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Si le septième diamant de la couronne d’Aurélius, roi des Princeps Cipis, venait à se perdre, l’ordre des guides des hommes serait menacé. Raphaël et Loïc auraient pu décliner cette mission. Ils auraient ainsi évité les tourments et les douleurs qui les attendaient. Les dragons, les vampires et les dryades, les elfes et les fées, ainsi que la majesté des licornes leur auraient été épargnés. Mais avaient-ils réellement le choix ? Ils ont choisi d’abandonner leur vie antérieure pour embrasser une quête éclairée, celle de la lumière qui dissipera l’ombre sur le cœur des hommes.
À PROPOS DE L'AUTRICE
La rencontre avec le livre Jane Eyre de Charlotte Brontë marque le début d’un plaisir de lire inestimable. Alors que l’adolescence assombrit progressivement le monde de
Gisèle Ilma, l’évasion à travers les livres devient précieuse. L’écriture devient alors une échappatoire essentielle, un besoin profond qui l’aide à vivre et à s’exprimer. Enfin, la découverte du Seigneur des Anneaux bouleverse sa vie en ouvrant la porte sur un univers totalement nouveau.
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Gisèle Ilma
Princeps cipis
Les guides
Roman
© Lys Bleu Éditions – Gisèle Ilma
ISBN : 979-10-422-2756-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Je suis Yaël, ton Princeps cipis, je vis à travers toi, j’entre dans ta vie par tes songes, la nuit, le jour, que tu sois éveillé ou non. Car le songe peut intervenir n’importe quand, il est en fait tout ce que tu ne vis pas réellement, tout ce qui est dans ton imaginaire. Il peut être très réaliste, ou absolument fantaisiste. Ce que je fais, je guide tes pas, je suis là pour t’aider. Je ne suis pas seul, nous sommes autant de Princeps cipis que d’êtres humains, tu ne me vois pas car je ne le veux pas, je dois laisser tes yeux fermés sur moi. Si tu me voyais, peut-être aurais-tu peur, car je suis différent de toi. Je suis fait, pour ma part de topaze, une pierre magnifique qui a les vertus qui te sont nécessaires. Mais cela, je te l’expliquerai plus tard. Si je ne te permets pas de me voir, c’est aussi parce que tant que je suis invisible, et donc inexistant pour toi, tu m’écouteras. Je crains bien que si je prends vie pour toi, alors tu contestes mes conseils. Car l’être humain est ainsi fait : il aime contester les autres, surtout si l’autre sait parfaitement ce qui est bon pour lui mais que cela ne lui plaise pas… Compliqué, oui, l’être humain est bien compliqué. Alors, voilà, tant que je ne suis pas « un autre » il ne te viendra pas à l’idée de me dire que j’ai tort.
Je ne me présente que dans ton inconscient, mais je dois le faire, pour que tu m’acceptes. Je sais tout de toi, car je suis auprès de toi depuis ta naissance, je t’ai vu grandir, je ne suis jamais entré en toi car tu n’as pour ainsi dire pas encore eu besoin de moi. Aujourd’hui, c’est différent. Seul, tu ne t’en sortiras jamais. Chaque être humain a besoin à un moment ou un autre de l’intervention de son Princeps cipis, à un stade critique de sa vie. Aujourd’hui, toi, Raphaël, tu as besoin de moi.
Me voici.
Cette révélation jeta la consternation dans l’assemblée des Princeps cipis.
