Le long nuage blanc - Simon Vanva - E-Book

Le long nuage blanc E-Book

Simon Vanva

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Beschreibung

Suivez la rencontre et le périple inattendu de Gabriel et Ilaria à l'autre bout du monde !

« L’heure est au couchant et l’île du sud est désormais derrière nous. On regarde l’astre sanguinaire se coucher tranquillement dans la direction des terres australiennes ; crachant de somptueuses couleurs chaudes sur le ciel qui s’assombrit. […] Le jour tombe et la nuit s’éveille : on se trouve au crépuscule d’un voyage, en parfait spectateur des merveilleuses teintes du ciel ».
Gabriel et Ilaria n’ont rien en commun. L’un est français et baroudeur, l’autre est australienne et travaille dans la banque. Le destin se chargera pourtant de les réunir au cœur d’une épopée riche d’expériences, de rencontres, d’aventures et de paysages envoûtants.
Le long nuage blanc est une histoire de route : une rencontre inattendue, un grand bol d’air frais et un véritable souffle de liberté – une invitation au voyage.

Vivez une expérience inoubliable avec ce roman d'aventures qui vous emmènera librement entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

EXTRAIT

–Super ! Le meilleur des plans est de ne pas en avoir. Pourquoi la Nouvelle-Zélande ?
–Diversité des paysages, pas de barrière de la langue et le pays est situé à seulement quelques heures d’avion de chez moi.
Il semble analyser chacune de mes réponses. On traverse le quai et entre dans le ferry, accompagné d’une poignée d’autres passagers. On se place à une table située juste à côté de la fenêtre. La vitre est mouillée à l’extérieur à cause des vagues qui, chassées par le vent, s’abattent sur le bateau. On aperçoit tout de même le grand pont de fer au loin. Le ferry démarre et je reprends la conversation.
–Et toi, pourquoi la Nouvelle-Zélande ?
–Terre du bout du monde, j’aime les montagnes, les plages et les volcans. Les derniers mois passés à Auckland m’ont permis de travailler et de visiter une bonne partie de l’île du nord !
Je ressens à travers son regard une réelle attirance pour les voyages, quelque chose de naturel, peut-être même inné. Il poursuit la conversation.
–Mais ce que je préfère par-dessus tout, Nouvelle-Zélande ou non, ce sont les rencontres et les expériences qui se trouvent sur la route. C’est comme ça qu’on apprend réellement !
Le ferry poursuit sa route et le bruit monotone du moteur accompagne le silence qui règne dans l’habitacle. Les hauts bâtiments du quartier d’affaires s’approchent peu à peu. Gabriel se lève et me demande de le suivre. Il pousse une porte et on se retrouve sur le pont du bateau. Le vent est froid et humide, il met sa capuche et je fais de même. On se tient debout, les mains accrochées à la rambarde. La ville complètement illuminée est bien plus belle qu’en plein jour.
–Tu vois le point rouge qui clignote au loin, juste au-dessus du musée ? Me demande-t-il en pointant du doigt la ville.
Je protège mon visage des gouttes d’eau chassées par le vent, j’observe et vois finalement le point rouge.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1994, Simon Vanva est originaire de la région lilloise. Passionné de géographie et amoureux de la nature, il a toujours été attiré par les voyages. Depuis l'âge de 17 ans, il part ainsi explorer le monde à la découverte des terres les plus lointaines. C'est au beau milieu des montagnes néozélandaises que lui vient l'idée d'écrire son premier roman : Le long nuage blanc.

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Simon Vanva

Le long nuage blanc

Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon. Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait.

–Nicolas Bouvier

1

Ilaria, lundi 18 février 2019.7h01

La sonnerie agressive de mon réveil me sort de mes rêves. J’ouvre les yeux et mets en veille l’appareil. Je m’assieds et bois un grand verre d’eau, presque d’un seul trait.

