Riton - Gautier Wailly - E-Book

Riton E-Book

Gautier Wailly

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Beschreibung

Riton est un monument de la chanson française. L’artiste qui compte plus de quarante ans de carrière a cependant fui Paris et le showbiz pour Perpignan, afin d’y noyer dans l’alcool son chagrin et son dégoût du monde actuel.
Il va croiser le chemin de Gabin et François, deux frères vivant dans le coin, et qui sont fans de lui depuis leur enfance. Ces derniers vont alors essayer d’extirper le chanteur de cette mauvaise passe pour le remettre sur le devant de la scène.
Avec la cité catalane pour décor et une atmosphère de bistrot, cette aventure humaine très musicale tourne essentiellement autour de l’amour, qu’il soit entre hommes et femmes, entre frères, entre parents et enfants, entre idole et fans.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Ayant grandi au bord de la Méditerranée, travaillant dans le vin auprès des cavistes et des restaurateurs, voici donc mon premier roman.
A l’instar des histoires que j’aime lire ou regarder, je l’ai voulu musical, vivant, drôle, avec de l’amour, de l’amitié, à manger et à boire, ainsi que des dialogues faisant la part belle au chambrage.

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Gautier Wailly

RITON

À Papy et Mamie Gatoune,ainsi qu’à Virginie, Lisa et Lou

Préface

J’ai l’impression que ça fait prétentieux de faire une préface... j’espère que le syndrome de l’imposteur ne me guette pas.

Quoi qu’il en soit je vais quand même vous éclairer sur les raisons qui m’ont poussé à écrire ce livre et sur le sujet de celui-ci.

Il se trouve que depuis toujours j’ai pour habitude de raconter des histoires, aux enfants, aux copains, à tous ceux que je côtoie. Je suis même assez réputé pour en connaître beaucoup.

Faut dire que c’est de famille, mon père adore cet exercice aussi. Petit j’ai baigné dedans, et je restais en observateur discret de ce ping-pong de blagues entre lui, ses potes, ses cousins ou ses frères. Chacune en appelant une autre par un début, une chute, un détail ou un thème similaire. 

Moi, je devais m’éclipser, car mes oreilles étaient supposées être trop jeunes et donc trop chastes. Je m’éloignais, pas très loin, et comme le dit Pagnol quelquefois, je n’écoutais pas... mais j’entendais. Et la nature m’a doté de ce don, que pas mal de monde m’envie : les blagues, je les retiens !

Bon je vous rassure ça ne va pas être un livre sur Toto, les belles-mères, les prostitués ou la femme du voisin. Non c’est un vrai récit, à ma manière, mon style, mon humour et ma sensibilité (si si, j’en ai...).

J’ai quelques inspirations, cinématographiques, ou venant de la bande dessinée, mais, et j’en suis confus, très peu venant de la vraie littérature.

Celle des romans bien connus, des grands classiques, des pavés, des nouveaux auteurs à la mode, des prix littéraires je ne la connais quasimentpas.

C’est simple, concernant les livres obligatoires dans les programmes de la seconde à la terminale, j’achetais toujours la version avec le résumé et les fiches explicatives à lafin.

Gloire à celui qui a inventé ça ! Il a sauvé des vies et des milliers d’heures à des lycéens qui ont profité de ce temps gagné pour... ben pour rien glander ! Oui on parle d’ados, je vous rappelle.

Sinon en cherchant un peu je me souviens quand même avoir lu entre autres :

–Inspecteur Toutou en6e

–Les pilleurs de sarcophage en 5e

Mais aussi :

–L’Étranger deCamus

–J’irai cracher sur vos tombes de Vian

Et surtout :

–La biographie de Pascal Olmeta

Oui c’est assez éclectique faut dire ce qui est.

Je voue alors une admiration à ceux qui arrivent à lire :

–Au resto entre midi etdeux

–Sur leur canapé avec un plaid et une boisson chaude sans s’endormir.

Et aux champions de l’imperturbabilité :

–les Parisiens qui lisent dans le métro (mention spéciale à ceux qui le font debout au milieu du flux de voyageurs, le livre dans une main gauche, la poignée dans la main droite.).

J’espère bien que ma manière de jouer avec les mots vous plaira. C’est une activité que j’ai découverte sur le tard, et faut dire ce qui est, c’est une gymnastique du cerveau assez plaisante. Puis la langue française est si belle...

