Les ailes de la vérité - Martine R Stasioli - E-Book

Les ailes de la vérité E-Book

Martine R Stasioli

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Beschreibung

Marié à Sophia, papa d’une petite Flora, Charles est heureux. Un matin, ils quittent la capitale pour rejoindre le Gard et y célébrer l’anniversaire d’une amie Irlandaise. L’ambiance y est douce. Durant la soirée, s’entremêlent, accents et bonne humeur. La Guinness coule à flots.

Quelques semaines plus tard, Charles alité, immobile, s’éveille... Que s’est-il passé ? Où sont Sophia et Flora ? Depuis quand est-il là ? Son état stabilisé, il peut enfin entendre l’effroyable drame : Un terrible accident. Il hurle son chagrin. Le sort s’acharne, le couperet tombe.

Seuls les liens qui l’unissent à sa fille vont lui donner la force de continuer à vivre.

Quel sera le prix à payer pour apaiser la noirceur de ce cauchemar et retrouver un brin de ciel bleu ?

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Martine R Stasioli

LES AILES DE LA VÉRITÉ

CHAMBOULEMENTS

Paris 16ème, cabinet de maître France Cafiero, avocate généraliste. Été 1990.

–Sophia, je vous passe Maryline.

–Merci, Jessica.

L’avocate appuya sur le bouton.

–Bonjour maître Cafiero, euh... Sophia, comment allez-vous ? C’est Maryline.

–Maryline ??

–Je suis une amie de Jess, votre secrétaire, nous avons dîné ensemble il y a quelques mois, je suis agent immobilier chez Century 21, j’ai les cheveux...

–Ah oui ! La coupa Sophia, excusez-moi, ça y est, je vous remets, quelle mémoire dites-moi ! Cela fait au moins six mois ! Bonjour, Maryline, comment allez-vous et que puis-je faire pour vous ?

–Tout va bien merci. Je vous contacte au sujet d’un appartement que j’ai sur le marché en ce moment. Lors de notre soirée vous m’aviez suggéré que si un jour j’avais un appartement avec une jolie vue je le dise à Jess… eh bien je fais mieux, je vous appelle !

–Vous avez eu raison. Et où se situe cette merveille ?

–Dans le 16ème. Vous aimeriez le voir ? Quand seriez-vous disponible Sophia ?

–Eh doucement, doucement Maryline. Le 16ème ? Mais c’est un quartier ultra chic çanon ?

–Oui un peu, balbutia l’agent.

–Je dois en parler à mon compagnonet...

–Juste le voir, ça ne vous engage à rien...

–Hmmmm... hésita Sophia, mais pourquoi pas en fait ?

–J’ai une heure devant moi demain après-midi, seize heures ça vousva ?

–Très bien, alors à demain Maryline.

Sophia appuya sur la touche « standard ».

–Dites-moi Jessica, ai-je quelque chose demain entre seize et dix-sept heures ?

–Oui. Maître Fournier, pour l’affaire Duchenne.

–Appelez-le s’il vous plaît, et dites-lui que j’ai un contretemps urgent. Voyez avec lui, je vous fais confiance.

Merci Jessica.

–Bien. Je l’appelle.

Elle se surprit elle-même. Visiter seule un appartement, et, ce, sans en parler à Charles n’était pas vraiment dans sa façon d’agir.

« Peut-être ne sera-t-il pas nécessaire de lui dire s’il ne me plaît pas ! » Pensa-t-elle à hautevoix.

Charles ne voulait pas déménager, enfin, pas pour l’instant.

Ils en avaient déjà parlé !

(Flash-back1982)

Charles avait dû faire vite, de ce fait, il ne l’avait pas vraiment choisi ce trois-pièces situé dans le 11ème qu’un copain de son père quittait.

Il l’avait trouvé correct mais surtout il avait apprécié sa proximité avec l’usine, ce qui lui éviterait bien des embouteillages !

Le frère de Charles, Jonas, allait quitter la France pour s’installer au Vietnam.

Le projet qu’il avait depuis plusieurs mois se concrétisait enfin. Il allait reprendre, avec Bao, une amie vietnamienne, un petit restaurant de plage sur la côte de la mer de chine dans un ancien petit village de pêcheurs.

Leur père, alors âgé de 62 ans, comptait bien prendre sa retraite dans quelques années et n’avait guère laissé le choix à Charles, l’aîné de ses deuxfils.

Après quelques cris et quelques négociations, Charles avait accepté de succéder à sonpère.

Il devait quitter son emploi, son appartement trop éloigné et remplacer Jonas à l’usine familiale de faïence espagnole.

Carlos, leur associé, ne pouvait pas poursuivreseul.

Le travail ne manquait pas, entre l’atelier à gérer, les commandes et la partie commerciale.

Sophia venait à peine de terminer ses études de droit et ne pouvait pas encore participer aux frais du ménage.

Cela l’avait mise mal à l’aise, elle lui avait alors proposé d’attendre un peu pour emménager ensemble.

Mais Charles avait insisté, il la voulait maintenant auprès de lui et chaquenuit.

Elle n’avait pas résisté longtemps à son charme. Elle quitta très vite son minuscule studio, ravie de passer chaque jour et chaque nuit à ses côtés.

Elle n’avait jamais aimé cet appartement.

Il n’était ni chaleureux ni joli, elle l’avait même trouvé carrément vieillot, insalubre et mal équipé.

Souvent, ils s’étaient chamaillés à ce sujet, en particulier lorsque l’ascenseur tombait en panne, et ce, plusieurs fois dans l’année.

Après avoir grimpé les quatre étages à pied, Charles qui n’appréciait guère le sport que ce foutu engin lui imposait, rentrait alors en râlant...

Sophia profitait à chaque fois de cette belle occasion pour lui proposer de faire le tour des agences immobilières du quartier et de se dégoter un autre appartement.

Elle percevait alors :

–On est bien là, il est bien situé, je ne subis pas les embouteillages, il y a un ascenseur, même si... parfois...’

–Parfois ? Souvent ! s’empressait-elle d’ajouter.

–Ça nous fait un peu d’exercice, prétextait-il ironiquement avant de continuer son exposé :

Il y a une chambre d’amis, un garage, une cave et même un petit balcon, et nous sommes quand même dans le 11ème ! Il débitait à chaque fois les mêmes arguments que le premier soir où ils étaient venus y boire un verre et y passer leur première nuit d’amour, quelques semaines après leur rencontre. Il avait perçu sa déception dans ses yeux lorsqu’au petit matin il l’avait rejointe sur le balcon d’où elle observait lavue !

Mais afin d’éviter les conflits, Sophia capitulait toujours.

Elle se raisonnait, se disant qu’ils y étaient heureux, qu’il était empli de leurs souvenirs et que bousculer Charles n’était peut-être pas la meilleure solution. Que la patience finirait par payer un jour !

Elle passa quelque temps à faire de petits stages, rien de bien enrichissant, mais il fallait en passer par là, elle le savait.