Yaël regarda la pierre qu’il avait toujours sur lui, elle était translucide, légèrement dorée et bouillait de l’énergie de son porteur. Si la pierre changeait de porteur, et qu’elle entrait en contact avec un humain, elle le lierait irrémédiablement à son princeps cipis en connectant leurs esprits et toute l’énergie de Yaël se déverserait dans le corps de Raphaël. Car les Princeps cipis avaient tous une pierre qui les représentait. Non qu’ils soient formés uniquement d’un minéral précis, la pierre maîtresse comme ils l’appelaient était en fait leur principal composant. Mais ils étaient formés de quantité d’autres substances qui avaient toutes des vertus susceptibles d’aider leur réceptacle. C’étaient des êtres androgynes, leur apparence était proche des humains, tout en étant totalement différente. La couleur de leur peau variait en fonction de leur pierre maîtresse. Yaël était de dominance jaune doré. Ils avaient un visage très fin, des yeux sans pupille de couleurs vives, souvent d’une autre pierre présente en eux. Ceux de Yaël étaient faits d’aigues-marines pour développer la clarté mentale. Des arabesques d’un ton orangé parcouraient tout le visage de Yaël et le rendaient tout simplement magnifique. Elegius était attaché à un humain qui présentait de réelles difficultés d’assurance de soi et qui en était venu à mener une vie bien en dessous de ce qu’il était capable de faire. Aussi, son Princeps cipis lui était-il venu en aide afin de lui montrer ce dont il était capable en guidant ses pas vers des expériences qui allaient le révéler. Elegius était de peau marbrée vert émeraude, sa pierre était la Chrysoprase, elle atténuait les complexes. Les arabesques qui semblaient danser sur son visage étaient d’une couleur vert très vif. La présence d’une quantité indéfinissable de Princeps Cipis faisait une marée de couleurs mouvantes, leurs pensées étaient partagées entre tous, ils ne faisaient qu’un tout en étant aussi différents les uns des autres que l’étaient les êtres humains qu’ils servaient.
Les Princeps cipis étaient dotés d’une sensibilité extrême qui les faisait recevoir les sentiments des humains qu’ils protégeaient de manière exacerbée, leur rôle était de les guider, mais il fallait pour cela que l’esprit humain les perçoive, et c’était malheureusement rarement le cas. Beaucoup avaient des esprits bien trop fermés pour entendre leur guide et bénéficier de leur aide.
Pour Raphaël, c’était loin d’être le cas. C’était un être énigmatique pour beaucoup. Même pour ses propres parents. Difficile à saisir, original, dans ses pensées comme dans son aspect et dans son caractère. Il était inquiet, tourmenté et cachait son mal de vivre derrière un voile de froideur, une distance qu’il se plaisait à installer entre les autres et lui et parfois, un cynisme qui finissait de le rendre antipathique. Mais au-delà de tout cela, il avait une intuition bien supérieure à la normale avec un intérêt démesuré pour tout ce qui n’existait pas, le fantastique surtout. En bref, Raphaël était un jeune homme très spécial, orgueilleux, colérique, et brillant dans ses études et surtout, que tous fuyaient. En fait, il était le réceptacle idéal pour un Princeps cipis, beaucoup de travail et un esprit réceptif.
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.
Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !
Raphaël posa son livre plus qu’usé, des pages se décrochaient à force d’être tournées, lues et relues. Même s’il en connaissait beaucoup par cœur, il fallait qu’il les lise. C’était comme un rituel, chaque matin commençait par un poème de Baudelaire, chaque journée finissait de même Le Soleil s’est noyé dans son sang qui se fige… C’était aussi une drogue, il lui fallait lire les mots qui traduisaient si bien le mal qui rongeait son âme. Il s’allongea sur son lit, jeta un regard sur sa montre… et soupira. Il était vraiment temps d’y aller, les cours allaient commencer dans une demi-heure. Un quart d’heure pour s’y rendre à pied afin d’y être juste à l’heure, histoire de ne pas avoir à discuter avec les autres. Et… un quart d’heure pour se préparer, c’était juste… Il se précipita sous la douche et s’habilla avec un grand soin, comme chaque matin. Il travaillait son apparence avec un raffinement proche de la névrose. Car l’aspect comptait beaucoup, il se devait d’être en harmonie parfaite avec ce qui se passait dans sa tête, l’image que lui renvoyait son miroir était l’expression de lui-même. Et ce matin, il était grandement satisfait de lui… Comme tous les matins d’ailleurs… Il s’admira de la tête aux pieds : ample chemise à jabot, long manteau, longue jupe, grandes bottes façon rangers, des cheveux longs retenus en une queue de cheval, les ongles vernis et les yeux charbonneux, le tout en noir, uniquement en noir. Un coup d’œil à sa montre à gousset…
Il sortit de sa chambre en trombe, attrapant son sac au vol.
