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Aventure sans pareille d'un certain Hans Pfaall est une nouvelle d'Edgar Allan Poe, parue en juin 1835, dans l'édition du magazine mensuel Southern Literary Messenger, conçue comme un canular journalistique par Poe. Elle fut traduite en français par Charles Baudelaire.
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Seitenzahl: 87
Veröffentlichungsjahr: 2019
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Avec un coeur plein de fantaisies délirantes
Dont je suis le capitaine,
Avec une lance de feu etun cheval d’air,
À travers l’immensité je voyage.
1
Chanson de Tom O’Bedlam.
D’après les nouvelles les plus récentes de Rotterdam, il
paraît que cette ville est dans un singulier état d’effervescence
philosophique. En réalité, il s’y est produit des phénomènes
d’un genre si complètement inattendu, si entièrement nouveau,
si absolument en contradiction avec toutes les opinions reçues
que je ne doute pas qu’avant peu toute l’Europe ne soit sens
dessus dessous, toute la physique en fermentation, et que la
raison et l’astronomie ne se prennent aux cheveux.
Il paraît que le… du mois de… (je ne me rappelle pas
positivement la date), une foule immense était rassemblée, dans
un but qui n’est pas spécifié, sur la grande place de la Bourse de
la confortable ville de Rotterdam. La journée était
singulièrement chaude pour la saison, il y avait à peine un
souffle d’air, et la foule n’était pas trop fâchée de se trouver de
temps à autre aspergée d’une ondée amicale de quelques
minutes, qui s’épanchait des vastes masses de nuages blancs
abondamment éparpillés à travers la voûte bleue du firmament.
Toutefois, vers midi, il se manifesta dans l’assemblée une
légère mais remarquable agitation, suivie du brouhaha de dix
mille langues ; une minute après, dix mille visages se tournèrent
vers le ciel, dix mille pipes descendirent simultanément du coin
de dix mille bouches, et un cri, qui ne peut être comparé qu’au
1
Bedlam est un asile de fous, l’équivalent de Charenton donc.
-2 -
rugissement du Niagara, retentit longuement, hautement,
furieusement, à travers toute la cité et tous les environs de
Rotterdam.
L’origine de ce vacarme devint bientôt suffisamment
manifeste. On vit déboucher et entrer dans une des lacunes de
l’étendue azurée, du fond d’une de ces vastes masses de nuages,
aux contours vigoureusement définis, un être étrange,
hétérogène, d’une apparence solide, si singulièrement
configuré, si fantastiquement organisé que la foule de ces gros
bourgeois qui le regardaient d’en bas, bouche béante, ne pouvait
absolument y rien comprendre ni se lasser de l’admirer.
Qu’est-ce que cela pouvait être ? Au nom de tous les diables
de Rotterdam, qu’est-ce que cela pouvait présager ? Personne
ne le savait, personne ne pouvait le deviner ; personne, – pas
même le bourgmestre Mynheer Superbus Von Underduk, – ne
possédait la plus légère donnée pour éclaircir ce mystère ; en
sorte que, n’ayant rien de mieux à faire, tous les Rotterdamois, à
un homme près, remirent sérieusement leurs pipes dans le coin
de leurs bouches, et gardant toujours un œil braqué sur le
phénomène, se mirent à pousser leur fumée, firent une pause,
se dandinèrent de droite à gauche, et grognèrent
significativement, – puis se dandinèrent de gauche à droite,
grognèrent, firent une pause, et finalement, se remirent à
pousser leur fumée.
Cependant, on voyait descendre, toujours plus bas vers la
béate ville de Rotterdam, l’objet d’une si grande curiosité et la
cause d’une si grosse fumée. En quelques minutes, la chose
arriva assez près pour qu’on pût la distinguer exactement. Cela
semblait être, – oui !c’étaitindubitablement une espèce de
ballon, mais jusqu’alors, à coup sûr, Rotterdam n’avait pas vu
de pareil ballon. Car qui – je vous le demande – a jamais
entendu parler d’un ballon entièrement fabriqué avec des
journaux crasseux ? Personne en Hollande, certainement ; et
cependant, là, sous le nez même du peuple ou plutôt à quelque
- 3 -
distance au-dessus de son nez, apparaissait la chose en
question, la chose elle-même, faite – j’ai de bonnes autorités
pour l’affirmer – avec cette même matière à laquelle personne
n’avait jamais pensé pour un pareil dessein. C’était une énorme
insulte au bon sens des bourgeois de Rotterdam.
