YUNA ASADA - Vincent Ruchet - E-Book

YUNA ASADA E-Book

Vincent Ruchet

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Beschreibung

2058, Yuna Asada est assignée sur Paris, une station agonisante en orbite solaire. Vouée à un destin hors du commun, elle sera propulsée dans un conflit planétaire dont la portée s’étend bien au-delà de la galaxie. Fidèle à la tradition ancestrale et héroïne discrète de l’histoire, trouvera-t-elle l’énergie de survivre dans un univers où chaque camp impose sa propre vérité ? Une autre Terre, c’est l’aventure de douze personnes improbables et charismatiques, qui s’opposent à une guilde opprimant ses mondes. Leurs récits vont s’entremêler et nous faire découvrir les planètes Yônn, Taranis, Ehlo et Eve, qui tentent à leur tour de déjouer ces jeux de pouvoir et de survivre coûte que coûte.

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Vincent Ruchet

YUNAASADA

Une Autre Terre, premierlivre

Je dédie ce livre à Soyia

Glossaire :

Une histoire incluant plusieurs mondes se doit d’être vaste de personnages attachants et charismatiques. Une présentation des plus célèbres aidera le lecteur égaré.

Akram Abou Suleiman (A.K.) : professeur déchu, d’origine libanaise, de carrure imposante (1,90 m) et peau bien foncée par ses origines. Akram est un homme meurtri, extrêmement compétent et aussi pilote. Un aventurier que rien ni personne ne peut arrêter.

Arthur Lemay : général américain qui est son seul héros (toute ressemblance avec la réalité est purement fortuite). Sanguinaire et instable, il est le produit d’une longue tradition des usines à généraux de son pays.

Ava Barr : Alphane de la première heure avec ses longues jambes et son tatouage intégral, reconnaissable entre mille. Ava est particulièrement compétente pour la stratégie et le cyberporno à réalité augmentée.

Asii :androïde mis en service sur Paris (Assymetric System Interactive Intelligence). Parfois surnommée la vierge de titane. La particularité qui la rend exceptionnelle est sa capacité à s’adapter ou mieux, à anticiper.

Bob Mieville : héros discret de l’histoire, doué de compétences multiples, mais ingénieur nulle part. Excellent pilote ayant toujours une chance « au rabais ». Bob est du genre à foncer tête baissée, sans se préoccuper des éventuelles conséquences. Pourrait être comparé à un personnage du 20e siècle appelé Mc Gyver.

Chandni Laqma : s’est invitée dans le récit sans autorisation, apparue par enchantement. Siège au gouvernement d’Eve et deviendra vite un membre éminent de la résistance.

Jacques De Bon : souhaitait simplement terminer sa carrière sur sa voie de garage lunaire en regardant du porno. Exemple même de l’antihéros, jamais il n’aurait imaginé l’aventure à venir. Bourré de vices et de points faibles, son imposant ventre décrit lui-même le personnage.

Kim Eun : espionne coréenne à la solde des Américains, versatile et efficace dans ses missions. Sentant venir sa fin de carrière avec des missions impossibles, Kim a toujours su trouver la voie dictée par son instinct de survie.

Sunny-Ann Eun : Fille de Kim et surtout moyen de pression envers l’espionne coréenne.

Kurt Steinman : militaire de carrière se posant des questions. Assigné sur Paris pour le meilleur et pour le pire. Parfois faire mieux n’est pas suffisant.

Leila Amara : présidente de la Communauté native lunaire (CONA). Leila est un produit issu de la guerre, prête à tout pour clamer l’existence de son nouveau monde.

Soyia : jeune asservie travaillant comme traductrice au parlement. Ses tendances suicidaires vont éveiller en elle une autre qui sommeillait. Exemple même d’une personne soumise, qui aspire à la liberté.

Taeko Asada : grand-maman de la famille Asada. Gardienne des traditions de la famille, alors âgée de 85 ans. Enseignante d’arts martiaux, aïkido, kobudo et iaïdo. Probablement la dernière samouraï encore de ce monde. Droite comme un roc et fidèle au code du bushido, jusqu’à son dernier souffle !

Tani ya Asada : maman de Yuna travaillant officiellement pour Japan Telecom. Petite femme de 1,51 m, se trouvant propulsée dans une aventure, dont elle se serait bien passée. Elle découvrira l’espoir dans son exil forcé.

Yoshiro Watanabe : officier de transmission sur Kirishima, base sous-marine japonaise. Bien malgré lui, il prit le grade de capitaine dans une mission pouvant être jugée historique. Une audace et un sens du devoir inébranlables le propulseront au sein d’une Fédération en ruine.

Yuna Asada : héroïne et fil rouge de l’histoire. Japonaise de 37 ans, ingénieur nucléaire sur Paris. Pratiquant les arts martiaux selon la tradition familiale. Elle possède un caractère bien trempé, encore non pollué par l’occidentalisation de l’Asie.

Mots et définitions utilisés :

Akala : félin taranien particulièrement attachant. Possédant deux antennes à l’état adulte et une longue queue. Selon les croyances, pourrait appréhender une situation.

APU inop : générateur auxiliaire défectueux.

ASAP : « as soon as possible ». Terme utilisé en aéronautique demandant de faire le plus rapidement possible.

Badha : brume de Badha. Cité dédiée aux plaisirs de l’amour sur Ehlo, dans sa brume perpétuelle.

Baffle : cône de silence à l’arrière d’un sous-marin. Endroit où les hydrophones ne peuvent capter un poursuivant, car masqué par le bruit de sa propre hélice.

Beacon : balise lumineuse ou radio équipant une station.

Boucle de Moebius : anneau sans fin. La forme imagée la plus simple est un serpent qui se mord la queue, un cercle vicieux sansfin.

Betty : jargon de pilote,voix synthétique annonçant les défectuosités sur un aéronef.

Biostase : voir stase.

Breaker : fusible réarmable utilisé en aéronautique.

Budo : arts martiaux japonais.

Bushido : voie du guerrier. Code des principes moraux que les samouraïs étaient tenus de respecter,

CC : centre de commande (jargon), similaire àPC.

Coms : abréviations de communication radio.

CONA : Communauté native lunaire.

Débréler : jargon aéronautique, action de se détacher.

Downdate : installation d’un logiciel plus ancien, l’inverse d’une update classique.

EFIS : écran multifonctions utilisé en aéronautique.

Empennage : ensemble des parties fixes et mobiles constituant l’arrière d’un aéronef.

ETA : temps d’arrivée estimé.

EVA : sortie d’un vaisseau spatial en combinaison.

Estaminet : lieu de boissons, bistrot.

Exosquelette : squelette externe dans lequel s’insère un être humain pour avoir plus de force, se déplacer dans l’espace,etc.

Flux : évolution de ce que nous appelons Internet.

Fukaï Utchiu : traduction littérale de « espace profond ».

« G » ou Gravité : un « G » est l’équivalent de la gravité terrestre. Trois « G » représentent trois fois le poids. La position de la personne influence fortement la possibilité de supporter cette charge.

Gomennasaï : traduction littérale de « excusez-moi, pardon ».

Guettas : sandales japonaises traditionnelles enbois.

Grounder : argot aéronautique, action d’interdire de vol une machine.

Haï : traduction littérale de « oui ».

Hakama : robe traditionnelle portée dans les arts martiaux, servant à cacher le déplacement des pieds. Généralement de couleur noire.

Hunter-Killer : sous-marin spécialisé « chasseur-tueur », extrêmement efficace dans ce genre de tâches.

IA : intelligence artificielle.

Iaïdo : art de tuer en dégainant du samouraï. Dans la vie de tous les jours, en dormant, mangeant, etc. Un samouraï (serviteur) devait pouvoir éradiquer directement un agresseur. Direct, précis et extrêmement efficace, définit au mieux cetart.

Inhibiteur : appareil permettant aux asservis de sortir du périmètre autorisé (ligne rouge) sans arrêt cardiaque.

Kaiten : sous-marin suicide japonais utilisé lors de la Seconde Guerre mondiale. Généralement monoplace ou biplace, de construction très sommaire. Ils étaient largués d’un sous-marin porteur à proximité d’une cible, en vue de leur course finale.

Kanee : tortue taranienne.

Keisatsu : traduction littérale de « policier ».

Kham : monnaie officieuse ayant cours dans la Constellation. Notre équivalent serait une pièced’or.

Kiaï : cri profond, servant à augmenter l’énergie portée d’un coup. Il fait partie des respirations enseignées dans les arts martiaux.

