Un diplomate luxembourgeois hors pair - Paul Schmit - E-Book

Un diplomate luxembourgeois hors pair E-Book

Paul Schmit

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Beschreibung

Hugues Le Gallais est un des grands absents de l’histoire récente du Luxembourg. Né dans la bourgeoisie luxembourgeoise, Hugues Le Gallais a entamé sa carrière en tant que représentant de l’Arbed à l’étranger, avant d’entrer dans la diplomatie. De 1940 à 1958, il a représenté les intérêts du Luxembourg à Washington, un poste clé pour la diplomatie luxembourgeoise, surtout pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce fut lui qui oeuvra avec succès pour faire venir la Grande-Duchesse Charlotte et ses ministres en Amérique. Sa mission sur place pourrait se résumer à la devise « put Luxembourg back on the map ». Avec verve et habileté, Hugues Le Gallais a plaidé la cause du Grand-Duché, occupé pendant plus de quatre ans par l’envahisseur allemand. Se basant sur des sources en grande partie non encore publiées, Paul Schmit retrace dans cette biographie détaillée la vie de ce personnage haut en couleurs.

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PREFACE

La vie et l’œuvre d’Hugues Le Gallais me sont devenues de plus en plus familières depuis une vingtaine d’années. Avec des hauts et des bas, des recherches plus ou moins intenses en fonction de mes disponibilités et de mes loisirs, j’en ai toujours appris davantage sur un personnage aux multiples facettes dont j’ai croisé la trajectoire plusieurs fois avec quelques décennies d’intervalle. Fin 2001, j’ai été nommé secrétaire d’ambassade du Grand-Duché de Luxembourg aux Etats-Unis et suis tombé sur plusieurs traces laissées par le premier chef de poste résident à Washington. Le Gallais avait habité et travaillé durant près de 18 années au 2200 Massachusetts Avenue, dans ce qui est toujours, aujourd’hui, l’ambassade luxembourgeoise. La plus grande partie de la documentation sur l’ambassadeur Hugues Le Gallais, surtout sa correspondance avec les acteurs politiques luxembourgeois, se trouve depuis l’été 2002 aux Archives nationales de Luxembourg après avoir été inventoriée juste après mon arrivée à l’ambassade en tant que jeune diplomate. Cet échange de lettres avec des personnalités très diverses porte aussi bien sur des aspects quotidiens de la vie des exilés luxembourgeois durant la Seconde Guerre mondiale que sur des questions d’ordre politique ou économique.

Retrouver ces documents aux Archives nationales à Luxembourg a été d’un grand secours, tout comme l’éclairage additionnel apporté à la fin de mes recherches par quelques lettres très personnelles écrites à la main par Le Gallais à la Grande-Duchesse et qui ont été mises à ma disposition par les Archives de la Maison grand-ducale. Ceci m’a permis de découvrir une autre facette du diplomate Le Gallais, qui était par ailleurs chambellan de la souveraine. Pendant les années de l’exil, il devait œuvrer inlassablement et trouver sa voie entre le chef d’Etat et les deux principaux membres du gouvernement, le ministre d’Etat Pierre Dupong et le ministre des Affaires étrangères Joseph Bech, peu importe que ceux-ci se trouvent aux Etats-Unis, au Canada ou au Royaume-Uni.

De nombreuses rencontres aux Etats-Unis, mais aussi au Luxembourg, en Allemagne, en France et en Italie m’ont permis de me faire une image plus complète encore d’un diplomate hors pair, parfois critiqué voire raillé, ayant mené une vie très différente de celle des diplomates actuels. Des membres de sa famille, des amis et des contemporains ayant connu Le Gallais sont désormais de plus en plus rares à pouvoir témoigner. Plusieurs rencontres avec le fils et le petit-fils de l’ambassadeur à Venise en 2018 m’ont donné beaucoup de réponses à mes nombreuses questions et m’ont permis de voir les albums photo, que ce soit de l’étape japonaise ou américaine de la carrière d’Hugues Le Gallais. D’autres membres de la famille ont contribué à étoffer voire corroborer certains aspects de la vie bien remplie de Le Gallais et de son entourage. Une autre source inestimable est constituée par le « scrap book » que la secrétaire de Le Gallais, Eleanor Maloney, avait élaboré tout au long des 18 années de sa présence à Washington. Elle y a rassemblé des extraits d’articles de presse sur l’ambassade du Luxembourg et y a ajouté des photos et autres documents, comme des plans de table ou des menus de grands dîners washingtoniens. Une partie de la correspondance de l’ambassadeur Le Gallais avec Madame Maloney me fut remise en 2004 par la fille de cette dernière.

Une contribution essentielle pour essayer de comprendre l’action de Le Gallais durant la Seconde Guerre mondiale est constituée par les livres et publications de nombreux auteurs, parmi lesquels je souhaite relever ceux de l’ancien ambassadeur du Luxembourg aux Etats-Unis, Georges Heisbourg, sur le gouvernement en exil. Aux Archives nationales, j’ai pu visionner la documentation laissée suite à ses recherches détaillées dans les années 1980. Difficile, sans aucun doute, pour le successeur au poste d’ambassadeur de Le Gallais d’en dresser un portrait objectif et juste. Je me suis inspiré de plusieurs études et publications sur cette période difficile pour tous, aussi des plus critiques et des plus récentes. Des recherches au National Archives at College Park ont judicieusement complété ces sources.

Je ne veux ni prendre parti ni mettre en cause et encore moins juger, mais tout simplement essayer de mieux cerner et relater le personnage. Pour l’essentiel, je me rallie au thème d’une exposition au Musée de la Ville de Luxembourg en 2002 : « Et war alles net esou einfach » (Tout n’était pas si simple que ça). Cette formule s’applique aussi à un diplomate comme Le Gallais, par définition loin du feu de l’action militaire ou de la résistance active dans son pays natal. Ou encore pour affirmer avec l’écrivain et journaliste Alfred Fabre-Luce : « Il est toujours difficile à l’historien de restituer pour une génération suivante les atmosphères d’une époque. Un homme qui regarde en arrière tend à supposer déjà connu à tel moment ce qui ne le sera que plus tard. »

La consultation d’autres sources a bien sûr été indispensable pour retracer la trame d’une vie diplomatique riche en péripéties souvent passionnantes. Ainsi, la Librairie du Congrès a été d’un grand secours, mais aussi un site permettant d’obtenir ou de vérifier des informations à distance dans tous les articles de la presse américaine.

La présente étude de la vie d’un scion d’une famille d’industriels, devenu homme d’affaires ou plutôt représentant commercial et, sur le tard, premier diplomate luxembourgeois résident aux Etats-Unis, n’engage que son auteur. Les opinions et réflexions, voire les interprétations et commentaires, ne sauraient refléter celles du ministère des Affaires étrangères et européennes voire du gouvernement luxembourgeois. Pour reprendre la formule consacrée : « Toutes les erreurs du fait d’une interprétation ou transcription erronée dans ce récit incombent à l’auteur seul. » J’ai en effet souhaité m’exprimer à titre personnel et apporter ce témoignage sur un diplomate luxembourgeois nécessairement empreint de subjectivité. Il ne s’agit pas de glorifier un personnage ni d’écrire une histoire biographique érudite et détaillée, mais plutôt d’essayer de mieux comprendre et de faire revivre les grandes lignes d’une personnalité et de son œuvre et les nombreuses traces écrites et photographiques laissées par Le Gallais. N’étant pas historien, je ne souhaite pas entrer dans une quelconque polémique en relation avec les activités de la souveraine et du gouvernement en exil par rapport aux souffrances et atrocités subies par la plupart de ceux restés au pays.

