Le Poids du silence - Magalie Rudler - E-Book

Le Poids du silence E-Book

Magalie Rudler

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Beschreibung

Après de nombreuses années de violences conjugales, Marie a du mal avec les hommes. Jusqu'au jour où elle rencontre Elie...

Traumatisée par des années de violence aux mains de son ex, Marie essaye tant bien que mal de se reconstruire. Lorsqu'elle rencontre Élie, le coup de foudre est immédiat, mais encore faut-il qu'elle se laisse apprivoiser… Petit à petit, elle retrouve confiance dans ses bras et décide de retourner dans son village natal pour affronter ses peurs. Cependant, Élie cache lui aussi un lourd secret… L'amour pourra-t-il guérir leurs blessures ?

Marie et Elie parviendront-ils à vivre leur histoire et se défaire des blessures du passé ? Laissez-vous transporter par une histoire d'amour hors du commun avec des personnages attachants jusqu'à la dernière page !

EXTRAIT

Marie était impertinente et en passant cette porte, Tom Wrickley en était resté sans voix. Jamais encore, on ne lui avait parlé sur ce ton, hormis sa femme, mais Marie avait raison, on avait peur de lui, peur de lui soumettre des idées alors qu’on les soumettait facilement à la jeune femme. Elle était fascinante. Plus que ça, elle l’impressionnait. Pas uniquement par son arrogance, mais surtout par son calme. Il l’avait vu si timide, prête à s’enfuir au moindre bruit suspect. Elle avait fermé les yeux rassemblant le peu de courage qu’elle avait et il s’était dit qu’elle n’était pas faite pour ce poste. Durant son monologue, elle s’est tenu les mains serrées l’une contre l’autre jusqu’à s’en faire mal. Même si sa voix ne tremblait pas, son corps disait le contraire. Elle était mal à l’aise et lorsqu’il lui avait tendu la main pour la saluer, son corps s’était raidi. Il s’est alors souvenu de la cicatrice sur sa joue. Elle avait essayé de la dissimuler avec du fond de teint. Il avait observé chaque partie de son visage, cherchant à la déstabiliser alors qu’elle semblait si sérieuse avec ses mots. C’est là qu’il l’avait vu. Elle n’était pas très grande, mais courait sur sa joue jusqu’à atteindre la naissance de son œil. Était-ce la raison de son malaise ? Qu’est-ce qui se cachait derrière sa balafre ? Elle avait eu l’air tellement fragile dans cette salle d’attente et elle avait su démonter tous ses préjugés en jetant une bombe sur sa certitude. En la voyant prendre congé sans même attendre son consentement, il avait su que nul autre qu’elle n’était fait pour ce job. Elle saura pousser les portes nécessaires et faire preuve d’une douceur exemplaire.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Depuis l'âge de douze ans, Magalie Rudler écrit tout ce qui lui passe par la tête. Au fil du temps, l'écriture est devenue un véritable besoin pour elle. Originaire d'Alsace, elle a eu la chance d'être bercée par le folklore de cette région, rempli de sorcières et de chasses au trésor.

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Les monstres sont réels, les fantômes le sont aussi, ils vivent à l’intérieur de nous. Et parfois… ils gagnent.Stephen King

À ma famille, dans toute sa singularité et ses ressemblances, dans toute son unité et ses divergences. Parce que rien ne dure, si ce n’est des liens indescriptibles et éternels.

La plus grande tragédie de la vie n’est pas la mort, mais ce qui meurt en nous tandis que nous vivons. Norman Cousins

Prologue

Jour 0

Très chère Galiène,

Maman ! Je vois encore tes lèvres bouger, ton corps sursauter, réagir et répondre mille fois plus vite que le mien. Je te vois te relever pour essayer de lui barrer la porte et repousser ses assauts avec ton frêle petit corps. Tu ne pensais déjà plus à toi, car seul mon sort t’importait. J’ai vu tes lèvres frémir et je savais ce que tu allais me dire bien avant que les mots ne sortent de ta bouche. Je savais que tu t’apprêtais à commettre le plus grand sacrifice qu’une mère puisse commettre pour son enfant. Tu t’apprêtais à prendre ma place et à supporter ses coups. Il ne fallait pas grand-chose. Je n’avais besoin que de quelques minutes et tu avais choisi de me les offrir sans réfléchir. Le ton de ta voix ne me laissait guère le choix et je ne t’avais jamais vu aussi décidé et aussi en colère de toute ta vie. Mais il faut croire que c’est le destin d’une maman Lion lorsque sa tribu est en jeu.

« Cours… ! Cours Marie… Ne cesse jamais de courir, ne cesse jamais de le fuir ! Cours et ne te retourne pas… Pour personne… Pas même pour moi ! Je t’en supplie Marie, COURS ! »

Alors j’ai couru. Sans un regard vers l’arrière. Terrifiée ! J’ai couru, priant pour que tu t’en sortes. Jusqu’à entendre le coup transpercer la blancheur des murs.

Quatorze heures se sont déroulées et j’aimerais crier… J’aimerais… J’aimerais t’entendre… Le silence est pesant… Calme… Terrifiant… Épuisant…

Je suis seule dans cette grande pièce, une tache de sang envahissant le sol. TA tache de sang. Je suis là, debout, et j’aimerais hurler, mais je n’y arrive pas. Quand je ferme les yeux, j’entends le coup de feu strident. J’entends ton corps s’écraser lourdement sur ce sol de pierre. Je te vois allongée et je sens la peur m’envahir. As-tu eu peur ? Je ne saurais le dire… !

Il y a deux jours, je rêvais de silence, de calme et de paix. Je rêvais de ne plus subir tes supplications sur la vie merveilleuse que j’aurais pu avoir. Aujourd’hui, je veux entendre ta voix, sentir le souffle de tes baisers rassurants sur ma joue et que tu m’écrases par tes câlins. Je rêve de bruits, de ton rire et de tes recommandations barbantes. Je donnerais tout pour t’entendre me faire la leçon indéfiniment. Pour entendre à nouveau ton cœur battre.

Je vois encore les ambulanciers arriver, me bousculer pour te sauver et marteler ta poitrine déjà inerte. Je t’ai vu rendre ton dernier souffle presque instantanément. Tes yeux dans les miens me suppliant de vivre encore un peu plus longtemps. Ta poitrine s’est soulevée difficilement jusqu’à ne plus bouger. J’ai vu s’éteindre dans tes yeux la flamme de ta vie et l’espérance de ton existence. Alors, lorsqu’ils ont tenté de te sauver, je n’ai pas eu le courage de leur dire que tu m’avais déjà quitté. Ni le courage ni l’envie.

Je ne voulais pas que cela devienne réel. Je voulais te garder encore un peu avec moi.

Je suis là. Debout. Face à ton sang, et le silence me pèsent.

Je suis là… Debout et j’exhorte de hurler ! Mais je n’y arrive pas.

Pourquoi ne puis-je pas hurler… ? Pourquoi je n’arrive plus à respirer ?

Pourquoi n’es-tu plus là ?

Jour 3

Galiène,

J’ai peur. Tu n’es pas là et j’ai peur.

Tout le monde vient me voir. On me nourrit. On me plaint. On veut me réconforter et me jurer que tout ira bien. Moi… ! Tout ce que je vois, c’est la tonne de papiers sur la table, un prêtre à qui je suis incapable de répondre et la tache de sang qui rend tout cela tellement réel. On a voulu la nettoyer, mais j’ai crié pour qu’on ne la touche surtout pas. Depuis on l’évite. Sauf moi !

Parce que j’ai l’impression de te voir.

J’ai peur maman.