Elle fut ravie le jour où le cabinet d’associés dans lequel Charles avait ses affaires lui proposa une place.

Afin de prouver à ses collègues qu’elle était capable de faire mieux que le travail d’une stagiaire, elle s’était hâtée jour après jour, d’anticiper, de les surprendre, de donner son avis, même si on ne le lui demandait pas. Cela lui valut parfois quelques remontrances, mais elle savait passer outre.

Elle avait décidé d’évoluer etvite.

Elle avait vingt-huit ans et n’avait pas fait sept années d’études pour classer des dossiers et servir des cafés !

Quelques mois passèrent ainsi.

Un matin, en posant le plateau de cafés chauds sur la table de la salle de repos, elle décida que le jour était venu pour elle de parler à ses supérieurs.

Ils étaient 4 associés, avec chacun sa spécialité.

Elle s’imposa, constata, développa...

Ils l’avaient écoutée sans l’interrompre.

C’est avec confiance et aplomb qu’elle leur avait expliqué qu’il était grand temps qu’elle fasse ses preuves.

Elle désirait, s’ils l’acceptaient, de rester attachée à l’étude, de prendre les « petites affaires », celles dont ils n’avaient pas trop le temps de s’occuper.

Elle travaillerait avec eux mais traiterait les dossiers à l’extérieur dans son propre bureau.

La concertation fut rapide. Des regards attentifs lui avaient donné confiance, des mouvements de tête, des sourires et des applaudissements en guise d’accord avaient clos la séance.

Quelques semaines plus tard, un matin dans le 10ème.

Charles avait pris sa matinée pour venir visiter avec Sophia le lieu dont elle lui parlait sans cesse depuis quelques semaines. Il n’avait pas trouvé ce quartier à son goût, mais d’après Sophia le petit appartement une fois arrangé ferait un joli cabinet et, argument non négligeable, le loyer était plus que correct.

Il s’était porté caution sans rechigner, sans même le visiter, trop de travail ces dernières semaines. Il avait signé le chèque de caution et réglé le mois de loyer en cours. Il lui avait fait confiance, elle était jeune et ambitieuse, il l’aimait...

« SOPHIA FRANCE-CAFIERO AVOCATE GÉNÉRALISTE », articula Sophia en sautant au cou de Charles devant l’entrée de l’immeuble où trônaient déjà deux belles plaques ; celle d’un dentiste et une autre d’un médecin généraliste diplômé de la fac de Lille.

–Tu l’imagines la mienne ?

–Mais nous ne sommes pas encore mariés, tu t’avances un peu là,non ?

En guise de réponse elle l’avait pris par la main, ils avaient monté les quelques marches en courant, elle avait glissé la clef dans la serrure avec fierté, lui avait repris la main et lui avait fait une visite guidée très rapide du deux pièces.

Son cœur s’était emballé, sa libido aussi ! Elle l’avait entraîné sans un mot dans le petit local servant de toilettes et lui avait fait l’amour comme une tigresse, sur le rebord du minuscule lave-main.

Le début de sa carrière en solitaire avait été quelque peu compliqué, car ses anciens collègues ne l’oubliaient pas et lui envoyaient les dossiers qu’eux n’étaient pas ravis de traiter : divorces, petite délinquance, litiges commerciaux...

Elle s’appliquait, mais les journées étaient souvent trop courtes et la fatigue se faisait ressentir.

L’arrivée d’une secrétaire se prénommant Jessica avait été pour elle une belle cerise sur le gâteau.

Retour dans le 16ème,17h

En cette fin d’après-midi, excitée et obsédée par la conversation matinale avec Maryline, Sophia n’arrivait plus à penser à autre chose.

Il n’était pas l’heure de partir, mais cela lui étaitégal.

Elle ferma la porte de son bureau et balança son sac à dos sur son épaule.

Elle salua Jess et lui suggéra de faire comme elle, d’aller profiter de cette belle fin de journée. La jeune fille, surprise, la dévisagea :

–Euh...mais j’ai le dossier…

–Demain Jess, demain, n’oubliez pas de fermer, bonne soirée, chantonna-t-elle en claquant la porte.

Jess, encore abasourdie, fit pivoter son fauteuil et écouta en souriant le léger claquement de talons qui résonnait vivement dans les escaliers...

–Ce doit être le soleil ! lança-t-elle à haute voix. Empoignant les clefs elle tourbillonna dans le bureau jusqu’à la porte en chantonnant.

Sophia ne prit pas tout de suite le chemin du métro et s’accorda un petit détour dans le quartier afin de combler sa curiosité.

Des photos de maisons, de terrains couvraient entièrement la vitrine de l’agence immobilière. Elle se concentra sur les appartements.

Les prix, comme elle l’avait imaginé, étaient exorbitants, dépassant souvent les deux millions d’euros !

Paris avait un prix… et encore ce n’était que le 10ème ! Le métro bondé et bruyant n’empêcha pas son esprit d’errer entre la visite de demain et la réaction de Charles si toutefois elle décidait de lui en parler.

Ce soir-là, Charles rentra épuisé.

Il avait englouti une petite part de pizza, prit une douche et était passé en coup de vent au salon lui souhaiter une bonne nuit. Ce n’était pas le moment pour lui parler, elle le savait et garda son petit secret...

Elle se lova douillettement sur le moelleux sofa, son bouquin du moment à lamain.

L’histoire lui plaisait mais traînait en longueur. Charles le lui avait offert un soir, conseillé par Frank, leur libraire habituel.

Elle en lut quelques pages.

Vite lasse, elle referma le livre et décida qu’elle ne le termineraitpas.

Le silence et la seule lueur du petit abat-jour la plongèrent dans un état nostalgique.

L’horloge annonçait 22h15 et elle n’avait pas sommeil. Essayant de ne plus cogiter sur Maryline et sur l’appartement, elle se mit à penser avec douceur à samère.

Elle avait appelé leur médecin de famille quelques semaines auparavant.

Elle lui avait fait part de son inquiétude sur des « je ne sais pas » ou « je ne sais plus » qui revenait de plus en plus souvent dans la bouche de sa mère lors de leurs dernières conversations téléphoniques.

–Vous pensez que cela pourrait être un début d’alzei...?

–Mon ami Michel est spécialiste en neurologie, il saura vous renseigner Sophia, l’avait-il coupé.

Je vais l’appeler pour vous et fixer un rendez-vous. Je vous tiens au courant.

Le rendez-vous ne tardapas.

Le neurologue, docteur Rousseau, avait longuement consulté samère.

Elle l’avait attendu dans la salle d’attente silencieuse, joliment illustrée d’une fresque aux motifs tahitiens dessinés à la main. Sophia avait sursauté lorsque la porte s’était ouverte.

Sa mère, le regard dans le vide, suivait le médecin, tête baissée.

–Asseyez-vous là, madame France, je reçois votre fille, ça ne sera paslong.

Elle lui avait fait de la peine. D’une main, elle avait frôlé son épaule d’une longue caresse en lui murmurant :

–Je reviens maman, ce ne sera paslong.

