça ne va pas mieux, toi ! Je ne vais pas jouer à l’apprenti sorcier, espérant qu’une petite virée dans Paris chez tes potes branchés lui redonne l’envie de parler. Et puis je ne sors pas le soir avec ma mère chez des copains ! Tu es bizarre parfois, je t’assure !

Laura ne pouvant pas élever le ton, sa parole bloquée au fond de la gorge par l’indignation devint inaudible. Le gargarisme ridicule qu’elle émit l’énerva encore plus.

–Ne te trompe pas de rôle, ma belle, releva Carole, tu n’es pas sa mère. Peut-être qu’un peu de gaieté et d’insouciance lui ferait le plus grand bien. Combien de fois est-elle sortie depuis le décès de ton père ?

Laura entendant le bruit d’un objet qui se brise mit fin à la conversation après un « Je te rappelle » à l’adresse de son amie. Lilly avait fait tomber sa tasse et Laura découvrit sa mère à quatre pattes en train de ramasser les morceaux. Elle prit quelques feuilles de Sopalin pour essuyer le liquide en se demandant si Lilly ne souffrait tout de même pas de troubles neurologiques.

–Laisse, je vais ramasser les morceaux, tu risques de te couper.

Une petite voix intérieure ressemblant étrangement à celle de Carole lui murmura : « Tu es sûre que tu ne te prends pas pour sa mère ? »

« Et flûte, si mon propre subconscient prend le relais maintenant, il se pourrait bien que ce soit moi qui ai besoin d’un psy. »

Les dégâts réparés, Laura proposa de commander une pizza. Elle ne se sentait pas de préparer à manger et comme Lilly dînait habituellement d’une simple soupe, une pizza devrait faire l’affaire. Sa mère acquiesça.

–Qu’est-ce que tu dis d’une calzone ?

–Bonne idée, approuva Lilly.

Laura passa commande auprès du restaurant et se décida à rappeler Carole. Elle s’isola dans la cuisine pour parler plus librement.

–Allô, Carole ?

–Ah, une revenante ! Tu as fait le point ?

–Tu m’énerves parfois, ce n’est rien de le dire !

–Je te ferais remarquer que c’est toi qui m’as raccroché au nez.

–Ma mère avait fait tomber sa tasse de thé.

–Ah mon Dieu ! Le tapis est mouillé ?… Parce que j’appelle illico les secours. Tu as pensé à prévenir la presse ?

Une envie de rire chez Laura prit le pas sur l’aigreur des premiers échanges et elle changea d’attitude.

–Comment vas-tu, toi ?

–Puisque tu me le demandes, je surfe sur les vagues de l’amour…

–Oh, quelle poète ! Et qui est l’heureux élu ?

–Le prince des cocktails, ma belle.

–Paulo ?

–Himself !

–Il est installé à Paris ?

–Oui.

–Mais… vous n’habitez pas ensemble ?

–C’est un peu compliqué…

–Ah, ma Carole ! Tes histoires d’amour sont toujours compliquées ! Alors… ces derniers temps, si je compte bien, il y a eu Carlos, qui était espagnol, lui, et marié avec trois enfants. Ce qui a tout de même posé quelques problèmes, évidemment. Puis il y a eu le réfugié afghan dont je ne me rappelle plus le nom que tu avais rencontré par le biais de ton association d’aide aux migrants, qui est parti avec ton passeport, lui permettant de faire rentrer illégalement une parente à lui. Pas cool… Enfin Luc, mon frère bien-aimé, qui, en rentrant d’un symposium bien arrosé, est tombé dans tes bras. Chez moi d’ailleurs, oubliant qu’il était réac, maniaque et macho, alors que tu es féministe, révolutionnaire et bordélique. Trois mois, vous êtes restés ensemble trois mois et je ne comprends toujours pas comment cela a pu durer aussi longtemps !

–Eh bien, je te remercie pour tes encouragements et comme je ne suis pas rancunière, je te réitère mon invitation à venir chez Paulo ce soir. Cela te permettra de me faire un compte rendu de tes impressions sur lui et un pronostic sur la durée de notre relation. C’est dans tes cordes ça, en tant que prof, les analyses, les comptes rendus, les thèses, antithèses, synthèses…

–Mais je mange avec ma mère, nous avons commandé une pizza.

–Venez toutes les deux avec la pizza ! Je n’ai pas eu le temps de te préciser, avant que tu ne m’envoies promener, qu’il s’agissait d’une soirée pépère, intime. Nous serons cinq ou six au plus, dont deux Hongrois, et Paulo étant fan de jazz, vous n’aurez pas besoin de boules Quies. Pas de fumeurs, à part moi, bien sûr, mais je suis obligée d’aller griller ma cigarette sur le balcon même en hiver ! Ça me tue, mais bon, c’est ça ou plus de Paulo, il ne supporte pas le tabac ! Et puis je l’aime bien, ta mère ! Ça nous replongera dans notre enfance, nous étions toujours fourrées chez toi. Je t’assure, cela ne peut que lui faire du bien.