Ce que j’ai trouvé fascinant en essayant de recomposer le puzzle du parcours de Le Gallais, c’est de tomber sur de nombreuses actions et réflexions voire réflexes qui subsistent d’une certaine manière et dans certaines limites dans la vie diplomatique de nos jours. Sans vouloir le moins du monde idéaliser ou systématiquement justifier l’action de Le Gallais, je me suis souvent posé la question de savoir si, à une autre période de notre histoire et avec d’autres moyens, nous ne sommes pas, en fin de compte, motivés par les mêmes ambitions envers notre pays et notre carrière, notre vie professionnelle et notre vie privée. Je voulais surtout placer l’itinéraire complexe de Le Gallais dans son cadre historique et tenter de rendre davantage compréhensible son action publique et personnelle tout comme son aspiration intime. La participation de Le Gallais à de nombreuses conférences internationales ayant été à l’origine d’institutions multilatérales toujours d’actualité, tout comme son interaction avec les représentants très haut placés de pays les plus divers ne reflètent plus nécessairement la réalité quotidienne de tous ceux qui, aujourd’hui, agissent dans le cadre diplomatique. En définitive, j’ai essayé de m’imprégner du milieu familial et social de Le Gallais afin de me rendre compte qu’il n’a eu que très peu de contacts avec des personnes issues d’un milieu moins aisé que le sien.

À ma connaissance, cette biographie est la seule relatant le cheminement d’un diplomate luxembourgeois. Peu nombreux sont les hommes politiques de ce pays (Emmanuel Servais, Nik Welter ou, plus récemment, Pierre Werner) qui, comme les ambassadeurs Auguste Collart et Adrien Meisch, ont publié leurs mémoires. J’ose espérer que cette lacune sera un jour comblée par d’autres essais de ce genre ou que d’autres recherches sur une période charnière de notre histoire aboutiront.

Finalement, qu’il me soit permis d’informer le lecteur, par souci d’honnêteté, mais aussi de loyauté familiale, que j’ai écrit ces pages en étant conscient que l’un des interlocuteurs privilégiés de Le Gallais, du moins durant la Seconde Guerre mondiale, était le grand-père paternel de mon épouse. Ce lien avec un homme que je n’ai pas connu personnellement n’a pas rendu les choses plus évidentes, mais j’espère qu’en exposant ce fait dès le début, je contribuerai à empêcher un mélange de genres tout en m’évitant le reproche d’une glorification indirecte.

Tout ce qui suit, basé sur des hasards de rencontres et des recherches assidues, ne constitue donc qu’une modeste contribution afin de ne pas laisser tomber dans l’oubli du temps un diplomate hors du commun, un personnage certes spécial et singulier mais néanmoins intéressé par le bien de son pays et des siens.

Luxembourg, septembre 2019

« Le corps diplomatique, ce n’est jamais un corps beau; c’est souvent un corps d’âge; c’est parfois un corps sage; et c’est toujours un corps au pied du ministre des Affaires étrangères. ... Les bonnes ambassades sont celles qui ne font pas de bruit et dont l’activité se poursuit sans éclat. Comme les peuples heureux, elles seront sans histoire ... Comme les enfants, les diplomates ont intérêt à être vus, non entendus. Moins ils parleront et plus ils seront écoutés. »

Citation de Talleyrand trouvée dans les papiers d’Hugues Le Gallais

NAISSANCE

La diplomatie est un art. Hugues Le Gallais n’a pas été un artiste. Pourtant, dès le début, sa vie a été un artifice. Il en a fait un art, jouissant à chaque instant de tous les avantages d’être bien né dans un monde qui n’existe plus et faisant tout pour y être bien vu.

Hugues Le Gallais, aîné des quatre enfants de Norbert Le Gallais et de sa cousine issue de germains, Juliette Metz, est né le 15 mai 1896 à Dommeldange, dans les alentours de la capitale du Grand-Duché de Luxembourg. Lors de son baptême quatre jours plus tard, il a reçu les prénoms Gustavus Emilius Augustinus Hugo. Ses parents avaient choisi comme parrain Auguste Collart, qui était l’époux de sa tante maternelle, et comme marraine Léonie de Mathelin, épouse de l’industriel Gustave Metz, grand-mère maternelle du nouveau-né. Personne donc du côté paternel, ce qui ne peut guère donner lieu à des conclusions de brouille ou de préférence de la famille maternelle par rapport à celle du père. Cela laisse tout au plus planer le doute sur les relations des parents d’Hugues avec les familles respectives si étroitement liées. Peut-être ce choix du parrain dans la famille Metz et pas dans celle des Le Gallais reflète tout simplement la dominance de cette alliance prestigieuse des seigneurs de l’industrie luxembourgeoise, les Metz, avec la riche famille noble et propriétaire de plusieurs châteaux des Collart.

À l’état civil de Dommeldange est conservé l’acte de naissance d’Hugues avec les deux premiers noms inversés. Dans cet acte est précisé que la naissance est intervenue à 17 heures trente. Les témoins sont le médecin Auguste Faber et Paul Mayrisch1, maire d’Eich de 1911 à 1915, fils du médecin Jean Mathias Édouard Mayrisch et de Mathilde Metz (fille d’Adolphe Metz et nièce de Norbert Metz, un des arrière-grands-pères d’Hugues). Ce Paul Mayrisch était le frère du grand seigneur de la sidérurgie luxembourgeoise Émile Mayrisch que nous allons retrouver au cours de ce récit, avec son épouse Aline de Saint-Hubert2. La famille d’Hugues était étroitement liée et imbriquée dans la sidérurgie et l’industrie luxembourgeoises. Tout au long de sa vie, Hugues restera fidèle à ce milieu tout en plaçant par-dessus tout un certain patriotisme bien propre à lui et une fidélité sinon de la vénération inconditionnelle pour la souveraine et sa famille.

Moins de cinq mois plus tôt est née à Luxembourg la deuxième fille du couple grand-ducal héritier, celle qui allait devenir, 23 ans plus tard, la Grande-Duchesse Charlotte. Hugues Le Gallais allait être très attaché et fidèle à cette souveraine qui a régné pendant 45 ans. Elle va jouer un rôle majeur dans cette biographie, surtout au cours des années d’exil de 1940 à 1944/5.

Avant de passer en revue la vie quelque peu plus originale du père et des trois sœurs singulières d’Hugues, examinons son ascendance, ses grands-parents étant des bourgeois aristocratiques et, de surcroît, cousins germains. La vie de ces familles de notables luxembourgeois du tournant du siècle était marquée par une généalogie prestigieuse et un attachement aux valeurs conservatrices ne laissant pas beaucoup de place à l’originalité, même si un voire deux membres de la famille proche d’Hugues Le Gallais ont vécu des expériences hors normes. Sur les terres d’Amérique et de l’Inde, qu’Hugues va connaître bientôt dans le cadre de son parcours professionnel, son grand-père maternel et son oncle paternel l’ont précédé au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle.

1 Paul Mayrisch (1861-1915), fils de Jean Mathias Edouard Mayrisch et de Mathilde Metz et frère d’Emile Mayrisch.

2 Emile Mayrisch (1862-1928), époux d’Aline de Saint-Hubert (1874-1947).

ASCENDANCE QUASI ARISTOCRATIQUE

La lignée paternelle d’Hugues Le Gallais peut être retracée jusqu’à Francis Le Galles duquel le séparent dix générations. Le nom est aussi épelé Galles, Gallez avant de devenir, de manière définitive, Le Gallais au début du XVIIIe siècle. La prononciation laisse présager l’origine bretonne de la famille.

Les ancêtres de Le Gallais étaient seigneurs de Chasteau Crocq en Bretagne. À partir de 1607, un membre de la famille est signalé sur l’île de Jersey, située dans la Manche entre le Royaume-Uni et la France, comme seigneur de Rouge Bouillon. Plus tard, cette branche des Le Gallais vint s’établir à La Moye. Des titres de noblesse ayant été confirmés aux Le Gallais en 1669 et 1702, et compte tenu des armoiries des Amy, l’arrière-grand-mère d’Hugues étant issue de cette lignée, la famille est autorisée à porter les armes décrites en détail dans la Biographie nationale du pays de Luxembourg. Les Le Gallais avaient des armes et leur propre devise: « jamais chancelant »3. Comme nous allons le voir, Hugues Le Gallais, dont la détermination était au-delà de tout soupçon, allait se montrer à la hauteur de cette maxime familiale et rester toujours fidèle à lui-même et à ses ambitions.

