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Une adolescente résidant dans un petit village côtier voit sa vie bouleversée par la menace imminente d’une guerre et une explosion nucléaire dévastant sa région. La disparition inexplicable de sa famille la contraint à traverser un territoire où les êtres et les objets ont perdu leur réalité. Pour survivre, elle doit puiser des ressources insoupçonnées en elle-même et affronter des situations aussi extraordinaires qu’inattendues.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Philosophe,
Didier Naud a alterné entre recherche et entrepreneuriat, parcourant des mondes différents. Ses lectures scientifiques et esthétiques lui ont dévoilé les liens entre littérature et philosophie. Pour lui, le roman est une exploration de la condition humaine, et la création de récits, une expérimentation de la diversité des idées par l’imagination.
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Didier Naud
Une vie nouvelle
Roman
© Lys Bleu Éditions – Didier Naud
ISBN : 979-10-422-4196-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Je souhaite d’abord remercier mon père de m’avoir fait vivre l’expérience de la rédaction d’un ouvrage. J’ai eu la chance de faire partie du projet à l’âge de 17 ans. C’est une expérience que je n’oublierai pas.
J’ai pu travailler sur ce projet pour deux raisons principales. Tout d’abord, ayant un âge similaire aux personnages, mon langage est similaire au leur, ce qui rend les protagonistes plus crédibles, et plus intéressants. Cela permet également de donner un avis du point de vue d’une adolescente et non d’un adulte. Le livre a donc un aspect engagé et touchant. De plus le thème de l’écologie concerne directement ma génération qui subit les erreurs des anciens. Aussi nous devons trouver des solutions afin de sauver notre planète. Malheureusement, le sujet de l’écologie est encore trop ignoré, nous le banalisons en nous disant que se battre pour cette cause n’en vaut plus la peine, que c’est trop dur, ou trop tard. Ce livre peut donc sensibiliser les personnes sceptiques. Je souhaite, en participant à cet ouvrage, que les gens se sentent concernés par ce qui nous arrive.
La protagoniste Eglantine est un personnage qui me parle beaucoup. Cette jeune fille de 15 ans devient une héroïne sans réellement comprendre ce qui lui arrive. Elle représente celles et ceux qui veulent survivre et protéger la planète, mais ne sont pas encore confrontés à la catastrophe. Or le livre décrit les comportements que nous pourrions éventuellement avoir si nous étions plongés dans un désastre absolu. Ma génération se retrouve seule abandonnée par les adultes qui devaient la protéger, même s’il s’agit d’une fiction, cela correspond à un sentiment qu’une jeune fille comme moi peut ressentir devant l’indifférence de beaucoup de gens par rapport à la dégradation de l’environnement et du climat.
Je souhaite que mon père donne une suite à cet ouvrage afin qu’Eglantine ne demeure pas dans l’art de la survie, mais ouvre vraiment les portes d’une nouvelle vie.
Clémentine Naud
Ils sont à peu près huit ou dix, assis en tailleur, autour de ce qui ressemble à un feu de camp ou à un brasero ; on ne saurait entendre ce qu’ils se disent ni décrire ce qu’ils font… en raison de l’agitation de l’atmosphère et d’un grondement continu en provenance de l’horizon. Il semble difficile de savoir où ils se trouvent précisément tant la ligne de démarcation entre la terre et la mer s’estompe sous un ciel de couleur marron vers lequel leurs regards se dirigent de temps à autre. Parfois une silhouette de femme ou d’homme se lève, marche autour du petit groupe, puis se rassoit. Leurs mouvements et leurs gestes paraissent ancestraux, parfois une main ou un doigt indique, avec hésitation, une direction vers d’autres lueurs situées à proximité, peut-être le long du rivage ou au-dessus de falaises qu’ils semblent avoir du mal à distinguer.
