Captives des Cheyennes - Annie Gaborit - E-Book

Captives des Cheyennes E-Book

Annie Gaborit

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Beschreibung

Une histoire d'amour naît entre Edwina Anderson, envahisseuse blanche enlevée par la tribu cheyenne, et Fils d'Aigle, chef de la tribu du peuple rouge.

En Amérique du Nord à la fin du siècle dernier, les guerres entre Indiens et envahisseurs blancs font rage. Au coeur de cette tourmente, deux femmes, Edwina Anderson et sa mère, Sharon seront enlevées par les Cheyennes à la suite de représailles. Sharon ne survivra pas à la dure vie des Peaux-Rouges, tandis qu’Edwina, après bien des souffrances, s’y adaptera. Elle découvrira une philosophie de vie basée sur la sagesse, et surtout elle trouvera l’amour en la personne de Fils d’Aigle le chef de la tribu. Grâce à cet amour passion, exclusif, elle reconnaîtra le bonheur et goûtera une nouvelle joie de vivre, mais en toile de fond se profile le génocide implacable du peuple rouge.

Plongez dans une romance hors du commun et découvrez, aux côtés d'Edwina, la vie des Peaux-Rouges, leur philosophie et leur sagesse.

EXTRAIT

–Tu prêtes toujours crédit à toutes sortes de ragots, en ce qui me concerne je n’en prends qu’un peu et laisse le reste.
–Veux-tu te taire Edwina, je te prie. Quelle insolence !
Edwina se tut, piquée au vif, ne désirant pas faire de scandale devant les militaires, mais ses yeux de jade brillaient d’une lueur mauvaise pour sa mère.
Tout le monde se regardait, gêné. Pourtant, aussi brusquement qu’elle était venue, sa fureur la quitta, car elle pensa soudain à son père. Et au bout d’un moment, elle dit d’un ton grave :
–Père n’est pas coupable de ce qui est arrivé et il va peut-être le payer de sa vie.
–En effet, affirma le caporal Vanders, mais Fils d’Aigle, lui, est persuadé du contraire. Il faut le comprendre, les soldats du fort sont devenus ses ennemis et votre père, madame Anderson, plus que quiconque est visé, car le chef indien l’estimait énormément. C’était son ami. Pour lui c’est une trahison.
Les quatre femmes échangèrent un regard attristé, se retrouvant dans un réciproque sentiment d’amour envers le général Douglas.
Leslie songeant à son fiancé, émit d’une voix inquiète :
–Ils vont peut-être être tous tués, nous ne les reverrons plus, c’est affreux !
–Ne sois pas si pessimiste, ma chérie, répondit doucement Sharon qui se voulait rassurante, les hommes ne sont pas très nombreux au fort, dans les deux cents environ, mais ils disposent d’un armement récent et d’une quantité suffisante de munitions qui mettront fin rapidement et radicalement aux assauts de ces sauvages, n’est-ce pas caporal ?

CE QU'EN PENSE LA CRITITQUE

"Véritablement passionnant, instructif sur la vie des indiens d'Amérique et sur ce que les envahisseurs blancs leur ont fait subir." Elisabeth G, Amazon

"Quelle belle histoire d'amour entre Edwina, femme blanche amoureuse et le chef indien de la tribu qui l'a kidnappé." MilleetunepagesLM, Babelio

"Une romance très bien écrite avec la découverte des us et coutumes indiennes. Une leçon de vie sur l’acceptation des différences sur une toile de fond bien rythmée." Maya, Amazon

A PROPOS DE L'AUTEUR

Annie Gaborit a 62 ans et réside près de Royan. Atteinte de myopathie de longue date, l'écriture est la meilleure des thérapies et lui apporte l'évasion dont elle a besoin.

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ANNIE GABORIT

CAPTIVES DES CHEYENNES

ROMAN

Cette histoire est fictive, toute ressemblance avec des personnes ayant existé serait fortuite. Sont vraies néanmoins les coutumes indiennes.

En Amérique du Nord à la fin du siècle dernier, les guerres entre Indiens et envahisseurs blancs font rage. Au cœur de cette tourmente, deux femmes, Edwina Anderson et sa mère, Sharon seront enlevées par les Cheyennes à la suite de représailles. Sharon ne survivra pas à la dure vie des Peaux-Rouges, tandis qu’Edwina, après bien des souffrances, s’y adaptera. Elle découvrira une philosophie de vie basée sur la sagesse, et surtout elle trouvera l’amour en la personne de Fils d’Aigle le chef de la tribu. Grâce à cet amour passion, exclusif, elle reconnaîtra le bonheur et goûtera une nouvelle joie de vivre, mais en toile de fond se profile le génocide implacable du peuple rouge.

L’homme croit quelquefois qu’il a été créé pour diriger. Mais il se trompe. Il fait seulement partie du tout. Sa fonction ne consiste pas à exploiter, mais à surveiller, à être un régisseur. L’homme n’a ni pouvoir ni privilèges, seulement des responsabilités.

–Oren Lyons Iroquois onondaga

La chute de Fort Adams

Trois jours ! Trois jours harassants pour les hommes du général Marck Douglas, commandant le cinquième régiment de cavalerie de l’armée des États-Unis à Fort Adams dans le Wyoming.

Trois jours que les Cheyennes assaillaient sans relâche la garnison. À part de brèves trêves la journée, ils revenaient chaque fois plus nombreux, semblait-il, résolus à les exterminer tous. Le fort étant complètement encerclé, leurs effroyables cris de guerre, leurs « sassakoués », résonnaient douloureusement aux oreilles des derniers soldats qui tenaient encore. Les nuits s’avérant être les seuls réels moments d’arrêt à leurs impitoyables assauts. Héroïquement le fort résistait. Partout où le regard se portait, c’était une vision de cauchemar. Des cadavres ensanglantés, criblés de balles, percés de flèches, gisaient sur le sol de la cour du fort comme des pantins disloqués. Sur le chemin de ronde, ils s’entassaient les uns contre les autres. Les blessés restaient sans soins, baignant dans leur sang. Le temps manquait pour s’occuper convenablement d’eux. Leurs cris épouvantables mêlés aux râles des agonisants se fondaient dans la fusillade sans discontinuer. L’odeur de sang et de mort prenait à la gorge. La chaleur était accablante, et les vautours, attirés par le charnier, tournoyaient en grands vols noirs au-dessus. Les attaques violentes des Indiens et leurs replis soudains pour incessamment revenir, mettaient les nerfs des hommes à rude épreuve. En haut du mirador, le corps de la sentinelle renversé sur la balustrade, menaçait de s’écraser au sol d’une minute à l’autre.

Les militaires vivaient isolés, en nombre restreint, Fort Adams étant situé au cœur d’une verte contrée parsemée de lacs, de forêts, de prairies, paradis pour les animaux mais désertée de toute vie humaine à des miles à la ronde. Casper City, ville la plus proche se trouvant à quatre jours de cheval, ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes.

