Légendes et souvenirs des Hautes-Vosges - Ligaran - E-Book

Légendes et souvenirs des Hautes-Vosges E-Book

Ligaran

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  • Herausgeber: Ligaran
  • Kategorie: Bildung
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2016
Beschreibung

Extrait : "Au centre de la majestueuse forêt qui domine Plainfaing, au Nord-Est, se dresse le colossal rocher de Hangochet. La forêt est une sapinière pure, aux arbres géants, d'un feuillage velouté comme une tapisserie d'Orient."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Préface

C’est vraiment une bonne idée qu’a eue M. l’abbé Flayeux d’écrire le petit livre qu’il offre aujourd’hui à ses amis.

Ces Légendes et Souvenirs se rapportent aux montagnes de la Haute-Meurthe et aux parages alsaciens limitrophes. On sait qu’il connaît à fond ce magnifique pays vosgien, où il a reçu le jour et dont il a retracé l’histoire dans son Étude sur l’ancien ban de Fraize et les beautés dans son opuscule intitulé Excursions dans nos Montagnes.

Les nouveaux récits qu’il édite maintenant forment une excellente contribution – en même temps que moralisante, ce qui ne gâte rien – aux Folklore des Hautes-Vosges.

Il est temps, en effet, de recueillir les légendes populaires, ces histoires naïves et charmantes qui, à travers la mémoire de nos grand-mères, nous sont parvenues et ont bercé notre enfance et enchanté notre jeunesse. C’est faire, à l’heure qu’il est, belle et bonne besogne que de les fixer d’une manière indélébile.

Je ne saurais trop le répéter, il en est grand temps, car elles s’effacent et s’oublient, et bientôt il n’en restera plus de traces.

Les folkloristes ont sauvé déjà beaucoup de ces vieilles traditions, qui sont comme une réminiscence, un reflet de l’état d’âme de nos ancêtres. Ils ont, pour les aider, fondé des recueils tels que Mélusine, la Tradition, la Revue des traditions populaires, etc, dans lesquels ils publient et collectionnent, pour les comparer entre eux, tous les faits et documents qui sont du domaine de cette science, relativement nouvelle, à laquelle on a donné le nom exotique et un peu bizarre de Folklore.

Mais le nom n’y fait rien et il est, à présent, partout admis et répandu. La matière qui fait l’objet des études de la Science qu’il désigne était, du reste, mise en œuvre bien longtemps avant qu’il ne fut inventé. Richard (de Remiremont), dans ses Traditions populaires des Vosges, Désiré Monnier dans ses Traditions franc-comtoises, Aug. Stœber dans ses Alsatia, l’abbé Braun dans ses Légendes du Florival, Charles Grad et d’autres collaborateurs de la Revue d’Alsace, n’avaient pas attendu pour faire de curieuses recherches et d’abondantes trouvailles dans ce domaine encore peu exploré. Et je ne parle ici que pour notre région de l’Est.

Il n’y a pas que des légendes et des contes de fées à sauver de l’oubli. M. l’abbé Flayeux le sait mieux que personne. Il y a tout ce qui se rapporte, tout ce qui touche de loin ou de près à l’âme du Peuple : traditions et chansons, us et coutumes, croyances et superstitions qui, très souvent, ne sont que des débris de religions disparues depuis des siècles. Tout cela, comme on l’a dit fort justement, nous fait connaître et comprendre les tendances des populations anciennes, leurs instincts, leur vitalité profonde réapparaissant, distincte, sous toutes les transformations politiques.

C’est pourquoi l’on trouve aussi, dans ce gentil volume, quelques récits concernant les « usages des jours de fête et jours consacrés » conservés dans nos montagnes vosgiennes, tels que ceux de la mi-carême (les conates), de Pâques, de la Saint-Nicolas. Il y aurait plus d’un intéressant chapitre à écrire sur tous ces antiques usages, qui se sont perpétués à travers les âges. C’est là un sujet tentant que le pasteur Ch. Roy, (de Bussurel), dans ses Us et Coutumes de l’ancien Pays de Montbéliard, a traité de main de maître. C’est un travail qui, à mon avis, peut servir de modèle.