Malgré la présence d’autres foyers de rassemblement, personne ne se déplace vraiment, les individus se lèvent et tournent en rond, les mouvements sont comptés, presque ritualisés, nul ne s’échappe du cercle étroit formé autour du feu. Il ne sert à rien de s’éparpiller, la lumière ne traverse plus les nuages, les reliefs et les contours demeurent imprécis, les innombrables particules en suspension troublent la vision des corps et des mouvements. Il fait froid, celles et ceux qui vont et viennent sont emmitouflés dans des couvertures de survie qui scintillent par intermittence. Une vibration constante s’est emparée de l’air, de l’eau, du sol… la conséquence d’un énorme tremblement dont les effets se font sentir sur l’ensemble du rivage.
Les différents foyers peuvent à tout moment s’éteindre. Le silence n’existe plus, de toutes parts, un bruit sourd se fait entendre, quelquefois une déflagration, proche ou lointaine, vient rompre le bourdonnement, et rend instables les reliefs. Le temps se déroule selon l’obscurcissement ou l’éclaircissement du ciel, avec deux couleurs : marron et noir. De l’immensité rectiligne de la plage, il ne subsiste plus que les lueurs des feux, éclairant de petits espaces dont les limites disparaissent dans des nuages de poussière aux formes changeantes. Parfois l’horizon se dégage brièvement, la mer apparaît striée par des ondes ; ce ne sont pas des vagues, elles vont dans toutes les directions. D’ailleurs il y a longtemps que l’écho du ressac a disparu.
Là où elle se trouve, les foyers intermittents ressemblent à une guirlande de fleurs de Noël dont on ne sait jamais vraiment quand elles s’allument ou s’éteignent. Elle demeure immobile, fatiguée par la douzaine de kilomètres qu’elle vient de parcourir dans un paysage où elle n’a pas reconnu la plupart des champs, des bois et des bâtiments… pourtant si familiers. Sa grand-mère ne lui a pas laissé le choix, elle a ouvert la porte de la cave, l’a obligé à s’habiller et à remplir un sac à dos avec des choses qu’elle trouve lourdes à porter. Avant, elle était restée recroquevillée très longtemps, elle se bouchait les oreilles pour ne pas entendre les bruits et se collait contre le mur lorsque toute la maison semblait prise de violentes secousses. Cela a duré des heures… sa grand-mère l’a prise par le bras et s’est mise à lui parler violemment. Elle n’identifiait ni sa voix ni ses gestes dans la pénombre du sous-sol, elle ne pouvait pas répondre… elle ne la reconnaissait pas. Quand elle s’est retrouvée en haut de l’escalier sans comprendre, elle a voulu lui parler, mais elle ne lui en pas laissé le temps.
« Ma chérie le temps presse, tu dois partir immédiatement, nous te rejoindrons dès que nous le pourrons.
— Mais Mamie ?
— Ne m’interromps pas, tu dois aller vers la plage te mettre en face des deux demoiselles, et nous attendre !
— Pourquoi ? a-t-elle demandé en pleurant.
— Ma chérie, je n’ai pas le temps de t’expliquer, regarde toute cette poussière qui vole, c’est comme si tu avais soufflé sur les aigrettes d’une fleur de pissenlit, mais là c’est un très grand souffle, il faut t’en éloigner le plus vite possible sinon tu ne pourras plus respirer. »
Avant même qu’elle ait eu la possibilité de réagir, sa grand-mère l’avait poussé sur la route qui ressemblait à une piste balayée par les vents, elle avait tenté de résister, mais avait fini par céder sous la violence des gestes et des cris proférés. Au bout de quelques pas, elle s’était retournée et avait vu une silhouette tremblante, enveloppée dans un manteau de flocons blancs et noirs dont les formes s’évanouissaient peu à peu. Elle a cru un instant que ses sanglots l’empêchaient de voir correctement et s’est frotté les yeux. Mais elle n’a perçu aux alentours de sa maison que de petits tourbillons.
