Sur le chemin d'Yposéla - Martine Dugrenvent - E-Book

Sur le chemin d'Yposéla E-Book

Martine Dugrenvent

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Beschreibung

L'histoire d'un couple installé en Afrique noire.

Alexis et Clarisse, un couple de Français, repartent en Afrique Noire pour y faire fortune, après avoir tout gagné, et tout perdu de nombreuses fois. Alexis reprend une exploitation forestière, tandis que Clarisse, qui a tout quitté pour cette aventure, construit son monde. Dans un village perdu au cœur de la brousse, ils mèneront une existence haute en couleur, faite de passion, d'inattendus, d’émotions, et de sorcellerie. Leur histoire porte la griffe de cette nature exubérante, sauvage, et de tous les possibles. Jusqu’au jour où Alexis se lance à la recherche d’un produit mystérieux, qui pourrait bien menacer leur séjour, ainsi que leurs vies. Parviendront-ils à s’en sortir ?

Plongez dans le monde de Clarisse et Alexis et découvrez leur existence haute en couleur, faite de passion, d'inattendus, d’émotions, et de sorcellerie.

EXTRAIT

Lassée de toutes ces blessures, dont sa famille ignorait tout, elle décida un jour de partir très loin. Très loin, en suivant sans s’en rendre compte sa destinée… À vingt-quatre ans, après tous ces désespoirs, ce fut l’Afrique noire qui recueillit ses suffrages. Ses parents apprirent finalement avec un certain soulagement ce qui motivait cette instabilité : trouver l’amour, et tellement plus beau sous d’autres cieux ! Le point central de sa vie de femme, la raison de son existence étaient là : trouver l’amour, se laissant guider par son instinct, et par son intuition avec une conviction quasi animale !

A PROPOS DE L'AUTEUR

Martine Dugrenvent, née Révolat, est originaire de Bordeaux. Après une scolarité mouvementée, une orientation dans les arts, une vie sentimentale et familiale houleuse, elle quitte tout pour un pays inconnu, l'Afrique noire. Là-bas, elle retrouve un ami qu’elle n’a pas vu depuis l’enfance, s’y marie, et fonde une famille. Ensuite, ils partent vivre dans des îles, océan indien, Caraïbes, puis rentrent en France, où Martine débute ses premiers écrits.

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Martine Dugrenvent

SUR LE CHEMIN D’YPOSéLA

À mon mari, mes enfants, sources de vie, d’inspiration.

Ne pas parler fort ne signifie pas que l’on n’a rien à dire.

–Proverbe africain

Avant-propos

Aujourd’hui.

Aujourd’hui commence la Grande Épopée, celle du récit…

Le mercure rouge d’Afrique noire a une densité atteignant parfois 30 kg/litre, et une valeur marchande dépassant parfois le million de dollars par kilo…

Celui qui a ça, ne le dit pas.

Il y a aussi celui qui ne l’a pas, dit qu’il a ça, et ne court aucun risque, puisqu’il ne l’a pas.

C’est un produit mystérieux, enfoui au centre de la terre d’Afrique noire et qui n’a pas de prix : c’est le mercure rouge. Certains n’y touchent pas, pétrifiés par la peur de ce qu’il engendre… mais tout le monde le recherche. Le bouche-à-oreille joue ici un grand rôle, car tout le monde sait qu’il existe ; mais tout le monde ignore où il se trouve.

Alors, sachez-le dès à présent, l’Afrique m’a tout donné, tout repris, et plusieurs fois…

Du plus pauvre au plus riche, chacun cherche cette chose miraculeuse, tout comme l’amour…

Chacun essaye de piquer à l’autre les pistes menant à lui, les filons, les tuyaux, souvent bidons, qui mènent dans les profondeurs de la brousse africaine, toujours dans le plus grand secret.

De nombreuses expéditions aventureuses, voire dangereuses, se déroulent tout au long de l’année, malgré les plus durs climats se succédant.

C’est en toute saison que les chasseurs chassent en silence la chose fabuleuse, ce trésor déposé en terre depuis la création, par la magie des dieux.

Beaucoup, pour avoir « la chance », passent par des Marabouts, afin d’éviter le mauvais sort que pourraient jeter sur eux leurs semblables… et le mercure rouge lui-même…

Ils sont caparaçonnés de gris-gris, comme seuls les marabouts en confectionnent.

Et puis, ce mercure rouge dont je vous parle, là-bas, ce n’est qu’à demi-mot qu’on l’évoque et si l’on pouvait n’en parler qu’avec les yeux on le ferait. Son trafic est défendu.

Mais pour être le premier à mettre la main sur le trafiquant qui a été vendu par son propre complice, afin de toucher sa commission à un niveau plus élevé, les trahisons sont nombreuses… La pyramide est haute, c’est un cycle infernal à tous les échelons jusqu’au sommet de celle-ci. Celui possédant la chose, s’en défait aussitôt la peur au ventre d’être attaqué, tué, dénoncé, volé… C’est ainsi que ce produit circule…Une vraie chasse silencieuse, sans foi ni loi, se déroule au cœur de l’Afrique, comme dans un labyrinthe, en lequel certains, sans trouver la sortie, y laissent leur vie… Le mercure rouge peut frapper… Chacun se croisant, du plus petit au plus haut placé, toutes couleurs de peau confondues, ils cherchent. La chose qui pourtant existe.

En attendant nous allons commencer par les tout débuts du comment, du pourquoi… Nous allons vivre ensemble cette aventure un peu à la façon de la conception d’un enfant que l’on suit jusqu’à l’âge adulte, prenant un chemin dans un univers spécial. Il n’y a pas de faux hasards, tout chemin pris contribue à nous diriger vers ce à quoi inexorablement tend le destin que nous ont tracé les dieux en nous donnant la vie.

Disons-le simplement, notre mission ici est la chasse au trésor. Ce trésor a une couleur. Il vaut plus que l’or et n’en a pas la couleur.

La sienne est rouge. Rouge comme le sang du Christ, d’où sa symbolique mystique : le mercure rouge surnommé par moi le ILA-CA peut :

Ruiner…

Ou enrichir…

Comme au jeu :

On mise tout…

Puis l’on perd tout…

Ou l’on gagne tout…

C’est selon. C’est la loi de la jungle, celle de la vie…

C’est ainsi que l’histoire s’incarnera ici en la personne de Clarisse. Nous allons la découvrir. C’est elle qui portera depuis les toutes premières pages jusqu’à la dernière cette quête infernale.

Je suis Caroline, l’amie d’enfance et confidente de Clarisse.Son mari, Alexis, est mon frère…

Époque 1958-2000

Mon frère Alexis était en France avec Clarisse depuis quelque temps. On ne savait trop si c’était momentané ou définitif. Je désespérais de les voir s’installer un jour. Mener une vie conventionnelle, une sorte de repos du guerrier, bien mérité… Mais cet espoir restait vain.

Un beau jour, un départ finissait toujours par se profiler à l’horizon, quelque part en pays étrangers.

Soit un continent, soit une île, mais toujours vers un lieu exotique, avec l’aventure à la clé.

Nous habitions tous à la campagne, dans la même région, à proximité du même grand village. Nos maisons de style ancien, entourées de beaux jardins arborés, étaient des endroits pourtant charmants où il faisait bon vivre.

Clarisse avait toujours plaisir à retrouver sa maison, achetée à une époque d’abondance. Habitant non loin de chez elle, lors de ses absences prolongées ou courtes, je m’y rendais de temps en temps afin de surveiller l’ensemble des choses. Cela faisait quelque temps déjà qu’ils étaient rentrés en France, pour mon plus grand plaisir… Nous nous voyions souvent, nous étions très proches Clarisse et moi, très différentes aussi. Je suivais avec une attention passionnée la vie de Clarisse et de mon frère, qui ressemblait déjà à un roman.

Souvent l’après-midi, me racontant tous ses secrets, nous éprouvions ensemble un certain plaisir à nous retrouver devant une tasse de thé, une de ces tartes chaudes qu’elle affectionnait particulièrement, et assises dans le sofa du salon donnant sur la roseraie du jardin, nous entamions la conversation… Tantôt chez l’une tantôt chez l’autre.

Nous avions nos moments privilégiés et personne ne devait alors nous déranger.