J’ai commencé d’abord par prendre un stylo et dérouler des paroles de chanson. J’en ai ressenti le besoin lors d’une espèce de crise de la quarantaine que j’ai traversé il y a quelques années. Pour être précis, comme j’aime bien être en avance sur mon temps, je l’ai faite à 37 ans.

Je vous rassure, ça va beaucoup mieux, je suis d’ailleurs au moment où j’écris ces lignes pas loin d’être un vrai quadragénaire. L’âge de la maturité peut-être ? Allez plus que 57 dodos et je vous diraiça.

Mais je m’égare, reprenons le fil ! Concernant ces textes sortis sur papier, il fallait avouer que la nature ne m’avait pas doté de ce don que j’envie à beaucoup de monde : savoir chanter !

Quel dommage... j’aurai bien fait l’Olympia sinon... je vous l’aurai dit bien sûr, j’aurai créé un événement FB ou un truc dans le genre.

Bref, ces petites chansons orphelines d’un interprète traînaient là dans mon cahier, et en les faisant lire à quelques personnes, j’ai eu pas mal de retours identiques. Le style ressemblait légèrement à un certain chanteur français.

C’était bien vrai, et logique puisque c’est mon favori depuis toujours. Inconsciemment ma manière de m’exprimer et de sortir des rimes se rapprochait de la sienne, toute proportion de talent gardée évidemment.

J’ai donc eu cette idée un peu folle un soir de lui en écrire une. Je me mets à sa place, j’essaye en tout cas, et je sors un texte. Plutôt satisfait du résultat, je me renseigne sur le moyen de le contacter et je lui envoie une version manuscrite, au propre. Je trouvais ça plus révélateur et moins fade que sur Word. J’y ai joint un petit mot sympa, j’ai mis ça dans une enveloppe, sur laquelle j’ai collé un timbre.

Avant de la poster, je me suis dit cette phrase :

« Bordel qu’est-ce que c’est cher les timbres ! »

Puis le temps est passé, le travail, les enfants, la famille, les soucis, les plaisirs, un quotidien assez classique. J’avais presque oublié cette sorte de bouteille à lamer.

Et une quinzaine de jours après, un courrier pour moi se trouve là dans ma boîte aux lettres, sur une pile de prospectus. Je ramasse tout ça et avant de l’ouvrir je me suis dit cette phrase :

« Bordel des Ferrero Rocher à -30 % c’est pas cher ! »

Je défais alors délicatement l’enveloppe, et dedans se trouve une photo dédicacée de ce fameux chanteur. Avec une écriture légèrement tremblante qui disait « Bravo Gautier ».

Quelle surprise ! Il m’a répondu le con ! Et en plus il me félicite ! J’ai eu du mal à y croire, même aujourd’hui encore quand j’y pense.

Je l’ai bien gardée dans un coin, c’est ma petite Légion d’honneur à moi. Qui vaut bien plus que la vraie, remise à tout va, souvent d’ailleurs à des gens qui en sont dépourvus (d’honneur), mais là je m’éloigne...

Ce chanteur a accompagné mon enfance. Dès nos 6-8 ans, avec mon frère c’était de loin notre préféré. On aimait son style unique, loin des stars de la variét’, il était drôle et il disait même des gros mots ! Mais des gros mots pas vulgaires, c’est là qu’est la nuance.

On se prêtait les cassettes audios pour s’endormir en musique. Notre bilan carbone était largement entamé pour des décennies vu la consommation de piles qu’on avait en usant nos walkmans jusqu’à la corde.

Un véritable bon humain, un type que j’admire beaucoup… si on excepte les quelques teintures dégueulasses auxquelles il a eu recourt à certains moments de sa carrière.

Je ne m’attarde pas trop sur ce que je pense de lui car le livre que vous avez entre les mains le fait en quelques sortes.

L’original, le vrai Riton existe bel et bien. Je n’ai pas mis son nom, je ne suis pas assez idiot pour me le permettre et pour usurper son identité, sa façon de penser et sa vie. Je pense que vous devinerez de qui il s’agit au fur et à mesure. Des indices et des clins d’œil sont déposés par-ci par-là tout au long du récit.

Je me suis inspiré de cet artiste surtout pour lui rendre hommage. Avec une naïveté, un côté rêveur et une certaine âme d’enfant, mais également une certaine empathie, que j’espère juste...