Kirishima : traduction littérale de « île brumeuse », celle de l’histoire étant une base sous-marine.

Kissaki : pointe de la lame d’un katana, wakizashi ou tanto (couteau).

Kobudo : partie armée de l’aïkido s’exécutant généralement avec un « boken » (sabre en bois), « bo » (bâton long ou court) et plus rarement « naginata » (hallebarde) et bien sûr « katana ».

Kusso : injure, merde.

Lagrange : point de libration. Position dans l’espace où la gravité de deux astres (ou plus) est identique, donc s’annule.

Monte Haemus : massif montagneux lunaire.

Mobile : scaphandre blindé, spécialement conçu pour le passage des portails. Il s’ouvre en deux parties pour s’y insérer, l’odeur du précédent utilisateur en prime.

Moover : trottoir rapide équipant Alpha, Paris, Seva & Yankee.

Nagareboshi : traduction littérale de « étoile filante ». Dans l’histoire, il s’agit d’un réseau laser de protection, rempart de la Nation japonaise.

Neh : traduction littérale de « hein ? ».

Neko : traduction littérale de « chat ».

Nose-art : peinture personnalisant un aéronef, généralement une pin-up suggestive, placée sur le nez de l’appareil.

Nest : nid, poste de commande de la cité d’Alpha.

Nymphe : arme/véhicule expérimental développé sur Paris. Sphérique, d’apparence métallique grossière, ayant la faculté de s’occulter et de disparaître dans le sous-espace.

Ohashi : baguettes asiatiques, « chopsticks ».

Okasan : traduction littérale de « maman ».

Onegashimas : traduction littérale de « s’il vous plaît ».

Orbe holographique : l’espace étant en trois dimensions, une carte standard prend la forme d’une sphère créée par des lasers. Système indispensable pour la navigation dans l’espace.

Palonnier : pédales d’un avion commandant la gouverne de direction.

Paris : laboratoire expérimental en orbite solaire.

PC : poste de commande (jargon), similaire àCC.

Rônin : satellite-miroir servant à prolonger la portée de Nagareboshi, le réseau laser japonais.

Ryokan : auberge traditionnelle japonaise où l’on dort sur des tatamis en paille deriz.

Sakura : floraison des cerisiers japonais. Période attendue pour sa magie du printemps.

Seiza : position assise sur les genoux, traditionnelle en Asie et au Japon.

Sensei : maître, enseignant.

SEVA : laboratoire solaire de la première heure, déclaré perdu à la suite d’un accident nucléaire.

Shintaku : oracle, voyant. Celui de l’histoire assure en plus la tâche d’entretenir le temple.

Shinzen : petit hôtel avec généralement la photo du maître que l’on salue, lors de l’entrée sur les tatamis.

Stase : technique consistant à ralentir fortement les fonctions d’un organisme en vue des longs trajets dans l’espace, réduisant ainsi nourriture et risques dus à la folie de l’espace.

Sumimasen : traduction littérale de « excusez-moi, pardon ».

Tameshi geri : art de la coupe. Se pratique avec un katana sur des tatamis en paille roulée et humide, simulant la densité d’un corps humain.

Tatami : tapis épais en paille, recouvrant l’intérieur des salles d’arts martiaux et les habitations japonaises.

Tokamak : chambre de confinement magnétique utilisant la physique des plasmas pour produire de l’énergie. C’est le principe de la fusion nucléaire.

Tori : arche ou portail en bois, marquant généralement l’entrée d’un lieu sacré.

Update : mise à jour d’un programme.

USS Andrew Johnson : United States Ship. L’exploit authentique des six coups au but fut fait lors de la Seconde Guerre mondiale sur le porte-avions géant « Shinano » japonais, par « l’Arche Fish » américain.

Voloptère : oiseau géant taranien qui pourrait être comparé à un ptéranodon.

Vomir : argot aéronautique. Action de s’écraser avec un aéronef et d’éparpiller des pièces à tout-va.

Wakarimashita : traduction littérale de « compris ».

Yankee : base lunaire de la Fédération eurasienne.

Quelques dates importantes pour se situer :

2036, l’expansion humaine prend son envol dans l’espace. Une base lunaire permanente et une ébauche de base sur Mars sont créées.

2046, la Russie se renferme et reste discrète sur ses activités. Elle tire ses ressources du marché international avec sa technologie qu’elle vend sans scrupules au plus offrant.

2047, une guerre civile sans précédent éclate en Chine. Le pays disparaît pratiquement de la scène internationale.

2048, la station orbitale solaire « SEVA » est déclarée perdue corps et biens.

2049, l’Amérique, au bord de la faillite, vend en grande pompe sa base lunaire à la Fédération eurasienne.

2050, une guerre froide se met en place entre la Fédération eurasienne et les États-Unis d’Amérique. La Russie, nouvellement proclamée neutre, reste en retrait et tire son épingle du jeu avec ses technologies avancées.

2051, mise en chantier de « PARIS » en orbite lunaire, puis quatre ans plus tard, dépose de la station sur son orbite solaire de destination.

2054, les États-Unis d’Amérique annexent le Mexique, le Guatemala et le Honduras. Or, nickel, argent et cuivre viennent grossir les stocks de matériaux stratégiques.

2057, la présidente Becker redresse l’Amérique d’une main de fer. Pillage et émeutes sont solutionnés avec la loi martiale de 57’. Les experts internationaux sont unanimes, leur rapide remontée en puissance n’a pu se faire sans une aide extérieure conséquente.

2061, l’histoire débute.

« On ne naît pas avec le courage...Il arrive au fur et à mesure des obstacles. »

–Yuna Asada, 2061.

CHAPITRE 1 Un autretemps

YunaAsada

–Pan, tu es morte ! Je viens encore de te couper la tête ! Tu oublies tes gardes, jeune écervelée,neh ?

–Grand-maman, c’est Bouddha, il me faitpeur.

–Mais non, si on l’a fait aussi grand, c’est pour rassurer, pas pour te faire peur. Allez, on recommence, mets-toi en garde ! Je vais t’attaquer et tu dois te protéger, ensuite tu enchaînes ton kata comme tu as appris.

Kamakura Japon, l’imposant bouddha de quinze mètres, servait de décor à l’entraînement matinal du maître et de son élève. Prenant de l’ampleur, le jour exhibait déjà fièrement son soleil, à une température dépassant les 30 °C et rendait l’exercice pénible. Accompagnant l’astre, la traditionnelle moiteur d’août ajoutait à la scène son atmosphère lourde et palpable.

Taeko arborait sa traditionnelle tenue de kobudo rose à fleurs blanches et son hakama bleu foncé. Yuna, quant à elle, portait un ensemble de soie, fièrement armée de ses 9 ans et d’un bâton d’entraînement de quatre-vingts centimètres.

Le parterre de marbre rayonnait encore la chaleur de la veille, apportant un quelque chose de mythique à l’endroit avec sa couleur gris foncé et sa texture imparfaite. Entouré par sa forêt de bambous, le bouddha posé dans une enceinte d’un autre temps était bercé par le chant des grillons, symbole de l’été en cours. C’était aussi la musique annonciatrice des touristes pour les échoppes encore closes, bordant les extrémités du lieu de prière. Le genre d’aubaines qui dérangeait bien sûr la population locale.

–Bien, nous allons gentiment devoir partir, car les premiers visiteurs ne vont pas tarder à arriver et le garde va avoir des problèmes.

–Grand-maman, pourquoi Bouddha est aussi gros ?

–Parce que Bouddha, avant d’être Bouddha, s’appelait Siddhārta et cherchait le bonheur. Au début il était tout maigre, ne possédait rien du tout et n’était pas heureux, alors il a cru que c’était mieux d’être gros et riche et cela n’a pas été mieux. C’est en entendant de la musique qu’il comprit que la vie était une balance. Si la corde de l’instrument est trop tendue, la musique ne sera pas belle et si elle n’est pas assez tendue, la musique ne sera pas belle non plus. C’est là que Siddhârta réalisa que sa voie était dans l’équilibre et pas dans les extrêmes, c’est son enseignement.

–C’est un peu compliqué, Grand-maman Taeko.

–Mais non, tu comprendras bientôt, Yunachan.

