Madame Connasse - Sonia Miot - E-Book

Madame Connasse E-Book

Sonia Miot

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Beschreibung

Succomber à cette attirance inattendue pourrait briser son équilibre déjà fragile...

Agathe, cousine de Corentin Connard, reprend les affaires de Separagence. Après une année en Espagne à se remettre d’une fausse couche dans l’alcool et l'allégresse, elle revient affronter ses vieux démons : un ex-fiancé trompé, une famille abandonnée sans un mot. Et… comme si tout cela n’était pas suffisant, il fallait aussi que cette chère Ella, alias Miss Parfaite, alias la fiancée de son frère, débarque dans sa vie pour mieux la chambouler… Madame Connasse sera-t-elle la digne héritière de Monsieur Connard ?

Entre amour et raison, venez découvrir ce nouveau triangle amoureux plein de surprises !

EXTRAIT

Nous sommes en plein été, pourtant, j’ai des frissons. Passée la colère des derniers jours, me voilà toute chose face à Ella, une midinette de vingt ans. Sa beauté éblouit, son calme me sidère et la façon dont elle me regarde me rend fébrile. Ella est tout ça à la fois, douce, apaisante, hors du commun. Et j’ai peur de ce qu’elle va me dire. J’ai la trouille de l’entendre me parler de Tobias. Je tremble de la voir se fermer, me rejeter ou me dire que notre amitié n’a plus lieu d’être maintenant qu’elle l’a récupéré.
— Je ne veux pas te perdre, Agathe, commence-t-elle d’un ton décidé.
En réalité, elle m’a déjà perdue. Je ne suis plus la même depuis que la révélation du siècle m’a frappée de plein fouet.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Une histoire qui m'a happée, une écriture agréable mélangeant amour et humour à la perfection. Oui, j'ai ri et j'ai été émue. - carinesanchez, Babelio

Un récit qui, sous couverture de légèreté, aborde des thèmes puissants qui ne laisseront pas indifférents. - Maanilee, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEURE

Sonia Miot a vécu une vraie romance dans la vie : elle s’est mariée à son amour de collège ! Dans la vie de tous les jours, elle est conseillère clientèle, mais sa tête déborde d’histoires d’amour et de bonshommes qui s’agitent, l’obligeant à prendre la plume pour écrire leurs aventures.

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À Brybry,et toutes ces femmes qui, comme moi, ont perdu espoirà un moment ou un autre…

Chapitre 1

— Oui, Corentin, je fais attention à ton bureau… Non, je n’irai pas aider madame Zora... même si elle essaie de me soudoyer, promis…

Cela fait plus d’un quart d’heure que mon cousin me bassine avec ses indications. Il a fallu que je reste, le portable collé à l’oreille de chez mes parents à l’agence, pour qu’il s’assure que tout est à sa place.

Comme si quelqu’un allait cambrioler ce taudis…

C’est un hangar. Une grande salle froide avec trois bureaux au centre et un coin cuisine pour prendre sa pause. Corentin a juste fait monter une vitrine pour que ça ait l’air plus commercial.

Je l’ai appelé pour lui dire que je rentrais, il m’a proposé de reprendre Separagence. J’ai d’abord hésité puis, sans autre choix s’offrant à moi… Me voilà !

Lassée d’écouter les instructions du commandant en chef Corentin Connard, je pose le téléphone sur le premier pupitre et enclenche le haut-parleur.

— Il va falloir te trouver des employés, les dossiers verts sont…

Je lève les yeux au ciel puis l’interromps :

— Pour les ruptures courtoises et bienveillantes, tandis que les rouges sont sans appel, cruelles et dures à vivre. J’ai compris, Corentin, continué-je.

Son rire s’envole à travers l’appareil.

— Je suis content que ce soit toi qui reprennes, Agathe. Même si je ne trouve plus de sens dans ce boulot, je sais que tu réussiras à en faire quelque chose de mieux.

Si tu le dis…

— Au fait, comment ça se fait que tu passes ton temps à me donner des ordres au lieu de te la couler douce au bord de la piscine ? Tu n’es pas censé être en voyage de noces avec la belle Abigaelle ?

