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Pourquoi Emma choisit-elle l’intranquillité en répondant aux lettres d’un inconnu ? Que lit-elle entre les lignes de celui qui l’entraîne dans la danse de leur correspondance ? Pourquoi dévoile-t-elle ses blessures profondes en écho à ses mots à lui ?
Ce roman, baigné de musique, de peinture et de suspens, tresse deux existences passionnées qui remettent en jeu leurs tragédies dans une subtile chorégraphie des sentiments. Alors que l’on pensait le mystère dévoilé, la rencontre rebondit sur un chaos de la relation.
Connu et récompensé pour ses polars et ses romans noirs, Gilles Vincent sort cette fois-ci de sa route habituelle. En empruntant ce que l’on pourrait penser être un chemin de traverse, il nous entraîne dans une réalité qui réveille quelque chose en nous.
À PROPOS DE L'AUTEUR
En posant, en 2003, ses valises et ses stylos dans le Béarn,
Gilles Vincent a choisi de consacrer le plus dense de sa vie à l’écriture. Cet artisanat des mots a donné naissance à une série de polars remarqués ainsi qu’à l’animation d’ateliers d’écriture en milieu scolaire, en prison, à l’hôpital. Des pages lues et écrites, Gilles dit qu’elles sont ses poumons et des mots qu’ils sont le sang qui l’habite. Dans ce roman, il nous fait bénéficier de sa maîtrise de l’intrigue et de l’art de la lettre.
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Seitenzahl: 109
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ISBN : 978-2-375860-58-8
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© 2020, Éditions Parole
Groupe AlterMondo 83500 La Seyne-sur-Mer
Courriel : [email protected]
Suivi commande : [email protected]
www.editions-parole.net
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Tous droits réservés pour tous pays
Page de titre
Gilles Vincent
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Si je cessais de vous écrire
•Le choix de l’intranquillité
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À Bernard et Jeannie, Eugène, André,
Céline-Justine et puis Paulette.
Sans eux…
« Dans l’attente douloureuse des femmes, dans cette passion purifiée par l’absence, on touche à quelque chose comme la folie. Aucun homme ne s’aventure dans ces terres désolées de l’amour. Aucun homme ne sait répondre à la parole silencieuse. Les hommes retiennent toujours quelque chose auprès d’eux. Jusque dans les ruines. Ils maintiennent une certitude – comme l’enfant garde une bille au fond de ses poches. Quand ils attendent, c’est quelque chose de précis qu’ils attendent. Quand ils perdent, c’est une seule chose qu’ils perdent.
Les femmes espèrent tout, et puisque tout n’est pas possible, elles le perdent en une seule fois – comme une manière de jouir de l’amour dans son manque. »
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Christian Bobin, La part manquante.
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PARTIE 1 • S’écrire•
1
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Dimanche 8 mars
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Alors que l’autocar ralentit à l’approche du parking de la petite gare, l’homme suit l’ombre tordue des arbres au travers des vitres poussiéreuses. Il tente de discerner les maisons, le vague reflet des vitrines. Poliment, il sourit à ceux, pressés de sortir, qui jouent des épaules parmi les travées. Il recule même entre les sièges pour leur céder le passage. Une fois seul, un peu perdu au beau milieu des banquettes vides, surpris aussi de ce silence brutal, il salue le chauffeur, puis pose un pied sur le bitume du parking.
À cette heure avancée de l’après-midi, le soleil ne tardera pas à fuir derrière les montagnes. Le Gave, comme une cicatrice au travers de la petite ville, de ses grondements rythmera bientôt la nuit provinciale.
L’homme ajuste les lanières détendues de son sac à dos, jette un coup d’œil aux voitures, aux maisons, aux fenêtres qui déjà s’éclairent. Il sursaute au fracas d’un volet métallique qui s’abat. Celui du Chiquito, le bar-tabac du coin qui ferme ses portes jusqu’au matin suivant.