Trois magnifiques portraits d’enfants en noir et blanc égayaient les murs vieillis et pâlichons de son bureau. ‘ Ça doit être un très gentil grand- père ‘, pensa Sophia en s’asseyant.

Sa longue blouse blanche laissée ouverte et ses petites lunettes posées sur son nez lui donnaient des airs de chimiste.

–Nous en sommes au début, enfin au troisième stade. Nous programmerons un scanner prochainement. Alzheimer évolue très doucement, sournoisement... Sophia l’écoutait sans l’entendre.

Seul le mot « Alzheimer » sonnait, résonnait... Elle avait sa réponse.

Elle prit les deux ordonnances qu’il lui tendit.

Les papiers blancs étaient noircis par une écriture illisible que seul un pharmacien saurait déchiffrer...

Voyant son air surpris, il ajouta, regardant par-dessus ses lunettes :

–Je lui ai prescrit des anxiolytiques légers et une prise de sang. Elle peut rester seule pour le moment, ne vous faites pas trop de soucis.

Sophia, voyant l’entrevue plus que rapide prendre fin, se leva ne le quittant pas du regard. Elle n’osa pas s’étendre davantage sur les effets concrets, à court et long terme, le percevant quelque peu impatient d’en terminer avec l’entretien.

–Dites à ma secrétaire de lui fixer un rendez-vous dans trois mois, conclut-il en lui serrant tendrement lamain.

Sophia n’avait pas pu s’éterniser chez sa mère, mais elle resta le temps que la prise de sang soit effectuée et que les résultats soient arrivés. Rien à signaler de cecôté.

Elle avait une affaire compliquée en ce moment et devait finir de la régler urgemment.

Elle n’avait pas omis, avant de partir, de donner quelques consignes et son numéro de portable à Gina, amie et voisine de samère.

–Papa va bientôt rentrer, ne t’inquiète pas ma chérie ! Embrasse bien Charles pour moi, avait jeté sa mère au moment des au revoir.

–Mais, maman, papa estmo..

Gina avait haussé les épaules et levé ses grands yeux noirs auciel.

Peinée, Sophia ne termina pas sa phrase et étreignit sa mère chaleureusement.

Elle vit la main de sa mère lui faire des signes dans le rétroviseur et se sentit coupable de la laisser ainsi.

Elle rendit les clefs à l’agence de location, située à deux pas de la gare de Paimpol.

Il était plus pratique pour elle de louer une voiture lors de ses visites. C’était plus coûteux mais tellement plus fonctionnel !

Le train démarra.

Le regard perdu dans le paysage qui défilait, elle se dit qu’elle appellerait dès que possible son médecin personnel afin qu’il lui donne des précisions supplémentaires sur cette maladie.

Cela fera un an le mois prochain que la mer avait emporté, aspiré son père, passionné par son métier de pêcheur, un jour de tempête, ne lui laissant aucune chance. Et sa mère avait oublié !

Eux, si complices, si complémentaires, si amoureux, elle avait du mal à y croire !

Absorbée par ses pensées et la lecture d’un magazine people, elle ne vit pas passer les quatre heures du voyage. L’hôtesse annonça l’arrivée à la gare Montparnasse. Elle ferma le journal et apaisa sa sensation de culpabilité, sachant Gina près de samère.

Elle avait eu son médecin de famille au téléphone dès le lendemain.

Il lui avait consacré une demi-heure pour lui expliquer brièvement l’évolution probable de l’affection de sa mère. Elle avait alors compris que la mémoire proche disparaît la première, alors que les souvenirs lointains, eux, restent partiellement intacts.

La sentant surprise par ses propos il avait conclu :

–Le corps humain a ses mystères Sophia et même nous, médecins, nous n’en connaissons pas encore tous les secrets, alors avec le cerveau ! Bon courage Sophia, bonne journée !

Six mois s’étaient écoulés depuis et les nombreux coups de fil de la voisine la rassuraient.

Sophia avait pourtant essayé à plusieurs reprises d’appeler sa mère, mais elle perdait très vite le fil de la conversation, ce qui finissait par l’agacer et raccrochait au nez de sa fille en lui lançant :

–Au revoir madame, laissez-moi tranquille !

En arrivant au salon, les ronflements de Charles devenus plus intenses, la sortirent de ses pensées. Elle retira sa montre qui affichait maintenant 23 heures. Elle soupira.

Malgré une infusion de camomille, elle eut bien du mal à trouver le sommeil.

Épuisée mais excitée, elle divagua à nouveau sur la visite du lendemain. Elle se retourna plusieurs fois puis la fatigue eut enfin raison d’elle, elle sombra.

L’APPART

L’agent immobilier lui avait réservé le meilleur pour la fin, il avait ouvert la grande baie vitrée avec délicatesse et avait invité Sophia à y pénétrer.

Maryline ne fut pas déçue de sa réaction.

La vue depuis la terrasse était à couper le souffle !

–Un jardin à l’anglaise ! s’exclama Sophia plusieursfois.

–C’est le jardin de Ranelagh, joli non ???

–Le mot est mal choisi, Maryline, très mal choisi ! s’exclama-t-elle. Ce n’est pas joli, c’est Ma-gique, alchimique c’est une œuvre d’art c’est… Je… Je n’ai pas les mots pour vous décrire ce que je ressens !...

Elle se souvint que Charles lui avait promis de l’emmener un jour dans ce majestueux jardin… L’agent interrompit ce moment extatique :

–Nous n’avons pas parlé budget, lança Maryline sortant Sophia de ses rêveries.

–Je ne suis pas sûre de vouloir savoir, mais à êtrelà...

Maryline lui annonça leprix.

Ses jambes manquèrent de flancher, elle agrippa la balustrade.

Sa bouche s’ouvrit, formant un énorme O de stupéfaction.

La grande inspiration qu’elle prit lui coupa le souffle. Ses yeux s’écarquillèrent tellement qu’elle crut qu’ils allaient sortir de leurs orbites à l’annonce de la somme exorbitante, voire démentielle de ce petit paradis.

Proche de l’asphyxie, elle referma sa bouche, expira profondément plusieurs fois et redonna un rythme normal à ses organes, sous le regard navré de Maryline qui tenta un au revoir et à bientôt, que Sophia, frustrée, n’entendit pas. Elle s’était précipitamment dirigée vers la sortie en balbutiant un « je vous tiendrai au courant merci ».

Paris 16ème avait bel et bien un prix !

Sophia avait toujours aimé les jardins à l’anglaise.

Elle en gardait au fond d’elle de précieux souvenirs.

Petite, elle adorait courir dans les allées de celui de Botrain, dans sa Bretagne natale.

Ils s’y rendaient en famille, les rares week-ends où son père n’était pas enmer.

Elle aimait faire un tour de manège sur les grands chevaux de bois sous les yeux attendris de ses parents.

Elle avait continué de s’y rendre souvent avec leur clan « jeunes adultes », et ce malgré l’heure de route les séparant de Paimpol.