Alexis, lui, ne tenant pas en place, faisait partie d’un club de tennis et de kayak, entre-temps il jouait aux cartes dans un autre club. Les souvenirs passés, présents, à venir, défilaient à livre ouvert, entrecoupés d’une tasse de thé au citron, suivie de bouchées tièdes de tarte aux pommes, d’éclats de rire, et l’on ne voyait pas passer l’après-midi.

Un matin, Clarisse m’appela au téléphone :

« Je viens te voir après le déjeuner, si tu veux bien, je te porterai une tarte aux pommes, j’ai à te parler d’un projet…

–Je t’attends », lui répondis-je. 

Clarisse arriva excitée, sa tarte aux pommes sur le bras, que je déposai sur la table du salon, suivie du thé chaud, déjà servi.

Impatiente, prenant place sur le sofa de velours fraise, elle me fit part de son projet.

« Voilà mon programme. Il trotte en moi depuis si longtemps… En deux mots : j’ai décidé d’écrire une petite partie de ma vie. Mais je m’interroge encore… Comment maîtriser ce fleuve, son courant débordant… Est-ce que cela ne va pas me conduire vers des rives inconnues ? Tu vois, ces rives, ce sont mes futurs lecteurs. Et puis, c’est un peu bête, je le sais bien, mais je crains que l’on me reconnaisse…

–Clarisse, je te rassure, en glissant sous le ciel, l’eau a de multiples facettes. Et puis, à vrai dire, je ne pense pas que ton lecteur puisse lire aussi distinctement en toi que tu le crains… Commence donc ton livre… »

En fait,Clarisse avait déjà écrit une sorte de journal, composé d’histoires qui se déroulaient dans un village perdu du continent africain où elle se trouvait à l’époque, en pleine brousse, vivant parmi les villageois. Elle le gardait sous son coude depuis un moment.

« À présent je vais en commencer un autre et ce sera un vrai livre », dit-elle.

Des pages, commencées, puis abandonnées, allaient peupler sa table de travail. Mais ça n’allait jamais. Ne sachant comment, ni par où commencer. Devant tant de choses captivantes à faire connaître, à partager, il lui semblait qu’elle n’en verrait jamais la fin, ni ne parviendrait à en écrire le début, il me faut prendre l’avion en plein vol, disait-elle, dépassée. Attaquer en plein milieu, de plein fouet… Oui, c’est cela, je vais accomplir un véritable exploit, et remonter ensuite le cours des choses vers leur début.

En résumé : Le cahier fut rempli d’interruptions au lieu d’être le fleuve espéré. Une sorte de sonate interrompue, mais n’arrivant pas à prendre son envol.

« Je sens cette histoire vivre en moi… vois-tu ? Mais je n’arrive pas bien à ordonner ce que je veux écrire, à faire des chapitres, etc. C’est comme un puzzle à assembler, ou encore une sorte d’enfant, que je porterais, mais qui serait encore inapte à recevoir la lumière du jour. »

Finalement,le livre était commencé, sans qu’elle en prenne conscience.

N’écrivait-elle pas déjà son début ? « Il me faut m’évader sans plus tarder dans cette histoire », disait-elle.

En somme, Clarisse avait, pour son âge, une vie totalement saturée. Dans cet œuf plein à ras, il n’y avait plus de place pour du blanc sous la coquille, et celle-ci commençait à se fendiller sous l’effet de son trop-plein. Elle se mit à écrire malgré elle, afin d’en être allégée, poussée par une force inconnue…

Mais, parlons un peu de Clarisse…

Elle naquit par un agréable jour d’automne, à l’heure où le soleil est à son zénith ; dans le pays de France. C’était dans une famille bourgeoise, tourmentée par sa venue, sa naissance coïncidant avec de fâcheuses discordes entre ses parents ; bref, une époque critique. Inutile de préciser que dans cette famille le divorce n’existait pas !

Son frère aîné était venu au monde un an auparavant.

Son enfance et son adolescence furent très mouvementées en raison des rapports tendus entre son père et elle. Devant l’impassibilité de sa mère, lors de violentes altercations entre son père et elle, qui auraient normalement justifié son intervention, elle ne s’en mêlait pas, n’osant prendre parti pour Clarisse.

Parfois, la mère de son père, vivant avec eux, se trouvant là lors de ces violentes scènes, s’en mêlait donnant raison à Clarisse.

Cela choquait beaucoup Clarisse qui était éprise de justice ! En ces moments-là, elle se sentait mal aimée, presque révoquée, un manque de quelque chose quelque part, jamais comblé, la minait, sans pouvoir se l’expliquer cela allait grandissant au fur et à mesure que les années passaient.

Son adolescence lui ouvrant les yeux sur les choses de la vie, elle commença à mieux cerner les questions qu’elle se posait sur ses ressentis accumulés depuis tant d’années. Y avait-il là un mystère ?

Un jour, elle décida d’interroger la vieille employée de la famille, qui était au service de ses parents, et qui auparavant servait chez ses grands-parents paternels, jusqu’à la mort du grand-père. C’est ainsi que la grand-mère et la bonne se retrouvèrent toutes deux chez Clarisse, ce qui plaisait beaucoup à celle-ci.

La vieille Marie en avait vu et entendu du vivant du grand-père de Clarisse, mort quatre ans après sa naissance. Ainsi, Marie avait vu naître les trois garçons, qui étaient les oncles de Clarisse, au désespoir de ce grand-père qui aurait enfin voulu être le père d’une petite fille.

La réponse aux yeux de Clarisse était ambiguë, car ce fut au moment où ses parents voulaient divorcer que son grand-père qui adorait la mère de Clarisse se rapprocha de celle-ci, et l’épaula dans cette épreuve qu’est la grossesse, l’entourant de toute son affection… « À votre naissance, disait Marie, c’était le plus heureux des hommes, vot’ grand-père…Ce fut une adoration pour vous tellement que l’on vous a donné le nom de sa propre mère qui était morte dans son jeune âge et dont il n’avait pu profiter beaucoup. » Ainsi Clarisse savait tout, mais n’avait rien appris…

Plus tard, Clarisse, devenue adulte, irait jusqu’à demander à des médiums réputés chevronnés la clé du mystère de sa venue au monde, et qui ne cesserait jamais de la poursuivre, bien qu’elle en connût déjà la réponse, même si aucune personne de sa famille n’était à même de faire toute la vérité. Elle espéra toutefois que sa mère à la fin de sa vie lui donnerait la clé de cette énigme existentielle, mais en vain.

Malgré les regards que sa mère avec insistance posait parfois sur elle, sous le regard de Clarisse, sachant qu’elle devait penser en ces moments-là à celui qui était son vrai père… vraisemblablement, elle ne lui en dirait rien.

Seul demeura un message à interpréter : le jour de son décès, il fut remis une enveloppe à Clarisse, parmi une multitude de papiers, dans laquelle se trouvait la plaque en cuivre où était inscrit le nom de son grand-père, auparavant posée sur la porte d’entrée de la maison de famille et indiquant qui habitait là à l’époque. Sa mère avait donc gardé avec elle ce souvenir qu’elle lui remettait…Pourquoi à elle, et pas à son frère ?

La réponse des médiums était toujours ambiguë. À mots couverts, ils ne disaient rien de clair ; de peur de quoi ?

Ce ne fut que tardivement que lui vint la réponse,par son fils qui n’était pas encore né,sur cette vérité cachée depuis de si longues années… Est-ce pour cette raison que son existence fut si agitée, si tourmentée ? Pourtant cette vie d’aventure, haute en couleurs, allait bien à ce tempérament passionné, aventureux, artiste, amoureux, fantaisiste, doté d’une incroyable soif de renouveau, de voyages, et de découvertes en tous genres.Elle avait mis tout cela sur le dos de sa naissance, de ce conflit mystérieux duquel elle était issue.

Ce fut une enfant demandant beaucoup d’attentions, puis une femme insatiable, donnant énormément par des élans à corps perdu, dans des situations difficiles, traduisant là un manque à combler. Avec la passion que générait ce manque, son énergie était parfois envahissante. D’un caractère imprévisible, extravagant, difficile, déroutant, provocant, sa scolarité fut assez mouvementée. Clarisse avait l’école en horreur depuis sa plus tendre enfance ; vivant très mal cette discipline destinée à apprendre aux petits à être grands. Elle fit plusieurs écoles… Mais à quatorze ans, c’est l’école qui ne voulut plus d’elle, pour sa plus grande joie.La punition avait duré trop longtemps, jamais elle ne voulut y remettre les pieds et jamais elle ne regretta ces endroits.

