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"Les bernaches sur la petite mer", recueil de poèmes écrits au fil des jours au bord de la rade de Lorient, invite à la découverte d’une vie multiforme et fragile, suspendue par l’irruption d’un virus. La gestion administrative de la pandémie sépare alors les hommes les uns des autres, d’eux-mêmes et de leur milieu. La pandémie agit tel un grand vent où chacun fait face à sa vérité. Quand elle recule, les bernaches reviennent, comme chaque année.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Paule Opériol, naviguant entre la rade de Lorient et les paysages du plateau de Millevaches, a consacré une grande partie de sa carrière au service public de l’environnement, avec un intérêt particulier pour l’eau et les écosystèmes aquatiques. Dans son œuvre poétique, elle allie le pouvoir des mots à une profonde sensibilité écologique.
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Paule Opériol
Les bernaches sur la petite mer
Recueil
© Lys Bleu Éditions – Paule Opériol
ISBN : 979-10-422-3306-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
C’est une mince ligne pas tout à fait continue qui vibre de lumière,
une irisation qui sépare le gris plein secoué de reflets changeants,
et ce doit être la mer,
de l’autre gris, le ouaté, l’immobile, gonflé d’eau et prêt pour l’aquarelle,
et ce doit être le ciel.
Mais l’œil s’y perd parfois et ne sait plus où est la mer où est le ciel.
Et sous cette ligne voilà qu’une autre s’esquisse, plus incisive et hérissée,
plus épaisse, ligne de hampes et de déliés à l’encre de Chine,
autant de plumes qui grattent la page, et s’en détachent.
Irrégulière, et bientôt battante et bruissante aussi,
elle s’arrache de l’eau, sans légèreté,
elle emporte son plein de gouttes qui retombent en pluie
et la lumière y ébaucherait timide un arc-en-ciel.
La voilà qui se rassemble, s’ordonne, se discipline.
Elle amorce une trajectoire très légèrement ascensionnelle
et bientôt franchit la ligne mer-ciel qu’elle semble suivre d’abord,
tout le temps qu’il faut pour obtenir des battements synchronisés,
un seul mouvement de toutes ces ailes,
tout le temps nécessaire pour prendre l’air au-dessus de la petite mer.
L’oiseau guide a pris la tête désormais et il emmène le groupe, plus haut.
Il vire insensiblement cap au nord, dessine un ample virage
vers une nouvelle anse, une vasière, un refuge.
Cela discute encore en vol, négocie peut-être les buts et les fins,
mais le groupe s’étire, accordé,
chaque bernache à égale distance de celle qui la précède.
À quel moment les deux courbes se sont-elles séparées ?
L’œil n’a rien perçu et déjà la mer est un miroir où le groupe s’offre au jeu de la symétrie.
Les deux courbes s’éloignent l’une de l’autre
et les deux s’éloignent du point d’observation.
Il y a ce moment magique où le groupe de bernaches tient le pinceau,
dessine des formes simples : amphores, ventres de guitare, arches doubles…
et les efface pour tenter une nouvelle et improbable ondulatoire.
Tout est mouvement qui naît et se dissout dans l’air piquant du matin.
L’œil les suit encore, tendu à l’extrême,
et puis finalement les toits de Port-Louis les avalent.
C’est fini, le mouvement s’en est allé, le silence remplit l’espace.
Sur la petite mer d’autres familles s’en vont paresseusement,
elles seront peut-être d’un prochain voyage.
De nouveau il n’y a plus que cette ligne d’irisation
entre le ciel immobile
et la mer qui monte lentement.
Sur les plages s’échouent maintenant les méduses.
L’hiver les bernaches, pas du tout échouées celles-là,
bien vivantes et régnant sur leur anse,
et l’été les méduses, de vraies naufragées oui.
Sur le rivage, entre deux eaux,
on les regarde encore avec respect, à bonne distance,
qui de nous deux est à sa place et en son milieu ?
La peur de la brûlure intense suffit à restituer l’ordre des choses
et l’on s’éloigne de quelques brasses.
