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Depuis cinq ans, une fois par semaine, Delphine et Régis conversent à bâtons rompus dans l’une des pires prisons françaises. Il y est incarcéré ; elle y est bénévole. À rebours d’une génération 2.0, en présentiel comme en épistolaire, tous deux s’en donnent à cœur joie en partageant leurs passions multiples. Puis leur passion tout court, l’un pour l’autre. Passion d’un autre siècle, née, grandie, épanouie au fil de leurs rencontres, de leurs lettres et de leurs vers. Dans un face-à-face hebdomadaire qui bruisse de mille intérêts, ils en oublient où ils sont, ils en oublient les barreaux, leur monde de fous, pour s’enivrer de ce qu’il y a de plus fort et de plus beau : l’Amour !
À PROPOS DES AUTEURS
Delphine D., enseignante et visiteuse de prison, trouve une profonde inspiration dans la spiritualité du Christ et le silence apaisant des monastères et des montagnes, ponctué parfois par les mélodies de Chopin. Sa plume explore le mystique, l’art sacré et l’époque du dix-neuvième siècle.
Régis B., ancien technicien, nourrit une passion pour le sport, la littérature, l’architecture, la musique et l’histoire, notamment celle de Napoléon. Amateur de bons mots, il se découvre également un intérêt pour l’écriture et le dessin, tout en continuant à explorer les richesses du dix-neuvième siècle.
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Delphine D. & Régis B.
Un amour de Fresnes
Recueil
© Lys Bleu Éditions – Delphine D. & Régis B.
ISBN : 979-10-422-3254-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À la femme qui jour après jour
me fait croire en l’Amour
À l’homme de mes Rêves
Que mon Cœur tout entier vénère
À la Femme
qui a su rallumer la Flamme
qui brûle aujourd’hui dans mon Cœur
pour mon plus Grand Bonheur
À l’Homme que j’admire
et qui, en ces jours de nuit,
de mille feux m’éblouit
« L’amour est-il mort ? » questionne la philosophe Adèle Van Reeth, dans la dernière1 des quatre émissions d’une série des Chemins de la philosophie intitulée « Les amours finissent mal en général ».
« Je me demande, répond son invitée, la philosophe Eliette Abecassis, si cet amour-là, nous ne serions pas en train de le contempler avec nostalgie parce qu’on sait qu’on a perdu ce sentiment dans nos sociétés hyper matérialistes : l’amour est entré dans le marché, dans notre ère hyper capitaliste, nous sommes en train de vendre et d’acheter des sentiments à travers les applis, les rencontres virtuelles. Peut-être que nous sommes en train de virtualiser nos sentiments et perdre complètement le sentiment amoureux. On le voit dans La La Land, dans cette dialectique entre l’amour et la carrière, c’est-à-dire entre l’amour et l’argent, l’amour n’est plus au-dessus de tout…
(…) Aujourd’hui, nous n’avons plus de contraintes sociales à l’amour. Il n’y a plus d’obstacles… On peut divorcer… Aujourd’hui, il n’y a plus d’obstacles à l’amour, si ce n’est soi-même, notre individualisme.
(…) Aujourd’hui, on est sorti de l’image du prince charmant. On n’a plus besoin de lui pour s’accomplir : la rencontre amoureuse est-elle encore possible aujourd’hui ?
(…) À force de penser à sa carrière et d’individualisme…
Je pense qu’on a besoin de se réenchanter notre schéma amoureux… Il faut arriver à retrouver la force du sentiment : on ne peut s’accomplir qu’à travers la rencontre avec l’autre – la plus belle chose de la vie. »
Le recueil qui suit, écrit de part et d’autre des barreaux d’une prison, sous des obstacles et des contraintes multiples, en est une réponse : oui, le grand amour existe encore ! Même au cœur d’une souricière, cet « enfant de Bohème »2 méconnaît les frontières…
– Après la tempête, c’est la folie de vivre qui rejaillira,
après on voudra manger le Soleil et les Étoiles.
Patrick Autréaux, Dans la vallée des larmes
– Si tu n’espères pas, tu ne rencontreras jamais l’inespéré.
Héraclite
– Il faut vivre,
il faut aimer,
il faut croire que nous ne vivons pas seulement l’instant présent
sur ce lambeau de terre,
mais que nous avons vécu,
et que nous vivrons éternellement ce qui existe.
Léon Tolstoï, Guerre et Paix
Deux Étoiles contraires3
Pour une histoire et des vers on ne peut plus réels
Delphine – Enseignante, catholique, mariée, mère de famille
et visiteuse de prison
Régis – « Sans le bac, comme Malraux ! » mais féru
de musiques, de chansons,
veuf, père et détenu à Fresnes
Tous deux se rencontrent
dans un lieu qui n’a rien de princier
dans un centre pénitentiaire
– « le pire de France ! » –
Ils s’écrivent
Se chantent
et s’enchantent
Parfois
entre deux lignes
se glissent
des vers et des rimes
dans leurs épîtres
quelques poèmes
jusqu’à tisser
une alliance poétique
spirituelle
et
en Dieu
s’Aiment.