Elle le regarda partir par la fenêtre. Sans rien lui dire, elle avait peur. Que lui était-il arrivé ? Il était un garçon adorable avant, de caractère facile, puis, petit à petit, une certaine mélancolie s’était insinuée en lui, provoquant des crises d’angoisse plus ou moins importantes. Ils avaient vu des médecins, des psychologues, qui tous lui avaient donné le même avis médical : tempérament excessivement sensible. Alors elle avait fait son possible, parler avec lui, lui donner des décontractants, lui offrir une vie stable et beaucoup d’amour. Mais tout cela avait mené à quoi ? Elle le voyait qui marchait en direction du lycée, il était impressionnant dans son accoutrement gothique, suscitant la désapprobation de tous et surtout, il était seul, renfermé, avec seuls ses livres comme amis. Il allait mal, elle le voyait bien mais savait tout aussi bien qu’elle ne pouvait rien faire de plus que ce qu’elle faisait déjà. Philippe, son mari, lui, ne voyait en cela qu’une crise d’adolescence qui allait passer mais fuyait les tête-à-tête avec son fils autant que possible…
Combien de fois ne lui avait-on pas demandé s’il n’éprouvait pas de honte à avoir un fils aux cheveux longs, maquillé et en jupes ? Et cette question-là aussi, il la fuyait, car il ne voulait surtout pas s’avouer la réponse.
Les cours au lycée se suivaient apportant son lot d’ennuis pour certains et de bonheur pour d’autres comme le français et la philosophie. Cours assurés par des professeurs qui tous deux s’étaient attachés à ce jeune homme bizarre mais tellement cultivé et intelligent. Il excellait dans toutes les matières, même les maths et la chimie qu’il détestait, mais il ne voulait surtout pas se montrer faible quelque part. C’était cette assurance, cette suffisance même, qui, en plus de son aspect, tenait tous les autres jeunes éloignés. Il était perçu comme un orgueilleux, fier de son intelligence et de son physique, car en plus d’être vêtu avec une élégance hors du commun, il était terriblement beau. Le noir qui entourait ses yeux faisait ressortir la couleur bleu glacier de ses iris, son visage était long et la peau très pâle. Alors oui, il avait de quoi être fier de lui et ne s’en privait pas ! Traité de gars pas très net, même sûrement dangereux, les gothiques, tous des givrés. Va savoir, c’est peut-être un vampire ! entendait-il souvent dans son dos. Aucun n’osait l’aborder et c’était seul, plongé dans un livre, qu’il passait ses pauses, seul aussi qu’il mangeait au self.
Mais ce jour-là avait décidé d’être différent…
Le regard qu’il lança au garçon qui avait osé s’adresser à lui aurait dû décourager cet inconscient !
Raphaël resta sans voix face à cet être farfelu qui venait de prendre place en face de lui, troublant sa tranquillité. Il le connaissait, il s’appelait Loïc et suivait les mêmes cours que lui. Il était tout comme lui passionné de Philo et de français et parvenait même parfois à le surpasser ce qui déjà le rendait antipathique pour Raphaël. Par contre, il était très mauvais dans les matières scientifiques. Il était le plus jeune et le plus petit de la classe, vêtu contrairement à Raphaël de vêtements colorés, des teintes même qui n’allaient pas forcément ensemble… En l’observant, Raphaël se demanda même s’il ne cultivait pas une certaine image du mauvais goût… Ou alors, il devait sortir ses vêtements du placard sans savoir vraiment ce qu’il prenait, les enfilait et partait sans se regarder dans un miroir… C’était envisageable aussi… Une tignasse ébouriffée frisée, blond comme les blés, dont il ne semblait pas se soucier, un visage enfantin et un caractère heureux et taquin qui faisaient de lui le type qu’on déteste ou qu’on adore, qui faisait rire ou qui énervait prodigieusement. Raphaël n’avait jamais réfléchi à la question. Aussi, il prit le parti de ne pas répondre.
Alors là, c’était le comble ! En plus de lui donner mal à la tête à parler comme ça, de manger son entrée, il lui demandait un service ! Raphaël s’en étouffa avec son pain. Loïc attendit patiemment qu’il se remette en continuant mine de rien à manger.
Raphaël releva la tête. Voilà un mot qui lui plaisait.
Il attendit.
Raphaël se retourna, regarda Loïc en y mettant toute la haine dont il était capable, arme qui avait le don de faire fuir. Mais pas cette fois. Loïc soutint son regard, un grand sourire sur les lèvres. Content de lui.
C’était décidé. Il le détestait.
Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toiles
Où vivent, jaillissant de mon œil par milliers,
Des êtres disparus aux regards familiers.
