Si tu me retiens - Charlène Gros-Piron - E-Book

Si tu me retiens E-Book

Charlène Gros-Piron

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Beschreibung

Que se passe-t-il quand deux âmes soeurs qui ne peuvent plus se supporter sont contraintes de travailler ensemble... ?

Blaise et Rosalie ne peuvent plus s’encadrer, c’est un fait avéré. Aussi, lorsque leur éditrice leur propose d’écrire un roman à quatre mains, c’est le chaos des deux côtés. Comment écrire un roman ensemble après ce qui s’est produit quatre ans auparavant ? Ils vont pourtant essayer. Et chacun ayant son tempérament, les répliques vont fuser. Parce qu’au-delà du passé et de la haine évidente, il y a une attirance indéniable. Contre laquelle ils luttent, bien entendu.

Suivez l'histoire de Blaise et Rosalie, qui se détestent, dans une romance contemporaine qui vous tiendra en haleine de bout en bout.

EXTRAIT

Il s’approcha d’elle, faisant signe à ses compagnons pour la soirée. Il se passerait désormais de leur entourage jusqu’à temps de les ramener. S’il fallait les ramener, puisque normalement, il avait pris ses précautions pour cette nuitée. Il avait beau être le « Sam » de service, cette fois-ci ferait défaut. Quelqu’un d’autre s’y collerait.
Rose s’écarta un peu de son groupe, préférant jouer la sécurité. Tant qu’il n’avait pas donné le bon mot de passe, elle ne bougerait pas plus. Même si elle ne détenait, en vérité, aucun doute quant à son identité. C’était forcément lui, superbement charmeur, plus que ses écrits qui avaient laissé émaner une certaine rudesse qui ne transparaissait pas de prime abord sur sa personne.
Bientôt, ils furent l’un devant l’autre, trop proches pour deux inconnus, trop éloignés pour un duo en boîte.
Blaise attendit avec impatience la question fatidique, puis la cadette Armand se décida enfin, un fin sourire aux lèvres :
— Mot de passe ?
— Lapin crétin.
La jeune fille partit dans un grand éclat de rire que Blaise ne put qu’admirer. Il ne s’était pas encore rendu compte qu’il était déjà totalement envoûté.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Charlène Gros-Piron vit dans le pays de Gex, en France, à la lisière de la Suisse. Dans la vie, elle est éducatrice spécialisée. Mais elle est aussi blogueuse/booktubeuse et elle écrit depuis ses 12 ans. Si tu me retiens est son septième roman et sa première romance contemporaine.

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Chapitre 1

Quatre ans plus tôt.

Envoyé 20:51 : Je porterai une robe blanche.

Reçu 20:52 : OK.

Envoyé 20:59 : Mot de passe ?

Reçu 21:00 : Lapin crétin.

Envoyé 21:01 : Ça marche ! ;)

Reçu 21:01 : À ce soir !

Elle referma son ordinateur portable et celui-ci produisit un « clic » sonore. Assise en tailleur sur son lit, elle caressa la surface lisse de l’objet sans réellement y attarder son attention. Son esprit était à des années-lumière de là. Elle laissa ses pensées vagabonder encore quelques instants avant de se lever. Tout en déposant l’outil technologique sur le bureau, elle se reprocha le tremblement de ses mains, marqueur de sa fébrilité.

— Allons. Première rencontre ne signifie rien ! s’exhorta-t-elle.

Une petite voix intérieure ne put s’empêcher de la contredire.

Ses doutes revinrent à la charge. Ils se connaissaient depuis plusieurs mois grâce au forum auquel ils participaient tous deux, mais pas en vrai. Elle était persuadée que ça irait. Ils se tournaient autour… sans s’être encore vus dans la réalité. Et si, physiquement, elle ne lui plaisait pas ? Et si lui, il ne lui convenait pas à elle ? On avait beau dire, le physique entrait quand même en compte.

Et si…

Bon sang ! Il ne servait à rien de gamberger. Elle consulta pour la millième fois de la journée la montre à son poignet, la retira et fila sous la douche. Pour la deuxième fois de la soirée.

Il observa son statut passer de « Disponible » à « Hors ligne ». Il s’apprêtait à son tour à se déconnecter lorsqu’une nouvelle fenêtre de discussion instantanée s’ouvrit. Le petit bruit qui annonçait un nouveau message se répéta plusieurs fois, le faisant presque grincer des dents. Il soupira franchement en constatant qu’il s’agissait de son meilleur ami qui essayait encore de le convaincre d’aller plus loin, beaucoup plus loin, avec celle qu’il allait enfin rencontrer dans la réalité pour la première fois. Après tout, cela ne faisait que la vingtième fois cette semaine que Tristan tentait de le faire changer d’avis. Alors oui, il avait vingt et un ans, mais non, il n’était pas ainsi. Ne le serait jamais.

Un nouveau signal sonore lui indiqua que son interlocuteur importun s’impatientait. Il se décida à lui taper une phrase qui résumerait fidèlement le fond de sa pensée.

Blaise :Peut-être que si tu pensais avec autre chose que tes couilles, les ânes daigneraient t’accepter.

Tristan : Très drôle. Va chier.

Sans prendre le temps de répondre, il se déconnecta et éteignit l’ordinateur. Il s’étira et se demanda comment occuper son temps jusqu’au départ. Son esprit essaya une nouvelle fois de se l’imaginer, elle. Comment était-elle, réellement ?

Cette question avait été posée trop de fois. Il n’aurait la réponse que dans quelques heures, à peine. En attendant… il se leva avec énergie et fila sous la douche. Pour la deuxième fois de la journée.

Aujourd’hui.

— Blaise ?

— Mmh ?

— Tu ne m’écoutes pas.

Son ton accusateur ne lui échappa pas. Il était subtil, mais largement perceptible. Et puis, il avait l’habitude, désormais.

— Exact, avoua-t-il avec spontanéité. Je pensais à autre chose.

— À quoi ?

Bon Dieu, qu’il détestait cette question. C’était sûrement celle qu’il abhorrait le plus.

— À rien, mentit-il prestement.

Trop prestement.

Pourquoi devait-il se sentir coupable chaque fois qu’il resongeait à sa première rencontre avec Rosalie Armand ? C’était du passé. Un passé qu’il aurait préféré oublier.

Sophie, sa conquête de la semaine — ou du mois, il ne savait pas encore —, ne lâcha pas le morceau et poursuivit son interrogatoire avec un nouvel entrain.

— Tu penses à ton prochain roman ?

Rectification : cette question était primée la plus détestable. Forcément.

En trois ans, Blaise Parent avait signé trois contrats dans la même maison d’édition et ses romans faisaient un tabac. Il ne lui était pas rare de croiser l’un de ses livres dans une vitrine de librairie, même s’il avait du mal à s’y faire. Comment deviner que ses thrillers marcheraient autant ?

— Alors ?

Ah, oui. L’esprit de Blaise fourmillait d’idées. Tout le temps, pratiquement. Sauf… bref. Mais de là à les partager… Ses histoires prenaient forme d’une façon unique et tant qu’il n’était sûr de rien, il gardait tout pour lui. Ne partageait pas. Surtout pas avec quelqu’un qu’il ne connaissait pas. Et encore moins avec une conquête.

— Je pensais à un chinchilla, lança-t-il finalement, tout à trac, sans réfléchir.

— Pardon ?

— Tu as un souci avec les chinchillas ?

— N… non. Pas du tout. J’adore les chinchillas ! s’exclama Sophie.

Il ne prit qu’une demi-seconde pour la détailler avant de répondre. Blonde, de grands yeux verts, de taille moyenne, elle avait ce qu’il fallait là où il fallait, sauf entre les deux oreilles. Depuis leur rencontre, deux jours plus tôt, il avait espéré se tromper, hélas elle lui donnait toujours plus raison chaque fois qu’elle ouvrait la bouche.

— Moi, je les déteste, claqua-t-il.

— Euh, je voulais dire que moi aussi, je les déteste, s’empressa de rectifier Sophie.

Ah, cette manie de vouloir plaire en se conformant aux idées de l’autre pendant les premiers jours… autant abréger son calvaire.

— Non, non, Sophie. Tu as le droit d’aimer les chinchillas. Pas besoin de te dénaturer. Mais ça ne va pas le faire, entre nous.

— Hein ?