J’ai peur et mal parce que tu n’es plus là, et ce n’est pas juste. J’ai l’impression de ne plus pouvoir respirer. J’ai l’impression que ma vie s’est mise sur pause et que les autres continuent leur chemin, leur existence, transparente à la mienne. Tout se passe tellement vite. Les policiers m’ont posé des questions. On a mis des scellés à notre porte et j’ai dormi à même le sol, à la belle étoile, le premier soir. Je ne voulais pas partir. Alice a dormi avec moi. Le deuxième soir, mamie Agnès a monté une tente au fond du jardin et y a déposé des sacs de couchage pour nous deux. Au troisième jour, j’ai pu rentrer chez moi. Je pensais encore t’y voir, étendue dans ce sang, mais tu n’étais plus là.

S’en est suivi un ballet effrayant de « Désolé pour ta perte », « Je suis de tout cœur avec toi », « C’était une femme exceptionnelle »…

Mais c’est faux, maman. Tu le sais, n’est-ce pas ? Tu n’étais pas exceptionnelle. Si tu l’étais réellement, tu serais encore là avec moi. Tu aurais bravé les enfers pour me retrouver. Tu serais là, à me crier dessus et à me réconforter ensuite. Mais tu n’es pas là. Tu n’es donc pas une femme exceptionnelle. Tu es une idiote qui a jugé bon de sacrifier sa vie pour me sauver. Pourquoi ? J’aurais pu endurer les coups, sa violence, sa passion débordante et décadente. Je l’ai fait. À maintes reprises pendant deux ans. Ce n’était pas insurmontable. Par contre, TON ABSENCE EST INSURMONTABLE !

Je suis face à ces gens que j’ai envie d’étriper, ces papiers que j’ai envie de brûler, ce prêtre que j’aimerais renvoyer et les larmes d’une mamie Agnès qui n’est pas juste. Tu ÉTAIS ma mère. C’est moi qui t’ai perdue. Personne ne devrait te pleurer plus que moi et je n’arrive même pas à verser une larme. J’aimerais être égoïste et me repaître de mon malheur. Mais je n’y arrive pas parce qu’au-delà du chagrin, un autre sentiment gronde dans mes veines… La colère !

Je te hais, maman… Je te hais de m’avoir abandonnée face à cette merde incommensurable. Je te hais d’avoir cru bon de te sacrifier pour ma misérable vie. Ne comprends-tu donc pas que j’aurais volontiers offert mon existence pour garder précieusement la tienne ? Enfin, je te hais de ne laisser derrière toi qu’une trace de sang que je ne nettoierais pas. Je te hais, comprends-tu cela ? Je ne te pleure pas…

Et ce n’est pas juste.

Jour 4

Maman,

Je n’ai jamais autant eu envie de vomir qu’aujourd’hui. D’habitude si reposant, Amazing Grace avait une note de dégoût dans la voix et un parfum de faux semblant. Promis. J’ai essayé d’être sage, de ne pas crier ou de ne pleurer qu’en dernier recours, mais à dire vrai, je n’ai toujours pas versé de larmes. J’ai vu ton cercueil descendre dans cette dernière demeure et je n’ai jamais autant désiré de te rejoindre. Alice m’a lavée ce matin. Elle m’a coiffée, habillée et nourrie comme si j’étais une impotente vieille centenaire dans un mouroir et la réalité m’a frappée : tu ne seras pas là à mon mariage ! Tu ne porteras pas ton petit enfant dans tes bras ! Tu ne calmeras pas mes angoisses lorsque je ne supporterai plus ses cris. Tu ne finiras jamais vieille femme râlant contre les effets de la ménopause et tu ne rougiras plus lorsqu’un homme posera sur ton corps, un regard de désir. Tu ne feras, tout simplement, désormais, plus jamais partie de ma vie.

J’ai regardé cette boîte de bois choisie la veille descendre en terre et je n’ai pas pu bouger. J’étais paralysée de peur à l’idée d’affronter la vérité. J’ai l’impression de ne plus exister. D’être un zombie qui effectue ses gestes mécaniquement, tel un robot. Alice me disait d’avancer, j’avançais. Elle me disait de tendre le bras et d’ouvrir les doigts et j’ai vu la rose immaculée s’écraser sur la terre souillée. Elle me disait que c’était bon, me promit que tout ira bien, que je pouvais pleurer maintenant. Sauf que je ne pleure toujours pas !

On m’a expliqué que c’était dans l’ordre des choses d’enterrer sa mère et j’ai simplement demandé si le prix à payer pour l’ordre des choses était le meurtre d’une maman contre quelques coups ? Si toutes les femmes au monde étaient vouées à mourir assassinées pour tenter de réparer les erreurs de leur enfant ? Personne n’a compris mes mots sauf Alice et mamie Agnès. À présent, ma famille, c’est eux ! Une famille qui me connaît et qui voit que sous ma colère et ma soudaine haine envers ton nom, gît le dégoût de mon être, car sans moi… Sans moi et ma stupide idée de liberté, tu serais encore en vie…

Je n’ai pas tenu l’arme entre mes doigts, mais je suis celle qui t’a tuée !

Et ça… Cette culpabilité… Personne ne pourra me l’ôter… La blancheur d’une rose subitement salie par la rougeur d’un sang inutilement versé !

Jour 104

Maman,

Je ne t’ai pas écrit depuis trois mois, treize jours, quelques heures et minutes que je ne compte pas. J’aurai dû. Je suis désolée. J’aimerais te dire que je vais mieux, que je réapprends à marcher, à composer avec ton absence, mais je suis sûre que tu sais à quel point je te mentirais.

J’aime me dire que la brise que je sens chatouiller mon cou est l’un de tes sermons et que la chaleur d’un rayon de soleil est l’une de tes approbations. J’aime sentir la pluie sur ma peau, car elle me fait me sentir vivante, même si la culpabilité m’assaille à chaque instant. J’aime entendre le chant d’un oiseau au réveil, la douleur m’accorde alors enfin une pause. Par-dessus tout, maman, j’aime courir à perdre haleine à travers la plaine qui t’a vue naître et grandir. J’aime courir jusqu’à perdre mon nom à travers une nature indomptable et m’arrêter en plein milieu d’un désert de solitude. Le temps semble alors se suspendre et ces derniers mois n’avoir été rien d’autre qu’un stupide cauchemar. Je tends parfois mon pied au-dessus de cette falaise où tu m’emmenais étant enfant. Le vide à cette douceur rassurante qu’il me faudrait franchir pour être englouti par la mer et te rejoindre, mais égoïstement, j’ai peur de mourir. La peur est une saloperie, car elle paralyse… Elle terrifie… !

J’ai aimé notre monde… Notre vie… Mon enfance et mon innocence… Tout cela va me manquer. À 6 heures demain, je fermerai la porte de ce qui est désormais ma maison. Je la fermerai à double tour pour ne plus jamais l’ouvrir. Sais-tu que je dors avec un couteau de cuisine sous l’oreiller ? Les premières nuits, Alice dormait avec moi et lorsqu’elle ne pouvait plus supporter mes cris cauchemardesques, elle est partie. J’ai placé une chaise contre la porte. Juste au cas où !

À 15 heures cette après-midi, c’est-à-dire, il y a trois heures, les policiers ont frappé à ma porte. Il a recommencé ! Avec une jeune femme prise au hasard. J’ai refusé d’entendre son nom. Je ne veux pas y croire ni savoir qu’elle me ressemblait tellement, qu’ils l’ont d’abord prise pour moi ! Il lui a ôté la vie aussi facilement qu’il a pris la tienne. Après l’avoir torturée durant des heures. J’ai passé deux ans avec lui, je sais que ses coups peuvent meurtrir. Le plus drôle, maman, c’est que tout cela n’est que supposition. Ils n’ont absolument aucune preuve que c’est lui, si ce n’est, une étrange ressemblance avec mon histoire et ce stupide sceau marqué au fer rougi par le feu que je me traîne sur la peau. Je n’ai jamais osé te le montrer. Tu aurais été trop blessée et moi trop honteuse.