C’est avec cette citation de son poète préféré qu’il mit un point final à sa dissertation de philosophie, dont le sujet lui avait parlé immédiatement : « que faire des disparus ? » Ce devoir, il y avait mis toute son âme, il s’y était mis à nu, avait déversé toute sa tristesse. Les pages avaient été mouillées de ses larmes. La mort. Elle était présente à chaque instant, ne le quittait plus. Depuis ce jour. Il avait alors 13 ans, et il avait fait le serment d’amitié éternelle avec Renan. Mais la mort lui avait ravi son ami pour toujours quelques jours seulement après.
Il se leva et contempla la nuit à la fenêtre. Tu me manques, Renan. Il se dirigea vers son bureau, ouvrit le tiroir et prit son cutter. Regarda son poignet. La marque du serment était là, toujours bien visible. Elle n’avait pas eu le temps de devenir une cicatrice qui blanchit avec les années. Elle était toujours rouge. Il s’appliquait à l’entretenir. Il fit glisser la lame comme souvent sur sa marque. La douleur, cette douleur-là, était une amie car elle lui rappelait celle ressentie avec Renan. Il pansa la blessure, descendit la manche de sa chemise noire dessus et se rendit dans la cuisine.
Ses parents étaient là, ils avaient commencé à manger.
Elle avait lancé le pavé dans la mare. Et les remous ne se firent pas attendre. Raphaël se leva, hors de lui.
— Je ne veux pas d’amis ! Faut que je te le dise comment ?
Raphaël passa sa main dans ses cheveux, geste machinal qu’il faisait quand il était énervé. Lucie vit alors le pansement qui dépassait de sa manche.
Leurs regards se croisèrent, une fraction de seconde. Il sortit alors de la cuisine, prit son manteau et décida d’aller marcher. L’air dehors y était plus respirable.
Lorsqu’il rentra, il se dirigea droit vers sa chambre, mais son père lui barra le chemin.
Raphaël fronça les sourcils. Depuis la mort de son ami, ils n’avaient jamais vraiment discuté tous les deux. Il entra dans sa chambre, suivi de son père. Aussitôt entré, son père le prit dans ses bras et fondit en larmes. La sensibilité extrême de Raphaël fut heurtée de plein fouet par ce comportement inattendu, lui qui s’était toujours défendu de pleurer devant ses parents ne put rien faire pour empêcher ses propres larmes de couler.
Il s’écarta, essuya les joues de son père d’un geste tendre.
Il alla à la fenêtre comme le faisait si souvent Raphaël. La nuit semblait la confidente idéale, elle absorbait tous les secrets. Raphaël alla se placer près de son père. Philippe commença à parler en regardant la nuit.
Philippe prit une grande inspiration, regarda son fils de ses yeux rougis.
Sur ces paroles, il embrassa son fils sur son front et sortit de la chambre.
C’est complètement chamboulé qu’il s’allongea dans son lit et s’endormit après avoir lu.
Un soir fait de rose et de bleu mystique
Nous échangerons un éclair mystique
Comme un long sanglot, tout chargé d’adieux ;
Et plus tard, un ange, entr’ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.
Sa nuit fut agitée, comme la plupart de ses nuits. Des cauchemars revenaient le hanter avec le visage de Renan à chaque fois, la mort sous toutes ses formes le prenait, un trou béant l’aspirait, un squelette l’emmenait, des morts-vivants l’entouraient… toujours les mêmes tortures nocturnes. Et puis, enfin, il l’entendit, comme chaque nuit, la voix. Elle était là pour le réconforter, l’aider, le guider, le prévenir. Depuis quelques nuits, il réussissait à avoir une conversation avec cette voix. Cette nuit-là, le son de la voix fut nettement plus clair, comme plus proche de lui.
Il se réveilla en sursaut et vit une silhouette proche de lui, elle semblait éclairée d’un jaune orangé avec deux pupilles azur qui le fixaient. Il cligna des yeux, la silhouette était toujours là, elle approcha sa main et la passa sur ses yeux. Le reste de la nuit fut vide de cauchemars et de rêves.
Après s’être entretenus, les deux princeps cipis réintégrèrent les corps de leurs réceptacles qu’ils ne quittaient que la nuit ou lorsqu’ils devaient se parler entre eux.