Ce personnage rencontre donc dans un sale passage de sa vie, deux frères fans de lui (tiens tiens...), qui vont essayer de l’en extirper.

Ces derniers sont quant à eux le résultat d’un mélange de plusieurs personnes de mon entourage. Comme l’ensemble du casting d’ailleurs, issu d’emprunts à droite à gauche dans le bon, le mauvais, le drôle et le moins drôle...

J’ai essayé de raconter ça comme un observateur, toujours dans les pattes des protagonistes, ou pas très loin en toutcas.

Je ne pense pas révolutionner le genre, mais j’aime les discussions entières, les tranches de vie qui vont du « Ça va ? » au « Ciao à plus ! ». J’adore les dialogues, avec de la subtilité, de la poésie, mais aussi parfois de la grossièreté (on est français après tout !).

Vous trouverez aussi quelques chansons, certaines écrites par le passé, que j’ai greffées au scénario, ainsi que d’autres spécialement pour cette histoire.

L’explication de leur style et de leur thème se trouvera également dans les pages suivantes, mes personnages s’en chargeront.

Je vous souhaite un excellent moment en tout cas, en compagnie notamment de Gabin, François et Riton.

Allez, salut les gonzes !

Gautier Wailly

Chapitre 01

Ici c’est le sud de la France ! Le vrai Sud ! Pas le sud-ouest, même s’il partage avec lui l’amour du rugby. Pas le sud-est, même s’il a également les pieds dans la Méditerranée. Non c’est le Sud, point barre !

On est tout proche de l’Espagne, et en pleine Catalogne, bienvenue à Perpignan ! Benviguts com es diu en Català*.

C’est là que Gabin est né, il y a environ trente-cinq ans, et c’est là qu’il travaille aujourd’hui. Il fait un métier qui lui plaît beaucoup, dans un grand magasin, réservé aux professionnels de la restauration.

Il gère le rayon liquides. Ça va de la canette rouge de Soda aussi connue que sucrée, en passant par les bouteilles de vin d’ici et d’ailleurs, jusqu’au whisky haut de gamme, venu du fin fond de l’Écosse, rescapé d’une distillerie datant du 19e siècle, ayant brulé au début des années 2000.

Le genre d’histoire que Gabin adore raconter à ses clients, et qui sert aussi d’argumentaire pour expliquer ce prix équivalent à un SMIC mensuel pour 70 cl.

Mais il s’en sort souvent très bien. Il a une bonne côte. Tout le monde l’apprécie, ses collègues, les cuistots, les patrons de bar-restaurant, les livreurs, les secrétaires et même son directeur.

Il aime qu’on l’aime. Il ne lèche pas les bottes pour autant. Il est qui il est, un mec sympa, généreux, qui n’est pas fan des conflits, et qui ne voit dans le côté précieux et furtif de la vie, aucune raison de se prendre la tête pour rien. C’est vrai, c’est tellement dérisoire, pour lui, cette métamorphose de l’Homme en animal sauvage, dès que sa voiture démarre. Animal sauvage ou Yorkshire, car bien souvent, l’automobiliste aboie plus qu’il nemord.

Cela ne sert à rien de s’énerver, ces gens-là sont d’une tristesse. Gabin lui préfère conduire tranquillement, le bras gauche dehors, en laissant son tour à la voiture positionnée au cédez le passage à droite, quand il y a quelques bouchons. Souvent même il s’arrête pour qu’une personne âgée puisse traverser, et qui avec un sourire teinté d’une pointe d’étonnement, le remercie d’une main tremblotante et d’un pas légèrement pressé, pour ne pas faire attendre ce gentil jeune homme qui leur fait passer ce message : « Non tout n’est pas foutu mamie, il reste des gens bien ! »

Il est midi passé, Gabin gare sa voiture au centre-ville, et marche dans les rues de celui-ci. Il salue quelques connaissances sur le chemin, de près et de loin. Il rentre dans un bistrot qui s’appelle Le Petit Pastis. Un établissement à la décoration vintage, notamment avec ses plaques en métal de pubs anciennes, son bar imposant, les briques et poutres apparentes, le carrelage à motifs rétro. Ça respire l’authenticité, les apéros anisés improvisés qui se prolongent finalement jusqu’à l’entrecôte frites, pour se finir en digeos mentholés.

