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"Le Mirage est un roman écrit par Georges Rodenbach, un écrivain belge du XIXe siècle. Publié en 1898, ce livre est considéré comme l'une des œuvres majeures de la littérature symboliste.
Le Mirage raconte l'histoire de Hugues Viane, un homme tourmenté par la perte de sa bien-aimée, la belle Jane Scott. Obsédé par son souvenir, il erre dans les rues de Bruges, une ville mystérieuse et envoûtante, où il croit apercevoir le fantôme de Jane à chaque coin de rue. Cette obsession le conduit à une quête désespérée de la vérité, de la réalité et de l'illusion.
Georges Rodenbach utilise une écriture poétique et évocatrice pour dépeindre l'atmosphère sombre et mélancolique de Bruges, qui devient presque un personnage à part entière dans le roman. Le Mirage est un récit envoûtant, empreint de mystère et de symbolisme, qui explore les thèmes de l'amour, de la perte et de la recherche de sens dans un monde en perpétuelle mutation.
Ce livre a été salué par la critique pour sa prose élégante et sa capacité à capturer l'essence même de la mélancolie. Le Mirage est un incontournable de la littérature symboliste et un témoignage poignant de la condition humaine.
Extrait : ""SOEUR ROSALIE : Mon Dieu ! comme je suis contrariée ! BARBE, ramassant les morceaux de la vitre qui protégeait le portrait au pastel et qui s'est brisée : Mais non, ma sœur, c'est uniquement de ma faute."""
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Seitenzahl: 86
Veröffentlichungsjahr: 2015
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HUGHES.
JORIS BORLUUT.
JANE.
BARBE.
SŒUR ROSALIE.
GENEVIÈVE.
Un vieux salon de province, dans un antique hôtel ; ameublement riche. – Commode ancienne, vitrines ; bonheur du jour Louis XV ; un autre, Louis XVI.– Une grande table au centre. – Des bibelots. – Haute pendule décorative sur la cheminée. – Sur les meubles, des portraits, des photographies encadrées. – Un coffret de cristal sur un guéridon. – Au mur de gauche, un grand portrait de femme, au pastel. – Deux fenêtres dans le fond. – Porte à droite.
Sœur Rosalie, Barbe.
Mon Dieu ! comme je suis contrariée !
Mais non, ma sœur, c’est uniquement de ma faute.
C’est de la mienne aussi. Je vous ai distraite.
Je fus maladroite… Et puis je ne croyais pas cette vitre aussi fragile.
Un accident peut toujours arriver…
Non ; c’est une punition. J’ai désobéi. Monsieur m’avait fait défense de jamais entrer ici sans lui… Vous pensez ! C’est toute sa vie, dans ce salon ! Il m’a dit un jour lui-même : « C’est ma chapelle de souvenirs… »
Toujours sa chère morte ? En voilà un veuf comme il n’y en a plus beaucoup aujourd’hui !
Figurez-vous que tous les jours il passe un long temps ici, comme à l’église. On dirait vraiment qu’il prie une madone… Et il y a cinq ans que sa douleur dure…
Le pauvre monsieur !
C’est qu’elle était belle, sa femme ! Il a réuni, ici, tous les portraits qu’il y avait d’elle. (Elle prend une des photographies éparses sur les meubles et la montre à sœur Rosalie.) La voici enfant. Quels grands yeux ! Et ses beaux cheveux blonds ! (Prenant un autre portrait.) Puis jeune fille ! C’est toujours la même figure. Et aussi les mêmes cheveux… Ceux qu’elle avait encore en mourant. Les cheveux qui sont là… (Elle montre un coffret de cristal où repose une natte blonde.) Ceci est son plus cher souvenir. Il m’a défendu d’y jamais toucher.
Ce sont les cheveux de la morte ?
Oui ! Une longue natte qu’il a coupée lui-même avant qu’on la mît dans son cercueil… Et elle est toujours là, intacte…
Comme c’est étrange ! Les cheveux survivent… C’est une pitié de la mort… Elle ruine tout, les yeux, les lèvres ; la chair pourrit… Seuls les cheveux subsistent… Ils durent… On se survit en eux.