7h06. Je me lève et débranche mon téléphone chargé à bloc. Assise sur les toilettes, j’ai devant moi les photos que j’ai accrochées sur la porte de la salle de bain en emménageant dans ce studio tout neuf il y a un an et demi déjà. Comme chaque matin, je contemple ces clichés de ma vie passée, principalement mes amis de l’université et moi posant à des festivals ou lors de virées à la plage, les sourires aux lèvres et les regards remplis de bonheur. Mes deux favorites sont placées au centre. La première date de l’hiver deux mille dix-sept, je suis entourée de mes parents qui étaient tous deux venus me rendre visite à la journée de remise des diplômes organisée par l’université. Mon père avec son air moqueur, imposant. Ma mère comme à son habitude, rayonnante. Vêtue d’un long uniforme noir telle une avocate avec un chapeau ridicule que l’école nous impose d’acheter spécialement pour l’occasion, je tiens dans mes mains le fameux document inscrit de mon nom et certifié de mon niveau d’étude atteint ; précédé du logo rouge et blanc de l’une des prestigieuses universités du pays. Au regard de mes parents, on pourrait croire que c’est le Graal que je tiens dans les mains. Ma mère, alors occupée sur un projet-photo en Mongolie, avait spécialement fait le déplacement pour l’occasion et resta quelques jours dans sa maison de St Kilda. Ces deux-là ont toujours été fiers de moi et ont toujours fait en sorte que leur séparation ne me complique pas la vie, ça m’avait fait énormément plaisir de les voir réunis après tant d’années. Mon second cliché favori est une photo prise par mon père, il y a un peu moins de vingt ans déjà, lors de vacances dans les Abruzzes. On m’y voit, la petite Ilaria de cinq ans et demi, debout sur un rocher tenant dans mes mains l’appareil photo de ma mère, le regard porté au loin sur l’adriatique. La photo est datée de septembre quatre-vingt-dix-neuf, quelques mois avant notre déménagement et le début de notre nouvelle vie.

Je sors de la salle de bain en enfilant un tee-shirt. Je lance une playlist des DMA’s, mets de l’eau à bouillir et commence à préparer mon petit déjeuner. Flocons d’avoine, lait de soja, morceaux de fraises et de banane, amandes. J’ouvre le placard et prends mon mug préféré, celui que ma mère m’a apporté du Japon. On peut y lire un haïku, un poème ne comprenant que quelques mots. Ce matin, j’opte pour un thé vert au gingembre et citron vert.

L’eau chaude coule le long de mon corps et me réveille un peu plus. Je pense à la journée que je m’apprête à vivre : j’ai rendez-vous avec Nathan pour déjeuner sur l’un des bancs du Darling Harbour à midi trente et je retrouve les filles comme chaque lundi en début de soirée pour une partie de billard et bien entendu quelques cocktails. En résumé, rien d’exceptionnel. J’aurais aimé que le week-end se prolonge de quelques jours encore, le soleil était radieux hier après-midi sur Manly et un air de vacances planait sur la plage. On prit le ferry en toute fin de matinée et quitta la City avec des sacs remplis de barquettes de viandes, de légumes et de tout autres sortes d’aliments à picorer. Les potes de Nathan se chargèrent d’apporter les boissons, assiettes en carton et couverts. Le quartier d’affaires, l’Opéra et le jardin botanique s’éloignaient peu à peu et la baie de Sydney scintillait sous les voiliers et catamarans. On atteignit Manly sous un soleil de plomb, on marcha jusqu’à la plage et s’installa autour de l’un des nombreux barbecues mis à disposition par la municipalité. À l’ombre des palmiers et assis en cercle, à seulement quelques mètres du bord de mer, on se laissait emporter par la mélodie des vagues qui venaient s’allonger sur le sable. Les morceaux de viande sifflaient sur les plaques brûlantes et dégageaient une bonne odeur de grillade ainsi qu’une fumée dense qui s’envolait dans l’air chaud. La longue plage de sable se remplit petit à petit jusqu’à devenir, comme chaque dimanche après-midi, bondée. Dans le ciel se baladait un hélicoptère qui guettait si d’éventuels requins décidaient de s’approcher un peu trop près des baigneurs. Les garçons entamèrent un match de rugby sur la plage tandis que le reste du groupe se disputait une partie de cartes. Les titres des Dire Straits s’enchaînaient les uns après les autres depuis une enceinte mobile et tout le groupe paraissait heureux. Le soleil m’éblouissait, depuis le sommet d’un stipe, en se faufilant à travers les feuilles pointues. Je laissais la chaleur de ses rayons me couvrir le visage en fermant les yeux. On resta de longues heures à flâner, sans penser au lendemain matin, avant de regagner le ferry en toute fin d’après-midi, avec un profond sentiment de fin d’été. Le soleil était couché lorsque je regagnai mon appartement, un peu après vingt heures.

