Ma réussite…à tout prix ! - Jacqueline AYINA - E-Book

Ma réussite…à tout prix ! E-Book

Jacqueline AYINA

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Beschreibung

‘Ma réussite… à tout prix’ est un recueil de cinq nouvelles dont les personnages principaux sont des femmes à la poursuite du bonheur.
Pour ce faire, Carole, Elisabeth, Marie-Pascale, Louise et Hélène devront faire des choix qui ne s’avéreront pas toujours être les meilleurs, mais qu’elles essaieront d’assumer jusqu’au bout. Elles seront accompagnées tout au long de leurs parcours et quêtes par leurs amies et leurs mères, ce qui engendrera souvent un certain conflit générationnel et au milieu d’ennemis parfois insoupçonnables, elles devront dealer avec les réalités sociétales d’une Afrique particulièrement patriarcale.
Pour être heureuses et réaliser leurs rêves, jusqu’où nos héroïnes seront-elles prêtes à aller ? que devront-elles endurer et sacrifier ? c’est ce que vous découvrirez en parcourant ces nouvelles dans lesquelles se croisent, sans fin, des thèmes comme l’infidélité, la sexualité, la sorcellerie, la place et l’importance de la jeune fille dans la société africaine, la foi, les violences conjugales… des nouvelles qui pourraient, somme toute, être le reflet de votre propre miroir.



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Copyright © 2022 Jacqueline AYINA

Tous Droits réservés.

ISBN : 978-2-38454-304-5

Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective.

Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Jacqueline AYINA

MA RÉUSSITE... À TOUT PRIX !

LE TEMPS D’UN MARIAGE

J’étais assise sirotant un verre de jus de fruits bien frais, essayant tant bien que mal de lutter contre la fièvre qui montait en moi, lorsque mon téléphone sonna. Je soupirai en reconnaissant le numéro qui s’affichait : c’était celui de la plus grande commère de tous les temps. J’hésitai à décrocher. Dans une heure je devais me rendre au tribunal pour une plaidoirie, laquelle je le sentais ne serait pas de tout repos. Ma cliente voulait la plus grande partie de la fortune de son mari or, c’est contre elle qu’il y’avait des preuves d’adultère. Bien entendu, selon elle, la cause de cette infidélité n’était autre que monsieur son époux qui ne s’occupait pas assez d’elle et l’humiliait sans cesse. Elle me fatiguait avec son maquillage outrancier et cette manie qu’elle avait de penser qu’il suffisait qu’elle fasse couler des larmes de crocodile pour qu’on la croie innocente de tout péché, sans compter que c’était un vrai moulin à paroles exactement comme celle qui à l’autre bout du fil ne voulait pas lâcher l’affaire et s’ingéniait à m’appeler encore et encore. Je finis donc par décrocher :

–  Allô  ? murmurai-je déjà lasse.

–  Jennifer  ? J’espère que je ne te dérange pas.

Bien sûr qu’elle me dérangeait, mais elle ne me laissa même pas le temps de répondre et reprit :

–  Tu ne devineras jamais ce que je viens d’apprendre, lança-t-elle d’une voix surexcitée.

Et voilà, pensai-je, Violette, puisqu’il faut la nommer, était d’humeur à jouer aux devinettes aujourd’hui, ce qui n’était en rien une bonne nouvelle pour ma patience que j’avais souvent du mal à maitriser face à ce genre de personnes. Et puis c’était quoi ce prénom  ? je m’étais toujours demandé où est-ce que ses parents étaient partis le pêcher. Il ressemblait si peu au personnage  ! La principale concernée, elle, claironnait haut et fort à qui voulait l’entendre que c’était en hommage à une amie française que sa mère lui avait octroyé ce prénom si peu courant sous nos cieux. Vérité ou complète affabulation, seule Violette le savait et avec le temps je m’étais rendu compte que mieux valait prendre avec extrêmement de pincettes tout ce qui sortait de la bouche de cette fleur.

–  Accouche Violette, mon cerveau est en pause et ne veut faire aucun effort pour redémarrer, soufflai-je agacée lorsque je me rendis compte que le silence s’était fait à l’autre bout du fil. Assurément elle attendait, espérant que je me livre à son petit jeu.

J’entendis un grognement désapprobateur.

On t’a déjà dit que ce n’est pas avec ta façon de t’exprimer comme un homme-là que tu trouveras un mari  ; au contraire, tu les feras tous fuir.

–  Eh attends  ! j’espère que ce n’est pas pour m’annoncer que tu m’as enfin trouvé le prince charmant que tu m’appelles  ! ironisai-je.

Mon célibat était le principal sujet de conversation de ceux qui gravitaient autour de moi.

–  J’ai bien mieux à faire, oui  ! jeta-t-elle dédaigneusement.

–  Nul doute qu’elle continuait à m’en vouloir de la manière dont j’avais traité le dernier homme en date qu’elle m’avait présenté, mais, comment en aurait-il été autrement  ? Le monsieur était incapable de placer une dizaine de phrases sans parler de sa mère  !

Te souviens-tu de Carole  ? me demanda-t-elle.

Je levai les yeux au ciel. Des Carole, il y’en avait tellement  ! C’était quoi cette question à la con  ?

–  Es-tu sérieuse, là  ? Tu connais une seule Carole, toi, bougonnai-je, décidément de mauvaise humeur.

–  Mais dis donc, tu es bien pénible aujourd’hui, toi, laissa tomber Violette d’une voix vexée.

Elle avait raison. Ce n’était pas de sa faute si les prochaines minutes qui allaient suivre compteraient parmi les plus infernales de ma vie professionnelle. C’est vrai que j’aurais pu tout aussi bien refuser cette cliente, car, dès les premières minutes de notre rencontre, j’avais su qu’elle me donnerait des migraines, mais il fallait bien que je paie mes factures.

–  Excuse-moi Violette. J’ai une affaire assez difficile sur les bras. De quelle Carole parles-tu  ? demandai-je, faisant preuve d’un semblant de courtoisie.

–  Je n’arrive pas à retrouver son nom, mais il s’agit de la nouvelle : la snobinarde qui était toujours dans son coin là. À se demander ce qu’elle venait même souvent faire aux réunions, essaya-t-elle de m’expliquer.

Je ne voyais toujours pas à qui elle faisait référence. Il faut remarquer que nous n’avions sûrement pas la même conception des choses. Pour elle, snobinarde renvoyait sans doute à quelqu’un qui n’avait pas le même goût pour les plaisanteries à deux balles que Violette affectionnait et les conversations dont le principal but était de casser du sucre sur le dos des absents. À cette pensée, je frissonnai. Je connaissais en effet une Carole qui correspondait à cette image. Mais qu’avait-elle fait qui pouvait bien intéresser notre Violette  ?