–J’ai peur qu’elle ne se sente pas à l’aise et moi non plus.

–Demande-lui et rappelle-moi.

–OK, je vois avec elle, bises.

La première idée de Laura fut de ne pas évoquer la conversation qu’elle venait d’avoir avec Carole et de finir tranquillement la soirée autour de la pizza et d’un verre de vin en compagnie de sa mère de nouveau causante.

En souvenir de son mari qui appréciait tout particulièrement ce vin, Lilly s’était constitué une réserve de Saint-Nicolas-de-Bourgueil. Élégant et fruité, comme ne manquait pas de le souligner le guide du « parfait dégustateur de vins », il pouvait accompagner toutes sortes de plats. Le « vin familial » en quelque sorte. Un bon petit rouge qui irait parfaitement ce soir avec la pizza.

En regardant la dernière bouteille de sa réserve « il faudra penser à se réapprovisionner », pensa-t-elle, Lilly revécut avec un mélange de colère et de tristesse le départ de son mari. Pourquoi, se sachant cardiaque, ne s’était-il pas ménagé ? Son leitmotiv sur la vie qui se vivait pleinement ou ne se vivait pas ne l’avait jamais convaincue. Dix ans déjà que son meilleur ami, son pilier, son confident était parti. Lui, le père de Luc et de Laura qui savait tout de son passé et qui l’avait aidée à se reconstruire. Pourquoi lui avait-il fait cette mauvaise farce ? Elle aurait tant eu besoin de lui en cette période trouble !

Lilly se remémora ce jour de vacances en Dordogne, où, malgré ses mises en garde, il décida de remonter de la cave une bouteille de gaz. Lourde… si lourde ! Puis les pompiers, l’hôpital et… le trou noir. Un vague souvenir des obsèques, trop rapides, confisquées par des professionnels de la mort, donc conventionnelles, même si l’émotion pointait par moments chez les participants. Des paroles de trop, d’autres qui ne sortent pas, plus tard peut-être… des absents que l’on aurait aimé serrer dans ses bras, des présents que l’on préférerait absents… Elle eut un petit mouvement de tête qui, cette fois, passa inaperçu aux yeux de sa fille.

Attablées toutes les deux dans la cuisine, Laura coupa et servit la pizza. Elle versa le vin dans deux grands verres à pied et prit le temps de le savourer. La première sensation d’acidité couplée au goût du fruit était unique. « Le temps est comme suspendu », pensa Laura. Elle essaya d’imaginer le monde de perceptions fait entièrement d’émotions et de sentiments que semblait vivre Lilly dans ces moments à part. Elles mangèrent en silence puis Laura parla de choses futiles de son quotidien, un peu de son boulot, pour enfin se rendre compte que Lilly l’écoutait sans rien dire.

–Maman ? Tu peux parler ?

Lilly lui sourit, la réponse découlant de ce sourire.

Laura sentit une grande fatigue l’envahir. Elle posa lentement son verre, laissa son dos s’affaisser sur sa chaise, son corps se relâchant en même temps que sa volonté, sa maîtrise des évènements.

–Non, tu ne peux pas, ou tu ne veux pas ?! Comment savoir ? Tu sais, maman, tout à l’heure, au téléphone, c’était Carole. Elle nous invitait ce soir chez son nouveau copain, oui… toi et moi, c’est bizarre, je sais… Et moi j’ai dit non bien sûr, ou plutôt j’ai noyé le poisson en disant que je te demanderai… Et puis je ne t’ai pas demandé parce que tu n’aurais pas voulu de toute façon, nous devions passer la soirée ici, chez toi… Mais là, je ne sais plus… On va passer la soirée ensemble, oui, mais peut-être sans se parler pendant des heures et ça aussi c’est bizarre… Tu veux aller chez Paulo, le copain de Carole …? Non, évidemment.

« Mais qu’est-ce qui m’arrive ? Je fais les questions et les réponses, ça n’a pas de sens. »

Le vin et la fatigue aidant, une envie de pleurer monta, irrésistible. Laura tourna la tête dans un réflexe de pudeur pour essuyer la larme qui affleurait au bord de sa paupière. Pourvu que sa mère ne se rende compte de rien… et puis merde ! Pourquoi ne devrait-elle rien voir ? Pourquoi ne prendrait-elle pas sa part de responsabilité dans sa détresse ?

« Pourquoi serais-je toujours la personne forte et équilibrée ? Pourquoi n’aurais-je pas le droit d’avoir un moment de faiblesse, un moment de colère, une envie de foutre le camp et de les laisser se débrouiller tous autant qu’ils sont ? » Le « tous » en l’occurrence étant très vague.