Il lui tapota la main et se leva pour aller régler l’addition au bar du café. Lorsqu’il repassa près de la jeune femme sans la regarder, elle lui jeta un « salaud ! » bien pensé. Les clients du café en furent choqués et l’observèrent sortir dans la rue comme si rien ne l’affectait.

Blaise ne put néanmoins s’empêcher de songer qu’il n’en était pas vraiment un.

Il n’était pas le meilleur mec du monde, d’accord, mais il était loin d’être un salaud.

Peut-être, sauf qu’il en prenait irrémédiablement le chemin.

— Rose ?

L’intéressée ne répondit pas. Elle resta plongée dans ses souvenirs, se remémorant le soin qu’elle avait mis à se pomponner pour cette première rencontre avec Blaise Parent, quatre ans plus tôt. Elle avait alors dix-neuf ans et lui vingt et un. Il lui arrivait rarement de laisser les souvenirs de cette soirée si agréable lui revenir. Elle avait appris à les craindre, les mépriser, malgré leur douceur. Elle lui en voulait.

— Rose !

Cette deuxième sommation ne la tira pas plus de ses réflexions que la première. Rosalie Armand avait ce qu’on pouvait appeler un don pour oublier le monde. Sauf que ce dernier, lui, adorait se souvenir d’elle.

Avec sa paille, elle touilla distraitement son sirop au cassis un peu trop concentré à son goût. Sa sœur avait encore eu la main leste. On aurait pu dire qu’elle était amoureuse, mais c’était pire : elle était enceinte.

— Rosalie !

Cette fois-ci, le coussin en pilou qui accompagnait l’interpellation l’aida à reprendre pied. Elle renversa la moitié de son verre sur le tapis noir et pesta un bon coup.

— Quoi ? s’énerva la jeune femme en se tournant vers son aînée.

— Je te parlais d’un truc important ! la morigéna Amandine.

— De tes nausées ? la titilla Rose en se levant pour aller chercher un torchon et essuyer la mini mare sucrée.

— Sale gamine ! l’invectiva la future mère en lui lançant un autre coussin sur les jambes.

— Mais tu es invivable, ma parole !

— Rosie, j’ai eu une excellente idée, énonça Amandine en tâtant ses cheveux lisses et d’un beau blond vénitien ramenés dans une queue de cheval.

Elle y cherchait certainement une bosse imaginaire, comme d’habitude.

— Alors c’est non, refusa illico presto la cadette en revenant de la cuisine.

— Mais ! protesta l’aînée.

Les deux femmes s’affrontèrent une seconde du regard, avec les mêmes yeux vert-bleu. Elles se ressemblaient presque comme des jumelles, malgré leurs cinq années de différence. De longs cheveux blonds, un nez droit, un visage fin et arrondi sur le bas, quelques taches de rousseur… La seule chose qui les différenciait était la bouche. Amandine possédait des lèvres fines, au contraire de Rose qui les avait un peu plus pleines, presque en cœur. En dehors de ceci, deux copies conformes. Y compris au niveau du caractère : des mules.

— Mon idée est géniale, grogna Amandine en se laissant retomber dans l’angle que le canapé formait.

— Bon, OK, crache le morceau. Ça concerne le boulot ?

Rose détestait et adorait sa sœur en tant que boss. Exactement pour les mêmes raisons qui traitaient du fait qu’elle était l’aînée. Elle lui donnait des ordres insupportables auxquels elle ne pouvait pas se soustraire, prenait des décisions à sa place et pourtant… jamais elle n’aurait trouvé meilleure complice ou garante de ses droits.

Amandine était directrice d’édition dans la maison familiale Élianor. Leurs grands-parents s’étaient lancés dans l’aventure et avaient baptisé leur création en conjuguant leurs deux prénoms : Élie et Aléanor. Rosalie, quant à elle, était le poulain de la maison depuis trois ans désormais. Enfin… l’un des deux poulains.

— Oui. Tu sais que même si vous cartonnez, il faudrait un coup de pouce, quelque chose qui nous relance sur le marché, expliqua Amandine d’un ton professionnel.

— Tu cherches quelque chose depuis des mois, lui rappela la romancière.

— J’ai enfin trouvé, lui assura Amandine.

L’éclat dans son regard inquiéta Rose. Cette idée allait soit être révolutionnaire et fantastique, ou alors diablement désastreuse. Intérieurement, quelque chose lui disait que cela pourrait même être les deux. Elle retint sa respiration, attendant le verdict.

— J’aimerais que… tu écrives un roman à quatre mains.

Rosalie se hérissa, devinant la suite. Elle se força néanmoins à poser la question que la future mère attendait.

— Avec qui ?

— Notre deuxième étoile. Blaise Parent.

La porte claqua violemment.

Saleté de courant d’air, songea amèrement Blaise en ressortant la tête de ses épaules.

Il venait de rentrer chez lui, bougon. Il avait largement eu le temps de repenser à sa conversation avec Sophie. S’il regrettait quelque chose ? Nullement. Au contraire. Une heure ou deux plus tard, il l’aurait sans doute larguée.

Sa question était plutôt : pourquoi était-il sorti avec elle, même si peu de temps ?

Elle ressemblait à… Non.

Inutile de terminer cette pensée, elle n’aboutirait à rien.

Ce que ressassait Blaise n’avait rien à voir avec Sophie. Seule une phrase l’avait rendu bougon et ne tarderait pas à le mettre en colère. Ainsi que chaque soir lorsqu’il était seul.

Avant qu’il ne s’en prenne à son ordinateur comme cela lui était déjà arrivé par deux fois, Blaise se dirigea vers la cuisine et se servit un verre de whisky. Un bon moyen d’oublier, même en plein milieu de la journée. Le jeune homme n’avait pas coutume de boire ainsi, cependant, au cours des deux derniers mois, cela s’était produit plus souvent. Il aurait honte après. Pour le moment, il ne voulait pas réaliser.

Il mit la sono à fond, pour une fois. Puis il laissa l’alcool l’imprégner.

Non, il ne voulait pas réaliser.

Son esprit capta les chansons de Queen, faisant pulser son cœur. Ils l’avaient toujours inspiré. Thriller ou fantasy, voire même les deux, pour son dernier ouvrage, les idées accouraient au galop.

Et le problème était bien là. Elles n’accouraient actuellement plus.

Cette panne durait depuis deux mois et demi et il n’en pouvait plus.

Ce n’était pas tant le fait qu’il n’aurait rien à confier avant plusieurs semaines à son éditrice qui le tourmentait autant. Seul un auteur pouvait réellement le comprendre. Les histoires dans lesquelles il plongeait l’aidaient à respirer, et ce, même s’il parlait d’un meurtrier. Il ouvrait des portes dont lui seul avait les clefs et ne plus y avoir accès l’oppressait horriblement.

Et puis… ne plus pouvoir chasser ses propres démons en affrontant ceux de ses héros allait le rendre dingue.

Si seulement il pouvait trouver un moyen d’empêcher son passé de remonter…

Rosalie arrêta la voiture dans un crissement de gravier. Elle coupa le contact, posa ses mains sur le volant et y colla son front. Le contact lui sembla être un repère dans ce monde de fous.

Elle était partie de chez sa sœur sans même lui répondre, dans un silence sépulcral. Amandine aurait dû prévoir, savoir, comprendre ! Rose ne pouvait pas. Ce que sa sœur lui demandait allait au-delà de ses forces. Elle n’avait jamais pu oublier ce que Blaise lui avait fait.

Non, personne n’était mort. Seuls les espoirs qu’elle aurait dû s’empêcher de déployer avaient été transpercés. En dehors de sa famille, Rosalie Armand considérait ne posséder qu’un seul trésor : ses rêves. Blaise en avait abattu une partie, la rivant au sol jusqu’à ce qu’elle devienne alchimiste et transforme sa douleur en poussière d’étoiles pour ses lecteurs.

Celle qui se faisait appeler Ros’Arm pour ses écrits se décida enfin à sortir de sa petite Peugeot bleue. Elle ne prit ni son sac ni son portable. Juste les clefs de sa voiture, qu’elle verrouilla distraitement avant de laisser ses pas la porter sur les sentiers ruraux et inégaux qui s’enfonçaient dans une petite forêt de montagne assez dense. La jeune femme ne venait pas souvent ici. Seulement en cas de détresse profonde ou de chamboulement intérieur équivalant à un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Elle écouta les oiseaux, le bruit de la vie en montagne, savoura le petit courant d’air qui passa contre elle, huma les senteurs de bois et de terre en se faisant la remarque qu’elle devrait y prêter plus attention afin de pouvoir les inclure plus fidèlement dans ses prochains romans.