Un frère d’un an son aîné, était au contraire brillant en tout sur le plan scolaire et faisait l’admiration de tous.

Clarisse était heureuse, elle, d’être ce qu’elle était, malgré les réactions vives à son endroit en raison de ses provocations. Elle était une fille. Ça lui suffisait. Être un garçon à l’époque, devoir travailler, nourrir sa famille, ne l’intéressait pas du tout… Si Clarisse n’avait pas appris à l’école, elle avait su bien vite extrapoler sur les bases élémentaires du b.a.-ba. Son adolescence commença avec l’école de la vie, la frappant au cœur de plein fouet, touchant le point le plus vulnérable de son être, là où était le manque : celui de l’Amour. Elle tomba en effet follement amoureuse d’un homme, à l’âge de quatorze ans, et qui aurait pu être son père. Très séduisant, homme à femmes, surpris en retour d’être amoureux d’une femme enfant de cet âge, il se rendit néanmoins à l’évidence. Ce n’est que quelques années après, à l’âge de dix-sept ans que Clarisse dut prendre l’insurmontable décision de partir loin en province s’occuper d’enfants sans donner aucune raison crédible à ses parents qui trouvèrent cet exil étrange. Clarisse ne rencontrait sur son chemin que des amours contrariées, la faisant souffrir, et l’obligeant à chaque fois à prendre la fuite, hélas !

Lassée de toutes ces blessures, dont sa famille ignorait tout, elle décida un jour de partir très loin. Très loin, en suivant sans s’en rendre compte sa destinée… À vingt-quatre ans, après tous ces désespoirs, ce fut l’Afrique noire qui recueillit ses suffrages. Ses parents apprirent finalement avec un certain soulagement ce qui motivait cette instabilité : trouver l’amour, et tellement plus beau sous d’autres cieux ! Le point central de sa vie de femme, la raison de son existence étaient là : trouver l’amour, se laissant guider par son instinct, et par son intuition avec une conviction quasi animale !

Finalement, elle alla rejoindre le frère de son amie d’enfance Caroline, lequel travaillait dans les bois exotiques, et avec qui, depuis quelque temps, elle correspondait. Ce ne fut possible qu’après avoir pu économiser la somme suffisante pour son voyage, tirant profit de son talent naturel pour la peinture. Elle vendait ses toiles à des particuliers, dans un port où elle passait ses vacances ; puis, un jour, Clarisse quitta tout, prit l’avion un soir, vers l’Afrique noire, en direction d’un pays dont elle ne connaissait que le nom. Ses parents durent néanmoins se résoudre à la laisser partir, le cœur serré, vers une nouvelle vie, si loin de tout ce qu’ils connaissaient…

Clarisse suivait son destin, son chemin, sa vie. Et quelle vie !

Dès qu’elle eut quitté le sol, Clarisse, sentit que sa vraie vie enfin allait commencer…

L’Afrique, c’était l’aventure, et cela l’excitait énormément. Quelle aventure, une vie sous les tropiques !

Première partie

Chapitre I

Clarisse

C’est sous les feux finissants d’une violente dispute, entre Clarisse et Alexis que le lecteur attaquera les premières lignes de ce livre…

« Oui, je l’aurai, lui disait-elle violemment, ma grande histoire d’amour ! Si ce n’est pas avec toi, ce sera avec quelqu’un d’autre, si tu ne changes pas ! »

Alexis et Clarisse étaient à nouveau en Afrique noire, revenus de France, après nombres d’infortunes, d’espoirs déçus. Allongés sur le lit, entamant leur sieste, dans une petite chambre, ne cadrant pas du tout avec le décor dont Clarisse rêvait… Ils se retrouvaient, là, comme à leur point de départ.

« Une chambre des colonies ! » disait-elle, exaspérée.

Sol en ciment, lavé à grande eau. Pas de tapis, un simple lit de bois. Deux chaises, une table de nuit, un ventilateur, pour diluer la chaleur de la brousse collant au corps. Une chambre de religieux pensait-elle, quelque peu amusée par l’idée et en pensant au genre de religieux qu’ils étaient…

Regardant en face d’elle, posées sur l’armoire, les valises, défaites, fermées, vides depuis près d’un an. Ne mettant sur elle que quelques vêtements, toujours les mêmes. Il lui tardait de repartir…

Alexis l’agaçait et devait sûrement encore aller voir du côté des filles noires qui, selon elle, n’attendaient que ça. Dans sa tête se bousculaient des tas de questions, Clarisse passait tout en revue.

Comment s’y prend-il ? Comment se comportent-elles ? Pour l’homme, la Noire est-elle mieux que la Blanche ? En somme, est-ce un pur désir de domination animal qui anime certains hommes ? Aucun n’aura la loyauté de dire, ni d’avouer le pourquoi. Tout au moins à une femme. Mais entre hommes, seuls, ils parlent plus facilement de ce genre de choses…

Alexis lui, restait là, à côté d’elle, fort de ses secrets bien gardés. À ce moment même, elle considérait qu’il donnait une partie d’elle-même aux autres femmes quand il couchait avec elles, considérant cela comme un viol à son encontre, puisqu’obligée d’accepter quelque chose que ses pulsions à lui ne savaient contrôler. Elle subissait cela comme une violence. Qu’est-ce qui les attire tant ? Qui pourrait nous apprendre cela, à nous les femmes, incultes et ignorantes de ce domaine dont nos mâles blancs connaissent le secret.

Comment le blanc saute-t-il la noire, ou vice versa ? Tous vices confondus en l’état… Est-ce qu’elles jouissent, sans comédies, en criant ? Le griffaient-elles ? Et dire qu’avec leurs gros seins et leur cambrure elles envient les blanches ! Merde alors ! Combien de blanches comme moi, se sont posé déjà ces questions sans réponse !

L’interrogation demeurera toujours. Alexis bien sûr n’en parle pas. Il dit toujours « je t’aime. » Mais j’ai besoin de savoir comment ça se passe ailleurs… Ainsi il a visité pas mal de pays et de couleurs en profondeur ! Un aventurier complet. Mais je suis lasse de tant de questions sans réponses… Je ne vais pas m’improviser gouine pour combler ma curiosité. J’aime trop les hommes. Alexis était donc un aventurier dans tous les sens du terme : voyages, femmes, découvertes, etc.

Cependant, ils étaient bien là, côte-à-côte, à l’heure d’une sieste agitée par les révoltes et les soubresauts de Clarisse, voulant de surcroît faire l’amour, afin d’oublier tout… Mais Alexis semblait hélas indifférent. S’enfonçant dans un sommeil lourd, du même coup, effaçant tout problème.

Révoltée, voyant Alexis s’endormir et fuir dans l’indifférence et le détachement, consciente du désarroi dans lequel elle se trouvait, l’envie lui prit soudain de remonter le temps, comme sous hypnose. Choisissant son thème de prédilection, le passé,elle voyagerait jusqu’à ce jour où, se trouvant aux côtés d’Alexis, ils commencèrent une sieste houleuse.

La fortune vient en dormant, pensa-t-elle. Que les dieux m’entendent. Qu’ils m’exaucent. Allongée sur le lit, en simple petite culotte blanche de coton, légère et court vêtue, la voilà s’envolant vers son passé, traversant le tunnel l’y conduisant tout droit, se retrouvant, soudain, dans un avion énorme, l’emmenant sur le continent d’Afrique noire retrouver Alexis.

Arrivée de Clarisse à l’aéroport, et retrouvailles avec Alexis…

Clarisse arriva un soir sur le sol africain, l’âme et le cœur en émoi à l’idée de revoir Alexis, à se trouver aussi près de lui depuis tant d’années.

Enfants, ils jouaient ensemble avec Caroline, la sœur d’Alexis, et les autres enfants dans les jardins de la mairie formant un très beau parc dont la ville était très fière.

Depuis leur adolescence, Clarisse avait perdu de vue Alexis, qui voyageait. Seule Caroline maintenait des contacts réguliers avec Clarisse qui suivait les péripéties de son frère « l’aventurier » comme elles aimaient à l’appeler.