Vous avez raison. C’est quelque chose de la morte, vraiment d’elle, qui lui reste…
Il en va de même pour les saints, dont nous possédons quelques reliques…
Ici tout est relique… Rien n’a été changé. Ce sont les mêmes meubles… Des objets qu’elle aimait… Les fauteuils où elle s’est assise… Voilà un coussin qu’elle a fait elle-même… Ses doigts sont partout… Et on me défend de déranger les plis des rideaux, qu’elle-même peut-être a formés.
C’est très touchant.
Aussi les autres domestiques ne peuvent jamais ranger ici. C’est moi seule. Et encore ! monsieur entend être présent, me surveiller, suivre mes gestes. Il a si peur que quelque chose soit endommagé ou même déplacé…
Que va-t-il dire de ce qui est arrivé au grand portrait ?
J’ai peur. Surtout que c’est de mauvais présage, un bris de vitre, de verre, de glace… À deux reprises, quand mon père est mort, quand ma mère est morte, on avait, dans l’année, cassé un miroir à la maison…
Barbe, ne soyez pas superstitieuse… C’est une idée du démon…
Pardon, ma sœur. Mais je suis toute bouleversée de cet accident… Quelle malchance, pour une seule fois que je désobéis !
Heureusement que le tableau lui-même est sauf… La vitre, en se brisant vers le dedans, aurait pu détériorer la peinture…
Ç’aurait été affreux. Car, de tous les portraits de la morte qui sont ici, c’est celui auquel monsieur tient le plus. Chaque fois qu’il le regarde ; des larmes lui viennent aux yeux. C’est un portrait du moment de leur mariage, paraît-il. Voyez comme elle sourit bien. Elle a l’air si heureuse ! Mais maintenant, avec cette vitre fendue, il semble qu’elle ait mal d’un côté du visage. On dirait une blessure, et qu’elle s’efforce de sourire… Mon Dieu, que c’est triste ! que c’est ennuyeux ! Qu’est-ce que je vais faire ?
Il faut avouer, tout franchement, avertir votre maître à son retour… Est-ce qu’il gronde ou se fâche ?
Il a parfois des mouvements d’humeur, assez vifs… Il est nerveux… Mais il est si malheureux ! Je lui pardonne. Il est très bon, au fond… Voilà cinq années que je le sers, depuis son arrivée à Bruges, à la mort de sa femme… Je patienterai encore un peu, jusqu’à ce que j’aie économisé ce qu’il faut…
Alors vous rêvez toujours d’entrer au Béguinage ?
C’est mon plus vieux et cher désir, d’aller y finir ma vie. Vous êtes ma seule parente, sœur Rosalie, et j’aimerai tant habiter, avec vous, votre couvent tout blanc !
Avez-vous atteint la petite rente qu’on doit justifier ?
Pas tout à fait… Mais vous, sœur Rosalie, qui êtes influente, vous pourriez peut-être m’obtenir une dispense ?
C’est impossible, Barbe ; la règle de l’ordre est formelle. Il y va de son indépendance et de sa dignité même.
Eh bien, je patienterai. D’ailleurs mon maître a tant besoin de moi… Une autre ne mettrait pas ce silence, ces précautions, autour de sa douleur. Moi, j’ai l’habitude de marcher dans les églises. Et c’est ainsi qu’il faut marcher autour de lui…
Alors, il vit tout entier dans ses souvenirs, et toujours seul…
À peu près. Il n’a qu’un seul ami, M. Joris Borluut. Un vieux garçon, – mais qui a l’air aussi d’un veuf, – le veuf d’on ne sait quoi… Il vient ici souvent, l’après-midi, presque tous les jours… (On entend sonner l’heure à la pendule.) Tiens ! voilà cinq heures ! C’est son heure… Et il est exact comme notre vieille pendule…
Je vais vous quitter… On l’introduit ici, sans doute ?