« J’ouvris les yeux, mais me retins au moment où j’allais chercher son poignet, l’attraper, le ramener vers ma bouche à tout prix ; je me retins parce que j’avais compris soudain que le premier tambour était mon cœur et que le second était le sien. »
Loïc était déjà assis à sa place dans la salle de philosophie, plongé dans un livre d’Anne Rice. Il ne leva pas la tête lorsque les autres entrèrent et s’installèrent. Une main effleura son bureau, les ongles étaient vernis de noir, des bagues ornaient chaque doigt et la dentelle noire qui finissait la manche de la chemise arrivait au milieu de cette main. Alors il leva la tête.
L’arrivée du professeur arrêta cette discussion, laissant Raphaël sur sa surprise. D’où savait-il qu’il passait ses nuits à faire des cauchemars ? Il lança un regard meurtrier à Loïc et alla s’asseoir derrière lui.
Le professeur inspecta Raphaël avec attention. Il le savait particulièrement concerné par ce sujet-là encore une fois.
Le pic lancé par le professeur toucha Raphaël plus qu’il ne le laissa paraître. Il demeura stoïque, soutenant son professeur du regard. Son orgueil voulait qu’il trouve tout de suite de quoi rétorquer à cette atteinte.
Les deux heures passèrent facilement pour les intéressés, passionnant même, plus qu’un cours, c’était un échange d’idées entre les élèves et leur professeur. C’était le seul cours où Raphaël intervenait, il pouvait librement exposer ses idées, qui choquaient le plus souvent, mais au moins, ils parlaient tous ensemble d’idées existentielles, et ça, c’étaient des moments agréables pour Raphaël.
Une pause d’une demi-heure suivait le cours de philo. Comme à son habitude, Raphaël s’installa dans le coin le plus calme possible avec un livre.
La Moria ! La Moria ! Merveille du monde septentrional ! Trop profondément fouillâmes-nous là, et nous éveillâmes la peur sans nom. Longtemps sont restées vides ses vastes demeures depuis la fuite des enfants de Durïn.
Raphaël leva la tête, les yeux au ciel… Encore lui ! se dit-il. Il répliqua :
Le sourire de Loïc intrigua Raphaël.
Raphaël regardait Loïc avec des yeux écarquillés, se passa la main dans les cheveux plusieurs fois, d’un geste nerveux.
Loïc s’était installé à côté de Raphaël. Ils restèrent en silence un moment. Puis Raphaël reprit :
La sonnerie retentit alors. Loïc se leva, tendit la main à Raphaël pour l’aider à se lever. Puis annonça avec un sourire ravi :
Et de longs corbillards sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l’espoir,
Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
Charles Baudelaire
Cette nuit fut particulièrement agitée pour Raphaël. Sa discussion avec Loïc l’avait particulièrement éprouvé. Il ne devait surtout pas s’attacher. À personne. Et Loïc était le genre de personne dangereuse pour ça… Il attirait la sympathie. Le groupe de Luc, que Loïc avait estimé comme nuisible, ne comportait pas ce risque, ils étaient antipathiques, Raphaël savait qu’il ne pourrait y avoir de liens d’affection d’aucune sorte avec eux. Seulement, saurait-il vraiment résister… Il n’en avait rien dit, mais la tentation était grande, surtout dans ces moments-là, où il se retrouvait seul avec ses idées moroses. Il avait bien besoin de s’évader un peu, et le numéro de portable de Luc était tentant… Il s’endormit enfin, souhaitant de tout cœur entendre au plus vite cette voix qui lui était si douce et qui savait exactement ce qu’il lui fallait. Mais elle vint tard, le visage de Renan la tint éloignée. Un visage accusateur, mécontent. Tu es en train de me trahir, Loïc va me remplacer.
Il se réveilla à ce moment-là, comme la dernière fois. Et il vit encore la silhouette. Mais plus nettement, il pouvait distinguer les contours du visage, les arabesques qui couraient sur celui-ci, et un sourire bienveillant qui lui procura un grand réconfort. Mais ce qui le choqua plus, ce furent ses yeux, ils étaient lumineux, envoûtants. La main s’approcha de son visage, Raphaël recula.
La main continua à avancer, mais le bien-être qui en émanait le touchait déjà, il n’avait plus envie de lui échapper. Elle lui caressa la joue, se posa sur son front, l’apaisant totalement, et enfin, lui ferma les yeux.