Coïncidence ? Personne ne le croit. La justice a peur pour moi et souhaiterait que je témoigne. C’est à peu près la seule solution pour le déclarer coupable et l’arrêter. Mais rappelle-moi, maman… Rappelle-moi son unique et terrifiante menace alors que tu te vidais de ton sang. Je crois que c’était quelque chose comme « Tu dis ou tu tentes quelque chose contre moi et je te tuerais Karantez1. Je te ferais souffrir comme tu n’as jamais encore souffert et tuerais tous ceux auxquels tu tiens. Je torturais et prendrais un malin plaisir à exécuter Alice et mamie Agnès sous tes yeux. Tu ne pourras rien faire et tu auras leur sang sur ta conscience comme tu as celui de ta mère ! »

Souffrir comme je n’ai encore jamais souffert semble impossible. Mais qui suis-je pour le contredire ? Je ne risquerais pas la vie de la seule famille qu’il me reste. Qu’importe que tu envoies la foudre me poursuivre jusqu’en enfer. J’y suis déjà, de toute manière. Alors, pardonne-moi… Pardonne-moi, mais la peur terrifie, paralyse et j’exhorte leur protection. Alors dans un ultime effort, demain à 6 heures, je prendrais la route pour une destination que même toi, tu ne connais pas. On a peur pour ma vie, mais moi, j’ai peur pour la leur. Je ne peux pas accepter que d’autre arrête de vivre pour moi, mais si je pars assez loin… Peut-être qu’il ne pourra jamais me retrouver et finira tout simplement par m’oublier. Peut-être qu’à mon tour, je pourrais essayer de m’oublier !

Ne me regarde pas ainsi, maman. Tu ne sais pas ce que c’est que de vivre avec cette douleur lacérant mon semblant de cœur déjà en un millier de morceaux. Tu ne sais pas ce que c’est que d’essayer de respirer avec ce poids entachant ma poitrine.

J’aimerais juste respirer à nouveau sans avoir constamment peur. Même si pour cela, je dois m’enfuir à l’autre bout d’un univers inconnu. N’était-ce pas ce dont tu avais toujours rêvé pour moi ? Que je vive mes propres aventures et un jour, finisse par quitter le nid. La raison en est tout autre, mais la finalité n’était-elle pas la même ? Je te quitte… Toi et toute notre histoire… Je ferme la porte de notre demeure et jamais, je ne regarderais vers l’arrière… Tu ne seras désormais plus qu’un lointain souvenir qui brûle mon âme en un douloureux secret. Même ton nom, ne sera plus un murmure sur mes lèvres, car vois-tu, Galiène, maman… C’est la dernière fois que je le prononcerais… J’espère qu’un jour, tu me pardonneras tout… Absolument tout… Ta mort, ma lâcheté et ma peur. Mais est-ce trop demander que de respirer à nouveau ? Que d’avoir un semblant de paix même si elle est fausse ?

Mon Dieu… Je t’aime et je t’aimerais jusqu’à la fin de ma vie. Tu es mon âme, ma vie, mon histoire… Et à présent, tu es mon passé… Je te verrais dans les étoiles…

ADIEU !

Ta fille !

1.  « Amour » en breton.

Chapitre 1

Quatre ans plus tard

La gazette colmarienne

CultureQuand Noël s’empare de Colmar

Jeudi 16 novembre 2017

À 5 heures ce matin, une cinquantaine d’agents communaux ont pris le chemin du centre-ville afin de parer Colmar de ses plus beaux atouts. Jusqu’à 4 heures cette après-midi, ils vont déambuler à travers ces rues pour installer de petits sapins décorant la pierre froide des pavés, des étoiles éblouissant les lampadaires et de toutes petites guirlandes entourant les arbres. Les bâtiments communaux vont, eux aussi, prendre part aux festivités puisque les fenêtres vont accueillir leurs premiers cadeaux et les volets vont voir de drôles d’ours en peluche s’y accrocher. Pas de jaloux non plus pour les façades de la Mairie et de l’ancienne bibliothèque municipale qui revêtiront leurs propres sons et lumières à partir de 17 heures.

Chaque week-end, des animateurs viendront pimenter l’expérience de Noël en sublimant les rêves d’enfants. Le thème de cette année ? Les contes de Noël à travers l’histoire, racontés, réinventés et imaginés par des conteurs, cinéastes, écrivains ou dessinateurs. On commence par se donner rendez-vous sur la place de la Mairie, samedi 18 novembre avec le conte tristement célèbre, la petite fille aux allumettes, d’Hans Christian Andersen suivit d’un chant de Noël de Charles Dickens, le dimanche 17 novembre à 17 heures.

Amis commerçants, si vous souhaitez un peu d’aide pour décorer vos enseignes, n’hésitez pas à happer à un employé communal qui se fera un plaisir d’installer avec vous quelques boules de Noël, une couronne et un peu de neige sur le pas de votre porte. Amis visiteurs, étrangers et citoyens de ce havre enchanté, à partir de demain, je vous encourage à suivre le parcours des petits santons venus vous faire découvrir la ville à travers un petit chemin alliant histoires et traditions alsaciennes. S’il vous reste encore un peu de temps, chaque dimanche matin, s’ouvre une chasse au trésor. Pour les plus frileux, notre équipe testera cette mystérieuse aventure où nous serons projetés dans le futur pour venir en aide au capitaine Flamagarde afin de retrouver le sapin de cristal et éviter une crise diplomatique menaçant de réduire en esclavage la planète tout entière. Dans notre prochain article, nous vous dirons si nous avons réussi à mener à bien notre mission ou si nous avons échoué et que la Terre est à présent aux mains d’effroyables extraterrestres. Si le cœur vous en dit, venez nous donner un coup de main pour résoudre cette énigme et retrouvons-nous tous en ensemble dimanche matin, devant les anciens bains municipaux dix minutes avant 9 heures.

Noël, c’est aussi un temps de partage et de convivialité. C’est un temps d’amour où le mot famille prend un détour inattendu et chaleureux. C’est juste quelques heures, quelques jours où la magie opère et laisse dans nos cœurs un sentiment irréel et apaisant. C’est un brin d’espoir où la tristesse et la haine sont laissées pour compte à l’aube d’un renouveau. Pour ne pas oublier toutes ces définitions du terme Noël et pour en trouver encore, un peu plus, ensemble, venez nous aidez à décorer le grand sapin sur la place de l’ancienne douane. Petits et grands sont attendus pour mettre la main à la pâte, donner un peu de son temps et accrocher une boule ou une guirlande.

Petite innovation cette année, le service de la culture propose à tous ceux qui le souhaitent d’écrire ses vœux, ses espérances ou simplement son bonheur de l’année passée ou de l’année à venir sur un morceau de papier et de le glisser dans une bouteille qui sera attachée à l’arbre. En janvier, les bouteilles seront ouvertes et brulées lors d’une cérémonie comme une promesse murmurée au vent, infinie et éternelle.

Avec un peu de chance, quelques flocons de neige viendront agrémenter cette magie et dans ces temps de violence, de changement et d’incertitude, ils nous permettront d’ouvrir nos cœurs sur un nouvel espoir. Il ne faut jamais oublier qu’enfant, avec un sapin de Noël, des flocons de neige et un bon chocolat chaud, toute la terre nous paraissait changée et merveilleuse. Tout nous semblait insignifiant et plus rien n’existait mis à part notre innocence prenant la forme d’un bonhomme de neige. Pourquoi en serait-il autrement une fois devenu adulte ?

Retrouver toutes les informations sur le site de la Mairiewww.colmar-culture-noel.com

Texte de Marie HIDLENSTEINPhoto de Christan EINDBARD

— Alors ? demanda Marie impatiente.

Elle fit le tour du bureau et vint se planter devant son chef, assis dans son fauteuil. Ne tenant plus en place, elle avait fait les cent pas dans la pièce pendant que le vieil homme à la barbe blanchi avait lu et relu son article. Cet homme, c’était le responsable de la Culture de la Mairie de Colmar où elle avait élu domicile, il y a quatre ans. Elle travaillait pour lui depuis trois ans en freelance. Il lui donnait des sujets et elle partait en quête d’un reportage avant d’en écrire l’article. Si sa réputation n’était plus à faire, l’instant où son supérieur validait son travail la laissait toujours hésitante. Elle croisa les bras tandis qu’il relut une quatrième fois. Parfois, elle se demandait s’il ne faisait pas exprès de la faire attendre ainsi. Peut-être que cela l’amusait.