–Je coupe l’eau, attrape une serviette et me sèche. Je m’habille de sous-vêtements noirs en dentelle et enfile mon tailleur gris clair brodé du W rouge représentant la célèbre Westpac. Une fois mes cheveux parfaitement attachés, j’applique un fin trait de crayon noir sur chacune de mes paupières, une touche de mascara. Huit heures et deux minutes, parfait. J’attrape mon sac et y jette mon téléphone. Deux sprays de parfum, talons chaussés, porte claquée. L’ascenseur me dépose trois étages plus bas. Je remonte la rue et passe les portes du Prince Alfred Park. C’est une très belle journée de fin d’été. La chaleur et les joggeurs matinaux sont au rendez-vous. Vingt minutes, c’est à peu près le temps que je gagnerais chaque matin si j’allais au travail en bus. Je me réserve ce prétendu luxe pour les rares jours de pluie. Je continue ma route en longeant les courts de tennis, le terrain de basket et les tables de pique-nique. Je me dirige vers la sortie du parc et profite une dernière fois du chant des oiseaux. Je longe les murs de la gare centrale maquillés de graffitis, traverse le boulevard et m’engage sur Pitt Street. À ma gauche le théâtre Capitol où de grandes affiches de Charlie et la Chocolaterie sont fièrement suspendues, à ma droite le petit parc Belmore peuplé de grands parterres d’herbe, de quelques arbres et bancs et de dizaines de tentes, habitées en majeure partie d’aborigènes aux regards brisés. Droit devant moi se dressent la City et ses hauts bâtiments rectangulaires et modernes qui, comme chaque matin, semblent vouloir gratter le bleu du ciel. Je m’arrête au 7eleven, habitude quotidienne.

–Comment allez-vous ce matin, mademoiselle ?

Peau mate, visage typé indien ou pakistanais, chemise verte et habituel grand sourire.

–Très bien et vous Bhanu ? Lui dis-je, en entrant dans la supérette.

–Bien merci ! Réussite au niveau professionnel et une bonne forme physique pour les poissons aujourd’hui !

Comme chaque matin, il me résume mon horoscope et n’ayant jamais osé lui dire que je ne croyais en rien à l’astrologie, c’est devenu un rituel.

–Merci Bhanu !

Je jette un coup d’œil dans les kiosques à journaux, rien de bien intéressant à la une de The Australian ce matin. Je pose une pièce sur le comptoir et me dirige vers la sortie.

–Un latte à emporter et un cake à la banane, deux dollars c’est parfait !

Je continue mon chemin en soufflant sur mon café. Comme chaque matin, mes talons me font mal aux pieds. Je traverse le World Square par les galeries commerciales et arrive dans la plus grande artère de la City, Georges Street. Ici tout rime avec dollar. Le flambant neuf et la publicité dominent les lieux. N’importe quelle activité est payante, tout est hors de prix et pourtant tout le monde achète, dépense, consomme encore et encore. Les trottoirs sont peuplés de gens qui comme moi – bien habillés et café à la main – se pressent pour rejoindre leur bureau. Le boulevard est encombré de bus et de taxis jaunes bruyants. Je longe le Victoria Building en esquivant les distributeurs de brochures. Je jette mon gobelet vide, promets au soleil de le retrouver à midi et j’entre dans l’un des bâtiments ultramodernes qui surplombe la cité sydnéenne, le siège de la banque australienne Westpac.