— Tu m’enlèves les mots de la bouche, Agathe, résonne la voix d’Abi dans le combiné. Allez hop, monsieur Connard ! Je vous rappelle que vous ne tenez plus Separagence. Place aux jeunes !

Coco et moi n’avons que quelques mois d’écart et je suis la plus âgée. Mais entendre Abigaelle lui lancer des piques me ravit. Ces deux-là se sont mariés il y a quelques semaines et respirent la joie de vivre.

— J’arrive, madame Connard. Je l’assomme et je reviens, chuchote Corentin, prends soin de toi. À bientôt, Gaga.

Ce surnom me hérisse les poils.

— À bientôt, connard.

Avant de pouvoir entendre la fin de ma phrase, il raccroche. Dommage, j’aurais bien aimé le faire enrager. Ça m’aurait évité de me retrouver seule dans ce grand local froid. Seule avec moi-même…

Je viens de rentrer d’Espagne et déjà les souvenirs refont surface... comme si je n’étais jamais partie. Comme si je ne m’étais pas enfuie. Comme si l’année de débauche que j’avais passée ne m’avait rien apporté. À part des cernes, une peau blafarde et un corps laissé à l’abandon. Ça doit être héréditaire. J’entends encore Coco me dire qu’il était pareil avant sa rencontre avec Abigaelle. Sauf que le drame qu’il a vécu n’a rien à voir avec le mien.

Si j’ai bien compris, les clients ont deux choix : soit ils demandent de l’aide pour mettre un terme à leur relation amoureuse en douceur, soit ils appellent pour rompre avec pertes et fracas. Dans ce cas, je dois faire intervenir un agent pour mettre en place un scénario qui poussera le compagnon du client dans ses retranchements. Les séparations sans ménagement sont représentées par les dossiers rouges.

Sur les verts qui traînent sur le premier bureau, je lis les noms de : Constance, Marta Zora, Tom, celui de mon grand-père, pépé Connard, et plus loin, sur une pochette rouge : Benjamin Poireaux.

Même si c’est une idée de génie, j’ai du mal à croire que certaines personnes paient pour larguer leur conjoint. J’aurais peut-être dû contacter Corentin quand j’ai abandonné Jordan sur le pas de porte de notre maison. Cela aurait été plus facile.

Ou pire.

J’ai à peine le temps de me retourner qu’une grande masse au sourire renversant débarque dans les bureaux.

Nom d’une montagne ! Tobias Démène !

— Je n’y crois pas, tu es là ? Tu es vraiment là ? crie mon frère en courant pour me prendre dans ses bras.

— Je suis là.

Une larme solitaire roule sur ma joue. Pour ne pas qu’il puisse l’apercevoir, je la retire d’un geste vif. Le visage collé contre son torse bondé, je respire de nouveau. La chaleur qu’il m’offre est sans appel : il m’a affreusement manqué.

— Tu es splendide, un peu trop maigre, mais belle comme un cœur, petite sœur.

Il s’écarte en me tenant par les épaules. Lui n’a pas changé d’un poil. Toujours baraqué, aux grands yeux verts, rasé de près et bien peigné. Mon frère est un charmeur qui n’a pas idée de son potentiel de séduction. Entre ses sourires en biais et son épaisse chevelure brune, il a tout du beau gosse dont rêvent les filles.

— Quand Corentin m’a appelée, j’ai cru que c’était encore une de ses blagues.

— Ce n’en était pas une, je rentre tout juste d’Espagne et je ne compte pas repartir de sitôt, lancé-je, un large sourire sur les lèvres.

L’avoir près de moi me met du baume au cœur, à tel point que, le temps de notre conversation, j’oublie les raisons qui m’ont fait rester loin de cette vie pendant plus d’un an.

— Maman et papa sont au courant ?

J’acquiesce.

— Je squatte leur canapé depuis hier soir. Tu aurais dû voir leur tête quand ils m’ont ouvert. J’ai eu beau appeler maman quelques jours avant, elle ne s’y était pas préparée pour autant.