Les familles paternelle et maternelle, même si elles sont parentes assez proches, sont examinées séparément. Les grands-parents paternels Le Gallais-Metz et les grands-parents maternels Metz-de Mathelin se connaissaient parfaitement étant donné qu’ils étaient cousins germains et faisaient partie de la même société bourgeoise liée à l’industrie et à la construction. Les résidences de ces familles étaient parmi les plus imposantes de la capitale. Les dernières demeures de ces familles reflètent également leur aisance sociale, même si, de nos jours, elles n’appartiennent plus à la famille ou ont disparu. La tombe de la famille Metz au cimetière Notre-Dame près du Glacis est imposante, reflétant la grandeur d’une des plus illustres familles de la sidérurgie luxembourgeoise. La mère d’Hugues y a été enterrée auprès des siens. Les grands-parents paternels sont inhumés dans une tombe séparée tout près de celle de la famille Metz. Le père d’Hugues, Norbert Le Gallais, et sa deuxième épouse ont trouvé leur dernier repos dans une sépulture à part, mais toujours dans le même cimetière.

3 Mersch, Jules : Biographie nationale du Pays de Luxembourg, depuis ses origines jusqu’à nos jours ; Imprimerie de la Cour Victor Buck, 1957.

GRANDS-PARENTS PATERNELS

Le grand-père paternel d’Hugues, Edmond, né le 9 septembre 1814 à La Moye St-Brelades/Jersey, est décédé le 20 juillet 1873 à Wildbad, ville thermale située dans le Land actuel de Bade-Wurtemberg en Allemagne. Il était le fils des époux Philippe Le Gallais et Marie Margaret Amy de Jersey qui ne sont jamais venus au Luxembourg. Cet arrière-grand-père d’Hugues était juge et avait eu neuf enfants.

Le grand-père paternel est arrivé au Grand-Duché vers 1856 de Jersey, la plus grande des îles anglo-normandes. Edmond Le Gallais allait s’intégrer rapidement à Luxembourg. Le pays se trouvait au début d’un essor duquel il allait tirer profit durant environ un siècle. Ingénieur-entrepreneur, il vint au Grand-Duché une dizaine d’années avant les changements importants intervenus dans le centre économique et politique du pays avec le démantèlement de la forteresse suite au traité de Londres de 1867. Le premier Le Gallais à s’établir au Grand-Duché y vint avec les frères Waring et l’ingénieur irlandais Thomas Byrne pour construire les lignes ferroviaires Guillaume-Luxembourg et les viaducs du chemin de fer du Nord. Il se fit admettre à la Loge vers 1866, avec son cousin par alliance Gustave Metz. La construction des viaducs achevée, il resta au pays et prit des intérêts dans différentes affaires.

Environ trois ans après s’être installé au pays et alors qu’il n’y avait aucune famille directe, Edmond devait s’allier à l’une des premières familles de la capitale. Il épousa à Luxembourg, le 2 mai 1859, Léonie Metz, née le 2 février 1836. Elle était la fille des époux Charles Metz (1799-1853) et Justine Vannérus (1808-1849), fille d’un notaire de Diekirch. Ce Charles Metz, un des arrière-grands-pères d’Hugues, était le frère de Norbert, ce dernier étant un des trois autres arrière-grands-pères. Norbert était en fait le grand-père de la mère d’Hugues, Juliette Metz. La grand-mère paternelle d’Hugues, appelée « Granny » par ses descendants, est décédée le 27 octobre 1909 dans la maison familiale au boulevard Royal à Luxembourg. De cette union sont nés cinq enfants, tous mariés avec descendance, à part le deuxième fils.

L’aîné des enfants était le père d’Hugues, Norbert Le Gallais, né le 17 avril 1860 à Septfontaines et décédé le 6 mars 1934 à Luxembourg. Puis venait Walter Le Gallais, né le 17 août 1861 à Luxembourg, décédé le 6 novembre 1900 près de Bothaville pendant la guerre du Transvaal. Il prit d’abord service dans l’armée des Indes et était lieutenant-colonel du 8e régiment des hussards lorsqu’il tomba pendant la guerre des Boers. Resté célibataire, ce très bon joueur de polo était un chef de cavalerie qui, après ses études en Angleterre et en Allemagne, avait rejoint la milice de Jersey avant de servir en Inde sous le chef militaire de l’Empire britannique Kitchener dans la campagne du Nil et de participer à la campagne sud-africaine. Ce général, qui s’est illustré durant la deuxième guerre des Boers avant de devenir un homme politique d’Afrique du Sud et l’un des fondateurs du Parti national, a décrit l’oncle paternel d’Hugues dans son livre « Trois Ans de Guerre » comme « sans aucun doute l’un des officiers anglais les plus braves que je n’ai jamais rencontrés ». Cet oncle, décédé au combat alors qu’Hugues avait six ans et demi, avait ‒ un peu comme lui et, comme nous allons le voir plus loin, le grand-père maternel d’Hugues – l’esprit aventurier et une vie loin des chemins tracés. De 1891 à 1895, il fut aide de camp du commandant en chef de Bombay, la ville où Hugues Le Gallais allait se rendre en 1926 pour Columeta en charge des exportations d’Arbed. L’épopée de Walter Le Gallais a été largement commentée, notamment dans les médias américains de l’époque.

Un troisième fils du couple Le Gallais-Metz était Marc Le Gallais, né le 30 septembre 1863 à Eich, décédé le 30 août 1906 à Broadsland au Jersey où il était retourné, un retour aux sources en quelque sorte, pour s’établir dans une propriété achetée par sa famille. À partir de 1901, il fut adjudant général de la milice à Jersey. Il a suivi la même carrière que son frère Walter. Il s’était marié en 1891 avec Joséphine dite Finky Schaefer (1863-1933), fille du banquier Ferdinand Schaefer-Nothomb. La famille Schaefer était l’une des plus aisées du pays, les filles du banquier étant appelées « les trois grâces » et ayant contracté des mariages prestigieux. Quatre enfants sont nés de cette union:

Léonie, dite Lily (1892-1959), épousa en 1914 son cousin Paul Simons (1877-1936), président de l’Administration des Biens de la Grande-Duchesse, fils du ministre d’Etat Mathias Simons. Elle avait été dame d’honneur de la Grande-Duchesse. Puis vint Edmond, né en 1893, pour qui le colonel Charles Schaefer fit des démarches auprès de son ami Kitchener pour le faire entrer à l’Ecole des cadets. Edmond Le Gallais était major du 1er bataillon Royal Sussex avant de mourir colonel en retraite. Il était suivi de Réginald, né en 1898, capitaine de la Royal Air Force, qui mourut en 1917 lors d’un accident d’avion. Et enfin de Simone, née en 1905, qui épousa en 1933, à Londres, Claude-Frederick-Forestier Walker, né en 1892, capitaine aux 3es hussards de la garde.

Le quatrième enfant des Le Gallais-Metz était une fille : Edmée dite Missy Le Gallais (1864-1917), qui épousa en 1896 son cousin germain Jules Schaefer à Kanzem en Rhénanie-Palatinat, où les Metz, puis les Le Gallais avaient un domaine viticole. Cet ingénieur (1862-1904) était le fils des époux C.-J.-A. Schaefer et Irma Metz. Ce couple habitait à Paris, mais aussi la villa Simons dans la montée de Gasperich. Schaefer était aussi le cousin germain de l’épouse de Marc Le Gallais. Dont postérité.

Enfin, il y avait Marguerite dite Daisy Le Gallais (1868-1950) qui avait épousé à Kanzem, en 1890, le colonel Ernest H. Burney (1860-1905), colonel du Royal Berkshire Regiment, commander of the Bath. Ils vivaient en Angleterre et avaient deux enfants.

Les grands-parents paternels d’Hugues vivaient dans le sillage de ces familles entreprenantes et aisées que furent les Tesch, les Mayrisch et les Barbanson. Les familles paternelle et maternelle d’Hugues se connaissaient au mieux, depuis toujours, comme on avait coutume de dire, et ceci bien avant le mariage de leurs enfants Norbert et Juliette en 1895. De cette union est donc issu Hugues, sur les fonts baptismaux duquel ont pu se retrouver réunis sa grand-mère paternelle Léonie Le Gallais-Metz et son cousin germain, le grand-père maternel Gustave Metz. Famille catholique donc, du moins en apparence. L’appartenance à la franc-maçonnerie des deux grands-pères d’Hugues laisse toutefois planer un certain mystère. Comme dans toutes les familles, à l’époque comme aujourd’hui, certains ont dû être plus pratiquants que d’autres.

