Reines de Cœurs Dames de Piques - Erell Thor - E-Book

Reines de Cœurs Dames de Piques E-Book

Erell Thor

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Beschreibung

Lydia et Diana deux amies inséparables vont se lancer dans la plus grande aventure de leur vie et redécouvrir l’amour au côté de leurs compagnons respectifs.

Les pentes sauvages et rocailleuses du GR 10, un environnement karstique, rugueux. La découverte du pays gascon et ses richesses. De quoi donner à Lydia, soixante-deux ans, l'occasion de s'interroger sur les sentiments de Stéphane. Diana, une superbe quinqua, au flair de truffier, ''venimeuse comme une tarentule'' est loin de se douter que son amitié pour Lydia l'amènera à abandonner sa carapace sur les sentiers du Great Trossachs Path.

Découvrez les paysages incontournables des Pyrénées et de l’Écosse auprès de ces deux amies.

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ErellTHOR

Reines deCœur-Dames de Piques

À paraître :

Les rêveries de Mukala Mushi.

Lydia et Diana sont deux amies inséparables et adeptes de randonnées. La première une sexagénaire, veuve depuis dix-huit mois, est plutôt réservée. La seconde, une quinqua ex-Miss Pays de Galles, ne se laisse pas facilement apprivoiser. Diana a un compte à régler avec les hommes et l’image qu’elle se fait de la plupart d’entre eux n’est guère flatteuse. L’une et l’autre ont un point commun : un esprit de répartie fulgurant et ne se privent pas d’enuser.

La vie de Lydia bascule le jour où Stéphane, un informaticien d’une cinquantaine d’années, lui avoue l’aimer.

Lors d’un déjeuner chez la sexagénaire, Diana fait la connaissance de Xavier, directeur d’usine, proche de la retraite. La carapace de la Galloise vole en éclats. « Je me croyais hermétique ». Xavier s’est gardé de dévoiler ses origines et réserve à la Britannique quelques surprises.

Le lecteur est entraîné sur les pas des randonneuses dans les Pyrénées-Atlantiques et en Écosse. Il découvre avec les filles les attraits de ces pays aux panoramas et aux mœurs inoubliables.

L’amour qu’elles éprouvent pour leur compagnon ne les empêche pas de décocher à l’occasion une flèche à la pointe garnie de tendresse. Comme l’affirme Lydia : « L’humour est le ciment d’une vie à deux ».

Des horizons, une bonne dose de fantaisie et beaucoup de passion.

I

2 juin.

Lydia Norton s’était abritée à l’ombre du vieux mûrier soutenu par un mur de pierres grises, inégales, couvertes de salpêtre et de lichen. Au point d’appui, l’aubier avait repoussé l’écorce et formé un bourrelet crevassé. Les sourcils froncés, elle repensait à la soirée de la veille. Cela aurait pu être une nouvelle soirée sans événement, une soirée banale au cours de laquelle ils auraient maintenu un statu quo vieux d’une douzaine d’années. Pas une fin de journée que son esprit avait maintes fois envisagée et repoussée. Elle ne parvenait pas à refouler le regard pressant, les mots étourdissants et les gestes d’une délicatesse inconnue. Elle avait cédé à Stéphane. Son armure, déjà fragile, était partie en éclats emportant tous les non-dits, les désirs confinés. Les choses ne pourraient plus être comme avant. Lydia se demanda si elle ne le regrettait pas. Elle se souvint de leur première rencontre, douze ans déjà. C’étaithier!

Nigel, son mari décédé depuis les avait présentés. Stéphane Lacourt apportait son expertise en matière de gestion informatisée. Cela soulagerait Lydia de saisies fastidieuses et pourrait ainsi se consacrer davantage à son talent d’œnologue. Lydia parcourait les vignobles du Bordelais à la recherche de crus confidentiels. Elle en dressait une fiche détaillée destinée aux clients outre-Manche de son mari. Leur réputation s’était établie et appréciée des fournisseurs comme des consommateurs. L’affaire progressait d’année en année. Nigel venait d’appointer une jeune secrétaire qui aurait pour charge la dactylographie et l’introduction des données dans le système. L’exploitation des fichiers demeurerait de la compétence de Lydia.

La poignée de main aurait pu être ordinaire. Ni molle ni trop virile. Une salutation conventionnelle. La paume de l’informaticien était fraîche et douce. Le contact, avait-il duré une, deux ou trois secondes de plus que la normale? Lydia ne s’en souvenait plus avec exactitude. Était-ce lui ou elle qui avait prolongé ce contact? Les yeux très légèrement bridés de l’homme lui souriaient. Il avait les pommettes un rien prononcées. Ses cheveux, mi-longs, blond platine encadraient un visage séduisant. Une origine slave, pensa-t-elle sans détourner le regard. Une petite voix l’avertit: Danger! De la main gauche, elle redressa une mèche et chassa le lutin tapi dans son oreille. Bien sûr, l’homme était séduisant, mais il n’était pas prêt de l’émouvoir. Un gamin. Je suis curieuse d’entendre ce qu’il propose.

Lydia s’assit devant son ordinateur et fit défiler une série de tableaux.

–Tout est manuel, donc lent, et les erreurs inévitables.

Lacourt se pencha et posa les doigts sur le dos de la main tenant la souris. Il s’excusa. La femme lui glissa l’objet. L’informaticien effectua un agrandissement d’une partie du tableau et l’étudia. Des colonnes listaient les entrées: fournisseurs, vins, prix, quantités, dates. D’autres, similaires, étaient réservées aux sorties. L’homme vit rapidement comment automatiser et sécuriser les informations.

Il se recula sur son siège et saisit une feuille blanche sur laquelle il dessina un schéma. Lydia approcha le visage de celui de l’homme en guettant la suite. Elle murmura soudain hors propos.

–Dark Blue de Hugo.

Stéphane redressa la tête en signe d’incompréhension.

–J’ai dit Dark Blue de Hugo. C’est bien votre eau de toilette, non? Je la reconnaîtrais entre mille.

Lydia savoura de le voir quelque peu déstabilisé.

–Continuez.

–Où en étais-je?

–Vous parliez d’automatisation.

Lacourt reprit son croquis. L’œnologue l’interrompait parfois pour une clarification. Moins d’une heure plus tard elle admit son intérêt tout en avertissant.

–Je dois vous communiquer des informations à ne pas divulguer.

–Nous sommes tenus au secret. C’est contractuel.

–Parlons délais, quelles sont les étapes?

Stéphane évalua sommairement le temps à consacrer à l’édification du programme et à l’acquisition d’équipements périphériques.

–Sur bases de réalisations comparables, le système peut être mis en service sous six semaines.

–Vous nous communiquez un CV et des références avec votre offre.

Elle avait opté pour un ton sec, chacun à sa place.

–UnCV ?

–Comme tous nos fournisseurs de prestations techniques. Ça vous pose un problème?

Dans son for intérieur, Lydia se traita de garce. Jamais n’avait-elle exigé ce document. Elle voulait en savoir davantage sur ce Lacourt. Un jeune sortit, depuis peu de la fac, s’arrogeant des airs d’expert.

–Non. Inhabituel, mais vous l’aurez.

Il retrouva son sourire énigmatique teinté d’ironie.

–Dois-je également vous fournir une copie de mon dossier médical?

Lydia se mordit la lèvre inférieure et pensa.

–Beau et insolent.

Bien décidée à ne pas lui laisser le dernier mot, elle lâcha.

–Ce ne sera pas nécessaire, nous sommes équipés d’un antivirus performant.

Stéphane avait éclaté de rire.

Le pedigree du « morveux » l’avait étonnée. Trente-huit ans! - Je ne les lui donnerais pas. Longue liste de références et deux publications dans une revue spécialisée. Lydia avait dû reconnaître un jugement, a priori, fondé sur le réflexe d’autodéfense d’une femme, la cinquantaine au charme indéniable, habituée aux avances.

