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Dorothée et Antoine ont vécu une belle histoire d'amour à Porquerolles, la plus accueillante des îles d'Or n'avait plus de secret pour eux. Dès la nuit tombée, ils quittaient le village pour se retrouver sur la Plage Notre-Dame ou devant le Moulin du Bonheur mais la douce romance s'est transformée en cauchemar le jour où Antoine s'est trouvé accusé d'un crime. Natacha, une jeune touriste étrangère a soudainement disparu un jeudi de juillet. Morin, le brigadier-chef du commissariat d'Hyères, a très vite été convaincu que l'Affaire Natacha ne pouvait être que criminelle. Loueur de vélo sur l'île, Antoine a été désigné coupable idéal de ce crime ce qui risque de mettre son commerce en péril et d'anéantir ses espoirs de candidature aux prochaines élections municipales à Hyères. Journaliste au service Faits Divers de Libération, Jeff débarque à Porquerolles pour y mener un travail d'investigation sur fond de jalousie, trahison et règlements de comptes politiques.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Journaliste et consultant en communication, chargé de cours à l'Université,
Olivier AUBERT est l'auteur de plusieurs ouvrages dont des biographies, des guides touristiques et un témoignage sur la justice. Avec "Les amants de Porquerolles" il signe son premier roman policier.
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Les amants de Porquerolles
AUBERT COMMUNICATION -Éditions Coline Julien
4 Lotissement La Francette - Le Partegal - 83160 La Valette du Varwww.olivier-aubert.fr - [email protected]
OLIVIER AUBERT
LES AMANTS
DE PORQUEROLLES
Roman policier
Éditions Coline Julien
Viens mon amour
Fuyons l’orage
Voici venu le temps de vivre
Voici venu le temps d’aimer
Jacques Brel
Une île (1962)
À Coline,
pour ses précieux conseils
Et notre complicité sans faille
À celles et ceux qui m’ont aidé
À revenir sur le rivage
À Colette et Daniel Solmon,
sans qui rien n’aurait été possible.
Octobre 2018 – Premier jour d’enquête
L’AFFAIRE NATACHA
Je n’aurais jamais dû accepter cette enquête dans le sud de la France mais il est trop tard pour renoncer.
Dans quelques minutes, mon TGV entrera en gare de Toulon. Je conserve d’excellents souvenirs de vacances en famille sur la côte varoise, à Bandol, à Carqueiranne et à La Londe les Maures. Chaque été nous profitions de nos vacances pour aller passer une journée sur l'île de Porquerolles, mais il arrive parfois que le soleil et la mer ne soient pas synonymes de repos et de paix. Demain ce sera pour enquêter sur la disparition d'une jeune touriste sur fond de jalousie et de querelle politique que je prendrai le bateau.
Quitter la grisaille de Paris pour rejoindre les plages ensoleillées du Sud ne se refuse pas.
Depuis 10 ans que je travaille à la rubrique des faits divers de Libération je n'ai jamais ressenti cette impression négative au moment de partir en reportage.
Mauvais présage ou simple lassitude professionnelle ?
Curieuse appréhension néanmoins pour le rédacteur faits-diversiers que je suis, habitué à traiter la petite délinquance et le grand banditisme, à côtoyer les flics et à arpenter les salles d’audience aux quatre coins de la France. Les affaires judiciaires de ces dernières années n’ont plus aucun secret pour moi. J’aime mon métier mais ce sujet ne me branche pas. Les policiers n’ont réuni aucun élément fiable et pourtant, un type a été placé en détention provisoire.
Max, mon rédac-chef, m’a demandé de lui faire un point rapide sur l’avancement de l’enquête avant que je prenne la direction du Var.
Natacha, une touriste étrangère de 32 ans, séjournait seule à la Villa Sainte-Anne située en haut de la place d’Armes à Porquerolles. Arrivée pour une semaine, un samedi de juillet, elle n’a plus donné signe de vie à partir du jeudi suivant. Antoine Landroni, un loueur de vélos de l’île, a rapidement été désigné comme le suspect numéro 1 de cette disparition par les enquêteurs. Des éléments troublants et concordants ont décidé la Juge d’Instruction de Toulon, Colette Somar, à demander son placement en détention provisoire à la prison de La Farlède. Il y est resté plus de deux mois avant d’être remis en liberté ces derniers jours. Liberté conditionnelle puisqu’il lui est interdit de se rendre sur l’île ou d’entrer en contact avec les personnes habitant ou travaillant à Porquerolles, et obligation de se présenter deux fois par semaine au commissariat d’Hyères. Si cette situation venait à durer, il perdrait définitivement son commerce et se trouverait dans une situation financière très difficilement supportable. Pourtant, officiellement, il est présumé innocent.