Lorsqu’elle lançait l’idée à ses amis d’aller y passer la journée, elle leur vantait la magie du lieu, et arrivait ainsi à convaincre les plus âgés qui avaient leur permis, de les y conduire. Aimant jouer les guides, elle leur citait les variétés de fleurs, leur décrivait les particularités d’un jardin à l’anglaise : les irrégularités, les constants changements d’aménagement qui laissaient à penser que rien n’était jamais vraiment terminé.

Le parfait opposé du jardin à la française, précisait-elle fièrement.

–Appréciez aussi ce magnifique bassin ! Ah tu n’étais pas là toi la dernière fois ?

Et admirez aussi cette œuvre d’art, criait-elle théâtralement désignant une superbe sculpture en pierre.

La journée ne suffisait pas pour découvrir tous les attraits de cette peinture vivante.

Tous appréciaient le pique-nique tiré du sac et repartaient conquis par cette magnifique errance poétique.

16ème 18 h au retour de Charles.

–Tu as fait quoi aujourd’hui ? Je vais me chercher un verre. Tu en veuxun ?

–Bonne idée...

Ni les bousculades ni les cris des enfants dans le métro, ni même le prix annoncé par Maryline n’avaient entamé son état euphorique.

Sophia avait eu tout le temps du trajet pour envisager la suite des événements.

Seules deux suggestions lui étaient venues à l’esprit... Petit un, se taire, garder pour elle sa visite, après tout, seule Maryline savait et oublier ce superbe appartement...

Petit deux, simplement lui dire la vérité, au risque de... Quel risque ?

Elle n’avait rien signé. Juste dit à l’agent qu’elle la tiendrait au courant.

La seconde solution lui avait paru la plus judicieuse si elle voulait que ce rêve ait une chance minime de se réaliser...

Elle se lança :

–Je suis allée visiter un très joli appartement mon amour, tu m’entends ??

Elle tendit l’oreille mais aucune réponse ne lui parvint. Elle allait jouer de ses atouts féminins sachant qu’ils ne laisseraient pas Charles indifférent. Mais allaient-ils être suffisants lorsqu’elle lui annoncerait le prix exorbitant de l’appartement ?

Elle en doutait. Il fallait oser, elle n’avait rien à perdre après tout !

Charles, de retour au salon l’air intrigué, posa les deux verres qu’il tenait dans chaque main et lança :

–Alors, raconte-moi un peu, comme ça tu es allée visiter un appartement, petite cachottière !

Le doux ton sur lequel il avait parlé l’avait soulagée.

Elle en avait profité pour enchaîner et lui avait décrit les lieux dans ses moindres détails, essayant de contrôler son excitation.

Elle était passée de la disposition des pièces à leur fonctionnalité, à leurs dimensions approximatives...

Elle lui avait vanté les luxueux matériaux, la couleur des carreaux de ciment, l’excellente qualité des faïences qu’elle avait caressées puis elle avait poursuivi avec la sublime salle de bain, la douche à l’italienne, les immenses rangements...

Charles ne l’avait pas interrompue.

Il avait siroté son bourbon. Il était resté très attentif à la description très précise que lui faisait Sophia.

Elle avait fait une pause, avait bu une gorgée de whisky et avait grimacé face au goût puissant du breuvage auquel elle n’était pas habituée. Elle avait repris :

–Il y a une magnifique terrasse mon amour et la vue Charles la vue, elle est ren-ver-sante !!!! C’est au sixième étage.

–Au sixième ???

–Mais avec un ascenseur vitré, moderne, qui ne doit pas souvent être en panne LUI...! ironisa-t-elle.

–On distingue tout Paris, la tour Eiffel… et... Tu sais quoi ?

–Non…

–Tu sais comme j’aime les jardins à l’anglaise ? lança-t-elle en croisant ses longues jambes, ce qui fit remonter légèrement sa robe et dégagea un peu plus ses cuisses. Ce geste, habilement assuré, déstabilisa quelque peu Charles qui marmonna les yeux braqués sur elle :

–Hem...hem... Mouais un jardin...

–Oui mais quel jardin ! Celui de rag--- quelque chose...

–Ra-ne-lagh épela Charles. Je devais t’y emmener d’ailleurs ! Mais... C’est le 16ème ça, je me trompe ?

Il avait grogné, portant une main sur son front.

Elle avait senti que le moment fatidique pointait.

Elle garda son sang-froid :

–Oui, rive droite et il y a un immense dressinget….

–Et-- et-- et-- le prix--Sophia--le prix—annonce !

–Le 16ème, rien que ça !! répétait-il agacé.

Il aurait voulu ne jamais l’entendre, arrêter cette discussion qu’il trouvait ridicule et somme toute inutile.

Il avait croisé ses jambes, bu une longue gorgée et avait attendu.

Sophia s’était levée et était venue doucement lui murmurer à l’oreille :

–Quatre millions cinq cent mille.

–Rien compris ! Parle plus fort, et tu sais que je n’aime pas que l’on me parle dans les oreilles !

Elle s’était relevée, avait pris une longue respiration et, en relâchant son souffle avait répété en criant et en articulant :

–QUATRE MILLIONS CINQ CENT MILLE…

–Quatre.... ????

Ne terminant pas sa phrase il s’était précipitammentlevé.

Tête baissée, il avait ouvert sa boite à cigares, en avait extrait un et sans un regard, sans un mot, s’était dirigé à grands pas sur la terrasse, la laissant ainsi déçue, dépitée...

Elle était restée assise un long moment, immobile et muette, ne sachant que faire.

Un nuage de fumée parfumé à la vanille émanant de l’extérieur l’avait fait toussoter.

Elle avait laissé passer encore quelques minutes, s’était enfin levée et c’est à reculons, sur la pointe des pieds qu’elle était entrée dans la cuisine aussi coupable qu’un enfant qui aurait fait une grosse bêtise, attendant que la sanction tombe.

Réalisant finalement qu’elle n’avait rien signé, rien décidé sans lui, elle relativisa et décida de leur servir un verre de vin rouge et de le rejoindre.

Elle retira sa veste.

Sa silhouette dans sa jolie robe-bustier de soie rouge attendrirait peut-être son bel espagnol.

Timidement, elle avait posé les deux verres sur la table de la terrasse.

Accoudé à la balustrade, Charles lui tournait le dos tirant sur son cigare.

–Je t’ai servi un verre.

–Merci, je termine mon cigare. Tu veux me saouler pour mieux m’amadouer ?

–Tu es fâché ?

Il avait grommelé. Elle avait persisté :

–Ta réaction est un peu excessive,non ?

D’un revers de la main, elle repoussa le voile blanc qui lui passa sous lenez.

Il se retourna et écrasa son mégot dans un pot de géraniums.

–CHARLES !!!

–C’est bon, je l’enlèverai... Excessive tudis ?

Il s’était assis, face à elle, son regard noir plongé dans le sien, elle avait compris qu’il attendait des explications.