Ses prochains romans…

Rosalie avait toujours des idées. Elle serait morte avant de les avoir vues se tarir, elle en restait farouchement convaincue. Sauf que depuis trois semaines, voire un peu plus, elle ressentait de profondes difficultés à les lier. Elle y parvenait, néanmoins bon nombre d’entre elles restaient sur le carreau à attendre leur heure. Cela n’était encore jamais survenu.

La jeune femme avait beau savoir qu’il y avait une première fois à tout, elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter de tout ceci.

Et si elles attendaient le projet ?

Attendre le projet ? Chaque roman qui se commençait sous sa plume devenait momentanément le projet. Par conséquent, cette idée n’avait pas de sens. Sauf si on se disait qu’un livre pouvait changer une vie, comme une révélation. Est-ce que ça existait réellement ? Un bouquin qui devenait le pilier de l’existence de celui ou celle qui l’avait écrit, au lieu d’être seulement une partie de lui, une simple facette du diamant de son âme ?

Son battant pulsa un peu plus vite. Elle avait envie de croire qu’une telle œuvre pouvait exister, et pire, qu’elle pourrait en rédiger une.

Elle repensa malgré elle à la proposition de sa sœur et son cœur coula telle une ancre.

Et si ce livre était le projet ?

C’était impossible. Pourquoi ? Parce qu’elle ne pourrait jamais le transcrire.

Et pourtant, elle devait bien reconnaître que cette idée pouvait s’avérer fantastique, surtout pour les conséquences qu’elle engendrerait. Les rentrées d’argent, l’engouement des lecteurs, la renommée de la maison… Amandine lui avait appris à penser pour Élianor, et non pas seulement en tant qu’autrice.

Mais… écrire un livre avec Blaise ?

Son cœur se serra et lui fit mal, tandis qu’une partie d’elle-même ressentait de l’excitation à cette perspective. Une partie de son cerveau imagina leur collaboration et elle sentit ses vieux espoirs — ses vieilles illusions — renaître.

Elle gémit et entreprit, comme à chaque fois, de se combattre elle-même.

Rose avait trop souffert. Elle ne pouvait pas se permettre de se laisser aller, encore moins de pardonner. Elle devait se montrer forte, réclamer son droit au bonheur.

Toutefois, n’avait-elle pas le droit aussi d’accorder une deuxième chance ? Son droit au bonheur ne pouvait-il pas passer aussi par là ?

Le tourbillon monta en elle, les deux versants s’opposant, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus le supporter et qu’elle choisisse le premier exutoire qu’elle trouva, stupide et irréfléchi. Elle envoya son poing contre un tronc épais et ses nerfs lui transmirent un message de douleur dont elle s’imprégna.

Elle se souviendrait de ça, pour résister à sa sœur. Si elle créait quelque chose avec Blaise, surtout un livre, elle savait qu’elle en payerait le prix fort. Bien plus fort que cette souffrance qui la paralyserait quelques instants.

Alors pourquoi avait-elle malgré tout terriblement envie de dire oui ?

Chapitre 2

Quatre ans plus tôt.

Elle monta dans sa voiture en prenant garde à ce que sa robe restât en place. Rose avait beau être en retard, elle ne considérait nullement cela comme une raison pour tout saboter. D’ailleurs, elle était victime d’un coup horriblement classique : elle avait tellement essayé de ne pas être en avance qu’elle était partie de chez elle telle une furie afin de tenir ses engagements.

Ils avaient dit minuit et demie dans la boîte de la région. Elle devait y entrer avant les douze coups pour avoir droit à son entrée libre, en tant que membre féminin de la société. Après quoi, elle devait rejoindre un groupe d’amis — de connaissances, plutôt — dans la salle latino du complexe. La notion de chaperons avait beaucoup rassuré sa sœur aînée, qui la couvrait pour la nuit. Sortir danser, OK. Y rencontrer un gars connu sur un forum internet, hors de question.

Ses parents n’avaient pas tort, elle le savait pertinemment. Rosalie avait pourtant confiance en cette soirée et elle avait bien raison.

Elle roula pendant environ une trentaine de minutes, se gara et se présenta devant les videurs à 23 h 54 précises. Un tampon sur sa main plus tard, ainsi que deux tickets de vestiaire coincés dans ses sandales de façon ingénieuse et discrète, Rosalie trouvait le groupe qui l’attendait et se mettait à danser avec eux. Il restait vingt minutes pour s’échauffer.

Le complexe lui avait toujours paru géant de l’extérieur, surtout une fois que la nuit était tombée. Blaise sortit de la voiture, la ferma et se déplaça jusqu’à l’entrée en essayant d’adopter une démarche décontractée, puis salua les videurs avant de passer à la caisse.

Il avait déjà commencé à la chercher. Il était minuit et quart, était-elle déjà là ? Elle n’avait pas précisé dans quelle salle elle se trouverait, il n’avait plus qu’à fureter. Il avait encore quinze minutes devant lui, et néanmoins aucune envie de patienter.

Il commença par le côté disco, saluant des copains de faculté qui passaient là et laissa errer son regard. Il y avait plusieurs robes blanches, mais pas une de ces filles ne correspondait à l’image que Blaise se faisait de Rose. Il voulait croire qu’il saurait la reconnaître au premier coup d’œil. Ah, la fierté masculine…

Traversant la grande salle, il fit le même constat. Jolies filles, mais pas celle qu’il cherchait. La musique pulsait dans ses veines, sans qu’il y prêtât la plus petite attention.

Enfin, il entra dans la salle dite « Latino », remerciant intérieurement son grand-père et sa grand-mère pour l’avoir forcé à apprendre les rudiments de ces danses venues d’ailleurs. Ses yeux se posèrent sur une jeune femme vêtue d’une robe blanche dos en V avec des sandales dorées. L’intéressée tourna la tête vers l’entrée, comme si elle cherchait ou attendait quelqu’un. Il sourit lorsqu’elle croisa son œillade et s’avança vers elle.

Il l’avait repérée, et elle était dix fois plus belle que ce qu’il s’était imaginé.

Aujourd’hui.

Rosalie revint chez ses parents. Elle ne se sentait pas de dormir seule dans son petit appartement cette nuit-là. D’autant plus qu’elle avait besoin de soigner sa main ensanglantée. Il avait déjà été difficile de conduire avec la douleur… Sa mère allait paniquer et son père demander quel était le reliquat d’abruti qu’il avait besoin de frapper ou de réduire en cendres.

Tant pis. Ils pourraient au moins calmer l’ouragan en elle.

Elle sonna à la porte du chalet, tellement typique de la région, avec ses balcons fleuris, et patienta. Elle savait qu’ils étaient là, leurs deux voitures attendaient patiemment devant le garage.

— Ma petite fille ! s’exclama sa mère avant de glapir en voyant sa main enveloppée dans une écharpe bleue.

Rosalie n’avait trouvé que son pashmina pour endiguer le flot de sang, foulard qui traînait sur la banquette arrière depuis des mois. Elle n’aurait plus qu’à le jeter.

— Mais qu’est-ce qui t’est arrivé ? la questionna sa mère en la tirant à l’intérieur.

— Un arbre hystérique m’a sauté dessus… j’ai voulu le raisonner.

— En le frappant du poing ? s’étouffa Claudine en déballant la main de sa fille.

— Une baffe n’aurait pas suffi, badina-t-elle encore.

— Georges ! piailla la maman. Georges !

Le père de Rosalie et Amandine arrivait déjà dans le salon avec sa trousse de premiers soins. Claudine ne supportant pas le sang, malgré un besoin viscéral de contempler au moins une fois les blessures de ses filles, elle fila dans la cuisine afin de s’occuper pour ne pas être tentée de revenir de suite.

— Tu restes manger, chérie ? demanda son père en s’asseyant sur un tabouret en face du canapé où elle avait pris place.

— Elle reste dormir, imposa sa mère depuis son antre.

— Merci, murmura Rosalie pendant que son père examinait sa main meurtrie.