Mais en ce matin de juillet, le fort rendit les armes, la mitraille se tut, et c’est dans une immense clameur que les sauvages se ruèrent à l’intérieur, escaladant les murs d’enceinte en rondins, défonçant le portail en bois de l’entrée. Bientôt, tel un flot tumultueux, ce fut un déferlement de barbares emplumés, féroces, couverts de peintures de guerre.

Survivantes

Plus rien ne vivait, sauf quatre femmes retranchées dans l’entrepôt de munitions, cachette précaire, à présent, elles le savaient.

L’une d’elles, fusil en mains, dans un sursaut de défense désespéré, rouvrit le feu.

C’était Edwina. Edwina, fière, courageuse et pleine d’audace. Jeune femme ravissante, grande, blonde comme les blés, qui entendait bien protéger sa petite famille jusqu’au bout. Fille aînée du général Douglas, elle avait hérité de lui son tempérament combatif.

Sa mère, Sharon, femme élégante aux cheveux grisonnants, tenait serrée contre elle, sa fille cadette Leslie, jolie brune au regard azuré et sa petite dernière, Suzy, âgée d’une douzaine d’années. Les deux femmes et l’enfant se dissimulaient derrière les caisses d’armes, terrorisées, tremblantes d’angoisse.

Avec une surprenante dextérité Edwina tirait par une minuscule ouverture pratiquée dans la cloison de bois qui lui permettait de voir à l’extérieur. Elle ne tiendrait plus longtemps, la horde rouge se répandait partout.

Retour en arrière

Quelques jours auparavant, madame Douglas et ses deux filles, Leslie et Suzy accueillirent en leur résidence de Casper, un officier, le caporal Vanders, accompagné de deux nouvelles recrues.

Après les politesses d’usage, les jeunes militaires furent introduits dans l’un des fastueux salons de la maison, et ces dames prirent place en face d’eux. Mais, Edwina manquant, la conversation porta sur des banalités en l’attendant ; puis des rafraîchissements firent encore patienter, bien que Sharon commençât à bouillir.

La jeune femme arriva une bonne heure après, traversant le parc à cheval, au grand galop, comme chaque jour après une longue randonnée à travers la campagne. Dépeignée, le teint rosi par la course, ses bottes blanchies de poussière, elle sauta de sa monture, la laissant aux soins de Jacob le vieux palefrenier noir, qui venait vers elle à petits pas.

Curieuse de voir de plus près les chevaux qui broutaient le gazon devant l’escalier de l’entrée, elle courut jusqu’à eux, et quelle ne fut pas sa joie en lisant les lettres « U. S. Army » sur les selles.

Elle grimpa deux par deux les marches de pierre conduisant à la terrasse, puis se précipita dans le corridor aux murs tendus de moire vert d’eau. Ses éperons cliquetaient sur les dalles de marbre ; elle aurait dû aller se changer. Elle n’en fit rien, se contentant de déboucler le ceinturon auquel pendait un Colt, le jetant au passage sur un fauteuil de velours grenat. Jamais elle n’entreprenait une excursion solitaire sans être armée. Des éclats de voix provenant d’une porte entrebâillée, elle la tira, sans se préoccuper de sa tenue masculine plutôt débraillée car sa chemise était à moitié sortie de son pantalon, mais c’était bien là le moindre de ses soucis. Ignorant la mine désapprobatrice de sa mère, elle s’avança, souriante, en s’excusant auprès des militaires pour son absence. Ils s’empressèrent de lui baiser la main chacun leur tour, ne semblant nullement lui en vouloir. Et puis quand enfin elle se fut assise près d’une fenêtre où les rideaux d’organdi diffusaient les rayons du soleil en une lumière tamisée auréolant ses cheveux d’un or très clair, et que, les regards tour à tour incendiaires de Sharon, rieurs de ses sœurs, admiratifs des hommes, se détournèrent d’elle, on put connaître le but de leur visite.

Cela faisait de nombreuses semaines qu’elles n’avaient eu aucun message de Fort Adams et chacune attendait avec impatience des nouvelles de l’être cher qui vivait là-bas. Edwina voulut la première savoir comment allait le lieutenant Alvin Anderson, son mari. Leslie désira qu’on lui parlât de son fiancé, le sergent Andy Robbins. Et toutes les trois à l’unisson, ainsi que la petite Suzy, demandèrent si le général Douglas se portait bien.

Edwina s’enquit d’une voix enthousiaste :

–J’espère que père et Alvin vont être là pour mon anniversaire, c’est bientôt la date.

Le caporal Vanders fut navré de décevoir ces charmantes personnes. Il leur apprit que les soldats étaient tous consignés sur ordre du général, et ne pourraient obtenir de permissions. La raison étant : les Indiens cheyennes sur le sentier de la guerre. Les quatre femmes demeurèrent à la fois consternées et interrogatives devant cette révélation. Aussi, prenant la parole, madame Douglas questionna-t-elle l’officier :

–Pourquoi une attaque des Cheyennes, nous sommes en paix avec eux depuis un bout de temps maintenant ? Fils d’Aigle, leur chef, à la succession de son père, avait parlementé des heures avec mon époux sur les différentes conditions pouvant satisfaire les deux parties, avant de renouveler le traité de paix. Ils sont tombés d’accord et depuis il n’y a pas eu d’histoires, du moins avec cette tribu-là. Alors, comment expliquez-vous ce retournement de situation ?

La réponse du caporal était impatiemment attendue de toutes.

–Eh bien voilà ce qu’il s’est passé, fit-il en appuyant ses avant-bras sur les accoudoirs du profond fauteuil de cuir fauve dans lequel il était assis. Depuis quelque temps, une bande de hors-la-loi sévit dans la région ; j’emploie le présent car malheureusement ils continuent leurs exactions. Ils volent le bétail, les chevaux, pillent les fermes isolées. Excédé le sheriff…

–Ah oui ! C’est vrai nous avons entendu parler de cette affaire, lança Leslie, coupant le jeune homme dans ses explications. Mais, pardonnez-moi, continuez.