Elle s’était mise à lui faire remarquer calmement que cela n’avait été qu’une simple visite ; qu’elle n’avait même pas proposé à Maryline de revenir le voir avec lui et que, de ce fait il n’avait pas lieu de s’énerver ainsi.

–Maryline ?

–C’est l’agent immobilier.

Elle lui annota comment, par un concours de circonstances, celle-ci l’avait contactée. Il prit calmement la parole.

–Bon, cela ne m’enchante pas que tu ne m’en aies pas parlé et que tu l’aies visité seule, mais ce qui m’a irrité c’est que j’ai supposé que tu savais très bien où tu allais et combien cela coûtait mais que tu y sois allée malgré tout, n’est-ce pas ? Elle opina, se gardant bien de lui dire qu’elle avait eu un aperçu des prix dans le quartier où elle a son étude, et qu’elle s’était bien doutée que le 16ème serait certainement « un peu » plus cher. Elle balbutia :

–Maryline m’avait dit le 16ème, mais elle ne m’avait pas dit son prix, Charles… Je te jure !

–Ben voyons ! Et lui as-tu demandé avant de t’y rendre ?

Penaude, Sophia avait répondu que non, elle avait oublié...

Il pencha sa tête, souriant ironiquement :

–Elle est maligne, celle-là ! Elle ne risquait pas de te le dire avant !

–Elle t’a laissée venir, elle t’a éblouie et crac... Elle t’a annoncé à la fin de la visite : « quatre millions cinq cent mille euros » ! Tu parles, elle ne voit que sa commission, celle-là ! Quels requins ces agents immobiliers !

–Combien la superficie ? Avait entendu Sophia, le nez dans son verre devin.

–Cent quatre-vingt-cinq mètres carrés.

Il en avait déduit calmement que c’était de toute façon beaucoup trop grand, mais que pour le prix cela méritait bien une telle surface, même à Paris.

–C’est vrai que c’est beaucoup d’argent, mais....

–Mais quoi Sophia, quoi ? Vingt-quatre mille euros au mètre carré, oui, effectivement c’est beaucoup d’argent, beaucoup trop !

–Il y a aussi une cave et un immense gara..

Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’il cracha :

–Mais sapristi, chérie ! Tu as perdu la raison ? N’y pense même plus !

Elle était partie dans un fou rire incontrôlable en répétant sapristi, sapristi et avait fini par lui dire que ce mot ne se disait plus, qu’il était on ne peut plus ringard.

C’est ça, moque-toi, ohhhhh et puis merdia Sophia, merdia !

Le voyant plaisanter elle tenta une autre approche.

Elle savait qu’il aimait les enfants.

Elle l’avait souvent aperçu depuis la terrasse avec de petits voisins, tapant dans leur ballon et partageant avec eux des sachets de bonbons qu’il venait d’acheter au tabac du quartier.

–Nous aurons des enfants Charles un jour ?

–Bien sûr, tu le sais ! Lui avait-il répondu tendrement s’empressant d’ajouter : - Pourquoi ? Tu es enceinte ?

–Non. Mais il y a une des chambres qui donne sur la Tour Eiff...

–SOPHIA ! Il avait crié si fort qu’elle avait sursauté.

Ses jambes avaient cogné la table et le verre de rouge que Charles n’avait pas encore touché avait atterri sur son magnifique pantalon de lin ivoire.

–Bordel ! C’est ma fête aujourd’hui !

Elle s’était confondue en excuses, retenant une urgente envie derire.

D’un geste sensuel il avait passé sa main dans sa belle et épaisse chevelure, les yeux fixés dans ceux de Sophia qui le trouva extrêmement sexy...

Puis sans un mot, il avait porté ses mains à sa ceinture, l’avait détachée, puis d’un geste agile, avait fait sauté le petit bouton de nacre.

Il avait fait glisser son pouce le long de sa fermeture éclair et d’un petit coup de rein le vêtement s’était lamentablement retrouvé à ses pieds.

Sophia l’avait observé, silencieuse.

Il leva son index, le plia sur lui-même, lui faisant comprendre de s’approcher.

Elle s’exécuta.

Il lui prit la main et la fit tournoyer sur elle-même, ses longues boucles suivirent le mouvement. Il la trouva très belle.

D’un geste un peu brutal, il l’attira et l’assit surlui.

Un à un, il fit sauter la rangée de petits boutons rouges du dos de sa robe de soie qui glissa avec légèreté sur les genoux de Charles laissant découvrir sa magnifique poitrine nue que le désir avait durcie.

Un petit mouvement de jambes suffit à Charles pour se débarrasser du vêtement qui frôla son mollet avant de terminer sa course ausol.

Un léger frisson l’envahit et le fit tressauter.

Sophia se souleva légèrement et introduisit en elle le sexe érigé de Charles.

Elle commença en un langoureux va-et-vient.

Charles, les deux mains autour de ses hanches guidaient ainsi la cadence en contrôlant la vitesse de chacun de ses balancements.

Les seins de Sophia allants et venants frôlaient à chaque mouvement la bouche désireuse de Charles.

Leurs gémissements devenus plus bruyants rendaient l’instant encore plus excitant.

–On pourrait nous voir ou nous entendre, chuchota Sophia. Ne tenant pas compte de ses mots, il lui suçota un téton et elle se mit à gémir en criant son prénom.

Ses mains viriles maintenant sa taille, il la souleva et la fit aller et venir en lui de plus en plusfort.

Elle ferma les yeux pour ne plus sentir que le plaisir qui montait enelle.

Transportée, enivrée, elle se mit à haleter.

Charles glissa ses mains sur la peau douce de ses fesses où ses doigts s’ancrèrent vigoureusement.

Il lâcha un long gémissement.

Leurs corps en sueur purent enfin se relâcher quand, ensemble, ils jouirent, entraînant de longs bruissements de plaisir.

Ils restèrent longuement lovés l’un dans l’autre, se délectant de ce moment magique.

Le long soupir que Charles exulta fit sourire Sophia qui lui déposa un tendre baiser au creux de son cou encore en sueur.

Regardant leurs vêtements gisant au sol, Sophia lança :

–Tout ça pour une maladresse, cela va me pousser à en faire plus souvent, bel espagnol !

–OK, mais dis-le-moi à l’avance, qu’il me reste des pantalons pour travailler !

Elle aurait pu rester comme ça toute la nuit, à califourchon, glénée au creux de son épaule.

Mais elle l’avait senti s’impatienter et avait décidé de se retirer.

Elle releva la tête et au moment où son oreille avait frôlé celle de Charles, il lui avait attrapé le lobe avec ses dents et elle l’avait entendu bredouiller :

–Nous y allons quand ?

Se détachant de lui, elle recula.

Nue comme un vers, les deux mains sur sa taille, elle avait demandé :

–Mais où veux-tu aller avec moi beau mâle ?

Il n’avait pas répondu, s’était levé à son tour précisant qu’il allait prendre une douche.

–Charles !!!!

–Si tu ne t’en souviens plus, tant mieux n’en parlons plus, adiosssss señorita ! cria-t-il en s’éloignant.