Le désarroi de Laura était palpable, nul besoin de mots. Lilly se dirigea vers l’entrée, prit les clés de sa voiture dans son sac posé sur un guéridon, enfila son manteau, ajusta un foulard autour de son cou et posa un béret sur sa tête, se regardant dans le miroir biseauté de la grande psyché qui se transmettait de génération en génération. Son image lui fit penser à une petite crevette. Toute fluette, habillée de rose corail. Elle décrocha la doudoune, le sac de sa fille et les lui apporta.

–Tu fais quoi là, maman ?

Lilly fit tinter les clés au bout de ses doigts.

–Je dois comprendre que l’on va chez Paulo, c’est ça ?

Laura se retrouva avec son sac dans une main, sa doudoune dans l’autre.

–Mais on a mangé la pizza ! Et la vaisselle ?

Ses pensées se télescopaient, elle mit sa doudoune à l’envers ! Elle regarda l’heure : 21 heures. Après tout, c’était jouable ! Un éclair de lucidité lui fit reprendre ses clés à Lilly.

–Si ça ne te fait rien, maman, c’est moi qui conduis, on prend ma voiture.

Quiconque était monté en voiture avec Lilly savait avec certitude, s’il en sortait indemne, que Dieu existait !

Tout allait très vite et c’était mieux ainsi. Laura laissa son instinct la guider. Une sorte d’évidence la poussa, elle plongea dans l’action pour fuir les questions. En descendant les deux étages de l’escalier, elle essaya de remettre en place son esprit chamboulé pour reprendre la direction des opérations. « Donc, elles étaient en route pour aller chez le copain de Carole qui ne les attendait pas puisqu’elle n’avait pas rappelé son amie (à la rigueur, cela pouvait s’arranger) ; elles avaient mangé la pizza ; pas de cadeau (trop tard pour en acheter un) ; sa mère était muette. Hum !… bonne soirée en perspective ! »

Laura chassa ses doutes. Ce serait toujours mieux que le malaise du début de soirée. Une fois installée dans la voiture, elle appela Carole pour lui expliquer qu’elles étaient en route et lui demander l’adresse de Paulo. Qu’elles étaient désolées de s’être décidées si tard, qu’elle lui expliquerait plus en détail en arrivant. Carole ne fit pas de commentaires, lui répondant simplement qu’ils les attendaient ; une amie, une vraie !

Elles s’engouffrèrent dans le trafic nocturne des rues de Paris, illuminées pour Noël ! Une carte postale, mais la magie opéra ! Elles passèrent par l’île de la Cité, Notre-Dame et Laura oublia un instant ses soucis pour balayer les façades ciselées de son regard admiratif. L’élégance des arcs et des envolées, un labeur de plusieurs siècles pour aboutir à une quasi-perfection : « Dieu que c’est beau ! » Les gargouilles lui évoquèrent Victor Hugo ou Walt Disney, va savoir… Instinctivement, elle rechercha Quasimodo dans le clocher, son sanctuaire. Son esprit passant du coq à l’âne, elle se demanda si on pouvait encore se référer aux lieux saints comme à des sanctuaires quand des SDF grelottaient de froid sous des cartons. Les Restos du cœur semblaient plus appropriés que les églises pour trouver refuge. Arrivées dans le Marais, elles dénichèrent miraculeusement une place pour se garer.

« Eh bien, il ne s’embête pas, le Paulo ! Juste à côté de la place des Vosges, mon rêve ! » Un souvenir de falafels achetés dans un petit resto du coin et mangés sur le pouce lui fit monter l’eau à la bouche. Bien meilleurs que la pizza, qui lui pesait sur l’estomac.

Le Paris moyenâgeux, le Paris des bobos… Encore une caricature, mais ce qui était sûr, c’était qu’il fallait d’excellents revenus pour loger ailleurs que dans une chambre de bonne. Et Carole était fauchée comme les blés.

CAROLE

Un, deux, trois, nous irons au bois…

Quatre, cinq, six, cueillir des cerises…

Sept, huit, neuf, dans mon panier neuf…

Carole déambulait dans les allées du petit supermarché, la ritournelle tournant en boucle dans sa tête. Elle s’arrêta au rayon « Fruits et légumes » en se disant qu’il n’y avait aucune chance de trouver des cerises à cette époque. Elle glissa quelques bananes, des oranges, du raisin et des citrons verts dans des sacs en papier destinés à cet effet puis continua ses courses.