— Tu nous as trop manqué pour qu’on s’y prépare, Agathe. Je suis aux anges, bon sang ! Mon coloc s’est tiré le mois dernier alors, si tu veux sa chambre, tu es la bienvenue.

Le canapé des parents est un peu juste. Dès que je me retourne, je manque de tomber...

— Ce serait super, Tobias !

Chapitre 2

Mes parents habitent une charmante maison, située en pleine campagne. Ils ont un chien, un fidèle labrador sable, portant le nom de Coton qui, d’après ma mère, est aussi doux que la matière elle-même.

Jamais je n’ai eu quoi que ce soit à leur reprocher. Ils m’ont manqué plus que quiconque. Et je sais, au regard pétillant de mon père et aux gestes bienveillants de ma mère, que c’est réciproque.

— Tu en veux encore un peu, ma chérie ? demande maman, à peine mon assiette vidée.

Mon frère me lance une œillade complice, comme pour me dire :« si tu refuses, elle risque de te faire un cours d’une heure pour t’expliquer les bienfaits des légumes ».

— Laisse cette petite tranquille, Suzanne, tu vois bien qu’elle n’a plus faim.

Merci, papa.

Cela dit, j’ai soif. Depuis mon départ, mes parents ont banni l’alcool de leur vie dans l’espoir de me voir réapparaître un jour.

Et ce jour, c’était hier.

Ils pensent sans doute qu’en évitant le sujet, tout ça disparaîtra de nos esprits. Cependant, j’y pense. J’y pense et j’en ai besoin pour affronter leurs sourires et leurs attentions surjouées qui tendent à me faire croire que tout est pardonné.

Ils ne peuvent pas me pardonner, pas aussi vites, pas aussi facilement…

— Tu aurais vu le mariage de ton cousin, c’était fabuleux, lance ma mère pour éviter de me dire comme elle trouve que j’ai maigri.

Je le vois dans la lueur de tristesse qui éclaire ses iris bleutés. Je suis un peu la vieille copine qu’on retrouve par hasard après des années d’absence. Celle qui n’est plus du tout comme la fille sexy et désirable qu’elle était. Celle à qui on évite de dire qu’elle est trop fine et que ses premiers cheveux blancs nous choquent. Je suis cette nana qui n’est plus que l’ombre d’elle-même.

— Abigaelle était magnifique et Corentin… il n’avait plus sa barbe.

L’ours des cavernes sans poils. J’aurais aimé voir ça.

— Comme d’habitude, ta tante a mis le bazar, intervient Owen, mon père.

En se bidonnant face à l’air pincé de ma mère, il replace ses lunettes sur le haut de son nez. Elle lui assène un coup dans les côtes.

— Pas la peine d’en rajouter, gros hypocrite. Tu l’as quand même invitée à danser !

— Je voulais voir ce que ça faisait de danser avec Cruella d’Enfer.

Alors que ma génitrice essaie tant bien que mal de garder son sérieux, mon frère éclate de rire. Nous savons tous les quatre qu’Elisa, la mère de Corentin, est une infâme bonne femme. Maman ne s’est jamais entendue avec elle.

Parfois, je me demande si grand-père n’a pas encore fait un de ses coups de Trafalgar en échangeant les bébés à la naissance, parce que la première ne lui plaisait pas. Elles sont jumelles, mais ne se ressemblent pas le moins du monde. Ma mère est brune, d’un calme olympien, discrète, fine et assez grande. Elisa est tout l’inverse. C’est une vieille peau de vache desséchée et nombriliste !

— Oh, Owen, tu exagères ! rit-elle finalement.

Puis, elle se lève pour débarrasser la table avec l’aide de son époux, un tantinet farceur.

J’aime les voir amoureux et heureux.

— Tu as l’air d’aller mieux.

Est-ce que c’est le cas ? Est-ce que je vais mieux ? Non. Pas le moins du monde.

— Tu lui parles encore ? demandé-je à mon frère, décidé à discuter des raisons de mon départ.

— Jordan a déménagé, Agathe. Il a vendu la maison.