–  Mais Jennifer, toi aussi  ! ne me dis pas que tu ne voies pas de qui je parle  ? Celle qui était mariée au pétrolier, ajouta-t-elle.

Oui il s’agissait bien de la même personne, mais pourquoi utiliser le passé, me demandai-je.

–  Oui je me souviens d’elle, admis-je à contrecœur, qu’a-t-elle fait  ?

–  Tu n’imagineras jamais ce qu’il lui est arrivé, il parait qu’elle est morte  ! laissa-t-elle tomber sans autre forme de procès.

Le verre de jus que je tenais m’échappa des mains et se répandit sur la moquette et bien qu’il ne contenait plus que quelques malheureuses gouttes, je ne pus m’empêcher de pester de dépit, mais c’était plus pour me donner une certaine contenance qu’autre chose. J’essayais avec difficulté de rassembler mes esprits. Cela faisait à peine une dizaine de jours que je l’avais vue, Carole. D’ailleurs, elle m’avait surprise en arrivant jusqu’à mon bureau. Je ne me souvenais pas lui en avoir parlé les quelques rares fois où nous avions pu échanger quelques mots. Nous appartenions toutes à une des nombreuses réunions des anciens élèves de… quoique je n’arrivais pas à me souvenir de cette Carole au teint clair et aux yeux de biche dans lesquels ne se lisait en général aucune espèce d’émotion. Vu son âge, je pense qu’elle devait être de deux ou trois classes en avance sur moi. Je fis des efforts pour me concentrer sur ce que Violette débitait d’une voix surexcitée au bout du fil.

–  Elle serait morte il y a de cela deux jours de suite d’une courte maladie. Le plus étrange dans cette histoire c’est que l’enterrement doit avoir lieu ce weekend et les gens se demandent pourquoi le faire aussi rapidement.

Voilà, je comprenais maintenant le pourquoi de ce coup de téléphone. Derrière les « gens » se cachait une Violette qui développait une nouvelle théorie du complot et espérait trouver quelqu’un qui irait dans le même sens qu’elle. Je ne mordis pas à l’hameçon.

–  Je ne vois pas ce qu’il y’a d’étrange à cela, ils ont les moyens d’organiser son deuil aussi vite et puis, ça dépend du point de vue de chacun : les musulmans enterrent bien leurs morts le même jour, arguai-je machinalement tout en essayant d’amortir le choc que l’annonce de Violette avait provoqué.

–  Vous êtes hors sujet, Maitre : il s’agit d’une question de religion chez les musulmans et puis, ce n’est pas juste une question de moyens, mais aussi d’organisation non seulement de la part de la famille, mais également des connaissances, insista-t-elle en prenant un ton docte. Les gens ont déjà leurs programmes établis, en général, au moins pour la semaine qui suit. Là, il faudra caler un deuil subit au milieu de tout ça. À moins bien sûr qu’ils ne veuillent pas que les gens assistent à ce deuil et donc qu’ils ont quelque chose à cacher, acheva-t-elle.

Et voilà  ! j’avais raison  !

–  Et moi je crois que tu te fais trop de films dans ta tête, ironisai-je.

–  C’est ça  ! on ne me croit jamais, bouda-t-elle à l’autre bout du fil.

–  Je me retins à grande peine de lui faire remarquer que « comme on fait son lit et comme on se couche ». Cette réputation de commère, elle l’avait bien cherchée. D’un autre côté, avec tout ce que je savais et en y réfléchissant bien, l’idée de Violette ne me semblait plus aussi incongrue que ça, mais,, il était hors de question que je le lui avoue.

–  Merci pour la nouvelle Violette, mais là, il faut que je coure au tribunal, prévins-je.

–  Non attends  ! tu ne m’as pas dit si tu te rendras à ce deuil, voulut-elle savoir.

Je n’avais pas le temps de réfléchir à cette question.

–  Écoute, Violette, je ne sais pas encore. Envoie-moi par SMS tout le programme, s’il te plait, et je verrai.

–  OK. En tout cas si tu y vas, fais-moi signe et on s’y rendra ensemble. Je n’ai pas envie de me retrouver seule là-bas, sans une personne connue à mes côtés.

J’acquiesçai  ; donc, elle avait même prévu de s’y rendre, pensai-je. Tout ce mélodrame sur les programmes déjà établis et patati et patata ne la concernait apparemment pas.

Lorsque je rentrai chez moi ce soir-là, j’étais fatiguée et un marteau imaginaire s’amusait à cogner sans interruption dans ma tête. Le divorce de ma cliente avait finalement été prononcé et le juge ne s’était pas fait prier pour lui donner de petites leçons de morale s’étendant plus que nécessaire sur son comportement qu’il qualifia d’indigne. Quels principes et quelle éducation inculquerait-elle à ses enfants  ? Elle qui symbolisait, comme toute femme, la mère de l’humanité et qui se devait d’être un exemple de dignité, de droiture, d’exactitude et blablabla. Je détestais ce juge qui se permettait de donner des leçons à tout va alors qu’il n’avait pas hésité à me faire du rentre-dedans durant des mois et ce bien que marié depuis une vingtaine d’années avec une ribambelle d’enfants à son actif. Pitoyable  !

La fraicheur du sol sous mes pieds me détendit instantanément. J’aimais marcher pieds nus sur un sol propre et ma fidèle Chimène le savait. Elle passait la serpillère dans mon appartement juste avant de partir et elle laissait le climatiseur allumé les jours de grosse canicule comme aujourd’hui. Pas un grain de poussière ne dépassait. J’aimais vivre dans cet environnement aseptisé. J’aimais ce calme qui me permettait de me détendre pleinement après une journée de dur labeur, ce qui n’aurait jamais été possible avec un ou deux mioches dans les pattes. C’est péjoratif, je sais et je m’en excuse. Je ne cherche pas à renier le rôle fondamental de notre existence sur terre qui est de perpétuer la race humaine, je fais juste partie de ces rares femmes qui se sentent plus heureuses de siroter un verre de vin devant un bon film que de bercer un bébé geignard et grognon. Voilà pourquoi ma deuxième chambre bien que totalement meublée était 363 jours sur 365 désespérément vide sauf, lorsque ma mère me faisait l’immense honneur de passer la nuit chez moi. Elle préférait de loin rester chez ma grande sœur qui avait, elle, besoin de quelqu’un pour l’aider à s’occuper de ses enfants et qui trouvait en ma mère la parfaite nounou. C’est vrai que je lorsque je prenais le temps de vraiment y réfléchir, mon refus d’avoir des enfants n’était pas seulement dû à la volonté de toujours pouvoir jouir de mon calme sans coup férir et de mon besoin de propreté poussé à l’extrême  ; la raison principale était bien plus profonde que ça, mais je préférais l’occulter.