Souriant, le caporal reprit le cours de son récit :

–Donc, je disais que, excédé, le sheriff Blakely de cette ville, est venu au fort quérir l’aide de l’armée afin de donner la chasse à ces bandits, car peu de monde à Casper acceptait de l’accompagner dans cette mission dangereuse et de longue durée. Le général Douglas a donné son accord et une quinzaine d’hommes furent désignés, puis Blakely s’est joint à eux après être revenu ici nommer un suppléant à sa place en son absence. Durant plus d’un mois ils ont ratissé une bonne partie de l’État, franchissant même la frontière du sud Dakota et du Wyoming, sans trouver personne. Ensuite ont-ils agi par lassitude ou par rage de n’avoir pu attraper leur gibier de potence ? Il est certain, en tous les cas, que c’est dans un état d’ébriété avancé qu’ils eurent l’idée d’explorer une forêt proche, peut-être dans l’espoir d’y découvrir ceux qu’ils cherchaient. Mais c’est sur un village de Cheyennes qu’ils sont tombés. Très vite ils se sont aperçus que la plupart des hommes manquaient. Il n’y avait que des femmes, des enfants, des vieillards et quelques jeunes gens, mais pas assez nombreux pour assurer une défense sérieuse. Fils d’Aigle et ses braves étaient à la chasse. D’un coup, une folie meurtrière s’est emparée des soldats. Ils se sont mis à violer les femmes, torturer les anciens, massacrer les enfants ; quelques-uns faisant le guet pendant le carnage. Heureusement qu’une partie des infortunés a pu fuir et s’éparpiller dans la forêt. Mais, quand enfin les tortionnaires ont déguerpi, il ne subsistait derrière leur passage que des ruines fumantes, ayant incendié les habitations.

« Maintenant, mesdames, je vous laisse imaginer la tristesse de Fils d’Aigle et celle de ses hommes lorsque, à leur retour, ils ont découvert le génocide. Ensuite, vous pensez bien que les fuyards se seront empressés de rapporter que leurs assaillants n’étaient autres que des “tuniques bleues”, comme ils nous surnomment. »

–C’est épouvantable, s’exclama Edwina. Comment des gens chargés de maintenir l’ordre peuvent-ils se livrer à de telles barbaries ! Ils ne valent pas mieux que ceux qu’ils pourchassent.

–Qui les commandait ? demanda Sharon.

–Le capitaine Logan, répondit Vanders.

–Comment a-t-on su la vérité sur ce drame ? Certains auraient-ils parlé sous le poids du remords ? s’enquit à son tour Leslie.

–Effectivement, deux soldats qui n’ont pas participé activement ont dénoncé les autres, mais pas tout de suite, seulement après la visite de Fils d’Aigle. Voilà, peu de temps après le retour du petit escadron, Fils d’Aigle s’est présenté devant Fort Adams, accompagné d’une dizaine de guerriers et, sans sommation, il a fiché sa lance emplumée en terre, avertissant ainsi que les hostilités seraient pour bientôt. Depuis, on attend, et l’attente est pénible nerveusement, conclut l’officier.

Edwina, pour qui la justice tenait un rôle important dans son cœur, questionna sèchement :

–Tous ces hommes ont été châtiés comme ils le méritent, j’espère ?

–Le capitaine Logan a été dégradé et exécuté pour l’exemple, répondit l’officier, quant aux soldats, ils n’ont rien eu. Blakely a été disculpé par le capitaine Logan juste avant de mourir. Il a donc repris ses fonctions sans que rien n’ait transpiré de cette sale histoire.

–Eh bien, la justice n’existe pas. C’est révoltant, déclara amèrement Edwina.

–Il ne faut pas autant te formaliser, rétorqua Sharon, ce ne sont que des Peaux-Rouges tout de même et l’on ne peut pas passer par les armes des hommes valeureux qui ont perdu la tête quelques instants.

À ces mots, la jeune femme vibrante de colère, s’exclama :

–Oh maman ! Comment peux-tu dire des choses pareilles, c’est horrible. Les Indiens sont des êtres humains.

–Des êtres humains ! Laisse-moi rire. Ils sont plus féroces que des bêtes sauvages. Quand tu seras au courant comme je le suis de leurs mœurs ignobles et de quelles atrocités ils sont capables, tu comprendras mieux.

–Tu prêtes toujours crédit à toutes sortes de ragots, en ce qui me concerne je n’en prends qu’un peu et laisse le reste.

–Veux-tu te taire Edwina, je te prie. Quelle insolence !

Edwina se tut, piquée au vif, ne désirant pas faire de scandale devant les militaires, mais ses yeux de jade brillaient d’une lueur mauvaise pour sa mère.

Tout le monde se regardait, gêné. Pourtant, aussi brusquement qu’elle était venue, sa fureur la quitta, car elle pensa soudain à son père. Et au bout d’un moment, elle dit d’un ton grave :

–Père n’est pas coupable de ce qui est arrivé et il va peut-être le payer de sa vie.

–En effet, affirma le caporal Vanders, mais Fils d’Aigle, lui, est persuadé du contraire. Il faut le comprendre, les soldats du fort sont devenus ses ennemis et votre père, madame Anderson, plus que quiconque est visé, car le chef indien l’estimait énormément. C’était son ami. Pour lui c’est une trahison.

Les quatre femmes échangèrent un regard attristé, se retrouvant dans un réciproque sentiment d’amour envers le général Douglas.

Leslie songeant à son fiancé, émit d’une voix inquiète :

–Ils vont peut-être être tous tués, nous ne les reverrons plus, c’est affreux !

–Ne sois pas si pessimiste, ma chérie, répondit doucement Sharon qui se voulait rassurante, les hommes ne sont pas très nombreux au fort, dans les deux cents environ, mais ils disposent d’un armement récent et d’une quantité suffisante de munitions qui mettront fin rapidement et radicalement aux assauts de ces sauvages, n’est-ce pas caporal ?

–Oui, c’est juste madame la générale, acquiesça-t-il, toutefois, il ne faut pas les mésestimer. Les Cheyennes, comme beaucoup de leurs semblables, sont des guerriers accomplis, habitués dès leur plus jeune âge à un entraînement rigoureux. Leurs ruses sont diaboliques et l’on peut s’attendre à tout. De surcroît, Fils d’Aigle et ses braves ont en leur possession pas mal de fusils. Malgré tout, nous devrions avoir la victoire sans trop de difficultés, il n’y a pas grand souci à se faire.

Vite rassurée, sa nature intrépide prenant le dessus, Edwina proposa :

–En ce cas, rien ne s’oppose à ce que nous nous rendions au fort, puisque les hommes ne peuvent pas venir. Nous partirons demain avec vous caporal.

–Tu déraisonnes Edwina, éclata Sharon en se levant d’un bond du canapé où elle était installée. Te rends-tu compte de la folie de ce projet ? Il est possible même qu’à l’heure de notre entretien, les Indiens attaquent.

Ce projet fit pourtant l’unanimité auprès de Leslie, qui, bien que très peureuse de nature, n’écoutait que son cœur battre pour Andy.

–Edwina a raison maman, allons là-bas, je t’en prie, dis oui.

Leslie était si suppliante, que Sharon sentait qu’elle allait fléchir. Elle ne refusait jamais rien à sa fille cadette, c’était sa préférée, car proche d’elle par le caractère. Il n’en allait pas de même vis-à-vis d’Edwina, sa nature fougueuse, impatiente, volontaire, hardie, l’exaspérait. « Un corps de fille, une âme de garçon », répétait-elle tout le temps. Il était certain que la jeune femme préférait les galopades à cheval, les exercices de tir au revolver ou au fusil ou encore nager des heures dans une rivière, aux fastidieux travaux de broderies réservés aux dames, quoiqu’elle sût très bien manier l’aiguille et fût une bonne maîtresse de maison. À l’inverse, Edwina était l’adoration de son père. Il trouvait en elle le fils qu’il n’avait pas eu. Très tôt il lui enseigna le maniement des armes à feu et la petite fille qu’elle était alors, appréciait particulièrement ces leçons guerrières, au désespoir de Sharon. Fort douée, en peu de temps, elle était devenue « un as de la gâchette », comme la surnommait en riant son père, et Edwina en était fière.