Elle entrevoit les deux rochers que sa grand-mère lui a indiqués, elle les connaît depuis toujours, elle a passé son temps à courir et à pêcher auprès de leur masse imposante. Ils paraissent vibrer dans un brouillard plus ou moins épais qui ne la quitte plus depuis sa fuite hors de la maison. Devant ces rochers se trouvent plusieurs personnes autour d’un feu ; ce sont des adultes, il n’y a pas d’enfants… cela l’inquiète. Elle hésite à se rapprocher, mais se sent fatiguée d’avoir si longtemps marché et décide de descendre vers la plage. Elle se dit qu’elle va nécessairement croiser des gens qu’elle connaît, depuis son départ elle n’a vu personne venir à sa rencontre. Pourtant elle est seule en haut de la falaise, regarde de tous côtés et cherche une présence, elle ne comprend pas ce qui se passe. Le sentier qui mène à la plage est pentu, accidenté, mais il a été emprunté tant de fois qu’il n’y a aucune raison d’avoir peur. Avancer à petits pas suffit à se donner du courage et à progresser vers le petit groupe situé devant les deux demoiselles.
Elle s’immobilise à une dizaine de mètres du feu et des scintillements des couvertures de survie, le ciel devient de plus en plus noir. Pourtant celles et ceux qui marchent ou sont assis portent des lunettes noires, des masques de plongée et même des casques de motos. Cela ne l’étonne guère, pendant de longues minutes, après avoir quitté sa maison, elle a cherché à protéger ses yeux de la fumée et des cendres, fouillé à plusieurs reprises dans son sac et finit par trouver ses lunettes de piscine. Ses joues sont pleines de sable et de poussière, elle peut passer ses doigts sur les verres, distinguer à peu près ce qui se déroule devant elle. Un homme, grand, laisse tomber sa couverture et lui fait de grands signes pour qu’elle s’approche du feu, le vent se met à souffler plus violemment, la poussière rend ses gestes de moins en moins visibles. Elle ne bouge pas, entend des cris de la part de l’homme, des appels comme ceux entendus lors de son trajet vers la mer. Depuis des heures elle n’a ni saisi ni compris la moindre parole humaine… juste des sons, des échos.
Dès les premiers mètres, après la disparition de sa grand-mère, elle a cherché des gens du village capables de la réconforter, de l’aider à trouver sa route dans cette succession de petites tempêtes pleines de grains, de petits cailloux, de couleur différente. Avant même de trouver ses lunettes de piscine, en protégeant ses yeux avec ses bras, elle a essayé de repérer de grandes personnes ou des enfants qui pourraient marcher avec elle. Malgré ses attentes aucune silhouette n’est apparue. Elle s’est mise à pleurer, ne sachant comment s’orienter. Seuls les vestiges des dernières maisons du village lui indiquaient qu’elle habitait là. Elle se trouvait dans les décombres du bourg où elle a grandi avant de se retrouver au fond de la cave.
Pour ne pas s’arrêter et se recroqueviller sur elle-même, elle s’est guidée par rapport aux monticules de terre jaune situés devant ; c’était sûrement la route qui menait à la plage. En dépit de ses efforts, il devint très difficile d’avancer, le souffle du vent l’empêchait de marcher, son visage criblé par les grains de poussière lui faisait mal et il lui était presque impossible de préserver ses yeux. Elle fut mise à terre sous l’effet d’une faible tornade, au pied d’un arbre dont le tronc était couleur de pierre. Son sac à dos l’embarrassait, elle entreprit de l’ouvrir. Devant la difficulté de la tâche, elle se serait rapidement découragée si elle n’avait aperçu, à un ou deux mètres de l’arbre, un creux où elle pouvait se protéger de la tempête. Pendant qu’elle fouillait fébrilement son sac, elle a entendu des voix, toutes proches, et a tenté de se lever, de crier, mais sa douleur aux yeux l’en a empêché. Lorsque ses doigts ont touché les lunettes, elle a été prise de tremblements et a attendu d’être sûre de sa sensation pour esquisser un mouvement. Elle pouvait regarder autour d’elle, l’environnement ne ressemblait à rien, ne lui évoquait aucune chose connue.