GRANDS-PARENTS MATERNELS

La mère de Hugues était donc la fille des époux Gustave Metz (1838-1895, lui-même fils de Norbert Metz et d’Eugénie Tesch) et de Léontine de Mathelin (1845-1925), fille de Léopold de Mathelin (1815-1880) et de la baronne Marie de Steenhault (1815-1894). Madame Metz-de Mathelin était issue d’une famille espagnole, anoblie par le roi d’Espagne en 1672. La grand-mère maternelle d’Hugues, appelée « Bonne-Maman », qui habitait la capitale, était un soutien pour les quatre enfants de sa fille trop tôt décédée et n’entretenait pas la meilleure des relations avec la deuxième épouse de son beau-fils. Les Metz représentaient la dynastie du fer, mais s’étaient alliés à l’une ou l’autre famille noble de la région, comme les de Mathelin, châtelains à Messancy, commune francophone de Belgique située en région wallonne. C’étaient des hommes d’action, même si tous n’étaient pas toujours disposés à entrer dans le moule de l’industrie. Le grand-père maternel d’Hugues fut un de ces rebelles. Il était, du moins dans sa jeunesse, une sorte de vilain canard et sortait de la voie toute tracée par sa famille. Comme ce sera le cas pour Hugues une génération plus tard, il avait perdu sa mère très jeune. Le père de Gustave se remaria avec une cousine de sa mère. En raison de difficultés scolaires, Gustave passa plusieurs années dans des internats. Après avoir travaillé un peu, il émigra à l’âge de vingt ans aux Etats-Unis où il resta six ans en Louisiane, au Wisconsin, en Iowa et en Californie. Le fils « perdu », pour ne pas dire la brebis galeuse, de la famille Metz revint brièvement en 1860 pour régler un héritage et repartit de l’autre côté de l’Atlantique. Il y exerça différents métiers (fermier, éleveur de chevaux) afin de se créer une existence un tant soit peu digne mais qui, en fin de compte, devait aboutir à une faillite et au retour à Luxembourg d’un démuni échoué et désillusionné. En témoigne une lettre de 1864 à sa sœur : « Ce pays d’Amérique… n’est qu’un pays de loterie, où les hommes sont millionnaires aujourd’hui et pauvres demain ne me veut guère de bien et bien que je me suis donné beaucoup de mal pour arriver à quelque chose, la chance ne me sourit pas. »4 Toujours est-il que Gustave fut envoyé chez sa cousine Léonie Metz qui avait épousé Edmond Le Gallais (ce sont, comme nous l’avons vu, les grands-parents paternels d’Hugues). Il travailla à partir de 1860 pour Waring Brothers, la firme pour laquelle Edmond Le Gallais était venu à Luxembourg. Un an plus tard, il travailla pour l’usine de son père, devenant même directeur de la sidérurgie de Dommeldange avant d’épouser, encore un an plus tard, la fille du banquier et baron de Mathelin. Tout était rentré dans l’ordre et, devenu directeur d’usine, Gustave avait fini sa vie comme il était né : bien à l’aise et respecté. Il mourut le 3 mars 1895 à l’âge de 57 ans et ne put donc transmettre en personne ses histoires américaines à son petit-fils qui allait naître l’année suivante.

De l’union Metz-de Mathelin, conclue en 1868, étaient nés cinq enfants dont un mourut en bas âge. L’aînée était Alice Metz (1870-1948), qui a épousé en premières noces L. Auguste Collart (1859-1906) et a convolé en secondes noces, à partir de 1915, avec François Mathieu (1876-1930). Ils étaient les parents d’une fille morte jeune et du châtelain de Bettembourg, Eugène-Auguste Collart (1890-1978), homme politique et diplomate. Celui-ci a épousé en 1914 Daisy Weber (1889-1969), fille des époux Auguste Weber et Berthe Gansen, depuis 1937 dame d’honneur de la Grande-Duchesse.5

Le chargé d’affaires aux Pays-Bas, Eugène-Auguste Collart, et son cousin germain, le chargé d’affaires aux Etats-Unis, Hugues Le Gallais, étaient liés de manière indirecte aux industriels Emile Mayrisch (1862-1928) et Gaston Barbanson (1976-1946) qui avaient pris les rênes de l’Arbed en 1911. Les deux diplomates avaient en commun comme grand-tante Madame Edmée Tesch (1843-1919), la fille de J. B. Victor Tesch et de Caroline Nothomb, veuve du maître de forge à Dommeldange et fondateur de l’Institut portant son nom, Emile Metz (1835-1904), qui était le fils de Norbert Metz et d’Eugénie Tesch. Après le décès de Madame Emile Metz-Tesch, intervenu en 1919 au Château de Beggen (que son mari avait fait construire), la fortune revint en partie à Emile Mayrisch, duquel la mère avait été cousine germaine d’Emile Metz, et en partie à Gaston Barbanson, ce dernier neveu d’Edmée Metz-Tesch.

Les mariages entre différents rejetons de ces familles et les efforts pour maintenir uni et prospère le patrimoine familial n’allaient toutefois pas éternellement garder ces bourgeois au faîte de la société luxembourgeoise. Dès la Première Guerre mondiale et plus encore avec la crise de 1929 et la période de quasi-stagnation qui marque l’entre-deux-guerres, les demeures et propriétés allaient leur échapper, comme ce fut le cas des villas les plus prestigieuses des Metz et des Le Gallais.

Poursuivons l’examen de la famille maternelle d’Hugues. Sa mère Marie-Juliette, dite Juliette Metz (1872-1909), était le deuxième enfant des Metz-de Mathelin, suivie de Léopoldine, dite Poldie (1873-1904), épouse de Jean-François dit Fritz Mersch (1862-1937), avocat et député. Enfin, les époux Metz-de Mathelin avaient un fils, Jean Metz, dit Chany (1879-1922), attaché à l’administration centrale de l’Arbed, qui s’est marié en 1906 à Bettembourg avec Elisabeth dite Maisy Jacquinot (1884-1975), fille du baron Charles Jacquinot et de Joséphine Collart.

Hugues avait cinq cousins du côté de sa mère, dont un mort en bas âge, et sept du côté de son père, dont un décédé au cours de la Première Guerre mondiale. L’accident d’avion de ce jeune cousin de 19 ans laissait, d’après les souvenirs de la sœur d’Hugues, Rozel, une trace indélébile dans la famille et ternissait les retrouvailles dans la maison de Kanzem où tous les cousins du côté Le Gallais aimaient se retrouver durant l’été. Pour Hugues, cette période de sa vie était marquée par différents deuils. Très jeune, même pas encore âgé de treize ans, il avait déjà perdu, au cours de la même année, à la fois sa mère, âgée de 36 ans, et, la même année, sa grand-mère paternelle, âgée de 73 ans. Le bonheur familial avait été de courte durée, d’autant plus que trois ans plus tard, son père allait se remarier avec une femme âgée de 46 ans. Cette nouvelle union devait notamment contribuer à assurer à la famille esseulée, composée d’un veuf avec quatre enfants, un niveau de vie digne, mais n’apporta aucune stabilité familiale.

4 Weber, Josiane: Familien der Oberschicht in Luxemburg. Elitenbildung und Lebenswelten 1850-1900. Editions Guy Binsfeld, p. 131-137.

5 Comme il a poursuivi la même carrière diplomatique que son cousin Hugues, nous allons le retrouver plus loin.

UN PÈRE HAUT EN COULEURS

Le père d’Hugues, Norbert Le Gallais, s’était marié en premières noces, le 19 juin 1895, à Luxembourg avec la fille du cousin germain de sa mère, Juliette Metz, avant d’épouser en secondes noces, le 5 octobre 1912, à Luxembourg également, Anne-Marie de Gargan, originaire du château de Preisch à Basse-Rentgen, de l’autre côté de la frontière. Âgé de 35 ans au moment de son premier mariage avec sa cousine issue de germains âgée de 23 ans, Norbert Le Gallais était, lors de son deuxième mariage, âgé de 52 ans, alors que sa deuxième femme en avait 46.