Mes pupilles croisent celles de mon frère, intenses et brillantes. Cette conversation ne devrait pas avoir lieu. C’est trop tôt. Alors que nous venons tout juste d’aborder le sujet, je me sens faiblir.

— Comment va-t-il ?

Comment va mon ex que j’ai laissé croupir au fond de la campagne française, parce que j’avais peur d’affronter la vérité ?

— Demande-lui toi-même. L’adresse est dans le carnet, sur la table de la cuisine de mon appartement.

Au final, je vais peut-être rester ici. La vue sur le canapé est à tomber et j’aime me réveiller six fois par nuit parce que Coton me lèche le visage. C’est fun !

— Et toi, mon garçon, quand est-ce que tu nous présentes ta nouvelle copine ? déclare mon père qui revient pour me sauver la mise.

Avant de répondre, Tobias attrape son verre d’eau.

— À ce sujet, comme Agathe est rentrée, on pourrait peut-être organiser un repas…

— Très bonne idée, mon grand ! Demain, c’est parfait, s’empresse de déclarer ma mère.

En ce qui concerne nos vies sentimentales, Maman est à l’affût du moindre scoop. Dommage qu’elle ne puisse plus en parler aussi ouvertement en ce qui me concerne. Le sujet est sous scellé, au grand dam de mon père qui adorait faire des paris avec mon frère sur ma prochaine dispute avec Jordan.

Depuis, il cherche une copine pour Coton. Ça l’occupe.

— Très bien, elle devait dormir à la maison de toute façon.

Super. J’avais oublié que mon frère avait une petite amie et que la chambre de la coloc était collée à la sienne.

Les léchouilles d’un labrador valent-elles mieux que les râles de plaisir d’un jeune couple ? Vous avez quatre heures.

— Merci encore, maman, c’était délicieux !

Le dîner terminé, nous sommes maintenant dans la voiture de mon frangin. Mes parents sur le trottoir nous regardent partir, d’un air mélancolique.

J’ai l’impression de faire ma rentrée au collège, quand toutes les mères pleurent de voir partir leurs bébés devenus grands dans le monde impitoyable de l’adolescence. C’est assez déroutant et, en même temps, je ne peux que les comprendre. Mes parents doivent être terrorisés à l’idée de me voir repartir aussi vite que la première fois. Et pour cause, ce jour-là, j’ai seulement envoyé un message à ma mère disant : je n’y arrive plus. Pas d’au revoir. Rien. Je les ai appelés pour les rassurer quelques jours après et les sanglots déchirants de mon père m’ont brisée un peu plus.

— Ils sont contents de te voir, tu sais.

Droit comme un piquet, mon frère tient le volant de l’Audi qui nous conduit chez lui, sans oser me regarder.

— Je suis contente aussi.

Si on peut dire ça comme ça…

J’ai toujours ce goût amer en travers de la gorge, ce goût de mauvais souvenirs, de choses non dites et de larmes salées entre mes lèvres alors que je perds la chose que je désire le plus au monde :

Un bébé.

Chapitre 3

Menacer mon gynécologue et faire la gueule à mon appareil génital, c’est fait.

Éviter les rayons bébé des grandes surfaces et bouder les femmes enceintes, ces nanas immondes, grosses, pleines de boutons, qui puent le vomi et ont volé mon bébé, c’est fait aussi.

Je suis passée par toutes les phases : le déni, la tristesse, la colère, la jalousie. Pourtant, rien ne cesse. J’ai la sensation perpétuelle d’avoir laissé mourir une partie de moi. L’impression qu’il est toujours là, quelque part dans mes entrailles. Que tout est de ma faute, que j’ai mal fait les choses. Je me suis baissée trop vite. J’ai porté trop lourd. Je n’ai pas assez mangé ou trop mangé ?

Y a-t-il pire que cette sensation de vide ? Ce mal-être constant que personne n’arrive à comprendre ?

Cette impression de temps qui ne s’écoule pas, qui a cessé de tourner pour vous laisser en mode zombie au milieu d’une vie vide de sens.

Il y a des obstacles trop durs à franchir, des étapes bien trop immenses à vivre, des moments d’impuissance, d’attente insoutenable qui ne passent pas. Quoi qu’on fasse.