D’un pas tranquille, il s’avance vers l’unique hôtel.
L’établissement aurait pu s’appeler le Bellevue ou s’affubler de quelque nom évocateur de montagnes, mais ses propriétaires lui ont choisi l’appellation simple de Terminus. Terminus comme le bout du chemin, l’arrêt définitif, l’ultime station.
Tout en gravissant les marches du perron, l’homme contemple l’enseigne qui pendouille sous les gouttières. Il se dit que sa route s’arrête là, que le voyage a assez duré et que Terminus, ce mot de bout de quai à l’étrange consonance latine, lui convient à merveille.
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Il s’accoude à la réception, présente sa carte bancaire, dit à la grosse dame qu’il restera quelques jours, peut-être une semaine. Ou plus. Quand il ajoute « peut-être quelques mois », elle semble hésiter à lui tendre les clés qu’il finit par saisir avant de se diriger vers l’escalier.
Au moment de disparaître à l’angle des premières marches, il se tourne vers la patronne, immobile derrière son comptoir, les yeux rivés au pas nonchalant de cet étrange voyageur.
– Vous servez le dîner jusqu’à quelle heure ?
– C’est pas la saison. Pour le dîner, faudra manger dehors. À cette époque de l’année, on ne sert que le petit déjeuner. Et encore, pas après neuf heures…
L’homme grimpe jusqu’au troisième étage.
S’ouvre devant lui un couloir sombre éclairé par des appliques aux ampoules trop faibles. Au bout, à droite, voisine des douches communes, la chambre 17.
Il referme la porte derrière lui, actionne le verrou et appuie sur le commutateur.
Sous la lumière d’un petit lustre de verroterie transparente s’étend un large lit recouvert d’une couette brodée de sapins verts en rangées. Deux oreillers dépassent du drap qu’on devine bordé serré. Alignées comme au garde-à-vous, deux tables de nuit en acajou. Dans l’angle jouxtant l’unique fenêtre, se tient tranquille un secrétaire en pin.
L’homme pose son sac près du bureau, puis ouvre l’unique fenêtre en grand. Au loin, bien au-dessus des toits, les collines arrondies peinent à cacher le soleil pâlot de la mi-mars. Plus bas, sur des pentes herbeuses, les champs et les bosquets semblent frémir à l’approche du soir.
Il accroche son regard aux toitures du bourg, suit la géométrie désordonnée des tuiles, les brisures d’ardoises, avant de filer le long des gouttières, de poursuivre un instant les silhouettes de chats maraudeurs. La cloche de l’église tremble d’un coup, fait s’envoler les pigeons sous ses vibrations de bronze.
Il ferme la fenêtre, s’assoit face au secrétaire et sort de son sac à dos un ordinateur portable.
Il tire à lui le tiroir, y déniche l’annuaire du département. Il fait glisser la liasse des pages entre ses doigts et, quand le nom de la ville apparaît, il laisse son index parcourir les colonnes.
Une fois l’écran transformé en page blanche, il se met à tapoter sur le clavier.
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8 mars
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Une à une, j’ai tourné les pages de l’annuaire de votre petite ville, sillonné les rangées de noms et d’adresses inconnus. Je suis passé des Fabienne aux Aurore et autre Lise, à la rencontre d’un prénom.
La course de mon doigt s’est arrêtée sur le vôtre.
Emma.
Emma Wagner, 27 allée Frida Kahlo.
« Emma », féminin comme le mot clarté.
« Wagner », tragique comme un destin d’Allemagne.
Emma Wagner, prénom de lumière doublé d’une gravité émouvante.
Voilà…
Mon regard s’est arrêté à vos noms et prénoms. À votre identité mystérieuse. Rencontre graphique autant que phonétique.
Rencontre hasardeuse, comme celle du vent qui organise la course aléatoire des nuages.
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N’allez surtout pas croire que la solitude me pèse. J’ai pris le temps de m’habituer au glissement de mon pas sur le parquet, au bruissement des pages tournées qui rythment les heures, la nuit. Mais tout a une fin, même les solitudes désirées.