Je fus interrompue dans mes pensées par la sonnerie de mon téléphone. Je jetai un coup d’œil distrait sur l’écran, question de savoir qui m’appelait : aucun nom n’était affiché. Je soupirai me demandant si oui ou non il fallait que je décroche, je n’étais pas d’humeur à parler à qui que ce soit, mais, mon professionnalisme repris le dessus. On ne savait jamais : cela pouvait être un client à l’autre bout du fil.

–  Allô  ? murmurai-je d’une voix lasse.

–  Ah, tu daignes enfin décrocher lorsque tu ne sais pas qui t’appelle. Dois-je en déduire que tu m’évites sciemment  ? fit une voix d’homme bien connue à l’autre bout du fil.

Je grommelai intérieurement : j’aurais dû suivre ma première idée et laisser sonner. Ça m’aurait évité une conversation fatigante et dénuée de tout intérêt. Roger faisait partie de ces hommes qui se prenaient pour les plus beaux, les plus intelligents, les plus charismatiques, bref qui n’alignaient que des superlatifs à leurs qualités  ; plus narcissique, tu meurs. Je l’avoue, au début, j’avais été conquise par ce qui m’avait tout d’abord apparu comme étant la marque d’une grande confiance en soi. J’avais toujours été attirée par les hommes sûrs d’eux d’ailleurs, je trouvais cela assez sexy. Mais j’avais vite compris qu’il s’aimait trop pour pouvoir aimer une autre personne et que ce n’est pas d’une épouse dont il avait besoin, mais plutôt d’un faire-valoir et d’une admiratrice qui flatterait encore plus son égo surdimensionné, un rôle dans lequel je ne me voyais pas du tout. Aussi dès que le monsieur avait commencé à parler de mariage, j’avais battu en retrait, trouvant mille et une excuses pour remettre nos rendez-vous à plus tard. Malheureusement, ce dernier, imbu de lui-même, ne voulait pas voir ce qui pourtant sautait aux yeux et moi, je n’avais aucune envie de me lancer dans une longue explication où je serai la seule à comprendre les « pourquoi » et les « comment ». Alors, je sortis la vieille carte du travail trop prenant et tout ce qui va avec. Cinq minutes plus tard, je décidai de faire fondre deux comprimés effervescents d’Efferalgan dans un verre d’eau  ; le remède miracle à mes maux de tête et à ma fièvre que je trimbalais depuis le matin. Je serais dans l’obligation de consulter un médecin le lendemain si mes symptômes persistaient. Tout en sirotant mon verre de médicaments, je m’amusais avec la télécommande de la télé, zappant d’une chaine à l’autre, à la recherche d’un programme intéressant, mais mes pensées me ramenaient inlassablement à Carole  ; sa mort me semblait tellement improbable  !

Une dizaine de jours plus tôt, ma secrétaire avait ouvert la porte de mon bureau pour laisser entrer une Carole gauche et un peu mal à l’aise, qui avait aussitôt fondu en excuses pour ne pas avoir pris de rendez-vous au préalable. Mais, j’avais su trouver les mots justes pour la détendre et la Carole timide avait fait place à une Carole blagueuse, qui n’avait pas hésité pas à me taquiner sur le choix de l’immeuble dans lequel j’avais pris mes quartiers  ; un bâtiment à moitié défraichi en plein centre-ville. Il était clair que le bailleur ne s’était jamais dit qu’un coup de peinture et quelques travaux de rénovation seraient les bienvenus. Il devait juste se contenter d’attendre patiemment la fin du mois pour compter allègrement les montagnes de billets, qui devaient s’accumuler devant lui, sans penser le moins du monde que ceux qui les lui donnaient méritaient un tant soit peu de salubrité.

Elle m’avait fait rire en me racontant non seulement comment après avoir tourné en rond pendant une bonne vingtaine de minutes pour pouvoir se garer, elle avait pu piquer une place de parking à la barbe et au nez d’une dame blanche qui n’avait apparemment pas maitrisé tous ses cours sur le créneau et ensuite, comment elle avait dû passer près de dix minutes supplémentaires à essayer de se refaire une beauté, car une fois garée, elle s’était rendu compte que sous le coup des efforts qu’elle avait fournis, ses cheveux allaient dans tous les sens. Or dans notre société où l’apparence est primordiale, la grosse voiture doit s’accompagner de bijoux en or, d’une coiffure impeccable, de chaussures et de sacs de marque même si la plupart des femmes qui les abhorraient ne savaient pas qu’en réalité c’étaient de pâles copies d’une imitation, elle-même, assez pâle de l’original. Pathétique  ! Elle m’avait ensuite complimentée sur la décoration de mon bureau : en effet, vu l’état de délabrement avancé de l’extérieur, qui ne faisait pas du tout avocate respectable, elle ne s’attendait pas à trouver une telle « pépite d’or » à l’intérieur.

En quelques minutes, elle m’était devenue sympathique. J’aimais son franc-parler, cette façon qu’elle avait de faire passer un message sous des blagues que l’on croirait de prime abord parfaitement anodines. J’étais subjuguée  ! aussi, lorsqu’elle avait laissé tomber l’air de rien qu’elle voulait divorcer, je n’avais pas tout d’abord saisi la portée de ce qu’elle venait de dire. Il m’avait fallu quelques secondes pour que ses paroles se frayent un chemin jusqu’à mon cerveau.

–  « Pardon »  ? avais-je demandé, encore sous le choc. Je m’étais bien doutée qu’elle n’était pas venue me voir pour parler du dernier voyage à Dubaï de la présidente de notre association ou bien du salon de beauté dernier cri qu’avait ouvert une de nos consœurs, mais je ne m’attendais pas à ça  !

Elle avait levé des yeux tellement candides sur moi, que je m’étais dit que j’avais sûrement rêvé. On n’annonçait pas qu’on voulait divorcer de manière aussi désinvolte, mais elle l’avait répété. J’essayais de ne pas souvent prêter attention aux bruits de couloirs autour de moi, mais Carole était l’exemple du mariage réussi dans notre groupe. Son mari, pétrolier, lui octroyait une vie de reine avec son salaire à sept chiffres. On ne leur connaissait aucun scandale  ; en tout cas aucun qui était arrivé jusqu’aux oreilles de Violette, l’informatrice attitrée du groupe, puisqu’elle savait tout sur tout le monde. Alors, divorcer  ?

–  « Cela t’étonne hein  ? je sais tout ce qu’on raconte sur moi et à moins de m’être malencontreusement amourachée de mon jardinier, je n’aurais aucune raison de vouloir mettre fin à mon mariage, avait-elle plaisanté. Encore que même dans ce cas, le plus intelligent serait de tuer mon époux et non de le quitter », avait-elle ajouté, pince-sans-rire

Ttoujours cette pointe d’humour un peu noir  !