La première épouse de Norbert, la mère d’Hugues, que ses enfants appelaient « Mummy », était décédée après une maladie l’ayant fortement diminuée, peut-être la tuberculose, le 3 février 1909, dans la villa du boulevard Royal. Pour les quatre enfants, Hugues, Aimée, Alice et Rozel, âgés de 12, 10, 7 et 5 ans, devait commencer une période difficile que Rozel a très bien décrite dans ses mémoires en parlant de silence terrible et de vide absolu entourant les survivants. Les adultes ne savaient apparemment pas s’y prendre et parlaient, d’après les souvenirs de Rozel, de montée au ciel de la mère qui serait désormais au-dessus des nuages. Or, ceux-ci allaient s’obscurcir avec une autre femme reprenant une certaine place dans la vie de Norbert. Il fréquenta de nouveau une vieille connaissance de la famille, noble et très pieuse pour ne pas dire bigote.

La deuxième épouse était née le 28 août 1866 au château de Preisch, de l’autre côté de la frontière en France. Anne-Marie, dite Marie, de Gargan était la fille du baron Charles-Joseph de Gargan (1831-1920), dont la mère était une de Wendel, et d’Emilie Pescatore (1840-1913), elle-même fille unique de Pierre-Antoine Pescatore et d’Emilie Daelen. Pierre Pescatore était le neveu de l’homme d’affaires et mécène Jean-Pierre Pescatore. Les parents d’Anne-Marie de Gargan avaient dix enfants et habitaient le château situé entre Frisange et Rodemack. Le domaine appartient toujours à des membres de la famille. Les de Gargan, probablement l’une des familles les plus riches de la région avec les Pescatore, étaient donc liés à la famille d’industriels français des de Wendel. La famille vint s’établir à Luxembourg à la Villa Vauban achetée en 1874. À cette époque, les alentours de la résidence ont été finalisés et le jardin aménagé grâce au génie du paysagiste français Edouard André. L’hiver se déroula en grande partie ici, alors qu’en été la famille préférait plutôt le château de Preisch. Comme le père d’Anne-Marie avait voulu garder la nationalité française, il devait quitter Preisch en 1872 après l’annexion de la Lorraine par l’Empire allemand, n’acquérant la nationalité luxembourgeoise que cinq ans plus tard. Le baron avait acquis une collection d’objets qui meubla le château. C’est au cours de ses voyages en Italie, en Autriche, au Portugal, en Flandres et au Palatinat qu’il réalisa ses acquisitions.

La famille de Gargan avait des liens de parenté et d’alliance prestigieux. Une sœur d’Anne-Marie de Gargan, Marguerite de Gargan (1862-1948), était mariée à François Gérard d’Hannoncelles (1861-1940) et vivait dans la villa aujourd’hui connue sous le nom de « Villa Foch », voisine de la Villa Vauban. Le Maréchal Foch y demeura lors de ses séjours en 1918/1919. Une nièce d’Anne-Marie de Gargan, Thérèse de Gargan (1903-1996), avait épousé en 1925 Philippe de Hauteclocque, dit Leclerc de Hauteclocque, qui fut l’un des principaux chefs militaires de la France Libre durant la Seconde Guerre mondiale.

Le couple Le Gallais-de Gargan n’allait donc pas avoir de progéniture. Le mariage a donné lieu à un scandale qualifié de « catastrophique » par des membres de la famille de la mariée. L’union avait été contestée par les de Gargan au point que les parents, s’y opposant à tout prix, voulaient faire interner leur fille. Ils n’acceptaient pas ce mariage avec un veuf, de surcroît père de quatre enfants adolescents, roturier et à la réputation un peu ternie depuis les changements intervenus l’année précédant les noces du fait de la reprise par Mayrisch et Barbanson de ce qui avait été géré dans la sidérurgie luxembourgeoise en partie par Norbert Le Gallais. Même si la mère de la mariée, née Pescatore, n’était pas noble non plus, le fait que Le Gallais menait une vie de bourgeois dépensier a peut-être également influencé l’état d’esprit de la famille de Gargan. Les différences entre noblesse ancienne et récente, tout comme entre noblesse et bourgeoisie, étaient considérables à l’époque. Le père d’Hugues avait écrit plusieurs lettres et fait intervenir un avocat en brandissant la menace d’un procès en justice, pour plaider contre la tentative de faire déclarer sa nouvelle épouse comme n’étant pas saine d’esprit. La nouvelle femme de celui-ci n’allait plus revoir ni sa mère ni son père et ne pas assister à leurs funérailles, des contacts étant toutefois entretenus avec ses frères et sœurs. Le deuxième mariage du père d’Hugues a en apparence été un mariage heureux. Des photos montrant Anne-Marie Le Gallais-de Gargan avec deux des enfants de son mari laissent supposer qu’une certaine entente exista pendant un certain temps. Toutefois, tel n’était pas le cas, c’est le moins que l’on puisse dire. En fait, l’histoire et les relations de la belle-mère avec les quatre jeunes Le Gallais étaient exécrables. Anne-Marie de Gargan avait d’ailleurs annoncé dans un de ses accès de rage que les enfants Le Gallais n’hériteraient rien. De son vivant, elle avait donné une partie de ses bijoux afin d’orner la statue de la Sainte Vierge à la Cathédrale, ce qui lui avait valu, d’après Rozel, la protection de l’évêque lui-même face à des mises en cause sur sa relation avec les enfants de son mari. Hugues et ses sœurs ne semblent en effet guère avoir récupéré l’héritage de leur belle-mère, ses affaires personnelles étant revenues aux de Gargan de Preisch, tout comme le résultat de la vente aux enchères de la Villa Vauban et de son mobilier en 1948 et 1949.6

Lors du mariage civil, le 4 octobre 1912, passé devant le maire Alphonse Munchen, Norbert est qualifié d’industriel, son père défunt d’ingénieur. L’acte de mariage ne laisse pas deviner les difficultés ayant précédé ce mariage. Comme il y est fait mention d’un « Ehrerbietigkeitsakt » rédigé et délivré par le notaire Camille Weckbecker à Luxembourg le 24 août, la mariée a demandé respectueusement l’avis de ses parents sur ledit mariage. Un contrat de mariage a été rédigé la veille par le même notaire de Luxembourg. Les témoins de ce mariage étaient, comme pour d’autres occasions, choisis dans le sérail de la famille, cette fois-ci même dans le giron de la famille proche de la première épouse décédée il y a trois ans. Il s’agissait de Henri Vannérus (1833-1921), président du tribunal de Diekirch, qui a appartenu aux gouvernements de Tornaco et Servais en tant que ministre de la Justice et a été membre du Conseil d’Etat. Il était le beau-frère de Charles Metz, et donc l’oncle de la mère de Norbert ; de Léon Metz (1842-1928), ingénieur, membre du conseil d’Arbed après 1911, député et président de la Chambre de Commerce, maire d’Esch-sur-Alzette et cousin germain du père de Norbert Le Gallais et du père de sa première femme ; Auguste Weber (1852-1936), médecin ayant effectué la première opération à l’hôpital d’Eich, fils de Jacques Weber et de Justine Metz; c’était l’époux de Berthe Gansen, le père de Daisy Weber, épouse d’Auguste Collart, que nous avons rencontré plus haut en décrivant la famille maternelle d’Hugues. C’était donc un cousin issu de germains de Norbert ; et enfin quelqu’un pas directement allié ou apparenté mais issu de la sphère Arbed, à savoir Émile Bian, industriel et homme politique, député de 1916 jusqu’à sa mort, fils du notaire à Redange et politicien Léopold Bian.7 Le jour du mariage, Rozel, qui était la seule des enfants présente, se mit à pleurer, de sorte qu’elle devait quitter l’église. Au retour du voyage de noces en Italie de Norbert et Marie, la jeune fille de moins de dix ans se vit frappée par sa nouvelle belle-mère parce qu’elle avait osé l’accueillir dans la chambre des parents. Notons que l’année du déclenchement de la guerre,8 l’aînée des filles, Amy, avait été envoyée dans un couvent à Spa en Belgique et le troisième enfant, Alice, dans un autre pensionnat, de sorte que seule demeurait à Luxembourg la cadette, Rozel, qui se voyait infliger les foudres de sa belle-mère dès le remariage de leur père. Nous allons voir que le fils de la famille, Hugues, avait aussi été éloigné. Alors que les relations avec Anne-Marie de Gargan auraient été excellentes jusqu’au moment du mariage, les enfants ont toujours refusé d’appeler la deuxième épouse de leur père « maman » et, soutenus par les servants, lui ont mené la vie dure. Après l’avoir vu prendre de plus en plus de place auprès de leur père et lui avoir donné le nom de « Tante Marie », ils l’appelaient « die Alte » (la vieille) ou « la Stief » (abréviation pour le terme « Stiefmutter » ou la marâtre). La nouvelle Madame Le Gallais a été décrite par Rozel comme ayant souffert d’une personnalité double. Son éducation aurait été spartiate, ce que la belle-mère, des plus prudes et jalouses, estimait applicable à ses beaux-enfants une génération plus tard. Elle est présentée par Rozel comme très généreuse à l’égard des pauvres et très bigote à la fois. Elle a souffert de crises nerveuses et a été internée dans sa jeunesse alors qu’elle avait souhaité épouser Norbert Le Gallais avant que celui-ci ne décide d’épouser Juliette Metz. D’où le report de sentiments de jalousie maladive d’après l’autobiographie de Rozel et le souhait d’écarter voire d’éliminer tout ce qui rappelait cet épisode, notamment l’existence des quatre enfants.