2

Gabriel, jeudi 28 mars 2019.7h16

Je suis debout dans l’un des wagons du train qui relie l’aéroport international au centre de la ville et les passagers s’entassent de plus en plus, au fur et à mesure des arrêts. Les rails suspendus offrent une vue panoramique sur des maisons en bois élevées sur pilotis et sur des champs à perte de vue. Loin devant se dresse la mégalopole thaïlandaise, enveloppée d’un énorme voile de pollution tracé en demi-cercle.

–Ça va mec ? Tu viens d’où ?

J’avais repéré ce type dès mon entrée dans le train : grande taille et bras très fins, visage pâle et joues déjà rougeâtres malgré la climatisation. Il porte un grand sac à dos tout neuf et un appareil photo autour du cou.

–France, et toi ? Lui dis-je.

–Danemark, mais j’ai étudié plusieurs années aux States. Tu veux partager un taxi jusqu’à Koh San Road ?

Je devine déjà qu’il allait crever de chaud à la sortie du train.

–Je ne vais pas très loin de là, on ira en bus si tu veux, tu paieras moins cher.

Les champs laissent peu à peu leur place au béton de l’autre côté de la fenêtre et la vue est désormais limitée à de larges bâtiments gris aux centaines de fenêtres sans balcon. Le train serpente comme un ver qui entre dans une grosse pomme pourrie, ou plutôt un gros durian. Avec une population totale de plus de douze millions d’habitants, Bangkok est un enfer urbain qu’il faut apprendre à aimer avec le temps.

8h05. Le train arrive à son terminus et les portes automatiques s’ouvrent sur les quais de la gare suspendue de Phaya Thai. Je mets un pied dehors et la chaleur m’assomme tel un gros coup de massue. Des milliers de gens circulent autour de moi et j’ai manqué de peu de perdre le danois qui transpire déjà des grosses gouttes. Je descends plusieurs séries d’escaliers perchés entre l’autoroute dans les airs et un carrefour au sol où se chevauchent des boulevards bondés de manière anarchique. Je traverse les dernières marches de béton où quelques mendiants sont adossés au mur et j’atteins enfin le trottoir. La chaleur étouffante et humide domine l’atmosphère, accentuée par l’épaisse pollution de l’air sale. J’esquive d’abord les chauffeurs de tuk-tuks, puis ceux des taxis – un peu plus agressifs. L’endroit est extrêmement bruyant : les bruits des moteurs et klaxons des scooters, bus et autres véhicules résonnent de par un ciel bétonné créant un brouhaha assourdissant. L’odeur des pots d’échappement accompagne celle des tas de fruits pourris étalés avec des ordures le long des trottoirs. Je me retourne et vois finalement mon compagnon qui cède et accepte un trajet en taxi. C’est ça, fais-toi baiser. Je continue ma route, trouve le bon arrêt de bus et patiente quelques minutes.

Je saute dans l’engin numéro 173 de couleur rouge ocre, où un trou rectangulaire dans la carrosserie fait office de porte. Je m’installe sur l’un des sièges en mousse usée juste à côté de la fenêtre sans vitre et pose mon sac à dos sur mes genoux. Mon dos est trempé. Je paye mon ticket sept bahts. Sous mes pieds, le plancher en bois tremble à chaque accélération du moteur grondant, provoquant alors un bruit sourd. À l’extérieur de l’engin des centaines de scooters aux conducteurs masqués et au nombre aléatoire de passagers tentent de se frayer un chemin en manquant à chaque fois de se faire percuter. Le bus s’engage au cœur d’un long boulevard où des énormes portraits du nouveau roi, entourés de fleurs blanches, décorent chaque intersection. Je retire ma casquette noire Guinness et essuie mon front. J’ouvre ma gourde et bois quelques gorgées d’une eau tiède. Je me demande s’il fait plus chaud à l’intérieur de cette grande boîte de conserve où le soleil et le moteur surchauffent la carrosserie rouillée ; ou bien à l’extérieur – véritable four à ciel ouvert.