Même être devant la porte de son ex est trop compliqué. Mes jambes tremblent, mon estomac se serre et mon cœur me supplie de ne pas sonner. Le revoir me brise de l’intérieur. Néanmoins, depuis que j’ai posé mes bagages chez mes parents il y a de ça quelques jours, l’envie me triture l’esprit.

Comme si mon âme voulait défier mes vieux démons, la curiosité est la plus forte. J’ai besoin de savoir ce que je vais ressentir lorsque mon regard va croiser le sien.

Est-ce que mon souffle va se mettre en alerte ? Est-ce que l’amour que j’avais pour lui va renaître de ses cendres tel le phénix de Dumbledore ?

Pour le savoir, qu’une seule solution : la manifestation. Ou laisser mon doigt appuyé sur cette maudite sonnette…

Très vite, un bruit de serrure résonne dans le couloir du premier étage de l’immeuble.

Cela me rappelle une scène d’un roman à l’eau de rose où le protagoniste retrouve sa belle après l’avoir entendue dans son sommeil et, finalement, c’est la grand-mère qui ouvre. Si ça tombe, pépé Jean va être derrière le mur et Jordan sur ses genoux.

— Qu’est-ce que tu fais là ?

OK. Ce n’est pas grand-père.

C’est bien Jordan.

Plus grand et plus costaud que dans mes souvenirs. Le teint hâlé, crâne rasé, la mâchoire saillante et le regard mauvais.

Il n’a pas du tout l’air surpris de me voir. Tobias a dû lui annoncer la nouvelle.

— Je… salut, je suis rentrée.

En même temps, je ne serais pas sur son palier si ce n’était pas le cas.

— Tu ne devrais pas être là, déclare-t-il avec désinvolture.

Son corps fait barrage, m’empêchant de voir l’intérieur de son appartement. Il est cinq heures de l’après-midi, cependant j’imagine qu’il vient de se lever. Il porte un bas de jogging gris, mais pas de tee-shirt. C’est ce qu’il mettait pour dormir.

— Je voulais te voir.

Lui dire qu’il m’a manqué ne ferait que renforcer la haine qu’il ressent à mon égard. Alors, je me retiens pour ne pas le blesser davantage.

Il a de quoi m’en vouloir…

— C’est chose faite, maintenant va-t’en.

Je recule, les sourcils froncés, en entendant un ricanement provenir du fond de la pièce principale.

Comme s’il savait que ça finirait par arriver, Jordan ne cille pas.

— Tu es avec une fille ?

Non, idiote, c’est le chat qui rigole comme une poule.

Soudain, sa tenue et son attitude me frappent. Jordan n’a jamais dormi l’après-midi. Sauf, après que nous…

— Ne reviens pas, s’il te plaît.

Mon ex petit ami se tourne pour rejoindre son salon et, d’un geste de la main, laisse la porte se claquer devant mon nez.

Détester son ex, c’est fait.

Il y a un an et six mois, quand j’ai appris que j’étais enceinte, j’ai paniqué. Complètement paniqué. Je suis sortie des toilettes, les membres tremblant, mon bâton dans la main. Avachi dans le canapé, Jordan regardait la télé.

Heureux comme un pape, il a sauté au plafond avant de prévenir toute la famille. Pantoise, je l’ai regardé faire. Peu à peu, mon sourire a illuminé la pièce et j’ai réalisé à quel point j’étais contente et comme notre vie allait changer.

Je n’avais pas tout à fait tort. Mon monde s’est écroulé. Incapable d’affronter son regard, incapable de lui dire à quel point je souffrais, j’ai tout laissé en plan. Je suis partie sur un coup de tête, lassée d’entendre des : « Laisse faire le temps, ça passera » ; « Ça arrive, j’ai fait six fausses couches, moi, en tout » ; « Oh, mais ce n’est rien du tout ça, il ne devait pas être viable, de toute façon » ; « Tu en referas d’autres… »

— Pourquoi tu bois, toi ? me demande une voix d’homme dans le bar où je me suis terrée après mon altercation avec Jordan.