*****

Couchée sur son lit, admirative devant le spectacle solaire dantesque, Yuna était perdue dans ses pensées. Dominance de jaune virant à un rouge intenable devant sa baie vitrée personnelle, elle admirait le ballet infini. Elle tendit son bras prolongé de la télécommande et activa le réglage d’intensité : 2 points de moins. C’était trop pénible pendant ces périodes de forte activité. Menu suivant : ventilation, le bip classique disant « je suis déjà au maximum » comme toujours. C’était la raison pour laquelle personne ne voulait d’une chambre où l’on respire simal.

Trente-sept ans, et sa petite taille de 1,58 m avec 46 kg, donc consommant peu d’oxygène, lui avaient donné le droit d’occuper la plus grande chambre de la station. C’était aussi la plus mal ventilée : un grand mâle baraqué travaillant aux serres s’y serait senti mal en moins de dix minutes. Être petit a ses avantages, neh ? Encore quatre heures avant de reprendre le service et maintenant que tout était passé sous contrôle militaire, l’obligation d’être ponctuelle et surtout dépourvue d’initiative ne la motivait guère.

Bon, juste le temps de se reposer pour être en forme, mais pas avec la vessie dans cet état, se dit-elle. Paresseusement, Yuna sortit les pieds de sa couette et toucha avec appréhension le sol. Le premier contact fut une morsure de froid. Le second lui permit de localiser ses pantoufles et de se lever sans effort. Sa chambre légèrement arrondie mesurait plus de six mètres sur trois avec un encombrement de caisses et autres affaires diverses qui venaient troubler son intimité. C’était en général « juste pour rendre service » et aussi « pour quelques jours » que l’invasion commençait. Les microscopiques toilettes-douches étaient droit devant, entre son lit et le labyrinthe d’objets entreposés, potentiellement dangereux... Surtout avec les yeux collés !

Yuna actionna la lumière tamisée avec sa télécommande et se dirigea vers le petit local en suivant son chemin de pèlerin pour s’asseoir sur une cuvette en inox, froide également. Dans un soupir, son esprit vagabonda vers son vrai chez-soi : sa maison de Kamakura et ses luxueuses latrines japonaises chauffées.

Elle se mit à cogiter plusieurs minutes dans un état semi-comateux. Elle esquissa un sourire en repensant à la façon dont elle avait dû se battre avec le système vocal de sa chambre, elle qui avait l’habitude de parler en dormant. Bon nombre de fois, Yuna trouvait télé, lumière, chauffage et intercom activés au petit matin et sentait son intimité compromise.

Se relevant, elle verrouilla la cuvette avec son couvercle de sécurité étanche et activa la chasse d’eau. Un témoin vert s’alluma sur la matrice murale avec un « smiley » et le niveau monta de deux traits dans le système de production d’oxygène, poussif comme toujours, mais simplement vital.

Retour sous le duvet encore chaud, pour repartir dans ses pensées avec un agréable retour au sommeil. Sa mère toujours fidèle à son poste et son père disparu pendant la guerre. Sa maison, havre de paix et aussi sa grand-mère Taeko avec ses recettes à l’ail du jardin. Puis aussi Nao son chat, qui a dû l’oublier maintenant et prendre de l’âge. Une existence paisible et réconfortante de bons moments, à laquelle se raccrocher dans cet espace infini. Tout ceci lui sembla si perdu, loin...

Akram Abou Suleiman

–Hep, Steve, besoin d’aide ! File-moi une clé de 8 et un tournevis de 5, demanda Akram d’une voix lasse.

Aucune réponse.

–Steve, j’ai besoin d’outils et je suis mal placé, khara ?

–Attends, mec ! T’as vu la playmate de mars ? Fiouou ! Elle a de ces jambes, celle-là. Ouais, je lui ferais bien une petite visite à cette « Miss Mars ».

–Khara, si je descends, tu vas l’avaler ton magazine !

–Euuh oui, Akram, j’te les amène, ne te fâchepas.

Perché sur son échelle et le buste contorsionné dans l’accès technique du plafond, Akram tendait sa main gauche, attendant le contact métallique des outils demandés. En y pensant, ce job était presque de la prestidigitation : vérifier des serrages sans voir les composants, au fin fond d’une navette spatiale, tient du vrai miracle.

–Quel est l’ingénieur lumineux qui m’a conçu cette merde, un Français sans aucun doute, shoo ?

–J’te rappelle que t’es Français,A.K.

–Ouais, il y a des jours où j’ai des regrets, khara ! dit-il en grommelant.

Un mal de dos et un liquide visqueux commençant à lui couler dans la main le refirent jurer.

–Plus de doute, ils devraient aiguiser les tôles directement en usine, comme ça, on se blesserait systématiquement à chaque maintenance, reprit l’Arabe.

–Courage, plus que trois caissons à vérifier avant ce soir, si on veut tenir le planning. Le coucou doit absolument partir après-demain et c’est toi le boss qui l’as promis.

Akram Abou, 52 ans, ingénieur en structure d’origine libanaise, peau bronzée, presque le mètre quatre-vingt-dix, solidement charpenté, était sous pression ces temps-ci et essayait de cacher ses soucis de couple dans un travail sans fin. Accumulant remplacements et heures supplémentaires, son état ne cessait de se détériorer et il s’en rendait compte. Steve l’aida à repositionner ses pieds sur l’échelle et à redescendre dans la cabine.

–Bon, tu me la montres cette Miss Mars ? OK, on file manger, tu sais ce qu’il y a au menu ?

–Ouais, boulettes de porc et salade.

–Là, je vais faire un attentat ! Je t’invite en ville ?

–En ville, il fait 42 °C aujourd’hui, et la climatisation de ta voiture pourrie fonctionne une fois sur deux !

–Bon, ben j’y filerai tout seul, les bons petits plats seront pourmoi !

Akram se dirigea dans le boyau encombré servant de sas, se contorsionna dans l’ouverture et sortit par l’écoutille de secours à même le flanc de la navette. Trois mètres d’échelle plus bas, le Libanais fit quelques exercices d’étirement pour se décoincer le dos et fila se laver les mains au vestiaire. Enfin le dîner, se dit-il, de concert avec son ventre qui émettait des gargouillis. Ouvrant énergiquement son casier à habits, une photo s’arracha en tournoyant jusqu’au sol, tombant face à lui. Il hésita un instant avant de la ramasser, puis tranquillement la recolla près du miroir avec un soin particulier.

Prise il y a une dizaine d’années avec son fils Allan lors d’un trek, ils avaient fait le tour des trois plus hautes montagnes du massif du Hoggar et posaient fièrement devant la petite pyramide métallique, qui y marquait le point culminant. Une longue aventure mal organisée d’une semaine, avec de la nourriture locale douteuse qui avait plutôt un rôle laxatif que protéinique. Un véritable plaisir dans ce trou perdu sanseau.

Le Hoggar était un endroit aride à souhait, des cailloux rouges et de la terre violette à perte de vue, avec des sentiers plus ou moins dangereux serpentant sur des centaines de kilomètres. Quelques ermites avaient trouvé le moyen et le courage d’y survivre dans des conditions moyenâgeuses avec de grossières cabanes en pierres et une hospitalité hors du commun, quelques bakchichs aidant. Il y avait deux traditions locales : admirer le lever du soleil sur le massif à 5 h et laisser une plaquette de vœux en bois fixée sur la pyramide, gravée sur place au nom des protagonistes.

Ses yeux se remplissant de larmes, Akram baissa le regard. Son fils lui manquait terriblement et toutes ces années sans lui étaient comme un sac de sable sur ses épaules, une existence sans but. Il passa les portiques de sécurité, puis les contrôles secondaires, se dirigea vers le poste de garde final attenant au parking et descendit ses lunettes de soleil sur son nez proéminent.

–‘lut,Sam.

–Dure journée, Akram ? Tes mains en place, s’il te plaît.

–Tout va bien, comme d’habitude, merci.

–Tu as une empreinte non valable sur la main droite !

–Shoo ? Accident du travail, cher ami, et je t’ai mis du sang sur ta belle machine enplus.

–Tout est OK ! Le scan est positif, tu peux donc y aller. Bon appétit et prends soin detoi.

La fournaise du parking sortit Akram de ses pensées. La chaleur insoutenable additionnée d’un léger vent de sable lui piquait son visage buriné. La porte de sa vieille Citroën s’ouvrit devant lui et l’IA intégrée lui annonça : propulsion active dans dix secondes, grille de la pile à 61 %, autonomie 193 km, climatisation défectueuse. Akram s’installa à son bord dans un état hagard, frappa la console centrale par deux fois et l’électronique corrigea : grille de la pile à 98 %, autonomie 378 km, climatisation active et température en baisse.

