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Le Baron de Münchhausen naît le le 11 mai 1720 à Bodenwerder dans le Weserbergland. Son véritable nom est Karl Friedrich Hieronymus Freiherr von Münchhausen. Il fut dans sa jeunesse le page du Duc de Brunswick-Lüneberg. Il suit son maître en 1740 pour devenir mercenaire de l'armée russe. Il combat pendant dix ans dans l'armée de Catherine II de Russie contre les Turcs de l'Empire Ottoman, en Crimée. Il est nommé en 1750 capitaine de cavalerie avant de quitter l'armée russe. Lors de son retour en Allemagne, il confie à l'écrivain Rudolphe Erich Raspe ses extraordinaires aventures. Il se fixe ensuite à Hanovre. Le baron était surnommé le baron de Crac (baron du mensonge) : il aurait voyagé sur la lune sur un boulet de canon, il aurait également dansé avec Vénus. Il pâtit énormément d'une réputation de menteur et de fou due à son récit. Il décède le 22 février 1797 de la fièvre typhoïde, ruiné. L'écrivain allemand Rudolf Erich Raspe, recueille, ordonne et publie ces récits en 1785 (du vivant du baron de Münchhausen), en anglais, sous le titre Baron Münchhausen's Narrative of his marvellous Travels and Campaigns in Russia. Un an plus tard, en 1786, les aventures sont traduites en allemand par Gottfried August Bürger, professeur à l'université de Göttingen. Plus qu'une traduction, il remanie les histoires et fournit une version plus poétique et satirique que le livre de Raspe. Le livre sera traduit de l'allemand en français par Théophile Gautier fils avec des illustrations de Gustave Doré. Cette traduction est très agréable, bien qu'amputée de certains passages jugés trop "politiquement incorrects" pour ses contemporains.
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PRÉFACE
CHAPITRE PREMIER Voyage en Russie et à Saint-Pétersbourg.
CHAPITRE II Histoires de chasse
CHAPITRE III Des chiens et des chevaux du Baron de Münchhausen.
CHAPITRE IV Aventures du baron de Münchhausen dans la guerre contre les Turcs.
CHAPITRE V Aventures du baron de Münchhausen pendant sa captivité chez les Turcs. Il revient dans sa patrie.
CHAPITRE VI Première aventure de mer.
CHAPITRE VII Deuxième aventure de mer.
CHAPITRE VIII Troisième aventure de mer.
CHAPITRE IX Quatrième aventure de mer.
CHAPITRE X Cinquième aventure de mer
CHAPITRE XI Sixième aventure de mer.
CHAPITRE XII Septième aventure de mer. Récits authentiques d’un partisan qui prit la parole en l’absence du baron.
CHAPITRE XIII Le baron reprend son récit.
CHAPITRE XIV Huitième aventure de mer.
CHAPITRE XV Neuvième aventure de mer
CHAPITRE XVI Dixième aventure de mer, second voyage dans la lune.
CHAPITRE XVII Voyage à travers la terre et autres aventures remarquables.....
Les Aventures du baron de Münchhausen jouissent en Allemagne d’une célébrité populaire qu’elles ne sauraient manquer, nous l’espérons du moins, d’acquérir bientôt en France, malgré leur forte saveur germanique, et peut-être à cause même de cela : le génie des peuples se révèle surtout dans la plaisanterie. Comme les œuvres sérieuses chez toutes les nations ont pour but la recherche du beau qui est un de sa nature, elles se ressemblent nécessairement davantage, et portent moins nettement imprimé le cachet de l’individualité ethnographique. Le comique, au contraire, consistant dans une déviation plus ou moins accentuée du modèle idéal, offre une multiplicité singulière des ressources : car il y a mille façons de ne pas se conformer à l’archétype. La gaieté française n’a aucun rapport avec l’humour britannique ; le witz allemand diffère de la bouffonnerie italienne, et le caractère de chaque nationalité s’y montre dans son libre épanchement. Le baron de Münchhausen, en dépit de ses hâbleries incroyables, n’a nul lien de parenté avec le baron de Crac, autre illustre menteur. La blague française, qu’on nous pardonne d’employer ce mot, lance sa fusée, pétille et mousse comme du vin de Champagne, mais bientôt elle s’éteint, laissant à peine au fond de la coupe deux ou trois perles de liqueur. Cela serait trop léger pour des gosiers allemands habitués aux fortes bières et aux âpres vins du Rhin : il leur faut quelque chose de plus substantiel, de plus épais, de plus capiteux. La plaisanterie, pour faire impression sur ces cerveaux pleins d’abstractions, de rêves et de fumée, a besoin de se faire un peu lourde ; il faut qu’elle insiste, qu’elle revienne à la charge, et ne se contente pas de demi-mots qui ne seraient pas compris. Le point de départ de la plaisanterie allemande est cherché, peu naturel, d’une bizarrerie compliquée, et demande beaucoup d’explications préalables assez laborieuses ; mais la chose une fois posée, vous entrez dans un monde étrange, grimaçant, fantasque, d’une originalité chimérique dont vous n’aviez aucune idée. C’est la logique de l’absurde poursuivie avec une outrance qui ne recule devant rien. Des détails d’une vérité étonnante, des raisons de l’ingéniosité la plus subtile, des attestations scientifiques d’un sérieux parfait servent à rendre probable l’impossible. Sans doute, on n’arrive pas à croire les récits du baron de Münchhausen, mais à peine a-t-on entendu deux ou trois de ses aventures de terre ou de mer, qu’on se laisse aller à la candeur honnête et minutieuse de ce style, qui ne serait pas autre, s’il avait à raconter une histoire vraie. Les inventions les plus monstrueusement extravagantes prennent un certain air de vraisemblance, déduites avec cette tranquillité naïve et cet aplomb parfait. La connexion intime de ces mensonges qui s’enchaînent si naturellement les uns aux autres finit par détruire chez le lecteur le sentiment de la réalité, et l’harmonie du faux y est poussée si loin qu’elle produit une illusion relative semblable à celle que font éprouver les Voyages de Gulliver à Lilliput et à Brobdingnag, ou bien encore l’Histoire véritable de Lucien, type antique de ces récits fabuleux tant de fois imités depuis.
THÉOPHILE GAUTIER
J’entrepris mon voyage en Russie au milieu de l’hiver, ayant fait ce raisonnement judicieux que, par le froid et la neige, les routes du nord de l’Allemagne, de la Pologne, de la Courlande et de la Livonie, qui, selon les descriptions des voyageurs, sont plus impraticables encore que le chemin du temple de la vertu, s’améliorant sans qu’il en coûte rien à la sollicitude des gouvernements. Je voyageais à cheval, ce qui est assurément le plus agréable mode de transport, pourvu toutefois que le cavalier et la bête soient bons : de cette façon, on n’est pas exposé à avoir d’affaires d’honneur avec quelque honnête maître de poste allemand, ni forcé de séjourner devant chaque cabaret, à la merci d’un postillon altéré. J’étais légèrement vêtu, ce dont je me trouvai assez mal, à mesure que j’avançais vers le nord-est.
Représentez-vous maintenant, par ce temps âpre, sous ce rude climat, un pauvre vieillard gisant sur le bord désolé d’une route de Pologne, exposé à un vent glacial, ayant à peine de quoi couvrir sa nudité.
L’aspect de ce pauvre homme me navra l’âme : et quoiqu’il fît un froid à me geler le cœur dans la poitrine, je lui jetai mon manteau. Au même instant, une voix retentit dans le ciel, et, me louant de ma miséricorde, me cria : « Le diable m’emporte, mon fils, si cette bonne action reste sans récompense. »
Je continuai mon voyage, jusqu’à ce que la nuit et les ténèbres me surprissent. Aucun signe, aucun bruit, qui m’indiquât la présence d’un village : le pays tout entier était enseveli sous la neige, et je ne savais pas ma route.
Harassé, n’en pouvant plus, je me décidai à descendre de cheval ; j’attachai ma bête à une sorte de pointe d’arbre qui surgissait de la neige. Je plaçai, par prudence, un de mes pistolets sous mon bras, et je m’étendis sur la neige. Je fis un si bon somme, que, lorsque je rouvris les yeux, il faisait grand jour. Quel fut mon étonnement lorsque je m’aperçus que je me trouvais au milieu d’un village, dans le cimetière ! Au premier moment, je ne vis point mon cheval, quand, après quelques instants, j’entendis hennir au-dessus de moi. Je levai la tête, et je pus me convaincre que ma bête était suspendue au coq du clocher. Je me rendis immédiatement compte de ce singulier événement : j’avais trouvé le village entièrement recouvert par la neige ; pendant la nuit, le temps s’était subitement adouci, et, tandis que je dormais, la neige, en fondant, m’avait descendu tout doucement jusque sur le sol ; ce que, dans l’obscurité, j’avais pris pour une pointe d’arbre, n’était autre chose que le coq du clocher. Sans m’embarrasser davantage, je pris un de mes pistolets, je visai la bride, je rentrai heureusement par ce moyen en possession de mon cheval, et poursuivis mon voyage.