Quant à la forme du phénomène, elle était encore plus
répréhensible, – ce n’était guère qu’un gigantesque bonnet de
fou tourné sens dessus dessous. Et cette similitude fut loin
d’être amoindrie, quand, en l’inspectant de plus près, la foule vit
un énorme gland pendu à la pointe, et autour du bord supérieur
ou de la base du cône un rang de petits instruments qui
ressemblaient à des clochettes de brebis et tintinnabulaient
incessamment sur l’air de Betty Martin.
Mais voilà qui était encore plus violent : – suspendu par des
rubans bleus au bout de la fantastique machine, se balançait, en
manière de nacelle, un immense chapeau de castor gris
américain, à bords superlativement larges, à calotte
hémisphérique, avec un ruban noir et une boucle d’argent.
Chose assez remarquable toutefois, maint citoyen de Rotterdam
aurait juré qu’il connaissait déjà ce chapeau, et, en vérité, toute
l’assemblée le regardait presque avec des yeux familiers ;
pendant que dame Grettel Pfaall poussait en le voyant une
exclamation de joie et de surprise, et déclarait que c’était
positivement le chapeau de son cher homme lui-même. Or,
c’était une circonstance d’autant plus importante à noter que
Pfaall, avec ses trois compagnons, avait disparu de Rotterdam,
depuis cinq ans environ, d’une manière soudaine et
inexplicable. et, jusqu’au moment où commence ce récit, tous
les efforts pour obtenir des renseignements sur eux avaient
échoué. Il est vrai qu’on avait découvert récemment, dans une
partie retirée de la ville, à l’est, quelques ossements humains,
mêlés à un amas de décombres d’un aspect bizarre ; et quelques
profanes avaient été jusqu’à supposer qu’un hideux meurtre
avait dû être commis en cet endroit, et que Hans Pfaall et ses
camarades en avaient été très probablement les victimes. Mais
revenons à notre récit.
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Le ballon (car c’en était un, décidément) était maintenant
descendu à cent pieds du sol, et montrait distinctement à la
foule le personnage qui l’habitait. Un singulier individu, en
vérité. Il ne pouvait guère avoir plus de deux pieds de haut.
Mais sa taille, toute petite qu’elle était, ne l’aurait pas empêché
de perdre l’équilibre, et de passer par-dessus le bord de sa toute
petite nacelle, sans l’intervention d’un rebord circulaire qui lui
montait jusqu’à la poitrine, et se rattachait aux cordes du
ballon. Le corps du petit homme était volumineux au delà de
toute proportion, et donnait à l’ensemble de son individu une
apparence de rotondité singulièrement absurde. De ses pieds,
naturellement, on n’en pouvait rien voir. Ses mains étaient
monstrueusement grosses, ses cheveux, gris et rassemblés par
derrière en une queue ; son nez, prodigieusement long, crochu
et empourpré ; ses yeux bien fendus, brillants et perçants, son
menton et ses joues, – quoique ridées par la vieillesse, – larges,
boursouflés, doubles ; mais, sur les deux côtés de sa tête, il était
impossible d’apercevoir le semblant d’une oreille.
Ce drôle de petit monsieur était habillé d’un paletot-sac de
satin bleu de ciel et de culottes collantes assorties, serrées aux
genoux par une boucle d’argent. Son gilet était d’une étoffe
jaune et brillante ; un bonnet de taffetas blanc était gentiment
posé sur le côté de sa tête ; et, pour compléter cet accoutrement,
un foulard écarlate entourait son cou, et, contourné en un nœud
superlatif, laissait traîner sur sa poitrine ses bouts
prétentieusement longs.
Étant descendu, comme je l’ai dit, à cent pieds environ du
sol, le vieux petit monsieur fut soudainement saisi d’une
agitation nerveuse, et parut peu soucieux de s’approcher
davantage de laterre ferme.Il jeta donc une quantité de sable
d’un sac de toile qu’il souleva à grand-peine, et resta
stationnaire pendant un instant. Il s’appliqua alors à extraire de
la poche de son paletot, d’une manière agitée et précipitée, un
grand portefeuille de maroquin. Il le pesa soupçonneusement
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dans sa main, l’examina avec un air d’extrême surprise, comme
évidemment étonné de son poids. Enfin, il l’ouvrit, en tira une
énorme lettre scellée de cire rouge et soigneusement entortillée
de fil de même couleur, et la laissa tomber juste aux pieds du
bourgmestre Superbus Von Underduk.