Le père d’Hugues, que ses enfants appelaient « Daddy », avait beaucoup de caractère, mais guère de volonté. Sa fille Rozel le dépeint comme jovial, drôle, toujours blagueur, voire insolent. Son tempérament vital et amusant en société ne reflétait toutefois pas son manque de détermination par rapport aux frasques de sa deuxième épouse à qui il ne s’opposait guère ouvertement. Il avait des manières étranges pour éduquer ses enfants et n’était guère présent, si l’on en croit le récit de sa fille Rozel. Toujours d’après sa fille, il aurait eu beaucoup de succès auprès des dames et sa deuxième épouse aurait été des plus jalouses, probablement pour de bonnes raisons. Connu pour sa forte personnalité, plutôt autoritaire et imposant, Norbert Le Gallais avait étudié le droit et était avocat de profession. En 1890, l’année de l’arrivée au Luxembourg de la dynastie des Nassau-Weilburg, Norbert Le Gallais devint secrétaire général aux Forges d’Eich, puis, quelques années plus tard, directeur.

Norbert Le Gallais était en fait un gentleman industriel qui avait des chevaux à Bonnevoie, rue de l’Hippodrome, notamment un cheval de course nommé « Camperdown ». L’installation fut même nommée à l’époque le « petit Auteuil du Luxembourg ». Il était président du Jockey Club à Paris où il lui arrivait de se rendre en train spécial. Des courses en présence du couple grand-ducal et du couple héritier ainsi que de 10.000 spectateurs, parmi lesquels les familles de la bourgeoisie alliée et apparentée (Blochhausen, Schaefer, etc.), y furent organisées en 1897. Hugues n’avait que quatre ans et demi, mais les différentes versions de cet événement impressionnant devaient lui être parvenues, entre autres le fait que le cheval de course de son père avait gagné le Prix de Bonnevoie, doté de 300 francs plus 50 % des entrées.

Le père d’Hugues pratiquait aussi la chasse, notamment dans la région de Troisvierges, sur la Moselle et dans les alentours de la capitale, avec un élevage de faisans au « Baumbusch », et est allé à la pêche, probablement avec plus d’assiduité qu’il ne se consacra aux affaires de la famille. Il avait un chien qui l’accompagnait partout, Lexy.

En 1904, après que la raison sociale de la Société, les Forges d’Eich, fut changée en « Le Gallais, Metz & Cie », Norbert Le Gallais prit la succession du cousin de sa mère et oncle de son épouse, Emile Metz, en tant que commandité-gérant. Dès cette année, Norbert Le Gallais avait investi dans des usines sidérurgiques électriques (« Elektrostahlwerke »), choix de procédé peu judicieux qui allait être remplacé en 1928. En fait, il n’avait plus grand-chose à dire lors de la fusion, en 1911, avec Dudelange et Burbach. Le père d’Hugues avait englouti une partie de la fortune de toute la famille. Les affaires des Metz étaient dans de bien mauvais draps, pour dire vrai, proches de la ruine. Mayrisch et Barbanson allaient en quelque sorte redorer le blason, faisant fructifier l’Arbed qui est devenue, au fil des décennies, un Etat dans l’Etat. Norbert Le Gallais avait réussi à entrer au conseil d’administration de la nouvelle société. La famille avait coutume de dire : « Ce que les Metz ont accumulé en deux générations, les Le Gallais l’ont dépensé tout aussi rapidement. » Maître de Forges, Norbert Le Gallais était administrateur de la société des Aciéries Réunies Burbach-Eich-Dudelange, mais aussi, depuis 1919, administrateur de la Société métallurgique des Terres Rouges. Rozel a décrit la situation financière comme précaire, notamment aussi en raison de la faillite de l’écurie à Paris, un héritage d’une grand-tante ne s’étant par ailleurs pas révélé aussi généreux qu’attendu, de sorte qu’autour de 1920 les enfants, surtout les filles, étaient envoyés en voyage, notamment en Angleterre, mais aussi en Roumanie. Rozel parle même de voyages en Orient Express. Des spéculations boursières semblent avoir donné le coup de grâce à une vie insouciante menée jusque dans les années 1920 par Norbert Le Gallais, qui devenait de plus en plus dépendant financièrement de sa deuxième femme. Un ami de la famille, le notaire Félix Bian,9 s’occupait des affaires matérielles des enfants Le Gallais et essayait, tant bien que mal, de jouer l’intermédiaire lorsque leurs relations avec leur belle-mère arrivaient au point de non-retour voire à l’absence de communication momentanée avec leur père.

Norbert Le Gallais était en outre président de l’Automobile Club luxembourgeois, dont il avait été le fondateur en 1906. Le prodigieux Norbert Le Gallais menait grand train et roulait en Panhard à chaînes. Cette forteresse roulante, construction automobile française,10 était aussi utilisée par le cousin issu de germains du père d’Hugues, le bourgeois impérial11 Emile Mayrisch. Cette voiture apporta un changement certain dans la vie de la famille Le Gallais. Ce fut une émancipation de contraintes difficilement imaginables de nos jours où tout est instantané et où nous avons l’impression de tout pouvoir connaître et atteindre, d’être partout et nulle part. Ce moyen de se déplacer mettait tout à la portée d’une famille aisée, supprimant les distances et la rapprochant de nombreuses personnes et contrées éloignées.

Le Gallais était membre du conseil d’administration de l’Institut Emile Metz, consul britannique et membre du conseil communal de 1892 à 1895. Il était également membre du premier Comité national de la Fédération nationale des éclaireurs et éclaireuses du Luxembourg (FNEL), dont l’origine anglaise lui tenait à cœur et lui rappelait le pays d’origine de son père.