Au fil des semaines, la défiance s’était muée en sympathie. Stéphane lui apparaissait sous un jour différent. Un homme plaisant, discret, capable d’auto dérision. Le sourire n’avait pas changé, mais il ne paraissait plus hautain. Lorsque l’informaticien la regardait, Lydia ne pouvait s’empêcher de vibrer. Il n’avait, cependant, jamais eu un mot ni un geste déplacé. Il adressait une moue bienveillante, non condescendante, le mot adéquat, à la jeune et sémillante secrétaire. La mijaurée ne ménageait pas ses efforts pour susciter l’attention de l’ingénieur. Les Norton avaient invité les Lacourt à passer quelques jours en leur compagnie dans leur propriété proche de Lacanau. Nadine, l’épouse de Stéphane, avait insisté pour emmener Denise, sa veuve de mère. Les deux femmes se ressemblaient, plutôt jolies, mais le tour en avait été vite fait. L’univers de Denise se limitait aux confidences des revues people. Nadine se prélassait au bord de la piscine, indifférente à tout ce qui n’était pas bronzage ou crèmes solaires malgré des appels de son mari. - Je suis en vacances, non? Il y eut ensuite deux années glaciales. Denise était idiote, mais agissait en femelle instinctive. Nigel s’était laissé pendre aux chants de la sirène.

Suite au décès de son mari et après avoir longuement hésité Lydia avait rappelé à Stéphane. - je cède l’affaire, pourrais-tu transférer ton savoir-faire à l’acquéreur?

Ils s’étaient revus dans un climat apaisé. Elle avait proposé à l’ingénieur de le loger lors de ses missions dans la région.

Aujourd’hui, Lydia s’interrogeait. À quoi pensait Stéphane depuis quelques jours. Il lui arrivait de rester silencieux en fixant un point imaginaire. Ce n’était plus tout à fait l’homme pour qui elle éprouvait de l’affection, celui dont la présence était attendue avec joie. Non pas qu’il fut distant. Il parlait toujours à Lydia avec la même tendresse. Quelque chose le perturbait, elle le sentait. Lorsqu’elle lui avait posé la question, il avait haussé les épaules et répondu avec un sourire contraint – rien qui mérite d’être signalé, ne t’inquiète pas. Ils étaient montés se coucher. Sur le palier menant à leur chambre respective, Stéphane lui avait pris la main. - J’aimerais que tu me prennes dans tes bras cette nuit. J’ai besoin de sentir ta présence, la tiédeur de ton corps, la soie et le parfum de tes cheveux. Lydia aurait voulu opposer des prétextes, «tu te rappelles que j’ai soixante-deux ans» ou «tu es marié». Mais elle aussi éprouvait une envie dévorante d’être enlacée. Elle avait baissé les yeux et haussé les épaules et lâché sans conviction. - Si tu restes sage et ne mets pas fin à notre amitié. Je tiens à toi. L’un et l’autre n’avaient pas résisté longtemps à la tyrannie des sens. Les yeux clos, elle avait capitulé.

Stéphane apparut. Il avait dormi profondément et semblait avoir oublié ses soucis. Il embrassa la sexagénaire.

–Tu as déjà pris ton petit-déjeuner?

–Je t’attendais. Tu ne travailles pas aujourd’hui?

–Les conclusions de mon rapport. Nous sommes samedi. Tout le monde n’a pas le bonheur d’oublier les jours de la semaine.

–Touchée. Tu ne retournes pas à Orléans pour le week-end? Nadine doit t’attendre.

Stéphane évacua le sujet d’un geste de lamain.

–Je lui ai annoncé une autre réunion lundi.

–Et?

–Je n’ai pas de réunion. Je voulais rester près de toi. À moins que cela tegène.

La canaulaise lui jeta un regard suspicieux.

–C’était prémédité?

Lacourt s’accroupit face à Lydia.

–Mon week-end oui. Nous, non. Tu regrettes?

–Je ne sais pas. J’allais oublier. Diana, une compatriote de Nigel et membre de mon groupe de randonnée est invitée pour la journée.

–Et ma présence te pose un problème ?

–Pas vraiment, c’est plus qu’une amie, une petite sœur, un vrai limier. Un flair exceptionnel. Elle a remporté, à dix-neuf ans le titre de Miss Cymru ce qui veut dire Miss Pays de Galles. Très bien roulée, parfois un peu provocante. Un homme peut lui plaire sans pour autant l’émouvoir. Assez exigeante. Une fois consommé, pouf à la corbeille!. Elle a un compte à régler avec l’engeance masculine. Certains s’en souviendront longtemps. Elle est loin d’être niaise et a un esprit de répartie rare. Attends-toi au pire, tu vas passer au scanner.

Puis d’ajouter avec malice.

–Comme, tu viens de me donner des raisons d’être jalouse, au moindre geste ou regard suspect, j’ouvre le feu. Je peux être vache !

–Et même pis, j’en suis certain.

Lydia haussa les sourcils.

–Ben oui: vache... pis.

–C’est bon, j’avais compris. Tu en as encore beaucoup comme ça en magasin ?

Il acquiesça.

–Quelques-uns.

–Vivement les soldes que tu t’en débarrasses.

Pour tempérer sa pique elle emprisonna sa taille et lui embrassa le menton.

–Je vais enfiler mon bikini et une sortie de bain et toi dissimule ton artillerie.

Elle disparut dans sa chambre.

Le rapport avait nettement progressé, Stéphane en était aux recommandations lorsque le carillon de la porte d’entrée tinta; les premières notes du Printemps de Vivaldi. Lydia grommela.

–Cette sonnerie m’agace, ils auraient pu enregistrer l’intégrale des quatre-saisons, on pourrait penser que c’est le glacier du village qui passe dans larue.

Dans son coin, l’homme sourit.

–Hi Di, please do comein...

–Hi Lydia. Dis-donc, tu as l’air en pleine forme ! Et cette coupe de cheveux ! Très réussie !

Et dans un murmure

–Tu n’es pas seule ?

–Viens, je vais te présenter Stéphane le beau-fils de Denise Delpierre. Il est en mission du côté de Bordeaux pour quelques jours et loge ici.

L’homme se leva. Intriguée Diana le détailla des pieds à la tête et fit ostensiblement une moue d’appréciation.

–Pleased to meet you, I’mDiana

Il lui rendit la politesse :

–Enchanté, Lydia m’a parlé devous.

L’Anglaise avait une cinquantaine d’années. Ses cheveux blonds encadraient un visage jeune, sans fard. Ce qui frappait était le regard investigateur. Un peu plus grande que son amante elle portait un short moulant qui dévoilait des jambes sans fin et des cuisses bronzées. Elle ne portait pas de soutien-gorge, le T-shirt mettait en évidence des seins qui visiblement pouvaient s’en passer. Évitant de s’y attarder, il se rassit face à son écran.

–Je vous rejoindrai plus tard.

L’invitée passa à l’attaque :

–Pas mal ! Et en plus, il parle !

Les deux femmes s’installèrent sous un parasol et évoquèrent des souvenirs de promenades ponctués de gloussements. Diana était du genre volubile. Sa voix un rien aiguë dominait la conversation. Lorsque Stéphane rejoignit les deux comparses, la Galloise se tut et le dévisagea une fois de plus. L’homme proposa un rafraîchissement et s’enquit des souhaits de chacune.

–Il est stylé ton ami. Qui m’accompagne ? Je fais un plongeon.

Quittant son fauteuil, elle fit glisser son short et ôta son T-shirt. Les seins, au bronzage uni, étaient fermes. Stéphane ignora l’Anglaise, posa le plateau avec les verres devant son amante et lui adressa un clin d’œil complice. S’asseyant dos à la piscine, il se mit à deviser de choses et d’autres. Déçue de ne pas avoir été rejointe la Galloise lança:

–L’eau est exquise, vous devriez venir vous baigner.

–Plus tard, j’explique à Stéphane un ou l’autre travail pour lequel j’aimerais son aide.

Diana lança un «OK» et émergea de la piscine. Elle les éclaboussa au passage.

–On croirait voir deux amoureux.

Lui adressant un sourire indulgent, l’homme convint.

–On pourrait le croire n’est-ce pas.

S’attendant à des protestations, Diana marqua un arrêt et fronça les sourcils.

–Félicitations pour le choix, plutôt charmeur.