Il adore cet esprit, cette ambiance de comptoir très vivante, à la Audiard, à la Pagnol, à la Bocuse ou à la Riton, son chanteur préféré. Il se sent bien et il se plaît à perpétuer cette tradition très française, avec pour le coup une touche catalane. Il aime manger au bar, sur un tabouret, les coudes sur le zinc. Il raffole des plats comme une bavette à l’échalote saignante avec des pâtes fraîches et un verre de rouge, ou une blanquette de veau avec du riz et de la sauce, du pain et encore du pain. Car il aime saucer. Le serveur, Maël, qui connaît bien Gabin, est toujours étonné par la netteté de son assiette quand il la ramasse, mais pas par sa blague, plutôt foireuse et immuable, qui est « saucer n’est pas tromper ».

Aujourd’hui c’est bœuf bourguignon/purée, et non pas écrasé de pommes de terre comme on voit trop souvent pour lui. Julien, le maître des lieux, s’active efficacement. Barbu, quelques tatouages, portant fièrement le tablier en cuir qui arbore le logo du bistrot, accueillant les gens d’une voix rauque et convaincante, aidé de son équipe, il instaure avec brio une âme à cet endroit.

En parlant d’âme, il sait que celle de son pote est restée coincée en enfance. Il a demandé alors à Simon son chef de faire un volcan pour le dressage du plat, afin de lui faire plaisir.

–Ah ! Plus dix pour la présentation ! s’exclame Gabin. J’ai jamais aimé la S.V.T au collège tu vois, et pourtant j’ai une passion pour ce genre de volcans ! C’est mieux que les chichis revisités déstructurés de Top Chef !

–M’en parle pas... Je les supporteplus.

–J’aime la bouffe tu vois, mais là mater des types parler pendant trois heures de la betterave ou du brocoli, les chefs goûter et juger avec mépris parce que le candidat n’a pas assez sublimé le légume… mais va te faire cuire un œuf chez les Grecs !

–Oui c’est trop long, mais en replay t’as moins depub.

–Limite, je trouve ça indécent parfois ! poursuit Gabin. T’as tellement de gosses qui crèvent la dalle, et eux ils te font des trompe-l’œil, des revisites de mes fesses et des carpaccios de mes cojones !

–C’est pour montrer qu’il faut manger bon, que c’est ludique, plus ou moins.

–Ben envoie ton chef là-bas qu’il leur fasse des volcans unpeu !

–Et qui le remplace ? Toi, peut-être ?

–Et non ! S’il y va, je regarderai de nouveau l’émission !

–Cono ! Mange ça va refroidir va ! dit Julien en retournant en salle.

Gabin ricane et fait sa première bouchée, qu’il apprécie particulièrement.

Après être retourné bosser quelques heures, il rentre chez lui, dans un lotissement tout neuf, une petite villa, assez récente, puisqu’il reste encore quelques travaux à finir.

Sa femme Elodie et sa fille Charlotte sont là. La première lit les devoirs du soir et la deuxième que ça concerne préfère regarder les dessins animés.

–Salut mes amours ! La journée a été bonne ? lance Gabin.

Elodie lui répond après le rituel du petit bisou quotidien.

–Oui ça va. Ettoi ?

–Nickel…

Les deux parents fixent leur fille de 7 ans, qui les yeux rivés sur la télé, tellement prise par l’histoire de ces trois princesses-chanteuses-super héroïnes ayant dans leurs mains le sort de notre planète, mâche grossièrement sa tartine de chocolat.

–Oh ! Papa est là ! lui fait savoir sonpère.

–Coucou... dit-elle rapidement.

Elle ne lâche pas la télé. Gabin se penche pour lui faire un bisou, et opte pour le front car la pâte à tartiner lui a fait de belles moustaches.

Le couple part ensuite dans une discussion assez banale sur le repas du soir, les courses à faire, les potins du boulot. Elodie est plus bavarde à ce sujet. Elle travaille dans une banque, avec des collègues masculins aux blagues vaseuses et des collègues féminines reprochant toujours aux absents d’avoirtort.

Elle a du caractère Elodie. Elle ronge son frein en espérant passer bientôt chef d’agence. En tout cas elle a les compétences et elle le mérite.

Gabin a épousé une vraie Catalane, aussi douce que volcanique. Il la tempère parfois, vu qu’il a moins tendance à s’emporter. Il essaye de lui faire relativiser la gravité des choses, avec un bisou, un sourire et une petite blague. Ça fonctionne bien en général. Tout en douceur, pas d’effet immédiat, mais il patiente avant d’y arriver. La conclusion étant souvent la même selon elle :

–Non mais c’est vrai… C’est un truc de fou quand même !