Le père d’Hugues Le Gallais était député libéral depuis 1908, année où, d’après la biographie de sa fille Rozel, il aurait acquis la nationalité luxembourgeoise. La vie politique de cette époque était des plus tourmentées, et la Première Guerre mondiale allait modifier l’équilibre des forces politiques. Norbert Le Gallais appartenait au parti qui allait tout juste échapper au désastre après la guerre, lui-même conservant toutefois son mandat. Avant la guerre, il avait été condamné avec Maurice Pescatore et Joseph Funck pour corruption électorale après avoir offert à boire à ses électeurs, ce que prohibait la loi électorale. Resté au Luxembourg au début de la guerre, il a démissionné le 4 avril 1916 de son siège de député. Il rejoignit le Comité de secours aux mutilés et réformés luxembourgeois des armées alliées fondé à l’initiative de Gaston Barbanson. Ce comité constituait en fait une organisation propageant plutôt la solution belge et favorisant donc un rattachement à la Belgique, contrairement à l’attachement de Le Gallais père pour la famille grand-ducale et en opposition également avec ceux qui prônaient un rapprochement avec la France. Par la suite, il s’était en quelque sorte exilé à Paris, mais aussi, en partie, en Suisse, et ceci d’après des sources concordantes.12 En Suisse, il se trouvait, d’après un rapport du diplomate français Berthelot,13 « soit à Ouchy-Lausanne soit à Evian-les-Bains et ceci depuis 8 mois ». Berthelot avait été informé fin octobre et de manière « tout à fait confidentielle » par le directeur du Syndicat des fontes que celui-ci avait été mandaté par le ministre d’Etat luxembourgeois Eyschen de sonder Le Gallais si celui-ci, en tant que consul britannique, pouvait vérifier à Londres si un chargé d’affaires luxembourgeois pouvait y être accepté. Eyschen aurait pensé à Le Gallais pour occuper ce poste. De son côté, le ministre luxembourgeois socialiste Michel Welter14 a précisé dans ses mémoires que, début novembre 1915, Le Gallais était « actuellement sans domicile ni résidence connus (il paraît qu’il vit tantôt en Suisse, tantôt à Paris ; il a quitté le pays, parce qu’en sa qualité de consul anglais, il ne se sentait plus assez sûr dans le pays) ». D’après les mémoires de sa fille Rozel, le père d’Hugues aurait résidé fastueusement d’abord au Grand Hôtel, Place de l’Opéra, et par la suite dans deux hôtels de moins en moins prestigieux, les moyens financiers ayant apparemment connu quelques revers et des économies devant décidément être faites. Il restait qu’à Paris les époux Le Gallais avaient chacun une chambre auxquelles venaient s’ajouter celles des trois filles plus celles de deux dames qui les accompagnaient tout au long de l’épisode parisien.

Norbert Le Gallais est rentré au Grand-Duché après la Première Guerre mondiale. En octobre 1919, il présenta sa candidature dans la circonscription électorale du Centre et a été élu avec Brasseur, Diderich et Ludovicy, retrouvant son siège à la Chambre des députés. Sa réélection fut encore plus brillante en 1922, avec l’élection de Brasseur, Cahen, Diderich, Ludovicy et Gallé. En 1925, il s’inscrivit sur la liste Brasseur alors que le Parti libéral était divisé en deux groupes. Brasseur fut élu seul sur la liste, et, suite à sa démission, Le Gallais a pris sa place. Après la guerre, il resta fidèle au groupe conservateur des libéraux, soutenant le gouvernement de Pierre Prüm jusqu’à la soumission par ce dernier d’un projet de loi accordant aux ouvriers le congé payé. Norbert Le Gallais contribua alors par son vote de rejet à la chute du gouvernement, qui démissionna le 16 juillet 1926. Prüm avait quitté le Parti de la droite (« Rechtspartei ») et fondé le Parti national indépendant dès 1918. Maintenant avait sonné l’heure de Joseph Bech, propulsé au poste de chef du gouvernement. Lorsque le gouvernement présenta la loi au parlement, Norbert Le Gallais n’assista pas au vote à la Chambre le 16 novembre 1926. En 1931, il fut élu pour la dernière fois sur la liste du futur maire de la capitale, Gaston Diderich, face à la liste de Cahen. Il appartenait à l’aile modérée du Parti libéral-radical et il était donc compréhensible qu’il n’ait finalement « pas hésité » à entrer en coalition avec le parti de droite. Il fut élu deux fois vice-président de la Chambre, le 4 novembre 1919, où il n’a pas pris ses fonctions pour des raisons politiques, puis de nouveau en 1931.

Norbert Le Gallais n’était pas un adepte de longs discours mais plutôt porté sur l’action, se montrant toujours très courtois et poli. Il a été décrit comme un parfait gentleman qui avait ses propres opinions mais ne les a jamais mises en avant avec des mots durs ou insultants. Bien qu’il ait eu des intérêts manifestes dans l’industrie, personne ne peut certainement lui reprocher d’avoir promu ses intérêts d’une manière unilatérale. Le bien commun était son but et son principe directeur.

Une description amusante du milieu des Le Gallais a été faite dans le livre de Pierre Viallet « La Foire »15 qui a couché sur papier de manière admirable la vie insouciante voire inconsciente de la bourgeoisie du XIXe et du début du XXe siècle. Dans ce récit sur l’ascension et la déchéance de la famille maternelle de l’auteur, les Brasseur, tribu également liée à la sidérurgie, sont décortiqués avec minutie, un peu comme dans les « Buddenbrooks » de Thomas Mann. Le lecteur apprend les faits et gestes d’une classe sociale aisée qui ne se cache guère lorsqu’il s’agit d’étaler sa gloire ascendante, mais qui se tait s’il y a du linge sale à laver, préférant dissimuler sa misère intellectuelle ou financière. L’insolence, l’excentricité et la prodigalité du roman de Viallet témoignent de la vie de famille bourgeoise similaire à celle d’Hugues Le Gallais, du moins au cours de sa jeunesse.

Le père d’Hugues avait un penchant pour le jeu de cartes. C’est notamment à la Place d’Armes, le lieu de rencontre en plein milieu de la capitale, qu’il a perdu des sommes non négligeables et a engagé des meubles de la famille. Sa seconde femme le tenait en laisse et lui accordait quelques francs le dimanche, à condition de passer également par une église. Norbert Le Gallais jouait aux cartes avec des amis au Bridge Club de Luxembourg (local de l’Automobile Club du Luxembourg à la Porte Neuve) lorsqu’il subit une attaque à laquelle il succomba peu de temps après. Il a été foudroyé au moment où à un « contre » il répondait par un énergique « sur-contre ».16 Il est décédé à peine 14 jours après la mort de son ami et compagnon d’armes Robert Brasseur.17 Son successeur à la Chambre allait devenir l’ancien député Jacques Gallé. Dans la deuxième ville du pays et haut-lieu de la sidérurgie, à Esch-sur-Alzette, une rue a été nommée en l’honneur du père d’Hugues Le Gallais. Dans la nécrologie, il est rappelé par le quotidien catholique et de droite, le Luxemburger Wort, que d’un point de vue religieux, le défunt remplissait régulièrement ses devoirs et que son ami personnel, l’Abbé Gemen de la Chapelle du Glacis, a pu lui administrer les derniers sacrements, dans la mesure où « c’était possible ». Le 8 mars 1934, le journal de gauche, Tageblatt, décrit les funérailles, la veille, de Norbert Le Gallais. Un grand nombre de participants de toutes les couches de la population a accompagné le défunt sur son dernier chemin. Funérailles dignes donc pour un père souvent absent voire chancelant, contrairement, dirait-on presque, à la devise familiale. Cette disparition a laissé Hugues orphelin avec une belle-mère qui allait s’établir dans le sud de la France et avec qui il n’avait plus guère de contact. Des deux sœurs survivantes, l’une était mariée en Allemagne et l’autre vivait en Angleterre. Nous ignorons si Hugues est rentré du Japon à cause de ce changement inattendu survenu dans sa famille à Luxembourg.

6 Entretien avec la petite-nièce d’Anne-Marie Le Gallais-de Gargan, Madame Dominique Charpentier, au château de Preisch, 18 juin 2018.

7 Emile Bian (1873-1918), directeur de l’usine d’Eich/Dommeldange et de l’institut Emile Metz.

8 Rozel Reverchon-Le Gallais affirme dans ses mémoires avoir eu à ce moment onze ans.

9 Félix Bian (1870-1926), notaire et député.

10 Panhard a arrêté son activité en 1967, la marque de voiture étant reprise par Citroën.

11 Citations du discours prononcé le 17 juillet 1979 au Parlement européen à Strasbourg par la doyenne d’âge Madame Louise Weiss. Source: Parlement européen (sous la dir.) : Strasbourg: Parlement européen, 1979. 23 p. ; p. 15-23.