— Taper sur les arbres n’a jamais rien résolu, lui rappela Georges sans pouvoir s’empêcher de grimacer. Tu as des problèmes ?

Rose leva la tête et détailla son père qui cherchait déjà à déceler des indices sur son visage. Ses cheveux poivre et sel avaient été bruns et continuaient d’onduler, voire de boucler, même courts. Il se présentait quasiment toujours impeccablement rasé, ce jour-là ne faisant pas défaut. Son visage plutôt droit inspirait confiance et douceur, tandis que ses yeux verts essayaient de comprendre sans forcer ni imposer, lui promettant juste sécurité et amour. Et même assis, elle le trouvait assez grand, même s’il ne mesurait qu’un mètre soixante-quinze, avec un gabarit plutôt fin et cependant plein d’énergie.

— C’est Amandine, soupira sa fille cadette. Elle a eu une idée pour Élianor, mais… je ne peux pas, Papa, je ne peux pas…

— Elle t’a demandé de faire équipe avec Blaise Parent, hein ? s’enquit son père en prenant une compresse imbibée pour commencer à désinfecter. La prochaine fois, frappe un peu moins fort, ma puce, un peu plus et tu râpais les os.

— Papa, comment…

— Ça fait deux ans que je m’attends à ce qu’elle le fasse, admit-il alors qu’elle fronçait méchamment les sourcils en percevant les effets de l’antiseptique.

Elle devait bien avouer qu’au fond d’elle-même, sans réellement s’en rendre compte, elle l’avait craint aussi. Elle avait prié le Ciel pour l’éviter au maximum, ce qui avait plutôt bien fonctionné : depuis tout ce temps, elle ne s’était trouvée qu’une seule fois dans la même salle que lui : pour un salon, deux ans auparavant. Et Amandine avait veillé à ce qu’ils ne fissent que se croiser.

— Que lui as-tu répondu ? voulut encore savoir Georges.

— Je suis partie en claquant la porte, expliqua la jeune femme.

— Que vas-tu décider ?

— J’ai envie de refuser.

— Et d’accepter, compléta le médecin.

— Papa…

— Inutile de le nier, je ne suis pas ton père pour rien. Mais fais attention, ma fille. Fais attention… C’est à toi que le choix revient. Je sais que tu prendras la bonne décision. Même si je démolirais volontiers cet abruti pour ce qu’il t’a fait.

C’est du passé, voulut-elle lui répondre.

Mais les mots restèrent bloqués dans sa gorge.

Il fallut encore deux jours à Rosalie pour qu’elle parvienne à une quelconque décision. Elle se fit oublier de Morphée, s’abonna aux cernes appuyés et terrifia sa mère qui avait décidé de lui apporter quelques légumes du jardin.

La dernière fois qu’elle s’était autant monté le bourrichon, cela avait été pour ses partiels de licence, deux ans plus tôt.

Le troisième matin, refusant d’avoir peur ou de posséder des regrets, elle envoya un SMS à sa sœur dont elle avait consciencieusement ignoré tous les appels et messages. Elle se remémora chacun des arguments qu’elle avait fait peser dans la balance, les mêlant à ses sentiments, son instinct lui faisant cruellement défaut. Elle contempla les croûtes sur sa main et les tiraillements qu’elle ressentait à chaque mouvement. Elle avait peur, si peur. Et elle lui en voulait tellement !

Puis, elle se souvint une fois de plus qu’Élianor avait réellement besoin d’un nouveau coup d’accélérateur pour assurer sa survie dans les prochaines années. Il lui fallait rester à flots. Son doigt hésita une dernière fois, puis elle songea à ses grands-parents qui avaient tant donné pour cette maison d’édition, et qu’elle avait tant aimés. Il ne s’agissait pas seulement d’elle.

« J’accepte. »

Et j’espère ne pas le regretter.

Deux jours plus tard, légèrement anxieux, Blaise Parent se rendait à Megève, au siège d’Élianor, sa maison d’édition. Il s’y était déjà déplacé à plusieurs occasions depuis la signature de son premier contrat, néanmoins il s’agissait bien de la première fois qu’Amandine Sardon le convoquait pour une raison rigoureusement inconnue.

Et l’inconnu effraie.

Aussi, même s’il fallait se lever tôt pour faire peur à Blaise, ce dernier se trouvait à cet instant dans ses petits souliers. Il gara sa voiture non loin du centre-ville, près de la patinoire, et entreprit de marcher un peu.

Jamais il n’aurait avoué que sa patronne lui inspirait quelques penchants craintifs, cependant les faits étaient là : il appréhendait bel et bien l’entrevue.

Ses sueurs froides avaient commencé lorsqu’elle avait refusé de lui expliquer pourquoi elle requérait sa présence à Megève et n’avaient cessé d’aller et revenir depuis ce moment. Pas au point de l’empêcher de dormir, juste au point de le préoccuper. Assez pour qu’il en vînt à se dire que parfois, la proximité géographique n’avait pas que du bon.

Mais pourquoi diable Amandine Sardon, son éditrice tour à tour si affable et réfléchie, l’avait-elle convoqué ? Allait-elle rompre un contrat ? Plusieurs ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?

Ses pieds le menèrent d’eux-mêmes jusqu’à ses bureaux et il soupira, avant de sonner à l’interphone et de se forcer à patienter. Les réponses n’allaient pas tarder, il fallait se raccrocher à cela.

Dix minutes plus tard, le romancier s’asseyait en face d’Amandine, dont les cheveux blonds avaient été ramenés dans une grosse pince. Les mèches qui s’en échappaient permirent à Blaise de noter une nouvelle fois à quel point les deux sœurs pouvaient se ressembler et être séduisantes. Comme si sa patronne avait lu ses pensées, elle darda sur lui un regard perçant, l’incitant immédiatement à détailler le décor.

La pièce qui les hébergeait était à ses yeux jolie, à mi-chemin entre le côté montagnard des chalets et le côté moderne dont tout le monde voulait désormais se targuer. Des étagères en bois, où reposaient les romans parus, des photos des fondateurs d’Élianor… Au centre de la pièce, un bureau fait de bois et de verre, assez épuré et pourtant délicat. Les sièges des visiteurs, en cuir noir, supportaient négligemment des couvertures fines blanches et rouges tricotées à la main. Celui d’Amandine était quant à lui blanc cassé, assorti d’un plaid marron. Une grande baie vitrée donnait sur la montagne, et Blaise se demanda combien les grands-parents de son éditrice avaient payé pour une pareille vue, les prix dans l’immobilier étant légèrement… surréalistes en 2014. Il reporta ensuite son attention sur le bureau où régnait une gentille pagaille autour de l’écran d’ordinateur. Amandine avait beau être particulièrement réfléchie, on aurait dit qu’elle laissait planer du désordre juste pour montrer qu’elle n’était pas parfaite.

— Blaise, merci d’être venu, débuta finalement l’éditrice en posant une main sur son ventre, sûrement en un mouvement réflexe.

Bien évidemment, il avait remarqué qu’elle attendait un enfant. Elle n’en restait que plus belle, même si elle ne l’attirait pas… pas vraiment.

Le jeune homme se contenta de hocher la tête en réponse.

— Je vois bien que tu t’es posé des questions quant à notre rendez-vous. Si je t’ai si brusquement convoqué, c’est parce que j’ai une proposition particulière et surprenante à te faire, décrivit-elle en croisant cette fois-ci les mains sur la plaque en verre, juste à côté du clavier de l’ordinateur.

Blaise haussa un sourcil, légèrement provocateur.

— Non, pas de ce genre-là ! gronda l’éditrice.

— Je n’y pensais pas, renifla-t-il pour la tester.

— À d’autres, rétorqua-t-elle. Es-tu en train d’écrire un nouveau roman ?

La question ne le surprit pas. Mais que pouvait-il riposter ? S’il répondait par l’affirmative, elle lui poserait des questions auxquelles il se retrouverait incapable de répondre, tandis que la négative le blessait d’ores et déjà dans son orgueil. Admettre ses faiblesses représentait un chemin encore long et ardu pour notre jeune ami, il n’y avait aucun doute là-dessus.

Cependant, son silence plana trop longtemps et Amandine sut parfaitement comment l’interpréter. Après tout, sa propre sœur n’était-elle pas romancière ? Elle avait largement eu le temps d’apprécier ses comportements pour savoir reconnaître les mêmes mimiques chez les autres auteurs.