Tout alla bien jusqu’à mon arrivée en Russie, où l’on n’a pas l’habitude d’aller à cheval en hiver. Comme mon principe est de me conformer toujours aux usages des pays où je me trouve, je pris un petit traîneau à un seul cheval, et me dirigeai gaiement vers Saint-Pétersbourg.
Je ne sais plus au juste si c’était en Estonie ou en Ingrie, mais je me souviens encore parfaitement que c’était au milieu d’une effroyable forêt, que je me vis poursuivi par un énorme loup, rendu plus rapide encore par l’aiguillon de la faim. Il m’eut bientôt rejoint ; il n’était plus possible de lui échapper : je m’étendis machinalement au fond du traîneau, et laissai mon cheval se tirer d’affaire et agir au mieux de mes intérêts. Il arriva ce que je présumais, mais que je n’osais espérer. Le loup, sans s’inquiéter de mon faible individu, sauta par-dessus moi, tomba furieux sur le cheval, déchira et dévora d’un seul coup tout l’arrière-train de la pauvre bête, qui, poussée par la terreur et la douleur, n’en courut que plus vite encore. J’étais sauvé ! Je relevai furtivement la tête, et je vis que le loup s’était fait jour à travers le cheval à mesure qu’il le mangeait : l’occasion était trop belle pour la laisser échapper ; je ne fis ni une ni deux, je saisis mon fouet, et je me mis à cingler le loup de toutes mes forces : ce dessert inattendu ne lui causa pas une médiocre frayeur ; il s’élança en avant de toute vitesse, le cadavre de mon cheval tomba à terre et – voyez la chose étrange ! – mon loup se trouva engagé à sa place dans le harnais. De mon côté, je n’en fouettai que de plus belle, de sorte que, courant de ce train-là, nous ne tardâmes pas à atteindre sains et saufs Saint-Pétersbourg, contre notre attente respective, et au grand étonnement des passants.
Je ne veux pas, messieurs, vous ennuyer de bavardages sur les coutumes, les arts, les sciences et autres particularités de la brillante capitale de la Russie : encore moins vous entretiendrai-je des intrigues et des joyeuses aventures qu’on rencontre dans la société élégante, où les dames offrent aux étrangers une si large hospitalité. Je préfère arrêter votre attention sur des objets plus grands et plus nobles, sur les chevaux et les chiens, par exemple, que j’ai toujours eus en grande estime ; puis sur les renards, les loups et les ours, dont la Russie, si riche déjà en toute espèce de gibier, abonde plus qu’aucun autre pays de la terre ; de ces exercices chevaleresques, de ces actions d’éclat qui habillent mieux un gentilhomme qu’un méchant bout de latin et de grec, ou que ces sachets d’odeur, ces grimaces et ces cabrioles des beaux esprits français.
Comme il se passa quelque temps avant que je pusse entrer au service, j’eus, pendant un couple de mois, le loisir et la liberté complète de dépenser mon temps et mon argent de la plus noble façon. Je passai mainte nuit à jouer, mainte nuit à choquer les verres. La rigueur du climat et les mœurs de la nation ont assigné à la bouteille une importance sociale des plus hautes, qu’elle n’a pas dans notre sobre Allemagne, et j’ai trouvé en Russie des gens qui peuvent passer pour des virtuoses accomplis dans ce genre d’exercice ; mais tous n’étaient que de pauvres hères à côté d’un vieux général à la moustache grise, à la peau cuivrée, qui dînait avec nous à la table d’hôte. Ce brave homme avait perdu, dans un combat contre les Turcs, la partie supérieure du crâne ; de sorte que chaque fois qu’un étranger se présentait, il s’excusait le plus courtoisement du monde de garder son chapeau à table. Il avait coutume d’absorber, en mangeant, quelques bouteilles d’eau-de-vie et, pour terminer, de vider un flacon d’arak, doublant parfois la dose, suivant les circonstances ; malgré cela, il était impossible de saisir en lui le moindre signe d’ivresse. La chose vous dépasse, sans doute ; elle me fit également le même effet : je fus longtemps avant de pouvoir me l’expliquer, jusqu’au jour où je trouvai par hasard, la clef de l’énigme. Le général avait l’habitude de soulever de temps en temps son chapeau ; j’avais souvent remarqué ce mouvement, sans m’en inquiéter autrement. Rien d’étonnant à ce qu’il eût chaud au front, et encore moins à ce que sa tête eût besoin d’air. Je finis cependant par voir qu’en même temps que son chapeau, il soulevait une plaque d’argent qui y était fixée et lui servait de crâne, et qu’alors les fumées des liqueurs spiritueuses qu’il avait absorbées s’échappaient en légers nuages. L’énigme était résolue. Je racontai ma découverte à deux de mes amis, et m’offris à leur en démontrer l’exactitude. J’allai me placer, avec ma pipe, derrière le général, et, au moment où il soulevait son chapeau, je mis avec un morceau de papier le feu à la fumée : nous pûmes jouir alors d’un spectacle aussi neuf qu’admirable. J’avais transformé en colonne de feu la colonne de fumée qui s’élevait au-dessus du général ; et les vapeurs qui se trouvaient retenues par la chevelure du vieillard formaient un nimbe bleuâtre, comme il n’en brilla jamais autour de la tête du plus grand saint. Mon expérience ne put rester cachée au général ; mais il s’en fâcha si peu qu’il nous permit plusieurs fois de répéter un exercice qui lui donnait un air si vénérable.