12 Goetzinger, Germaine : La Grande Guerre au Luxembourg. Le journal de Michel Welter (3 août 1914 – 3 mars 1916) ; éd. annotée et commentée par Germaine Goetzinger ; Centre national de littérature, 2015 ; p. 463

13 Philippe Berthelot (1866-1934), diplomate français ; secrétaire général du Quai d’Orsay à partir de 1920.

14 Dr. Michel Welter (1859-1924), homme politique luxembourgeois et dirigeant du Parti socialiste. Membre de la Chambre des députés ; Directeur général en charge de l’Agriculture, du Commerce et de l’Industrie.

15 Viallet, Pierre : La Foire. Editions de La Table Ronde, France Loisirs, Folio, Paris 1973.

16Luxemburger Wort du 6 mars 1934, notice nécrologique et, quelques jours plus tard, descriptif de l’enterrement ; Tageblatt du 8 mars 1934.

17 Robert Brasseur (1870-1934), homme politique (député de 1899 à 1925), juriste et journaliste ; marié en 1914 avec Jeanne de Saint-Hubert (sœur d’Aline Mayrisch-de Saint-Hubert) qui était divorcée depuis 1900 de son premier mari, Xavier Brasseur, le cousin germain de Robert Brasseur.

TROIS SŒURS AUX DESTINS SINGULIERS

L’aînée des sœurs d’Hugues avait quatre ans de moins que lui. Aimée Maria Edmée, aussi appelée Amy Le Gallais, née le 9 juillet 1898 et baptisée le 16 juillet, avait comme parrain l’oncle paternel Walter Le Gallais et comme marraine la grand-mère maternelle. L’état civil a noté les noms en ordre différent : Léontine Marie-Amy. D’après la légende familiale, et alors qu’elle attendait un enfant du peintre Pierre Thévenin, né en 1905 et plus jeune qu’elle, Aimée ne serait pas descendue du train qui devait la conduire dans le village du sud de la France où elle devait se marier. L’artiste était issu d’une famille de musiciens et devenu premier prix de violoncelle en 1923. Il a étudié parallèlement la peinture et suivi l’école des Beaux-Arts de Lyon. À partir de 1932, et pendant 4 ans, il a voyagé comme musicien professionnel sur des paquebots de croisière et parcouru ainsi le monde. Il s’est rendu également au Maroc sur les traces de Delacroix et de Matisse. De retour à Lyon en 1936, il a vécu une importante période de création et réalisé de vastes compositions murales pour le compte d’amateurs. Il a exercé dans le même temps une intense activité de portraitiste, peignant amis et intimes, notables lyonnais et portraits d’enfants. Le père du neveu d’Hugues est mort le 12 octobre 1950 d’un accident survenu alors qu’il travaillait dans son atelier de St-Just. Aimée était devenue institutrice et enseignait l’anglais, habitait à Watermans Cottage Ewhurst dans le Sussex, à 40 kilomètres de Londres. Elle a élevé seule son fils unique, David, né le 5 septembre 1934. Elle a quelque peu défrayé la chronique familiale avec cet enfant qui a, lui aussi, perpétué le nom de Le Gallais. La sœur d’Hugues avait fait croire à son fils qu’elle avait été mariée avec un Le Gallais, ne lui révélant la situation que beaucoup plus tard.18 Régulièrement, Hugues Le Gallais a versé de l’argent à sa sœur, avec qui il a gardé un lien fraternel.19

Le 28 mars 1901 naissait la deuxième sœur d’Hugues: Alice Barbara Le Gallais. Lors de son baptême, le 2 avril, elle reçut les noms de Caecilia Alicia Brigitta. Elle avait comme parrain l’autre oncle paternel, Marc Le Gallais, et la tante maternelle, Alice Collart-Metz. Cette sœur d’Hugues, qui était la plus sensible des quatre enfants, souffrait apparemment le plus de la relation conflictuelle avec la deuxième épouse de son père. Un jour, elle aurait avoué à son père qu’elle voulait empoisonner sa belle-mère. La jeune femme, qui souffrait de dépressions, avait connu un épisode de paralysie du langage et a été traitée par des chocs électriques avant d’être envoyée en Suisse et éloignée de sa belle-mère, ce qui a contribué à améliorer son état. Alice Le Gallais est décédée noyée à Alger, le 7 février 1928,20 des suites d’une tentative de suicide résultant d’un amour malheureux. Elle avait suivi un docteur français, marié et qui vivait en Algérie.21 L’annonce par la famille dans le journal « Indépendance luxembourgeoise » parle d’un accident et invoque qu’« il a plu à Dieu Tout-Puissant d’appeler à une meilleure vie » la défunte « pieusement décédée », alors que le journal, dans une annonce des funérailles, précise quelques jours plus tard qu’un accident de voiture a été à l’origine du décès de la jeune femme. Elle fut enterrée à Kanzem, en Rhénanie-Palatinat, sa tante Daisy Burney-Le Gallais la rejoignant 22 ans plus tard dans la tombe familiale. Ce suicide allait constituer une motivation de plus pour ceux qui restaient de chercher le large. Les deux sœurs survivantes devaient partir sous peu pour l’étranger, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Hugues devait poursuivre d’autant plus facilement sa carrière internationale pour ne pas être confronté à cette tragédie stigmatisante à l’époque.

Rozelle Le Gallais, née le 16 mai 1903 à Luxembourg-ville, donc jour pour jour sept ans après son frère, est baptisée Maria Edmunda Simona Rozella le 26 mai. L’acte de naissance énumère les prénoms suivants : Cunégonde Marie Edmonde Rozelle Simone. Le parrain était Anatole de Mathelin, le frère de la grand-mère maternelle.22 La marraine, sa tante paternelle, empêchée pour cause de déplacement plus ou moins prolongé à Paris, se faisait remplacer par la grand-mère paternelle qui habitait la maison familiale entourée de vignobles à Kanzem.

Cette sœur d’Hugues utilisa toujours le nom de Rozel, d’après une petite localité portuaire de Jersey, et fut encore appelée « Pignose » ou « Monkey » par certains proches. En 1920, elle est allée étudier l’anglais à Londres où elle découvrit le tennis alors qu’à Luxembourg ce sport n’en était qu’à ses débuts. Son père, pour faire des économies et pour assurer l’éloignement d’avec leur belle-mère, avait laissé sa fille aînée et sa fille cadette, âgée de 17 ans, partir. Rozel s’est inscrite au « Botanic Garden Club » dans la capitale britannique où son entraîneur Worthington était pionnier de ce sport assez exclusif. Joueuse talentueuse, elle a pris des leçons jusqu’à quatre fois par semaine et participait également régulièrement sur l’île britannique à des tournois. En 1924, Rozel est revenue à Luxembourg où elle s’est préparée pour les Jeux Olympiques de Paris auxquels elle s’était inscrite de sa propre initiative. Rozel Le Gallais n’avait guère de chance dans la mesure où, en simple et double mixte avec Camille Wolff,23 elle a dû déclarer forfait. Après sa carrière au tennis, le plus jeune des enfants Le Gallais s’est lancé dans la course automobile.

Alors qu’Hugues était en Asie, sa sœur cadette s’est mariée à Londres,24 le 6 juin 1932, avec Edmond Reverchon,25 de dix ans son aîné, propriétaire de vignobles et négociant de vins à Filzen près de Konz et Kanzem, le fief des Le Gallais. Fils d’Alice von Boch et d’Adrian Reverchon, banquier à Trêves, le beau-frère d’Hugues était un descendant du couple à l’origine de la manufacture Villeroy et Boch, Eugen von Boch et Sophie Octavie Villeroy. La famille Reverchon est alliée des von Papen, le Chancelier du Reich en 1932, Franz von Papen, ayant épousé une cousine Boch-Galhau. Le beau-frère d’Hugues était par ailleurs allié à des Sayn-Wittgenstein et à Luxembourg à des Pescatore, des Schorlemer et des Barbanson. Répétant en quelque sorte l’histoire familiale, l’époux avait été marié en premières noces à Maria Brügmann de laquelle il avait deux enfants, Heinz et Günther, âgés de moins de dix ans. Le mariage civil de Rozel avec un divorcé ne semble pas avoir été contesté autant que celui vingt ans plus tôt de son père. De cette union est né en 1934, la même année que ses cousins germains Norbert et David, un seul fils, Eddie Reverchon.