Depuis son placement en détention, aucune preuve de sa culpabilité n’a pu être apportée et aucune trace de Natacha n’a été trouvée.
Disparition criminelle, accidentelle ou volontaire ? Tout est encore possible.
Au cours de ma carrière j’ai appris à prendre du recul sur ces crimes presque parfaits qui sont devenus des affaires judiciaires non élucidées parce qu’elles reposaient sur des témoignages bidon ou parce que les enquêteurs s’étaient laissé influencer par des éléments mis un peu trop facilement sous leurs yeux.
J’ai vraiment l’impression que l’Affaire Natacha a été mal engagée et que l’enquête piétine. La remise en liberté du suspect principal et l’absence d’éléments nouveaux le prouvent.
Max compte sur moi pour le révéler au plus vite dans les colonnes de Libération et ainsi relancer la pression médiatique. Il m’accorde quinze jours sur place pour sortir un scoop, pas un jour de plus.
Deux semaines pour reprendre un tel dossier et tenter de trouver une faille, c’est beaucoup trop court. Il me fait confiance, je n’ai plus le choix. Réussir serait le jackpot.
Le trajet en train touche à sa fin. Le contrôleur annonce l’arrêt en gare de Toulon, les voyageurs se lèvent pour récupérer leurs valises, à mon tour je m’assure de n’avoir rien oublié à ma place et je me dirige vers la sortie.
Dès l’ouverture de la porte du wagon, le contraste météorologique est saisissant. À Paris en ce début d’octobre, il pleut et il fait froid. À Toulon, mon pull m’est inutile, je le pose sur mes épaules, les visages qui m’entourent sont lumineux. Les voix sont chantantes, porteuses de l’accent qui me renvoie aux textes de Frédéric Mistral, Jean Giono, Alphonse Daudet et Marcel Pagnol. Ces auteurs ont si bien parlé de leur Provence qu’ils m’ont donné le goût de la lecture et de l’écriture.
Le hall d’accueil de la gare de Toulon porte bien son nom. Ici, les voyageurs sont accueillis par leurs proches, les embrassades sont chaleureuses. À droite se trouve le bureau d’information de la SNCF, à gauche, la librairie Relay et devant moi, l’unique sortie qui permet d’accéder directement à la station de taxis et à la gare routière. Impossible de se perdre.
Elle est déjà bien loin la bousculade que j’ai laissée quatre heures plus tôt, à huit cents kilomètres de là, dans le métro parisien et la salle des pas perdus de la gare de Lyon.
Les tenues vestimentaires sont encore légères et les peaux toujours teintées par les rayons du soleil.
Passer inaperçu est mission impossible pour moi. Avec mon blouson posé sur le bras, mon pull sur les épaules, mon sac de reportage en bandoulière, et ma valise à roulettes plus chargée qu’un trente-huit tonnes, je me sens un étranger débarquant en terre inconnue, un vrai Parisien arrivant dans le Sud !
À l’extérieur, les chauffeurs de taxi discutent à côté de leurs véhicules. L’un d’eux se distingue des autres, il a le verbe haut et tient d’une main ferme le quotidien régional Var Matin qui lui sert tantôt d’éventail, tantôt d’outil pour appuyer ses propos. Pur hasard ou étrange coïncidence, c’est lui qui est en tête de station et à qui je demande de me conduire à l'hôtel Le Ceinturon dans le quartier de L’Ayguade à Hyères où une chambre a été réservée à mon nom. Selon lui, si la circulation reste fluide, nous y serons dans une vingtaine de minutes.
Ma valise et mon matériel de reportage sont placés délicatement dans le coffre. Je prends place à côté du chauffeur. La berline noire descend l’avenue Vauban. Au loin, j’entrevois la rade de Toulon, les deux sont intimement liées, évidemment. C’est à Vauban que l’on doit la construction de l’arsenal et de ses bassins. Le port accueille aujourd’hui un grand nombre de bateaux de plaisance et de croisière à côté des fleurons de la Marine Nationale, dont le porte-avions Charles-de-Gaulle.