Tani yaAsada

Nerveuse et en retard, Tani ya cherchait son trousseau de clés. La tête remplie de son surplus de responsabilités faisait passer l’instant présent au niveau secondaire. Tani ya ferma la porte avec précipitation et jeta un rapide coup d’œil aux alentours dans l’espoir de ne pas y avoir enfermé son chat. Dans le doute, elle rouvrit et vérifia une seconde fois distraitement la présence du félin.

–Bonjour, Taeko, déjà en train de jardiner ? As-tu vu Nao ce matin ?

–Uh mh ! Mitenaï.

Comme tous les jours, l’imposante berline gouvernementale avec chauffeur l’attendait précisément devant l’entrée de sa propriété. Son gorille habillé de noir, en train de se dépêtrer d’une passante trop collante, lui faisait remarquer son agacement d’un geste sobre. Il enfourna sa précieuse passagère et claqua la lourde porte blindée du véhicule.

Démarrage sans bruit, aucune secousse, sécurités et contre-mesures activées en direction du centre-ville. Quarante minutes de trajet au confort trop souple de ce véhicule lui donnaient la nausée. Confortablement assise Tani ya lâcha prise un instant, voyant défiler le paysage au travers de l’épaisse vitre. Dirigeant ses pensées vers sa fille, son pouls s’accéléra en produisant une douleur insistante au niveau de sa poitrine. Ses soucis et la responsabilité dans les opérations étaient en train d’avoir raison de sa santé. Problème potentiellement gênant en raison de sa position professionnelle.

La rupture de communication du mois passé et la pléthore de problèmes apparus récemment lui donnaient la sensation que la grande roue de l’échiquier mondial était en train de tourner en défaveur de la Fédération.

Tani ya connaissait parfaitement Paris et son niveau de sécurité. Un sous-marin nucléaire, en cas de problème, pouvait mettre son réacteur en alarme, ou faire surface en larguant son lest et purgeant ses ballasts, mais pas Paris : il n’y avait simplement pas de plan « B ». Tout se terminerait en un petit flash que personne n’apercevrait et c’est exactement ce que voulait l’ennemi. Pour cette raison, la station était conçue de manière modulaire et autonome, et chaque système important avait été triplé. Le problème était plutôt ailleurs : l’approvisionnement en carburant nucléaire, dont la station était gourmande, constituait le point faible, et c’est là que l’ennemi frapperait, elle en était sûre.

–Tout ceci avec ma fille. Bouddha, pourras-tu me pardonner un jour d’y avoir envoyé Yuna ?

Tani ya essuya ses yeux et prit sa tablette sécurisée. Elle activa le scan rétinien et relut le message de la dernière transmission reçue par tir laser.

« Red.Com##127#sadaYuna//chè###aman,bo#nesanté,réa##urset#ouclie##stables,stationplein##entfonctionnelle,sup##sonstra#treàbord,rupt###defluxsuite##ratageYankee,##tendonsavecimpati##cenouv##otocole,besoi##rior##aireacc####va,manq##zetvo#saim#######nao//..TargetYank######CoALTsec741end »

Elle avait parcouru ce message une bonne dizaine de fois, pour en extrapoler les lettres manquantes. Les tirs laser de secours étaient imprécis et sujets aux interférences de la forte activité solaire actuelle. Leurs seuls avantages étant la sécurité absolue de transmission, dus à la courte durée de tir et l’obligation d’être dans l’axe de la cible.

Par erreur, Tani ya glissa son doigt une fois de trop sur l’écran souple de sa tablette et celle-ci lui présenta le schéma de la station orbitale en reconstruction filaire, expliquant ses caractéristiques et tout ce qui ne l’intéressait pas, ceci malgré plusieurs clics d’annulation. Le laïus complet d’un ordinateur bloqué dans sa tâche : « Paris, grosse demi-sphère, utilisant sa partie convexe comme bouclier aux radiations solaires, dédiant sa surface plane à la vie des humains dans deux carrousels coïncidant de tailles différentes, tournant pour générer la pesanteur nécessaire aux séjours de longue durée. » Exaspérée par ce progrès informatique, elle leva les yeux au ciel. Négligemment elle roula l’objet à la façon d’une crêpe et le fourra dans sonsac.

Tani ya travaillait depuis quinze ans chez « Japan Data Uplink System » et sa position lui mettait un poids énorme sur les épaules. La totalité des communications interplanétaires découlait de sa responsabilité, avec carte blanche sur les décisions à prendre pour assurer la continuité du service. La guerre froide persistante semblait simplement éternelle, jour après jour, avec les mêmes procédures harassantes. Une sorte de fuite en avant inéluctable à toujours anticiper les nouvelles mesures au détriment de sa propre santé. Cette usure, l’État japonais s’en était rendu compte et facilitait la vie de la petite femme en civil, lui laissant un maximum de liberté avec sa maison isolée au demeurant aisée à surveiller.

Arrivant à destination, la berline ralentit devant un immeuble délabré, parfaitement noyé dans le paysage tokyoïte surchargé et ses publicités aguichantes. Oxydé et en piteux état d’apparence, le siège de la JDUS cachait une installation militaire de premier ordre.

Tani ya était un officier avant tout et allait prendre son service dans un bunker souterrain où les normes de sécurité n’avaient rien à envier à la Maison-Blanche. La berline pénétra dans le garage souterrain qui se verrouilla avec une porte doublée de titane dans un bruit sourd. Habilement cachés de l’extérieur, l’épaisseur des murs de la société était de plus d’un mètre cinquante, en béton armé aux normes militaires, assurant une quasi-invulnérabilité au centre de transmission. La porte intérieure sphérique du sas antinucléaire se ferma à son tour sur le véhicule dans un chuintement qui malmena ses oreilles. Un comité d’accueil, formé de trois militaires armés et d’un assistant, réceptionna la femme en retard.

–Bonjour et bienvenue, Madame Asada. Nous sommes attendus en salle de briefing immédiatement.

–Merci, Aoki, le hardware est-il prêt pour la mise en place à distance du nouveau protocole des antennes-relais ?

–Oui et non ! On a des latences sur le satellite « Fukaï Utchiu » en orbite lunaire, vous savez ce que cela veutdire.

–Notre satellite s’est fait pirater, neh ? Nous perdons nos moyens de communication avec Paris.

Bob Mieville

Serrer les dents, 180 secondes, ça passe vite, lui avait rappelé l’ingénieur de vol avant la mise à feu. Merde ! qu’est-ce que ça pousse fort, je ne me le rappelais pas. Turbopompes à 160 bars, contrôle d’attitude sur « auto », vibrations cellule à 20 Hz, à 15 on risque de s’éparpiller.

–Je maudis ces « Kiev » et leurs concepteurs russes qui n’ont jamais terminé leur mise au point. Pour eux, quatre lancements réussis sur cinq représentent un plein succès. Sauf si on est sur le cinquième.

–Bob, au lieu de marmonner, vérifie la pression cellule, le capteur part dans les extrêmes et je n’ai pas envie d’éclater comme une baudruche.

–Oui, l’acquisition est en concordance, les capteurs ne peuvent se tromper, le régulateur ne fait pas son travail. Ferme ta visière et vérifie ta combi, je passe en manuel et décompresse la navette.

–Super, deux jours en combi sans pouvoir pisser, cela me manquait ces conneries.

–Calme-toi, Nils, je vais bien trouver la panne (il se retint de dire : comme d’habitude) et au pire, on a assez d’air en stock pour une pressurisation.

–Oui, mais sans faire tout péter ce coup-ci.

Coup d’œil complice, signe d’une longue amitié. Bob et Nilson avaient partagé la même école de pilotage, les mêmes « coucous » d’entraînement pourris et surtout la même chance d’être encore de ce monde.

–Bon, je te rappelle que l’incendie de la dernière navette n’était pas de ma faute. C’est ce qu’a dit l’enquête,non ?

–OK, OK ! Sauf qu’ils ont dû nous sortir à l’ouvre-boîte, vu que tout ce qui était électrique était occupé à brûler et que tu as posé leur navette flambant neuf sur le ventre. Forcément ça fâche un peu,non ?

–Technologie soviétique, camarade (accent russe).

–Je largue les « boosters » qui sont vides, dans dix secondes.

–Correct, j’ai encore 120 bars dans les turbos et tout est dans le vert, on est partis pour la Lune, mon ami !