Je repense à la toute première fois où j’arrivais à Bangkok, à la toute première expérience en Asie du Sud-Est, il y a un an et demi déjà. J’avais pris un vol depuis Dublin. Il faisait nuit lorsque je pris le train reliant l’aéroport à la ville. La chaleur nocturne m’avait mis une claque dans cette même gare du Phaya Thaï et une jeune thaïlandaise coiffée d’un voile noir, timide et souriante, m’avait indiqué la direction du centre.

–Very, very far ! Me disait-elle, en ouvrant grands ses yeux et en hochant la tête.

Malgré la fatigue, j’étais déterminé à rejoindre mon hôtel à pieds. Etouffé par l’air humide, la route me parut interminable mais pleine de magie. Tout paraît toujours plus proche sur une carte et je dois dire que j’avais sous-estimé Bangkok. Qu’importe, j’y étais. J’étais enfin au cœur de cette ville du bout du monde, dans ce nouveau continent ; prêt à avaler les kilomètres un par un et m’en mettre plein la vue.

9h28. Je profite d’un nouveau ralentissement pour sauter en dehors du bus. Me voilà au cœur de Thewet, quartier situé non loin des rues animées de Koh San Road et boudé par les touristes. Je gagne un trottoir à l’ombre des câbles électriques noirs – présents au-dessus de toutes les têtes – et trouve mon hôtel quelques rues plus loin. Pas le temps d’enlever mes sandales que Laura me saute dessus et m’accueille en m’enlaçant dans ses bras.

–Je suis trop contente de te voir Gabby ! T’as fait bon voyage ?! Tu dois être crevé !

Laura et moi avons toujours été amis. On était de la maternelle au collège ensemble et on a grandi dans la même ville de Loire-Atlantique, juste à côté de Nantes. Elle venait avec mes grands-parents, ma sœur et moi passer des week-ends sur la côte. Elle a trouvé un stage de trois mois à Bangkok et s’occupe de la réception de ce petit hôtel bon marché, depuis quelques semaines maintenant.

–Oh tu sais, Katmandou n’est pas si loin que ça en avion ! Quel beau sourire, une vraie petite thaïlandaise ! Lui dis-je.

Je remets mon passeport à Laura qui procède au check-in. C’est déjà l’heure de la sieste pour la propriétaire assez enveloppée de type sumo qui est affalée sur des chaises à côté de la réception, juste en dessous d’un ventilateur. Je commande un pad thaï, paye cent soixante-dix bahts pour ma nuit et suis Laura qui me guide jusqu’à ma chambre à l’étage. Quatre murs en carton, petite table de chevet, lit simple aéré par un ventilateur rouillé fixé au plafond. Un rideau cachant une moustiquaire fait office de fenêtre. La même chambre que l’américain dans La Plage. Je pose mon sac et redescends pour mon petit déjeuner. La nourriture thaïlandaise m’avait manqué. Assiette vidée, je sors pour acheter une grande bouteille d’eau fraîche au 7eleven d’en face. La petite mélodie à l’ouverture de la porte automatique me prévient d’une chute de quinze degrés entre l’extérieur et l’intérieur de la supérette climatisée. Les frissons qui avaient couvert mes avant-bras meurent dès le premier pas en sortant. Je regagne ma chambre. J’ai mal dormi dans l’avion et les transports de ce matin m’ont fatigué. Laura m’a donné rendez-vous devant la réception à dix-sept heures. Je mets en marche le ventilateur qui grince et qui émet un son aigu à chaque rotation. Je m’allonge sur mon matelas dur comme la pierre et, malgré la chaleur, mes paupières se ferment toutes seules. Je plonge lentement dans les bras de Morphée.

3

Ilaria, samedi 6 avril 2019.16h35

Je sors du cours de yoga, détendue. J’en ai beaucoup besoin en ce moment. Je prends la direction de mon appartement, je vais en profiter pour acheter quelques fruits au Paddy’s market sur la route. Le jour va bientôt tomber, dans une demi-heure peut-être. Les jours raccourcissent de plus en plus. Sur les arbres du Hyde Park, les feuilles brunissent et se font la malle.