Et en plongeant son regard dans celui de Lydia

–Si tu n’en fais rien, je prends.

La canaulaise parvint à se maîtriser et renvoya avec désinvolture

–Tu vois cela avec lui, je ne suis pas une agence de rencontres. Plus sérieusement, Stéphane, tu prépares le barbecue ?

Heureux de la diversion, il se dirigea vers la grange et en sortit le sac de charbon de bois laissant aux deux randonneuses le soin des préparatifs culinaires.

Dans la cuisine, Diana attaqua.

–Toi et lui?

Lydia se déroba.

–Que vas-tu imaginer? Un ami. Enfile les brochettes au lieu de fabuler.

–Regarde-moi quand je te parle, s’il te plaît.

Prenant l’air le plus détaché possible, Lydia leva lesyeux.

–Ça te va?

–Tu ne vois donc aucun inconvénient à ce que je reste seinsnus?

La canaulaise répondit par une dérobade.

–J’imagine qu’il a dû en apercevoir quelques paires sur les plages.

–Alors tout va bien, je lui apporte la viande.

Dans son dos, Lydia fit mine de lui tordre lecou.

–Pour le cuistot !

Saisissant les brochettes, l’informaticien les disposa entre les deux grilles et les y pinça fermement. La quinquagénaire vint à ses côtés son bras touchant lesien.

–Pour moi bien cuite.

Le « chef » hocha la tête sans répondre et s’écarta en prétextant aller chercher des épices. Lydia l’accueillit par une moue moqueuse :

–Tu vas te faire violer avant la fin de l’après-midi.

Stéphane fit mine de se lécher les babines. L’œillade glaciale le fit sourire.

–Bravo chef ! Les brochettes étaient parfaites.

Il faisait chaud sous le parasol. Tirant un matelas de plage à sous le mûrier, l’homme s’y allongea un livre à la main. L’Anglaise en fit de même. Soulevant le bassin, elle fit rouler le haut du slip pour dévoiler le bas de hanches et se tourna sur le ventre, le menton sur les poings.

–Je déteste la marque du maillot.

C’était dit comme une évidence. Elle replia alternativement une jambe puis l’autre. Insensible, en apparence, au spectacle, Stéphane feuilletait les pages de son livre ce qui agaça l’invitée. Basculant sur le flanc elle s’empara du roman.

–C’est bien ?

–Hon hon, pasmal.

Le sixième sens de Diana la poussait à confirmer sa suspicion: une liaison inavouée. Elle entendait abattre la défense de son aînée. Lydia bouillait intérieurement.

–Je ne la reconnais pas. Ordinairement, elle n’a pas besoin de lever le petit doigt, les hommes se pressent comme des papillons de nuit autour d’une lampe. Elle le vampe carrément.

Stéphane se leva. La Galloise ne pouvant pas les voir, il serra brièvement le poignet de son amante. Du bout des doigts, l’homme pinça un glaçon rescapé dans le seau à glace. Se penchant au-dessus de la Galloise, il lâcha le petit cube gelé entre les cuisses serrées. L’effet fut instantané. Elle fit unbond.

–Tu n’es pas bien ? C’est froid !

–Je craignais que tu prennes feu.

–Fallait pas déclencher l’incendie.

Stéphane partit d’un grand rire sincère.

–Ça ressemble à de l’autocombustion, mais bravo pour l’esprit de répartie.

La réponse la flatta et elle se radoucit.

–Elle a beau prendre un air détaché, je sens Lydia à deux doigts de me chasser à coups de balai.

Elle avait décidément de la suite dans les idées, mais la sexagénaire flaira le leurre.

–Pourquoi donc? Ce que je sais est que si sa femme avait été ici, c’est en lanières que tu aurais terminé la journée.

Lydia se soulageait en avançant une prétendue riposte de l’épouse absente. Diana plissa le nez et en remontant son slip.

–Il m’arrive de savoir me conduire. Si sa chère et tendre avait été ici, je me serais contentée d’enlever sagement le haut. Perfide, elle ajouta.

–Mais sa Reine de Cœur nous observe-t-elle peut-être? Avec les technologies avant-gardistes. Rappelle-moi son nom: Ti-Rex, c’estça ?

–Presque : Ti-gresse.

Diana avança une lippe dédaigneuse.

–OK. C’est plus moderne.

–Café ou thé les filles ? L’atmosphère s’allégeait et la Britannique semblait admettre, plus ou moins de bonne grâce, l’échec de ses provocations. Elle ne put contenir une ultime tentative. En chuchotant suffisamment fort pour que Stéphane l’entende :

–Dis-moi, il est impuissant ?

–Libre à toi de vérifier, mais cesse tes insinuations s’il te plaît.

La Britannique leva la main en signe de reddition. L’après-midi touchait à sa fin et l’invitée se leva.

–Je vous laisse. Une journée exquise. Intéressante.

Se tournant vers l’homme, elle ajouta :

–Sans rancune, j’espère ? Et l’embrassa.

–Pour me faire pardonner de toutes les horreurs que j’ai pu commettre ou dire.

Le ton était dénué d’ironie.

Lydia la raccompagna jusqu’à sa voiture. En s’asseyant derrière le volant Diana murmura.

–Il est très bien, pas stupide ni influençable. S’il se moque de toi, je le massacre.

L’amante n’eut pas le temps de répondre, le moteur vrombit et la voiture disparut promptement.

Enfin seuls, ils poussèrent un soupir de soulagement.

–Ce n’est pas une bombe, c’est un ouragan sexuel ta copine.

Lydia murmura.

–Elle nous a mis à l’épreuve. Elle part convaincue que toi et moi... Nous avons pourtant été discrets. :

–Peut-être quelque chose dans nos regards. Ses antennes n’ont pas cessé de fonctionner.

–Cette fille est dotée d’un don de divination. Malgré tout, j’éprouve une réelle amitié pour elle. Diana est très vive d’esprit et ne se laisse pas facilement démonter. Elle aspire les hommes et ne se gêne pas pour les ridiculiser si elle les trouve sans intérêt. Elle prend puis elle jette. Je suis certaine que ton comportement et ta façon de lui renvoyer la balle l’amusent. Plus exceptionnel, je pense qu’elle éprouve même une certaine estime et qu’elle maintiendra ses distances.... tant qu’elle restera convaincue que nous sommes amants. Ton calme m’a épatée. D’autres auraient ronronné ou se seraient outrés.

Elle s’écarta et se mit à ranger ce qui traînait sur la table. La chaleur aidant, ils n’avaient quasiment pas touché aux victuailles.

–Réservons cela pour demain. Ce soir, je t’emmène au restaurant, j’en connais un sur la route de Saint-Médard.

L’enseigne «l’Écailler» fléchait le restaurant légèrement à l’écart de la nationale. On y accédait par une allée privée débouchant sur un parking de terre battue. Il n’y avait que trois véhicules, l’un immatriculé en 33 arborait le logo d’un fabricant d’une boisson gazeuse bien connue. Les deux autres appartenaient visiblement à des touristes danois comme le laissait deviner l’autocollant DK. Le bâtiment était ancien et avait été aménagé avec goût par le propriétaire. Des poutres massives traversaient le plafond de la salle à manger. Une vingtaine de tables étaient disposées de façon à garantir un minimum d’intimité aux convives. Comme il était encore tôt, trois couples, des retraités danois, et un homme seul occupaient des tables près de l’entrée. Le patron, un gascon jovial à la moustache en guidon de vélo de course, claironna.

–Madame, Stéphane !

Son accueil fit se retourner les dîneurs.

–En galante compagnie pour changer. Lui rendant son salut, l’ingénieur fit les présentations.

–Bonsoir Bruno, Lydia une amie. Il inclina légèrement le buste.

–Enchanté... Elle est charmante. Lui dédiant un clin d’œil complice.

–Je vous réserve un coin intime.

–Super!

Les couples les suivirent un instant du regard. Les femmes dévisagèrent l’homme et toisèrent sa compagne. Lydia s’était habillée avec discrétion, sa distinction ne passait cependant pas inaperçue. Il l’aida à s’asseoir et prit place face à elle.

–Tu viens fréquemment ici ?