L’envie de cette rencontre s’est emparée de moi ce soir, m’a envahi comme une bénigne mais pressante obsession. Quelqu’un à découvrir. Une femme inconnue dont le seul prénom m’inspire une tendresse diffuse.
Je ne sais rien de vous. Rien.
Peut-être êtes-vous mariée, accompagnée ou simplement seule comme le sont parfois les femmes à jamais touchées par la désillusion. Peut-être un chat, des arbres, des livres et des toiles aux murs forment-ils la trame de votre paysage ?
Quant à votre âge, il m’est encore permis de tout imaginer.
Peut-être la quarantaine vous a-t-elle dépassée ? À moins que vous soyez plus avancée dans l’âge ?
Qu’importe ! J’ai envie de vous découvrir, Emma, autant que de m’ouvrir à vous. Envie que nous nous écrivions, une fois par semaine, jusqu’à ce que naisse, sait-on jamais, l’envie de nous faire face.
Toutefois, je choisis de ne pas vous donner mon adresse aujourd’hui.
Si l’idée de me répondre fait en vous son chemin, déposez votre correspondance, chaque mardi, au tabac Le Chiquito, face à l’Hôtel de Ville, à l’attention de Maxime.
Peut-être trouverez-vous ma démarche aventureuse, hardie même. N’y voyez de ma part que l’envie d’une authentique rencontre.
Je vous quitte, provisoirement j’espère, heureux d’avoir frappé à l’huis de votre vie, à petits mots.
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Maxime
2
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Mardi 31 mars
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Les pneus de la Twingo tracent sur les graviers l’empreinte sombre du freinage.
Emma conduit vite. Trop vite. Dès qu’elle est au volant, une forme de bravoure et de confiance – contraire à sa nature profonde – s’empare d’elle dès la ceinture bouclée. Depuis des années, confortée par cette étrange assurance, elle sillonne les routes pied au plancher, offrant à sa petite Renault les émotions d’une conduite sportive. Vitre baissée, une cigarette aux lèvres, elle pousse le volume du lecteur CD au maximum. Étourdie par le vent qui s’engouffre entre ses mèches, elle sent une crânerie idiote la gagner et, dès les premiers kilomètres, sourit à ce puéril sentiment de liberté.
Elle claque sa portière, actionne l’ouverture télécommandée du garage et, sa sacoche de cuir au bout d’un bras, des sachets plastiques emplis de courses au bout de l’autre, elle disparaît en trombe dans la pénombre du sous-sol.
Elle grimpe quatre à quatre les marches de ciment, se débarrasse du tout sur la table de la cuisine, lâche deux mots d’amour à Miguel, le vieux matou de la maison qui se frotte déjà contre ses jambes. Elle se pose sur un des tabourets, laisse le chat sauter sur ses genoux, plonge ses lèvres dans les poils blancs et roux de son cou. Puis elle se lève, sort une terrine du placard qu’elle dépose près de la gamelle d’eau.
Pour la centième fois de la journée, elle fait disparaître ses doigts dans ses cheveux, replace d’un geste expert la mèche auburn qui, quelques secondes plus tard, ne manquera pas de lui voiler à nouveau la joue.
Elle allume une mentholée, suit des yeux la fumée se dissiper au milieu de la pièce, laisse son regard accrocher le frigo, se fixer à la lettre aimantée sur la porte blanche depuis trois semaines.
Elle grimace face aux quelques feuillets en suspens et, sans qu’elle sache pourquoi, elle ouvre sa sacoche, en extirpe un bloc de feuilles grèges et, sans réfléchir plus longtemps, se lance dans l’aventure mesurée de ses mots.
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Monsieur,
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aujourd’hui, mardi, dernier jour de mars.
Bien que j’aie hésité longtemps avant de me décider, je porterai cette lettre, avant ce soir, au tabac Le Chiquito, à votre attention.