Elle se mit à taper du pied lorsqu’il releva la tête…

— Alors ? répéta-t-elle. Qu’est-ce que tu en penses ?

— Une chasse au trésor ? Où as-tu dégoté ça ? l’interrogea son supérieur, perplexe.

— C’est une entreprise de trois petits jeunes qui ont décidé de lancer ce concept sur le marché. C’est sur le même principe que les escape games sauf que c'est en extérieur. Je ne suis pas sûre qu’à terme, ils vont pouvoir garder ça en hiver, surtout lors des périodes de grands froids. Les gens sont frileux à l’idée de devoir sortir.

— Comment en as-tu entendu parler ?

— Comme toujours lorsque je viens avec des idées inédites pour t’épater, le bouche-à-oreille principalement, expliqua-t-elle en souriant. Ils ont une page Facebook, mais elle n’est pas très bien gérée. Les gens attendent beaucoup de ce projet, c’est novateur. Ça permet de sortir de son cocon habituel, de se retrouver entre amis, entre familles, mais c’est comme Pokémon Go, ce n’est qu’une façade. On va l’encenser pendant des semaines puis finir par le délaisser.

— L’idée de le lancer à Noël est un pari risqué, surtout lorsqu’on ne connaît pas le thème de cette année. Un coup de bol qu’ils aient eu l’idée des contes de Noël, en même temps que nous, dit-il avec un regard complice envers la journaliste.

— Disons que ce n’est pas vraiment une grande surprise. Ils n’allaient pas faire un thème Walking Dead ou film d’horreur.

— Donc aucun coup de pouce de ta part ? la questionna son chef d’un air malicieux.

— Peut-être un petit peu, mais si l’on ne peut plus aider les petites entreprises à se développer et à faire de notre ville un endroit prospère, je ne vois pas à quoi je sers. En été, leur idée pourrait ramener beaucoup de touristes et donc être plus bénéfique pour nous. C’est un prêté pour un rendu si nous sommes choisis à la place de Strasbourg comme destination numéro un.

— Jusqu’à ce qu’ils nous copient l’année prochaine… Je suppose que tu en as déjà parlé à Véronique Adler, au service touristique ?

— Forcément… Dans deux mois, je retournerais faire un article sur eux pour leur rubrique. Mais revenons à mon article, l’idée de la chasse au trésor te dérange ?

— Non… Pas du tout, Marie. Je trouve ça assez marrant en fait. Les gens ont besoin de sortir, de s’amuser, mais ils en ont assez du conventionnel. Même les cinémas ont compris cela et essayent de trouver toujours mieux avec la 3D ou leur avant-première entre filles… Venir décorer tous ensemble le sapin de la grande place est intéressant. Quant à ton idée des bouteilles, du pur génie. Je suppose que tu en as parlé au service technique avant ?

— Bien entendu. Je n’aurais rien fait sans leur accord. Ils avaient juste besoin d’idées fraîches et je leur en ai fourni. J’aimais bien l’idée des messages que l’on jette dans la mer comme un désespoir et l’idée que quelqu’un pourrait les lire pour violer un secret pas assez enfui.

— Tu penses que quelqu’un va les décrocher et les lire ?

— J’espère ! Ces messages sont des promesses et même si elles personnelles et secrètes, le but c’est qu’on les vole, qu’on les lise, qu’on leur donne une interprétation qui n’a pas lieu d’être. Ces bouteilles doivent vendre du rêve alors il faut les ouvrir, les lire, mais sans le dire. Si on le précise, les gens ne vont pas braver l’interdit, ils ne vont pas oser. Les bouteilles vont rester là, à les narguer sans trouver un deuxième interlocuteur.

— Tu en mettras une ?

— Je pense… J’aime bien savoir que c’est une possibilité d’être lue et découverte. C’est comme la possibilité d’avoir un miracle de Noël et de croire que durant un instant, absolument tout est réalisable.

— Pour quelqu’un qui n’aime pas Noël, tu m’impressionnes, déclara-t-il en se relevant.

D’apparence plutôt ordinaire, on pourrait croire que Tom Wrickley ressemble à n’importe quel homme d’affaires. Bien serré dans son costume, de dos, ses cheveux étaient plaqués contre sa tête et sa stature toujours droite pour se donner un charisme qu’il avait de toute façon. Lorsqu’il faisait face, cependant, c’était une tout autre histoire. Des mèches en bataille cachaient ses yeux d’un bleu aussi foncé et brillant qu’un saphir. Sa barbe blanche tombait jusqu’à la naissance de son cou où subsistait un serpent noir, caprice de ses années de rockeur insouciant. Sa chemise, légèrement entrouverte dévoilait un torse que l’on imaginait aisément musclé, mais ce qui impressionnait le plus chez cet homme était la force de son regard. Il lui suffisait d’entrer dans une pièce pour imposer le silence. Il posait sur ses collaborateurs le regard féroce du lion prêt à dévorer sa proie. Il était un redoutable homme d’affaires et il aurait pu conquérir le monde. Pendant les premières années de son existence, il l’avait fait. Il avait possédé une entreprise qui s’évertuait à améliorer les prothèses pour les amputés de guerre. Il était leader dans son domaine et des hommes du monde entier venaient le consulter. Lorsque ce passionné de lecture devint papa pour la troisième fois, il avait ressenti le besoin de laisser ses responsabilités pour se consacrer à sa famille. C’est tout naturellement qu’il a postulé au service de la culture de sa Mairie et démarré comme Marie en tant que journaliste. Il voulait passer inaperçu, se reposer dans un poste qui ne demandait pas trop d’effort. Mais, la nature reprenant ses droits, il n’avait de cesse de proposer des améliorations afin de permettre aux jeunes de s’intéresser davantage à la culture dans leur ville. Voyant toutes ses propositions rejetées par un vieillard ne souhaitant qu’accéder à la retraite, Tom choisit d’en référer à la plus haute instance susceptible de l’écouter, Monsieur le Maire. Rapidement, il prit la direction de ce service et mit en place des projets auxquels même les plus défavorisés prirent un malin plaisir à participer. Il instaura trois concours réitérés chaque année. Le premier d’ordre littéraire était un concours d’écriture avec une promesse d’édition à la clé, le second parlait d’art afin de redonner vie aux anciens bâtiments mornes et décrépis et enfin, le dernier récompensait l’innovation cinématographie lors du festival prévu au mois d’octobre. Voyant que son service n’arrivait pas à gérer la demande toujours plus grandissante ainsi que le service de presse pourtant essentielle à la culture, Tom entreprit d’engager des journalistes en freelance, des personnes qu’ils n’avaient pas à contrôler et qu’il pouvait payer au nombre de mots et non aux nombres d’heures.

La première fois qu’il vit Marie, il eut envie de la renvoyer sans même la recevoir. Elle était tellement timide, assise sur son banc, à regarder à droite puis à gauche. Il s’était dit que personne ne viendrait lui parler, qu’elle n’aurait jamais l’étoffe ni le courage d’endosser une telle charge. Malgré ses réticences, il l’avait quand même rencontré. Elle était douce et patiente. C’est vrai qu’elle passait inaperçue, mais elle était une fine observatrice et son air inquiet, à peine l’entretien démarré, fut remplacé par un regard dur, froid, déterminé, bien plus professionnel. En trois minutes, elle avait été capable de lui raconter la vie de son service à la manière d’un journal télévisé, sans hésiter ou trembler. Sa transparence avait amené l’une de ses collègues à épancher sa peine sur son épaule. La colère de son adjoint s’expliquait par l’accident de voiture dont il avait été le principal concerné ou encore que la maladresse du stagiaire n’était due qu’au stress de vouloir bien faire pour impressionner le patron.