–Oui. Il fait également hôtel et j’y ai déjà passé quelques nuits ici avant ta délicieuse hospitalité. Il a raison, tu es ravissante.

La canaulaise rosit légèrement. Il lui saisit la main et pressa légèrement les doigts. Ce geste n’échappa pas aux trois femmes. Elles s’interrogeaient sur l’âge de la dame et sur la nature de leur relation. Comme il posa un baiser furtif sur la paume de la main, tout était clair. Les trois Danoises reprirent leur fourchette et chuchotèrent une remarque à laquelle les maris répondirent par un grognement. Bruno approchait les cartes et un plateau à la main.

–L’apéro offert par la maison

Il déposa deux Kirs Royal en recommandant le plat du jour.

–Je ne suis jamais venue ici, cependant, j’avais noté l’enseigne, mais seule ce n’est pas très tentant. Je suis donc ravie que tu me fasses découvrir ce restaurant.

–Un autre souvenir de mon passage ?

–En effet, et pas désagréable non plus

L’affirmation plut à Stéphane. Ils entamaient le dessert lorsque les Danois se retirèrent en saluant brièvement.

–As-tu noté ? Elles te dévoraient du regard.

–Qui ?

–Hypocrite ! Tu ne me feras pas croire que tu n’as pas remarqué le regard gourmand des trois grâces.

–Tu parles des trois grasses ?

Lydia rit.

–Ça, c’est féroce et en outre, tu te trahis.

Peu à peu, la salle se remplissait. Bruno et sa serveuse courraient d’une table à l’autre. Stéphane se rendit au comptoir pour régler le repas et remercia le patron d’un geste amical. Ce dernier retourna un signe d’encouragement pouce relevé.

–Pas besoin de lui faire un dessin, hein ?

–Tu as fait ce qu’il fallait pour cela, tu aurais même gagné du temps en me collant un écriteau «Ma maîtresse». Merci, Stéphane pour cet excellent repas et cette soirée épatante. J’ai l’impression de rajeunir.

Pour toute réponse, il lui serra le genou. Le trafic était fluide et en moins de vingt minutes, ils furent de retour. La nuit tombait, l’éclairage sobre du modeste hameau n’embrumait pas les constellations. Le calme était total. Ils optèrent pour un digestif assis côte à côte sur la terrasse dans l’obscurité. Gagnés par l’envoûtement du crépuscule, ils devisèrent à voix basse. Lydia l’interrogea sur ses activités à venir et lui apprit qu’elle s’était inscrite à une semaine de randonnée dans les Pyrénées.

–Une partie du GR 10. Il longe la frontière avec l’Espagne. C’est une suite de cols et de dénivelées. Nous logerons dans des gîtes proches de villages. Ça promet d’être sportif, mais au moins aurai-je l’esprit et le corps occupés après ton départ.

–Je ne suis pas certain d’être capable de m’attaquer à ce type de balade. Pourquoi monter puis qu’après il faut quand même redescendre.

–C’est l’intérêt de la chose, une bonne dose de fatigue et de crampes qui te fait apprécier l’instant où tu poses ton bâton. Tu souffles, fier d’avoir bouclé l’étape après t’être repu d’images grandioses.

–J’admire ton engouement et ta vitalité, mais très peu pour moi. Du moins pour l’instant. Sa mine blasée déclencha l’hilarité de l’amante.

–Si je devine bien il y a des reliefs moins abrupts auxquels tu préfères t’attaquer.

Il se leva de son siège.

–C’est exactement ça et je vais t’en établir la preuve.

La sexagénaire fit mine de s’échapper. Il la retint par le bras.

–Si j’avais quelques semaines devant moi, j’envisagerais peut-être de me joindre à vous, mais là dans l’immédiat il y a d’autres monts que je rêve de conquérir.

En la plaquant contre lui, il insinua une main dans son décolleté. Elle poussa un cri étouffé lorsque les doigts se refermèrent sur un téton durci. L’entraînant vers le haut, il l’allongea sur le lit et la déshabilla lentement en détaillant ses formes.

–Tu m’intimides.

Elle se recroquevilla pour échapper à son examen. Il la repoussa doucement sur le dos tout en posant des baisers appuyés sur son ventre puis ses cuisses. Lydia émit un « Ouh» d’anticipation et se crispa. Son cerveau lui criait de résister, son corps hurlait de se laisser aller. Un torrent de sensations divines et inconnues l’emporta. Elle fut entraînée vers les abysses. Incapable de se débattre, elle crut appeler. Elle dériva ballottée par un tourbillon. Enfin, une lame la poussa vers le rivage où elle s’échoua. Sa respiration était saccadée et ses doigts griffaient les draps. Ce qu’elle redoutait lui apparut : elle le voulait, à elle. Lydia secoua la tête pour refouler cette pensée.

–C’était bon de t’entendre m’appeler «chéri».

–J’ai dû dire n’importe quoi.

–Répète !

Comme il insistait, elle le repoussa et se réfugia sous la couette.

–Non ! Cesse !

–Puis-je au moins te dire que je t’aime?

Elle haussa les épaules.

–C’est absurde et tu le sais. Bornons-nous à cette relation. Inutile d’y ajouter des sentiments peu crédibles.

Le ton était devenu cassant. Lydia lui tourna le dos. Il l’observa un peu désarçonné. Sans un mot, l’homme reprit ses vêtements éparpillés et quitta la pièce. Il alluma sa lampe de chevet et s’installa sur le lit dos appuyé au mur. Le revirement de Lydia lui paraissait inexplicable. Pourquoi s’était-elle braquée subitement ? Décidément, les femmes sont des animaux mystérieux. Renonçant à comprendre, il fit l’obscurité et tenta de s’assoupir. La nuit devait être avancée lorsqu’un corps se glissant sous la couette le tira de son sommeil. Il émit un grognement surpris. Un bras l’entoura et sentit des lèvres chaudes se poser sur son épaule. L’amante murmura dans le noir.

–Nous pouvons nous donner l’un à l’autre, pas tomber amoureux. Je ne veux pas prendre ce risque.

Elle se tut et joua un bref instant avec ses mèches.

Un rayon de soleil illumina la chambre. Stéphane s’étira et constata qu’il était seul. De bruits ténus provenaient du bas. Il enfila son maillot. Lydia ne le vit pas sortir. Il nagea quelques brasses sous l’eau, revigoré par la fraîcheur, il se hissa sur la margelle et se laissa sécher au soleil. Il revit la façon dont la soirée s’était conclue et s’activa un moment en récoltant des feuilles à la surface de la piscine à l’aide du filet.

–Petit déjeuner anglais ? Lydia se tenait sur le seuil vêtue d’une longue djellaba ocre et bleue.

–Comme pourtoi.

Ils évitaient de se regarder en gamins boudeurs.

–C’est prêt dans une minute.

Il la rejoignit en sifflotant pour masquer son ressentiment.

–Stéphane, c’est notre dernière journée ne la gâchons pas.

–Tu as raison. Je pense préférable de tirer un trait sur ce qui s’est passé. Ce serait la meilleure façon pour l’un et l’autre de ne pas souffrir.

La phrase à peine formulée, il s’en voulut. Lydia déposa ses couverts et s’enfuit vers la cuisine. Elle reniflait bruyamment et se moucha. Il se leva à son tour et en l’empêchant de quitter la pièce s’excusa.

–Pardonne-moi. Je ne pense pas ce que j’aidit.

Elle leva des yeux rougis et se balança d’un pied sur l’autre. Après une longue inspiration.