Dès lors, la complicité qui s’établit entre eux devint indestructible, creusant davantage l’écart entre elle et sa mère.

Sharon hésita longtemps avant de donner son accord, laissant entrevoir à ses filles le danger auquel elles risquaient de s’exposer si les Indiens passaient à l’acte lorsqu’elles seraient au fort.

L’officier tenta à son tour de les dissuader, mais rien n’y fit, Edwina avait décidé que le départ serait pour le lendemain et elle s’en tint là. Madame Douglas connaissant l’entêtement et la témérité de la jeune femme, savait que bravant toutes les interdictions, elle était capable de s’en aller seule, et puis Leslie suppliait toujours, aussi s’entendit-elle dire oui malgré elle.

Les deux sœurs étaient aux anges. Suzy applaudissait.

Les militaires furent conviés à souper, et lorsqu’ils prirent congé de leurs agréables hôtesses, on fixa l’heure du départ à dix heures du matin.

Edwina s’était levée de bonne heure, suivie de près par ses sœurs et sa mère. Elles mettaient une dernière touche à leur toilette tandis qu’une servante bouclait une grosse malle d’osier contenant des affaires de rechange. Pour l’heure, elles portaient des jupes de cavalières et de fins corsages, confortables pour voyager à cheval dans la forte chaleur de ce début de journée. Sauf Edwina, qui se distinguant à nouveau, s’était vêtue comme la veille en garçon. Le pantalon ajusté ne cachait rien de ses formes harmonieuses et sa chemise à carreaux moulait sa poitrine. Sharon lui fit remarquer combien cette tenue masculine était provocante, ce dont la jeune femme était consciente, mais en fait, elle s’était habillée de cette manière dans l’intention d’ennuyer sa mère. Tout lui était bon pour se dresser contre elle. Cependant, l’arrivée du caporal Vanders et de ses deux compagnons d’armes écourta leur querelle. Suzy ne contenait plus sa joie. La perspective de chevaucher plusieurs jours à suivre, de coucher à la belle étoile, puis de retrouver son père, la surexcitait. Elle fut d’ailleurs la première en selle.

Enfin, une fois la malle arrimée sur le dos d’une jument, une fois les femmes montées chacune sur leur monture, la petite troupe se mit en marche. Des voisins les reconnaissant, leur firent des signes d’adieu.

Elles partaient tranquilles, laissant la maison aux bons soins de la domesticité.

Retrouvailles inattendues

Quatre jours plus tard, après un voyage sans encombre, le caporal Vanders et son petit groupe de femmes et d’hommes, arrivèrent en vue de Fort Adams, sur la fin d’après-midi.

Dès qu’ils furent entrés, les portes se refermèrent rapidement derrière eux. D’abord incrédules de voir les femmes rendues au fort, les hommes laissèrent bien vite éclater leur joie. Cette folie venait d’Edwina, il n’y avait qu’elle pour faire montre de pareille hardiesse, alors que le conflit menaçait. Alvin lui fit quelques remontrances pour le principe, mais en fin de compte il était très heureux de la soudaineté de sa présence qui rompait l’interminable attente. Il la serra dans ses bras un long moment. Puis elle alla embrasser son père. Leslie et Andy s’étaient déjà éclipsés dans leur hâte d’être seuls.

L’attention des soldats s’était un peu relâchée, les jours se succédaient et rien ne se passait. Tout était prêt depuis longtemps pour l’attaque : les sacs de sable disposés sur le chemin de ronde servant à la fois à se cacher derrière pour tirer et se préserver des balles et flèches ennemies, les fusils soigneusement révisés, tous chargés à dessein de ne pas être pris au dépourvu à l’instant fatal.

Une fois de plus le soir tombait et tout était calme. Edwina passa une nuit exquise dans les bras d’Alvin. Ils s’aimèrent pour la dernière fois, mais ils l’ignoraient. Réfugiés dans la petite chambre de son époux, enlacés, ils savouraient chaque minute, ne voulant pas voir finir la nuit.

L’attaque des Cheyennes

Le soleil n’était pas encore très haut dans le ciel, lorsque la sentinelle guettant sans interruption dans le mirador, hurla :

–Les voilà, les voilà !

Brusquement ce fut la ruée dans la cour du fort. Les hommes s’activèrent fébrilement aux ultimes préparatifs, obéissant aux ordres du général Douglas, et dans une parfaite discipline chacun d’eux gagna son poste de combat.

Le cœur de tous alors se serra d’effroi, car de tous côtés les Indiens arrivaient, points minuscules pour les plus éloignés, déjà proches pour d’autres, sortant de la forêt. Il y en avait partout, naissants, innombrables, comme dans un mauvais rêve.

Edwina attendait dehors en compagnie de sa mère et de ses sœurs, et ce n’était pas l’envie qui lui manquait de rejoindre son mari ; armée d’un fusil, elle savait qu’elle serait utile, mais il n’accepterait jamais pas plus que son père. Celui-ci d’ailleurs, les apercevant, se dirigea de leur côté. Il leur conseilla de s’abriter dans le dépôt de munitions sans plus tarder.

Les trois femmes et l’enfant s’assirent sur des caisses d’armes. L’angoisse les tenaillait si fort qu’elles ne pouvaient dire un mot, et bientôt, elles entendirent nettement l’épouvantable cri de guerre des Peaux-Rouges, cri continuel tout au long de l’attaque qui mettait les nerfs à vif. Edwina fit quelques pas. Elle hasarda un regard par une toute petite fenêtre percée dans la cloison de bois. Une volée de flèches venait déjà de faire des victimes, malgré un feu nourri. À partir de cet instant, elles ne purent sortir qu’à la nuit quand le calme régnait de nouveau.

Tout est perdu

Pour Edwina, ce confinement forcé devenant vite insupportable, elle s’occupa en explorant l’armement. Elle finit par choisir un fusil à sa convenance. La situation s’étant considérablement dégradée après deux jours de lutte sanglante, celle-ci se révélait désespérée au terme du troisième. Il ne restait qu’une dizaine de soldats s’évertuant à éteindre les débuts d’incendie allumés par des flèches enflammées, tout en maintenant un tir de moins en moins offensif, faute de combattants. Demain serait la fin.