— Il ne s’agit pas toujours de faire du bruit ou de grands mouvements pour manifester sa présence. Les gens sont plus enclins à parler quand ils sentent qu’on est comme eux, un fantôme déambulant dans des couloirs où dans des rues. Pourquoi voudrais-je faire ce job ? Parce que ce sont eux qu’il faut écouter. Ce sont eux qui ont de grandes idées pour améliorer notre culture, des histoires pour rendre notre ville plus belle parce qu’ils la vivent aux quotidiens. Le stagiaire a tellement peur de vous qu’il n’osera jamais vous dire qu’il travaille sur un projet informatique permettant d’améliorer votre site internet, mais il me le dit à moi parce que je suis moins impressionnante, plus calme et que je parais tout de suite gentille. Ensuite, je viens vous le dire parce que je sais qu’une fois sortie de ce bureau, vous allez l’appeler pour écouter son idée. Vous voyez, je suis idéale pour ce job parce que j’arrive à vous montrer ce que vous ne voyez plus. Vous êtes un patron, intransigeant et exigeant, ce qui était parfait, il y a dix ans lorsque vous avez pris ce poste. Cette ville avait besoin de changement et d’être bousculé, ce que vous avez fait. À présent, elle a besoin d’être écoutée, d’être entendue, ce que je fais. Allez parler avec votre stagiaire, donnez-lui une chance d’être pleinement entendu. D’autant plus que je connais sa passion pour les jeux vidéo et qu’avec un peu d’imagination et un peu de temps, il sera capable de vous trouver une idée novatrice et originale pour intégrer les jeunes des cités et les pousser à participer activement à la vie citoyenne. J’attendrais votre appel ! Bonne journée, monsieur Wrickley.

Marie était impertinente et en passant cette porte, Tom Wrickley en était resté sans voix. Jamais encore, on ne lui avait parlé sur ce ton, hormis sa femme, mais Marie avait raison, on avait peur de lui, peur de lui soumettre des idées alors qu’on les soumettait facilement à la jeune femme. Elle était fascinante. Plus que ça, elle l’impressionnait. Pas uniquement par son arrogance, mais surtout par son calme. Il l’avait vu si timide, prête à s’enfuir au moindre bruit suspect. Elle avait fermé les yeux rassemblant le peu de courage qu’elle avait et il s’était dit qu’elle n’était pas faite pour ce poste. Durant son monologue, elle s’est tenu les mains serrées l’une contre l’autre jusqu’à s’en faire mal. Même si sa voix ne tremblait pas, son corps disait le contraire. Elle était mal à l’aise et lorsqu’il lui avait tendu la main pour la saluer, son corps s’était raidi. Il s’est alors souvenu de la cicatrice sur sa joue. Elle avait essayé de la dissimuler avec du fond de teint. Il avait observé chaque partie de son visage, cherchant à la déstabiliser alors qu’elle semblait si sérieuse avec ses mots. C’est là qu’il l’avait vu. Elle n’était pas très grande, mais courait sur sa joue jusqu’à atteindre la naissance de son œil. Était-ce la raison de son malaise ? Qu’est-ce qui se cachait derrière sa balafre ? Elle avait eu l’air tellement fragile dans cette salle d’attente et elle avait su démonter tous ses préjugés en jetant une bombe sur sa certitude. En la voyant prendre congé sans même attendre son consentement, il avait su que nul autre qu’elle n’était fait pour ce job. Elle saura pousser les portes nécessaires et faire preuve d’une douceur exemplaire.

Il avait écouté le stagiaire patiemment malgré son bégaiement et lui avait promis d’étudier avec attention son projet s’il le lui mettait par écrit. Dans la foulée, il avait rappelé Marie et lui avait offert le poste. Trois ans plus tard, le stagiaire était devenu informaticien et animateur pour jeunes et Marie, toujours journaliste en freelance. Mais plus encore, entre Tom et Marie, une véritable relation amicale s’était installée et s’il était toujours son patron, il la considérait davantage comme sa fille et comme une associée sans le statut que Marie refusait toujours.

— Dis-moi que tu ne trouves pas ça beau, reprit-il en regardant par la fenêtre. Ces décorations, ces illuminations et bientôt ces odeurs de pains d’épices, de chocolat et de vins chauds. Sans compter la traditionnelle soirée des mannalas2.

— Je n’ai pas dit que ce n’était pas beau Tom, c’est magnifique. Noël n’a juste plus la même signification pour moi.

Il tourna la tête vers elle. Il savait qu’elle avait perdu sa mère et que cela pesait sur son cœur. Un soir, elle avait hurlé et menacé de frapper le premier connard qui osait la toucher. Tom l’avait convoquée dans son bureau, lui avait versé un verre de scotch et ordonné de s’expliquer. Marie, larmoyante, avait avoué que cela faisait deux ans, jour pour jour, qu’on avait assassiné sa mère. Elle n’était pas rentrée dans les détails. Personne n’avait besoin de savoir sa vie ni sa décadence. Elle avait juste dit qu’un homme s’était introduit chez eux et avait tué sa mère devant elle. Il l’avait menacé à son tour de revenir, si elle en parlait à qui que soit alors elle s’était enfuie à l’autre bout de pays, changeant de nom, de vie, de tout. Abandonnant le reste d’un passé derrière elle, comme on traine une chaîne de boulet. Tom n’avait pas besoin de lui demander si elle connaissait l’agresseur pour savoir que c’était le cas. Il n’avait pas besoin des détails tordus, car il pouvait aisément les imaginer. Les jours n’étaient plus aussi difficiles qu’avant, mais il y avait toujours ces deux dates, Noël et le soir de la mort de sa mère, qui semblait si difficile à surmonter. Alors Tom faisait en sorte qu’elle soit débordée de travail pour ne pas avoir à y penser.

— Tu pourrais venir diner chez nous, Margarèthe prépare toujours une assiette pour toi, reprit-il en replongeant vers ses rues grouillant de petites fourmis obéissantes.

— Merci Tom, mais non… Je ne serais pas de bonne compagnie et tu le sais. Remercie Margarèthe pour moi ainsi que ton fils.

— Marie, on s’en fout que tu sois en pleurs ou déprimée… Le but, c’est de ne pas être seule et…

— En famille… le coupa-t-elle en se tournant vers lui. Le but c’est d’être en famille et au cas où tu l’aurais oublié, je n’ai plus de famille mise à part Alice qui rentre chez elle pour les fêtes. Avant que l’idée ne te traverse l’esprit, je ne rentrerais pas chez moi… Plus jamais… Ce n’est plus ma maison, c’est juste l’endroit qui a vu ma mère mourir.

— C’est également l’endroit qui a accueilli tes premiers pas, tes premiers rires et tes premiers cris… Tu ne peux pas tourner le dos à tout ça, tenta-t-il de la réconforter en plongeant dans ses yeux, ce regard compatissant et attendrissant d’un père triste de voir tant de souffrance dans les yeux de son enfant.

— Alors, regarde-moi le faire, Tom. Regarde-moi tourner le dos à tout cela, ce ne sera pas la première fois, ni la dernière. Noël est une fête éblouissante, mais ce n’est juste plus pour moi. Sur ces belles paroles, mon article ?

— Il est très bien, Marie, abandonna-t-il, dépité. Je ferais les changements d’usage, quelques petites répétitions et un ou deux mots que je préférais ne pas employer. Pour le reste, c’est parfait, comme d’habitude, continua-t-il sur un ton plus solennel en reprenant place à son bureau. Puisque nous sommes sur cette lancée, j’aimerais que tu couvres l’ouverture du marché de Noël. Les premiers stands ouvriront leurs portes dans une semaine, mais tu peux déjà interroger les commerçants participants. Je t’enverrais la liste par mail. J’aimerais également que tu me rédiges un article reprenant les grandes lignes du festival du cinéma qui a eu lieu le mois dernier, ce qui nous permettra d’annoncer officiellement le nom du gagnant du concours. Je te laisse t’en charger. Tu le contactes, l’interviewe, autrement dit, tu fais ton job, je n’ai pas besoin de te rappeler en quoi il consiste…

— Non, papa ours, pas besoin ! Tu m’envoies les informations par mail, je suppose. Autre chose ?