Avant de quitter la ville, je passe devant quelques lieux typiquement toulonnais. L’impressionnante Place de la Liberté, l’opéra, et le stade Mayol, si cher aux supporters du RCT.
Ce n’est pas aujourd’hui que je visiterai Toulon, je dois rédiger une brève dès mon arrivée.
Le chauffeur de taxi engage la conversation sur les raisons de mon déplacement.
— Vous venez pour quelques jours de détente ou pour le boulot ?
— Pour le travail.
— Et c’est quoi votre travail ?
— Je suis journaliste. Je bosse pour Libération.
— Oh peuchère, je n’aime pas les journalistes. Vous ne racontez que des conneries !
— Pourtant, je vous ai vu avec Var Matin !
— Le journal local ce n’est pas pareil. Il nous respecte, lui.
Sur le coup, je ne comprends pas ce que cela signifie. Je n’insiste pas, ma priorité est de me rendre au plus vite à l’hôtel pour m’y installer et me doucher.
La circulation est fluide, le taxi s’engage dans un tunnel et nous sommes déjà sur l’autoroute qui relie Toulon à Hyères. Dans une quinzaine de minutes, je serai arrivé.
À l’approche d’Hyères, je me souviens que c’est ici qu’a eu lieu le dernier assassinat politique commis en France, celui de Yann Piat, le 25 février 1994. Je prends le risque de rétablir le dialogue avec le chauffeur.
— Je reviens sur ce que vous me disiez à propos des journalistes et de leur manque de respect. Dois-je comprendre que vous appréciez mes confrères varois, mais que vous avez une certaine méfiance vis-à-vis des Parisiens qui viennent ponctuellement couvrir des affaires de portée nationale ?
— Oui, c’est un peu ça.
— Je suis Parisien mais j’aime beaucoup le Var et ses habitants. Je n’ai aucune prétention et je ne pratique pas la terre brûlée.
— Les feux de forêt et leurs ravages, voilà tout ce qui vous intéresse.
— Non, pas du tout. Pratiquer la terre brûlée est une expression dans notre jargon. C’est ce que font les charognards qui viennent sur un secteur une seule fois dans leur vie et qui n’hésitent pas à se comporter en voyous pour obtenir des informations et sortir un scoop.
— Ah oui, ces types qui s’en foutent des dégâts qu’ils provoquent en associant des personnes, des lieux ou des entreprises à des affaires scandaleuses ou des meurtres.
— Un peu ça oui ! Étiez-vous dans la région en 1994, au moment de l’assassinat de Yann Piat ? J’imagine que les journalistes devaient être nombreux et considérablement indiscrets.
— Si c’est pour remuer la merde que tu es venu de Paris, tu es mal tombé mon collègue, s’emporte le chauffeur de taxi. Et si ce n’est pas pour ça, je vais te donner un bon conseil, ne parle jamais plus de cette affaire ou tu pourrais avoir envie de rentrer chez toi plus rapidement que prévu.
Sa réaction est si violente que je me sens contraint de lui expliquer la raison de ma présence dans la région.
— Non, non, pas du tout. Mon journal m’a chargé d’une enquête sur cette histoire de disparition d’une touriste sur l’île de Porquerolles.
— Ah, tu m’étonnes ! Dès qu’il s’agit de fouiller dans les poubelles pour faire du fric, les journaleux rappliquent ! Vous êtes moins pressés d’enquêter sur l’avenir de notre profession menacée par Uber, ou sur le déclin de l’horticulture dans le Var !
À cet instant, nous longeons des serres désertes présentes de chaque côté de la route. Il les désigne du doigt.
Vous n’en avez rien à faire de ces serres abandonnées à cause des importations de fleurs en provenance des pays où les employés travaillent pour une misère dans des conditions épouvantables.
À peine a-t-il terminé sa phrase qu’il me montre sur la gauche le Marché aux fleurs qui était, il n’y a pas si longtemps encore, la place forte de la fleur coupée en France et pour une partie de l’Europe.
— J’écris dans les pages « Faits divers », pas dans la rubrique « Économie ». Laissez-moi vos coordonnées et je les transmettrai à mes collègues.
— Non merci ! Je n’ai pas envie de rendre service à votre profession. Elle m’a déjà valu trop de soucis. Aucune aide de ma part et ne parlons plus de toutes ces affaires. Ici, nous n’aimons pas trop les gens qui causent trop rapidement au premier venu.