–  « Certes je suis un peu surprise, mais, je crois que tu as de solides raisons pour en venir à de telles extrémités», avais-je laissé tomber froidement, l’avocate reprenant ainsi le dessus sur la femme.

–  En effet en quelques minutes, j’avais cerné le personnage et j’étais intimement convaincue du bien-fondé de sa démarche laquelle, j’en étais sûre, n’avait rien à voir avec des amourettes clandestines.

Son regard s’était soudain durci et elle avait lâché d’une voix blanche :

–  « Je n’ai pas besoin de te dire que tout ce que je te confierai ici devra rester entre nous. »

Ses paroles me blessèrent et mon égo en prit un coup au passage.

–  « Si tu n’as pas confiance en moi, pourquoi es-tu venue  ? » avais-je demandé, une pointe de colère dans la voix.

Nous nous étions défiées du regard durant quelques secondes.

–  « “Je suis désolée de t’avoir froissée, ce n’était pas mon but », avait-elle finalement murmuré.

J’avais fondu devant sa mine contrite de petite fille prise en faute.

–  « Ne t’en fais pas, je te comprends, avais-je concédé. C’est difficile d’avoir une vie réellement privée dans notre milieu où la médisance et la calomnie font office de loisirs et malheureusement, ton mariage a fait de toi la cible de plus d’une car, tu es considérée comme ayant épousé la poule aux œufs d’or. »

–  « En effet, avait-elle acquiescé. Je sais que ma place et ma position sont enviées par plus d’une et on se demanderait de quoi je me plains ramenant tout à mon potentiel compte en banque, mais, je suis bien placée pour savoir que l’argent ne fait pas le bonheur quoiqu’on dise ».

J’avais souri et lancé dans un trait d’humour :

–  « Cela dépend de la somme dont il est question ».

Elle avait soulevé un sourcil, sceptique, et avait murmuré :

–  « Quel que soit le montant, mais, là, ce n’est que mon avis ».

Puis, elle s’était mise à me raconter son histoire, l’histoire d’un mariage.

Elle avait rencontré son mari alors qu’elle n’avait que vingt-trois ans et venait juste d’avoir sa licence en Sciences de Gestion. C’était un dimanche soir à l’église. Il était assis derrière elle et lorsqu’il avait fallu « se donner la paix », elle s’était retournée tout naturellement et il lui avait souri. Ce fut un des plus beaux sourires qu’elle n’ait jamais vus. À la sortie, il l’attendait visiblement et l’air de rien, il lui avait emboité le pas, se présentant et parlant de la pluie et du beau temps. Il l’avait installée dans un taxi et avait poussé la galanterie jusqu’à vouloir lui payer la course, mais, elle gardait un précepte bien appris de sa mère : ne rien accepter d’un inconnu. À la dernière minute, elle avait quand même fini par lui lancer son numéro de téléphone à travers la vitre baissée du taxi. C’est ainsi que leur histoire commença.

Il était le benjamin et le seul garçon d’une famille de trois enfants. À cette époque, il était en dernière année de pétrochimie et avait déjà un poste réservé dans une célèbre entreprise de la place, et ce, grâce aux multiples connaissances de sa mère qui avait un important siège au sein du parti au pouvoir. Une femme de poigne qui savait habilement la cacher derrière des sourires désarmants. Elle avait porté sa famille jusqu’au firmament à bout de bras, faisant de son mari ce qu’il était et ses filles n’étaient pas en reste. Il ne fallait pas longtemps pour se rendre compte que c’était elle le chef de famille, le mari étant complètement effacé et n’émettant aucun avis contraire à celui de sa dulcinée  ; pour être exacte, n’émettant aucun avis, quel qu’il soit d’ailleurs.

Il l’avait appelée le lendemain  ; deux mois après il la présentait à sa famille et un an plus tard, ils se mariaient. Elle, avec sa maitrise en poche, un retard d’un mois et demi et lui gagnant déjà très bien sa vie pour quelqu’un qui venait de dire adieu aux bancs d’école.

Lorsqu’elle y repensait, maintenant, avec le recul, elle se disait que tout s’était passé trop vite  ; cela avait été trop parfait et elle aurait dû savoir que ça ne durerait pas. Il passait deux semaines sur la plateforme pétrolière de la société qui l’employait et deux semaines avec elle à la maison. Sa grossesse avait quelques complications et son médecin traitant avait jugé qu’il vaudrait mieux pour elle d’être confinée à la maison, en position couchée de préférence alors, elle fut contrainte de mettre d’abord fin à ses recherches de travail. Elle me fit le portrait d’un mari attentionné et doux la plupart du temps, mais aussi dominateur et extrêmement manipulateur  ; malheureusement pour elle, ces défauts, elle mit du temps à les connaître ou n’avait-elle tout simplement pas voulu les voir. Il n’admettait pas qu’elle lui fasse des reproches quant à ses nombreuses sorties, le soir, avec ses amis. Lorsqu’il rentrait de la plateforme, elle le voulait pour elle toute seule. Elle admettait volontiers qu’elle se comportait parfois de manière puérile, mais, pour elle, la punition était assez disproportionnée. Monsieur décidait alors de ne plus lui adresser la parole et l’ignorait complètement, ne mangeant pas la nourriture qu’elle lui servait et passant le plus clair de son temps au téléphone. Elle se rappela qu’une fois, elle devait se rendre chez son gynécologue, il le savait  ; elle s’était donc apprêtée et avait décidé de l’attendre à la petite véranda attenante à leur cuisine et lui, sans un regard, était passé devant elle, était monté dans leur voiture et s’en était allé Dieu seul savait où et ce, sous le regard goguenard de sa fille de ménage.

Son regard s’était embué à ce souvenir. Elle n’avait pas besoin de mots pour décrire ce qu’elle avait ressenti à ce moment-là, toute son attitude le criait. Je m’étais levée pour lui offrir une tasse de thé, à la camomille, rien de mieux pour la détendre. J’avais compris que les minutes suivantes seraient assez difficiles. Un peu d’alcool aurait été le bienvenu, mais je m’étais rappelé qu’elle conduisait.

Elle avait continué son histoire m’avouant au passage avoir pensé, après cet épisode, qu’il valait mieux pour elle de faire ses bagages et de rentrer chez elle. D’ailleurs, elle avait même commencé à plier ses habits, mais à force de pleurer, elle s’était endormie au beau milieu. Dans son sommeil, peut-être avait-ce été le fruit de son imagination, elle avait alors entendu une voix qui lui avait conseillé de rester, ce qu’elle avait fait.

Quelques mois plus tard, elle avait fini, après une dizaine d’heures de travail, par mettre au monde une fille : son rayon de soleil comme elle l’appelait, et ce sous les regards bienveillants de sa mère et de sa belle-mère. Son mari, quant à lui, se trouvait sur la plate-forme.