Je passe sous silence maintes joyeuses scènes dont nous fûmes acteurs ou témoins dans des circonstances analogues, parce que je veux vous raconter différentes histoires cynégétiques beaucoup plus merveilleuses et plus intéressantes que tout cela.
Je n’ai pas besoin de vous dire, messieurs, que ma société de prédilection se composait de ces braves compagnons qui savent apprécier le noble plaisir de la chasse. Les circonstances qui entourèrent toutes mes aventures, le bonheur qui guida tous mes coups, resteront parmi les plus beaux souvenirs de ma vie.
Un matin je vis, de la fenêtre de ma chambre à coucher, un grand étang, qui se trouvait dans le voisinage, tout couvert de canards sauvages. Décrochant immédiatement mon fusil, je descendis à la hâte l’escalier avec tant de précipitation que je heurtai du visage contre la porte : je vis trente-six chandelles, mais cela ne me fit pas perdre une seconde. J’allais tirer, lorsque au moment où j’ajustais je m’aperçus, à mon grand désespoir, que le violent coup que je m’étais donné à la figure avait en même temps fait tomber la pierre de mon fusil. Que faire ? Je n’avais pas de temps à perdre. Heureusement, je me rappelai ce que j’avais vu quelques instants auparavant. J’ouvris le bassinet, je dirigeai mon arme dans la direction du gibier et je m’envoyai le poing dans l’un de mes yeux. Ce coup vigoureux en fit sortir un nombre d’étincelles suffisant pour allumer la poudre ; le fusil partit, et je tuai cinq couples de canards, quatre sarcelles et deux poules d’eau. Cela prouve que la présence d’esprit est l’âme des grandes actions. Si elle rend d’inappréciables services au soldat et au marin, le chasseur lui doit aussi plus d’un heureux coup.
Ainsi, par exemple, je me souviens qu’un jour je vis sur un lac, au bord duquel m’avait amené une de mes excursions, quelques douzaines de canards sauvages, trop disséminés pour qu’il me fût permis d’espérer en atteindre d’un seul coup un nombre suffisant. Pour comble de malheur, ma dernière charge était dans mon fusil, et j’aurais précisément voulu les rapporter tous, ayant à traiter chez moi nombre d’amis et de connaissances.
Je me souvins alors que j’avais encore dans ma carnassière un morceau de lard, reste des provisions dont je m’étais muni en partant. J’attachai ce morceau de lard à la laisse de mon chien que je dédoublai et dont j’attachai les quatre fils bout à bout ; puis je me blottis dans les joncs du bord, lançai mon appât, et j’eus bientôt la satisfaction de voir un premier canard s’approcher vivement et l’avaler. Les autres accoururent derrière le premier, et comme, l’onctuosité du lard aidant, mon appât eut bientôt traversé le canar dans toute sa longueur, un second l’avala, puis un troisième, et ainsi de suite. Au bout de quelques instants mon morceau de lard avait voyagé à travers tous les canards, sans se séparer de sa ficelle : il les avait enfilés comme des perles. Je revins tout joyeux sur le bord, je me passai cinq ou six fois la ficelle autour du corps et sur les épaules, et m’en retournai à la maison.