Ramassant sa robe en hâte, elle se souvint subitement :

–L’appartement, l’appartement !!! Tu veux aller le voir ?? Elle fila jusqu’à la salle de bain, tira le rideau de la douche et y entra :

–Tu... tu… tu veux y aller ? Quand ?

–Trouve-moi un créneau un après-midi de la semaine et je m’arrangerai, mais ne t’emballe pas et ne t’avance pas auprès de cette Maryline. C’est juste pour voir cette soi-disant merveille !!

Il l’attira contre son torse humide.

Elle eut à nouveau envie delui…

Le lendemain, elle s’était mise à rêver sur le petit balcon.

Accoudée, un café à la main elle avait désiré que, peut-être bientôt, le jardin de Ranelagh deviendrait l’unique tableau qu’elle contemplerait chaque jour sans jamais se lasser. Elle enfouit son regard sur les vieux immeubles d’en face. Ils devinrent de majestueux chênes et frênes feuillus ; les feux rouges se transformèrent en de grandes statues de marbre et elle remplaça cette tour commerciale qu’elle apercevait au loin, en la belle dame de fer que le monde entier nous envie...

Quatre ans plustard.

Quatre belles années étaient passées depuis ce jour où, si excitée par la visite, mais assommée par l’annonce de son prix, Sophia avait planté Maryline sur la terrasse. Elle s’en était d’ailleurs excusée à nouveau au moment de la signature du compromis.

Ce matin, elle avait reçu un coup de fil de la nounou, la petite était fiévreuse, elle avait dû la récupérer à l’école.

Elle lui avait demandé de venir la chercher et lui avait suggéré une visite chez son pédiatre.

Magalie connaissait bien Flora, elle la gardait depuis qu’elle avait 8mois.

Elle décida de ne pas se rendre chez le médecin, de lui donner un petit antalgique pour enfant et d’attendre le lendemain. Elles avaient passé la journée ensemble, Flora avait fait une longue sieste, la fièvre passait puis revenait, aucun autre symptôme n’était survenu.

Charles l’avait cajolé toute la soirée, blottie contre lui et lui avait raconté une histoire de petits chats et avait réussi à lui soutirer de petits sourires timides.

Sophia avait mal dormi.

Flora avait eu de la fièvre, s’était réveillée en pleurs.

Elle lui avait donné un bain, l’avait bercée une heure, deux peut-être, avant qu’elle ne retrouve le sommeil.

Les continuels ronflements de Charles, que ni les toussotements, ni les petits coups de pied n’avaient apaisés avaient fini par sérieusement irriter Sophia.

Elle avait fini par mettre des boules quies, et avait grâce à elles pu terminer sanuit.

Elle avait été réveillée par un fort claquement de porte.

Son mari ayant dormi comme un bébé et ronflé comme un sonneur de cloches, était sorti très tôt comme tous les dimanches matin.

Elle se rendit, silencieuse, sur la terrasse.

Elle observa la magie du printemps qui avait redonné vie aux gigantesques arbres du jardin anglais.

Ils avaient depuis peu retrouvé leur habit de verdure. Le jour à peine levé, elle distinguait parfois de courageuses silhouettes courir dans les allées. Il lui était arrivé de le faire avant la naissance de Flora.

Une bise matinale la fit frissonner.

Elle attacha le petit lien de son déshabillé de soie et s’accouda, survolant Paris encore endormi sous la grisaille. Le silence fut à nouveau interrompu par le bruit de la porte d’entrée.

–Bonjour mon amour, lança Charles en franchissant le seuil de la baie vitrée.

–Bonjour chéri ! Tu pourrais faire plus doucement avec la porte, tu vas réveiller la petite, dit-elle en se retournant.

Elle passa sa main devant sa bouche cachant ainsi un énorme bâillement.

–Ohhh, mal dormi je vois !

–Oui, mal et peu. L’audience de demain, les pleurs de Flora, toi...

Il débarrassa ses achats sur la petite table, jeta une liasse de publicités sur le fauteuil de Flora et vint, une rose à la main, et vint lui déposer un tendre baiser.

–Excuse-moi mon cœur, tu pourras te reposer cet après-midi, j’emmènerai Flora au parc, il y a un spectacle de marionnettes, c’était affiché à la boulangerie. Café, señorita ?

–Por favor señor !

Charles était heureux.

Depuis leur arrivée dans ce très luxueux appartement il était heureux.

Certes, il avait dû gérer la vente de son appartement parisien, certes, il avait dû batailler avec Carlos, son associé, pour qu’il accepte de racheter ses actions et devenir majoritaire, mais ça n’avait pas suffi.

Il avait obtenu un prêt et Sophia avait dû mettre l’intégralité de la somme laissée en héritage par son père et que sa mère avait bien voulu lui léguer...

Mais jamais une seconde il n’avait eu à regretter son choix. Quand il avait vu Sophia, lors de leur première visite, ensemble cette fois, s’émerveiller devant la splendeur du tableau, il avait partagé son frisson, il avait lu dans ses yeux son bonheur, entendu chaque battement de son cœur ... il avait compris.

Sophia avait eu raison d’insister.

Leur vie avait changé.

Deux mois après l’achat, elle tomba enceinte.

Flora allait avoir quatre ans et ne faisait qu’embellir, chaque jour, la toile de leur jardin anglais.

Sophia mordit dans un croissant croustillant et émit un humm de plaisir.

–Con leche ! Lança-t-il posant la tasse où flottait un léger nuage delait.

Ces petits mots lâchés de temps en temps dans sa langue natale replongeaient souvent Sophia dans le souvenir de leur première rencontre.

Elle avait littéralement fondu sous son charme.

Il lui avait offert un verre, dans un petit bar, alors qu’elle attendait une collègue de fac pour une soiréeciné.

Elle s’était sentie rougir lorsqu’en parfait gentleman, il l’avait complimentée sur son élégance, avec de petits mots en espagnol.

Sa peau mate mettait en valeur une dentition parfaite. Son assurance, sa virilité avait complètement déstabilisé la belle Parisienne.

Elle avait pensé qu’il devait au moins avoir 5 ans de plus qu’elle ce qui s’était montré vrai lorsqu’elle le lui avait demandé quelques jours plustard.

L’arrivée de son amie Molly l’avait soulagée, même si celle-ci l’avait fait à nouveau rosir en lançant :

–Hé, salut ma belle, je vois que tu ne t’ennuies pas en m’attendant ! Tu me présentes ?

–Une Guinness s’il vous plaît ! avait-elle hurlé comme une poissonnière à un serveur qui lui avait lancé un furtif « Ok ! ».

Charles avaitri.

Sophia comprit au regard curieux de Charles qu’il se questionnait face à la nouvelle venue qui arborait un chapeau melon noir, orné d’un large foulard vert gazon mettant en lumière son éclatante chevelure cuivrée.

–Charles, je te présente Molly, mon amie Irlandaise.

–Ah… Je comprends mieux ! Salut ! Avait-il lancé, levant son verre à sa santé.