Aurélius avait rassemblé les Princeps Cipis. Il avait constaté une recrudescence de l’activité ennemie.
Yaël eut l’air gêné. Il prit le parti de la franchise, il ne pouvait pas de toute façon se soustraire à l’intrusion d’Aurélius dans son esprit.
Les Princeps cipis s’évaporèrent pour se retrouver près de leur réceptacle.
La discussion et l’intervention du paria dans son rêve avaient fini de perturber Raphaël qui ne savait alors plus quelle contenance adopter, quelle décision prendre. La présence de Loïc avait quelque chose de rassurant pourtant et il avait tout au fond de lui très envie de se rapprocher de lui. Mais voilà, il ne supporterait pas de voir à nouveau le visage accusateur de Renan dans son rêve. Et accepter Loïc le ramènerait à coup sûr à ce rêve étrange. Il commençait à comprendre pourquoi la voix qu’il aimait tellement entendre la nuit lui avait présenté Loïc comme la voie de son salut. Ils étaient tous deux opposés. Loïc avait une joie de vivre phénoménale qu’il savait communiquer autour de lui, sa gaîté de caractère se voyait même dans ses vêtements chamarrés. On le voyait arriver de loin !
Il arriva en retard pour le premier cours, ce jour-là, il voulait être certain de ne pas tomber sur Loïc avant. Il fut donc tranquille pendant les deux premières heures que durait le cours de français. Mais en se rendant au cours de maths, il fut rattrapé par une voix qu’il redoutait d’entendre…
Cette description capta l’attention de Raphaël qui s’arrêta pour observer Loïc. Il releva ses cheveux, geste qui n’échappa pas à son interlocuteur.
Récit qu’il gratifia d’un large sourire. Mais qui provoqua des sueurs froides chez Raphaël.
Ils entrèrent en cours et pour la première fois, Raphaël prit place à côté de Loïc.
Ils se retrouvèrent pour la pause du matin, dans un lieu calme.
Loïc semblait agité, mal à l’aise. Il commençait même à transpirer et à trembler.
Il reprit péniblement contenance. Puis avec peine, il se concentra.
Et il s’effondra.
Dans un état second, Raphaël suivit les instructions de son ami, tremblant à l’idée de mal faire, fallait-il faire la piqûre ou appeler les secours ? Et s’il prenait la mauvaise décision ? Mais il se dit que Loïc savait mieux que lui ce qu’il lui fallait. Il piqua donc et pratiquement instantanément, Loïc revint à lui.
La sonnerie retentit alors. Loïc se releva péniblement, aidé de Raphaël.
Un lien nouveau venait de se tisser entre eux, bien malgré Raphaël, mais il était bien là, ne demandant qu’à se fortifier.
D’où vient, disiez-vous, cette tristesse étrange
Montant comme la mer sur le roc noir et nu ?
Quand notre cœur a fait une fois sa vendange,
Vivre est un mal. C’est un secret de tous connu,
Semper Eadem.
Semper Eadem – Charles Baudelaire
Cette nouvelle amitié aurait dû aider Raphaël. Mais au lieu de cela, il sombra encore plus profondément. Le soir même, il s’attela à sa dissertation, commençant par tout le mal que pouvait engendrer la relation avec autrui. Il ne descendit pas pour le repas, prétextant une migraine dont il était un habitué. Il se concentra sur son travail et ses lectures afin de penser à tout sauf à Loïc. Il s’endormit, finalement, après avoir ravivé son serment d’amitié avec Renan. Le visage de son ami disparu s’imposa immédiatement. Tu vas le tuer comme tu l’as fait avec moi. Tu es nuisible aux autres, continue à lui parler et il mourra. Méfie-toi, l’amitié n’est pas pour toi, l’amour non plus. La vie même n’a aucune raison d’être pour toi. Rejoins-moi. Je suis là, je t’attends.
Il se leva d’un bond, il était deux heures du matin. La pleine lune inondait sa chambre d’une lumière blafarde. Il tremblait, son cœur battait à se rompre. Il avait peur, il avait mal. Il croyait cette voix qui le disait nocif pour les autres. Il avait maintenant la certitude d’être responsable de la mort de son ami. Il enleva le bandage autour de son poignet et rageusement se lacéra l’avant-bras. Il se punissait de ne pas avoir la force d’âme d’exécuter le geste qui le permettrait d’aller rejoindre Renan.