–Oui ma chérie… Oui moncœur…

Il se met derrière elle, la masse de trois ou quatre tours avec les pouces en haut du dos et l’embrasse dans lecou.

–Allez c’est rien. lui dit-il.

Ce soir-là c’est le cas, une histoire sur un client malpoli et odieux. Pas important pour Gabin qui luidit :

–S’il est vulgaire qu’il aille se faire…

Ça sonne au portail. Par la fenêtre de la cuisine, il aperçoit quelqu’un.

–Oh c’est mon frère !

–Tout seul ?

–On dirait queoui.

Chapitre 02

Gabin et Elodie sont sur leur terrasse, ils ont sorti des bières et les boivent en compagnie de François, le frère aîné, qui a un sac de sport à ses pieds.

Ce n’est pas un gros bavard, sa pudeur amène parfois des bulles de silence que sa belle-sœur éclate à coup de questions.

–Et vous allez faire comment alors pour l’appart ?

–Je sais pas encore... Elle est pas près de me faire un geste… répond-il.

–Et Diego il va bien ? demande son frère.

–Ah oui… dit-il d’un air à mi-chemin entre le « je m’en foutisme » et la normalité, en tout cas ça y ressemble.

Quelques secondes passent.

–Et donc là t’as prévu quoi ? demande Elodie

–J’en sais rien. Faut que je trouve un boulot aussi.

–Attends ! lui dit Gabin. Plus de femme, plus de toit, plus dejob ?

–Et plus de sous aussi. répond François tout bas. Son cadet réagit.

–Quoi ? T’es àsec ?

–J’ai fait le con sur un pari. Ils font chier aussi avec cette V.A.R ! Ils refusent un hors-jeu du petit orteil ! J’allais me faire un billet de malade sinon…

Sa belle-sœur fait des grands yeux et veut en savoirplus.

–Tu as joué beaucoup ?

–J’ai perdu ma prime. 800 €. Sur des côtes faciles, mais qui auraient pu me rapporter le double.

–Ah mais si je peux me permettre, la seule logique du foot c’est qu’il en existe aucune autre. C’est pour ça que j’ai arrêté les paris, dit Gabin.

–C’est surtout parce que je t’ai mis un soufflon ! le reprend Elodie.

–Aussi oui…

–T’étais nul ! Tu gagnais jamais ! insiste-t-elle.

–Oui bon ça va ! Tu dors là du coup François ?

–Si ça vous dérange pas. Le temps de me refaire un peu la cerise et que Diane réfléchissebien.

–Tu veux un boulot ? Je peux t’en trouver un vite fait, continue son frère.

–OK. Pas serveur dans un gros resto. Barman dans une petite affaire c’est parfait.

–Malheureusement, ou heureusement je sais pas, aujourd’hui en restauration t’as que l’embarras du choix quand tu cherches. Demain je t’ai un entretien.

–OK. répond François.

–Mais fais pas le con ! Laisse ta grande gueule dans la chambre d’ami. Mes clients c’est des potes, mais c’est surtout des clients ! le prévient Gabin.

–Ça va ça va. T’inquiètepas…

Gabin préfère se méfier. Le côté impulsif de son aîné n’est pas sa qualité première. Ça a créé des malaises ambiants dans les repas de famille, des bagarres lors des matchs de foot en club, ou dans la rue. Et cela, depuis qu’ils sont gosses.

Mais pourtant Gabin l’admire quand même pour ce trait de caractère, autant qu’il le redoute. Lui le calme, le souple, se remémore parfois des embrouilles, des situations où il aurait dû être moins gentil et mériter un peu plus de respect.

–Écoute mec, t’as pas choisi le bon jour, le bon endroit et le bon type. J’attends de commander mes deux mojitos depuis dix minutes, alors t’es gentil mais tu attends ton tour. Mademoiselle ? Deux mojitos s’il vous plait !

Oui cette fois-là en juillet 2004 dans cette discothèque en plein air à Collioure, il aurait voulu dire ça à ce gros bouffon tout transpirant avec son tatouage tribal, et qui portait des tongs avec son jean. Un rugbyman venu avec son équipe, et qui, contrairement à Gabin, a tapé la bise aux videurs en rentrant. Il aurait dû se répète-t-il souvent. Son frère ne se serait pas embêté avec ce genre de détail. Il n’aurait pas frappé fort, mais vicieusement, avec pragmatisme. Bien placé, vite exécuté, avant de s’en aller en se faufilant dans l’agitation de la foule.