Bob terminait ses vacances et rempilait pour un nouveau « tour opération » de huit mois sur Yankee. La station n’était pas vraiment un paradis pour le travail, mais les problèmes semblaient plus éloignés, et le risque de sabotage plus faible. Surtout, il se sentait plus proche de sa Yuna et pouvait la voir directement, sans les maudites censures terrestres.

Deux ans bientôt, deux ans sans elle et le souhait de tout remuer dans cette galaxie pour la retrouver grandissait chaque jour. D’instinct, il tourna le regard sur la petite photo fétiche collée près de l’altimètre, en guise de porte-bonheur : Yuna posant devant « son » bouddha de Kamakura.

Pilote de métier sur Terre, Bob s’était porté volontaire comme concierge de l’espace sur Yankee et copilote de réserve sur les navettes de la « classe Kiev ». Véhicule à la fiabilité très aléatoire et facilement réparable, vu l’inépuisable stock de pièces détachées dû à sa pérennité.

–On a la vitesse de libération, à nous les sirènes de l’espace profond et autres aventures à raconter aux minettes de Yankee ! dit Nilson avec engouement.

–Les propulseurs principaux vont s’éteindre. Avant d’aborder tes minettes, je te propose une bonne douche, deux jours de scaphandre, tu sais !

–Toulouse vient de nous donner le feuvert.

–OK, je corrige notre trajectoire, la pile est en préchauffe et j’espère qu’elle ne prendra pas feu cettefois.

–Bob, à toi l’honneur pour l’allumage du propulseur ionique.

Aucun bruit, vibration ou gaspillage de carburant. C’était l’avantage de ce genre de propulseurs, mais la poussée restait modeste. Comparaison faite avec les navires d’un millénaire plus jeune, nous sortions les voiles de notre « trois-mâts » stellaire.

–Nils, je te propose de gagner trois heures sur notre trajet lunaire, es-tu intéressé ?

–Oh oui, je suis preneur ! J’ai déjà envie de filer aux toilettes.

–On a le plein de peroxyde d’hydrogène, je te propose d’accélérer avec les correcteurs d’attitude arrière. Personne n’en saura rien et on corrigera à la mise en orbite ?

–OK, mais la procédure interdit cette façon de faire et ce matériel n’a pas été conçu pour cela,et...

–Vraiment, tu sais moi le bla-bla !

Bob était particulièrement apprécié par ses amis pour son sens humain, mais surtout ses compétences qui faisaient de lui « l’homme à tout faire ». Si on lui donnait un ordre et que la réponse n’arrivait pas immédiatement par un « OUI » bien clair, c’est qu’il mijotait quelque chose à sa façon. De carrure standard avec son mètre quatre-vingt, il avait roulé sa bosse un peu partout avant le « grand éclatement » pour échouer finalement sur Yankee. Bob était une personne respectée, mais revers de médaille, son caractère de tête brûlée lui avait mainte fois causé des ennuis.

–Toulouse nous confirme : un seul booster vient de regagner le pas de tir, l’autre a été détruit.

–Une surprise de nos mangeurs de hamburgers ?

–Hemmm, probablement ! Cela arrive maintenant. Il s’agirait de tirs laser depuis une station orbitale furtive. D’ailleurs la provenance exacte n’est pas connue pour l’instant.

–Oh ! On a eu chaud aux fesses ?

–Non, je ne crois pas, c’est plutôt pour nous rappeler qu’ils sont toujours là. Ils n’ont plus les moyens de mettre quoi que ce soit en orbite, alors je pencherais plutôt du côté d’une guerre d’usure, la revanche de l’Oncle Sam version2.0.

–Ouais, c’est peut-être aussi une nouvelle séquence de test pour estimer la précision de leur nouvelle arme ? Mais dans ce cas, ils risquent de sacrifier leur précieux satellite tout neuf ?

–Possible, ou ils l’auront déjà déplacé. Il est certainement protégé par la furtivité de son générateur adaptatif. J’ai vu des émissions assez bluffantes sur le sujet, avec des bidules qui changeaient de forme pour exposer toujours la partie la plus discrète à l’ennemi.

KimEun

Elle marchait de manière disgracieuse sur « Gomon Dori » street. Il est vrai qu’avec son accoutrement de prostituée, elle n’était pas vraiment à sa place dans ce quartier au demeurant plutôt aisé. Se tordant le pied gauche avec la maladresse d’un canard, elle se dit que si elle continuait à exagérer son comportement, elle finirait par vraiment se faire du mal.

Depuis son arrivée sur site, neuf jours s’étaient écoulés en un clin d’œil. Avec professionnalisme, l’espionne s’était mise au travail, étape après étape, et s’impliquait de tout son possible, car cette ultime mission clôturerait son service actif en territoire ennemi. Fonctionnant en second régime par le manque de récupération devenu chronique ces derniers temps, elle se sentait à fleur de peau et compensait par son entraînement d’espionne, interdisant tout relâchement la mettant sur une pente dangereuse.

Kim avait ainsi passé ses six premiers jours à l’inspection des habitudes journalières et nocturnes du domicile des Asada, ceci à distance confortable. Une tâche facilitée par l’affluence des véhicules automatisés habituels, pare-chocs contre pare-chocs, comme à l’accoutumée dans Tokyo. La phase « active » débutée il y a deux jours, ceci en changeant soigneusement d’apparence à chaque visite, lui avait permis d’avancer. Tantôt en agent d’assurance, tantôt technicienne releveuse de compteurs électriques, puis finalement en vendeuse de produits de beauté hors de prix. Elle avait appris en outreque :

–Aucun système d’alarme n’était présent sur le site. Qu’un gouvernement soit aussi naïf relevait de la science-fiction.

–Une grand-mère pratiquait des arts martiaux de bonne heure le matin avec un bâton et passait le reste de sa journée à jardiner. Elle semblait en bon état malgré son âge et logeait dans une misérable cabane à fond de jardin. Il ne serait pas difficile de la neutraliser en cas de problème.

–La femme de ménage, de nature bavarde, s’occupait aussi de la grand-maman et quittait les lieux tous les jours vers17 h.

–Sa cible arrivait de son travail entre 21 h et 22 h avec une grosse berline noire, conduite par un gorille peu engageant.

–La baie vitrée donnant sur le jardin ne fermait pas correctement ! Faille découverte lors du contrôle du compteur électrique.

Kim se permit le luxe de laisser dériver ses pensées vers sa fille de 4 ans restée au pays et visualisa mentalement son visage d’ange apaisant. Elle perçut même les battements de son petit cœur et... fer rouge, réalité, sa cible là, à 20 mètres, droit devant.

Elle croisa la grosse berline noire à 19 h, juste au moment où le chauffeur ouvrait la porte devant sa cible. Une aubaine pour la caméra intégrée de ses lunettes et une fraction de seconde plus tard, elle prit la décision de se griller en accostant maladroitement le chauffeur.

–Bonjour, mon chou, le 147, savez où c’est ?

–Reculez, s’il vous plaît, Madame ! Ceci est un endroit privé.

Kim fit tomber son sac à main avec un petit cri d’étonnement et le contenu s’éparpilla généreusement sur le trottoir : tactique datant de la nuit des temps, qui marchait à tous les coups ! Le gorille se baissa en grommelant et commença à ramasser le fourbi. Évidemment, elle ne le suivit qu’une demi-seconde plus tard, ce qui lui permit d’apprendreque :

–La voiture était blindée comme un tank. Ses vitres avaient pratiquement cinq centimètres d’épaisseur.

–Elle possédait certainement un système de défense, vu l’électronique embarquée.

–Le chauffeur était armé et portait une armure corporelle qui dépassait entre son costard et le pantalon. Chauffeur impossible à dérider, même en lui posant une petite culotte sur lenez.

Elle se releva aussi plus rapidement et lança par la fenêtre ouverte un microtraqueur, priant que celui-ci ne se positionne pas sur le siège. Kim se fondit en excuses et embrassa le chauffeur sur la joue droite avec une belle trace rouge, puis s’éclipsa en s’excusant une seconde fois devant une toute petite dame à la démarche nerveuse, visiblement préoccupée. Bien sûr que sa manière d’agir était suicidaire, mais elle avait acquis des certitudes sur sa cible que son employeur ne manquerait pas d’utiliser.