L’homme tente de s’approcher d’elle, s’accroupit pour ne pas l’effrayer. Elle ne comprend toujours pas ce qu’il veut lui dire. Son visage caché par un foulard lui fait peur, il communique à l’aide de gestes et de paroles incompréhensibles. Elle demeure immobile, regardant les gens autour du feu, il n’y a pas d’enfant, seulement des adultes plus ou moins grands qui s’agitent sans cesse. Les seules choses rassurantes sont les deux demoiselles, toujours à la même place… la seule réalité dont elle est sûre. Les gens vont dans tous les sens, s’arrêtent sans raison apparente. L’homme a beau multiplier les signes pour la rassurer, elle se méfie, c’est pire que pendant son trajet à travers la campagne, parfois elle pouvait fixer son regard sur un mur, les décombres d’une maison, un arbre calciné. Sur cette plage l’horizon sombre et tremblant semble tout avaler, les silhouettes autour d’un feu ne lui inspirent aucune confiance, l’homme se rapproche peu à peu, il enlève son foulard ; désormais elle peut l’entendre.
« N’aie pas peur petite, d’où viens-tu ? Comment t’appelles-tu ? »
Elle ne répond pas, elle n’est plus une enfant, elle marche seule dans la tempête, depuis des heures. À présent elle n’avance plus, mais ce n’est pas de sa faute, elle doit attendre sa famille à l’endroit précis où elle se trouve. Un homme d’apparence jeune l’interroge, sans raison, elle ne le connaît pas, ne veut pas le connaître, elle doit juste attendre ses parents et sa grand-mère. Il avance sa main pour lui prendre le bras, elle recule et se dit qu’elle va remonter sur la falaise. Pour éviter qu’il ne s’approche davantage, elle tend son doigt pour lui montrer ce qui se passe derrière le feu : des milliers de petits animaux qui bougent.
« Ne t’inquiète pas ce sont des crabes, ils sont désorientés comme nous. N’aie pas peur, viens te réchauffer près du feu. »
Elle n’écoute pas, elle voit des animaux, ils courent partout, surtout les petits, les grands sont souvent morts, ou brûlés contre les murs.
Quand elle a pu sortir de l’abri, près de l’arbre couleur de pierre, elle a repris courage, avec ses lunettes elle pouvait affronter la poussière. Elle s’est écartée de ce qu’elle croyait être la route, un grand bâtiment attirait son regard, il ressemblait au hangar de la ferme située à la sortie du village, elle y jouait souvent. Le toit était complètement tordu et l’un des murs avait disparu, cela ressemblait à une image de guerre. Elle s’est approchée du hangar, et a perdu de vue les repères de la route de la plage. Tout paraissait figé et silencieux, mais de petits tremblements demeuraient perceptibles à travers le souffle incessant, le bâtiment continuait à subir de minuscules secousses.
Elle a fait le tour du hangar puis de la ferme, juste derrière, elle connaissait les lieux et voulait vérifier qu’elle ne se trompait pas. La grange, le garage, le bosquet d’arbres où se trouvait la cabane étaient à leur place, mais ils n’avaient ni épaisseur ni couleur, elle a pensé qu’ils pouvaient s’envoler à tout moment ou disparaître dans les nuages de sable. Il n’y avait aucune trace de vie dans ce lieu où d’habitude les activités des enfants et des parents ne cessaient jamais… aucune trace de vie, mais l’impression que des milliers de choses minuscules bougeaient sans cesse. Elle a voulu savoir si quelqu’un se trouvait là et, mettant ses deux mains autour de sa bouche, s’est mise à crier. Les tourbillons emportaient sa voix, elle s’est rapprochée des murs de la maison d’habitation. Elle n’a pas compris ce qu’elle voyait. Des gens, des animaux, semblaient sculptés dans les murs, comme dans les musées ou les temples. Il ne peut pas y avoir de sculptures sur les murs d’une ferme, elle a refusé de s’approcher davantage. Avant de reprendre son trajet vers la plage, elle a décidé de faire le tour complet du hangar. La partie arrière, proche des champs, que l’on distinguait mal, semblait recevoir une lumière plus vive. De façon surprenante, la surface de la prairie, à proximité du bâtiment, était colorée, l’herbe, les pâquerettes… ce petit bout de terre avait l’air intact.