La nouvelle responsable nous surcharge de dossiers à la banque depuis quelques semaines et je dois renouveler mon contrat dans quatre mois. Je ne compte plus mes heures supplémentaires, il n’est pas rare que je sorte du bureau à vingt heures, ce qui me laisse juste le temps de rentrer, cuisiner et m’écrouler dans le canapé. Malgré le stress et les journées qui passent et se ressemblent, il faudrait que je sois folle pour quitter mon travail. Nathan ne cesse d’ailleurs de me le répéter lorsqu’il dort à la maison quand j’ose me plaindre de ma situation. Un peu plus de mille cent dollars la semaine, salaire qui se verra certainement embellir d’une jolie augmentation à partir de cet hiver, quand je renouvellerai mon contrat d’un an. Le repas du midi m’est offert à hauteur de vingt-cinq dollars et j’ai accès à la salle de sport, aux cours de yoga et à la piscine autant de fois que je le souhaite. De nombreux avantages auprès de la banque et mon lieu de travail à moins de trente minutes de mon appartement. En plus de tout ça, une bonne ambiance règne au bureau. En particulier depuis l’arrivée de Robin, il y a à peu près deux mois. Ce hollandais de presque deux mètres de haut a l’art de me faire rêver avec ses histoires de voyages.

Installé depuis moins d’un an en Australie, il parcourut de nombreux pays à vélo. Son dernier périple en date est un long parcours à travers l’Amérique Latine. Parti de Colombie, il descendit tout d’abord la région du café pour atteindre le sud du pays et l’Equateur. Il vira ensuite sur la côte pacifique et longea l’océan jusqu’au sud du Pérou. De là, il gravit les Andes et continua le long du lac Titicaca afin de passer la frontière bolivienne. Il traversa les hautes plaines du « Tibet de Andes » jusqu’à Sucre et atteignit alors l’Argentine quelques jours plus tard. Son voyage se termina à Buenos Aires, neuf mois après son départ de Medellin. Il me présenta les photos de son épopée sud-américaine la semaine dernière. Lui et sa copine Isha m’invitèrent un soir à manger des sushis dans leur appartement de Surry Hills, à deux pas de chez moi. Isha revenait tout juste d’un voyage au Sri Lanka durant lequel elle rencontra ses parents biologiques.

J’avais passé un excellent moment et au fil des conversations, je n’ai pu qu’être encore plus impressionnée par Robin. J’ai un profond respect et une certaine part d’émerveillement pour tous ceux qui osent réaliser leurs rêves.

17h10. J’arrive chez moi et j’ai tout juste le temps de me changer. Je rejoins les filles plus tard pour dîner à Newtown. Nathan n’est pas là, c’est samedi soir et il est au basket. Il reste moins souvent dormir à l’appartement ces temps-ci, ce qui me laisse le temps de prendre du recul sur notre relation. Mes amies l’adorent et le trouvent canon. Il faut dire que ses yeux bleus et son sourire angélique m’ont fait craquer dès la première rencontre, mais malgré tous les bons moments que l’on passe ensemble et toute l’attention et la tendresse qu’il me porte, j’ai le sentiment d’avoir besoin de plus de temps. Sur le papier, tout semble parfait, mais je ne me sens pas comblée, il me manque quelque chose, peut-être un peu plus de folie.

J’enfile un débardeur blanc, un jean et des baskets. Je me brosse les cheveux devant la glace, puis les attache. J’ai décidé de m’accorder plus de temps et j’ai négocié un repos lundi auprès de ma responsable. C’est donc un week-end de trois jours qui commence, ce qui est rare. J’attrape ma veste en jean bleu foncé, mets une pomme dans mon sac et quitte mon appartement.