Sa vie de maman commença alors. Lorsque son petit frère était né, elle était en pension. En effet, sa mère avait préféré la mettre dans un internat, jugeant que sa fille y serait mieux formée aussi, ne connaissait-elle pas grand-chose sur la manière dont il fallait s’occuper d’un bébé. Les débuts avaient été un peu difficiles pour elle surtout qu’à la même époque, sa fille de ménage s’était enfuie après lui avoir volé une centaine de milliers de francs. Elle s’était donc retrouvée toute seule à devoir tout faire à la maison : ménage, cuisine, vaisselle, lessive, repassage et s’occuper en plus de son bébé. Son mari avait eu un congé de paternité, mais, à sa grande déconvenue, il ne l’aidait pas pour autant  ; ni pour changer les couches de leur fille ni pour lui donner à manger et encore moins pour les tâches ménagères. Elle s’en était plainte auprès de sa belle-mère qui lui avait rétorqué que ce n’était pas un travail d’homme et d’ailleurs, elle n’était ni la première ni la dernière à se trouver dans ce genre de situation alors, d’après elle, comment est-ce que les autres s’en sortaient  ? Sa mère à elle lui avait conseillé de ne faire que le strict nécessaire, nul besoin de faire le ménage tous les jours  ; son bébé devait être sa seule priorité. À partir du moment où sa fille avait de quoi se nourrir et de quoi se vêtir, le reste passait au second plan. Heureusement cet état de choses n’avait pas duré, car, trois mois plus tard, elle put enfin trouver une autre fille de ménage.

Mais cette période l’avait rendue amère, car elle avait découvert un autre visage de son mari qu’elle n’appréciait pas. Quelques mois plus tard, elle avait décidé de se mettre à la recherche d’un travail, et ce contre les avis de son mari et de sa belle-mère qui trouvaient qu’elle serait plus utile à la maison, à s’occuper de leur fille qu’autre chose. Elle n’avait rien voulu entendre et avait déposé son CV un peu partout malheureusement, elle n’avait été retenue nulle part. Sa belle-mère aurait pu lui donner un coup de main, mais cette dernière s’était bien gardée de le faire.

Un an plus tard, elle était de nouveau enceinte : il fallait un compagnon de jeu à sa fille. Elle en avait donc profité pour demander à son mari d’être un peu plus présent pour les enfants et elle, ce qu’il sembla avoir compris. Il sortait moins et passait plus de temps à la maison. Elle accoucha d’un garçon, lequel, pour plusieurs personnes, lui ressemblait trait pour trait. Ce fils, elle l’avait désiré de toutes les fibres de son corps, mais, le petit avait une particularité qui avait failli la mener à sa perte : il ne dormait pratiquement pas et dès qu’on le déposait dans son berceau, il se mettait à hurler à n’en plus finir. À bout de force et complètement épuisée, elle avait fini par l’emmener voir un médecin qui lui avait fait subir toute une batterie d’examens qui s’étaient tous avérés être négatifs : d’après la science, le petit se portait bien, mais il continuait à ne dormir que quelques heures par jour et nuit.

Dans notre culture africaine, on croit en l’existence d’un monde invisible et pas toujours bienveillant aussi, s’était-elle rapprochée d’un prêtre, mais, ce dernier n’avait rien détecté de maléfique chez l’enfant et encore moins dans la maison dans laquelle il avait cependant pris la peine de faire une messe plus pour rassurer Carole qu’autre chose. Tous étaient formels : le petit allait bien et il fallait juste être patient, ça finirait par lui passer.

Elle me confia qu’elle avait failli faire une dépression à cette époque. Elle se rappelait de tous les soleils qu’elle avait vus se lever, tenant son garçon éveillé et pleurant dans les bras pendant que monsieur son mari roupillait tranquillement. Comme elle lui en avait voulu à ces moments-là  ! le petit refusait tout le monde à part sa mère et son mari se cachait derrière ce fait pour ne pas l’aider, ne faisant rien pour que cet état de choses change.

Quelque temps après, il avait trouvé un autre travail encore mieux rémunéré que le premier, mais, à l’étranger. Il ne rentrait alors au pays qu’une fois tous les deux mois. C’est donc lors d’un de ces séjours qu’elle avait découvert tout à fait accidentellement que son mari entretenait une liaison avec une de ses collègues. Il avait laissé son téléphone au salon et était allé dans les toilettes. Carole l’avait pris pour le lui apporter. En chemin, ce dernier avait sonné et s’était illuminé : c’était un message. Sans le vouloir, ses yeux avaient été attirés par l’écran lumineux. Elle avait découvert avec effroi la photo d’une femme nue avec écrit en légende : « voilà de quoi tenir durant ces quelques jours loin de moi ». Son cœur s’était mis à battre à la chamade et c’était d’une main tremblante qu’elle avait accédé à toutes ses conversations téléphoniques avec la dame. Les messages ne laissaient aucune place au doute. Elle s’était effondrée en larmes sur leur lit et c’était là qu’il l’avait trouvée quelques minutes plus tard. Il avait tout de suite compris de quoi il s’agissait et avait arraché le téléphone de ses mains. Elle, prise d’un accès de rage, lui avait demandé des comptes, hurlant, insultant et pleurant à la fois. Une gifle magistrale lui avait coupé le souffle, la faisant taire par la même occasion. Il s’en était ensuite allé sans un regard et sans un mot à son encontre, la laissant prostrée sur le lit, complètement abasourdie. Ce sont les pleurs de son fils qui l’avaient fait sortir de sa torpeur. Après une quinzaine de minutes de sommeil, il s’était à nouveau réveillé. Son mari n’était pas rentré de toute la nuit et il avait été impossible de le joindre au téléphone.