Ça aurait dû être si simple… Il avait tous les ingrédients : la lame, la tranquillité et le désespoir. Il ne se rendormit pas cette nuit-là, passant le reste de la nuit dans des lectures qui, par leur noirceur, parachevaient son châtiment.
Yaël n’avait pu intervenir pour aider son réceptacle. Il ne pouvait que le regarder faire, l’âme de Raphaël était entièrement accaparée par les parias. Ils étaient sur le point de réussir à l’habiter pleinement. Mais un Princeps Cipis ne s’avoue pas vaincu si aisément ! Il comptait maintenant pleinement sur l’aide de Louki. Seule la force de caractère de Loïc allait être en mesure de fermer Raphaël à cette intrusion.
Seulement, les parias avaient leur armée, le groupe de Luc était à l’entrée du lycée pour intercepter celui qui était leur cible depuis quelques mois déjà. Lorsqu’il les vit, ce fut tout naturellement que Raphaël rejoignit le groupe, se laissant entraîner loin des cours qui l’attendaient.
… J’avouerai que les poisons excitants me semblent non seulement un des plus terribles et des plus sûrs moyens dont dispose l’Esprit des Ténèbres pour enrôler et asservir la déplorable humanité…
Charles Baudelaire – Paradis artificiels
Lorsqu’il vit Raphaël franchir les grilles deux heures plus tard, Loïc se dirigea droit vers lui, quittant le groupe d’amis avec qui il était en grande conversation.
Les yeux exorbités de son ami mirent immédiatement Loïc sur la voie. Il le savait fragile, il savait aussi que Luc et sa bande n’étaient pas là non plus ce matin.
Sur ces mots, il partit, laissant Loïc sonné. Il passa le reste de la journée en compagnie de Luc, cherchant par tous les moyens à éviter le regard de Loïc.
Comme l’avait prévenu Loïc, la descente fut cruelle. Raphaël rentra chez lui, et s’enferma dans sa chambre, refusant tout dialogue avec ses parents.
Le carillon de la porte d’entrée les interrompit. Alice ouvrit et fut surprise de trouver un jeune à l’allure fantaisiste, un jean rouge, un manteau orange et une écharpe violette, les cheveux blonds en bataille, un sourire franc sur les lèvres qui leva chez Alice la moindre hésitation à le faire entrer.
Il frappa. Sans attendre vraiment la réponse qui d’ailleurs ne vint pas.
— Raphaël, c’est moi Loïc, laisse-moi entrer.
Un déclic, la porte s’ouvrit.
Raphaël regarda Loïc comme s’il avait vu un fantôme. C’était bien la première fois que quelqu’un lui parlait comme ça ! Il hésita un moment, décontenancé devant ce garçon qui lui imposait son amitié. Dérouté aussi de se rendre compte que la simple présence de Loïc, dans sa chambre, lui apportait un réconfort inespéré. Il prit le parti de se confier. Mais que c’était difficile ! Il ne l’avait jamais fait. Il repensa alors à son père, qui, lui, avait eu le cran de s’épancher et de rappeler à son souvenir des événements qu’il avait dû tenir cachés dans un coin de son cœur pendant des années. Il l’avait fait, lui. Maintenant, c’était à son tour. Et Loïc était le confident en qui il avait confiance. Le seul à qui il avait envie de parler.
La chambre de Raphaël était spacieuse et confortablement installée. Un grand lit à baldaquin se tenait sur le côté droit de la porte. En face, il y avait un imposant bureau en chêne massif bordé de chaque côté par des fenêtres à huit carreaux, arrondies sur le haut. Face au lit, un coin salon donnait un côté chaleureux à la chambre, avec un confortable canapé, un home cinéma dernier cri et une bibliothèque qui faisait tout le pan de mur, rempli d’œuvres de ses auteurs préférés, de romans fantasy et d’une magnifique encyclopédie.
Loïc faisait une visite détaillée de la chambre en attendant que Raphaël trouve le courage de parler. Finalement, il s’installa sur le canapé, avec un des livres de la bibliothèque dans les mains. S’il fallait attendre, il avait de quoi prendre patience.
Raphaël s’installa à côté de Loïc.
Il prit un moment pour observer Loïc, puis dans un sourire il répondit :