Après avoir changé trois fois de métro et pris deux taxis, elle arriva enfin dans son hôtel de banlieue, miteux à souhait. Retirant ses habits, elle s’affala sur le lit avec son téléphone-terminal sécurisé. Kim se sentait lasse et sale en cette fin de matinée. Elle transmit son rapport à la « Defense Intelligence Agency », ainsi que son film en hyperdéfinition et attendit la confirmation de réception du satellite. Pour terminer son travail, elle replia la mini-antenne posée à bord de fenêtre dans sa protection étanche et plaça le tout profondément dans la cuvette des toilettes, un vrai plaisir vu l’état de l’engin. Kim prit beaucoup de soin, pour que la petite corde d’extraction reste bien invisible dans les faux excréments.

L’espionne se détendit enfin sous une douche rouillée au carrelage datant d’un autre siècle, cherchant le visage de sa petite Sunny-Ann, restée tout au fond de son esprit. Se couchant avec le poids de son fardeau, elle sombra dans un sommeil accompagné d’averse tropicale.

Jacques DeBon

Couché négligemment sur son canapé, il regardait le mur-écran de ses gros yeux globuleux, la bouche légèrement entrouverte. Son tee-shirt trop court laissait dépasser l’énorme poitrine, qui pendait malgré la faible gravité. La ressemblance avec un ballon de baudruche rempli d’eau et cédant à un point précis n’était pas à exclure, le tout orné de quelques miettes de nourriture peu ragoûtante.

Jacques s’adonnait à son passe-temps favori, soit profiter de son abonnement illimité à INTERSTELLAR PORN et ça, il le faisait bien. Comble de bonheur, il lui restait 397 répertoires à noter et bien sûr à télécharger pour sa collection fétichiste personnelle, au cas où les liaisons seraient à nouveau interrompues.

–Wou-hou, une belle soirée en perspective !

Les femmes maigres n’intéressaient pas Jacques, c’était un homme à femmes rondes et si un vice particulier apparaissait, rendant les poses plus excitantes, il les stockait à la façon d’un pirate avec son trésor. Évidemment, il avait essayé d’autres rubriques : sado-maso, gay, bondage, etc. Mais il revenait chaque fois à « ses » fétichistes, c’était dans ses gènes et ça le chauffait méchamment.

Répertoire suivant : Indiennes timides avec 2 757 photos en pleine résolution ! Il aimait bien les Indiennes avec tout leur barda de bijoux au nez et les tatouages traditionnels sur les mains et les bras.

–Ding-Ding-Ding !

–Merde, qu’est-ce que c’est que ce bordel, plus moyen d’être tranquille, ronchonna-t-il.

–Ding-Ding-Ding !

La plainte de son micro-ondes, voulant rejeter son flot de protéines préfabriquées et dégelées de force appelées pizza, le haranguait avec insistance. Il se déplaça et ouvrit la porte avec une délicatesse toute particulière, s’emparant de son butin dégoulinant de fromage américain, à la façon d’un lion sur sa proie, attendant sa ripaille. Finalement, main droite armée d’un flacon de crème hydrogénée sous pression, il épancha le contenu d’un trait en s’appliquant, langue dehors.

Le festin prêt à être absorbé, Jacques regagna son canapé, la crème excédentaire lui filant entre les doigts, et s’installa maladroitement. Mastiquant bruyamment son repas, il sélectionna une photo particulière avec sa souris maculée et sentit une érection se confirmer. Oui, cette femme lui plaisait, c’était vraiment elle, l’élue ! Il cliqua nerveusement sur le lien interactif que sa session gold autorisait : please, contact me, you are welcome, initiait un petit icône clignotant.

Réponse immédiate avec l’ouverture d’une nouvelle fenêtre et sa proie nommée Imadhi apparut. Puis se réorganisant, les pixels dévoilèrent une femme à la poitrine démesurée, commençant à se tortiller devant ses yeux ébahis. Elle lui proposa une invitation dans sa langue native qui l’intimida.

–Une dominatrice, c’est sûr. C’est tellement rare d’en trouver ! Avec précipitation, Jacques la sauvegarda dans ses favoris XXL pour la retrouver au cas où.

Ce n’était pas vraiment ce qu’elle lui avait dit, mais plutôt le ton, et oh oui, le mouvement de ses grosses lèvres qui lui avait fait de l’effet. Son corps brillant d’huile de massage continuait à se contorsionner sur son mur-écran, avec des postures suggestives à l’infini.

L’intercom de porte s’activa dans une sonnerie stridente sur sa gauche et Jacques sursauta de ses 125 kg à la façon d’un électrochoc. Douche glaciale, le visage de son second se matérialisa sur le petit écran, terminant une phrase dont le début était inaudible.

Merde, pourvu que... ouf ! Il n’avait pas oublié le sticker sur la caméra de l’intercom.

–Commandant, ici le centre de commande, répéta-t-il, votre présence est requise rapidement.

–De quoi s’agit-il ? Je suis très occupé en ce moment, vous savez ce que c’est la paperasse !

–On a perdu la télémétrie sur l’Aldébaran à mi-distance Terre-Lune. De même pour ce qui est radar ou imagerie infrarouge.

–Quels sont les pilotes en charge de la navette ?

–Nilson et Mc Gyver, pardon Mieville.

–Ouais ouais, bon, j’arrive !

Jacques De Bon, 52 ans, fin de carrière, usé mais apprécié par ses proches, rempilait éternellement à ce poste dont personne ne voulait. Il n’arrivait pas à se faire respecter, mais ça, il s’en foutait complètement du moment qu’il avait « ses » filles et assez à manger. Il se détachait particulièrement des autres soucis de la vie et était encore persuadé que personne ne se doutait de son vice pour le porno. Jacques, habituellement, prenait une mine étonnée lorsque des allusions étaient faites par ses proches concernant ce sujet.

Égoïste, son attitude lui avait valu une multitude de surnoms aussi peu glorieux les uns que les autres, le suivant comme des mouches. Jadis, il avait commandé une école de pilotage sur Terre, spécialisée dans l’attaque chirurgicale de cibles et fut un excellent pilote en son temps, trente-cinq kilos de moins. Le coup de grâce de sa carrière fut un débriefing devant un gratin d’officiels avec un stick E-USB de films pornos et les films officiels effacés bien sûr. Sans aucun doute, le plus long moment de sa vie.

On lui avait proposé cette voie de garage sur la Lune, pour lui éviter le déshonneur d’une dégradation et pour ses supérieurs surtout, d’attribuer le commandement d’une place dont personne ne voulait dans un coin aussi reculé.

Kurt Steinman

Droit comme un « I » sur sa passerelle, museau levé et fier de son visage anguleux caricatural, Kurt aimait arborer son expression habituelle. C’était aussi sa façon de faire comprendre le poids de sa charge : un commandement risqué dans un endroit extrêmement dangereux.

Regardant les écrans panoramiques face à lui, il plissait les yeux, les rétines imprégnées du surplus de lumière produite par les éruptions solaires récurrentes de ces derniers mois, source de bien des soucis. Tout autour de lui, le poste de commandement de Paris était un exemple d’efficacité et de simplicité.

Six techniciens derrière leurs consoles de commandes l’entouraient en fer à cheval, gérant l’ensemble de la station expérimentale. Intégrées dans le sol de la station, à la façon de nids de volatiles, chaque poste possédait sa propre attribution : navigation, vie, nourriture, laboratoire, bouclier et surveillance spatiale. Ce système avait la particularité de libérer la totalité du plafond, pour y intégrer une matrice à 180° multitâche. Les parties non utilisées servaient simplement d’éclairage pour l’endroit le plus important de la station.

Kurt avait pour habitude de donner des ordres directs et cassants, chose qui posait passablement de problèmes sur Paris, car la station était avant tout un laboratoire civil et non militaire. Cela, les 305 habitants de la station ne se gênaient pas de le lui rappeler. Trois cent cinq civils et douze troufions ! Situation précaire dans cet endroit aussi reculé et hostile.

Le PC de commandement, se situant sur la partie médiane du carrousel avec le secteur habitation, mettait le personnel en agréable situation de gravité réduite. De fait, l’anneau extérieur se trouvant pratiquement en situation terrestre abritait serres et labos, directement protégés par l’imposant bouclier de céramique. Paris ressemblait plus à une orange coupée en deux qu’à un laboratoire spatial conventionnel.

Kurt avait appris son surnom « Cap’tain Kirk » après l’alerte de dépressurisation de la serre tropicale le mois précédent. Fabriquée en titane et céramique, Paris était pratiquement indestructible, mais lorsque des soudures mal effectuées se rompent, tout n’est alors que question de chance, surtout dans l’espace.