À la nuit tombée, la jeune femme, Sharon et Leslie sortirent de l’entrepôt, comme chaque soir. Cette dernière, impressionnée par le sang, fila en enjambant les cadavres, sans trop regarder, à la recherche d’Andy, qui, Dieu merci, était indemne. Edwina et sa mère firent de même, heureuses de retrouver Alvin et le général Douglas sains et saufs avec d’autres hommes. On n’osa pas parler du lendemain, du moins pas tout de suite. Le plus urgent momentanément, était de secourir les blessés, une hécatombe. Sharon, secondée d’Edwina, se mit au travail, ce qui leur évitait de penser. Les deux nuits précédentes, elles avaient dispensé leurs soins, essayant d’apporter un peu de soulagement à ces pauvres êtres souffrant le martyre, ainsi qu’aux mourants en leur adressant des paroles réconfortantes. Mais cette nuit, il y en avait vraiment trop. Les bandes, la charpie, les différentes médecines et produits médicaux indispensables furent épuisés en peu de temps, et les deux femmes durent abandonner les malheureux à leur horrible sort. Sharon retourna au dépôt consoler Suzy qui ne voulait plus mettre le nez dehors, trop effrayée par les morts, le sang. Elle refusait de manger et sombrait entre chaque crise de larmes dans un état d’hébétude préoccupant. Une haine profonde commençait à naître pour Edwina, cette Edwina qu’elle aimait si peu déjà, et qui les avait précipitées dans ce guêpier inextricable.

La jeune femme courut rejoindre son époux. Elle savait que leurs vies ne tenaient plus qu’à un fil, dans quelques heures tout serait terminé. Elle se jeta dans ses bras en pleurs. Enfin, après un long silence douloureux, Alvin lui reprocha tout bas, d’une voix émue :

–Quelle folie d’être venue ici, chérie, avec ce péril latent. Tu n’aurais pas dû, mon amour, il ne fallait pas.

–J’avais tellement envie de te voir ainsi que mon père, et la déception a été si grande lorsque le Caporal Vanders nous a appris que vous ne pourriez pas vous rendre à Casper. Je n’ai pas pu résister. Et puis personne ne croyait que cela finirait de cette façon, pas même le caporal qui, ce jour-là s’est montré plutôt confiant face à notre victoire. C’est invraisemblable.

Alvin la serra plus fort contre lui. Un affreux pressentiment le tourmentait. Si Edwina n’était pas tuée par les sauvages, ce serait la captivité avec son cortège de souffrances inévitables. Il ne put s’empêcher de lui en faire part :

–Mon amour, fit-il, parvenant difficilement à affermir sa voix, ce que je vais te confier est terrible, mais… il hésita, puis reprit, il vaudrait mieux que tu sois tuée demain, tu sais, parce que s’ils t’emmènent avec eux, tu ne survivras pas à la vie que tu mèneras dans leur camp, tu seras une esclave. C’est le sort le plus désastreux qui soit. Ta fierté, ta dignité te pousseront à ne pas te soumettre, je te connais et c’est tout à ton honneur, mais que t’arrivera-t-il si tu te révoltes ? Il n’y a aucune douceur dans leurs mœurs et leur existence est des plus rudes. Je n’ose envisager un tel avenir pour toi. Et ta mère, Leslie, Suzy, que deviendront-elles ? Elles sont bien moins endurantes que toi, elles ne supporteront même pas le voyage. As-tu vu comme ta petite sœur est traumatisée, ils ne s’encombreront pas d’elle.

–Oh, tais-toi, tais-toi ! cria-t-elle en sanglotant, je ne songe qu’à cela. C’est pour elles que j’ai peur et si je n’en dis rien le remords me ronge. Mais nous ne pouvons pas revenir en arrière. C’est trop tard.

–Je t’aime ma chérie, et la crainte que l’on te fasse du mal me torture constamment.

Ils s’embrassèrent longuement, puis s’installèrent dans un recoin de la cour pour y passer le reste de la nuit, enlacés, déchirés, écoutant geindre les blessés, râler les agonisants…

L’aube blanchit, effaçant l’obscurité, apportant la mort. Edwina regarda amoureusement son mari, blond comme elle, des yeux bleu-gris, il était si séduisant, si jeune. Être séparée de lui, lui parut tellement intolérable qu’elle espéra de tout son cœur qu’ils meurent ensemble. En se quittant, ils pleuraient tous les deux. Ensuite, elle alla faire ses adieux à son père qui l’étreignit fortement un long moment. Le perdre, perdre son époux, les personnes qu’elle chérissait au-delà de tout, qui faisaient sa joie de vivre. Non, cela ne pouvait se passer. Le cœur détruit, elle regagna l’entrepôt, le laissant avec Sharon et Leslie. Suzy vint à elle. Edwina la câlina tendrement, cachant ses larmes dans les boucles châtain clair de sa petite sœur. La porte s’ouvrit, le général entra, son épouse et Leslie le suivaient. Il embrassa l’enfant, mais trop ému, ressortit très vite…

L’espace d’une demi-heure à peine s’était écoulé depuis que le général était parti, quand brusquement le cauchemar recommença. Les cris des sauvages, le bruit de la fusillade. Mais celle-ci n’était plus qu’une illusion du côté des Blancs vu le peu de soldats qui ripostaient.

Edwina était à son poste d’observation près de la petite fenêtre, fusil en mains, s’apprêtant à faire feu sur les premiers Peaux-Rouges qui feraient irruption. Combien y en avait-il ? Nul ne savait, peut-être beaucoup encore. Dès le début du conflit, il était apparu qu’à l’importance de leur effectif, les Cheyennes avaient eu recours à une autre tribu.

Accroupie derrière des caisses d’armes, Sharon serrait Suzy et Leslie dans ses bras en regardant son aînée d’un air mauvais. Elle dit d’un ton âpre :

–Tu comptes les tuer tous ?

–Tous, non, malheureusement, mais pas mal, j’espère.

–Tu crois que cela va les adoucir lorsqu’ils vont nous tomber dessus ?

–Et que veux-tu que je fasse, répondit Edwina, que je tire ou non, leur réaction sera la même, ou ils nous tueront ou ce sera la captivité, on n’aura pas le choix, alors je vais nous défendre jusqu’à ce qu’ils nous trouvent.

–Pourquoi ne pas essayer de parlementer, Fils d’Aigle comprend et parle assez bien notre langue.

–Tu plaisantes maman, il ne nous laissera pas placer un mot dans sa rage de tout anéantir sur son passage.

Edwina acheva sa phrase, la voix tremblante de sanglots contenus. Sharon ricana, et poursuivit, amère :

–Il est bien temps de t’émouvoir, Edwina. C’est avant qu’il fallait réfléchir aux conséquences de notre défaite. Je voudrais que tes sœurs et moi nous mourions tout à l’heure, c’est ce qu’il peut nous arriver de mieux, mais pas pour toi. Toi tu mérites de souffrir pour cette folie dans laquelle tu nous as entraînées. Leslie est faible et ton idée lui est montée à la tête. On a suivi ton entêtement inconsidéré et nous allons le payer. Que ne t’ai-je fait enfermer à double tour dans ta chambre comme quand tu étais enfant. Je te déteste fille maudite. Pourvu qu’ils t’épargnent, qu’ils t’emmènent avec eux. Tu verras si tu continues de les soutenir, quand tu seras traitée comme un chien.