Lorsqu’elle entendit le train d’atterrissage sortir, son cœur par martèlements successifs résonna dans tout son être… L’avion en approche, comme un fauve retenant sa puissance dans un ralenti contenu en vue de sa proie ne la perdant pas des yeux un instant, s’apprêtait à atterrir sur le tarmac. Par les hublots on pouvait entrevoir la piste éclairée jusqu’à son point final où une foule attendait.

Là se trouvait Alexis. Puis l’avion en douceur posa son énorme carlingue sur le sol, tel un canard se laissant glisser sur les eaux d’un lac. Clarisse prenant l’avion pour la première fois fut ébahie par la légèreté de ce monstre arrivant sur le sol…

Notre passagère, comme à la veille d’un examen, avait le trac. Prenant ses bagages, suivant les autres passagers, comme un automate, chassant toute pensée, elle se retrouva sur le tarmac, marchant jusqu’à l’arrivée où une foule pressante allait au-devant des voyageurs.

Comme sur un nuage, elle se retrouva devant Alexis, sans même l’avoir vu, préoccupée par la chaleur moite qui l’envahissait. Ah, cette arrivée ! Les Africains s’affairant autour des blancs, pour porter leurs bagages… Tout était si nouveau.

Alexis, l’ayant aperçue de loin, la reconnut parmi la foule se dispersant dans le hall de l’aéroport.

Il s’approcha en l’appelant :

« Clarisse, Clarisse. Je suis là. »

Arrivée à son niveau, elle ne bougeait plus, l’attendait…

« Ah. Je ne te voyais pas. Je… Je suis complètement perdue ! »

Alexis prit Clarisse dans ses bras, l’embrassa, la serrant contre lui :

« Ah comme je suis heureux.

–Moi aussi, tu sais. Enfin je suis là…, ouf !

–Avec tes cheveux blonds, je t’ai reconnue de loin. Tu es comme une lampe allumée ! Et puis j’avais avec moi la photo, que tu m’avais envoyée récemment. Je ne pouvais pas te louper. Tu n’as pas changé, tu sais. Mais à présent tu es une femme. Quelle idée formidable tu as eue de venir me rejoindre.

–Oui, une idée de génie, tu es bel homme toi aussi. Tu dois faire des ravages ici, non… ? Surtout en tant qu’aventurier… Tu te rappelles, enfants, ta sœur et moi on t’avait surnommé ainsi…

–Euh… tu sais : en fait je suis un homme sans femme, donc…

–Ah bon…

–Tu vas découvrir une nouvelle vie, ici tout est surprenant, c’est formidable, ça va beaucoup te plaire, les gens, tout, quoi… Tu verras. »

Ils étaient là, debout, l’un devant l’autre, les passagers avaient déjà tous quitté l’aéroport, il n’y avait plus qu’eux. Lorsqu’Alexis s’en rendit compte, il prit Clarisse tout à coup dans ses bras, à sa grande surprise, la serra fort contre lui, mettant fin à tout ce bavardage, et l’embrassa comme un amoureux. Sans aucune résistance, Clarisse répondit à son tour à son désir, mettant ses deux bras autour de son cou, surprise d’elle-même et de cet élan subit…

Se connaissant depuis longtemps, s’étant retrouvés par une correspondance depuis près d’un an, ils étaient étonnés de se revoir adultes, homme et femme de surcroît, séduits tous deux devant ce qu’ils étaient devenus, ils se regardaient, presque incrédules…

Alexis trouvait Clarisse tellement jolie ! Laquelle, en son for intérieur, sentait un trouble indéfini l’envahir devant l’homme viril, sûr de lui, bien bâti, séduisant qui était face à elle…

Dans sa chemise blanche, son pantalon kaki, le teint basané, sa coupe de cheveux ultra courte, et son œil noir, vif. Il la fascinait.

Alexis, de tempérament énergique, interrompit ce trouble en se dirigeant vers les bagages de Clarisse restés sur le tourniquet dans le hall d’arrivée afin de les récupérer.

« Bon, dis donc Clarisse, on va y aller. Tu dois être fatiguée. Après ces belles retrouvailles, on va filer dans un endroit tout aussi merveilleux pour continuer ton arrivée… ! Tu as beaucoup à découvrir… »

Clarisse rêvait complètement, c’était tellement parfait ! Elle suivit Alexis, lequel marchait d’un pas énergique, et ce faisant, le regardait en le détaillant.

Sa belle stature carrée, sportive, bien proportionnée, cachait de jolies jambes d’homme qu’il avait déjà adolescent. Des jambes musclées juste ce qu’il fallait pour lui plaire, à l’unisson du reste de son corps. Un genre de cheval de course à demi sauvage, nerveux. Alexis était bel homme. Il n’en tient pas compte, pensait-elle. Pourtant, adolescent déjà, il aimait plaire, accomplissant pour cela des exploits en tout genre. Elle pensa qu’avec l’âge il devait avoir beaucoup de succès.

Alexis se retourna, la voyant traîner le pas derrière lui.

« Allons ma douce ! Tu n’es plus perdue… Je suis là ! Viens près de moi, viens près de ton chevalier, viens que je t’emmène sur mon beau cheval blanc. »

C’est comme dans les grands romans d’aventures, il enleva sa belle et l’emmena vers une vie nouvelle, vivre leur fol amour.

« Tu dois être bien fatiguée. Je suis tellement heureux Clarisse, que je ne vois plus rien.

–Alexis, tu sais, j’ai comme l’impression qu’on ne s’est jamais quittés, que j’arrive te retrouver après un long, très long voyage. Tu es toujours un peu fou. Mais j’aime ça, je te regardais marcher, tout à l’heure, j’étais bien, je découvrais l’homme que tu es devenu.

–Ah. Et alors ? Tu en penses quoi ?

–Je ne sais si je dois te le dire.

–Dis toujours, on verra après. Je suis très curieux de savoir ce que pense ma douce…

–Bon ; tu y tiens ?

–Énormément.

–Alors je pensais que tu étais un bel animal sauvage… dans tout ton ensemble. Ça te va ?

–Eh bien, je suis comblé. C’est une belle expression je trouve, pour parler de l’aspect physique d’un homme. Tu me flattes beaucoup. »

Prenant Clarisse par les épaules, il l’embrassa tendrement, puis ils saisirent les valises sur le tourniquet et quittèrent l’aéroport prenant le chemin de l’hôtel, dans la 404 Peugeot break de couleur blanche d’Alexis, vers l’hôtel choisi par lui pour une surprise merveilleuse, continuant cette arrivée, non moins magique pour elle que pour lui…

Arrivée à l’hôtel, Clarisse découvrit peu à peu qu’elle se trouvait sous les tropiques.

En effet, Alexis avait choisi un des plus beaux endroits pour qui ne connaissait pas l’Afrique noire. Un bel ensemble de bâtisses blanches, s’élevait au milieu d’un parc arboré, parsemé de fleurs rouges et orangées, d’autres mauves ou jaunes, dont les parfums étaient tenaces et fades à la fois.

Palmiers, cactus, parasoliers, massifs élégants de becs-de-perroquet orangés et bleus s’élevant de leurs tiges vertes, roses de porcelaines, par endroits en bosquets, arbustes multicolores, de-ci de-là, ce n’était que couleurs chaudes qu’éclairaient des lampes fixées au sol, conférant une magie unique à cette atmosphère.

Sillonnée par de petites allées, traversant ces îlots de verdure boisés enveloppés dans une écharpe parfumée, que la moiteur chaude de la nuit diffusait lentement, à la manière d’un bâton d’encens.

Cet endroit, Clarisse le saisissait de son regard neuf ne laissant rien échapper, jusque dans les moindres détails. Ces odeurs, c’était merveilleux, tout simplement, même au travers de la fenêtre ouverte de la voiture la conduisant doucement au terme d’arrivée de son voyage vers son chevalier.

La voiture arriva devant le grand porche de l’hôtel face auquel se dressaient de chaque côté de celui-ci d’énormes palmiers décoratifs et devant lesquels deux gardiens en uniforme blanc étaient postés.

Nombre de porteurs, sortirent du grand hall éclairé de mille feux et s’avancèrent afin de prendre les bagages.