Il ne serait pas honnête de ma part de vous cacher la surprise, le trouble, la curiosité que j’ai ressentis à vous lire.
Pour l’heure, je ne sais pas ce qui me pousse à vous répondre, mais je me dois de le faire pour la raison simple que vous m’avez émue.
Votre solitude me touche. Votre volonté d’aller ailleurs que là où la vie vous a laissé, aussi.
Votre tendresse ressentie à la simple évocation de mon prénom suscite ma curiosité…
Voilà donc qui justifie ma réponse à votre attente.
Mais, de moi vous ne saurez rien, ou si peu de choses. Rien qui puisse vous donner envie de poursuivre cette entreprise hasardeuse. Rien qui puisse vous arrêter, par ailleurs.
Aujourd’hui, dernier jour avant le basculement vers avril, je vous quitte pour d’autres phrases que les vôtres : les mots et les réflexions de mes étudiants qui ont grand besoin d’être lus dans le moindre détail, afin de m’offrir, lors des examens de la mi-mai, les notes éclatantes que j’attends d’eux toute l’année durant.
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Emma Wagner
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Elle plie le feuillet en quatre qu’elle glisse dans une enveloppe. Un coup d’œil à sa montre lui indique que Le Chiquito va fermer ses portes dans moins de dix minutes.
Le ciel s’est brusquement assombri et, sous la pluie fine qui s’abat sur la ville, elle se précipite dans sa voiture. Le temps d’une brusque marche arrière, d’un balayage effréné des essuie-glaces, la Twingo verte disparaît à l’angle du premier virage, faisant gicler les flaques d’eau sur son passage.
3
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Deux semaines plus tôt
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Attendre.
Encore quatre jours avant le mardi à venir.
Chaque soir, allongé sur la couette, les doigts croisés derrière la nuque, Maxime ferme les yeux, soustrait à son regard la peinture crème du plafond dont il connaît maintenant la moindre fissure.
Derrière ses paupières, des heures durant, il imagine Emma ouvrir sa boîte aux lettres, décacheter l’enveloppe et, les sourcils froncés, parcourir du regard les lignes qu’il a tracées pour elle.
Cinq nuits à se repasser le film imaginaire. Cinq nuits à réécrire le scénario, le reproduire jusqu’à le croire inévitable…
Ce vendredi, après avoir écrasé son énième mégot, il laisse son corps se poser sur le lit, écoute le matelas crisser au moindre de ses mouvements. Plus tard, un peu comme on rembobinerait la pellicule d’un court-métrage imaginaire, il baisse les paupières et, une fois de plus, Emma plisse le front et plonge dans les premiers mots…
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Mardi 17 mars
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Dès le réveil, Maxime décide qu’il se rendra au Chiquito en début de soirée, juste avant la fermeture. Un délai supplémentaire qu’il laisse à Emma. Quelques heures de plus jusqu’à la tombée du jour.
Dès neuf heures, il pousse la porte de la librairie, place de l’Hôtel de Ville. Une boutique à l’ancienne, aux rayons débordant de livres en tout genre. Sous le regard de la libraire, il se met à caresser les rayons, à effleurer les jaquettes, parcourir les quatrièmes de couverture.
– Je peux vous conseiller ? demande la petite dame.
Maxime réfléchit, hésite avant de répondre.
– J’aimerais un livre qui me fasse la journée. Pas un roman qui me captive au point d’en oublier les heures. Non, un livre simple. Une belle écriture, sans fioritures.
La libraire écoute son presque client, puis, d’un pas décidé, se glisse vers le rayon des livres de poche. D’un doigt de connaisseuse, elle parcourt le dos des volumes et, d’un geste prompt, extirpe un roman de modeste format.
– Camus. L’étranger. Voilà votre potion de la journée.
– Mais, je l’ai déjà lu.
– J’espère bien que vous l’avez lu. En classe de seconde ou de première, c’est ça ?