Passant devant les armoires frigorifiques abritant les surgelés, son reflet dans une vitre retint son regard. À l’évidence, elle était belle. Passé quarante ans, il fallait un petit plus pour éveiller l’attention. Peut-être cette masse de cheveux bouclés auburn et ses yeux verts en amande ? Et puis son style… comment le définir ? Hippie revisité, plus contemporain, plus chic. Une façon de s’habiller décontractée, originale, avec quelques accessoires plus classes. Par contre, elle avait tendance à s’arrondir ! Rien de grave, après tout, ça allait avec son côté « grande gueule », prendre l’espace au propre comme au figuré. Son caractère volcanique déplaçait l’air autour d’elle entraînant tous ceux qui, séduits par son optimisme, se laissaient porter par son amour de la vie.

Elle choisit un gros pot de glace à la crème brûlée, le régime attendrait bien une semaine… Elle se dirigea vers la caisse, paya ses emplettes avec la carte bancaire de Paulo sans état d’âme et se faufila dans les petites rues du Marais bordées de grandes portes cochères jusqu’à l’appartement de son ami.

En montant le vieil escalier ciré, elle se dit qu’elle avait touché le gros lot ! Aucun cynisme ni vulgarité dans ses propos, juste de la lucidité ! Paulo lui plaisait comme aucun autre auparavant. L’argent ne rentrait pas en ligne de compte : quand elle en avait, elle le dépensait sans compter, et quand elle n’en avait pas, eh bien ! Elle s’en passait, trouvant toujours une solution pour survivre, le principal étant de profiter pleinement du moment. Arrivée dans l’appartement, elle lança son manteau vers la patère fixée au mur à laquelle il s’accrocha miraculeusement.

–Salut, beau gosse, je prépare une salade de fruits pour ce soir.

–Tu as les citrons verts pour les cocktails ?

–Oui, tout beaux, tout frais… Ils arrivent quand ?

–Leur avion atterrit dans deux heures, je vais les chercher à Orly. Tu penses que ton amie pourra venir ?

–Je n’en sais rien, je vais l’appeler, tu as besoin d’un équilibre mâle-femelle ? dit Carole en glissant ses bras autour du cou de Paulo qui enlaça sa taille en retour et l’embrassa tendrement.

–J’ai surtout besoin de quelqu’un qui parle anglais pour que la soirée ne tourne pas au dialogue de sourds avec mimiques et gestes finissant par des silences gênés. Cela risque fort d’écourter la rencontre ! S’ils sont fatigués de leur voyage, ils ne feront pas l’effort de comprendre quelqu’un qui baragouine la langue de Shakespeare, qu’eux parlent plutôt bien, si tu vois ce que je veux dire.

–Quel salaud ! De toute façon, j’accompagne n’importe quelle langue de gestes et de grimaces, la commedia dell’arte tu connais ? Eh bien, c’est moi ! dit Carole, le saluant d’une révérence. Elle fit un petit saut complété d’un moulinet du bras, faisant voler au passage un cendrier, qui finit sa course par terre et se cassa.

–Parfait, rigola Paulo, plus de cendrier, plus de cigarette. Mais ça n’augure rien de bon pour la soirée !

Il avait le chic pour dédramatiser les situations et cela faisait fondre Carole. Comment ce grand type, beau, plein d’humour, était-il tombé amoureux d’elle ? Le charme ne faisait pas tout, il fallait la supporter quand même, c’était une vraie tornade !

Elle le connaissait depuis deux ans, mais ils ne se « fréquentaient » véritablement que depuis cinq mois. Elle ne savait pas exactement quel était son poste à l’ambassade du Brésil à Paris et, en fait, elle s’en foutait. Ce qui l’intéressait, c’était l’homme !

Ils s’étaient rencontrés lors d’une fête donnée dans un restaurant brésilien. S’étant trouvé des amis communs travaillant dans l’humanitaire, ils s’étaient revus plusieurs soirs chez ces mêmes amis et une autre fois au café, où ils avaient croisé Laura d’ailleurs. Puis plusieurs mois sans se voir jusqu’à ce bel après-midi de juin où il l’aborda au parc des Buttes-Chaumont par un : « Holà, quelle surprise ! La reine de l’humanitaire. »

Mais l’emploi du temps de Paulo étant rythmé par ses voyages, ses affaires dans différents coins du monde, ils ne se retrouvèrent que par épisodes et n’envisageaient pas de s’installer ensemble. Pourtant, pour la première fois de sa vie, Carole rêvait d’une relation durable. Elle n’avait jamais eu le désir de fonder une famille, ce qui aurait entravé son activisme forcené, mais elle rêvait encore au prince charmant.

Paulo se retira dans le salon pour rechercher des infos sur le terminal d’arrivée du vol de ses amis. Carole, quant à elle, se mit en quête de cannelle, de gingembre et de rhum pour sa salade de fruits. Elle dénicha un grand saladier carré dans le meuble d’inspiration asiatique du salon.