–Je te dois une explication. Je ne sais plus où j’en suis. J’avais moi aussi envie de toi, être ta partenaire, sentir la vigueur de ton étreinte. Je suis prude et n’imaginais pas la douceur de tes caresses ni les sensations qu’elles éveilleraient. Hier soir, lorsque tu as, euh.. Enfin bref, je pensais ne pas pouvoir répondre à ton attente et eu envie de te demander d’arrêter. J’ai subitement été submergée par une vague de plaisir. Mon esprit me commandait de cesser, car ce jeu ne devait être réservé qu’aux amoureux. Mes sens, eux, m’y encourageaient. Ce sont eux qui ont eu gain de cause annihilant toute velléité de révolte. Ma carapace s’est fissurée, c’est une femme nouvelle qui émergeait de son cocon. Mes principes ? Envolés. Ma pudeur ? Balayée. J’ai sombré dans un état second. Moi qui suis très indépendante, je me suis prise à te supplier de faire de moi ton esclave, ta chose. Tu me dominais, c’était merveilleux. Je savourais même d’être impudique, j’étais totalement soumise. Enfin revenue à moi et libérée de ton emprise ma raison a repris le dessus. Je me suis détestée d’avoir pu t’implorer, même en rêve. Je t’ai aimé et haï de m’avoir fait découvrir mon corps. On ne pâtit pas du manque de ce que l’on ignore, or, tu emporteras avec toi les choses que tu m’as apprises et que désormais ma chair réclamera. Notre relation doit être éphémère. Je suis heureuse et déchirée et de ce fait très injuste... Il me reste à reconstruire mon armure.

Elle se tut, soulagée d’avoir pu s’exprimer sans être interrompue. Il lui souleva le menton.

–Ne compliques-tu pas les choses ? Pour moi, tout est simple.

–Évidement, pour vous les hommes, nous sommes une charpente de contradictions et de paradoxes. Nous nous voulons conquises, mais libres. Les femmes aiment s’épanouir à vos côtés, pas dans votre hombre. Stéphane, fais donc face à la réalité, tu es marié, je pourrais presque être ta mère, tu penses m’aimer, mais c’est un mirage créé de toutes pièces par les circonstances. De retour à Orléans, tu retrouveras ton quotidien et c’est mieux ainsi. Non, je ne veux pas tirer un trait comme tu l’as dit, je veux garder intact le souvenir de notre folie, car ce n’est qu’une folie. Le temps m’aidera à ne plus y penser avec passion, seulement avec tendresse.

Il secoua la tête énergiquement.

–Que sais-tu de mon couple ? Trop jeune pour être ma mère ! En te regardant, je me dis qu’il est probable que c’est toi qui m’enterreras. Alors, oui, j’ai toutes les raisons de te désirer et de t’aimer.

Lydia poussa un soupir d’impuissance.

–Demain, tu seras loin, accorde-toi le temps de faire retomber l’élan qui t’anime aujourd’hui. La sagesse m’oblige à rester prudente et à ignorer ta flamme. Elle pourrait n’être qu’une étincelle.

–Tu t’obstines à rester sourde! Je tiens à toi ! Tu veux bien l’entendre ou dois-je le hurler ?

–Soit, je l’entends, mais pas certaine de le comprendre. Changeons provisoirement de sujet, s’il te plaît. Pourrais-tu jeter un coup d’œil aux menues réparations dont je t’ai parlé?

–Tout ce que tu voudras. Tu m’assistes?

La matinée passa rapidement, trop rapidement. Ils avaient bien progressé dans les remises en état, mineures, mais nécessaires. Depuis le décès de Nigel Norton, deux ans plus tôt, Lydia parvenait avec succès à entretenir la propriété. Les Norton l’avaient acquise depuis une vingtaine d’années alors que le mari s’était installé en Gironde proche des propriétés vinicoles. Il exportait de grands crus vers son île natale et s’était peu à peu bâti une situation enviée comme l’attestait leur demeure plutôt cossue. Lydia avait suivi un cursus en œnologie et ainsi secondé habilement son époux pour rédiger les contrats. Stéphane avait fait leur connaissance lors d’une consultation pour établir un logiciel de collecte et de stockage de données. Sa firme DC. & S (Data Collect and Saving) avait remporté l’adjudication et l’obligeait à passer de longues journées en leur compagnie pour créer, repenser et valider les programmes. Les Norton s’étaient révélés être des clients exigeants mais compréhensifs. Ils avaient tissé des liens de confiance et d’amitiés cela lui valut d’être invité à plusieurs reprises. Ils lui avaient même offert d’y passer des vacances en famille pendant leur voyage en Californie.

–La propriété sera occupée pendant notre absence et vous disposerez de tout le confort pour une détente au soleil.

Lydia et Nigel avaient ainsi fait la connaissance de Nadine et Denise sa mère. Les trois femmes s’étaient trouvées quelques activités communes et avaient plus ou moins sympathisé.

Stéphane n’avait jamais connu son beau-père. Il avait été tué dans un accident de voiture quelques mois avant sa rencontre avec Nadine. Denise bénéficiait d’une rente suffisante pour vivre sans soucis d’argent. C’était une femme plutôt attrayante, préoccupée par son apparence et fréquentait assidûment les salons de coiffure et d’esthétique. Elle ne brillait toutefois pas par son intelligence. Sa présence en devenait irritante. Plus magnanime Lydia faisait mine de s’intéresser aux frasques des vedettes en vogue. Sa bienveillance n’avait pas été payée en retour. Alors qu’elle s’était rendue en Grande-Bretagne pour solder un litige avec un de leurs clients, la belle-mère s’était invitée chez les Norton. Sensible aux avances non voilées de Denise, Nigel avait cédé. Dès lors les rapports avec Lydia avaient été tendus. Il ignorait comment elle avait appris la trahison de son mari. Depuis elle évitait l’ingénieur ou s’en tenait à un échange purement professionnel. Quand il en avait fait état en traitant sa mère d’oie nymphomane et inconséquente Nadine avait pouffé et conclut « ce n’est pas de sa faute si elle baise mieux que sa femme ». Stéphane en avait été ulcéré.

–Je travaille pour ces personnes, tu n’as pas l’air de comprendre la situation

–Bah. Tu trouveras d’autres clients, ce n’est pas la fin du monde.

Le ton désinvolte l’avait révolté et poussé hors de la maison en claquant la porte. Sa relation avec Nadine s’était encore dégradée, ce qui ne semblait pas la troubler outre mesure. Un faire part adressé à la société avait annoncé le décès brusque de Nigel. Stéphane était descendu précipitamment pour assister aux obsèques. Quelques semaines plus tard, Lydia l’avait convoqué pour l’aider à transmettre à un acquéreur les différentes clés des logiciels de son entreprise. Elle avait admis.

–J’ai décidé de remettre l’affaire. C’est trop prenant. Nigel se chargeait du démarchage des acheteurs potentiels, ce n’est pas mon truc.

Timidement, il lui avait proposé de l’inviter à dîner. Contre toute attente, elle avait accepté. Pendant le repas, ils avaient parlé de choses et d’autres, de la vie qu’elle envisageait. Bien qu’encore affectée, Lydia s’était montrée diserte et avait proposé de le loger chez elle pendant la durée de la mission.

–Si ce n’est pas abuser avec joie !

Trois jours plus tard, alors qu’il bouclait sa valise son hôtesse avait annoncé :

–Quand tu seras dans la région, fais signe la maison t’est ouverte. Je n’éprouve aucune rancœur à ton égard. J’ai néanmoins eu du mal à te côtoyer du vivant de mon mari. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser à ta belle-mère et c’était pénible. J’ai même envisagé te séduire. J’y ai renoncé parce que cela aurait été une basse vengeance et tu ne le méritais pas.

Elle avait haussé les épaules et ajouté :

–Sans être certaine d’y parvenir

II

Le Sud Ouest de la France représentait la zone d’intervention de Stéphane, outre Saint-Médard, il se rendait régulièrement à Mérignac. La proximité de l’aéroport international attirait de nombreuses PME et des besoins en technologies innovantes. L’offre de Lydia était une aubaine et il ne manquait en aucun cas de se manifester quand une mission l’appelait dans la région ce qui agaçait profondément Nadine.

–Je me demande ce que tu lui trouves.

Elle considérait son amitié pour Lydia comme une offense à sa mère et filiation oblige, à elle-même.

–On ne peut pas dire que tu étouffes de reconnaissance.

–Quoi, parce qu’elle nous a cédé sa maison pour des vacances ? On aurait pu louer ailleurs et ne pas en faire un plat.

Il se refusait de répondre à tant d’ingratitude et de mauvaise foi. Pour rien au monde n’aurait-elle exprimé un regret suite au comportement de sa mère.:

–De son vivant ton père devait porter de fameuses paires de cornes.