Elle s’était finalement résolue à appeler sa belle-mère à l’aube, lui demandant si elle savait où son fils avait bien pu passer la nuit. Cette dernière n’en avait aucune idée et trois heures plus tard, elle cognait à sa porte voulant des explications. En larmes et sous les yeux de sa petite fille âgée d’un peu plus de deux ans, Carole avait raconté sa mésaventure à sa belle-mère qui l’avait réprimandée. Ce n’était pas pour si peu qu’elle devait se mettre dans un état pareil. Qu’un homme trompe sa femme, cela n’avait rien d’inhabituel, c’est le contraire qui le serait. Se marier, c’est choisir de porter sa croix, car la vie n’est pas parfaite, loin de là. Et puis, elle aussi avait des efforts à faire. En effet, à quand remontait la dernière fois qu’elle était allée dans un salon de coiffure et qu’elle avait porté autre chose que ces kaba1 informes qu’elle affectionnait tant depuis la naissance de son fils  ? Elle n’en revenait pas  ! donc, c’était de sa faute  ? C’était facile d’accuser  ! celle de dehors n’avait pour seul but que celui de séduire le mari d’une autre. Elle, elle avait des enfants à laver, vêtir, nourrir de nuit comme de jour avec en prime quatre heures de sommeil par jour à tout casser et ceci c’était sans compter les tâches ménagères qu’elle devait superviser, car, la fille de ménage profitait du moindre instant d’inattention pour préparer sur une cuisinière sale ou pour ne pas balayer le sol avant de passer la serpillère. En plus de tout ça, il fallait non seulement trouver du temps pour se coiffer, faire une manucure, une pédicure, du shopping, mais, par-dessus le marché, trouver également la force et le désir de remplir son devoir conjugal la nuit. Était-ce possible d’y arriver sans super pouvoirs  ? Sa belle-mère avait acquiescé et lui avait conseillé de trouver très vite le moyen de se transformer en superwoman si elle voulait sauver son mariage, ce qui était plus facile à dire qu’à faire.

Son époux était rentré quelque temps après, l’air penaud, les mains chargées d’une boite de bijoux et d’un bouquet de fleurs  ; nul doute que sa mère avait dû lui faire une leçon. Il lui avait demandé pardon, jurant de ne plus recommencer et elle, amoureuse, elle avait cru et pardonné. Pour qu’ils puissent mieux fêter leurs réconciliations, sa belle-mère avait proposé de garder les enfants le soir, leur permettant de passer une soirée en amoureux. Il l’emmena au restaurant et ce fut l’occasion pour elle d’étrenner la parure en or qu’il lui avait offerte plus tôt. Ce fut l’une des plus belles soirées de leur vie à deux : il s’était montré attentionné et tendre. Il lui avait promis de mettre un terme à cette relation aussitôt qu’il serait de retour sur son lieu de travail  ; ce qu’il fit. Pour preuve, il lui avait envoyé tous les messages qu’ils avaient échangés et dans lesquels il lui faisait part de sa décision. Mais, sa maitresse ne l’entendait pas de cette oreille et s’accrochait, arguant qu’elle était déjà amoureuse de lui. Alors, Carole avait décidé d’agir : elle avait pris son téléphone et composé le numéro de sa rivale, et ce, après s’être rassurée d’avoir assez d’unités pour ne pas être interrompue dans sa diatribe. Elle était tombée sur elle comme un ouragan, déchargeant toute sa rage et son amertume. La pauvre qui ne s’y attendait pas était restée pantoise.

Après cet incident, les rapports entre son époux et elle s’étaient améliorés  ; ils vivaient leur seconde lune de miel. C’est sans doute à cause de cette félicité qu’elle s’embrouilla dans le calcul de son cycle menstruel et se retrouva à nouveau enceinte, ce qui la plongea dans une profonde affliction. Elle avait déjà bien du mal à tenir le coup avec son garçon qui ne faisait toujours pas ses nuits et prenait le malin plaisir à faire des crises à la moindre de ses absences alors, un autre enfant  ? Elle ne se sentait pas prête. Elle avait des sueurs froides rien que d’y penser. Et à force de ressasser ses doutes et ses frustrations, elle devenait de plus en plus irascible  ; une vraie boule de nerfs. Son entourage ne la reconnaissait pas. Elle finit donc par prendre la décision d’avorter, et ce sans en parler à quiconque.

Elle s’était rendue chez une gynécologue et avait exposé son problème. Cette dernière lui avait conseillé avant toute chose de passer une échographie  ; ce qu’elle avait fait. A sa grande surprise, elle avait découvert qu’elle était enceinte depuis bien plus longtemps qu’elle ne le croyait et comme si cela ne suffisait pas, l’échographiste lui avait montré l’écran en souriant, lui faisant remarquer qu’elle attendait non pas un seul, mais, deux bébés. Elle avait cru que son cœur s’arrêtait de battre : son univers venait de s’écrouler. Le praticien n’avait pas compris cette soudaine tristesse et avait tant bien que mal essayé de la réconforter. Être enceinte de jumeaux  ? C’était une grâce. Dans certaines cultures, c’était un signe de bénédiction. Elle, malheureusement, elle le voyait autrement. C’étaient d’autres nuits blanches, c’étaient des journées passées au milieu des biberons et des couches avec pour seule compagnie des hurlements de bébé  ; c’étaient des séjours à l’hôpital et des poussées de fièvre à n’en plus finir à cause des vaccins ou des dents qui poussent ou tout simplement à cause d’infections virales qui ne peuvent pas être traitées à coup de médicaments et à tout cela il fallait ajouter des diarrhées à n’en plus finir. Elle avait failli les oublier celles-là  !

À la sortie de la clinique, elle avait appelé sa mère et lui avait demandé de passer la voir le lendemain. Cette dernière ne s’était pas fait prier, alarmée par la voix larmoyante que sa fille avait eue au téléphone. Elle lui avait alors confié ses craintes par rapport à la difficulté pour elle de pouvoir élever quatre enfants toute seule, son mari vivant dans un autre pays et n’étant présent que de manière sporadique et lui avait avoué avoir voulu avorter. Sa mère avait été choquée qu’une telle idée lui ait traversé l’esprit et elle y avait vu une tentation du diable  ! comment avait-elle pu penser commettre un acte aussi ignoble  ! de nombreuses femmes se retrouvaient dans la même situation qu’elle et s’en sortaient très bien. Carole détestait cette rengaine  ; oui peut-être il y’en avait qui s’en sortait dans les mêmes conditions qu’elle, mais voilà, elle n’était pas les autres. Parce que nous sommes tous uniques, toute personne a un seuil de tolérance différent de celui des autres  ; toute personne a ses forces et ses faiblesses. Elle, elle, repensait à toutes les nuits blanches et le manque de repos que son deuxième enfant lui avait fait subir  ; le stress et le mal-être qui avaient suivi. Devrait-on avoir honte d’être différent des autres ou de ne pas aspirer à la même chose que les autres  ? Elle était consciente que dans une société dans laquelle les enfants sont considérés comme étant une richesse, on l’accuserait de vouloir vivre comme une Occidentale pire, elle ferait office de sorcière. Mais que faisait-on d’elle en tant que femme  ? que faisait-on de ses attentes à elle, de ses besoins, de ses rêves d’avoir une carrière, de pouvoir voyager, sortir entre copines  ? que faisait-on de son épanouissement personnel  ? Sa mère avait posé sur elle un regard plein de compassion et d’incompréhension, lui conseillant de se plonger dans la prière : seul le Seigneur pouvait l’aider. Ce qu’elle avait fait.