C’est l’automne et les températures rafraîchissent à Sydney. Le soleil est maintenant couché et n’a laissé que quelques lueurs crépusculaires sur des fins nuages qui virent peu à peu vers le mauve. Je prends la direction de Newtown. J’appelle ma mère en chemin pour prendre des nouvelles et lui demander quelques conseils pour la librairie. J’ai déjà quatre livres commencés à l’appartement que je ne parviens pas à terminer par manque de temps – ou peut-être d’envie – mais j’ai besoin de quelque chose de nouveau. Je traverse Darlington par Abercrombie Street. Les petites maisons colorées qui m’entourent dégagent un sentiment de quiétude. J’ai toujours préféré arpenter ces rues plutôt que les avenues bondées et bruyantes du quartier d’affaires, en particulier le dimanche matin quand je trouve la motivation pour un footing ou une simple balade matinale. Je rejoins King Street, et les pavillons laissent peu à peu leur place à tous types de commerces, galeries d’art, cafés, bars et restaurants. Il fait bon vivre à Newtown et l’ambiance cool et décontractée qui plane sur le quartier me rappelle celle de Melbourne où j’ai passé toutes mes années d’études. Je remonte la rue en direction du centre du faubourg. L’heure de l’apéro a sonné et les terrasses sont déjà bien remplies. Des groupes de jeunes occupent les bancs et les parterres d’herbe. Les murs de briques sont habillés de graffitis colorés et de plusieurs couches d’affiches vieillissantes qui annoncent principalement des concerts, festivals ou rassemblements étudiants. Je m’arrête quelques minutes devant l’un des disquaires pour regarder les vinyles exposés dans les bacs à l’extérieur du magasin. J’entre dans la librairie et demande ma route à la propriétaire qui m’oriente.

–Eckhart Tolle, l’un des meilleurs ! Essayez le secteur développement personnel sur la gauche après les escaliers.

Je m’aventure dans les allées qui débordent de livres et ouvrages de tout âge. J’ai toujours apprécié l’odeur du vieux papier. Le mur du fond est entièrement peint d’une reproduction de l’une des œuvres de Diego Rivera. Je reste là une petite heure, jette un dernier regard vers L’Homme contrôleur de l’univers et quitte finalement la librairie avec un Kerouac en poche.

19h02. Je rejoins les filles devant Lentil as Anything où il est préférable de manger tôt pour éviter trop d’attente. Délicieuse boisson épicée aux clous de girofle, riz complet, purée de lentilles et salade ; le tout accompagné à merveille par quelques notes de salsa cubaine, jouées par un petit groupe local. Je dépose un billet de vingt dollars dans la boîte de donation située à la sortie du restaurant, c’est de cette façon originale qu’il faut régler la note.

21h17. On est installées dans l’un des bars de King Street et j’en suis à ma troisième piña colada. Les conversations se succèdent et se ressemblent, elles tournent autour des mecs et des toutes dernières séries Netflix. J’ai reçu un message de Nathan me disant qu’il sortait avec ses potes du basket, que je ne devais pas l’attendre une fois rentrée. Je motive les filles pour changer de lieu. On quitte le bar après un autre verre et commande un taxi pour se rapprocher de la City. Les filles se mettent à chanter dans la voiture et je me laisse séduire par l’ambiance. Les effets de l’alcool me font du bien. Je demande au chauffeur d’augmenter le son de l’autoradio lors d’une chanson de David Bowie. On est en chemin pour passer une soirée différente de celles des jours de la semaine, similaire à tous les autres samedis soirs. Je me sens bien, je ne pense ni au boulot, ni à demain.

4

Gabriel, mardi 9 avril 2019.15h18

Je déambule dans les rues calmes de la vieille ville. Les bâtiments bétonnés dégagent des odeurs d’épices. Je ressens la force du soleil sur mes épaules et mes jambes ; le courant d’air provoqué par la vitesse est agréable. J’esquive quelques piétons et m’engage dans une petite ruelle où le Café Mickey fait le coin. J’immobilise le scooter au kilométrage douteux, juste devant la guest-house. Je me joins à Sebastian, un Allemand très fin ressemblant à Samy dans Scooby-Doo et Marco, un sicilien tatoué de partout, aux longs cheveux châtains. Accompagnés de deux gamins thaïlandais, ils se font des passes avec une vieille balle de foot.