Mais les voilà gros corps gélatineux étalés sur le sable,
toute dignité perdue,
ballons dégonflés que les enfants s’enverront dans les jambes
en hurlant et frissonnant de crainte à moitié jouée.
Encore un peu translucides au grand soleil,
mais déjà méconnaissables,
roulées à chaque marée dans le sable qui les pane.
Se remettra en selle ? La vague pourrait soulever ce corps,
le ballotter jusqu’à la vie nouvelle, mais à la fin elle le dépose,
tout à fait indifférente – c’est une vague,
et s’en va là-bas se jouer d’un autre crabe.
Où sont les tentacules et leurs ventouses ?
Où sont les plis de la robe et l’éventail de majesté ?
Et de l’ombrelle ne reste que cette matière flasque,
bientôt puante, que les insectes déjà dépècent,
menu, menu.
Et toujours nous revenons vers cette immensité.
La lande verte et jaune, toute chamboulée de creux et bosses
— on la dirait bombardée d’hier
et creusée aujourd’hui de galeries où courent les lapins –
percée d’étangs et de ruisseaux intermittents
dont on ne sait très bien s’ils coulent vers la mer
ou si d’elle ils se remplissent,
le savent-ils eux-mêmes ?
Passée la hauteur, là où la dune se casse et forme une falaise,
l’œil découvre le large feston blanc de l’écume qui sépare
le sable,
infinie variation des ocres aux gris,
et la mer,
toutes nuances des bleus aux verts et des violets au plomb,
c’est selon et ça n’est jamais avaricieux.
Les vagues tantôt s’y brisent en grands fracas,
tantôt s’avancent comme des équipages de cinq chevaux écumants.
Plus loin, au-delà des arches et des arches qui se répètent comme en miroir,
au-delà de la presqu’île de Gâvres et de l’embouchure de la rade,
l’air vibre autour des cubes d’immeubles blancs.
Là-bas est la ville.
Et à 180° au sud, le cordon dunaire poursuit sa courbe
loin en mer et s’avance vers Belle-Île.
Entre les deux, et par-delà les grandes arches répétées,
à perte de vue l’océan.
Le loin. Le vaste. L’infini presque,
et au bout du presque infini, l’Amérique.
Quelques balises encore, quelques navires encore
aussi loin que l’œil embrasse,
et ce sentiment de profonde, profonde et indéfectible liberté.
Des enfants creusent entre les rochers
ils s’éclaboussent en criant et les parents surveillent du coin de l’œil,
des chiens courent et s’ébrouent que leurs maîtres renvoient au loin
– on lit la joie dans leurs bonds et sur leur gueule –
des surfeurs guettent la vague et parfois la chevauchent
et parfois s’y engloutissent.
Au loin vers la ville de grandes ailes colorées dansent dans le vent
et on lit les sautes et les saccades du vent qui brise leur élan.
Ici sur le sable ferme un char file toute voile gonflée,
et croise un groupe de cavaliers qui vient d’engager les chevaux au galop.
Des couples passent, marchent, courent,
des jeunes femmes, des hommes âgés, des groupes mixtes,
et parfois ils s’arrêtent et se retournent.
Ils s’emplissent de l’air, du vent, de l’océan immense,
on les entend s’émerveiller une fois encore de tant de beauté,
et ils repartent. Émus.
Incrédules encore qu’on ait pu les en priver,
ils se jurent qu’on ne les y reprendra pas.
Le sable porte la trace de tous ces passages,
pattes d’oiseaux et pas des hommes,
fins reliefs de l’eau qui se retire,
amas soudain de galets et de sables grossiers,
pigment vert des phytoplanctons et longues algues brunes,
autant de tableaux d’artiste qu’il suffirait de cadrer,
il y en aurait une infinité,
et chacun unique et éphémère,
car tous, tous,
comme de grands tableaux noirs,
la prochaine marée les efface.
Mon amour est étendu sur la plage
inerte et vêtu seulement d’un fin sourire moqueur