Clarisse était subjuguée.

Alexis était heureux de la voir émerveillée devant cette surprise si longtemps préméditée.

Les porteurs montèrent les bagages, suivis d’Alexis et Clarisse qui se croyait de plus en plus plongée dans un conte de fées.

Elle monta à pas feutrés l’escalier, sur des marches moquettées de rouge.

C’en était trop. Elle s’arrêta sur le palier, regarda Alexis dans les yeux, se jeta dans ses bras, qu’il referma sur elle. Les larmes aux yeux, Clarisse entoura son cou de ses deux bras et lui souffla à l’oreille :

« Alexis, merci, tu me combles, je suis si heureuse, tu ne peux savoir. Je ne pensais plus que ça pouvait arriver. Tu me combles de joie…

–Ma douce nous éprouvons la même chose. Mais attends, tu n’as pas encore tout vu. On va arriver à la chambre. »

Les porteurs, parvenant les premiers devant la porte aux moulures dorées, déposèrent dans la pièce les bagages. Clarisse entra la première dans la chambre et fut immédiatement séduite.

« Comme c’est beau ! s’écria-t-elle.

Alexis souriant, lui confia :

« Depuis ton arrivée, je ne peux expliquer ta joie, ton émerveillement, tes regards étonnés. Je me sens revivre.

–Mais alors, avant, tu ne vivais pas ? Tu ne faisais que respirer ?

–Oui si tu veux, d’ailleurs, tu l’as dit toi-même, j’ai un côté animal… ! »

Clarisse, sous le charme de la chambre, regardait tout, debout, tournant sur elle-même. Tout était une harmonie de couleur framboise, fraise, rose tendre, et mauve. Les petites lampes de chevet donnaient un charme délicieux à la pièce, qu’elles soulignaient voluptueusement. D’épais rideaux framboise masquaient les fenêtres, en harmonie avec le dessus-de-lit d’un rose plus soutenu.

De gros oreillers posés çà et là, de couleur mauve ornaient le fond de lit.

Le tapis, mauve foncé, complétait le charme de cet endroit, tout en harmonie et dont l’atmosphère emplissait Clarisse d’un bien-être infini, à la limite de l’extase…

Les murs de couleur lilas clair s’ornaient par endroits de tableaux représentant des nymphéas pastel, des femmes aux bains, des fleurs. Alexis alluma la radio près du lit, choisissant une musique douce en harmonie avec le moment.

Ayant fini son tour d’horizon, elle vit qu’Alexis assis dans un fauteuil l’observait, amusé. Elle émit un long soupir en le regardant…

« Je suis comme une princesse dans la chambre d’un château, souffla-t-elle d’une voix imperceptible… »

Allant s’asseoir sur le rebord du lit, quittant ses chaussures, elle se laissa choir sur le dessus-de-lit moelleux et ouatiné qui épousa aussitôt son corps alangui de fatigue. Il lui sembla alors se volatiliser, s’évaporer petit à petit au fil de la musique, en refermant ses paupières.

Alexis, s’étant dirigé dans la salle de bain, ressortit enveloppé d’une serviette éponge blanche autour de la taille et s’étonna de trouver sa douce amie lascivement abandonnée au sommeil, les cheveux blonds épars sur les coussins mauves du lit, sa robe fleurie en désordre, relevée, découvrant une jambe aux formes élégamment dessinées. Son décolleté en désordre et sa robe à bretelle descendue laissaient entrevoir la naissance de deux seins gonflés en forme de pomme prêts à être croqués…

Alexis, devant ce tableau, sentit l’envahir ce désir qu’adolescent il ressentait déjà pour elle. L’envie de la posséder tout entière, en lui faisant l’amour, là, maintenant, le saisissait, il ne pensait pas qu’ils auraient pu éprouver une telle attirance l’un pour l’autre aussi rapidement, comme un coup de foudre. Et pourtant…

Il s’approcha du lit, doucement, maîtrisant son désir masculin. Effleurant à demi, au-dessus de ce corps bien endormi, son visage serein duquel semblait s’exhalait un parfum printanier. Ayant peur de l’éveiller, appuyé sur ses avant-bras pour ne pas la toucher, il parcourait sa Belle endormie de ce souffle chaud qui l’envahissait, corps et âme… Frôlant sa poitrine à moitié dénudée de ses lèvres chaudes, une émanation sensuelle s’en exhala, lui caressant le visage et exacerbant son désir. Les formes arrondies de ses hanches laissaient entrevoir sous le tissu léger de sa robe, un petit ventre rond…

Alexis parcourait ce corps, qui le faisait rêver dans un silence contenu, maîtrisant tous ses sens, mais ne sachant plus jusqu’où il tiendrait. Pourrait-il contenir cet affolement soudain ?

Clarisse, à son grand soulagement, laissa échapper un long soupir, et il s’approcha de son visage, doucement, posa ses lèvres sur les siennes… ce qui l’éveilla complètement en un ravissement divin, sans surprise, comme attendu…

Nouant ses bras autour d’Alexis, le recouvrant de son corps à demi nu, elle s’abandonna tout entière, sous la pression d’Alexis en un baiser profond, interminable, cependant que robe, soutien-gorge, et le restant, glissaient entre les mains expertes et empressées d’Alexis, brûlé par l’attente du désir si longuement contenu. Se sentant nue soudain, sous ce corps, qu’enveloppait simplement une serviette éponge et qu’Alexis laissa promptement glisser, pour ne faire plus qu’un ou presque, en cette envie, Clarisse sentit un frisson la parcourir trahissant son propre désir qui la submergeait. Perdant tous ses moyens, elle se laissa glisser sans retenue vers ce corps encore inconnu il y a peu de temps à peine, s’y laissant noyer dans un plaisir extrême.

Clarisse et Alexis se découvraient, tous deux saisis par une extase de volupté dont ils n’auraient pu auparavant imaginer l’ampleur. Roulant l’un sur l’autre, comme les vagues venant se coucher sur le sable, jusqu’à ne plus savoir qui était qui.

Soudain Alexis, tel un cachalot faisant surface, laissa échapper du fond de ses entrailles un cri puissant, qui alla doucement se noyer vers des contrées infinies. Alors que Clarisse, en cet univers irréel, du plus profond de son être, laissait s’échapper d’étranges râles, semblant venus des abysses, par la voix de sirènes ou d’orques, affleurant à la surface des eaux.

Tous deux, enlacés, bouleversés d’émotions, respiraient en symbiose, oubliant le jour, la nuit, ne sachant plus où ils étaient. Et survolant cette éternité, ils s’endormirent toute notion du temps effacée.

L’aurore commençait à percer au travers des rideaux, éveillant Alexis. Clarisse dans un demi-sommeil finissant, s’éveilla lentement, sous les mains caressantes d’Alexis parcourant son corps chaud et nu, qu’il ponctuait de baisers par endroits, sur sa peau douce aux parfums des amours intenses de la nuit passée, et dont la fragrance tenace renouvelait les désirs d’Alexis.

« Encore… ! chuchota Clarisse, se lovant contre Alexis comme un lierre s’enroule à son arbre.

Encore, encore, répéta-t-elle.

–Oui encore, ma douce, on va s’aimer, j’ai encore envie de toi… Encore et encore. On a tout le jour pour en jouir. »

Ne sachant comment faire pour s’aimer plus, ils s’aimaient, comme deux êtres que la vie avait séparés de force depuis longtemps, se retrouvant et ayant du mal à réaliser qu’ils étaient entrés dans un conte de fées, s’épanouissant, revivant, au travers de l’amour, comme aux premiers jours de la vie. Ce faisant, ils retardèrent leur départ pour la brousse, demeurant dans leur écrin loin du monde, pour encore un jour, une nuit encore, prolonger l’émerveillement, sans fin…

Alexis jugea par ailleurs que Clarisse aurait bien le temps de découvrir la capitale par la suite.

Toutefois, ils partirent le lendemain matin pour la brousse, avec dans le cœur un souvenir intense de ces retrouvailles magiques, dans un endroit paradisiaque. Une vie nouvelle allait commencer…

Parlons un peu d’Alexis.