L’INVIT

Ce matin-là, elle observait Charles qui s’était assis, lisant la page sport du Parisien en commentant chaque résultat des matchs.

Il releva la tête et, la voyant pensive, lui lança :

–Ouhhh chérie ? Ça va ? Veux-tu une orange pressée ?

Elle tressaillit et lui fit non de latête.

Sa crinière bouclée suivit le mouvement, elle lui sourit en le dévisageant avec insistance.

Sa barbe de trois jours, ses cheveux mi-longs légèrement en bataille, lui donnaient des allures de Javier Bardem, acteur espagnol en vogue dont elle était tombée sous le charme dans le film Talons aiguilles.

Sa chemise en lin, laissée volontairement entrouverte et dévoilant son torse hâlé, lui flottait sur les hanches. Elle avait rapidement remarqué dès le début de leur relation que le lin était sa matière préférée.

Lorsqu’un soir elle avait voulu en connaître la raison, il avait abordé le sujet avec beaucoup de sérieux. Il lui avait expliqué les différentes phases subies par la plante pour devenir cette étoffe.

Rouissage, teillage, broyage, se souvenait-elle en désordre... Assise au bord du lit, elle l’avait écouté avec admiration et avait ainsi appris que cette toile avait comme principale propriété d’être un excellent régulateur thermique.

Il avait clos le sujet en insistant sur le côté bio, la confection locale et le fait que la France en était le premier pays d’Europe à le cultiver.

Certes, elle le trouvait très beau, mais aussi attentionné, curieux, cultivé, humble étaient des adjectifs qui lui allaient à ravir.

Sophia se leva et lui déposa un baiser sur sa tête toujours penchée sur le journal.

Elle attrapa le tas de publicités, supervisa la liasse et en retira trois enveloppes postales.

–Banque, télécoms, c’est pour toi ça, murmura-t-elle en déposant les plis à côté de son mari, mais celui-ci, très inspiré par sa lecture, ne les remarqua mêmepas.

Elle tourna et retourna la troisième enveloppe et comprit sa provenance, percevant un trèfle à trois feuilles dessinées sur le timbre.

Elle exprima sa joie, chantant le prénom de Molly à tue-tête. Cela venait de son amie irlandaise.

Charles glissa un chuttttt !

Elle calma son ardeur et prit le temps d’apprécier ce rare moment, constatant que le portable et internet étaient devenus des supports plus rapides mais tellement moins personnels que l’écriture, et ce, à son plus grand regret.

Elle décacheta doucement l’enveloppe et en sortit un très joli bristol.

Une seconde enveloppe à l’attention de Sophia l’accompagnait, elle la reposa et décida qu’elle la lirait plustard.

Elle s’attarda en premier lieu sur les images du faire-part.

Sur un fond de papier rosé, côte à côte, posaient deux visages : l’un était très enfantin, coiffée de tresses rousses, la petite fille faisait la moue ; l’autre, beaucoup plus mature, affublée d’une énorme casquette verte, la demoiselle souriait à pleines dents.

Une vingtaine d’années environ, séparait les deux clichés. L’effet volontairement flouté rendait le tout frais et romantique mais ne ressemblait en rien à l’esprit original et un peu foufou de sonamie.

Retournant la carte, elle y chercha la touche originale et ne fut pas déçue.

Elle y découvrit, au centre un énorme chiffre 30 aux couleurs fluos et quelques petits smileys égayant le fond blanc.

L’un lui tirait une langue bleue, un autre lui faisait un clin d’œil, et le troisième lui soufflait une flopée de cœurs rouges. Tout en bas apparaissait une adresse mail, elle aussi écrite enfluo.

Satisfaite, elle sourit et commença à lire le texte à voix basse. Chers amis irlandais, français....

Un mamannnnn ! la sortit subitement de sa lecture. Flora leur apparut encore tout endormie, son petit ours, Chupete, la tête à l’envers, pendait au bout de sonbras.

Quatre ans de vie commune avaient suffi à sa petite peluche pour lui faire perdre toute trace de jeunesse.

Borgne, amaigri, imberbe, suturé et, depuis peu tatoué au feutre, le vieil ours fatigué subissait son sort sans broncher.

–Bonjour chérie, oh ! Tu as bien dormi, on dirait que ça va mieux !

–Bonjour princesse, viens là, lança Charles l’asseyant sur ses genoux. C’est peut-être ses oreilles ?

Flora se lova au creux de sonbras.

–Oui je suppose, elle avait encore un peu de fièvre cettenuit.

Il lui posa une main sur le front, faisant signe à Sophia que la température avait disparu.

–Et si on allait faire un biberon, tu veux ma poupée ? Ding fit le portable de Sophia. Une enveloppe apparut, elle ouvrit le message.

Gina lui donnait des nouvelles de sa mère. Elle mangeait bien, dormait bien, ne se plaignait pas et, d’après le personnel soignant, elle était même très agréable aveceux.

Elle leur avait même parlé de sa fille, mais elle avait utilisé un autre prénom...

Cela faisait deux ans qu’elle avait pris la décision de placer sa mère dans un milieu médicalisé proche de Paimpol. Gina lui avait rapporté plusieurs fois que la police l’avait ramenée en robe de chambre car elle s’était perdue dans la ville ; qu’un jour, depuis sa fenêtre elle avait aperçu à temps la fumée qui s’échappait de la cuisine et qu’elle s’était précipitée afin de retirer une casserole restée sur le gaz, alors que sa mère s’était assoupie au salon.

Gina l’avait alors gardée quelque temps avec elle et son mari. Mais la maladie s’était aggravée et l’accompagnement journalier était devenu trop lourd pour le couple vieillissant.

Même si sa mère ne la reconnaissait plus, Sophia lui rendait visite environ tous les deuxmois.

Elle l’emmenait au restaurant, lui parlait de Flora.

Un jour, elles s’étaient rendues jusqu’à Botrain, dans leur jardin anglais.

Sa mère avait parfois esquissé un semblant de sourire mais Sophia savait qu’elle ne devait plus rien attendre.

Les mercis madame, au revoir madame lui faisaient de la peine, mais elle en avait pris l’habitude et s’en accommodait... Le message de Gina se concluait par ses salutations à toute la famille.

Sophia referma le clapet de son téléphone avec douceur et poursuivit sa lecture :

« Chers amis Irlandais, Français et Anglais, toute la famille O’Brien est heureuse de vous convier à la fête qu’elle organisera pour les 30 ans de leur fille Molly. La soirée se déroulera chez nos amis français dans le joli département du Gard, à partir de vingt heures le samedi 1er juillet.

Le superbe Mas des cigales (ad. mail au dos) nous accueillera pour une inoubliable et somptueuse soirée.

Nous comptons sur votre présence.

Très amicalement Kathelyne & Etan O’Brien_

Peter & Molly »

PS (de Molly) : le thème de cet anniversaire sera le blanc pour tous, mais une petite touche de fluo sera la bienvenue. Merci à vous tous de jouer le jeu !!!