— Très bien…, continua-t-elle. Alors j’ai un projet à te présenter.

— Un roman préconçu ? désira savoir Blaise.

— Nullement. Un roman à quatre mains.

Le jeune homme fixa sa supérieure, raide comme la justice de Berne. Ses deux iris bleus tentèrent de traverser le vert de son interlocutrice, sans succès. Qu’était-ce donc que tout ceci ? Rien qu’à observer Amandine Sardon dans les yeux… Il flairait l’anguille sous roche, voire même plus gros qu’une anguille.

Plissant à peine les paupières, il la questionna enfin :

— Avec qui ?

La future mère hésita à son tour l’espace d’un court instant, avant de choisir la franchise pure et simple.

— Rosalie.

— Vous plaisantez ? s’enquit Blaise en ouvrant de grands yeux, parfaitement incrédule.

Elle ne pouvait décemment pas être en train de lui proposer un partenariat avec Rosalie Armand !

— En ai-je l’air ? se renfrogna la directrice d’édition en le fusillant du regard.

Apparemment, si.

— Rosalie Armand a accepté d’écrire un livre avec moi ? demanda-t-il encore, l’information ayant énormément de mal à passer.

— Oui.

— Elle était sous stupéfiants ?

— Blaise !

— Elle croyait qu’elle allait mourir ?

— Blaise Parent !

— Pardonnez-moi, Amandine… Mais connaissant… Rose, et la nature de nos rapports, vous ne pouvez que comprendre ma réaction.

— Justement, je crois connaître ma sœur. Je lui ai fait signer le présent contrat et j’ai veillé à inclure dans le vôtre quelques clauses spéciales. Dans le cas où vous seriez partant pour le projet, évidemment.

Durant une infime seconde, tout se mit à dangereusement tourbillonner dans l’esprit du jeune romancier. Il se serait sincèrement plus attendu à une invasion de Bisounours en culottes courtes qu’à cette proposition dont il ne revenait toujours pas. Ou même à déménager sur Mars… Il ne pouvait pas accepter. C’était courir droit dans un mur, avec un briquet allumé dans une main et un baril d’essence dans l’autre. Leur collaboration ne fonctionnerait jamais ! Ils ne pouvaient plus se voir, et connaissant Rosalie, elle ne lui rendrait jamais la tâche aisée. Quelle foutue idée Amandine avait-elle eue ? Parce que c’était forcément elle, le cerveau de tout ceci. Et comment Rose avait-elle pu dire oui ?

Tout ceci sentait réellement le piège à cent kilomètres à la ronde.

Sauf qu’il avait une panne d’inspiration, longue, désespérante et qui l’effrayait de plus en plus, que Rosalie écrivait merveilleusement bien, et… que tout ceci était tellement surprenant et inattendu, y compris pour les lecteurs, que cela ne pouvait que l’attirer.

D’autant plus que, mine de rien, cela ressemblait à un véritable défi…

Et que travailler avec la belle Rose ne serait sûrement pas la pire des tortures. Surtout si elle souriait au moins un peu…

Ta gueule, cerveau.

— Je le suis, détermina-t-il enfin en hochant une fois la tête.

— Je vous laisse lire ce contrat, alors.

Elle lui tendait déjà un feuillet de cinq pages, guère plus épais que ceux qu’il avait déjà eu l’occasion de signer chez eux. Connaissant le fonctionnement, il se rendit directement aux clauses qu’Amandine venait de mentionner.

Blaise manqua tomber des nues.

La plupart d’entre elles lui apparaissaient raisonnables : chacun devait apporter sa participation à parts les plus égales possible, respecter les valeurs qu’Élianor souhaitait véhiculer, ainsi que d’autres « commandements » du même acabit. Seul le dernier point retint férocement son attention et il ne put s’empêcher de le lire à voix haute, comme pour lui donner toute sa réalité et s’assurer qu’on ne se moquait pas de lui :

— « Si Monsieur Blaise Parent entamait une quelconque relation d’ordre amoureux ou sexuel avec sa partenaire sur le présent projet, le contrat actuel se verrait immédiatement rompu et le roman refusé à toute publication. »

Il y eut une petite pause, qu’Amandine ne souhaita nullement écourter.

— C’est une farce ? reprit-il brusquement.

— On ne mélange pas travail et vie privée, Blaise, asséna Amandine d’un ton menaçant.

— Dites plutôt que vous voulez protéger votre sœur, tiqua-t-il.

— En effet, admit-elle froidement. Rose n’est pas un jouet.

— Elle ne l’a jamais été avec moi ! s’emporta le romancier, incapable d’endurer une telle insinuation.

Un silence sépulcral et d’une tension à couper au couteau enveloppa l’éditrice et son poulain, alors qu’ils s’affrontaient du regard, refusant de baisser les yeux. Le manteau qui les recouvrait se composait de non-dits, de reproches parfaitement sensibles et d’un maelström de sentiments tous plus contradictoires les uns que les autres. Il leur coupait le souffle aussi sûrement qu’une chape de plomb.

— Peu importe ce qui a pu se produire entre vous il y a quatre ans, siffla Amandine en tâchant de se confiner dans son rôle de dirigeante d’Élianor et non pas en permettant à celui de grande sœur de s’exprimer. Ma proposition est la suivante et les clauses n’ont pas à changer. C’est ceci ou rien.

— Laissez-moi trois minutes, quémanda-t-il finalement en se levant.

Il se rendit dans les w.c. de l’étage sans lui laisser le temps de s’y opposer. De toute façon, elle aurait eu beau protester, il se serait quand même esquivé pendant quelques minutes. Il devait absolument se ressaisir. Comment avait-il pu s’emporter ? Cela ne lui arrivait que rarement, il tâchait plutôt de tester les limites des autres avant qu’ils ne découvrent les siennes. Mais Amandine semblait posséder quelques capacités pour appuyer là où cela faisait mal.

Fermant la porte à clef, il se retourna ensuite pour contempler son reflet dans la glace de forme ovale au-dessus d’un lavabo des plus simples.

Sa fureur ne transparaissait pourtant que dans l’éclat sauvage de ses yeux d’un bleu en cet instant saphir, ainsi que dans le léger rictus au coin de ses lèvres. Avec une mâchoire plutôt carrée, un nez franc mais bien dessiné, des pommettes juste assez relevées sur un visage qui n’était pas si allongé, Blaise s’estimait heureux. Il était très beau et le savait. Ses cheveux brun tirant au roux au soleil, coiffés en brosse sur le haut et rasés sur les côtés et sur l’arrière faisaient sa fierté.

Il se redressa, tentant de recomposer cette aura imposante qu’il adoptait avec tant de facilité en temps normal, du fait de son mètre quatre-vingt et de sa carrure juste assez large naturellement. Un peu de sport de temps en temps lui suffisait pour entretenir son corps, et il était loin de s’en plaindre.

Oui, il savait pertinemment qu’il plaisait. Même Rose n’était pas indifférente. Du moins, lorsqu’ils s’étaient connus, cela avait été le cas. Qu’en était-il, désormais ?

La dernière clause du contrat lui revint en mémoire et il eut envie de se rebeller. Il n’aimait pas qu’on lui imposât quelque chose, et il s’agissait d’une tendance naturelle à l’homme de vouloir, à un moment ou à un autre, aller à l’encontre des règles qu’on lui présentait. Toutefois, cette proposition était une chance inespérée pour lui. Nullement au niveau financier, ses parents lui ayant laissé un certain héritage qui continuait de fructifier seul. Même si Blaise aimait à savoir qu’il ne vivait pas que de ce que ses géniteurs lui avaient laissé, ce n’était pas ça qui le motivait. Il avait désespérément besoin de s’évader.

Ne plus avoir aucune inspiration lui coupait l’air, lui ôtait l’envie de faire quelque chose, et lui donnait l’affreuse impression qu’il n’était que vide et vanité. Il savait pourtant bien que ce n’était pas le cas, et que derrière chaque romancier, il y a une personne qui n’existe pas que par ses écrits et les histoires qu’elle peut vivre dans sa tête et dans son cœur. Sauf que cette partie-là de lui, il ne pouvait plus s’en passer.

Et puis, quoi ? Que pouvait-il bien survenir entre Rose et lui ?

Elle ne supportait que difficilement sa présence dans la même pièce.

La réponse, dès lors, n’était autre que « rien ».