En somme, c’est encore là de l’histoire, et l’histoire politique d’un pays n’est pas complète si l’on ne connaît pas les mœurs, les coutumes traditionnelles de ceux qui l’ont habité et l’habitent encore.

Ce sont ces sortes d’études que M. l’abbé Flayeux a entreprises et qu’il continue avec une ardeur dont il faut lui savoir le plus grand gré, et un succès bien légitime. Pour ma part, je ne saurais trop l’encourager à les poursuivre. J’ai un faible très prononcé, je l’avoue, pour ces naïves histoires et ces jolies féeries d’un charme si séduisant.

De même que le répète M. l’abbé Flayeux d’après le bon Lafontaine, je dis sincèrement que

Si Peau-d’Ane m’était contée
J’y prendrais un plaisir extrême.

Au crépuscule de la vie, j’aime toujours ces merveilleux récits que l’on me contait dans mon enfance. Je ressens plaisir pareil à celui qu’en ma jeunesse me faisaient éprouver les Contes de Fées de Charles Perrault, de la comtesse d’Aulnoy et de la princesse de Beaumont, et, plus tard, le Foyer breton d’Émile Souvestre et les Traditions populaires de Franche-Comté d’Auguste Demesmay.

HENRI BARDY.

Lafeschotte (Doubs), 12 Janvier 1903.

ILe sacrifice de Jenny

Au centre de la majestueuse forêt qui domine Plainfaing, au Nord-Est, se dresse le colossal rocher de Hangochet. La forêt est une sapinière pure, aux arbres géants, d’un feuillage velouté comme une tapisserie d’Orient ; la roche, cachée dans la profondeur de la sylve, est une immense muraille de quartz et de granit qui semble, avec ses 25 mètres d’élévation, le dernier vestige d’une construction préhistorique, l’œuvre des Titans. Ce n’est point une moraine ; ce bloc, végétation granitique, a poussé là comme les sapins dont il domine encore les sommets toujours verts.

Le centre du rocher est occupé par une excavation, entaillée de main d’homme, pour loger une statue de la Vierge grossièrement sculptée dans le granit même.

C’est N.-D. de Hangochet connue dans toute la vallée de la Meurthe, visitée par tous, implorée par une catégorie de clients aussi fervents que discrets. Les nombreux ex-voto qui tapissent la grotte et les parois du rocher attestent les faveurs obtenues en ce modeste lieu de pèlerinage local. Les béquilles, les bâtons, vous apprennent que bien des estropiés y ont trouvé guérison, et les petits flots de rubans blancs, ternis par le temps et les intempéries, vous murmurent à l’oreille non moins éloquemment mais plus discrètement combien furent exaucées de celles qui sont venues confier à N.D. de Hangochet le secret de leur cœur et solliciter la réalisation de leur rêve de jeune fille !

Touchants ex-voto, gardez votre secret ; nous vous croyons sur parole, vous êtes des témoignages anonymes, émanant de cœurs naïfs qui ne pouvaient mentir ! Du reste, nous n’avons pas mission de faire un rapport sur l’authenticité des faveurs dont vous êtes les témoins, et dont plusieurs sont aussi anciennes que le pèlerinage lui-même. Mais nous voulons, simple chroniqueur, narrer la naïve légende qui est l’origine du pèlerinage et qui s’est accrochée à ce rocher comme les mousses et les lichens.

Je vous la dirai donc telle que je l’entendis de la bouche d’une octogénaire qui en savait long sur le merveilleux de notre pays, telle qu’on la conte chez nous, aux veillées d’hiver, au coin du feu ; tandis que la flamme monte dans le foyer, que la neige bat les vitres et que le vent de la nuit chante dans la montagne.

Le fait remonterait à trois ou quatre cents ans, alors que Plainfaing n’avait pour habitants que des bûcherons et des marcaires. L’un de ces bûcherons, nommé Jenny, vivait seul en sa chaumière, sur le flanc de la colline de Hangochet. À peine adolescent, ses parents l’avaient laissé orphelin, lui léguant, avec cette cabane, un petit enclos, une vache laitière et les outils de bûcheron.