— Oui… Encore une dernière chose, tu as rendez-vous demain à 14 heures à la maison de retraite les écureuils. Il y a là-bas un petit couple qui va fêter ses soixante-treize ans de mariage, j’aimerais un article là-dessus. Ils se sont mariés le 24 décembre 1945. Tu imagines plus beaux contes de Noël ?

— Tout dépend s’il était le prince charmant ou l’affreux sorcier tout au long de ses années. Soixante-treize ans, une éternité de calvaire, mais soit… Je sacrifierais mes convictions pour tes beaux yeux, papa ours.

— Tu es désespérante… soupira-t-il. Tu as le chic pour détruire ce qu’il y a de plus beau dans ce monde… L’amour…

— L’amour n’est pas…

— Ça suffit, Marie… Arrête où papa ours va se mettre en colère. Le dossier t’attend déjà sur le bureau de Lyne et au vu de ton implication plus que volontaire, je veux que tu le traites en priorité et je veux un putain de bon article d’une page dessus, photos comprises pour dans trois jours. Maintenant dehors et pense à réfléchir à ma proposition pour Noël, Margarèthe serait plus que ravie de t’avoir à notre table. Je crois qu’elle en a marre de ne voir que moi.

— Tom, désolée, mais c’est toujours non… Termina-t-elle en ouvrant la porte du bureau. Même toutes tes colères réunies, les supplications de Margarèthe et l’idée d’avoir des cadeaux de mon patron ne me feraient pas changer d’avis. Elle va encore devoir te supporter seule une année de plus !

Elle l’entendit lui intimer l’ordre de sortir en riant, mais alors qu’elle fermait la porte, elle aurait juré l’entendre dire qu’elle avait encore un mois pour changer d’avis. Marie soupira. Elle ne changerait pas d’avis. Noël était sacré pour le monde entier et plus encore pour elle. Pourtant depuis quatre ans, il n’avait plus de goût, plus de saveur, plus de sentiment. Marie se sentirait honteuse de la fêter sans sa maman. Cela voudrait dire qu’elle était prête à avancer, prête à l’oublier et à faire sa vie sans elle. C’était juste impossible !

En passant devant le bureau de la secrétaire, cette dernière lui tendit le dossier du couple. Elle le prit à regret. Elle n’était pas ravie de faire cet article. Elle aimait bien entendre les histoires de ces vieillards qui avaient vécu à des années-lumière de sa vie tant que cela ne parlait pas d’amour ou de famille. Or, tout ce qu’elle n’aimait pas se trouvait entre les pages blanches de ce dossier. Elle le fourra dans son sac et lorsque l’ascenseur s’ouvrit pour l’accueillir, elle consulta ses mails. Rien de son patron. Elle pesta. Tant qu’elle n’aura pas rencontré ce couple, Tom ne lui enverra rien d’autre. Cet homme… Aussi sympathique soit-il, il était un pur sadique et sur le moment, elle en venait même à la haïr… Il était doué… Il était excellent même pour la mener à la baguette. Rien que pour cela, Marie allait abdiquer, mais sa vengeance sera excellente et s’échappait déjà en un petit sourire à la commissure de ses lèvres.

2.  Petits gâteaux traditionnels alsaciens.

Chapitre 2

Le soir parsemait le ciel d’une couleur rosâtre, assurant un lendemain clair et doux pour un début d’hiver. Marie, en sortant du bus au coin de sa rue, prit le temps de humer l’air frais et de sentir la brise lui chatouiller ses cheveux. Elle ne s’attarda que quelques secondes et avant de reprendre son chemin, elle vérifia à droite, à gauche puis derrière elle. Juste pour être sûre qu’on ne la suivait pas et qu’on ne l’avait pas reconnue. Elle réajusta son bonnet et prit la direction de son appartement. Elle monta les quatre étages avec difficultés. Elle se faisait une loi de ne pas prendre l’ascenseur, réservé aux personnes plus nécessiteuses. Elle était encore jeune et en grande forme, elle pouvait monter les soixante-quatre marches qui la menait vers son chez elle. Elle tourna la clé dans la serrure, attentive aux moindres bruits qui l’entouraient, comme toujours. Mais rien ne venait perturber la douce mélodie d’une clé mordant une porte. Elle entra rapidement et referma avec tout autant de précipitation. Elle tourna deux fois le premier verrou, deux fois le second et attacha la chaîne. Puis, elle vérifia à trois reprises que personne ne pouvait entrer. C’était futile, elle le savait. Si quelqu’un voulait forcer sa porte, il y arriverait sans difficulté. C’était peut-être un peu ridicule également. Quatre ans qu’elle effectuait ce rituel. On pourrait croire qu’elle se serait lassée depuis, qu’elle aurait relâché sa vigilance. Pourtant, sans ces petits gestes paranoïaques, elle avait l’impression que sa vulnérabilité et sa faiblesse pouvaient se lire sur ses traits.

Ce n’est qu’à l’instant où elle était sûre d’être en sécurité, qu’elle s’autorisa à respirer lourdement. Elle ôta ses chaussures, accrocha son manteau et déposa les clés sur le petit meuble à l’entrée. Chaque fois qu’elle s’y approchera dans la soirée, elle ira vérifier que la porte était toujours aussi bien gardée. Juste pour être sûre. Juste pour se croire protégée d’un ennemi fantomatique.

Elle s’enferma dans la salle de bain et se déshabilla. Lorsque la chaleur de la douche envahit sa peau, elle soupira. C’était bon. De l’eau brulante courant sur ses membres jusqu’à les faire rougir. C’était rassurant. Si elle pouvait sentir cette morsure et parfois en grimacer, cela signifiait qu’elle était encore vivante. C’est tout ce qui importait de se croire encore vivante pour affronter une autre journée. Elle s’assit, l’eau glissant toujours sur ses épaules en un épais jet qui lui procurait un semblant de massage. Elle ferma les yeux et profita de cette sensation de bien-être. C’était dur de faire semblant, d’être forte. Elle ne l’était pas. Marie était faible. Elle avait fui à la moindre occasion, emportant son courage et son honneur avec elle. Chaque jour était une bataille pour se lever et sortir de son cocon. Chaque jour, elle devait faire semblant d’être une autre personne et sourire alors qu’elle était triste. C’était un effort surhumain dont personne ne se rendait compte. Sauf peut-être Tom, son patron. Il savait les difficultés de Marie et que derrière son sarcasme et son arrogance, se cachait une terreur indescriptible. Marie avait décidé de mettre une armure et de brandir un bouclier chaque fois qu’elle affrontait la réalité de ce monde, mais parfois, ce n’était pas suffisant. Parfois, son inquiétude se lisait sur ses traits.

Elle s’enveloppa dans la serviette de bain et en apprécia la douceur. Elle s’approcha de son miroir que la buée n’avait pas atteint malgré le sauna et entreprit de s’observer. Elle se regardait sans se voir, car tout ce qui l’obsédait était cette fichue cicatrice qui courait sur son visage. Elle la toucha. Elle n’était plus douloureuse. Elle l’avait été les premiers mois. Puis les premières années, c’est son ego qu’elle blessait, mais à présent, elle n’était plus que le témoin d’un passé dont Marie tremblait. Elle était un rappel constant de ce qu’elle avait perdu et de ce qu’elle risquait encore de perdre si elle ne faisait pas attention. Elle n’était pas si flagrante et en temps normal, la jeune femme arrivait à la cacher sous une tonne de fond de teint. Mais en sortant de la douche, elle se trouvait rougie par la chaleur et n’en était que plus terrifiante. Elle glissait sous son œil droit comme le couteau qui l’avait tranché et venait terminer sa courbe dans le creux de sa joue. Elle venait la défigurer comme si son appartenance avait été marquée au fer rougi sur sa peau. Elle se souvint que ce geste macho, il l’avait également réalisé à un autre endroit et elle sentit entre ses cuisses pulser le sceau qui l’avait meurtri. Elle avait beau crier qu’elle n’était maître que d’elle-même, la peur tiraillant ses tripes osait la mettre au défi de croire à ses paroles. La peur et cette autre balafre courant sur sa poitrine à l’exact emplacement de son cœur. Mais celle-là, elle ne la regardait jamais. Elle se contentait de la cacher et de faire comme si elle n’existait pas, comme si son corps n’avait jamais été marqué par la violence du passé. Ni ses cuisses, ni sa peau, ni son cœur ! C’était plus simple que de se rappeler avoir appartenu à un autre être humain qui avait enfermé sa liberté et son âme dans une cage dorée dont il possédait encore la clé.