Leslie pleurait bruyamment, Suzy criait en tremblant de tous ses membres.

Les mots de Sharon crucifiaient Edwina. Elle murmura simplement :

–Je regrette.

–Ah, elle regrette, voyez-vous cela ! Comme c’est émouvant, ironisa Sharon pleine de ressentiment.

Ses paroles se perdirent dans le vacarme des premiers sauvages apparaissant au sommet du mur d’enceinte tandis que le portail était enfoncé. Aussitôt Edwina épaula, fit feu. Elle était seule à tirer.

Captives

Les Indiens envahissaient tous les bâtiments, quand subitement, une partie de la cloison où était appuyée Edwina vola en éclats sous les coups de hache. La porte se volatilisa dans un fracas de planches brisées. Les trois femmes dissimulées hurlèrent de terreur. Une douzaine de Peaux-Rouges se ruèrent dans le dépôt. Edwina leva son fusil, mais n’eut pas le temps de tirer une dernière salve, se retrouvant encerclée et tenue en joue. L’un d’eux le lui arracha des mains en criant quelque chose qui devait être une injure et brandit sa hache pour lui fendre le crâne, lorsque leur chef entra à son tour, suspendant son geste. La poussant alors violemment, elle tomba à genoux aux pieds de Fils d’Aigle. Les deux sauvages échangèrent quelques mots dans leur langue, Edwina ne comprit rien. Paralysée par une peur panique qui lui broyait les entrailles, elle ne voyait que ses mocassins brodés et du sang qui coulait le long de ses jambières de peau frangées. Puis sa mère, ses sœurs, la rejoignirent, projetées brutalement sur le sol. Suzy atterrit en pleurs à côté de sa sœur aînée, qui, dans un geste protecteur entoura ses épaules de son bras, cherchant à l’apaiser. À sa droite, Sharon et Leslie se tenaient par le bras, pâles, tétanisées de peur.

Le cœur d’Edwina cognait si fort, que machinalement elle posa sa main libre sur sa poitrine, comme pour en comprimer les battements.

À peine eut-elle esquissé ce mouvement, qu’elle entendit une voix autoritaire lui commander :

–Lève-toi, femme.

Trop crispée, elle ne parvint pas à remuer. Il s’emporta :

–Lève-toi !

La jeune femme tressaillit sans bouger davantage. Elle le vit déposer son fusil à terre, puis empoignant sa chevelure, il lui redressa la tête de force. Immédiatement, elle obtempéra, la douleur étant insupportable. Quand elle fut debout, Suzy s’accrocha à elle de toutes ses forces en hurlant, mais giflée à toute volée par l’une de ces brutes, elle chuta à la renverse, assommée.

Fils d’Aigle lâcha Edwina, prête à se baisser pour secourir l’enfant. Elle s’arrêta net, remarquant les scalps sanglants qu’il portait à sa ceinture près de son tomahawk. Les cheveux argentés de son père y étaient. Ses yeux s’agrandirent d’horreur et de dégoût, sa bouche s’entrouvrit sur un cri. Aucun son n’en sortit. Les larmes montèrent, pourtant elle les contint en se mordant les lèvres.

Tout ce temps, Fils d’Aigle qui l’observait, la trouvait plutôt courageuse cette squaw blanche habillée comme un homme, qui tirait très adroitement au fusil et retenait ses pleurs. Aucune comparaison n’était possible avec les deux autres femmes pleurnichardes. Soudain, il eut l’intuition qu’elle devait avoir un lien avec la chevelure blanche qu’elle ne cessait de fixer.

Se ressaisissant, Edwina leva la tête. Elle plongea son regard dans ses yeux sombres étirés vers les tempes et ne put s’empêcher d’admirer son visage : des pommettes légèrement saillantes, un nez droit, des lèvres pleines, sensuelles, un menton volontaire. Quelle perfection des traits ! Les peintures de guerre ne l’enlaidissaient même pas. Il portait l’importante coiffe en plumes d’aigles réservée aux chefs de tribus. Deux longues et fines tresses enfilées dans des pattes de renard évidées, pendaient de chaque côté de son visage, la masse de ses beaux cheveux d’ébène retombant dans son dos. Jeune, grand d’une bonne tête de plus qu’elle et pourvu d’une musculature souple et féline, tout en lui faisait penser à un tigre : beauté, force, cruauté.

La jeune femme baissa les yeux n’arrivant plus à soutenir l’intensité de son regard dans son visage impassible. Il lui semblait qu’il fouillait au fond de son âme pour y arracher ses pensées. Sur un ton toujours sévère, il la questionna :

–Tu es courageuse pour une femme, qui es-tu ?

L’immense peine qu’elle ressentait laissant place à la colère, elle répondit, haineuse :

–Mon nom est Edwina et je suis la fille aînée du général qui commandait ce fort et que tu as assassiné.

En parlant elle désignait le scalp de son père. Aussitôt, il répliqua en usant du même ton qu’elle :

–Moi, Fils d’Aigle, j’ai tué ton père loyalement après une lutte à mort entre lui et moi. J’ai été très bon de lui accorder cette dernière chance, alors qu’il a trahi ma confiance en exterminant les miens. En lui donnant mon amitié, j’ai oublié que les Blancs demeurent lâches, vils, menteurs, perfides. Je hais ta race, femme. Regarde autour de toi, toi aussi tu as tué mes frères.

–J’ai tiré sur eux pour me défendre, et tu te trompes sur mon père, il ne t’a …

D’un geste, il l’interrompit brutalement, ses yeux étincelaient de fureur.

–Tais-toi, je ne veux plus t’entendre, ta langue est trop longue.

Edwina pencha la tête, tremblante, pressentant qu’il était sur le point de la frapper. À ses pieds, Suzy gisait toujours inanimée. Elle se baissa pour la prendre dans ses bras, mais Fils d’Aigle donna un ordre à l’un de ses guerriers et elle lui fut enlevée. La jeune femme se releva précipitamment. Il était déjà trop tard, l’enfant était emmenée dehors. Son cœur se serra dans un mauvais pressentiment et les paroles d’Alvin lui revinrent en mémoire : « Ils ne s’encombreront pas d’elle. » Oh non ! C’était trop inhumain. Elle s’élança derrière l’Indien, voulant suivre sa petite sœur, mais la main brutale de Fils d’Aigle s’abattit sur son épaule, l’empêchant d’aller plus loin. Reprenant vie, Sharon toujours agenouillée, se mit à hurler, son instinct de mère la prévenant qu’elle ne reverrait pas sa fille vivante.