La soirée aurait été écourtée, mais le coup de genou dans les parties en aurait valu la chandelle. Il en est sûr et certain Gabin, il y pense à ce moment-là, mais son épouse le sort de ses regrets et le ramène sur leur terrasse en posant une nouvelle question.

–Et pourquoi t’as plus de boulot ?

–Mon patron… Il me les brisait…

Une nouvelle bulle de silence s’installe. Gabin la perce en insistant.

–Non mais sérieux, si je te trouve une place, bosse et calla * !

Chapitre 03

Une semaine plus tard, François a entamé une période d’essai au Petit Pastis, le bistrot de Julien, chez qui Gabin a ses habitudes.

Celui-ci vient au comptoir prendre uncafé.

–Il te va bien ce tablier. Mets-pas le sucre et le spéculos.

Son frère lesert.

–Voilà.

–Merci. Donne-moi une cuillère quandmême.

–Pourquoi faire ?

–J’aime bien remuer.

–T’as rien à remuer !

–Si ! La mousse !

–Tu t’arranges pastoi…

Un homme rentre et passe derrière Gabin. Une silhouette courbée et sombre. Gabin renifle avec dégoût et jette un coup d’œil discret. Il s’adresse discrètement à François.

–Putain ! On dirait l’odeur de tabac des cabines téléphoniques !

–Oui il empeste un peu. Ce client-là, il se met dans son coin, dans l’angle de la banquette, en tournant légèrement le dos à la salle. Deux trois verres de blanc, deux trois verres de rouges, trois ou quatre de pastis…

–Huuuu ! Quandmême…

–Il a même pris quelques bières vendredi après-midi.

–Et Julien il laisse faire ?

–Il m’a dit : « Sers-le sans le regarder, sans lui parler, tant qu’il est pas scandaleux laisse-le dans son coin tranquille. »

–Oui s’il se bourre la gueule discrètement ça va. Après s’il est alcoolique c’est une autre histoire. C’est à vous de dire stop à un moment donné.

–Tu m’as dit de bosser et de me taire… Il me fait signe d’ailleurs. Je vais lui amener son premier blanc.

Gabin se retourne et regarde l’homme en question. Il a l’air fatigué de mal dormir, et il doit sûrement mal dormir tellement son corps est fatigué. Une barbe pas entretenue, des valises sous les yeux, une casquette sur ses cheveux longs et gras. Avachi sur la banquette, le regard dans le vide. Les yeux bougent au bout de quelques secondes, parce que quelqu’un, en l’occurrence Gabin, le fixe. Il fait alors un quart de tour pour ne plus sentir le poids du regard curieux de celui-ci. Il veut être tranquille.

François lui dépose son verre de blanc et retourne au bar. Son frère lui dit:

–Il me fait penser à quelqu’un pastoi ?

–A quelle heure tu bosses ?

–J’y vais là. répond-il en se levant du tabouret.

–Et tu payespas ?

–Julien me l’offre toujours !

–Je m’appelle Julienmoi ?

–Demande-lui tu verras !

–Je vais pas l’embêter pour ça. Je bosse et je me tais ! C’est çanon ?

Gabin sort des pièces de sa poche et les pose sur le comptoir.

–Et tu fais caguer aussi. Ciao !

Il s’en va, François sourit.

Un peu plus tard, Gabin est au travail. Il range des bouteilles d’alcool en magasin, puis va en réserve recharger son charriot. En y rentrant, il entend une musique et se met à chanter. Fier, heureux de tomber sur une de ses préférées. Il y met du cœur, tout en continuant à se servir ce dont il a besoin dans les cartons, au milieu de deux collègues.

Je parle pour nous les hommes

Afin de vous prév’nir

Qu’ils sont presque touscomme

Des crétins mais enpire

Est-ce que c’est la nature

Ou bien la société

Qui les rend immatures

Pendant de longues années

Certains c’est pour toujours

Ils restent persuadés

Que le monde tourne autour

D’leur petit robinet

Qu’les garçons sont les plusforts

Et que les filles c’estbête

Le gars qu’est pas d’accord

Ils le traitent de tapette

Il s’arrête là et s’adresse à eux pour leur expliquer.