Sophia se réjouit à l’idée de revoir sonamie.

Leur wedding bash (evg) commun à Dublin remontait à plus de quatreans.

(Petit flash-back1986)

Sophia, Charles et quelques amis de fac avaient pris l’avion pour la capitale irlandaise.

Les amis de Molly et Peter avaient tout méticuleusement organisé suivant la tradition irlandaise...

Leur arrivée sur le tarmac ne passa pas inaperçue au grand dam de Charles qui n’eut pas le temps d’avoir honte.

Une dizaine de lutins, tous à la barbe rousse, souriants sautillants, vêtus d’un costume vert fluo et d’un énorme haut de forme où trônait le trèfle irlandais, les prirent par la main formant une grande farandole.

Deux d’entre eux s’étaient faufilés et les avaient débarrassés de leurs bagages.

La guirlande humaine déambula ainsi dans tout l’aéroport. Le premier de la file parlait irlandais et les gens s’effaçaient sur leur passage en souriant.

L’ascension jusqu’aux toilettes fut périlleuse, leur invasion imminente.

Les lutins s’affairaient habilement.

Chacun de leur geste était précis, calculés. Ils distribuaient de petits sacs aux invités, contenant chacun, une tenue de farfadet.

Charles souriait à Sophia ravie, attendant sonsort.

Il allait jouer le jeu.

Le plus costaud des trolls s’était placé contre la porte empêchant une quelconque intrusion.

Sophia et Charles avaient chacun leur petit génie chargé de les costumer, de les maquiller.

Charles eut droit à un rasage de près malgré ses réticences.

–Ça repousse, lui avait rétorqué le petit bonhomme vert en gloussant.

Était venue ensuite la pose de faux cils et l’application d’un lourd fardage blanc et bleu savamment exécuté sur les paupières. Puis une superbe perruque bleu électrique au carré mi-long parfaitement lisse comme celui des filles du Crazy Horse vint recouvrir la tête de Charles.

Installés face à face, chacun pouvait observer l’évolution de sa transformation.

Sophia pouffait. Charles s’en agaçait gentiment, le regard attentif à ce qui allait suivre.

Elle s’en amusait et lui adressait des petits clins d’œil d’encouragement.

Charles enfila la robe aux motifs psychédéliques blancs et bleus parfaitement assortie à sa chevelure que lui tendit son lutin.

Son hâle naturel le dispensa de la paire de collants, mais il ne fut pas épargné par les bottes blanches à talons qu’il enfila en râlant.

Un trait de rouge à lèvres rouge vif, un bandeau psyché assorti à sa robe, glissé sur sa perruque et un énorme boa bleu venant flotter autour de son cou, furent les dernières touches finales pour le gringo.

–Et voilà le plus beau drag-queen de Dublin ! Lança son gnome.

Des tonnerres d’applaudissements fusèrent.

Le résultat était bluffant, même ainsi affublé Sophia le trouvait irrésistible....

La métamorphose fut moins impressionnante pour Sophia. Elle avait revêtu un costume de la Saint Patrick composé d’une courte robe verte, à manches bouffantes, rehaussée d’un boléro à fins carreauxgris.

De longues chaussettes blanches s’arrêtaient au-dessus de ses genoux.

Elle enfila des escarpins vernis noirs à talons et un mini chapeau vert posé de travers sur ses belles boucles.

Son lutin finalisa sa coiffure en deux longues tresses qui lui tombaient sur les épaules. Elle évita la perruque rousse.

–La plus sexy des Irlandaises ! cria-t-il.

Les mains claquèrent à nouveau.

Le drag-queen bleu sentit gonfler son sexe sous sarobe.

Effectivement très sexy...

La file d’attente derrière la porte des toilettes leur fit un accueil chaleureux et souriant.

Ils retrouvèrent vite Molly et Peter qui les attendaient devant l’entrée de l’aéroport.

Ils avaient visiblement subi le même sort ; Peter portait la même tenue psyché que Charles mais en rose fuchsia et, vu la blancheur de sa peau d’anglais, il n’avait pas échappé aux collants !

Molly était assortie à Sophia, à un détail prêt, la rousseur de ses tresses.

Les embrassades se firent dans un fou rire général. L’ambiance était lancée !

La flopée de lutins annonça en virevoltant autour d’eux qu’à partir de cet instant, ils étaient sous leur unique contrôle...

La journée fut mémorable.

Le parcours avait été soigneusement organisé.

Visite du castel, séances photos sur de superbes ponts de la ville avec des inconnus, gages en tout genre...

Molly se retrouva ainsi perchée sur une chaise, en pleine rue, à devoir chanter la Marseillaise.

Charles dut faire le service dans un pub et se faire draguer par des hommes en parlant anglais...

Peter dut chanter lors d’un karaoké improvisé dans un bar. Sophia, elle, eut la dure mission d’accoster les passants et de leur faire signer des certificats en tout genre....

C’est épuisés et bien éméchés par les pauses Guinness sifflées dans chaque pub, qu’ils arrivèrent à l’incontournable templebar.

Désinhibé, Charles dansa, chanta avec Peter, accompagnant un groupe irlandais venu pour l’occasion.

Chacun des quatre futurs mariés eut droit au traditionnel strip-teaseur (euse) qui chauffa la salle… et pasque !

Sophia, le bristol toujours en main, arrivait encore à percevoir les boum-boum qui tapaient dans sa tête le lendemain de cette échappée Irlandaise… Elle grimaça et porta une main à son front. Cette invitation tombait àpic.

Ni l’une ni l’autre n’ayant pu être présente à leur mariage respectif.

Sophia était enceinte de quatre mois et l’avion lui avait été fortement déconseillé par son gynécologue. Molly avait été déçue, mais elle avait compris.

C’est quelques mois plus tard que Charles fit sa demande, et vu son état de grossesse bien avancé, ils décidèrent de fêter l’événement en comité restreint, s’en tenant aux membres de la famille.

Molly comprit ce choix et n’en porta aucune rancœur à sonamie.

–Cela va faire bientôt quatre ou cinq ans déjà, souffla Sophia en entrant dans le salon.

–Bientôt quatre ou cinq ans que quoi ? Questionna Charles, confortablement installé sur le sofa, Flora avachie sur lui, terminant son biberon.

–Que l’on ne se soit pas vues avec Molly, depuis la soirée drag queen, avoue que l’on s’est bien marrés !

–Mais oui… J’ai encore les marques de mes ampoules aux pieds… Satanées bottes !

–Alors elle est enceinte la rouquine ?

–Charles, tu sais que je n’aime pas que tu l’appelles commeça !

–Je rigole… Alors ? La coupa-t-il.

–Non, pas de bébé en vue, c’est une invitation pour l’anniversaire de ses trente ans, le 1er juillet, en Provence. Il y aura un thème...

–Ah non !!!

–Siiiiii... Soirée blanche et une touche de fluo pour chacun, c’est softnon ?

–Mouais, on verra…

Elle ajouta que Molly ne connaissait Flora que via Skype