Chance il y avait eu, avec un commandant arrivant hors d’haleine sur la passerelle en pleine nuit, son vieux « tweed » grenat façon « Star Trek » sur les épaules, provoquant un fou rire une fois l’alerte passée. C’est aussi à ce moment qu’il avait compris son erreur de diriger la station d’une main de fer et avait décidé de lâcher du lest. L’idée : créer un gouvernement interne, une entité démocratique qui serait efficace et surtout équilibrée. Il voulait anticiper l’escalade qu’il avait connue lors de ses commandements précédents, craignant les règlements de compte, les erreurs inexplicables ou disparitions dans des sas de décompression. Cela était arrivé de nombreuses fois sur Yankee et bien d’autres stations.

En ces lieux, la méthode traditionnelle de régler un conflit était le « High Jump », comme le disaient les soldats en rigolant. Après, plus d’oxygène, de nourriture et de place étaient à disposition. Bref, la manière parfaite pour solutionner « un problème » en trente secondes chrono, juste le temps d’une vidange sas. Aussi, pourquoi utiliser le terme de meurtre pour ce genre de situations, quand aucun cadavre n’était jamais retrouvé ?

Oui, il allait le faire, mais par où commencer ? Il devait trouver un fil rouge, un point de départ. Lâcher une autorité, c’était risquer la mutinerie, le château de cartes qui s’effondre ! Donc il devait en créer une autre en parallèle, puis gentiment s’y intégrer. Son principal problème : je suis un militaire, j’ai mes ordres et j’ai été choisi pour mon obéissance.

D’un autre point de vue, ceux qui nous commandent se trouvent à des millions de kilomètres et on est sans nouvelles depuis des semaines. Mais eux, ils ne sont pas assis sur cinq réacteurs nucléaires avec presque 2 500 °C aux fesses, donc priorité : la sécurité et la survie, le reste, on verra plus tard.

Continuant à cogiter sur sa passerelle, Kurt prit sa décision : je vais créer un mini-gouvernement autonome, oui, c’est cela ! Et on commencera par des élections !

Akram Abou Suleiman

Dernière bouchée dans la puanteur de Sokodé. Il devait rejoindre Janet, qui se trouvait à 10 km de là, et ceci dans la demi-heure suivante, c’était simplement impossible ! À la température pénible s’ajoutaient les relents d’égout à proximité, rappelant que l’on était bien dans ce trou perdu n’existant sur aucune carte.

–Le romantisme subsaharien, toute une poésie !

Akram leva le bras pour commander un café avec l’addition, puis fondit dans des pensées plus sérieuses.

« Le Souk » était sans doute le deuxième meilleur restaurant de cette petite ville miséreuse d’Afrique de l’Ouest. Mis à part les odeurs incommodantes, leur brebis au grill était fameuse et c’était aussi et surtout la seule gargote de Sokodé qui ne lui filait pas la diarrhée. Il laissa une trentaine d’euros virtuels dans le « pay-table », termina son café et se leva. Dans l’étroit corridor menant à la rue, il croisa sa serveuse préférée.

–Mon joli, tu ne veux pas ton dessert ? J’ai une petite surprise pour toi aujourd’hui, lui chuchota-t-elle à l’oreille : je n’ai pas mis ma petite culotte.

–Merci, Yassee, mais je suis un peu stressé ces temps-ci, trop de travail, bredouilla-t-il, complètement pris au dépourvu.

–Raison de plus, mon joli. Ça te ferait du bien de lâcher un peu de pression, non ? J’ai ma pause bientôt et cela nous changerait les idées, reprit-elle avec un énorme sourire.

–T’es chou, une prochaine fois, OK ? Il lui rendit son sourire.

–Mon joli, tu me manques, tu sais. J’aimerais bien te voir plus souvent.

Akram quitta le bâtiment miteux et garda ces quelques mots en mémoire. Son amie et maitresse était une belle femme grande à souhaits, avec tout ce qu’il fallait exactement où il fallait. Lèvres africaines pulpeuses et visage engageant, elle transpirait une douceur de vivre particulière, ceci malgré la rude vie de ce trou perdu. Serrant les dents pour raisonner, il ne savait pas trop quoi faire des dernières paroles de Yassee. Mon porte-monnaie lui manque ou moi ? Bon, il est vrai qu’il ne lui donnait que des miettes et des petits cadeaux, mais cela l’avait déstabilisé : simplement, je lui manque ? Cette femme, cette créature me perdra !

Arrivant devant sa voiture, il poussa un juron arabe dont il avait le secret. Il ouvrit son coffre, sortit la roue de secours et la jeta à terre rageusement. Un gamin qui le regardait lui proposa de faire le travail à sa place pour cinq vrais euros, l’argent virtuel n’ayant pas cours dans la rue.

Prenant son téléphone, il appela la base de Janet pour prévenir de son contretemps, observant la réparation du coin de l’œil. Comme le veut la coutume en Afrique, des dizaines de paires d’yeux observaient le spectacle très banal. Pourtant cette scène avait quelque chose d’étrange, d’inhabituel. Akram se sentait suivi, contrôlé. Un certain malaise le gagnait.

Durant le trajet en conduite automatique, il repensait à la douce Yassee, son énorme bouche et sa chute de reins sublime... Je lui manque ! Et si elle disait vrai ? Le poste de garde à l’entrée de la base lui fit l’effet d’une douche froide : papiers, fouille, mains dans la machine, scan complet et miroirs sous la voiture.

–Sam, merde, je suis sorti il y a moins de deux heures ! Est-ce que j’ai la gueule d’un saboteur ?

–Les ordres, Akram, vraiment désolé !

Steve, déjà à bord de la navette, sortit la tête par l’écoutille de secours et harangua l’Arabe d’un sourire exagéré :

–J’ai failli attendre ! Alors t’as été visiter ta belle Amazone ?

–Ouais ouais, dis-moi plutôt où tu enes ?

–Les vérifications sur la structure sont terminées, on a fini de se salir les mains sur cette vieille guimbarde. J’ai aussi lancé les « auto-diagnos » et tout est dans le vert. Pour les autres petits bobos, ils ne clouent pas au sol la machine, donc il faudra attendre le retour de la navette.

–Super, merci ! Passe-moi le manifeste de suivi et regarde dans le planning à quelle heure les « Russkofs » viennent dépanner la porte-cargo. Je veux absolument savoir si c’est encore la structure qui a bougé ou simplement un problème de capteur.

–Ils ont appelé et ne viendront pas ! D’après ce que j’ai compris, il est question de factures impayées ou quelque chose commeça.

–Khara !!! Je ne signerai pas cette autorisation devol !

Cinq heures plus tard dans un fracas d’enfer, la navette avait scellé son destin et décollait à masse maximale avec sa cargaison humaine en direction de Yankee.

KimEun

Comme elle s’y attendait, la réponse ne se fit pas attendre. Elle reçut un lot de 27 photos de vacances, dont certaines incorporaient un fichier porteur avec son ordre de mission. Le thème du jour étant « kissaki », Kim glissa les six photos correspondant aux armes blanches dans le logiciel de décryptage et y entra sa phrase d’authentification. Son cœur se mit à accélérer en lisant le texte.

–Phase active débutera 24 juillet 20 h 20, avec accident de circulation au carrefour de Gomon Dori street.

–Arrivée sur site de l’accident de quatre agents à 22 h 21, dont deux pour gérer la circulation.

–L’activation de la mission sera de votre responsabilité sur canal 27 à 22 h 23. Ne vous impliquez pas, aucun contact.

–Pénétration groupe DELTA dans domicile à 22 h 25 et mise en place.

–Restez en position pour extraction. Fin de mission prévue avant 2 h. DELTA établira contact au préalable pour approbation -Fin de communication-

Kim décompressa, elle n’était pas impliquée. Son commandement la jugeait peut-être trop précieuse pour prendre le risque de la sacrifier dans une opération sur le terrain. Elle se dirigea vers son sac, prit trois cachets pour se calmer et se mit à regarder quelques photos de sa fille... Il me reste quatre heures à tuer, se dit-elle.

Faux papiers, émetteur et nouvelle tenue sport-chic, Kim s’observait dans le miroir cassé de sa chambre pouilleuse, les yeux fixés sur la glace. Elle se sentait faner, voyait le reste de sa vie gaspillé dans une situation sans espoir. Clignant deux fois des cils et apposant un sourire forcé, elle retrouva par magie son minois sexy coréen avec des pommettes creusées, mais, éphémère, ce moment ne perdura pas plus de trois secondes.