Le ménage battait de l’aile. Grâce au Seigneur, elle avait toujours refusé d’avoir des enfants. Ils auraient nui à sa carrière. L’égoïsme de sa femme devenait de plus en plus lourd à supporter et il accueillait avec soulagement des missions loin de chez lui.

Il avait édifié la D.C. & S avec un associé, Émile Graindorge, fin des années quatre-vingt-dix. Ce dernier avait en charge le Sud Est du pays. En outre, deux agents, l’un basé à Paris répondait aux demandes de la capitale et du Nord, l’autre installé à Metz se chargeait des clients de l’Est de la France, et même du Luxembourg. Ils avaient choisi d’établir les bureaux dans la région d’Orléans, à La Source, non loin de l’université. La situation était idéale pour se rendre chez leurs clients respectifs. Leur cahier de commandes les occupait beaucoup et obligeait à de nombreux déplacements chronophages. De retour de Lacanau, Lacourt avait fait part à Émile de son souhait de quitter le Centre pour s’installer du côté de Bordeaux.

–Avec les moyens actuels de communication, nous pouvons convoquer des réunions à distance, ce que nous faisons déjà avec nos deux collègues.

–On peut l’envisager. Que fais-tu de ta maison ? Ta femme est décidée à te suivre ? Elle travaillenon ?

–C’est un volet dont je me charge. Cela nous ferait une économie substantielle. Frais de déplacement, carburant, péages, hôtels restos.... Ces derniers mois, je passe la majeure partie de mon temps à Bordeaux et si la mise en œuvre des programmes peut se faire au bureau, les demandes de formation m’obligent à être sur site. Mais ça ne nous dispense pas de nous retrouver à échéances fixes.

Émile fronça les sourcils.

–Nous sommes tous deux fondés de pouvoir, tous les contrats doivent être approuvés par l’un et l’autre, paraphés et signés par toi et moi.

–Ça peut se faire de façon numérique.

–Exact. Et pour quand verrais -tu ce changement ?

–Dès que possible

–OK, Steph, on regarde cela. T’aurais pas une copine par là?

–Une copine ? Tu me déçois, j’en ai des tas !

Émile eut un rire niais et regarda sa montre.

–Déjà vingt heures ! Il faut que je me taille, anniversaire du gamin ! Salut Don Juan!

Stéphane quitta le bureau et marcha vers sa voiture. Il habitait dans un clos proche du Parc de Morchêne. Nadine s’était vautrée dans le canapé, les pieds sur un pouf et faisait défiler les chaînes sur l’écran de la télé.

–J’ai déjà dîné, tu peux te faire réchauffer le plat si ça te tente.

Le couple faisait de plus en plus souvent « table et chambre à part». Ou elle rentrait tard ou c’est lui qui traînait. Ils n’éprouvaient plus grand-chose à partager et sentaient la fin inéluctable. Fort heureusement, ni l’un ni l’autre ne semblait en souffrir. Lacourt avait noté qu’elle recevait des messages ou des appels et y répondait en désertant la pièce. Cela ne l’avait pas ému. En mordant dans un quartier de pizza tiède, il ne put s’empêcher de penser à Lydia ce qui conforta sa décision de partir s’installer près d’elle si ce n’est avec elle.

–Nadine aura la moitié de la maison, elle ne refusera pas. Elle dispose d’un bon salaire et se débrouillera sans moi.

Laissant sa femme à son zapping, il se réfugia dans son bureau. Il lui vint soudain que son amante ne possédait pas de téléphone portable.

–Ce serait une idée épatante de lui en offrir un, nous pourrons nous contacter à tout moment. L’idée lui plut et se promit d’en acheter dès le lendemain.

Un bruit de douche indiqua que Nadine allait bientôt se coucher.

Debout, avant son épouse, il avala un café et fila vers le bureau. La nettoyeuse était à l’œuvre. S’installant à son poste, il se remit à la stratégie de contrôle commandée par son client de Mérignac. La nouvelle aile de Pigmart, une fabrique de pigments, devait être mise en service sous dix semaines. Peu avant midi l’associé fit irruption. Il tenait des dossiers sous un bras, il agitait l’autre comme s’il actionnait un signal d’alarme.

–C’est bon ! On va obtenir le contrat Balbecq.

Il exultait. Stéphane frappa silencieusement dans les mains pour le féliciter et lui offrit d’arroser l’événement. :

–Noir ? Avec ou sans sucre ?

–Le champ’ avec sucre ? Ho ho ! Tu perds la tête ?

–T’as pas trop lâché de lest?

–Non, non, au contraire, j’ai un avenant pour un complément de prestations et, ce sera en régie donc rien à craindre. C’est du tout cuit.

Sa joie faisait plaisir à voir.

–Eh, Steph, on repasse tout en revue après le lunch ?

L’ingénieur acquiesça.

–C’est pas le boulot qui manque, mais OK. Je m’absente une petite heure. En attendant, respire, savoure !

Balbecq était une grosse entreprise d’ingénierie cotée en bourse. Obtenir un marché avec cette société constituait un sésame quasi magique. À cette heure, le centre commercial grouillait d’employés des bureaux environnants. Stéphane s’engouffra dans la boutique d’un opérateur de télécommunication. Il voulait un appareil valable, mais pas trop complexe d’utilisation. Le vendeur le questionna sur l’usage envisagé et le profil de l’utilisateur. Il orienta finalement vers un appareil possédant toutes les fonctions usuelles, il vanta la capacité et la rapidité du processeur et la qualité de l’écran et des photos.

–Vous pouvez télécharger de nombreuses applications. C’est un bon appareil. Soit il ne fait pas le café, mais je ne lui trouve pas d’autres défauts.

Il se mit à hennir, heureux de sa boutade. Ignorant que son client n’était pas tout à fait étranger à ce domaine, il avait fait l’article intelligemment. Sous son air benêt, il était de bon conseil et ne poussait pas vers les modèles les plus chers. Stéphane compléta son achat par une carte SIM et fit enregistrer le tout au nom et à l’adresse de sa maîtresse et prit soin de l’ajouter à ses contacts en lui attribuant une mélodie d’appel réservée. De retour au bureau, il pria la secrétaire de se charger de l’expédition en y joignant une enveloppe dans laquelle il avait glissé un mot avec son numéro personnel. Curieuse, elle demanda :

–Cadeau ?

–Non, bombe à retardement

La femme répondit par un pied de nez.

–Par Chrono post, exprès, s’il te plaît Géraldine.

Il souhaitait que l’appareil lui parvienne le plus rapidement possible de façon à se familiariser avant son périple dans les Pyrénées. Les deux collègues s’enfermèrent dans la salle de réunion et entreprirent de décortiquer le contrat. Vers dix-huit heures, il fut décidé de commun accord que la suite attendrait le lendemain. Certains points requéraient l’avis de leur juriste avant signature.