Visiblement, mon chauffeur de taxi connaît bien le secteur et pourrait donc m’être utile. Je tente une nouvelle approche.
— Promis. Je ne vous parle plus de ces sujets qui vous fâchent. En revanche, laissez-moi votre carte et je vous appellerai pour me conduire durant mon séjour. J’ai envie de découvrir quelques endroits que je ne connais pas encore dans la région et je préférerais que l’on m’y conduise plutôt que de me perdre.
— Si tu ne me prends plus la tête avec tes « affaires », c’est OK. La voici. Mais je te préviens, ici tout le monde connaît tout le monde. Je n’ai pas envie de me fâcher avec mes amis et mes clients à cause de toi si l’on nous voit traîner ensemble trop souvent.
Derrière sa carrure de rugbyman, sa chevelure peu soignée et sa gouaille méridionale, se cache finalement un brave type. Sa conduite et sa façon de s’adresser à ses collègues et à son client en disent long sur son manque d’intérêt pour ce métier. Je ne serai pas étonné d’apprendre qu’il s’est résigné à devenir chauffeur de taxi à la suite d’un licenciement ou d’un divorce. L’essentiel pour moi est de le revoir. Il sera certainement un très bon contact pour m’aider à obtenir des infos.
La circulation est ralentie à l’approche de l’entrée de la ville. Un grand rond-point, au milieu duquel se trouvent de magnifiques palmiers et un mur en pierres de pays sur lequel sont fixées les monumentales lettres H.Y.È.R.E.S, accueille les visiteurs.
Aux feux tricolores suivants, la voiture prend à droite en direction de l’aéroport pour rejoindre le quartier de l’Ayguade. Les panneaux indicateurs signalent la proximité de la plage de l’Almanarre, de la presqu’île de Giens, de la Tour Fondue et des îles d’Or.
Au rond-point de l’hippodrome, nous partons sur la gauche, passons près du port Saint-Pierre avant de longer la mer. Le bleu du ciel ensoleillé se reflète sur l’eau, offrant à mon regard un décor de carte postale avec en arrière-plan Porquerolles, la plus belle des îles d’Or.
— Vous habitez vraiment une très belle région !
— Oh oui peuchère ! Dommage que nous soyons régulièrement envahis par les touristes qui ne la respectent pas.
— Et s’il n’y avait plus de touristes ?
— Noooon, en fait je n’ai rien contre les touristes eux-mêmes. Je dis ça parce que nous aimons tellement notre région que nous souhaiterions y vivre sans subir les inconvénients de la saturation des plages et des routes.
Ce qui est regrettable, c’est qu’en été, le comportement de quelques emmerdeurs nuit à l’ensemble des vacanciers. — Je comprends, ce sont les désagréments qui vous dérangent et non le fait que des personnes venant d’ailleurs profitent du soleil, de la mer, des plages et des paysages. À moins que vous ne soyez hostile aux vacanciers.
— Ohhhhh, mais il me cherche le journaleux ! Heureusement, nous sommes arrivés. C’est là-bas, juste avant le feu sur la droite. Vous allez y être bien. Madoni et sa femme sont des gens très gentils et l’établissement a bonne réputation.
La voiture stationne juste devant l’entrée de l’hôtel. Je règle la course. Le chauffeur m’aide à descendre mes bagages et avant de le laisser filer, je lui rappelle que j’aurai besoin de ses services dans les jours à venir.
— Si c’est pour vous déplacer à l’intérieur d’Hyères, appelez un collègue. Je ne vais pas venir de la gare de Toulon pour vous conduire d’un quartier à un autre et ne pas gagner ma vie.
Il n’a pas tort. Pourtant, j’aurai besoin de ses services pour me faire ouvrir quelques portes.
— Je suis d’accord avec vous. En fait, comme je ne vais pas être occupé tous les jours et que je souhaite me rendre à Bormes-les-Mimosas puis à Saint-Tropez, je me permettrai de vous rappeler.
— Dans ce cas, ce sera avec plaisir. Bonne installation.
Une première fois, je me ferai conduire à Bormes et s’il venait à se montrer un peu plus bavard qu’aujourd’hui, je le solliciterais pour un trajet plus long. Dans le cas contraire, nous en resterions là.
Le taxi s’éloigne et j’entre dans le hall du Ceinturon. La réceptionniste me remet les clés de la chambre située à l’étage, côté plage.