Voilà un peu plus d’une semaine que je suis arrivé à Chiang Mai, après avoir traversé le nord du pays durant une courte nuit dans un bus frigorifié par l’air conditionné. On a visité quelques temples avec Laura tel que le Wat Pho et ses pagodes recouvertes de mosaïques colorées, son Buddha couché et ses touristes à selfies. On se déplaçait principalement à pied ou en bus, on a également emprunté plusieurs fois les bateaux publics sur la rivière Phraya pour rejoindre Chinatown où l’eau, de couleur marron, est étouffée par toutes sortes de barques à moteurs polluants, des poissons morts et des déchets plastiques.

Le lendemain de mon arrivée, Laura toute paniquée vint me sortir de mes songes car un jeune indien au turban rouge lui demandait lors de la visite de la chambre quel était le prix d’une nuit avec elle. Dans le doute d’une éventuelle incompréhension, le type me réitérait sa question dans un anglais parfait à l’accent indien prononcé.

–What’s the price for a night with her ? Me répétait-il.

Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire face au sérieux sur son visage, ce qui détendit l’atmosphère. Les différences culturelles réservent parfois de belles surprises. On emmena finalement Rohit un peu vexé – qui je pense trouvait ennuyant de sonner les centaines de cloches suspendues tout au long de l’escalier menant au sommet – sur la Golden Mountain, l’après-midi même de son arrivée. Au soir, l’Indien retrouva quelques compatriotes coiffés d’un même turban que lui et alla probablement passer la nuit avec des putains, dans l’un des bordels de la ville. L’avant-dernier soir marqua les retrouvailles entre Laura et un couple d’Anglais avec qui elle avait sympathisé lors de leurs quelques jours passés à l’hôtel, au début de leur voyage. On traîna toute la soirée dans un bar à reggae de Koh San Road : un repère des voyageurs qui symbolise très souvent le point de départ et d’arrivée d’un périple en Thaïlande ou Asie du Sud-Est. On finit la soirée vers deux heures du matin, chassés par les flics, car on buvait des bières assis sur la chaussée, non loin d’un temple. Laura sera à Bangkok pendant pas mal de temps encore et je la retrouverai sans doute avant de quitter le royaume.

16h10. Foot terminé. Je monte pour prendre une douche, une grande bouteille de Chang aux deux tiers vides dans la main. Je prends ma serviette dans ma chambre. J’entends l’eau couler et patiente, affalé dans l’un des hamacs de l’étage, le temps que la salle de bain se libère. La porte s’ouvre une poignée de minutes plus tard et une jolie brune aux yeux verts en sort. Elle est couverte d’une fine serviette beige me laissant facilement deviner les courbes de son corps. Je croise son regard avant de m’emparer de la pièce à mon tour. J’ouvre le robinet et comme d’habitude mets quelques secondes avant de me placer entièrement sous l’eau. Je me demande à quand remonte ma dernière douche chaude. Sur le mur de carrelage se suivent des centaines de fourmis en file indienne. Elles semblent être parfaitement coordonnées. Bien loin du Ceylan du Poisson-Scorpion, la fascination pour les créatures n’en est pas moindre.

16h41. Je retrouve Sebastian et Marco sur les hamacs de l’étage. Avec nous se trouvent quelques bières fraiches et un Néo-Zélandais un peu stone, grand et massif ; il joue du didgeridoo, assis en tailleur. L’Allemand commence à rouler pendant que j’effrite l’herbe. Joint allumé, je tire lentement deux ou trois bouffées et le fais tourner à mes camarades, tel un calumet de la paix. Les minutes passent et l’instrument prend totalement possession de l’atmosphère. On se laisse emporter par le son envoûtant aborigène des territoires nord-australiens. La vieille ville est parsemée de toits de tôle gris habillés d’antennes râteau. Allongé dans le hamac, je termine lentement ma bière, le cerveau bercé.

18h02. Les titres de Master of Puppets