En Espagne, l’alcool était mon meilleur ami. Là-bas, je n’avais de comptes à rendre à personne. J’ai trouvé un job dans un fast food, puis écumé les bistrots pour oublier à quel point j’avais mal.

— Une femme ne devrait pas boire seule.

C’est qui, ce gros lourd ?

Les femmes t’emmerdent mon pote.

— Et pourquoi un homme le fait, dans ce cas ?

Un sourire de biais sur les lèvres, le gars me dévisage. Les yeux foncés et les cheveux blonds, il doit avoir la trentaine. C’est la copie conforme de Brad Pitt plus jeune. Autant dire qu’il est franchement pas mal, si on oublie qu’il vient de se rapprocher d’un tabouret pour se coller contre moi.

— Parce que les hommes sont tous des abrutis.

La gent féminine aussi. Moi encore plus.

— Je répète ma question : quelle raison peut avoir amené une femme aussi mignonne à se morfondre dans ce trou ?

Je ne dirais pas que le bistrot craint. Certes, nous sommes entourés de poivrots, mais c’est plutôt charmant et dans l’air du temps. Tout comme le gars assis près de moi. Même s’il est lourdaud et trop sûr de lui, il a du style.

— Mon ex. Et toi ?

Tant qu’on y est, si c’est pour terminer dans son lit d’ici quelques minutes, autant se tutoyer tout de suite.

Il avale une gorgée de sa bière, avant de répondre :

— J’ai perdu mon job.

Malheureusement, le mien ne s’est pas perdu. J’ai passé la journée à ranger l’agence et à rouvrir le site pour que les agents puissent s’y inscrire. Corentin m’en ferait une jaunisse si je devais arrêter son ancien plus gros business. D’après lui, les dossiers rouges sont ceux qui font tourner Separagence. Les dossiers verts ne sont que pur amusement.

Je bois à mon tour.

— Dommage, je t’aurais bien proposé un poste dans mon entreprise, mais je peine à croire que ça te convienne, lancé-je, sans prendre le temps de réfléchir.

Pourtant, cette information n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Le gars dont j’ignore encore le nom se redresse.

— Sérieux ?

Merde.

Non. Pas sérieux.

Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça.

— Ça ne va pas te plaire, je te dis… commencé-je, faisant mine de chercher son prénom.

— David.

David ?

C’est un prénom de vieux ça !

Il n’a pas du tout une tête à s’appeler David. Je l’aurais plutôt appelé Ken ou Brad. Brad, c’est bien.

— OK, Brad. Je suis Agathe et je tiens une agence de séparation. Je romps à la place des gens. Je doute que ça t’intéresse.

Fou de joie, le fameux David bondit sur son siège.

— Je ferai ce que tu veux, Agathe ! Il me faut ce job !

Il lève ses bras au ciel, comme un demeuré. Mes yeux se posent sur sa montre.

Nom d’un navet ! J’ai oublié Tobias.

— Oh purée, je dois te laisser, Ken. J’ai un repas chez mes parents et je suis en retard ! Ils vont me tuer.

Chapitre 4

J’ai trop bu. Ma tête tourne et je ne sais pas comment j’ai réussi à arriver en un seul morceau. Mon frère va me tuer, ma mère va me tuer, mon père va me tuer et même Coton risque de me faire la tête au carré tant j’ai merdé.

Je devrais repartir en Espagne illico presto. Ou feindre une maladie quelconque pour m’excuser de ne pas être venue.

Au lieu de ça, je m’écrase contre la porte d’entrée, telle une limace dégoulinante échouée sur un tronc d’arbre. Le bruit de ma chute fait venir mon père, qui m’ouvre en me dévisageant.

— Coucou, papa.

Il me laisse passer, néanmoins, il me détaille d’un drôle d’air. Il faut dire que j’ai au moins deux heures de retard et je ne sais combien d’appels manqués sur mon portable.

— Nous ne t’attendions plus, me lance mon frangin depuis la table.

Alors qu’il se lève, je me baisse pour lui faire la bise. Sa respiration se fait plus lourde lorsqu’il enfouit son visage dans mon cou.