« Ne sois pas craintive, viens te réchauffer, tu pourras t’en aller quand tu voudras ! » L’homme a cessé de s’approcher d’elle, mais il continue à lui demander de venir près du feu. Il n’y a pas d’autres enfants, elle ne comprend pas l’invitation. Attendre près des deux demoiselles est le seul motif de sa venue. Cela peut être long, elle vient de faire le voyage. Quand sa grand-mère et ses parents ont-ils pu partir ? Les gens sur la plage n’ont pas l’air d’avoir bougé, elle a l’impression qu’ils sont là, en train d’attendre… Au moindre grondement, ils se tournent pour savoir d’où vient ce bruit sourd, ils sont proches, mais chacun reste sur ses gardes comme s’il devait s’enfuir à tout moment. Elle se sent moins en sécurité que pendant son trajet dans la poussière où elle essayait de trouver des repères pour continuer son chemin. Il ne faut pas rester au même endroit. Ce ne sont pas les quelques rondes autour d’un feu qui la feront changer d’avis. Tous ces feux sur la plage ne la rassurent pas.
« Comment t’appelles-tu ? Moi, je viens de Paris, une ville que tu connais sûrement. Es-tu déjà allée à Paris ? »
Elle ne veut pas donner son nom, elle n’a aucune raison de donner son nom à un homme qu’elle n’a jamais vu. Même si ces adultes n’ont pas l’air méchants, ils ne lui inspirent aucune confiance, elle pense avoir vu plus de choses qu’eux, ces dernières heures, et ne comprend pas pourquoi ils restent sur place.
Plus elle approchait du bout du hangar, plus elle avait la sensation de retrouver la campagne qu’elle avait connue. Les prés et le petit bois, tout au fond, semblaient avoir été posés là au milieu de la tempête. Alors qu’elle allait atteindre cet étrange endroit, elle entendit des voix d’adultes toutes proches. Son premier réflexe fut de se coller contre la paroi du hangar pour se protéger d’une mauvaise surprise. Des rires, des chansons, des exclamations, lui parvenaient aux oreilles, mais elle ne voyait rien. Pourtant s’il y avait des gens, ils étaient à côté, à quelques mètres d’elle… À pas comptés elle parvint à l’extrémité du bâtiment et vit à l’entrée de la prairie éclairée par le soleil, des individus dont la plupart étaient assis dans l’herbe. Ils parlaient, dansaient, chantaient et avaient l’air de se préparer à marcher dans la nature. Étrangers aux tourbillons de poussière, ils paraissaient ignorer les bouleversements alentour.
Elle aurait voulu les appeler, mais aucun son ne sortait de sa bouche ; sans pouvoir bouger, elle les regardait faire et s’efforçait de reconnaître parmi ce groupe des gens du village ou des communes avoisinantes. Malgré ses efforts elle n’y parvenait pas. Ils donnaient l’impression d’ignorer complètement ce qui se passait autour d’eux. En dehors de l’environnement éclairé par le soleil, rien n’existait, leurs comportements étaient guidés par l’environnement de la prairie, ils ne regardaient pas le monde extérieur. Elle tenta, sans succès, de faire de grands mouvements de bras pour attirer leur attention. Avant même d’avoir pleinement conscience des événements, elle vit l’ensemble du groupe disparaître vers le bois situé au fond de la prairie. Il s’effaça progressivement avec le ciel bleu et la lumière du soleil. La prairie conserva, un court instant, sa lumière puis fut engloutie par la poussière.
« Si tu ne vois pas d’enfants parmi nous, c’est parce qu’il y en a qui cherchent leurs parents le long de la plage. » Elle ne le croit pas, elle n’a vu aucun enfant depuis la falaise, peut être quelques-uns au cours de son long trajet depuis la maison. Certains étaient sculptés sur les murs, d’autres sortaient des caves ou des bâtiments et y retournaient à toute vitesse. Malgré sa méfiance elle sent qu’elle a froid et se rapproche insensiblement du feu. L’homme s’écarte avec précaution pour la laisser passer, les autres membres du groupe ne font pas attention à elle. Elle s’assoit près du foyer, l’homme lui tend une couverture de survie dont elle se couvre. Elle ne comprend pas ses mouvements, sa seule préoccupation est de toujours apercevoir les deux demoiselles pour s’y rendre le plus vite possible quand sa grand-mère et ses parents lui feront signe.