Son Excellence se baissa pour la ramasser. Mais l’aéronaute,
toujours fort inquiet, et n’ayant apparemment pas d’autres
affaires qui le retinssent à Rotterdam, commençait déjà à faire
précipitamment ses préparatifs de départ ; et, comme il fallait
décharger une portion de son lest pour pouvoir s’élever de
nouveau, une demi-douzaine de sacs qu’il jeta l’un après l’autre,
sans se donner la peine de les vider, tombèrent coup sur coup
sur le dos de l’infortuné bourgmestre, et le culbutèrent juste une
demi-douzaine de fois à la face de tout Rotterdam.
Il ne faut pas supposer toutefois que le grand Underduk ait
laissé passer impunément cette impertinence de la part du vieux
petit bonhomme. On dit, au contraire, qu’à chacune de ses six
culbutes il ne poussa pas moins de six bouffées, distinctes et
furieuses, de sa chère pipe qu’il retenait pendant tout ce temps
et de toutes ses forces, et qu’il se propose de tenir ainsi – si Dieu
le permet – jusqu’au jour de sa mort.
Cependant, le ballon s’élevait comme une alouette, et,
planant au-dessus de la cité, finit par disparaître tranquillement
derrière un nuage semblable à celui d’où il avait si
singulièrement émergé, et fut ainsi perdu pour les yeux éblouis
des bons citoyens de Rotterdam.
Toute l’attention se porta alors sur la lettre, dont la
transmission avec les accidents qui la suivirent avait failli être si
fatale à la personne et à la dignité de Son Excellence Von
Underduk. Toutefois, ce fonctionnaire n’avait pas oublié durant
ses mouvements giratoires de mettre en sûreté l’objet
important, – la lettre, – qui, d’après la suscription, était tombée
dans des mains légitimes, puisqu’elle était adressée à lui
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d’abord, et au professeur Rudabub, en leurs qualités respectives
de président et de vice-président du Collège astronomique de
Rotterdam. Elle fut donc ouverte sur-le-champ par ces
dignitaires, et ils y trouvèrent la communication suivante, très
extraordinaire, et, ma foi, très sérieuse :
À Leurs Excellences Von Underduk et Rudabub, président
et vice-président du Collège national astronomique de la ville
de Rotterdam.
Vos Excellences se souviendront peut-être d’un humble
artisan, du nom de Hans Pfaall, raccommodeur de soufflets de
son métier, qui disparut de Rotterdam, il y a environ cinq ans,
avec trois individus et d’une manière qui a dû être regardée
comme inexplicable. C’est moi, Hans Pfaall lui-même – n’en
déplaise à Vos Excellences – qui suis l’auteur de cette
communication. Il est de notoriété parmi la plupart de mes
concitoyens que j’ai occupé, quatre ans durant, la petite maison
de briques placée à l’entrée de la ruelle diteSauerkraut,et que
j’y demeurais encore au moment de ma disparition. Mes aïeux y
ont toujours résidé, de temps immémorial, et ils y ont
invariablement exercé comme moi-même la très respectable et
très lucrative profession de raccommodeurs de soufflets ; car,
pour dire la vérité, jusqu’à ces dernières années, où toutes les
têtes de la population ont été mises en feu par la politique,
jamais plus fructueuse industrie n’avait été exercée par un
honnête citoyen de Rotterdam, et personne n’en était plus digne
que moi. Le crédit était bon, la pratique donnait ferme, on ne
manquait ni d’argent ni de bonne volonté. Mais, comme je l’ai
dit, nous ressentîmes bientôt les effets de la liberté, des grands
discours, du radicalisme et de toutes les drogues de cette espèce.
Les gens qui jusque-là avaient été les meilleures pratiques du
monde n’avaient plus un moment pour penser à nous. Ils en
avaient à peine assez pour apprendre l’histoire des révolutions
et pour surveiller dans sa marche l’intelligence et l’idée du
siècle. S’ils avaient besoin de souffler leur feu, ils se faisaient un
soufflet avec un journal. À mesure que le gouvernement
devenait plus faible, j’acquérais la conviction que le cuir et le fer
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devenaient de plus en plus indestructibles ; et bientôt il n’y eut
pas dans tout Rotterdam un seul soufflet qui eût besoin d’être
repiqué, ou qui réclamât l’assistance du marteau. C’était un état