Alexis naquit lui aussi en France. Dans la saison d’un été finissant. Il vit le jour, si l’on peut dire, en pleine nuit, à minuit plus précisément, dans une grange désaffectée, en campagne et en pleine guerre. Ses parents fuyaient leur petite ville avec pour seule richesse une voiture à bras contenant tous leurs effets,alors que sa mère ressentait déjà les premières douleurs, ceci sous le bruit de sirènes, annonçant les avions à croix noire prêts à fondre sur la petite ville en escadrilles menaçantes.

S’arrêtant au plus vite, en campagne, ils trouvèrent une grange en plein champ où le père d’Alexis se transforma en accoucheur émérite, aidé en cela par Alexis lui-même qui semblait déjà très pressé de découvrir le monde…Si cela avait eu lieu le 25 décembre, il aurait pu y avoir des similitudes amusantes avec celle de l’enfant Jésus malgré l’absence de l’âne et du bœuf. Ainsi commencèrent les premières heures de vie de notre aventurier Alexis. Il était du reste le dixième d’une série de treize enfants, dont quatre décédèrent en bas âge. Les sœurs s’occupaient des plus petits, se relayant et secondant une mère toujours enceinte, comblant l’absence d’un père n’étant là le soir que pour faire régner l’ordre, à table, avec le ceinturon pour auxiliaire…

Issu d’une famille modeste, Alexis apprit très tôt à être débrouillard. Vif d’esprit, nerveux, intelligent et très indépendant, il aimait déjà n’avoir de comptes à rendre à personne sur sa petite vie d’enfant, puis d’adolescent. La liberté qu’il trouvait auprès des copains n’était pas pour lui déplaire et le soulageait un peu de cette ambiance familiale pesante. Par contre, il aurait aimé que sa mère soit plus proche de lui. Mais comment aurait-elle pu consacrer à chacun suffisamment de temps ?

À l’âge de neuf ans, il lui arrivait de partir à pied, longeant une voie ferrée, traversant la campagne proche pendant plus d’une heure afin d’aller ramasser des champignons, chez son oncle, sans que personne ne sache où il était, jusqu’à ce qu’il revienne avec son sac rempli.

La devise dans cette famille était « le travail avant tout ». De fait, tous étaient de grands bosseurs.

Alexis étudia jusqu’au certificat mais ne put continuer faute de moyens financiers… Il partit de l’école, alla en apprentissage chez un menuisier, qui lui offrait par ailleurs des cours par correspondance dans la spécialité bois. Il obtint son diplôme. De là, il put travailler dans une société, se faire de l’argent qu’il mit de côté. L’heure venue, il s’engagea dans l’armée, et fut muté près de chez lui alors qu’il rêvait déjà d’outre-mer. Sa déception fut si grande qu’il trouva le moyen de se faire réformer trois mois plus tard. Puis, quelque temps après, il décida de tout quitter. Déjà il voulait aller plus loin que les autres, découvrir d’autres pays, connaître autre chose. Apprendre, sortir de sa condition et de son grand village, dépasser ses propres limites.

Par la suite, il contacta un de ses amis ayant fait son apprentissage dans la même société jadis, puis ils partirent avec leur petite valise et l’argent mis de côté, formant lentement un pécule suffisant pour prendre la direction de l’Afrique noire. Après avoir fait du porte-à-porte, avec son diplôme sous le bras, il décrocha une place de chef de scierie dans une société de bois se trouvant sur la capitale où il séjournait avec son copain.

Évoluant rapidement au sein de cette société d’exploitation forestière, Alexis fut muté en brousse comme chef de groupe dans une usine comprenant cinq Européens et huit cents Africains !

À vingt-sept ans, Alexis avait grimpé les échelons à une vitesse grand V, dans un contexte qui lui allait comme un gant, dans un métier qu’il adorait et dans lequel il s’épanouissait pleinement… les grands espaces, la liberté, la brousse, l’ambiance entre blancs, tout cela était comme la réalisation de sa vie rêvée… Après une enfance assez dure, une vie familiale où chacun rentrait, sortait, travaillait sans trop se soucier des occupations des uns des autres, il vivait sa vie. Alexis était très indépendant, et dans le fond, les conditions d’existence de son enfance ne l’avaient pas trop affecté de ce point de vue. Sa vie en Afrique, par la suite lui donna beaucoup. Coudoyant de par ses occupations et fonctions des personnes haut placées, il évolua dans tous les domaines, grâce aux affaires, et se voyait souvent convié lors de réceptions ou cocktails donnés dans la capitale, lors de ses descentes au siège de la société, …ce qui plaisait beaucoup à Alexis, entre autres.

C’est l’Alexis que Clarisse redécouvrait à l’âge de vingt-huit ans, qu’ils avaient tous deux alors, après de longues années sans s’être vus. Il était devenu un homme et une personne singulière depuis qu’ils s’étaient perdus de vue à l’âge de quinze ans. Et cela arrivait, dans un autre monde, qui lui allait tellement mieux que la France ! À présent, Alexis pouvait prendre femme.

Il avait commencé d’accomplir tout ce qu’il avait programmé pour sa vie depuis son jeune âge. Tout, sauf de retrouver cette amie d’enfance, comme ça, un jour. C’était simplement fabuleux ! Alexis et Clarisse : deux tempéraments forts, n’ayant rien à s’envier l’un l’autre quant à leurs parcours respectifs qui les avaient conduits l’un vers l’autre par les lois d’un faux hasard…

Deux héros de roman d’aventure. Le leur allait pouvoir commencer.

Voici donc comment se présente notre héros à la veille de prendre « LE CHEMIN D’YPOSéLA »

Chapitre II

La vie d’Alexis – Clarisse − En brousse

Cela faisait plusieurs mois que Clarisse et Alexis vivaient leur grand amour. Leur union se déroulait harmonieusement sur le campement européen. Le site sur lequel se trouvaient plusieurs blancs, s’appelait une unité, mais on parlait aussi de campement, de site, particulièrement s’il était en brousse.

Clarisse avait découvert ces maisons qui étaient des cases de bois et qu’elle trouvait mieux que les maisons de France. La leur était blanche avec des volets verts, de plain-pied, terrasse tout autour garnie de lianes aux fleurs odorantes aux couleurs jaune mauve en clochettes énormes.

Le tour de la case était entouré d’hibiscus rouge orangé. Elle se fit à l’habitude d’appeler sa maison : la case. Trouvant que cela faisait très roman tropical ! Du reste, il lui semblait vraiment vivre dans un film… Sa case était très jolie, avec un boy qui l’aidait dans les travaux ménagers.

C’était comme dans un rêve. Elle surnomma leur case Yakassèmè, nom d’un petit village.

Aménageant l’intérieur selon ses goûts, le menuisier de l’usine lui faisait tous les meubles désirés.

C’était fabuleux. La vie s’écoulait, toute neuve, à ses yeux tout neufs. Avec un Alexis, tout neuf lui aussi. Il la séduisait tellement…

Une fois par semaine, régulièrement, un ravitaillement de vivres avait lieu pour tous les agents.

Un chauffeur de l’exploitation, tous les jeudis, avec un camion se rendait à la capitale déposer dans une grande surface les glacières des Européens accompagnées de leurs commandes effectuées sur des carnets individuels. Le chauffeur avait pour mission également de surveiller la mise en glacière des aliments accompagnés d’épicerie et autres, placés dans de grands cartons.

Puis il passait au siège de la société récupérer courriers, journaux, matériels, et les consignes de la direction pour Alexis en particulier, lequel établissait des comptes-rendus sur la marche de l’exploitation chaque semaine.

Les liaisons vocales ne se faisant qu’avec une radio, la communication s’épanouissait souvent en de grandes fantaisies inaudibles, voire par onomatopées, ou tout simplement restant muette. Le camion était encore le plus sûr moyen de communiquer. Dirigeant et grands patrons se trouvaient à la grande ville. Lorsque le camion tenait les délais sans avoir essuyé d’avaries de toutes sortes, c’était la fête au village des blancs. Le camion bonheur, le camion plaisir était là avec sa cargaison : pièces détachées pour l’usine et autre, ravitaillement, etc.