Même si ce « rien » incluait des engueulades, des disputes et un roman. Une histoire.

Au diable les complications ! Il lui fallait cette histoire.

Il s’aspergea le visage et inspira profondément avant de revenir auprès de son éditrice, qui semblait elle aussi avoir eu le temps de se détendre.

— J’accepte, exprima-t-il avec sérieux.

— J’en suis heureuse, acquiesça Amandine en lui tendant un stylo pour qu’il scelle leur accord d’une signature. Je suis sûre et certaine que vous allez faire quelque chose d’exceptionnel.

— Pourquoi… pourquoi nous deux ? demanda-t-il encore avant d’apposer sa griffe.

— Élianor a besoin d’un coup de pouce et vous êtes nos deux poulains : les deux auteurs les plus appréciés et vendus chez nous. Votre association pourra créer une étincelle formidable. Puis vous êtes bourrés de talent, en dehors de ça.

Blaise hocha distraitement la tête et se décida à signer alors qu’une petite voix au fond de lui murmurait qu’entre Rose et lui… ça ne se résumerait jamais au mot « rien ».

Deux heures plus tard, Amandine et Blaise prenaient un café. L’éditrice avait eu quelques affaires à régler, puis avait désiré en savoir plus sur les éventuelles idées que son étoile pourrait avoir pour ce nouveau projet. Ce n’était pas parce qu’il n’écrivait pas que les idées n’étaient pas présentes, elle le savait bien.

Et… les coïncidences n’existant pas, Rosalie, perdue dans les limbes de son imagination grâce à la musique qui se déversait dans ses oreilles, passa devant le café où les deux conversaient depuis quelques minutes déjà. Megève n’était pas une ville si grande que cela, après tout. Elle attirait beaucoup de monde, une clientèle assez huppée, aussi, mais restait une cité de montagne, pas une métropole.

Rose travaillait en cette période à temps partiel dans une boutique de produits locaux, et elle venait juste de terminer son service. Comme à son habitude, elle déambulait avec bonheur dans ces rues où elle avait un peu grandi, auprès de ses grands-parents. Les pavés au sol, les boutiques de luxe qui se fondaient avec un charme alpin unique… du bois, partout, de la pierre, aussi, des sapins, et ces monts derrière, qui donnaient l’impression non pas de vous enfermer, mais de vous protéger. Elle avait souvent parcouru les coins et recoins de cet endroit. Et elle se disait que Megève était et resterait une partie d’elle.

Cependant, si elle avait eu vent du fait que Blaise Parent et sa sœur se trouvaient dans le café qu’elle venait de longer sans y prêter attention, elle aurait certainement fait un détour. Très long, le détour.

Amandine se leva et sortit du commerce pour rattraper sa cadette. Elle réussit tant bien que mal à la convaincre d’entrer boire un sirop. Ce fut la mention de « sirop » qui décida la plus jeune. On ne refusait pas un sirop. Ni un chocolat chaud. Jamais.

— Je ne reste pas longtemps, alors, parce que mes doigts fourmillent de taper mes nouvelles id…

Sur le seuil de l’entrée, elle se stoppa. Elle était désormais bien consciente de son environnement. Blaise et Rose possédaient tous deux cette faculté souvent assez développée chez les auteurs : l’observation. En une seconde à peine, elle avait repéré le jeune homme. Automatiquement, elle songea à la fuite, seulement Amandine se trouvait dans son dos, lui bloquant la seule issue.

Quelle poisse !

Se sentant fiévreusement observé, Blaise tourna la tête vers l’entrée et croisa le regard de Rosalie. La première fois qu’elle avait posé les yeux sur lui, quatre ans auparavant, l’espoir et la surprise se mêlaient à une petite dose d’angoisse dans ses iris. Là, c’était totalement différent et il ne put s’empêcher de s’en vouloir amèrement.

Parce que seule l’épouvante transparaissait désormais.

Chapitre 3

Quatre ans plus tôt.

Il s’approcha d’elle, faisant signe à ses compagnons pour la soirée. Il se passerait désormais de leur entourage jusqu’à temps de les ramener. S’il fallait les ramener, puisque normalement, il avait pris ses précautions pour cette nuitée. Il avait beau être le « Sam » de service, cette fois-ci ferait défaut. Quelqu’un d’autre s’y collerait.

Rose s’écarta un peu de son groupe, préférant jouer la sécurité. Tant qu’il n’avait pas donné le bon mot de passe, elle ne bougerait pas plus. Même si elle ne détenait, en vérité, aucun doute quant à son identité. C’était forcément lui, superbement charmeur, plus que ses écrits qui avaient laissé émaner une certaine rudesse qui ne transparaissait pas de prime abord sur sa personne.

Bientôt, ils furent l’un devant l’autre, trop proches pour deux inconnus, trop éloignés pour un duo en boîte.

Blaise attendit avec impatience la question fatidique, puis la cadette Armand se décida enfin, un fin sourire aux lèvres :

— Mot de passe ?

— Lapin crétin.

La jeune fille partit dans un grand éclat de rire que Blaise ne put qu’admirer. Il ne s’était pas encore rendu compte qu’il était déjà totalement envoûté. Et elle n’admettrait jamais que deux mots avaient suffi à la faire craquer.

Aujourd’hui.

— Que fait-il ici ? questionna sèchement Rosalie en pivotant violemment.

— Il vient de signer le contrat du projet à quatre mains, lâcha négligemment Amandine en écartant sa sœur pour rejoindre la petite table. Viens avec nous.

— Non, protesta la cadette en subissant un afflux de stress épouvantable. Non.

— Ne fais pas l’enfant, la rabroua l’éditrice.

— Comment oses…

— Il va être ton partenaire pendant des semaines, voire des mois. Si tu ne voulais pas le voir ni te retrouver dans la même pièce, tu n’avais qu’à ne pas signer, persifla Amandine avant de commander avec nonchalance un diabolo menthe au serveur qui passait près d’elles. Et sois polie.

L’intéressée avait retiré ses doigts de l’anse de son sac en bandoulière, blanchis par trop de crispation, et elle essayait désormais de les détendre discrètement. Elle n’avait que quelques secondes à peine pour se ressaisir et se composer un visage ainsi qu’une attitude corrects. Sa sœur avait raison, elle avait accepté tout ceci. Elle devait se montrer conciliante et non pas lui fracasser une marmite sur la tête comme elle en rêvait parfois. Zut.

La jeune femme inspira un grand coup et rejoignit le duo autour de leur petite table un peu bancale à laquelle ils venaient d’ajouter une chaise.

— Blaise, tu te souviens de ma sœur, Rosalie, annonça Amandine.

La concernée aurait pu la frapper. Cette phrase était tellement hors propos !

— Bien évidemment, agréa néanmoins l’interpellé comme si de rien n’était. J’espère que notre projet aboutira à quelque chose de bien.

— Espérons qu’il aboutisse tout court, répliqua Rose en s’asseyant pour récupérer son diabolo menthe.

— Je n’en doute pas, insista-t-il avec assurance.

— Moi, si, trancha sa nouvelle partenaire.

Le jeune homme serra les poings sous la table et tâcha de ravaler sa fierté, ce qui n’était pas une mince affaire. Elle ne perdait jamais de son mordant, il le savait pourtant bien. Toutefois, elle n’était pas aussi sèche, quatre ans plus tôt. Leur mésaventure seule ne pouvait pas expliquer ce changement. C’était plus profond. Qu’était-il advenu ?

— Avez-vous déjà des idées ? questionna Amandine en essayant de rester professionnelle.

Cette sœur-là ne perdait jamais le Nord.

— Aucune, avoua Blaise de mauvaise grâce.

— Beaucoup trop, admit Rose au même instant.

Elle le fusilla sans vergogne du regard. Qu’il ne s’attendît pas à ce qu’elle les lui offrît sur un plateau ! Il devrait aussi apporter sa contribution à ce niveau !

— Vous pensez écrire ensemble, ou chacun un chapitre, l’un après l’autre ?

Bien évidemment, comme c’était à prévoir, Blaise choisit la première proposition et Rosalie la deuxième.

— Pour écrire un tel roman, l’alternance ne suffira pas, nous devons écrire ensemble, avança l’écrivain en sentant clairement qu’il n’allait pas apprécier la suite.