Jenny était travailleur ; sa journée entière, il la passait dans la forêt, abattant les arbres marqués de mort par la hache du gruër ; et chaque semaine, lorsque le garde du seigneur faisait sa tournée, comptant les sapins gisants sur le sol, Jenny recevait le salaire de son labeur hebdomadaire.

Avec l’héritage paternel Jenny avait reçu entier le fond religieux des ancêtres, il était profondément croyant ; et, sans doute par l’effet de sa solitude et du calme sacré des forêts ; une sorte de mélancolique gravité se lisait sur son visage, accusant le sérieux de son âme et la candeur de ses sentiments. Ce qui n’empêchait pas Jenny d’être gai compagnon et grand amateur des distractions, des plaisirs des jours de fête. Nul mieux que lui ne savait intéresser les loures d’hiver, nul, comme lui, tresser le bûcher des bures et allumer le feu du carnaval. Nul ne conduisait, de plus gracieuse façon, le cotillon champêtre de la fête patronale.

À vingt ans, c’était un beau gâs et les bacelottes de la vallée cherchaient à capter son cœur. Nous ne dirons pas combien se le disputaient ; sachez seulement qu’une seule en fit la conquête ; Nicole, la fille d’un bûcheron, son voisin, grande brune de dix-huit printemps, aux yeux bleus et profonds comme l’azur du ciel, à l’âme candide et transparente comme la source de la montagne. Nicole était digne de Jenny !

Un dimanche des premières veillées, le père à qui Jenny avait parlé, les fiança et leur promit le mariage pour les foins ; et d’ores et déjà Jenny ne manqua pas un soir de faire sa cour, ainsi qu’il se doit, en tout honneur, sous l’œil souriant des parents de Nicole.

Hélas ! le bonheur n’est pas de ce monde, et le malheur guette toujours l’homme qui sourit à l’avenir. Cette vie si pleine de calme et d’espérance allait être troublée par une affreuse catastrophe. Certains jours qu’il travaillait près du rocher de Hangochet, un grand sapin, au moment où Jenny lui donnait vaillamment le coup de grâce, s’écroula tout à coup et avant que le bûcheron se fut garé, il était renversé et retenu prisonnier, les jambes prises dans l’étreinte terrible du sol et de l’arbre.

Jenny travaillait seul : personne n’entendit ses appels, ni ses cris, et le malheureux, les jambes brisées et retenu par l’arbre, demeurait cloué sans pouvoir faire un mouvement. Alors il se recommande à Notre-Dame, et dans sa foi avivée par la souffrance et le danger, il lui promet de consacrer le rocher à son culte, d’y placer son image et de venir chaque jour l’y vénérer. Puisqu’il est seul et que personne n’accourt à ses cris, que la Sainte Vierge ne le laisse pas mourir là, de douleur et peut-être de faim ; qu’Elle daigne faire un miracle, s’il le faut pour le délivrer et le guérir ! Ce miracle Jenny le demande avec une telle ferveur, qu’il fait vœu, s’il est exaucé, de sacrifier en l’honneur de la Mère de Dieu, ce qu’il a de plus cher au monde !

Pauvre Jenny ! as-tu bien réfléchi à ton vœu ! Ne sais-tu pas comme c’est sacré !

Sur ce vœu d’un sacrifice, il est exaucé ; le miracle s’accomplit ; de lui-même l’arbre se soulève ; comme enlevé par une force invisible. Jenny le voit se détourner dégageant ses pauvres jambes, mais sans les guérir.

L’infortuné se traîne sur les mains, et après des efforts inouïs et des souffrances cruelles, parvient à la lisière du bois. C’est le salut, il ne doute pas que la Sainte Vierge n’achève son œuvre, en l’aidant à regagner sa chaumière et en guérissant ses jambes.

Est-ce Marie qui envoie quelqu’un de ce côté, nous n’oserions l’affirmer ; quoiqu’il en soit, on l’aperçoit et on le transporte chez lui.

Aussitôt accourt Nicole, sa fiancée. Avec sa mère, elle s’installe au chevet du blessé, et toutes deux le soignent comme un membre de leur famille.