Oui ! Mais restez encore un peu, ma sœur… C’est si bon pour moi de causer avec vous, de causer avec quelqu’un ! Je suis si seule ici ! Parfois j’en ai peur…
Quand on est seule, on est avec Dieu…
J’entends sonner…
C’est monsieur qui rentre ?
Non, il a la clé de la maison… C’est M. Borluut, probablement.
Je m’en vais alors. Et je prierai pour votre maître, Barbe. Peut-être ferait-il mieux, lui aussi, puisque la morte est morte, de prier pour son âme, au lieu de la regretter de cette façon. Je ne comprends pas bien… Mais j’ai l’idée que cela ne plaît pas à Dieu.
Sœur Rosalie, Barbe, Joris, qui entre.
Barbe, je pars… je suis en retard déjà… Et ne me reconduisez pas. Je connais le chemin.
Elle sort.
Barbe, Joris.
Monsieur n’est pas rentré ?
Pas encore, monsieur Borluut.
Où est-il allé ?
Je ne sais pas.
Lui si ponctuel, presque autant que moi !
Oui, auparavant.
C’est vrai que, maintenant, il est souvent en retard. Mais où peut-il s’attarder ? Il ne connaît personne.
Monsieur fait de longues promenades, vous savez, le long des quais, dans les quartiers déserts qu’il préfère, au bord des canaux… Il oublie l’heure.
Mais non ; ici à Bruges, on entend le carillon, on voit le cadran du beffroi, de tous les points de la ville… Ne savait-il pas que je viendrais aujourd’hui à l’heure habituelle ?
Laissez-moi vous avouer, monsieur Borluut, puisque vous êtes son meilleur ami, son seul ami… je suis inquiète. Ne le trouvez-vous pas étrange, depuis quelques semaines ? Il n’est plus le même. On dirait que quelque chose est arrivé dans sa vie…
Il ne peut rien arriver ici dans notre vie.
C’est juste ! Néanmoins il est tout changé… Il s’enferme plus longtemps, parmi ses reliques. Je l’entends quelquefois parler tout haut. Il appelle sa morte : « Geneviève ! Geneviève ! » comme si elle pouvait revenir. On dirait qu’elle revient vraiment, qu’il la revoit parfois… Mais il se tue à trop se désespérer.
Non, Barbe, il en vit. C’est d’être consolé qu’il mourrait…
Enfin, il semble tout autre. Il sort davantage. Certains jours, il a l’air plus triste que même dans les commencements. Et certains jours, il a l’air presque joyeux… Puis, il faut souvent l’attendre, comme aujourd’hui. Naguère il rentrait juste à l’heure qu’il avait dite, comme quand on se promène sans but, au hasard. Maintenant, il est en retard, comme quand on a été retenu par quelqu’un…
Mais il ne connaît que moi dans toute cette ville, où il a volontairement vécu seul ! Et il y est venu pour cela, après son veuvage.
C’est bien ce que je me dis. Alors, c’est que sa douleur le domine. Elle est plus forte que lui… C’est elle qui le mène. Je ne sais rien, moi, je ne comprends rien… Mais je vois bien que mon maître souffre davantage. Et là-dessus, voyez-vous, une femme ne se trompe jamais… Mais… c’est son bruit… Le voilà qui rentre… De grâce, mon sieur Borluut, ne lui dites rien… Si je vous ai parlé ainsi, c’est que, vous aussi, vous l’aimez bien…
Hughes entre… Barbe s’efface pour le laisser passer et sort.
Joris, Hughes.
Ah ! vous voilà.
Oui, je vous attendais…
Je suis en retard ?
Un peu. Mais les jours allongent. Nous aurons le temps encore d’arriver à l’atelier avant qu’il fasse soir… Je voudrais vous montrer mon tableau, qui a beaucoup avancé…
Vos Peseurs d’or ?
Oui ! j’ai travaillé.