Dessin au stylo Bic d’une partie des 9 m2 de cellule, de la table d’écriture
Mois en – bre
La chandelle de ma vie se consume
Aujourd’hui plus qu’hier dans la brume
J’attends serein le souffle divin
Qui mettra sur ma vie le mot fin…
Feuilles d’or
de votre donjon de Fresnes
au pied duquel
vos dernières lignes, mélancoliques
je découvris, avec tristesse.
*
La Fée et les automates défaits
La nuit froide sévit encore
Quand la fée s’avance dehors
Elle marche d’un pas élancé
Vers l’îlot des bras cassés
Un jour, ils ont déraillé
Alors on les a stockés
Par paquets de deux ou trois
Au fond d’un couloir étroit
Quelques-uns sont en transit
Beaucoup attendent le verdict
Tous sont dans une mauvaise passe
Certains même bons pour la casse
Elle entre enfin dans l’arène
Mais reste cependant sereine
Elle n’a pourtant jamais peur
La jolie fée au grand cœur
La fée noircit des tickets
Pour ceux qu’elle va réparer
Elle choisit les abîmés
Dont le cœur s’est arrêté
Celui-ci pour le grippé
Qui se languit au premier
Celui-là pour le rouillé
Coincé au rez-de-chaussée
Au fond de la grande allée
Se trouve le royaume des clés
La lumière est allumée
Elle va enfin opérer
Clic, elle remonte le ressort
À lui qui a tous les torts
Les grands yeux éteints s’éclairent
D’une éblouissante lumière
L’automate bien rassasié
Le mécanisme sanctifié
La jolie fée lui sourit
Il répond un grand merci
Après coup la main se tend
Déjà le tour du suivant
Elle lui dit À très bientôt
Il repart sur ces bons mots
La journée tant rêvée file
Les vieux automates défilent
Elle accomplit des miracles
La jolie fée des oracles
La petite lumière s’éteint
Il faut attraper le train
À bientôt c’est promis
C’est beau de redonner vie
Elle rejoint les pieux robots
Qui ne souffrent d’aucun bobo
Elle sait qu’ils étaient comme eux
Ces automates défectueux
*
Plus aucun tourment ne me ronge,
Depuis que je voue ma vie à la discipline des songes.
*
Pli
Aux confins d’une forêt canadienne
Un vieux bûcheron à la peine
N’en finit pas de scier le peuplier
Qui deviendra pâte à papier
Future maman des enveloppes commandées
Désolé pour le pli supplémentaire
Guère présent d’ordinaire
Et pour ces rimes à deux sous
Vraiment en dessous de tout
Non, vraiment, ne soyez pas désolé
Vous savez combien j’aime le blanc papier
La rougeur du timbre et l’encre bleutée
Promesse de mille félicités
Qu’importe ce pli supplémentaire
Qui n’est point pour me déplaire
Déplié entre mer et terre
Votre lettre goûte un vrai bol d’air.
*
Les Sentinelles déchues
(En ce jour anniversaire du débarquement en Normandie, je me suis inspirée d’une photo de bunkers gisant sur une plage pour coucher ces quelques lignes à l’inspire)
C’était de fiers gardiens de béton et d’acier
Qui veillaient sur la mer et son immensité
Bien camouflés au bord des falaises
Pour les détruire, il fallait être balèze
Durant des années bien haut ils ont trôné
De leurs meurtrières rien ne leur échappait
Puis un matin l’orage s’est abattu
En guise de pluie il tombait des obus
Pourtant sous cette grêle ils n’ont pas tremblé
Pas comme ces teutons qui ont capitulé
Après ce désastre ils connurent la paix
Sous de hautes herbes ils furent oubliés
Cependant ils leur restaient un ennemi
Qui agissait bassement en catimini
Cette mer que jadis ils défendaient
Ses vagues séditieuses lentement les rongeaient
Tant et si bien que ce travail d’érosion
Fit basculer les géants dans les tréfonds
Aujourd’hui l’océan farouchement
Poursuit sa lente besogne de forban
En engloutissant dans son sanctuaire
Des ruines qui ne seront pas millénaires.
*
Nautilus
« Le Nautilus mon fier bateau,
disait le capitaine Némo
(Si un jour tu reprends la mer)
Ce s’ra le temps d’un éclair »4
Ne craignant plus le Maelström
Bien que je ne sois qu’un homme
Du saint Graal ou de l’Atlantide :
En quête de ma Terre Promise
*
Trajet
Demain, après le déjeuner, je partirai
Pour vous retrouver, mes copies je laisserai
Par le métro, le RER, je m’en irai
Puis, à pied, jusqu’à la prison je poursuivrai
« Je ne puis demeurer loin de (vous) plus longtemps »5.
*
Poème pour un ange
Elle s’appelait Laura, n’avait pas sept ans, ma petite fille chérie.
Elle aimait ses poupées, ses décalcomanies, et l’école aussi.
La veille, au défilé de la Saint-Nicolas, avec sa sœur elle riait aux éclats,
En attrapant au vol les chocolats, toute fière d’en chiper plus que Sarah.
Pour finir en beauté, nous étions allés au restaurant en soirée
- La toute première fois qu’on se le permettait en six années.