Le désordre règne dans ce groupe, et dans les autres… des gens bougent, d’autres restent assis, certains parlent, beaucoup se taisent, ils sont ratatinés, les yeux fixés sur les flammes et les braises. Cela l’étonne, les gens qu’elle a vus se déplaçaient toujours assez vite, dans une direction. Là, il n’y a pas de direction, ils bougent ou demeurent immobiles… c’est tout. À côté d’elle il y a quelqu’un qui parle ; après l’avoir invitée auprès du feu et offert une couverture de survie, l’homme, dont elle se méfie, n’a pas réussi à la présenter. Elle se trouve là, par hasard, n’éveille aucune attention particulière, elle se demande pourquoi l’homme s’est intéressé à elle. En attendant, elle subit la voix bruyante d’un vieux monsieur, cela lui rappelle celle du prêtre quand elle allait à l’église pour un mariage ou un enterrement retrouver tout le village et s’amuser avec ses amis. Elle pouvait bouger, se cacher derrière les murs du cimetière avant la fin de la cérémonie, se glisser sous les tables du café quand tout était fini… les adultes parlaient fort, riaient souvent, même lors des enterrements. Elle ne peut pas fuir le vieux monsieur qui hurle dans ses oreilles.
Quand la prairie ensoleillée a été recouverte de poussière, emportant les gens qu’elle avait vus marcher, elle n’a pas su quoi faire, au point de se trouver complètement perdue dans une nature uniforme où l’on ne distinguait plus rien. Comment trouver un chemin dans une campagne privée de lumière ? Recroquevillée, elle s’est remise à pleurer afin de ne plus ressentir les tremblements et les tourbillons ; elle a gémi pendant de longues minutes, près de la paroi du hangar. La confiance est revenue quand elle a senti que le vent ne lui faisait plus mal aux yeux : elle avait toujours ses lunettes de piscine et pouvait discerner des bâtiments, des haies, des arbres pétrifiés en écartant les bras de son visage. Il fallait repartir vers la plage comme le lui avait demandé sa grand-mère. Il fallait retrouver des visages connus.
Une fois debout, elle a réajusté son sac à dos sur ses épaules et retrouvé les talus de la route dont elle s’était accidentellement écartée. En partant, elle n’a pu s’empêcher de regarder les corps que l’explosion avait projetés sur les murs de la ferme et des constructions alentour. Évidemment ils ne bougeaient plus, mais elle reconnaissait des pantalons, des robes, des chaussures, des animaux… ils s’étaient tous arrêtés d’un seul coup, en un éclair, immobilisés dans leur fuite. Elle ne reconnaissait personne dans ces sculptures de pierre, comme dans la prairie éclairée par le soleil. Elle a crié des noms, des prénoms, et n’a pas reçu de réponse, tout bougeait dans cette tempête, mais il n’y avait aucun écho. Pour recevoir quelque chose, il fallait aller à l’endroit indiqué par sa grand-mère. Elle a eu la chance de retrouver assez facilement, l’arbre aux couleurs de pierre, les talus de la route et a continué à avancer.
« Il aurait fallu que l’homme prît conscience à la fois de sa puissance et de son extrême fragilité pour éviter ce désastre. Visiblement il en a toujours été incapable et nous voilà plongés dans des ténèbres où les êtres humains ne sont plus que des faibles créatures ballottées sur une terre souillée et, en grande partie, détruite. Aussi il nous faut… » Elle ne comprend rien à ce que dit le vieil homme, assis à côté d’elle, de temps à autre sa voix monte, puis redescend, il ne regarde personne et s’adresse à tout le monde. Elle n’ose pas bouger, assise à côté de lui, elle peut apercevoir les deux demoiselles. Par instant quelqu’un essaie de l’interrompre ou de lui poser une question, mais il continue à parler comme si personne n’était là. D’ailleurs autour du foyer, les adultes continuent à se lever, à s’accroupir, à tourner en rond, malgré son sermon. Cela ressemble à une ritournelle et semble rythmer les déplacements désordonnés du groupe. Elle regarde, mais bouge le moins possible, c’est la seule enfant ; on ne doit pas la remarquer.