Elle avait donc tant bien que mal poursuivi sa grossesse, gérant ses nausées matinales et ses envies nocturnes tout en s’occupant de son garçon qui faisait encore plus de caprices qu’avant. Il avait dû comprendre que le ventre arrondi de sa mère n’annonçait rien de bon pour son règne de bébé tyran. Plusieurs fois, elle s’était senti perdre pied et elle se demandait encore comment elle avait pu s’en sortir. Elle avait fini par mettre au monde, deux adorables jumelles qui s’étaient avérées être tout le contraire de leur frère aîné. Il dormait à peine, elles, elles étaient de grosses dormeuses. Il avait été accro au lait maternel, mais ses filles acceptaient volontiers autre chose  ; l’essentiel, pour elles, semblait d’avoir l’estomac bien plein. Elles étaient calmes et souriantes, tout le contraire de leur frère qui était un gros grognon et pleurnichard. Carole en était convaincue : le Seigneur avait écouté ses prières. Ses filles lui avaient ramené sa joie de vivre et l’avaient réconciliée avec l’idée d’être mère.

Alors que tout semblait lui sourire enfin, elle était tombée sur une conversation entre son mari et son meilleur ami qui avait réveillé ses vieux démons. Depuis l’histoire avec sa collègue  ; elle n’avait plus jamais pu faire totalement confiance à son mari et n’hésitait donc pas à jeter un coup d’œil sur le téléphone de son époux, chaque fois que l’occasion se présentait. Elle s’en voulait d’agir de la sorte, mais, c’était plus fort qu’elle et quoi de mieux qu’une conversation entre de vieux amis pour en apprendre long sur son partenaire  !

Dans ce message, l’ami de son mari, éternel célibataire, lui annonçait sa volonté de convoler en justes noces à son tour. Il se sentait enfin prêt à fonder une famille  ; à devenir un homme responsable, mais, il avait l’embarras du choix. Séducteur invétéré, il ne savait pas à laquelle de ses trois titulaires 2il devait passer la bague. Elle avait lu, complètement effarée, de quelle manière son mari et son ami avaient raisonné pour trouver l’élue. En effet, le principal concerné avait tendance à mettre l’accent sur la position sociale de la fille. Il voulait une fille de… dans nos pays très pauvres et très endettés, il valait toujours mieux avoir des relations haut placées surtout si ladite relation était un beau-papa. Son mari avait battu son idée en brèche arguant que ce n’était jamais bien d’avoir une épouse venant d’un milieu social plus élevé que le sien, car, elle se croirait tout permis et essaierait de porter le pantalon dans le ménage. Il devait plutôt choisir une femme qui aurait la crainte de Dieu  ; une bonne croyante qui ne pensera jamais à divorcer et encore moins à le tromper même si lui il se payait le luxe d’aller voir ailleurs de temps en temps, comme quoi la foi faisait très peu de cas de l’adultère de l’homme, et il avait pris leur exemple à Carole et à lui. Son ami lui avait alors envoyé des émoticônes moqueuses et avait voulu savoir comment se portait sa petite amie du moment et si elle continuait à lui demander ce que sa femme avait de plus qu’elle.

Elle avait lu toute la conversation les larmes aux yeux, totalement désemparée. Elle ne s’attendait pas à un tel cynisme de la part de son époux. Elle avait l’impression de ne pas savoir à qui elle s’était mariée. À aucun moment dans cette conversation, il n’avait été question de sentiments et d’amour. En plus, à aucun moment son mari n’avait semblé regretter ses aventures extra-conjugales, pire, il s’en vantait. Elle s’était sentie une fois de plus trahie, se demandant au passage si son mariage avait été aussi le fruit d’un calcul aussi froid et non de l’amour que son mari était censé lui porter. Une fois de plus, elle avait laissé éclater sa colère et cette fois-ci, l’altercation avait viré en une bastonnade en bonne et due forme. Quelques jours plus tard, il s’était excusé avec à l’appui des bijoux encore plus luxueux que les premiers et hélas ! une fois de plus, elle avait pardonné.

Le mariage du meilleur ami avait fini par avoir lieu quelques mois plus tard et bien entendu, l’époux de Carole était le témoin. Elle s’était donc retrouvée, bien malgré elle, propulsée sur les devants de la scène, souriant, embrassant, félicitant et encourageant la jeune mariée, qui elle le savait, ne tarderait pas à déchanter si elle avait un tant soit peu de jugeote. Mais, ce n’était pas à elle de lui révéler la vérité sur le véritable visage de son époux, elle avait déjà assez de problèmes comme ça dans sa vie à elle pour en plus, s’occuper de ceux d’une autre.

Il y’a de cela quelques années, son mari avait fini par trouver un poste de responsabilité au pays. On lui proposait de devenir la deuxième figure d’un grand groupe pétrolier. Il avait sauté sur l’occasion et Carole était ravie. Après toutes ces années de vie séparée, elle allait enfin pouvoir avoir son mari à ses côtés. Pour elle, ce poste représentait un nouveau départ  ; un peu comme une deuxième chance que le Seigneur accordait à son couple. Mais il ne lui avait pas fallu longtemps pour se rendre compte que ça n’avait été qu’un vœu pieux. Monsieur multipliait conquête sur conquête. Le plus dur avait été lors d’une de ses missions dans une autre ville, elle l’avait appelé et c’est une voix moqueusement chantonnante qu’il lui avait répondu. Son mari, d’après la voix, prenait une douche et la fille ne s’était pas empêchée de la narguer en lui demandant le motif de son appel et en lui assurant qu’elle passerait le message à son mari aussitôt qu’elle le rejoindra sous la douche. Carole commençait pourtant déjà à s’habituer aux incartades de son époux, mais, pour une raison ou pour une autre, cet épisode fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Elle appela donc sa mère à qui elle raconta tout : les coups, les infidélités, les humiliations… lorsque son époux était rentré deux jours plus tard, il avait trouvé toute la famille réunie à l’attendre. Il n’avait même pas eu le temps de se reposer que tous lui tombèrent dessus à tour de rôle : sa belle-mère, sa mère, ses sœurs et même son père. Ce fut d’ailleurs la seule fois où Carole entendit ce dernier élever la voix. Il fut contraint de demander pardon à sa femme à genoux, promettant de ne plus remettre la main sur elle. Ce fut une victoire pour Carole que son mari, lui, considéra comme une humiliation et qu’il lui fit payer cher par la suite. Il cessa de lui adresser la parole sauf en présence des enfants et seulement lorsqu’il y était vraiment obligé  ; au lit ils étaient de parfaits étrangers, il avait cessé de la toucher et comme toujours à chaque fois qu’ils avaient des problèmes, il refusait que Carole lui serve à manger et ce manège dura plusieurs mois.