— J’ai déjà accepté de travailler avec toi, ne rends pas les choses plus compliquées qu’elles ne le sont déjà, vitupéra l’auteure.

— Mais enfin…

— Tu as déjà vu une poule pondre un œuf carré ? reprit la jeune femme, déclenchant un certain ébahissement chez ses compagnons, ainsi que leurs voisins de table. Non. La probabilité pour que nous soyons ensemble pour écrire ce projet est la même. Alternance, point, la discussion s’arrête ici.

— Il va pourtant bien falloir en débattre, avant, tenta-t-il de la piéger.

— Vive internet et ses multiples voies de communication, riposta-t-elle du tac au tac.

— Pourquoi as-tu accepté cette proposition si tu ne peux toujours pas supporter ma présence ? s’emporta-t-il brusquement.

C’était la deuxième fois que cela lui arrivait en une journée, ce n’était pas bon signe. Mais il voulait aller au bout. Elle l’avait mis sur des charbons ardents, et ceci en à peine quelques minutes ! Pourquoi devait-il être le seul à se retrouver dans une situation inconfortable ? Autant rééquilibrer la balance au moins un minimum !

Rosalie, elle, pâlit sans répondre. Elle aurait pourtant eu tellement d’arguments à donner, elle qui les avait pesés, sous pesés, contrés et tordus dans tous les sens. Sauf que la présence de ce partenaire la coinçait encore dans un état émotionnel qu’elle avait du mal à gérer, et que de fait, elle perdait une partie de ses capacités. Néanmoins, au moment où Amandine allait s’interposer pour jouer les médiatrices et apaiser les tensions, la plus jeune revint brusquement à la charge :

— C’est à se le demander. Peut-être ai-je cru que tu avais changé ?

— J’ai changé, enragea un peu plus son opposant.

— Tu as changé de jouet, persista-t-elle en se levant et en empoignant son sac.

— Putain, tu n’as jamais été un jouet !

— Va chier, cracha-t-elle en tournant les talons.

Blaise frappa du poing sur la table, qui trembla fortement, attirant par là les regards des dernières personnes qui avaient essayé de ne pas dévisager les deux protagonistes de cette dispute. Quelques personnes affichèrent leur désapprobation, notamment Amandine qui, les sourcils froncés, s’apprêtait à le réprimander sévèrement lorsqu’il se leva à son tour, fila à la suite de la romancière qui était tout juste sortie, et la héla dans la rue.

Rose se retourna, plus par réflexe que par une réelle envie de l’affronter une fois encore. Une quinzaine de mètres plus loin, elle le dévisagea en priant pour qu’il ne vît pas ses jambes flageoler sous le coup des émotions tumultueuses qui l’étouffaient.

— Nous écrirons ce roman ensemble. Fais-toi à l’idée.

Et même s’il était beau à se damner ainsi, en colère et déterminé, il ne réussit qu’à faire bouillir le sang dans les veines de son interlocutrice.

— Plutôt crever !

Et elle s’enfuit en courant, le plantant dans la rue sans regret.

— Attends, t’as vraiment dit tout ça, Roro ?

La concernée hocha la tête, le visage grave. Sa meilleure amie, avachie sur le canapé, lui renvoya une de ses nombreuses balles antistress et la romancière la saisit au vol avec dextérité. Rosalie possédait une bonne vingtaine de ces petits objets relaxants, tous offerts par sa sœur aînée au fil des années, à chaque fois qu’elle avait dû passer une épreuve quelconque. Celle qu’elle détenait en cet instant lui avait été offerte pour son bac, certainement une des plus anciennes de sa collection.

— J’ai du mal à t’imaginer, quand même, reprit sa comparse.

— Je sais, admit-elle.

Elle adressa un regard fatigué à celle qui la supportait depuis des années sans qu’aucun lien de sang ne les reliât. Zaïra Basquez la détaillait de son côté avec suspicion, sans s’en cacher. Brunette ondulée, voire même bouclée si le temps se prêtait à l’humidité, cette jeune femme élancée, un peu plus grande que Rose, se disait que quelque chose clochait. Ses lèvres fines se plissèrent alors que ses sourcils bien épilés faisaient mine de se rejoindre, affichant nettement sa contrariété. Elle avait, ce jour-là, cerclé de khôl noir ses yeux noisette, accentuant leur éclat et les émotions qui les traversaient.

La blonde sourit en songeant qu’elle faisait la même tête lorsqu’elle essayait de saisir un comportement inattendu de Jamie, son petit ami depuis plus d’une année.

— Tu n’as toujours pas tourné la page, lâcha Zaïra en croisant les bras sur sa poitrine, plus fournie que celle de sa comparse.

Outre le fait que, quand elle affichait son mécontentement, elle laissait son accent du Sud émerger et que Rosalie ne pouvait s’empêcher de s’en amuser, cette phrase résonna dans la pièce avec une solennité peu coutumière, surtout aux deux jeunes femmes.

La blonde ne répondit pas. Inutile de mentir à sa meilleure amie.

— J’ai envie de te dire que tu es dans la merde, mais ça, tu le sais très bien, balança Zaïra en se redressant pour s’asseoir en tailleur sur le canapé.

— Tu m’es d’un réconfort inestimable, grommela son interlocutrice.

— À ton service, cocotte !

— Qu’est-ce que je vais faire ? soupira l’auteure en laissant sa tête reposer sur le haut du canapé.

— Écrire ce livre avec lui.

— Hein ?

— Écrire… ce livre… avec lui ! insista Zaïra en levant les mains.

— Pourquoi ?

— Laisse-moi résumer ça de manière claire et concise. Parce que tu as signé un contrat, que tu peux le faire et que ça va déchirer, et enfin, parce que si tu annonces à Amandine que tu arrêtes, elle te tue et elle laisse ton corps aux ours dans la montagne.

— Il n’y a pas d’ours ici, la contra calmement Rosalie.

— C’est ce qu’on essaie de nous faire croire !

— Tt ttt tt…

Elle se renfrogna un peu plus. Elle avait agi par défi envers elle-même en acceptant de signer le contrat, elle s’en rendait compte désormais. Était-elle réellement capable d’écrire un roman à quatre mains ? Oui ! C’était certain. Avec le fils Parent ? S’il le fallait… sans souffrir ? Sans en retomber amoureuse ?

Là était le doute, et là se situait exactement le coup de tête de Rose. Elle voulait tourner la page, se montrer et lui prouver que tout était terminé, mort et enterré. Et surtout, qu’elle était plus forte qu’avant. Que rien ne pourrait la faire chuter.

Elle s’en confia à Zaïra, qui lui retourna une œillade plus qu’amusée. Elle détenait une petite idée de comment tout ceci pourrait se terminer.

— Quoi ? s’agaça la romancière en la voyant perpétuer son rictus.

— Soit Blaise est ton pire ennemi, le fléau de ton existence, soit c’est l’homme de ta vie. J’ai quand même bien envie de choisir la deuxième option.

— Mais…

— Oui, c’est un connard, et oui, s’il t’approche et te fait encore souffrir, je lui coupe ses bijoux de famille et je les lui fais manger en purée, la rassura Zaïra comme si elle parlait de la météo. M’enfin. Il a peut-être une chance — infime, certes — de ne pas finir eunuque. Laissons-lui le bénéfice du doute.

— Tu fais peur, l’informa Rose.

— Tant mieux ! se rengorgea la brune avec un sourire carnassier. Je veux que tu me racontes tous les détails, surtout les croustillants !

— Il n’y aura rien de croustillant à rapporter ! s’énerva-t-elle en pressant sa balle antistress avec hargne.

— Advienne que pourra ! se défendit Zaïra. Ne te laisse pas faire, Roro, pas après ce qu’il t’a fait.

— Je ne suis plus la biche effarouchée que j’étais, lui affirma-t-elle.

— Si tu dois faire disparaître son corps, je t’aiderai, la rassura la brunette.

Prise de court, la blonde fixa sa meilleure amie avec un air vide avant de se reprendre et d’afficher un grand sourire amusé. Pleines d’entrain, elles scellèrent leur accord en se tapant la main.

Entre ces deux filles, c’était à la vie, à la mort.

— La dernière fois que je t’ai vu aussi préoccupé, c’était il y a quatre ans, lâcha tout à trac Tristan.

— Va chier, gronda Blaise.