Quand ce sera possible, elle s’échappera discrètement vers les rochers, elle sait comment faire… Elle se demande si, dans les autres groupes, sur la plage, les choses sont pareilles. Si les gens vont et viennent, parlent sans se répondre, se rassemblent sans se voir. C’est probablement pareil puisqu’il n’y a pas d’enfants. Elle sent une main sur son épaule, l’homme au masque se penche pour vérifier si elle n’a plus peur. Elle le repousse sans agressivité. La ritournelle du vieux monsieur s’est arrêtée, on entend plus nettement un bruit sourd venant du fond de l’horizon, le sol vibre. Cela ne l’émeut pas, elle connaît ça depuis de longues heures. Pourtant les gens du groupe s’éparpillent dans toutes les directions ou se couchent sur le sable comme s’ils voulaient s’endormir, certains se mettent à genoux pour prier, d’autres crient ou pleurent. Elle ne comprend pas ce qui leur arrive puisque les bruits et les tremblements changent constamment. Elle se retourne, l’homme au masque a disparu, mais le vieux monsieur est toujours là, il ne parle plus, mais sa bouche est grande ouverte et ses mains s’agitent fortement. Hormis quelques adultes qui n’ont pas bougé, le groupe semble se disloquer, il est peut-être temps de s’en aller.
En se remettant à marcher entre les talus, elle a hésité sur la conduite à tenir. Devait-elle continuer coûte que coûte sur la route ou essayer de trouver des habitants de son village à droite ou à gauche de son itinéraire ? Elle n’admettait pas de n’avoir croisé personne de connu depuis la disparition de sa grand-mère. Malgré ses appels, pas le moindre signal d’une présence amie, réconfortante. La difficulté de la route vers la mer tenait à sa monotonie, mais aussi, à son effacement passager. Elle était là, puis disparaissait… certaines maisons sur les côtés paraissaient plus stables. La tentation de chercher dans les tourbillons de poussière des repères visuels, matériels, s’imposait autant à son esprit que la nécessité de retrouver les deux demoiselles.
Tel était l’état de ses pensées quand elle a cru voir des filles et des garçons traverser la route à toute allure. Elle a crié, voulu les suivre. Ils couraient très vite, elle n’a pu franchir le talus pour ne pas les perdre de vue. Elle a senti rapidement la difficulté de respirer quand on court dans la poussière, sa poitrine la brûlait : elle s’est mise à tousser. La petite troupe de jeunes gens a disparu en un éclair… personne ne portait de lunettes ou de masques. Rapidement ses jambes ont flageolé. Il n’y avait aucun moyen d’arrêter quelqu’un, de lui parler, dans cette poussière. Elle a essuyé ses yeux avec la manche de sa chemise d’été, remis ses lunettes et décidé de ne plus bouger, tout en restant debout pour observer les environs. Avant de se remettre à marcher, elle voulait se donner une chance de voir des gens se déplacer normalement ; elle pourrait les aborder tranquillement sans craindre leur fuite ou leur disparition ; juste pour parler de ce qui se passait.
Le bruit sourd ne cesse pas, les vibrations du sol non plus. Elle se lève, il reste peu de personnes autour du foyer dont le vieux monsieur, toujours indifférent à son entourage. Des milliers de crabes et de petites bêtes courent et rampent sur le sable mouillé… des frottements, des crissements s’ajoutent au bruit sourd. Elle n’entend pas la mer, les gens ont peur, ils appellent au secours ou sont silencieux. Parfois ils se dirigent vers un autre foyer puis reviennent sur leurs pas. Certains ont de gros sacs sur le dos et partent vers le bout de la plage, presque plongé dans l’obscurité. « Ne reste pas là, il faut partir », lui crie une femme qui se met à fuir en abandonnant toutes ses affaires. Contrairement à tous ces gens, elle n’a pas besoin de se presser, elle connaît l’endroit où elle doit s’arrêter pour attendre sa famille. Elle veut se rapprocher doucement vers les rochers, ne pas céder à la panique ; chaque fois qu’elle l’a fait ces dernières heures, cela n’a servi à rien.