Très bel établissement en effet avec tout ce dont j’ai besoin durant mon séjour : une bonne literie pour bien dormir, de l’espace pour me sentir à l’aise, un plan de travail avec suffisamment de prises électriques, et une connexion Wi-Fi à haut débit pour communiquer facilement avec la rédaction du journal. Je pourrai rédiger mes articles et mes brèves sans être contraint de sillonner la ville à la recherche d’un centre de services.
Je ne prends même pas le temps de m’installer, j’appelle la rédaction de Libé.
— Salut Max. Je suis arrivé. L’hôtel est sympa et je suis bien installé. Dès demain, je vais passer au commissariat faire un point sur l’enquête et voir ce qu’ils pensent de la remise en liberté du principal suspect.
— Essaie de nous envoyer une info en push sur le site internet dès ce soir !
Je sens bien que Max veut du résultat et vite.
— Pour l’instant, je n’ai aucune bille. J’ai fait le trajet entre la gare et l’hôtel avec un chauffeur de taxi qui me semble être un bon informateur, mais il est encore tôt pour qu’il me balance de bonnes infos.
— Je te fais confiance coco, mais ne traîne pas trop avant de nous alimenter. Je crains que tu ne sois pas le seul sur le coup.
Max est un vieux routier de la presse écrite. Cette phrase est à la fois un conseil et un ordre, une mise en garde et une révélation. Sa veille permanente des sites internet et les éditions papier de nos concurrents lui donne encore plus d’autorité sur l’équipe de rédaction.
— Message reçu. Je fais au plus vite chef !
Une info en push, ce sont ces brèves que nous diffusons sur les pages internet du journal afin de créer du buzz et annoncer les sujets qui seront publiés dans l’édition papier du lendemain. Ce sont aussi des infos en vidéo qui permettent de conserver l’intérêt du lecteur pour un sujet récurrent. Je comprends que Max souhaite que nous affirmions la qualité rédactionnelle de Libé en valorisant le suivi de l’Affaire Natacha.
Mon problème c’est qu’à cet instant précis, je n’ai rien de nouveau à balancer, et il est déjà trop tard pour que je me rende au commissariat de police d’Hyères.
Je préfère prendre mes marques en rangeant mes affaires, en organisant mon plan de travail avant d’aller découvrir la place Daviddi, située au cœur du quartier de l’Ayguade, que m’a recommandée la fille de la réception. Il paraît qu’on y trouve des glaces maison et un bar où l’on sert de bonnes bières pression.
Ce sera mon programme aujourd’hui. Je vais aller tendre l’oreille et mesurer l’impact, auprès de la population locale, de la remise en liberté du principal suspect de cette affaire.
Été 2017 -Porquerolles
UN AN AVANT L’AFFAIRE
Juillet 2017, la saison bat son plein à Porquerolles. Tous les quarts d’heure, 340 passagers débarquent de l’un des bateaux de la TLV ou de l’une des autres compagnies assurant les navettes entre le continent et l’île. En moyenne, au plus fort de la saison, ce ne sont pas moins de 10 000 à 12 000 touristes présents quotidiennement sur les plages et les sentiers de randonnées de ce petit paradis qui ne compte pas plus de 400 habitants en hiver.
Sept kilomètres de long sur trois de large, l’île en forme de croissant possède son port autour duquel s’est développé un petit village pittoresque, devenu l’un des quartiers d’Hyères, village bien vivant avec sa mairie annexe, son école, sa poste, sa boulangerie-pâtisserie et ses trois domaines viticoles bios. Les commerces liés aux activités nautiques, sportives et touristiques baissent leurs rideaux en fin de saison. Pour l’heure, c’est l’affluence. Autour de la place d’Armes, les restaurants affichent complet. À La Cigale, Dorothée s’active à servir rapidement les clients tout en veillant à ce qu’ils soient satisfaits de l’accueil, du service, et de l’addition. Originaire de Lyon, formée dans une école hôtelière réputée, la jeune femme connaît son métier. L’hiver, elle est recrutée par un hôtel-restaurant de Tignes. L’été, pour la seconde année consécutive, elle est serveuse à La Cigale.
Aujourd’hui, elle a hâte que le service se termine. Antoine, un des loueurs de vélos de la rue de la Douane, l’a invitée à participer à une randonnée VTT qu’il organise en fin de journée, après le départ des derniers touristes. Il y aura des Porquerollais, des saisonniers comme elle, et quelques commerçants.