Stéphane emprunta une route longeant le Loiret sur quelques centaines de mètres puis bifurqua en direction du centre commercial et se gara dans le parking d’un fast-food. Il établit un inventaire sans concession des raisons qui le poussaient vers Lydia et conclut que leur différence d’âge ne constituait pas un obstacle. Quand ils étaient l’un près de l’autre, il avait au contraire le sentiment d’être en compagnie d’une femme aimante, sensée et pleine d’énergie. Leur éloignement n’avait pas refroidi son désir de la retrouver. Il eut envie de l’appeler. La sonnerie interminable déboucha sur la boîte vocale. Un peu déçu, il raccrocha. La journée du lendemain fut fort chargée et passa à la vitesse de l’éclair. Émile et Stéphane se penchèrent une fois de plus sur les formules de pénalités que réclamerait le client en cas de non-respect des délais et/ou en cas de manquement aux résultats garantis. Balbecq était réputée exigeante. Mise à part une exception, où le fournisseur s’était montré totalement défaillant et incapable de corriger son erreur, elle n’avait jamais mis un sous-traitant à genoux. Depuis cette affaire fâcheuse, elle avait sélectionné les adjudicataires avec soin sur base de réalisations et performances antérieures. Il fallait montrer patte blanche. L’appel d’offres leur avait été remis grâce à l’appui du PDG d’une unité de production de graviers et sables destinés au BTP. L’introduction de leur société avait dû être élogieuse, car Balbecq les avait convoqués rapidement «pour faire connaissance» avant de remettre leur consultation. Le chantier était une gigantesque et ambitieuse station d’épuration et de traitement d’eaux usées en Rhône-Alpes. L’utilisateur final la STREM (Société de Traitement des Eaux Municipales) exigeait une instrumentation poussée des équipements avec reports des mesures au centre de contrôle de l’usine et vers le centre de décisions du groupe en Île-de-France avec possibilité de télémaintenance. Il fallait minimiser le nombre d’opérateurs sur site quitte à avoir recours à une armée d’électromécaniciens et d’informaticiens logés à la Défense près de la direction générale. Le budget retenu pour leur intervention se montait à un peu plus de cinq cent mille Euro dans un projet global estimé à quatre cent cinquante millions. Balbecq en était l’ensemblier. L’installation devait être remise clés en main dans un délai de trente mois. Les deux associés avaient assuré leurs arrières : Tout retard imputable à un tiers, dans l’achèvement des prestations autorise à répercuter tous les frais inhérents à ce retard. Les travaux, hors délai, seraient facturés en régie. Ils avaient tapé haut en matière de coût horaire. Le chef de projets de la Balbecq avait tiqué, ce qui avait permis de renégocier pas à pas les montants de pénalités. Ces tractations requéraient beaucoup d’énergie et de vigilance, cela ne les rebutait pas. Le temps passé en réunions à considérer chaque phrase voire chaque mot évitait ultérieurement des surprises désagréables ou des actions en justice longues et ruineuses pour les imprudents. L’ensemblier avait également consulté pour inclure la fourniture d’équipements périphériques. Stéphane avait décliné ce poste en arguant que ce matériel relevait plutôt du «package» d’électriciens. À peine sorti de réunion Graindorge s’était emporté:

–Pourquoi as-tu refusé ce lot ? Nous aurions pu augmenter notre chiffre et prendre une marge confortable.

–Calme-toi ! Je sentais que tu allais accepter. Fausse bonne idée. Ce matériel vient pour partie d’Asie ou du Brésil. Nous ne maîtrisons pas les délais de fabrication ni de livraison et si un appareil merde, ça nous retombe sur le dos. Le risque est réel en regard du bénéfice éventuel.

Après un bref silence :

–Et pour couronner le tout, nous aurions dû nous embarquer dans de la paperasserie avec les banques, la chambre de commerce, pour établir des lettres de crédit et autres garanties...

L’associé réfléchit un instant.

–Dans ce cas il n’y a plus qu’à se mettre au boulot, nous ne serons pas trop de deux pour faire face. Nous devrions appeler Robert et Mikaël à la rescousse. Je les convoque.

De retour au bureau, ils étalèrent les schémas du principe de fonctionnement des différentes sections et d’écoulement de leurs flux.

–Bien, une chose de faite. Je te laisse t’imprégner de tout cela. Je retourne à mon projet, ça ne devrait pas me prendre trop de temps : une semaine tout au plus. Tu as de quoi faire saliver nos deux collègues.

Émile le regarda quitter la salle de réunion sans un mot. Stéphane rouvrit son dossier et pensa à Lydia. Se secouant, il se força à plonger dans ses programmations. Les jours suivants furent particulièrement chargés au point qu’il s’était résigné à ne pas appeler son amie. Le jeudi soir, alors qu’il s’apprêtait à rentrer, son portable émit une sonnerie aisément identifiable.

–Je ne te dérange pas ?

–Que du contraire, j’espérais ton appel.

–Comme tu le constates, je me suis initiée au fonctionnement de l’usine à gaz que tu m’as envoyée. Je te taquine, il est très bien, je voulais te remercier.

–Il te plaît ?

–Très, et figure-toi que je songeais à m’en procurer un. Monsieur est médium ?

–J’ai appelé en début de semaine, je suis tombé sur ta boîte vocale, je n’ai pas laissé de message.

–Cela devait être le jour où s’est tenue la réunion pour organiser notre escapade.

–Lydia !

–Oui ?

–Tu me manques terriblement.

Un silence, puis

–Je préfère rester sourde à ce discours, en tout cas pour l’instant. Je suis en plein brouillard.

La communication avait été trop brève à son goût, mais il se sentit soudain beaucoup plus léger et répondit dans le vide.

–Je t’aime.

Il franchit le seuil de la maison en sifflotant. Nadine l’accueillit par un - tu as l’air bien guilleret.

–C’est un reproche ?

–Un simple constat. Elle se saisit des clés de sa voiture.

–Tu sors ?

–Oui, ne m’attends pas.

La porte claqua. Il esquissa un signe d’adieu qu’elle ne vit pas. Après avoir avalé un sandwich Stéphane s’installa devant la télé et choisit un documentaire. Les vues aériennes du Grand Canyon défilaient sans qu’il les voie. Le corps de son amante s’interposait entre l’écran et lui. Il coupa la télé, prit une douche et s’endormit rapidement.

Robert arriva vers onze heures. C’était un homme de petite taille assez réservé, la quarantaine bien sonnée. Derrière des verres correcteurs, les yeux d’une mobilité inhabituelle semblaient être perpétuellement en quête d’une révélation. Il caressait de façon machinale son crâne dégarni. Le tic de sa lèvre supérieure faisait se retrousser une moustache fournie. Dans la rue, il passait inaperçu, cependant rares étaient ceux qui auraient pu rivaliser avec lui dans son domaine. Robert était un expert en communication et réseaux. Il déjouait avec une facilité déconcertante les tentatives d’hameçonnage ou d’intrusions dans les serveurs informatiques. Il se servit un café et s’assit en salle de réunion. Mikaël déboula quelques instants plus tard. Il était radicalement différent de Robert. Un géant de deux mètres cinq à l’allure débonnaire. Sa bedaine trahissait son penchant pour la bière et les plats en sauce. Sa tignasse noire encadrait un visage glabre où brillait un regard légèrement moqueur. Outre les bonnes tables, Mikaël ne dédaignait pas, de son aveu, les dames bien en chair.

–Je braconne sur un territoire où il y a peu de concurrence, se plaisait-il à confier.

Il affichait l’insouciance d’un célibataire de trente-huitans.

Émile avait déplié les documents sur lesquels ils allaient se pencher.

–Bien les gars, on ne bouge plus d’ici tant qu’on n’en a pas fait le tour.

Les deux agents ouvrirent des yeux ronds en apercevant l’épaisseur des dossiers techniques.

–C’est l’encyclopédie sur laquelle on doit plancher ? S’informa Mikaël.

–Hon, hon donc autant s’y mettre tout de suite.

Tour à tour Émile et Stéphane décrivirent les schémas en précisant le rôle qui serait imparti à chacun. Graduellement, les choses se mettaient en place. Vers treize heures, Géraldine apparut un plateau de sandwichs dans une main et une bouteille thermos dans l’autre.

–Carburants liquide et solide, fit-elle en déposant le tout sur un coin de la table encombrée.

–Merci. Nous ne sommes pas dispos, s’il te plaît intercepte les appels et sauf gros problème signale que nous sommes en déplacement.

–Et si on me demande votre portable ?

–Bien vu ! Réponds que nous ne sommes pas joignables, en réunion et mode «avion» ce que nous allons faire illico.

La discussion s’animait, les suggestions s’accumulaient.

Mikaël se leva.

–Tu vas où ? Gronda Émile.

–Pisser.

–Pisse dans ton froc, bon Dieu !

La remarque fit rire tout le monde.

–OK, c’est bon pour cette fois, on en profite pour se détendre dix minutes ?

L’offre fut accueillie avec soulagement et chacun imita Mikaël.

Vers vingt et une heures, les tâches avaient été parfaitement délimitées et distribuées. Lacourt prenait la partie simulation et programmation, Graindorge se chargeait du matériel sensible, serveurs, ordinateurs multiplexeurs... Robert s’occuperait de la partie télécommunication et de la confidentialité des échanges entre le site et la direction. Mikaël devait consulter pour toute la quincaillerie, les vannes automatiques, les sondes diverses, niveaux, pH, température, les pilotes d’équipements, etc...