–Riton ! Mon chanteur préféré ! « Méfie-toi » ! Chanson écrite en 1986 parue sur l’album « Sacré Bordel » et dédiée à ses filles Fanny et Charlotte.

–Charlotte ? Comme ta fille ? lui demande le premier.

–Tout à fait. Ce mec je l’adore, ma femme trouvait ce prénom mignon donc voilà, petit hommage.

–Ah oui ? C’est ton idole ce mec ? demande le deuxième.

–Pas une idole non. J’ai pas tellement d’idole, à part Zizou peut-être. Lui Riton j’aime ses textes, sa manière de penser, il m’a accompagné depuis l’enfance. C’est différent, ce type c’est la B.O de ma vie, en tout cas les trois quarts de l’album.

–Il paraît qu’il a acheté une maison dans le coin. J’ai entendu ça… lance le premier.

–Riton ? T’es sûr ? demande Gabin, pas franchement convaincu.

–Oui on m’a dit qu’il passait ses journées à se bourrer la gueule dans les bars de la ville. insiste le même collègue.

–Faut dire qu’il a du mal tourner renchérit le deuxième. Ce milieu est pourri ! Drogue, alcool, copinages…

–Le mec est plein de pognon, et il est pas heureux ! Toujours en train de chouiner ! dit le premier.

Gabin prend la défense du chanteur en question.

–Non mais l’argent ne fait pas forcément le bonheur. Après la dépression, la parano, tout ça, c’est des maladies.

L’argument n’est pas valable du tout pour son interlocuteur.

–Maladie mon cul ! Quand il t’arrive un drame, un gros malheur, là oui, tu peux noyer ton chagrin dans ce que tu veux ! Mais le type est riche, il a des millions de fans, mais non ! Faut qu’il passe son temps à chialer dans sa bière !

Gabin n’est pas du même avis, ce qui le dérange un peu, il veut s’expliquer calmement.

–Après on vit pas à sa place. Les blessures personnelles, la nostalgie de son enfance… Son surplus d’empathie par exemple, c’est presque un défaut, c’est quasiment nocif ! C’est un type qui a un cœur énorme !

–Et un sacré foie aussi ! dit le deuxième en rigolant.

–Oui sûrement… répond le fan un peugêné.

–S’il est dans les parages en ce moment, peut-être que la bouteille de pastis que t’as dans la main c’est lui qui va la tomber… suppose le premier.

–C’est bon pour ton chiffre ça ! s’exclame l’autre en rigolant et en tapant dans l’épaule de Gabin.

Quelques heures plus tard, au Petit Pastis, François est seul en train de faire la fermeture. Il range les chaises sur les tables. Gabin fait son entrée et se dirige vers son frère en regardant au fond de la salle.

–Il est où ? demande-t-il.

–Quiça ?

–Le gars de ce matin ! Le vieux qui sentait la clope !

Son frère le regarde comme s’il ignorait de qui il parle, mais Gabin persiste.

–Mais oui ! Le vieil alcoolo qui est passé quand je buvais mon café ce matin !

–Ah… Oui… Non… Il est parti… Pas très tard d’ailleurs.

–Merde !

–Pourquoi ?

Gabin hésite à se lancer.

–Pourquoi ? répète François.

–Je me demande si… c’est pas Riton…

–Riton ?

–Oui Riton ! Le chanteur ! T’en connais d’autres ?

–Riton… dit tout doucement François, en fixant son frère dans les yeux quelques secondes, avant d’exploser de rire et de lui répondre.

–Mais t’as craqué mon pauvre !

–Quoi ? On m’a dit qu’il habitait dans le coin depuispeu.

–Oui, le monde est tellement grand, mais il va venir se perdre ici ! Là ! À Perpignan !

–Quoi faut bien qu’il aille quelque partnon ?

–Non mais crois-moi c’est pas lui. Je vois ce fameux gars depuis presque une semaine, et je l’aurai reconnu direct. Là c’est juste un malheureux deplus.

–Merde…

–Bon je t’aurais bien offert un verre mais je dois fermer.

Gabin reste immobile pendant quelques secondes, pensif et déçu, puis s’en va en disant à son frère:

–T’embêtes pas, je rentre de toute façon tu me l’aurais fait payer ton verre offert.

–C’est possible. À tout à l’heure.

–Ouais à toute.