Son long couteau fixé à l’intérieur de sa cuisse droite la gênait. Pas qu’il se voyait sous sa jupe, mais la démangeaison était insupportable, cette maudite chambre était infectée de puces. Elle releva sa jupe et plaça son arme sur l’autre cuisse encore intacte.

Pendant un instant, un flash-back lui rappela sa jeunesse, quand il était encore permis de voyager librement sur la planète. Elle accomplissait son rêve de devenir instructrice de plongée aux Philippines et logeait dans un bungalow à proximité de la plage. Sa formation incluait des plongées nocturnes et mal lui en prit à vingt-cinq mètres de profondeur, de perdre son unique éclairage et de ne disposer que d’un détendeur d’air fonctionnant une fois sur deux. La nuit noire, le silence absolu et le stress occasionné lui avaient laissé comme cadeau une crise d’urticaire et surtout les rires de son instructeur philippin lors du débriefing. Kim avait connu l’horreur de se gratter les trois jours suivants, sur la moitié de son corps.

Effaçant le sourire nostalgique de ses lèvres, elle prit son sac et sortit en direction du centre-ville, Gomon Dori et son Sheraton. Deux taxis plus tard, elle passa devant la réception bondée, prit un ascenseur et échappa à tout ce luxe inutile pour le cinquième étage. Finalement, elle frappa à la chambre 625 pour se trouver nez à nez avec une femme défraîchie qui lui reprocha sa minute de retard avec arrogance. En guise de réponse, Kim lui ouvrit les deux bras en signe d’amitié et joignit lentement ses mains derrière la nuque de la femme. Avec une violence non retenue, elle lui fracassa le visage contre son genou droit, dans un bruitmat.

Calmement, son adrénaline redescendant, elle poussa avec ses pieds les membres de l’agent inconscient, l’empêchant de fermer la porte. Elle se savait tranquille pour plusieurs minutes avec cette méthode. De son petit sac, l’espionne sortit deux cordes à piano, une petite pince et sa longue-vue à support. L’avantage avec les cordes à piano, c’est que l’on n’essaie jamais de se libérer, la douleur étant terrible. Kim fit un tour unique aux chevilles et poignets qu’elle plaça dans le dos, puis les relia ensemble pour un travail parfait.

Elle vérifia ensuite la respiration de l’agent qui saignait abondamment et, satisfaite, lui enfonça son mouchoir dans la bouche. L’espionne ne regrettait pas d’avoir mis à terre l’agent Park, surtout connue pour sa cruauté. Elle n’avait aucune envie d’une personne de ce genre derrière sa nuque pendant des heures et qui plus est, si la mission échouait, de devenir son jouet.

La bordure de fenêtre bien épaisse fit un excellent support pour sa longue-vue à amplification, pointée sur le boulevard en question. Son attention fut détournée par une insistante odeur d’urine et lui fit ouvrir complètement la fenêtre. Kim jura sur les compétences calamiteuses de Park : trois étages trop bas, la vue trop limitée sur le fond du jardin et en plus elle avait vidé sa vessie sur la moquette. Nous sommes à moins de deux cents mètres et l’angle n’est pas optimal, trop tard pour changer quoi que ce soit.

La nuit tombée depuis plus d’une heure augmentait la pression dans sa petite tête et dans vingt minutes, l’opération commencerait, elle était prête...

Bob Mieville

–Dis-moi, Nils, as-tu toujours accès aux stocks coloniaux déclassés ?

–Ouaip, on doit balancer toutes ces saloperies vers le soleil dans quelques semaines. Tu cherches quelque chose de particulier ?

–Des cartouches d’hydroxyde de lithium, tu sais, celles qui produisent de l’oxygène quand tu les amorces. En cas de coup dur, ça te sauve la peau, mon gars !

–Hoo, il y en a des centaines, mais ça peut être terriblement dangereux ces trucs-là, ça vieillit mal. Récemment j’en ai vu une s’enflammer dans Yankee et tout l’étage a été condamné, alors je te dis pas l’effet dans un cockpit.

–Oui, je sais, mais j’aimerais en mettre de côté quelques-unes, juste au casoù.

–Bob, la crèmerie nous appelle et ils ont l’air nerveux.

–Forcément ils n’ont rien d’autre à foutre, leurs culs rivés dans des chaises bien confortables. Toulouse m’avait bien signalé quelques débris qui tombaient de la navette au décollage, cela incluait peut-être une antenne-radio ?

–Yankee, navette A-Aldebaran en approche pour injection orbitale.

Bob donna son accord à l’électronique du vaisseau pour la mise en orbite et une trajectoire apparue sur l’orbe holographique du tableau de bord, avec des inscriptions clignotantes de trop mauvaise qualité pour être lues. Une voix synthétique annonça : « Freinage sur système frontal dans quinze secondes »... Trajectoire correcte, freinage dans les normes... Vibration importante, décélération, tête pendue en avant, position vraiment désagréable.

–Tiens, pour une fois, ça a l’air de fonctionner normalement, la base est en vue à deux heures sur la caméra d’acquisition frontale, tout roule.

Craquement, bruit sinistre, le pare-brise de droite se fissura complètement et trois « breakers » de sécurité sortirent. L’ordinateur tenta de compenser sur le circuit secondaire puis afficha un gros 30 % sur le rétrofreinage et le maintien d’attitude puis les écrans virèrent finalement au rouge avec des inscriptions « WARNING & FAILURE ». Les alarmes prirent aussi le relais, faisant une liste sans fin des défectuosités...

–Ouais, c’est bien ce que je disais ! Pour une fois que tout fonctionne normalement.

–Remarque que la voix de « Betty » devient de plus en plus sexy, mais je préférerais qu’elle me dise ce qui fonctionne encore !

–On va dépasser notre cible, Bob ! On est bon pour une orbite supplémentaire et de plus, j’aimerais bien sortir de l’étuve de cette combinaison.

–Combien de temps la pile peut donner en surcharge ? Merde, l’ordinateur vient de s’éteindre, on va devoir le faire aux fesses.

–Trois minutes à 150 %, puis c’est l’incendie, enfin tu connais l’histoire. Tu trouves la vie trop longue,Bob ?

–Je rallume le moteur ionique en urgence, on a encore trop d’énergie à perdre.

–OK, tu pivotes de 180° et j’allume le réacteur.

–J’ai besoin d’une distance, trouve le moyen de décompter à l’estime,Nils.

–15 000… 9 000… 2 000… 800… Putain, ça va vite, 200… 100...

La navette alunit durement en glissant et son train d’atterrissage droit s’affaissa. Bob écrasa la vitre du système d’amarrage d’urgence pour éviter la détente des amortisseurs en faible gravité. Des pythons d’amarrage jaillirent de leurs logements et s’enfoncèrent dans le régolithe, puis les câbles se tendirent.

–OK, on est stables, maestro !

–Je commande le bus et les pom-pom girls ?

–Oui, et le champagne bien frais, s’il te plaît.

Bob avait la drôle sensation de rentrer à la maison. Ce n’est pas qu’il aimait cette base lunaire, mais y ayant passé tellement de temps, elle était devenue une partie de son existence. Initialement construite par les Américains, elle fut abandonnée de la même manière, faute de moyens. Plus personne ne voulait de leurs dollars sans valeur. La version officielle diffère, puisque revendue en grande pompe à l’Europe, en vue d’un programme de coopération, avec tout le bla-bla classique des politiciens inutiles.

Il se rappelait avoir vu la cérémonie à la télé, une quinzaine d’années auparavant. À l’origine, elle s’appelait « Jefferson Space Center », et selon la tradition américaine, il était nécessaire de lui donner le nom d’un président illustre. Elle fut rapidement rebaptisée par la Fédération eurasienne Yankee, choix vraiment discutable pour les relations qui n’ont cessé de se détériorer dès lors. Mon explication simpliste est qu’elle représente le point de départ indispensable entre la Terre, Mars et sa colonie abandonnée et surtout Paris.

Ayant récupéré les deux pilotes à même la piste, le bus de liaison pénétrait dans l’enceinte de Yankee, ressemblant plus à un stade de foot avec son éclairage périphérique qu’à une vraie base militaire censée être discrète. Ébloui par le spectacle sortant de la nuit lunaire, les yeux mi-clos contre sa fenêtre blindée, Bob profitait du court moment de calme dans sa demi-léthargie. Les installations militaires au blanc agressif laissaient apparaître des canons à tir rapide et autres traditionnelles « Gatling » à canon rotatif comme réponse aux tensions internationales et surtout pour intimider les nouveaux arrivants.