Malgré certaines contrariétés ou imprévus, il amenait avec ses courriers parfois l’excitation, et la joie était toujours au rendez-vous. En saison des pluies, les liaisons devenaient très délicates, avec des retards de cinq heures, voire une nuit, sachant qu’il fallait cinq heures de piste pour se rendre à la capitale…Des avaries de toutes sortes survenaient. Arbres en travers de la piste, ponts écroulés, grumiers couchés avec leur chargement sur la piste. Il en était ainsi. Et puis, il n’y avait pas d’autres moyens de transport. Alors Clarisse apprenait à composer avec ces nouvelles habitudes de vie peu communes. Elle découvrait. On lui avait dit un jour ; quand tu as vécu en brousse, tu peux aller vivre partout.

Ces blancs de la brousse, pour certains, n’allaient à la capitale que pour y prendre l’avion vers la France après des séjours de vingt mois et plus, pour de longues vacances après leur période de travail. Mais ils disaient être contents de revenir en brousse, après avoir quitté ce pays de fous, là-bas…, disaient-ils.

Du reste il en était à peu près de même pour tous les broussards vivant si près de la nature une vraie vie, sans PV ni feux rouges et autres conneries du même acabit, disaient-ils. Certains campements de blancs étaient parfois disséminés à plusieurs centaines de kilomètres les uns des autres.

Certains exploitaient le bois et d’autres le latex servant à faire le caoutchouc. Une forêt belle, sauvage, qu’entrecoupaient des pistes de latérites rouges, amenant à ces villages de blancs semés ici et là, ressemblant à des points lumineux, des clairières perdues dans cette immensité verte s’étalant sur des millions d’hectares.

Par endroits étaient enracinés de petits villages africains qui, à la nuit tombée, trouaient l’obscurité de cette étendue infinie à l’aide de lampes à pétrole qui évoquaient des vers luisants, craintifs, et scintillants en cette majestueuse et angoissante nuit tropicale.

Les distances, malgré les pistes, les grumiers chargés de leur précieuse marchandise, la poussière, les dangers que cela représentait, de jour comme de nuit, n’effrayaient personne dès qu’il s’agissait d’aller d’un site à un autre faire la fête. Les relations étaient de fait assez suivies entre broussards. Les anniversaires, Pâques et Noël, entre autres, étaient prétextes à sortir, communiquer, se rassembler de façon simple et chaleureuse, et constituaient de vrais moments de bonheur.

C’était alors pour les hommes des parties de chasse à la pintade bleue, errant sur les pistes mouillées à la saison des pluies, ou encore, en saison sèche, la construction de cabanes à proximité de points d’eau, afin de voir des phacochères, des biches, et d’autres animaux encore venir s’abreuver.

Les hommes adoraient cela et retrouvaient leur âme d’enfant, entre garçons. Sinon il y avait les rituels jeux de cartes, les jeux de boules après la sieste, et la bonne chère…

Parfois, lorsque les hommes revenaient, ayant vu des éléphants, on ne parlait plus que de ça ! Cependant, les femmes papotaient au campement, se racontant les nouvelles de leurs sites respectifs, les anecdotes de leurs boys, les recettes de cuisine, la mode, la couture, les enfants, car il y en avait… peu il est vrai. Les grands étaient en Europe, seuls les petits résidaient encore là, suivant leur scolarité par correspondance. Puis, évidemment, les petites aventures des uns des autres, évoquées à mots couverts par des sous-entendus et des regards complices. Au contraire, les hommes s’employaient à décrire toute cette bagatelle avec des mots grossiers afin de provoquer et de perturber la bienséance de la gent féminine, une fois les enfants couchés, naturellement. Les femmes, quant à elle, préparaient des plats de leur spécialité en attendant ces messieurs à leur retour de brousse, afin de faire découvrir des choses nouvelles à tous et sortant si possible du quotidien. Des recettes succulentes voyaient ainsi le jour, lors de ces week-ends à l’occasion de repas pris sous une énorme paillote placée au centre des cases. Ces moments de plaisir rare prenaient un caractère des plus festifs du fait de l’éloignement de tout et de tous. Perdus en pleine brousse, ces blancs ne descendaient que très rarement à la capitale. L’avion n’existant pas, les seuls moyens de déplacement à leur disposition étaient les voitures, ou un petit train antique parcourant de manière fantaisiste cette grande étendue verdoyante en tombant régulièrement en panne. Il avançait selon ses humeurs, ses toquades, et des inattendus pour le moins extravagants, sur un parcours des plus incertains, soumis à toutes sortes d’aléas…

Le soir, le repas se terminait souvent par des danses, des blagues et des histoires de fesses, évidemment. Tout le monde passait un bon moment, chantait, riait. Souvent les chaises servaient de petits trains en fin de soirées. Ce genre de fête en Afrique s’appelait undégagement. Certains buvaient un peu plus qu’à l’ordinaire, et il en résultait une atmosphère parfois assez chaude mais restant tout de même dans les normes de l’acceptable.

Clarisse et Alexis, quant à eux, descendaient une fois par mois pour rendre compte des activités dont Alexis était responsable. Ils rendaient visite au siège, prenant ainsi contact avec le directeur général, un ancien de l’Indochine, commandant dans les paras à l’époque. Main de fer, dans un gant de velours, il appréciait Alexis qui était autodidacte mais qui réussissait à mener de main de maître son site en brousse. Il aimait aussi beaucoup Clarisse qui l’étonnait toujours. Elle le surprenait par sa façon d’être, de concevoir les choses et de s’exprimer et la richesse de sa fantaisie habituelle, toujours inattendue. Sa femme et lui avaient dans les cinquante ans. Bon ripailleur dans les moments privilégiés, lorsqu’il montait en brousse avec sa femme pour se défaire du stress de la ville et de son importante charge de travail. Ses agents sur les sites, disait-il, étaient différents de ceux de la capitale. Les forestiers avaient la réputation d’être les cow-boys de l’Afrique. Aussi, aucun Africain ne se hasardait à traîner trop près de la case d’un forestier, ni à lui chaparder quoi que ce soit. Souvent craints, il n’était parfois pas évident de vivre avec eux.

Alexis, parmi ses fonctions, s’occupait aussi des chantiers forestiers du site. Connaissant toutes les essences, il partait souvent en mission lors des débardages et des abattages, faire le tri des grumes à exporter. Il adorait se retrouver sur un chantier, au milieu de ces énormes machines, maîtrisant ces monstrueuses masses de bois tombées au sol, ainsi que l’atmosphère se dégageant des chantiers forestiers.

Les agents de la capitale entretenaient de bonnes relations avec ceux de brousse. Les descentes en ville étaient toujours très agréables : sorties, dîners, avec les uns, les autres, lesquels montaient parfois en brousse se dépayser. Clarisse aimait beaucoup ces moments, les magasins, les dîners, la découverte de la ville grouillante, les marchés colorés, en un mot : l’atmosphère coloniale, un monde si différent de la France…Elle estimait avoir une vie formidable. Autant à la capitale qu’en brousse, une sorte de liberté se dégageait de tous ces endroits aux couleurs si bruyantes. Les habitants se montraient chaleureux et souriants. Vraiment, Clarisse était aux anges. Alexis quant à lui était ravi de lui faire découvrir ce nouveau monde, qui en effet lui semblait une autre planète.

Des cases étaient réservées afin de recevoir les gens de passage, les amis, tout était organisé.

Celles-ci étant identiques à celles des agents. Autant fleuries et aussi jolies. Toutes les cases étaient bien espacées les unes des autres, séparées d’arbustes à grosses clochettes jaunes parfumées. Une végétation à la démesure de ces arbres vertigineux cerclait le campement des blancs, qu’entourait une nature d’une folle exubérance d’où s’élevaient nuit et jour des bruits insolites, extravagants en lesquels l’imaginaire trouvait une source d’inspiration inépuisable. Dans son écrin de verdure, le campement respirait avec calme, volupté…Interpellé cependant à la nuit tombée, par quelques échos de tam-tam, venant de villages lointains, allant peu à peu se mourir vers des brumes humides, recouvrant la forêt tropicale. Dans cet endroit, idyllique, était un rite encore plus divin que pratiquaient presque tous les blancs, un rituel universel dans ce pays : la célèbre sieste crapuleuse d’Afrique, où l’on repose le corps. Repos nécessaire car « les années comptent double » dans ce pays, disait-on. Ce moment était incontournable. À deux, ou seul, on « pose » le corps. Soit sur un matelas, soir sur le corps de l’autre…

C’est ce que découvrit Clarisse, avec grand bonheur dans ce havre de calme. Par contre, les cases recouvertes de tôles ondulées étaient le terrain de jeux non seulement de la pluie venant y glisser lors de grosses averses assourdissantes, mais surtout, en toute saison, celui de blancs… Clarisse l’apprit à ses dépens lorsqu’un jour, un énorme bruit la fit sursauter ainsi qu’Alexis. Cela venait des tôles au moment inopportun de la sieste crapuleuse… En effet, à l’heure de la reprise du travail, les agents s’amusaient à jeter chacun une grosse pierre sur leur toit afin de les charrier.