Hyérois de naissance, Antoine s’est installé définitivement sur l’île il y a déjà plus de quinze ans. Sa silhouette de quadragénaire sportif, son dynamisme et sa bonne humeur quasi permanente attirent l’attention. Intelligent, sachant manier l’humour avec classe, il ne laisse personne indifférent, à commencer par Dorothée.
La saison passée, ils avaient fait connaissance par l’intermédiaire d’amis communs. Antoine venait de racheter LocaVélo, l’affaire de location de vélos dont il était jusque-là salarié. Ils avaient partagé quelques cafés avant ou après le service, mais rien de plus.
Cette année, à plusieurs reprises, le bel Antoine est venu déjeuner à La Cigale en début d’après-midi, à l’heure où son activité lui offre un peu de répit entre les locations et les retours des vélos.
Il a pris l’habitude de s’installer à l’une des tables offrant une vue sur la rue, et sur ses vélos. Heureux hasard, cette table fait partie de celles dont Dorothée doit s’occuper.
Adepte de footing et de natation, la serveuse ne manque pas d’énergie pour assurer au mieux sa mission.
L’air marin et la générosité du soleil provençal ont donné plus d’éclat encore à son physique élancé de sportive. Son sourire et son regard lumineux accentuent sa personnalité attachante. En un mot, Antoine n’est pas resté insensible lui non plus, au charme de Dorothée. Cette attirance n’est certainement pas étrangère à son invitation à participer à la sortie VTT ouverte à tous.
19 h 30, les dernières navettes maritimes de la TLV quittent Porquerolles à destination de la Tour Fondue. L’île retrouve son calme et un petit groupe se forme rue de la Douane devant LocaVélo. La plupart des participants se connaissent depuis plusieurs années et les nouveaux sont chaleureusement accueillis. On échange quelques banalités sur la journée, quelques blagues sur le comportement et les réflexions de certains touristes, puis Antoine donne le programme de la soirée.
— Je vous propose d’aller jusqu’à la plage du Musso à vélo, où nous attendra mon collègue Vincent avec le cubi de rosé pour un apéro face au coucher de soleil. Nous pique-niquerons sur place puis nous rentrerons juste avant la nuit. OK pour tout le monde ?
— Et si nous ne sommes plus en état de pédaler ? dit en blaguant l’un des participants.
— Eh bien tu rentres à pied ou tu dors sur place, comme lors d’une certaine nuit de la Saint-Jean, si tu t’en souviens !
Éclat de rire général, ce qui sous-entend que le groupe a déjà organisé des sorties communes. Dorothée se sent un peu perdue au milieu de ces personnes visiblement habituées à partager de bons moments ensemble. Antoine ne tarde pas à la rassurer.
— Les amis, ce soir nous accueillons Dorothée qui travaille à La Cigale, je lui ai dit que nous étions un groupe sérieux alors ne la faites pas fuir en lui racontant nos souvenirs les moins glorieux.
Une fois les paniers pique-niques chargés dans la voiturette électrique, Vincent quitte la rue de la Douane en direction de la plage du Musso. Antoine invite ses amis à le suivre.
La traversée du village s’effectue en moins de cinq minutes par la rue de la Ferme avant que le groupe prenne sur la droite, en direction du Mas du Grand Langoustier, à l’ouest de l’île. La joyeuse bande peut profiter à présent des sentiers de randonnées de l’île redevenus déserts après le départ des touristes.
Au fur et à mesure que l’on se rapproche du Musso, Dorothée se sent de plus en plus à sa place au milieu de ces sportifs occasionnels.
— C’est super de nous retrouver après la journée de boulot, confie l’un des participants à Dorothée. Je suis Bernard, je tiens la boutique de souvenirs au coin de la place, juste en face du glacier. Je suis désolé mais je ne vais jamais à La Cigale puisque nous travaillons aux mêmes heures.
— Oui c’est vrai, répond Dorothée. L’an passé, j’allais courir seule du côté de Notre-Dame après ma journée. Et lorsque j’étais en congé, je prenais le bateau pour aller me balader à Hyères, à Toulon et à Saint-Trop’. Ici, en dehors de la place et du port, il n’y a pas grand-chose.
— Détrompe-toi ! Il y a plein de belles choses à voir sur l’île quand on prend le temps de s’aventurer hors des sentiers battus. Pour ça, Antoine est un bon guide et tu vas voir, tu vas rapidement sympathiser avec les Porquerollais qui vont te faire aimer leur village.