Les violences ne sont pas seulement physiques, mais aussi psychologiques. En agissant de la sorte, il avait réussi à l’atteindre encore plus que par des coups. Elle ne savait plus que faire et dépérissait de jour en jour. C’est dans ces conditions, qu’une après-midi, son téléphone sonna : c’était le numéro de sa mère. Quelle ne fut pas sa surprise, lorsqu’elle décrocha, d’entendre une voix inconnue à l’autre bout du fil  ! une voiture avait renversé sa mère au sortir de l’église, son état était critique et elle se trouvait aux urgences et il fallait l’opérer de toute urgence pour enrayer l’hémorragie. C’est toute échevelée qu’elle était arrivée à l’hôpital. Durant toute l’opération, elle s’était remémoré tous les moments passés avec sa maman, toute son enfance.

Carole n’avait jamais connu son père. Elle avait grandi sans une figure paternelle à ses côtés et c’est à huit ans qu’elle avait demandé, toute timide, à sa mère pourquoi elle, elle n’avait pas de père contrairement à ses camarades. Sa maman lui avait répondu laconiquement que tout le monde n’en avait pas un et lui avait ensuite demandé si elle manquait de quelque chose. Du haut de ses huit ans, elle avait reconnu que contrairement à certains de ses petits camarades qu’elle enviait, elle était toujours décemment vêtue, avait toujours un lot de bonnes choses dans son sac pour le goûter bref, ne manquait de rien. Alors, qu’est-ce qu’un papa pourrait lui apporter de plus  ? Aussi, lorsqu’à ses douze ans sa mère lui avait dit que son père souhaiterait la rencontrer, elle avait refusé : pendant douze longues années, il n’avait rien voulu savoir d’elle alors, elle ne voyait pas pourquoi cet état de choses changerait et elle n’avait jamais regretté sa décision.

Quelque temps plus tard, sa maman lui avait présenté un homme en même temps qu’elle lui avait annoncé qu’elle était enceinte. Carole avait été partagée entre l’excitation de ne plus être seule et la peur de voir cette complicité mère-fille, à laquelle elle s’était habituée, changer. Son petit frère naquit donc et ce fut le coup de foudre immédiat. Sa famille jusque-là qui se limitait à sa mère et elle s’était agrandie de deux membres : son petit frère et le père de ce dernier et cela dura ainsi pendant presque deux ans. Puis, elle constata que le père de son petit frère se faisait de plus en plus rare pour finir par disparaitre totalement. Après cela, sa mère s’était murée dans un désert sentimental dont seuls son frère et elle avaient la clé et aussi longtemps qu’elle s’en souvienne, elle n’avait plus vu un homme auprès de cette dernière. À l’époque, elle n’avait pas jugé nécessaire de lui poser la moindre question et puis, un jour, sa mère, lorsqu’elle l’avait sans doute jugée assez mature pour comprendre, lui avait raconté les histoires derrière leurs naissances à son petit frère et elle.

Son père, à elle, sa mère l’avait rencontré lors d’un séminaire de travail. Tout allait bien jusqu’à ce qu’elle lui annonce qu’elle attendait un enfant de lui. Il lui avait demandé d’avorter sous le fallacieux prétexte que leur histoire n’avait aucun avenir :,elle ne serait jamais acceptée dans sa famille, car n’appartenant pas à la même tribu que lui. C’est bizarre que ça n’ait été qu’à ce moment-là qu’il y avait pensé. Ah les hommes  !

Le père d’Arnaud (son petit frère), lui, avait été animé des meilleures intentions. Il avait parlé de famille, de mariage et ses actes démontraient le sérieux qu’il semblait accorder à leur relation jusqu’à ce que survienne dans sa vie, au détour d’une mission, une jeune Anglaise dont il tomba follement amoureux. Il n’avait pas hésité à tout plaquer pour vivre son amour, loin de son pays d’origine et loin de ceux qui se considéraient comme sa famille.

Carole, donc, devait ce qu’elle était devenue à sa mère qui s’était battue toute seule pour lui donner le meilleur possible. Grâce à elle, son petit frère et elle n’avaient manqué de rien. Sa mère représentait, sa force, le pilier sur lequel elle pouvait s’appuyer à tout moment et la voir ainsi dans cet état, à l’article de la mort, Carole le vivait assez mal.

Son mari l’avait trouvée, en larmes, au chevet du lit de sa maman quelques heures plus tard. Le diagnostic des médecins ne laissait place à aucun doute : seul un miracle pourrait la sauver. Les lésions étaient trop importantes pour qu’elle survive. Elle s’était effondrée dans les bras de son mari qui avait subitement oublié tous ses griefs. À l’aube, sa mère avait ouvert les yeux à son grand étonnement. Son miracle, elle l’avait eu, avait-elle aussitôt pensé. Après avoir essayé de parler sans succès, sa mère avait fini par lui jeter dans un souffle : « sois heureuse ma fille » et elle avait fermé les yeux pour toujours.

Ces dernières paroles l’avaient hantée des mois durant. Était-elle heureuse et sinon comment le devenir  ? C’est en quête d’une réponse à cette question qu’elle décida de prendre plus soin d’elle, de sortir plus souvent  ; elle s’inscrivit à plusieurs associations dont celle où nous avions fait connaissance et cerise sur le gâteau, elle créa un blog où elle partageait une de ses passions à savoir la pâtisserie. Son mari, peu habitué à cette nouvelle face d’elle, n’avait pas accueilli ce changement avec un grand enthousiasme, mais elle n’avait rien lâché. Comme toutes les autres fois, il s’était muré dans un silence pesant, trouvant qu’elle passait trop de temps sur les réseaux sociaux à cause de son blog, mais elle n’en avait cure. Elle prenait les devants et demandait à la femme de ménage de toujours garder un plat chaud pour son époux qu’elle servait chaque fois avant de finir son service  ; elle ne subirait plus l’humiliation de le voir refuser de manger la nourriture qu’elle lui proposait. Lorsque ce dernier entrait dans leur chambre, elle partait s’installer au salon avec son oreiller et son drap.

Sa fille ainée l’avait surprise plus d’une fois ainsi alors, qu’elle n’avait pas pu se réveiller à temps pour regagner sa chambre. Elle essayait de lui servir une histoire différente à chaque fois : une crise d’insomnie, un sommeil impromptu alors qu’elle suivait un programme intéressant ou bien les ronflements de son père parce que ce dernier avait eu une journée vraiment dure au bureau et était rentré totalement épuisé. Carole mettait un point d’honneur à tenir ses enfants éloignés des conflits qui pouvaient l’opposer à son époux et n’hésitait pas à leur mentir si elle le jugeait nécessaire. Sa fille semblait la croire à chaque fois. Elle avait juste fait remarquer, une fois à sa mère, qu’au lieu de s’installer au salon lorsque son père ronflait, qu’elle pouvait partager son lit à elle, lequel était suffisamment grand pour les accueillir toutes les deux.