Ce dernier se leva.

–Comme d’habitude, j’imagine: tu veux ça pour hier ?

Imperturbable Émile rétorqua.

–Ce serait bien, mais pas plus tard. Oh P... le savon que je vais me prendre, vous avez vu l’heure ? Le géant approuva et signala :

–Moi aussi, on m’attend, une mädchen rencontrée en déposant ma valise à l’hôtel

Féroce, l’associé renvoya :

–À cette heure, elle doit avoir sérieusement refroidi, non? Quoi qu’avec toi, elle est parée : le sauvage central. Mais, oh là, pas question de l’inscrire sur tes notes de frais !

–T’inquiètes Émile : pure prophylaxie ! C’est remboursé par la Sécu.

Heureux de sa plaisanterie, Mikaël partit d’un rire tonitruant et disparut.

Bien qu’il fût samedi les deux associés devaient se rejoindre au bureau. Stéphane arriva le premier, le bâtiment était silencieux. Il en profita pour avancer dans son projet. Une réunion avec son client devant être confirmée par ce dernier prochainement. Émile fit son entrée sur le coup de onze heures. Il avait sa tête des mauvais jours. Lacourt lui jeta un regard interrogateur.

–Ça ne va pas ? L’autre haussa les épaules.

–Pas dormi, je me sers un caoua, t’en veux un ?

–T’es malade ?

–Non, j’ai repensé à ce contrat toute la nuit et je suis tracassé. As-tu bien noté la flexibilité exigée ? Les débits qui alimentent cette station peuvent varier de un à vingt. Je n’avais pas percuté. Ça m’a fait réfléchir et je flippe.

Ayant travaillé autrefois pour une société d’ingénierie Stéphane avait eu l’occasion de se frotter à un problème similaire.

–Un peu tard, non ? Je ne vois pas où réside le problème. C’est classique pour ce type d’installation.

–Ah ? Et avec de telles variations ?

–Ben oui. Le chic des régions de villégiature est que leur population augmente sensiblement lors des vacances. En été, une petite ville de mille habitants peut accueillir jusqu’à vingt mille touristes ou plus. Et vingt mille touristes ça consomme et ça élimine. En dehors des périodes de vacances, ils doivent prendre en compte les pluies parfois apocalyptiques. Si cette station est gigantesque, le principe reste identique. Je ne suis pas anxieux, d’autant que notre implication se «borne», si je puis dire, à de la quincaillerie, aux algorithmes et à leur programmation. Ceux dont j’ai pitié sont notamment les hydrauliciens. Peuvent pas se planter. Une conduite de diamètre insuffisant ou trop important et c’est le désastre. C’est à eux qu’incombe l’équilibre de ce grand machin. Nous ne faisons que mettre en musique leurs consignes, d’où la nécessité d’effectuer une simulation des opérations. Il ne faudra pas se gourer dans le choix de la ferblanterie, des reports de signaux et dans les boucles de contrôle. C’est tout.

–C’est précisément ce «tout» qui m’a tenu éveillé.

La démonstration de Stéphane n’avait visiblement pas totalement convaincu Émile.

–En ce qui me concerne, je ne serai pas entièrement dispo avant deux mois. Je boucle mon projet pour Mérignac, je le soumets au client dans une ou deux semaines ensuite je devrai y passer plusieurs fois pour valider. Ça te laisse, à toi et à nos deux amis, le temps de consulter les fournisseurs et de dépouiller leurs devis.

Émile accepta de mauvaise grâce.

–Tu resteras joignable s’il te plaît ? C’est pas le moment d’aller conter Fleurette à toutes tes copines.

–Je reste joignable, et elles te font la bise.

Graindorge se relaxa.

–OK, OK, pouah j’ai plein de rouge à lèvres!

Le week-end promettait d’être studieux. Le dimanche, alors que les deux amis s’accordaient un répit Stéphane composa le numéro de Lydia. Cette fois, elle répondit immédiatement et avoua sa joie de lui parler.

–Je suis très heureuse du cadeau que tu m’as offert. Il ne me quitte plus, c’est très commode. Là, je suis dans le fond du jardin et nous pouvons bavarder. Dois -tu revenir par ici ? Je pars pour ma grande randonnée mercredi, pour une semaine.

–Comment y vas-tu ?

–Covoiturage. Diana vient me chercher mardi soir pour loger chez elle d’où nous partirons tôt le lendemain matin. Notre rendez-vous est à Bidarray. Un car nous attendra à Logibar, notre dernière étape, pour nous reconduire à nos voitures. Savais-tu que le GR 10 s’étire sur plus de neuf cents kilomètres et l’ensemble des dénivellations totalise cinquante-cinq mille mètres...Nous n’en parcourrons qu’une petite partie, ouf! J’espère que nous pourrons nous parler. Peut-être le soir une fois arrivée augîte.

Stéphane fournit son emploi du temps.

–Je ne pense pas venir avant ton retour, et si je devais me rendre à Mérignac, ce serait pour une journée.

–Tu sais où je cache un double de la clé donc si tu le souhaites installe-toi.

–Tu ne crains pas que je fouille partout ?

–Fais-toi plaisir, j’ai mis à l’abri tout document compromettant... Je rêve! Serais-tu jaloux ? Lacourt se déroba.

–Sois prudente, j’aimerais autant te revoir en un seul morceau et en pleine forme. Inutile de détailler ici le traitement que je te réserve...

–Obsédé ! .. Stéphane, je..

–Oui ?

–Rien ! Je me demandais qui de nous deux aura le courage de raccrocher.

III

14 juin.

Diana conduisait depuis le matin. Un panneau routier indiqua «Bidarray 2 km». Soulagées, les deux amies purent se garer dans le parking de la petite auberge en bordure du Bastan. Le ruisseau se jetait une centaine de mètres plus loin dans la Nive, elle-même, affluent de l’Adour à l’entrée de Bayonne. La propriétaire les accueillit avec amabilité et les guida vers leur chambre. Les deux amies eurent vite fait de ranger leur bagage et regagnèrent le rez-de-chaussée où elles se firent servir un thé.

–Pas trop fatiguée par la route ? Diana secoua la tête.

–Ce petit remontant me fait du bien. J’ai envie de me dégourdir les jambes, on explore les environs ?

–Avec joie, j’avoue éprouver également le besoin de prendre l’air.

Les deux femmes quittèrent l’auberge bras dessus bras dessous et longèrent le Bastan puis bifurquèrent à droite le long de la Nive. Le clocher de l’église Notre-Dame de l’Assomption les intrigua, il était formé de deux campaniles abritant chacun une cloche, une grosse et une petite. La rue se prolongeait vers un hôtel et une chambre d’hôte quasiment en face. Le groupe devait se retrouver à l’hôtel pour le dîner, l’auberge et le gîte ne servant que le petit-déjeuner. Plusieurs marcheurs venaient d’arriver et déchargeaient leur sac à dos. Jugeant inutile de s’attarder les deux femmes poursuivirent leur promenade. Elles parcoururent une boucle qui les ramena le long du ruisseau et à leur auberge. Bidarray se trouvait dans une vallée étroite entourée de sommets arborés. Plus au sud, des pics abrupts se dressaient comme un défi sur l’horizon. Se saisissant de son sac de toilette, Lydia annonça :

–Je vais me rafraîchir unbrin.

–J’en ferai de même après toi.

Diana relut le descriptif de leur première étape élaboré par Éric l’initiateur du groupe.

–Dis donc, on entre immédiatement dans le vif du sujet, vingt-cinq kilomètres et une dénivelée de près de mille mètres!

Un bruit d’écoulement d’eau lui fit écho. C’est alors que le téléphone de Lydia sonna. Curieuse, la Galloise s’en empara, le nom du correspondant «Stéphane» s’affichait à côté d’un cœur rouge. Diana sourit et cria :

–téléphone !

Son amie surgit ceinte d’une serviette. En lui tendant l’appareil, la Galloise murmura :

–Ton cardiologue.

Et s’enferma dans la salle de bain. Les deux amants échangèrent à voix basse.