Quelques minutes passèrent, angoissantes, puis le Peau-Rouge revint, les boucles de Suzy ornaient sa ceinture. Arrivée au terme de ce qu’elle pouvait supporter, Leslie s’évanouit, tandis que Sharon sombrait dans une véritable crise d’hystérie, criant, se tordant les mains. Seule Edwina conservait sa maîtrise, s’efforçant de ne pas chanceler, et malgré les larmes qui coulaient sur ses joues, elle regardait Fils d’Aigle dans les yeux en se tenant très droite.

Il lui demanda :

–Que fais-tu ici avec elles, ce n’est pas la place des femmes ?

Edwina crut qu’elle ne parviendrait pas à articuler un mot tant l’émotion contractait sa gorge. En faisant un terrible effort sur elle-même, elle réussit à dire d’une voix faible :

–Je suis restée de nombreuses semaines sans voir mon père et mon époux, j’ai décidé de les rejoindre, ma mère m’a accompagnée ainsi que mes sœurs.

–Seulement tu ne savais pas que je devais attaquer le fort.

–Si, un officier était venu nous prévenir. J’ai pris le risque de m’y rendre quand même.

–Tu ne manques pas d’audace.

Une étincelle admirative brilla dans ses prunelles, se transformant vite en mépris à l’égard de Sharon et de Leslie. Sa lèvre supérieure se retroussa dans un rictus de dégoût.

–Thitpan, Cuyloga ? appela-t-il.

Deux sauvages s’approchèrent de lui. Il leur lança des ordres brefs en montrant les deux femmes effondrées sur le sol. Le premier accouru, nommé Thitpan, sortit son couteau, se saisit de Leslie et lui trancha la gorge, un flot de sang jaillit, puis il réunit sa chevelure afin de lui découper la peau du crâne avec une habileté démoniaque.

Edwina plaqua sa main sur sa bouche pour étouffer son cri. Sharon replongea dans une crise de nerfs plus terrible encore. Perdant tout contrôle, elle se roula par terre. L’autre Indien, Cuyloga, s’empara d’elle et la roua de coups pour la calmer. Folle de douleur devant tant d’horreur, Edwina voulut se jeter sur lui, Fils d’Aigle la retint. Immobilisée, elle ne put que supplier :

–Je t’en prie, je n’ai plus que ma mère, épargne-la. Tu t’es vengé de tes ennemis puisque tu les as tous éliminés. Que t’apporterait cette mort supplémentaire ? Dis-lui d’arrêter. Je n’ai plus de sœurs, laisse-moi ma mère.

Edwina termina, la voix enrouée de chagrin. Fils d’Aigle la lâcha, et sur un signe, Cuyloga abandonna à regret Sharon. La jeune femme s’empressa auprès d’elle. Son chignon était défait, son visage portait des marques bleues. Sa robe de soie mauve, malmenée, se déchirait aux manches. Edwina remit rapidement de l’ordre dans la coiffure de sa mère et l’aida à se relever, au prix de beaucoup de peine. Elle évita de regarder le corps de Leslie à la jolie tête mutilée. Puis, Thitpan et Cuyloga attachèrent leurs poignets droits à de longues cordes et les entraînèrent à l’extérieur en les tirant sans ménagement.

Quand Edwina passa à proximité de Fils d’Aigle, sans tourner la tête, elle lui dit dans un souffle :

–Merci de lui avoir accordé la vie.

Du plus profond de son être, elle le détestait.

Dans la cour du fort, le spectacle était dantesque. Les Peaux-Rouges scalpaient les morts, volaient leurs uniformes pour s’en déguiser en poussant des cris joyeux. Fils d’Aigle leur laissait entière liberté, estimant sans doute que ses braves avaient bien le droit de s’amuser après un si rude combat.

Le butin pillé à l’intérieur du Quartier Général et dans les locaux réservés aux soldats, s’amoncelait à l’entrée. Les chevaux des militaires furent amenés et les Indiens s’en servant comme animaux de bât, chargèrent les prises de guerre dessus. L’armement représentant leur plus grand trésor, il ne resta bientôt que des caisses vides dans le dépôt. Tout fut dévalisé promptement, allant rejoindre le reste.

Edwina eut un haut-le-cœur, tant ce qu’elle découvrait était effroyablement laid. Les hommes à la tête saccagée, reposant au milieu de flaques sanglantes, leurs vêtements dépecés. Et ces monstres qui se paraient de leurs chevelures, à celui qui emporterait le plus de ces affreux trophées. Quelle ignoble coutume ! Quelle vision d’épouvante ! Où était son père, son mari, le fiancé de Leslie, la dépouille de Suzy ? Elle ne le saurait pas et c’était mieux comme cela, leur vue lui aurait été intolérable.

À présent, elles arrivaient de l’autre côté du massacre et c’était tout aussi atroce. Les natifs gisaient dans des positions plus ou moins grotesques parmi les cadavres de leurs chevaux foudroyés en pleine course.

Fils d’Aigle rassembla hommes et bêtes, les groupant en colonnes par quatre. Un coup d’œil sur ses guerriers défunts lui fit regretter de ne pouvoir les ramener, mais ils étaient trop éloignés de chez eux. Edwina fut placée en tête à côté de lui, et Thitpan qui tenait l’extrémité de la corde, la lui céda. La jeune femme se trouvait entre eux deux. Fils d’Aigle à sa droite, Thitpan à sa gauche. Derrière elle, Sharon était rattaché à Cuyloga.

D’un bond les Peaux-Rouges s’élevèrent sur leurs montures avec une agilité stupéfiante, montant à cru pour certains. Fils d’Aigle s’entretint avec six de ses braves, puis après avoir donné le signal de départ, la file se mit en marche. Les six hommes rentrèrent dans le fort.

La marche épuisante

Étonnée de cette décision, Edwina s’interrogea :

« Que vont-ils faire ? » Elle eut vite la réponse en entendant un crépitement d’incendie qui la fit se retourner. Le fort tout entier s’embrasait et les barils de poudre intransportables explosaient dans un bruit de tonnerre, avivant les flammes. Leur dernier forfait accompli, les retardataires les rattrapèrent au galop.

Sharon, livide, les yeux rouges, bouffis, avançait comme un automate, plongée dans un abîme de désespoir. Edwina savait combien elle était humiliée, dévastée, combien son cœur de mère, d’épouse, était ulcéré. Il leur faudrait pourtant s’épauler dans cette commune destinée.

À chaque explosion, la jeune femme avait l’impression que c’était en elle que cela sautait. Dans les flammes elle laissait tout, des êtres chers morts atrocement, sa race, sa religion, des amis, son passé d’enfant, sa vie luxueuse dans la belle propriété de Casper, et surtout : la liberté. Elle perdrait jusqu’à son identité. Il lui semblait se consumer, se désagréger avec la fumée qui s’élevait noire et épaisse au-dessus du fort. Mourir, si seulement elle pouvait mourir, l’avenir était si obscur. Cet univers inconnu vers lequel elle se dirigeait, cette existence primitive qu’elle devrait partager avec ces sauvages. « Leurs mœurs sans douceur » lui avait confié Alvin la nuit dernière, tout comme Sharon, qui lui avait fait entrevoir leur inhumanité. Elle n’y avait pas cru et l’avait mal pris, cependant aujourd’hui, elle avait pu le vérifier. Alors, quel sort le réserverait-on à toutes les deux ?