C’était devenu un rituel dicté soit par la taquinerie, soit pour rappeler que c’était l’heure. La répétition de ces intrusions dans sa vie privée mettait Alexis en rage, et il le faisait savoir haut et fort !

Pendant ce temps, là-bas, en France, les parents de Clarisse s’impatientaient de voir arriver le mariage qui conclurait de manière positive cette relation entre Alexis et leur fille en âge de se marier. Elle, ne s’en souciait guère. Pour Clarisse, le bonheur échappait au temps, quoi qu’il arrive. Entre Alexis et Clarisse, c’était toujours la même passion, qui émerveillait les blancs vivant sur le site.Mais, les amis et les agents du campement en parlaient eux aussi et la question revenait : à quand le mariage ? Scandaient-ils ensemble, inlassablement, impatients d’assister à ce grand événement broussard. À la capitale, c’était le même leitmotiv y compris de la part du directeur qui aimait beaucoup Clarisse. « Quand vous marierez-vous à cette charmante enfant ? » demandait-il à Alexis en souriant… Mais tout comme Clarisse, il vivait son bonheur sans penser au lendemain. Le mariage était cependant à l’ordre du jour. Au campement, à la capitale ou à la mission des pères et des sœurs, résonnait le même son de cloche. Le père blanc, du village à cinquante kilomètres de là, ne comprenait pas cette liaison durant quatre mois, après tant de correspondance… sans finalité? Lui aussi prenant souvent part aux dégagements organisés sur le site, mais parfois aussi à la mission des six sœurs parmi lesquelles une doctoresse. Chacun avait son ensemble de logements et le dispensaire représentait une sécurité pour les blancs du coin, à certains moments. La mission faisait partie des relations du site. Parfois, tous venaient passer un week-end au campement. Alexis aidait souvent le père pour ses constructions de maison avec du bois débité de la scierie, cela faisant partie des bonnes œuvres de la société. Le père Paul étant un père bâtisseur, comme beaucoup en brousse. Il était un de ces hommes de mérites et de terrain, toujours sur le pied de guerre, et la foi et l’amour comme étendard au bout du bambou, qu’il portait au vent par tous les temps. Le père Paul, passant parfois au campement,éclairait les uns et les autres et les ramenait vers une morale dont ilsavaient perdu le sens. Il agissait parfois comme le père de chacun quand le besoin s’en faisait ressentir.

Puis un jour, un beau jour, Alexis fixa le mois de cet événement extraordinaire, tant attendu de tous…

Il en parla à Clarisse qui fut ravie, pressée tout à coup d’avoir la bague au doigt et qu’on l’appelle madame. Envie d’aller à la capitale chercher sa robe de mariée et d’avoir un bébé un jour.

Après consultation à la mission des sœurs, du père, Alexis annonça la grande nouvelle par radio au siège de la capitale et à tous les broussards du coin, et elle fut accueillie par une ovation générale.

Cette décision s’accompagna de grands projets, tout au long des semaines suivantes. En bas, au siège de la société, la femme du directeur proposa de tout prendre en main avec un plaisir certain, comme elle l’aurait fait pour ses propres enfants.

La cérémonie se déroulerait en brousse dans une toute petite église de terre. « Nous allons arranger tout cela, mettre tout au point » disait le père enfin satisfait de l’initiative d’Alexis. Les sœurs partageaient ce sentiment avec le père. Tout était arrangé : musique, fleurs, hôtel, cérémonial des alliances dans des calebasses où seraient déposés les deux anneaux, et petits fauteuils typiques d’artisan du village, sur lesquels seraient assis les deux mariés, le tout fleuri de guirlandes, à l’intérieur comme à l’extérieur ; guirlandes d’hibiscus rouges, de clochettes jaunes, et lianes aux corolles de fleur lilas mauve. Les sœurs auraient la charge de tout cela, les habitants du minuscule village où se déroulerait la cérémonie feraient des guirlandes disposées en arche, sous lesquelles les époux ainsi que les invités passeraient, se rendant dans la minuscule église de terre rouge.

Alexis proposa de faire l’autel d’une énorme bille de bois coupée en deux, la laissant brute dans son écorce dans le sens de la longueur, mais aux dimensions voulues.

Voyant cette organisation chaleureuse se mettre en route, Clarisse et Alexis, touchés, sentaient une grande émotion les envahir. Après le mariage à l’église, la suite se tiendrait au campement des blancs. La grande paillote ferait office de salle à manger commune et serait décorée elle aussi de fleurs, et certains aménagements seraient améliorés pour cette occasion rarissime en brousse. Là se tiendraient les cocktails, les repas, on y installerait la piste de danse et d’autres choses encore.

Les cases de passage seraient revisitées afin d’y accueillir certains invités venant de la capitale, et d’autres de brousse. Le mariage durerait trois jours… !

Alexis se mit en rapport, avec la femme du directeur. Elle organiserait les menus, apporterait la vaisselle, les fleurs, s’occuperait du déroulement de la réception ; étant dans la capitale, il lui était plus facile de rassembler le nécessaire. De plus, ayant leurs grands enfants en France, non mariés, ils se faisaient un plaisir de participer au mariage de Clarisse et d’Alexis, qu’ils comparaient un peu aux leurs en raison de leur proximité d’âge. Clarisse dans tout ce brouhaha de préparations ne touchait plus terre.

Survolant tout cela avec des ailes de libellule. Puis un jour, redescendant de son nuage, elle dit à Alexis :

« Mais ma robe ? C’est important, ajouta-t-elle. Il me faut une robe ! »

Alexis répondit par la plaisanterie :

« Ce n’est pas un problème, avec ton joli petit corps, dans un pays chaud, où tout le monde est presque nu ? Je mettrai des noix de coco sur tes petits seins, une feuille de bananier coupée en deux, attachée par une liane autour de la taille, et tu seras une mariée de brousse ravissante avec tes longs cheveux blonds…

–Ah, ah ! Très amusant ! Et toi alors, tu mettrais quoi si on va au bout de ce fantasme ? Un cache-sexe en fourrure de panthère, et la peau enduite de graisse de python en guise de parfum ?

–Ah tiens, c’est une bonne idée, ça… ! Quel beau costume viril ! Tu imagines un peu, ma douce, notre arrivée vêtus ainsi, sortant de notre case…

–Oui je vois ça, mais plutôt pour un carnaval. Il me faut surtout une robe. Le mariage n’est pas un carnaval. C’est encore une cérémonie sérieuse, que je sache, non ? Il me faut une robe jaune… »

Alexis trouvait tout cela amusant.

« Une robe jaune, ma douce ? Mais pourquoi ? Une blanche, ce n’est pas bien ?

–Pourquoi blanche, on est déjà unis, non ? Je voyais du jaune. C’est rayonnant !

–Ça me surprend, ce jaune, tu vois…

–Ah ? Et toi alors, que mettras-tu ? Une fleur d’hibiscus, collée devant, une autre derrière ?

–Non ce serait trop petit. Disons, des feuilles de parasolier !

–Oui, il faut cacher les bijoux de monsieur n’est-ce pas ?

–Bon, mettons entre parenthèses ces gentils délires : je propose d’aller à la capitale un de ces jours afin d’organiser nos choix. »

Clarisse voyait déjà sa robe jaune en dentelles, et pour Alexis, un costume de type marine.

Finalement, Clarisse porta son choix sur une petite robe courte, blanche, toute de satin, dont le haut venait au ras-du-cou. Une robe sans manches, marquée d’argent sous la poitrine et finissant en bas par une forme un peu évasée au niveau des genoux. Cela plaisait beaucoup à Alexis. Ainsi que les petits talons blancs choisis pour aller avec. Alexis avait porté son choix sur le costume bleu marine.