— Ce serait sympa parce que j’avoue que je suis plutôt peureuse. Seule, je ne m’éloigne pas du village et encore moins pour aller vers le phare ou même le cimetière.
Antoine ne tarde pas à revenir auprès de son invitée.
— Pas trop rapide l’allure ? lui demande-t-il.
— Non, super !
— Tu connaissais par ici ?
— Non, je n’ai jamais osé venir de ce côté. C’est vraiment gentil de m’avoir proposé cette sortie. Tu en organises souvent ?
— Pas énormément en saison. Nous sommes tous pris par nos activités. Il en faut du temps pour contacter tout le monde et préparer la sortie. En revanche, les uns et les autres, à titre individuel, nous allons régulièrement courir, randonner à pied ou en VTT et profiter des plages. Dans ce groupe, tu vas trouver des personnes pour t’inviter à te joindre à elles.
Le groupe est maintenant arrivé sur la plage du Musso. Vincent y a installé une grande table sur laquelle il a posé le cubitainer de rosé et les plats apportés par chacun.
Antoine offre le premier verre à Dorothée qui ne peut dissimuler sa joie d’être ainsi placée au cœur de la petite fête réunissant une bonne vingtaine de personnes.
L’apéritif se déroule dans une ambiance festive et donne à chacun l’occasion de se présenter. Un peu plus tard, on partage le pique-nique commun. Dorothée offre des morceaux de la fougasse aux lardons que le cuisinier de La Cigale lui a préparée.
Le soleil descend à présent doucement à l’horizon. Porquerolles est l’un des rares endroits de la côte varoise où l’on peut admirer de magnifiques couchers de soleil. La jeune serveuse photographie ce spectacle et partage aussitôt cette photo sur sa page Facebook en y ajoutant ce commentaire « Trop heureuse de découvrir Porquerolles comme je ne l’avais jamais vue. Merci Antoine ».
Guitariste et chanteur amateur, Vincent est sollicité par ses amis pour interpréter quelques chansons de son répertoire. Quelques minutes plus tard, Antoine vient s’asseoir auprès de Dorothée qui lui montre sa publication et les commentaires de ses amis. Les photos sont jolies mais c’est le commentaire que retient Antoine.
— Tu vas faire des jaloux avec tes jolies photos ! Et qui sait, peut-être un jaloux avec ton commentaire ? — Avec mes photos, certainement ! Avec mon commentaire, aucun risque, je ne vois pas qui pourrait être jaloux.
La soirée se prolonge au son de la guitare de Vincent. Aux chansons folk succèdent des airs de blues, puis quelques ballades. L’ambiance est propice à des discussions plus douces et pendant que certains fredonnent les refrains, d’autres écoutent avec attention. Antoine et Dorothée s’isolent et continuent leur discussion à quelques mètres du groupe, avant d’aller marcher au bord de l’eau.
— Ah cet Antoine, il ne changera pas ! Dès qu’il y a une belle nana il faut qu’il tente sa chance, plaisante un de ses amis.
Il est temps à présent de penser à revenir au cœur du village. Demain matin, tous ouvriront leur commerce à partir de 9 heures Les regards se tournent vers Antoine qui invite le groupe à rentrer. La voiturette ouvre la voie et éclaire le sentier. Un bon moment de rigolade pour les cyclistes.
À l’arrière de ce peloton, Dorothée et Antoine ne cachent pas leur rapprochement. Dès que le chemin devient plus carrossable, leurs mains se joignent et le couple éclate de rire.
Les jours suivants, c’est ensemble qu’on les voit se déplacer. Un amour d’été ou une relation pleine d’avenir, il est un peu tôt pour le dire.
Deuxième jour
BRAS DE FER AVEC LA POLICE
Ma première nuit au Ceinturon m’a rassuré. L’hôtel est calme et je n’entends aucun bruit venant de la rue. Je me suis réveillé en forme, avant même que l’alarme de mon portable ne me sorte des bras de Morphée. À présent, j’ai envie d’un bon café croissant.
La salle des petits-déjeuners de l’hôtel est spacieuse et agréablement décorée. La vue sur l’extérieur me permet d’apprécier le ciel déjà bien bleu et ensoleillé. M. Madoni, le patron, vient me saluer et s’inquiète de savoir si mon installation s’est bien passée.