Marie ne s’était jamais trouvée belle. Probablement comme toutes les filles en ce monde. Pourtant, elle avait un charme bien à elle. Elle avait cette arrogance et cette pointe de malice qui perdurait au fond de ses pupilles et défiait quiconque oserait. Elle avait des yeux si foncés qu’on ne pouvait détacher son regard mystérieux sans y décrypter l’énigme. Elle avait cette rousseur que l’on prêtait aux grandes sorcières fascinantes et des taches comme des grains de beauté qui ne montraient le bout de leur nez qu’au premier rayon de soleil. Elle ne s’était jamais trouvée belle, mais bon nombre d’hommes l’avaient traitée de mignonne jusqu’à poser les yeux sur sa cicatrice. C’est alors qu’ils s’excusaient pour un acte qu’ils n’avaient pas commis, qu’ils détournaient le regard parce que ce n’était pas beau à voir. Sa balafre n’était pas grande. Ce n’était qu’un petit trait de rien du tout, courant sur sa joue, mais qui changeait le regard des autres quand on le remarquait. Qui la couvrait de préjugés par quiconque cherchait à déchiffrer une histoire cauchemardesque.

Marie ne s’est jamais trouvée belle, mais elle avait toujours aimé sa défiance et son charme qui aurait fait d’elle l’épouse de Satan au temps de l’inquisition. Depuis quatre ans cependant, elle n’a jamais eu aussi honte d’elle en se regardant dans le miroir. Elle n’y voyait plus qu’une culpabilité extrême et sa balafre témoin d’une faiblesse dont elle se jura de ne plus jamais faire preuve. Elle avait honte de s’être ainsi laissée battre et d’avoir tout fait pour mériter une sentence pire que la mort. Car après tout, c’était de sa faute. Sa souffrance, sa douleur, la mort de sa mère, sa cicatrice. Tout… Elle était fautive de tout et rien, n’y personne ne pourrait effacer ça !

Emmitouflée dans son peignoir de laine, Marie se versa une tasse de thé à la lavande. L’odeur lui rappelait fortement le jardin familial et cette plante vivace que sa mère adorait faire pousser. Alors que tout était carré, que tout avait sa place et que nulle plante ne débordait, la lavande semblait être la seule à faire exception. Elle courait, grandissait sur les dalles de l’allée et sa mère grondait, quiconque osait les piétiner. La plante avait cette capacité extraordinaire d’éloigner les maux de tête et en de rares occasions, de provoquer un instant de paix dans le cœur de la jeune femme. Inconsciemment, c’était le seul moyen que Marie avait trouvé pour se souvenir de son enfance sans une douleur percutante au fond de son cœur. Religieusement, elle coupa un morceau de brioche. Elle ouvrit le tiroir devant elle et brisa deux carreaux de chocolat au lait. Elle les enfuit dans la brioche et posa son dessert sur une assiette. Elle retourna s’installer sur son canapé, posant la tasse de thé fumante et la brioche fourrée sur la petite table devant elle. Elle fixa son goûter et durant un instant, elle aurait juré entendre le rire d’une petite fille courant à perdre haleine à travers cette plaine verdoyante avec sa meilleure amie. Elle la voyait encore quitter l’école de bonne heure et parier d’arrivée la première suivit par une blonde, cheveux aux vents. Elle sentait l’odeur sucrée du souvenir du chocolat chaud chatouiller ses narines et la douceur de la brioche glisser sur sa langue. Elle porta le thé à ses lèvres et la chaleur envahit sa gorge. C’était tellement plus qu’un simple goûter. Cela avait le goût de son enfance, de la mémoire de sa mère et du rire de l’innocence qu’elle avait depuis longtemps perdu.

Tout ce qu’elle aimait tenait dans cette simple brioche chocolatée et lorsqu’elle mordit dedans, elle ne put empêcher les larmes de couler. Elle respira profondément et s’essuya les joues. C’était idiot. Elle ne pouvait pas pleurer pour des choses aussi futiles qu’un morceau de chocolat et qu’une tasse de thé. Un coup dans sa cheville la tira de ses rêveries. Elle sourit et attrapa la boule de poil, un peu râleuse qui venait quémander des câlins. Elle l’installa sur ses genoux et automatiquement, l’animal se mit à ronronner. Comme si elle avait senti la tristesse dans les yeux de Marie, elle posa deux pâtes sur sa poitrine et lui lécha les joues. La jeune femme serra son chat entre ses bras.

— Merci, Némo. Que ferais-je sans toi, si ce n’est me morfondre toute la journée dans mon canapé.

Dans un grognement sourd, l’animal sauta sur la petite table. Il évita gracieusement l’assiette et la tasse fumante avant de déposer ses pattes sur le dossier d’à côté.

— Oui, tu as raison. Je devrais m’y mettre. Cet article ne va pas s’écrire tout seul.

Marie se réajusta dans son canapé et ferma les yeux. Elle inspira et expira lentement. Elle secoua légèrement la tête d’un côté puis de l’autre pour faire craquer son coup. Elle avait besoin de se concentrer, de se retrouver dans le monde qui la peuplait désormais et non plus dans celui de ses songes.

— Il me suffit de trouver trois choses réelles. Juste trois choses et je pourrais travailler, murmura-t-elle pour elle avant de reprendre. Le miaulement de ma terreur, une. Les minuscules gouttes s’échappant du pommeau de la douche, deux. Le tic-tac de la montre, trois.

Elle respira encore plus calmement et doucement, ouvrit les yeux. Il n’y avait plus de peine, plus de souvenirs évadés d’un coffre secret. Il n’y avait plus qu’une détermination et un sérieux indestructible. En cet instant, Marie aurait pu gravir des montagnes alors sans hésiter plus, elle se saisit du dossier et l’ouvrit. Durant de longues minutes, elle le parcourut. Elle en apprit les dates et les noms étranges. Elle reconnut des histoires similaires et s’instruit d’un temps ancien, presque disparu. Quand elle s’estima prête, elle attrapa un stylo, une feuille et griffonna un petit compte rendu qu’elle pourra emmener partout. Juste l’essentielle pour être sûre de ne rien oublier. Puis, elle fit des recherches historiques pour être le plus proche de la vérité possible. Quand elle aura toutes les informations nécessaires, elle sera prête pour son entretien du lendemain et connaîtra ce couple comme s’il s’agissait de ses propres grands-parents. D’ailleurs en parlant de cela…

— Non… Se dit la jeune femme pour se recentrer. Pas de ça maintenant. Ni famille, ni regret, ni rien. Juste le boulot… Allez, Marie, reconcentre-toi !