— Merde, Agathe, tu pues l’alcool, souffle-t-il dans mon oreille.

Ce n’est pas de ma faute ! Je suis tombée sur une bouteille de pinard et… je n’ai pas d’excuse, bordel.

Je souris, comme pour dire : désolée Toto. Puis, me penche pour embrasser sa copine. Sa frêle copine… blanche comme un cul et habillée à la Mary Ingalls. #lapetitemaisondanslaprairie

Bref, aucun intérêt.

— Bonsoir, je suis Ella.

Quelque chose qui danse en toi

Si tu l’as, tu l’as

Ella, elle l’a…

— Moi, Agathe.

Je détourne le regard pour aller m’asseoir le plus loin possible de cette fille au col Claudine et à la jupe plissée. Mon frère a ramené une nonne à la maison et, malheur, elle me sourit à s’en décrocher la mâchoire.

Si elle pense que nous allons être les meilleures belles-sœurs du monde, elle se fout le doigt dans l’œil. Cette nana est trop prude pour moi. C’est perdu d’avance, je n’aime personne.

— Je n’étais pas sûre que tu viennes, alors je n’ai pas réchauffé ton assiette, précise ma mère.

Je ne sais pas si je dois la remercier ou la fustiger. Toujours est-il que ma tête tourne et que l’odeur de la viande me donne la nausée.

— Tobias m’a dit que tu revenais d’Espagne, j’ai de la famille à Barcelone. J’adore ce pays.

J’essaie de me concentrer sur la voix fluette d’Ella, seulement les remontées d’alcool me bousillent l’estomac. Mes yeux se plissent pour la voir, mais rien n’y fait. Ma vision se trouble et je dois déguerpir au plus vite pour ne pas dégobiller sur la table.

Durant ma course vers les toilettes, j’entends mon frère s’énerver :

— C’est pas vrai, putain, elle était obligée de faire ça ce soir ?

Tout le liquide que j’ai englouti au bar se déverse dans la cuvette. Et à chaque fois que je vomis, à chaque nausée, chaque haut-le-cœur, je me revois en train de souffrir le martyre. Essayant tant bien que mal de faire des aller-retour entre mon lit et les W.C., pousser, gémir, pleurer de douleur jusqu’à gerber durant les contractions. Contractions semblables à celles d’un accouchement…

— Qu’est-ce que tu fous, Agathe ? m’agresse Tobias à la sortie des toilettes.

Là, tout de suite, je ne suis pas des plus fraîches. Pas assez pour subir une engueulade à la Tobias. C’est-à-dire leçon de morale à deux francs et rappel de grands principes idiots. J’ai besoin d’air frais. Sinon, je risque de me vider à ses pieds.

— Je suis désolée. J’avais besoin de décompresser.

Je le pousse dans le couloir pour passer, lorsque sa main intercepte mon poignet.

Aïe.

— Ne fais pas ta gamine. Papa et maman se faisaient une joie d’organiser ce dîner. Ne gâche pas tout, encore une fois.

Nos yeux s’envoient des éclairs. Je le toise d’un air mauvais.

OK, je suis bourrée. Néanmoins, ce n’est pas mon père. Mon géniteur à moi s’appelle Owen Démène, porte des lunettes rondes comme celles d’Harry Potter et a le ventre d’Hagrid. Il est assis dans la salle à manger, là où devrait se trouver mon frangin.

— Je n’ai pas besoin de tes conseils. Je suis assez grande pour me débrouiller sans toi, pesté-je.

Qu’il aille se faire foutre !

Tout à coup, miss Parfaite apparaît dans le couloir. Châtain, les cheveux coupés au-dessus des épaules, les yeux noisette et la bouche sensuelle, elle nous observe.

— Ce n’est pas grave, Tobias. Nous aurons l’occasion de discuter une autre fois. Tes parents nous attendent pour le dessert.

Obligé, son père s’appelle Charles et porte des chemises à carreaux.

Mon frère me dévisage. Autant je l’aime d’un amour inconditionnel, autant dans ces moments-là, j’ai envie de le claquer. Sa colère décuple la mienne.