— La personne qui a réservé pour vous, a bien précisé que vous aviez le sommeil léger et que vous deviez être placé en fond de couloir, côté cour, tient à préciser le patron qui attend en retour ma reconnaissance pour mission accomplie.
— Je suis très bien installé et je vous en remercie. La chambre est spacieuse, lumineuse et au calme. Exactement ce qu’il me faut pour passer un bon séjour. Il m’arrive de travailler tard ou de me lever tôt et le bruit me dérange parce que j’ai le sommeil un peu trop léger.
Quelle hypocrisie dans cet échange. Lui est simplement ravi de louer une chambre pour dix nuits consécutives et moi, je souhaite simplement passer pour un client sympathique, afin de profiter au mieux de ma présence en ces lieux.
— Dites donc M. Madoni, vous qui devez connaître Hyères comme votre poche, auriez-vous une bonne adresse à m’indiquer pour louer un véhicule durant mon séjour ?
— Oui, bien sûr. Il y a les loueurs à l’aéroport. Ce n’est pas loin d’ici et les principales sociétés y possèdent toutes un parc automobile important. Je suis certain que vous allez y trouver le véhicule qu’il vous faut. Pour vous y rendre depuis l’hôtel, rien de plus facile, il y a le bus de la ligne 102 qui s’arrête au coin de la rue et vous dépose à l’entrée de l’aéroport quatre minutes plus tard. Mais si vous souhaitiez vous y rendre en dehors des horaires de passage des bus, je pourrais vous y conduire.
— Vous êtes bien aimable. J’abuserais peut-être de votre gentillesse.
— Le chauffeur de taxi qui vous a déposé hier est un ami, tient-il à préciser. Il m’a dit que vous êtes journaliste à Libération. Ce n’est pas la première fois que nous accueillons des personnalités. Il y a beaucoup d’artistes qui habitent dans la région et il y a eu plusieurs tournages de films ici. Chaque fois, nous avons su répondre aux demandes de discrétion de nos clients célèbres.
Je profite de cette fin de phrase pour fixer mes conditions, tout en regrettant de m’être montré trop bavard pendant le trajet entre la gare et l’hôtel. Les propos de Madoni me décident à ne pas recontacter ce chauffeur de taxi contrairement à ce que j’avais prévu. J’imagine que tous ses collègues toulonnais savent déjà qui je suis et pourquoi suis-je ici. Mon enquête ne peut aboutir que si je travaille dans la discrétion, avec le concours, volontaire ou non, d’informateurs locaux.
— Oh non M.Madoni, je ne suis pas une personnalité, et je ne viens pas tourner dans un film. Je viens pour enquêter sur la disparition de la touriste sur l’île de Porquerolles. En revanche, sans vouloir vous imposer le silence, puis-je effectivement compter sur votre discrétion en vous demandant de ne pas ébruiter le fait que je loge chez vous ? Si notre assistante n’a pas jugé utile de vous préciser que j’étais journaliste, c’est que, comme tous mes confrères, je préfère travailler sereinement dans l’anonymat.
— Je comprends bien, soyez assuré que je respecterai votre tranquillité, se sent-il obligé de préciser immédiatement.
Renseignements pris sur internet, il y a effectivement un large choix de véhicules à l’aéroport Hyères-Toulon situé à l’extrémité de la route qui longe la mer, à moins de deux kilomètres de l’hôtel. Une aubaine. Le prochain bus qui va m’y conduire marquera un arrêt à cinquante mètres de l’hôtel d’ici une petite heure. Je ne vais pas déranger Madoni. Je décide de sauter dans le prochain bus.
Avant cela, il me faut contacter le commissariat de police pour tenter d’avoir quelques infos plus fraîches que celles qui traînent sur les réseaux sociaux et tournent en boucle sur BFM et ITélé, fraîchement rebaptisée Cnews.
— Allô, le commissariat de police d’Hyères ? Je suis Jeff, journaliste à Libération. Je souhaiterais parler à la personne en charge de l’enquête sur l’Affaire Natacha.
Ma correspondante semble agacée par ma demande et me laisse un moment sur attente téléphonique avant de revenir vers moi.
— Les enquêteurs sont actuellement sur le terrain et de plus, nous n’avons aucune nouvelle information à communiquer à la presse, précise-t-elle, croyant se libérer facilement de l’emmerdeur que je représente pour elle.