Mais, en dépit de leur dévouement, Jenny ne guérit point. Nicole fit brûler des cierges près de l’autel de la Vierge, elle fit même dire des messes ; tout fut inutile, le malade comprit que si la Sainte Vierge devait achever le miracle et redresser ses jambes, il devait d’abord accomplir son vœu et faire le sacrifice promis : « La vache qui est à mon étable, se dit-il, est la moitié de ma petite fortune ; j’y tiens beaucoup ; le matin, avant d’entrer en forêt ; c’est moi qui lui donne sa pâture, et, le soir, c’est moi qui la trais ; et son lait me nourrit. Eh bien ! je la vendrai, et j’en enverrai le prix à l’église ; c’est un dur sacrifice, mais je le fais pour la Vierge qui m’a sauvé la vie. »

Et la vache fut vendue et le prix en fut donné à l’église. Mais Jenny ne guérit pas. « Le sacrifice de ma bête ne suffit pas, dit-il un jour à Nicole, confidente de son vœu, si je vendais encore ma cabane ! Dieu sait si elle m’est chère, mon père et ma mère y ont vécu et y sont morts ; j’y suis né, c’est mon chez moi ; je vendrai mon petit jardin qui entoure la chaumière ; que de joie, pendant l’été, à l’aube naissante, j’avais à le cultiver et à l’orner. Je vendrai les outils de mon père, mes outils de bûcheron, les compagnons si chers de mon travail, et le prix de tout cela je le donnerai aux pauvres. Mieux vaut la santé que la richesse, je me mettrai en service, je travaillerai pour un maître qui m’entretiendra. »

Et ainsi fut fait ; la maison paternelle, le jardin, les outils furent engagés. Aussitôt guéri, Jenny devait sortir et laisser le tout au nouveau propriétaire.

Mais Jenny ne guérit point, au contraire ses jambes s’affaiblissaient toujours davantage, et que de larmes lui faisaient verser la vision de son bonheur brisé et la perspective de vivre perclus. Nicole cependant lui était fidèle, et ni elle, ni sa mère ne se plaignaient de voir toutes ces ventes, ces sacrifices ; puisque cela se devait à la Vierge.

Jenny comprit enfin. Avec cet instinct des simples, il se demanda pourquoi il avait si facilement sacrifié sa vache, sa maison, et tout ce qui lui était si cher… avant qu’il ne connût Nicole. Jadis c’était tout pour lui, maintenant c’était si peu ! Et il eut peur, car il fallait s’avouer que ce qu’il avait de plus cher, c’était sa fiancée, c’était Nicole qui ne le quittait point et le soignait avec la sollicitude d’une épouse et la généreuse ardeur que donne l’espérance ! Mais il n’y avait pas à reculer, la Madone avait sa parole.

Pendant deux jours entiers, il évita le regard de sa fiancée et comme celle-ci, qui se méprenait sur la cause de cette douleur muette, lui insinuait, par de douces paroles, l’espoir et la confiance en la Sainte Vierge :

– « Ah ! je sais bien, lui dit Jenny, que la Sainte Vierge tient toujours sa parole… » Puis il ajouta, la voix étouffée de sanglots, « mais moi, je ne tiens pas la mienne, car pourquoi ne pas reconnaître que ce que j’ai de plus cher, c’est ma fiancée !… »

La jeune fille ne répondit rien, elle aussi avait compris. Son âme était en proie à une terrible lutte, son courage et son cœur étaient aux prises. Pendant ce silence de quelques minutes, instinctivement les deux jeunes gens portèrent leur regard vers le crucifix de la muraille qui semblait leur rappeler la grandeur et la nécessité du sacrifice !

– « Pardonne-moi, Nicole, reprit Jenny, d’être obligé de te rendre tes promesses ; mais il ne faut point faillir à un vœu. Ah ! je sais bien que maintenant la Vierge me guérira, mais je sais bien aussi que toujours ma vie sera solitaire, je n’aurai pour l’embellir que ton souvenir et mon sacrifice.

– C’est la volonté de Dieu qui a ses vues, reprit la courageuse jeune fille, moi aussi, je préfère le sacrifice à la peine de te voir souffrir plus longtemps et au déshonneur de tromper la Sainte Vierge ; mais un autre n’aura point mes promesses ; quand tu seras guéri. Jenny, je prendrai le voile ; car je sens bien que Dieu seul pourra combler le vide que tu fais dans mon cœur ! »