Géorgie Better était née dans une petite ferme d’un petit village surplombant la plaine, le 22 avril 1926. Elle était la sœur du milieu dans une fratrie composée de quatre filles et un garçon. Elle avait grandi et avait été élevée dans la foi chrétienne, comme tous les Alsaciens de cette époque. Elle avait aimé s’occuper des animaux de ferme à sa charge, y compris du vieux chien boiteux qui avait élu domicile chez eux, un soir d’été. Son père était décédé le jour de l’arrivée au pouvoir d’un certain dictateur qui allait changer la vie de beaucoup de monde, surtout celle de Géorgie. Elle était chez elle, entourée de sa famille lorsque la guerre a éclaté. Elle a entendu quelques bribes d’informations à la radio, validé par le crieur venu hurler la mauvaise nouvelle. Au début, rien n’avait changé pour elle, mais en 1941, à l’aube de ses dix-huit ans, sa mère la maria à un haut fonctionnaire de Mairie. Géorgie ne se débattit pas, elle accepta son sort avec véhémence et déférence. Toutes ses sœurs le subir. Après de longs mois d’incompréhension, elle comprit que ce sacrifice leur assurait une sécurité, au coup où les Allemands envahiraient la ville et décideraient de leur sort. Aucun soldat n’était réputé pour faire preuve de pitié, peu importe les guerres. Néanmoins, parfois le soldat le plus cruel, peut paraître un doux agneau contre le plus vil des hommes. Géorgie l’apprit à ses dépens lorsque les premiers coups commencèrent à pleuvoir.

En 1942 lorsque l’Allemagne sous le nom du colonel Wagner offrit l’Alsace et la Lorraine au führer, Géorgie vit avec horreur l’année 1923 être appelée à servir les rangs d’un dictateur en plein délire de domination. Elle regarda son frère, Léon, enrôlé de force, partir pour un front qui ne voulait pas d’eux. Elle pria pour ses amis partis au combat dans une guerre qui ne les regardait pas. Géorgie savait que l’histoire ne comprendrait jamais son point de vue et pourtant, l’histoire venait de s’écrire devant ses yeux. Ces milliers de jeunes hommes, arrachés à leur patrie, à leur maison, pour combattre un ennemi anglais qui était un allié pour eux, dans les rangs de supérieurs allemands qui les méprisaient. Comment pouvait-on survivre à un tel chaos ?

Le 23 septembre 1942, Géorgie s’était mise à courir à travers ces champs vierges de troupeaux, réquisitionnés pour nourrir les armées. Elle avait couru jusqu’à perdre haleine et elle était arrivée à temps pour hurler le nom de son frère, embarquant dans un train. Il avait tourné la tête, levé le poing vers le ciel avant de disparaître à jamais. Il lui avait souri et elle se jura de garder cet acte de défiance dans un coin de sa mémoire. Sept jours plus tard, Léon fut envoyé sur le front russe et mourut. Trois jours plus tard, elle reçut sa dernière lettre la conjurant de ne pas s’en faire pour lui, car il rentrera sain et sauf. Il l’avait promis !

Le 6 avril 1943, ce fut au tour des femmes d’être appelées sous les drapeaux et la classe 1924 dut partir avec Anna, sa plus grande sœur. Elle fut envoyée dans un camp de concentration pour y travailler, en compagnie des Allemands volontaires. Pendant ce temps, Géorgie, fut elle aussi réquisitionner dans les usines d’armement pour aider la patrie à remporter une victoire qu’elle exécrait. Seul point positif à son calvaire, son tyrannique d’époux avait été enrôlé quelques jours plus tôt. Il décèdera dans les mois à venir, capturé par l’ennemi. La fin de la guerre fut marquée par la libération de son village par un petit groupe de résistants, aidé par des Américains. C’est là qu’elle le vit pour la première fois, ce petit gringalet commandant une troupe entière et hurlant des ordres dans un langage incompréhensible. Il lui apprendra plus tard que son anglais rudimentaire était mélangé à un alsacien parfaitement maîtrisé, mais qu’en temps de guerre, on n’avait pas besoin de se comprendre, car les objectifs étaient les mêmes.

Paul Better était né le 26 avril 1921 au bord d’une rivière. Contrairement à l’époque, il avait été élevé dans une famille très aimante. Son père, grand invalide de la Première Guerre, lui apprit les rudiments du métier de vigneron et Paul passait le plus clair de son temps dans les champs à travailler la terre plutôt qu’à l’école. Si bien que chaque début de semaine, il apportait un panier rempli de fruits et légumes de saison pour soudoyer sa maîtresse et excuser son absence. Sa mère était l’une des rares femmes du village à travailler à la boulangerie et personne ne voulait la voir perdre son emploi. Elle réalisait les meilleurs bretzels de la région et souvent, l’on venait de loin pour les acheter. Malgré son manque d’assiduité en classe, il fut reçu premier à l’examen d’aptitude. Ses parents voyaient en lui un brillant avenir et auraient réellement voulu le lui souhaiter.

— Je suis désolée mon fils, lui dit un soir sa mère. Je sais que tu aimerais monter à la capitale avec ton cousin. Je sais que tu aimerais faire de grandes études, mais on n’a pas les moyens de te payer une école et ton père a trop besoin de toi à la ferme. Je suis désolée, si les choses étaient autrement…

Paul avait pris sa mère dans ses bras et l’avait réconfortée tandis qu’il voyait ses rêves de liberté s’enfuir en courant. Il ne savait pas encore à quel point la vie allait lui jouer un tour qu’il ne pourrait jamais oublier. Paul venait d’avoir ses 21 ans lorsque la guerre a éclaté. En 1942, il ne dut pas attendre longtemps avant d’être appelé sous les drapeaux et dut essuyer les toutes premières larmes de son père, terrorisé à l’idée de le perdre. Il fut envoyé dans un camp d’entrainement à Strasbourg où il devint le meilleur tireur, ce qui lui permit de rentrer chez lui de temps en temps. Puis, il fut envoyé en Allemagne et en Pologne, au front. Enfant, il s’amusait à jouer à la guerre avec ses copains, sans songer un seul instant qu’il allait en vivre une. Soudain, ses jeux devinrent d’une futilité affligeante et d’un irréel apeurant. En rentrant chez lui, il aurait aimé dire à sa mère qu’il n’avait pas pris de vie, mais il sentait encore l’odeur de la poudre lui chatouiller le nez. Parfois, elle lui parlait de ses projets après la guerre et elle lui promit de l’envoyer faire des études. Petit à petit, même ce rêve devint une quête impossible. Comment reprendre la vie là où nous l’avions laissé avant de prendre le chemin de la mort ? Comment faire comme si rien n’avait existé ? Comme si rien ne s’était passé ?

Un matin de mai 1944, sa mère tomba gravement malade. Paul, que la guerre avait déjà bien amoché, avait obtenu le droit de devenir soutien de famille et de rentrer pour la soigner. Le diagnostic de sa mère n’était pas bon. Elle avait une pneumonie et sans certains médicaments, elle ne pouvait survivre. Il ne réfléchit pas et il partit à vélo de village en village quémander l’aide des pharmacies pour obtenir le précieux Graal, mais les Allemands ne l’entendaient pas de cette manière et le lui refusèrent. Il rentra bredouille, juste à temps pour tenir la main de sa mère rendant son dernier souffle. Le soir même, il s’engagea dans la résistance. Bombardant les camps ennemis comme une ultime vengeance. Il aurait aimé dire à sa Géorgie qu’il la vit aussi ce jour-là lorsqu’il libéra son village avec les Américains. Il aurait voulu lui raconter qu’il ne vit qu’elle et qu’il savait qu’elle deviendrait sienne. Mais il n’en fut pas ainsi, car la haine aveuglait tellement son visage qu’il ne vit que les prémices d’une vengeance déjà bien entamée. Les gens qu’il croisait n’étaient que des visages en ruine dans un monde aussi détruit que lui.

À la fin de la guerre, il écuma les bals avec le reste de ses amis, fêtant la mémoire des disparus dans un vacarme assourdissant. C’est là qu’il revit Géorgie, timide et aussi transparente qu’un fantôme, mais il n’avait eu d’yeux que pour elle. Il l’invita à danser une première danse et sur les amants d’un soir d’Édith Piaf, ils se jurèrent fidélité et éternité. Ils se sont trouvés, comme on trouve une bouée de sauvetage et ils se raccrochèrent à ce qu’ils connaissaient pour appréhender les obstacles de la vie…

DRINGGG