Il n’avait aucune intention de lui parler de son nouveau projet avec Rose. Le mélange des deux univers de l’auteure et de son meilleur ami donnait des cocktails Molotov d’une grande intensité. Inutile de tenter le diable. Avec Tristan, on pouvait très vite regretter une décision.

— Tu m’avais sorti la même chose.

Le brun daigna lui accorder un regard. Les cheveux blonds et bouclés, quelques taches de rousseur sur un visage malicieux et non dénué de charme, une barbe qu’il rasait une fois par semaine… un corps élancé sans être réellement musclé… Tristan aurait certainement pu avoir une centaine de filles à ses pieds s’il n’avait pas été si con. Pardon. Immature.

— Y aurait-il du Rosalie Armand là-dessous ? piqua le fanfaron.

La mâchoire du romancier se serra sans qu’il n’y pût rien, fournissant de précieux indices à son plus fidèle compagnon.

— Banco ! se rengorgea ce dernier. Alors, qu’est-ce qu’elle a fait ?

— Rien, marmonna Blaise.

— Allons, allons. Je suis certain que ce n’est pas si grave.

— T’es con ou tu le fais exprès ?

— Il se pourrait bien que, vu à quel point tu parais sous tension, j’y mette un peu de cœur, je l’avoue, ricana Tristan. Bon, alors ?

— On doit écrire un livre ensemble.

— La classe ! s’extasia-t-il.

— C’est pas gagné. Elle me hait.

— Elle finira dans ton lit, comme les autres, lui assura son meilleur ami.

— Pourquoi tu ne penses que par tes c…

— Ne me dis pas que tu n’y as pas pensé au moins trois fois déjà.

— Ce n’est pas le genre de fille que je veux balancer dans mon lit ! protesta Blaise avec véhémence. Elle vaut bien plus que ça !

— Alors là, tu es foutu.

— Hein ?

Celui qui vivait de sa plume avait parfois du mal à suivre son meilleur ami. Parce que si le romancier pouvait avoir un certain nombre d’idées rapidement et de façon royalement décousue, le fil des pensées de Tristan le laissait généralement pantois. À la vérité, il se considérait sincèrement heureux de ne pas se trouver dans sa tête.

Tristan renifla puis lui tapa sur l’épaule avec un air condescendant, en s’appuyant sur la rambarde en bois relativement usée de la berge. Ils avaient choisi de se poser près du lac, face à la montagne imposante mais majestueuse, avec cette eau si claire devant eux, même s’il ne faisait pas très chaud. C’était une habitude qu’ils avaient gardée depuis leurs études au lycée, puis à l’université. La bouteille d’alcool en moins, ce que Blaise regretta momentanément. Et encore plus lorsque son ami eut repris la parole :

— Si tu te mets à parler sentiments, tu es mort.

— Je n’ai jamais…, commença à s’énerver le concerné.

— « Elle vaut bien plus que ça… », minauda-t-il.

— J’ai du respect et de la considération pour elle ! tempêta le romancier. Nuance !

— Tu l’as dans la peau depuis les premiers instants, ricana Tristan en se moquant éperdument de son interlocuteur.

— C’est fini.

— Mon cul ! J’suis prêt à parier que vous ne ferez pas qu’écrire ce bouquin.

— Pari tenu. Il ne se passera rien.

— Ouais, c’est ça. J’suis prêt à me faire tatouer un Barbapapa sur l’épaule, si tu gagnes. Mais si tu perds…

— Je me ferai tatouer son nom sur la clavicule, grommela Blaise après un temps d’hésitation.

— On dirait que tu y as déjà songé.

— Ta gueule.

Et ils se serrèrent la main pour sceller le pari.

Amandine avait laissé passer une semaine avant de réorganiser une rencontre entre les romanciers. Elle avait estimé que leur laisser un peu d’espace ne pourrait que leur être bénéfique. Le temps pour eux de faire retomber les ardeurs… de digérer… d’accepter leur collaboration.

Elle s’était en effet parfaitement rendu compte que signer un contrat ne représentait qu’une première étape dans le processus qui visait à les unir pour composer une nouvelle œuvre. Il fallait encore parcourir un certain bout de chemin avant de parvenir à quelque chose de concret.

Pour elle, néanmoins, les laisser loin l’un de l’autre pendant quelques jours, sans aucune confrontation d’aucune sorte, leur permettrait peut-être de réaliser que tout, dans ce partenariat, n’irait pas selon les souhaits et caprices de chacun.

Puis, il lui avait bien fallu une bonne semaine pour trouver comment réussir à les réunir en un face-à-face pour les associer. Elle était d’habitude ingénieuse et prompte à proposer des solutions, mais non seulement Rose avait toujours eu un don pour lui poser des problèmes dans ces situations, Blaise semblait lui compliquer savamment la tâche.

Ce qui avait amené la future mère à songer sincèrement que le métier d’éditrice n’avait rien d’aisé, en particulier chez Élianor. En même temps, peu de personnes pouvaient se vanter de travailler dans une telle maison, et de pouvoir la diriger à son âge.

Après plusieurs jours de réflexion, Amandine avait donc proposé un nouveau rendez-vous à ses deux poulains.

Sa sœur avait accepté de la covoiturer jusqu’à Annecy pour y retrouver l’autre protégé dans un lieu public, afin de se forcer à se maîtriser. Tout en faisant la route, accrochée à son volant, elle était restée déterminée et persuadée que le mode de l’alternance serait le meilleur moyen pour écrire ce nouveau roman, même si elle devait admettre que l’autre option pourrait faire gagner des points en qualité et en densité.

Sauf qu’elle n’était pas prête à l’admettre.

Bref, campée sur ses positions, la jeune femme saurait se contrôler et assurer quoi qu’il advînt.

Quoi. Qu’il. Advienne.

Elle pouvait toujours essayer de s’en convaincre, cela ne payait pas de mine.

— Tu ne racontes pas grand-chose, marmonna Amandine alors qu’elles mangeaient dans un des nombreux petits restaurants de la vieille ville, où Blaise devait les rejoindre pour le café.

— Je mange, protesta Rosalie sans la regarder.

— Je supporte mal le silence, et celui que tu as tendance à m’imposer depuis ce matin me pèse. Manger ne t’a jamais empêchée jusqu’à maintenant, grommela l’éditrice en caressant son ventre arrondi.

— Comment se porte-t-il ? questionna la cadette en appréciant une nouvelle fois l’air rayonnant de sa sœur malgré ses traits renfrognés et ses cheveux qu’elle avait — pour une fois — laissés libres.

— Il s’agite. Mais ne détourne pas la conversation ! M’en veux-tu encore pour ce contrat que tu as quand même accepté ?

Subtile manière de lui faire remarquer qu’elle ne l’avait pas réellement obligée.

— Je t’en ai voulu, mais ce n’est plus le cas, soupira Rosalie en reposant ses couverts dans son assiette. À dire vrai, je t’ai carrément détestée. Puis j’ai admis que cela pouvait être une bonne idée.

— Excellente, rectifia Amandine.

— J’espère qu’il n’aura pas ton ego, railla la plus jeune des deux.

— Sale gamine. Pour en revenir au projet, je réfléchissais à cette éventualité depuis longtemps, pour être honnête. Il faut quand même que tu saches que je ne te l’aurais jamais proposé si je n’avais pas été persuadée que tu t’en trouvais capable.

— J’ignore encore si je le suis, murmura Rose de façon néanmoins audible.

— Ro’, écrire ce roman te sera aisé, assura Amandine.

— Oh, je ne parlais pas de ce point, mais des relations que j’aurai avec Blaise.

— Ne le tue pas, la supplia-t-elle en joignant les mains par-dessus son assiette de lasagnes presque vide.

— Zaïra m’a proposé de m’aider à cacher le corps, si jamais, l’informa la romancière d’un ton anodin.

— Cela ne m’étonne pas d’elle…

Rosie sourit avant de reprendre une bouchée de ses raviolis aux saveurs automnales qui patientaient dans son plat. L’automne commençait à se transformer en hiver, durant ce mois de novembre, mais les plats en sauce aux champignons avaient encore sa préférence. Elle était contente de s’apercevoir que son aînée la soutenait, même si cette situation n’avait rien de simple de son côté non plus, sans compter le bébé qui arriverait bien assez rapidement.

— Je suis quand même heureuse que tu aies accepté sans que j’aie à te menacer de ne plus être la marraine de mon premier-né.