— Super ta bonne sœur, les parents vont l’adorer.

Je lance ma bombe avant de passer devant eux pour sortir de la maison. Coton me suit jusqu’au portail.

Pour rentrer à la coloc, je rappelle le taxi qui m’a déposée ici. À peine installée sur la banquette arrière, je fonds en larmes. La sensation d’être incomprise me submerge. Il n’y a pas un jour qui passe sans que je croise une femme enceinte, pas une semaine sans qu’un symptôme me ramène à cette période. Pas un mois sans que j’espère que tout reprenne.

À l’appart, je traîne la patte jusque dans ma chambre pour m’écrouler sur le lit et pleurer de plus belle. Ce que je ressens me tord le ventre, me comprime le cœur. Un sentiment d’impuissance m’envahit, les souvenirs se rappellent à moi comme les images d’un film tournant en boucle. Je me revois l’âme en miettes, la douleur transperçant mon ventre. Je me remémore les larmes de Jordan alors qu’il doit m’emmener en urgence à l’hôpital. Et je hurle. Je crie mon injustice. Celle de n’avoir rien pu faire pour garder mon bébé. Celle de voir chaque jour des ventres ronds dans la rue, des pubs à la télé. Celle d’avoir dû subir une étape que je ne pensais jamais devoir vivre.

Mes sanglots résonnent, si bien que je n’entends pas mon frère et sa copine rentrer. Ils se précipitent à mon chevet. Tobias m’encercle de ses bras puissants et je lâche prise contre son torse. Je me raccroche aux pans de son tee-shirt comme s’il était mon dernier espoir. J’aimerais tant retourner en arrière, tout faire pour ne pas que ça se passe, pour ne pas que ça arrive. Tout, sauf rester dans cette période. Celle d’attendre que ça passe alors que ça n’arrive jamais.

Chapitre 5

Jordan :Ça m’a fait bizarre de te revoir.

Coincée sur mon lit entre mes deux oreillers, je lis le message plusieurs fois d’affilée pour être certaine que je ne rêve pas.

Jordan vient de m’envoyer un message.

Punaise de punaise !

Jordan Olivier vient d’entamer la conversation !

C’est dingue !

Après ma crise de larmes, mon frère m’a laissée pour aller retrouver sa copine. Depuis, je tourne en rond dans ma chambre, incapable de fermer l’œil. Mes pensées vont dans tous les sens, encore plus maintenant que j’ai reçu ce SMS.

S’il savait comme ça m’a fait étrange aussi. Quand une personne nous manque, on a tendance à s’inventer des souvenirs, l’imaginer et oublier des détails qui sont importants. Sa voix, son odeur, son calme olympien. Tout ça m’a manqué.

Me manque encore.

Je n’ai aucun reproche à lui faire. Jordan a toujours fait preuve d’une patience d’ange en ce qui me concerne. C’était le petit ami parfait, agréable à vivre et beau comme le diable !

Je crois que j’ai besoin d’une cigarette. Ma tête est sur le point d’exploser tant je déraille et mon palpitant bat à mille à l’heure. Alors, je traverse le couloir qui mène au salon puis m’installe sur le balcon.

Tobias ferait une tronche d’enfer s’il me voyait fumer.

Je n’aurais jamais touché à cette merde avant. J’étais la petite fille modèle, un peu comme l’est Ella. Une femme droite dans ses bottes, prudente et fidèle.

Quand on parle du loup, on en voit la queue.

Alors que je m’affale sur la barrière du balcon, la nouvelle compagne de mon frère apparaît. Elle s’est changée et ne porte plus qu’un long pull gris qui descend sur ses cuisses. Je m’empresse de cacher ma cigarette.

— Ne te cache pas, j’ai vu que tu fumais, l’odeur ne trompe pas…

La chiasse !

Elle s’avance pour observer la rue et je tire sur la clope.

— Tu vas pouvoir cafter à mon frère, miss Parfaite, lancé-je, sans aucune méchanceté dans la voix.

Elle glousse.

— Ton frère fume aussi.