Et lui, ce jeune chef impétueux, orgueilleux de sa victoire, comment allait-il la traiter ? Elle lui appartenait, elle était sa prisonnière, du reste il le montrait clairement en la tenant lui-même en laisse comme un animal. Les pensées d’Edwina déviant sur lui, ses yeux en firent autant. Il avait retiré son importante coiffure emplumée. Ses nattes enveloppées de fourrure, décorées de perles multicolores atténuaient un peu la sévérité de sa physionomie. Le reste de sa chevelure soyeuse répandue librement dans son dos flottait au moindre souffle d’air. Un anneau en os, peint, pendait à son oreille gauche. Il était torse-nu et sa musculature athlétique saillait à chacun de ses mouvements. Un collier en dents d’animaux ornait son cou ; un bracelet composé de perles et de morceaux d’os enfilés sur un lacet de cuir auquel pendaient deux queues de moufettes, décorait son bras droit. De larges bandes de cuir pourvues de franges enserraient ses poignets. Il était monté sur un magnifique poney à la robe semée de taches marron, blanches, noires.

Edwina fut parcourue d’un frisson indéfinissable. Pourquoi ce bourreau était-il aussi beau ? Il la fascinait et la terrorisait à la fois sachant de quelles cruautés il était capable, le scalp de son père en témoignait, ainsi que la mort de ses sœurs ordonnée par lui. Elle laissa ensuite errer son regard sur son gardien de gauche : Thitpan. Curieusement, il ressemblait à Fils d’Aigle, un peu moins grand que lui mais aussi beau. Il était coiffé pareillement à l’exception des tresses. Sa tunique de daim était maculée de sang et la chevelure de Leslie dégoulinait encore le long de sa cuisse. Edwina sentit les larmes brouiller de nouveau sa vue, avec mille peines elle les retint, s’efforçant de ne pas retomber dans la tristesse infinie qui noyait son cœur. Elle détourna la tête pour jeter un coup d’œil derrière elle. Au départ, elle avait dénombré, au jugé, plus de deux cents cavaliers, or, impossible à dire si une autre tribu était associée à celle des Cheyennes, car ils offraient tous une image semblable à celle de Thitpan ou de Fils d’Aigle, différenciée uniquement pour certains dans la façon de se coiffer, avec deux nattes ou les cheveux libres. Ils riaient et parlaient beaucoup à l’inverse de leur chef imperturbable, sérieux, son visage n’indiquant aucune émotion, ce qui lui conférait une telle dureté. Seule la luminosité de son regard trahissait ses sentiments, encore fallait-il savoir les interpréter. Ces vigoureux guerriers, jeunes pour la plupart, étaient grimpés sur des chevaux superbes, tachés dans toute la gamme des bruns, blancs, gris, noirs, et à l’instar de leurs maîtres, aussi fiers et nerveux.

Les bêtes excitées formaient un mur entourant les deux femmes, aussi mieux valait-il ne pas trébucher au risque d’être piétinées. Edwina regarda discrètement sa mère. De sa main libre, elle relevait légèrement sa robe, essayant de se faciliter la marche. « Pauvre maman, pensa-t-elle, ce soir, elle sera fourbue, sa toilette en lambeaux, ses fins souliers n’existeront plus. » Elle évita juste à temps les yeux de Sharon en se retournant hâtivement. Durant ce bref examen, elle avait distancé son geôlier, se retrouvant près du cheval de Cuyloga. Il la fit revenir brutalement à sa hauteur en tirant un coup sec sur la corde. Leurs prunelles se rencontrèrent, celles d’Edwina flambaient de rage. Elle baissa aussitôt la tête se gourmandant intérieurement, songeant combien elle devait être transparente pour lui en ne parvenant pas à cacher ses émotions. Or, il était plus prudent de laisser sa révolte de côté pour l’instant, car poussé à bout par sa conduite insoumise, il lui ferait endurer un véritable calvaire. Elle en était persuadée.

Elle releva la tête et découvrit le paysage pour la première fois tant son âme était tourmentée. Jusqu’ici elle avait vu sans voir. La forêt qui longeait le fort avait disparu. À perte de vue s’étendait un océan d’herbe sèche, plat, que l’on appelait « La Grande Prairie » immense domaine des Indiens des Plaines : Sioux, Crows, Arapahos, Cheyennes, Pieds-Noirs, Pawnees, Ioways, et autres, domaine qui englobait du nord au sud des États-Unis le Montana, le Wyoming, le Nord et Sud Dakota, le Minnesota, le Nebraska, l’Iowa, le Kansas, le Missouri, l’Oklahoma, l’Arkansas.

Toutes sortes de gibiers abondaient, et en particulier d’imposants troupeaux de bisons si prisés par les autochtones, car indispensables à leur survie dans ces contrées au climat rude : hivers glacials, printemps inondés, étés brûlants.

Au plus loin qu’elle portait son regard, Edwina ne voyait rien d’autre que des rochers qui se dressaient de part en part au milieu de l’herbe. Des pierres jonchaient la piste, rajoutant à la sécheresse environnante. Et le ciel d’un bleu profond n’était troublé dans sa limpidité que par un moutonnement neigeux qui n’atténuait en rien la brûlure du soleil. Combien de jours de marche épuisante faudrait-il avant d’arriver en territoire Cheyenne, et qu’y trouveraient-elles toutes les deux, la paix ou l’enfer ? Une chose était certaine, il leur faudrait être courageuses et endurantes. Mais Sharon tiendrait-elle ? Cette pensée lui poigna le cœur, d’autant plus qu’une fois à destination ce n’était pas pour une installation définitive, le campement dans un endroit n’était que temporaire, les Indiens se déplaçaient fréquemment. Que faire pour elle, que faire pour elle déjà dans l’immédiat ? Cela exigeait réflexion. Elle dégrafa un bouton supplémentaire à sa chemise, la chaleur était suffocante. Plus que jamais elle se félicitait d’avoir revêtu ce matin ses vêtements masculins si confortables qui laissaient toute liberté de mouvements et d’avoir aux pieds ses bottes de cavalier qui assuraient ses pas en lui évitant de se tordre les chevilles sur les pierres. Tout à coup, elle tâta sa coiffure avec appréhension. « Oh ! Pourvu que… », se dit-elle. Mais non. Elle poussa un soupir de soulagement, le gros peigne en argent incrusté de nacre qu’Alvin lui avait offert à la naissance de leur fille s’y trouvait toujours. Heureusement qu’elle ne l’avait pas perdu lorsque cette brute lui avait tiré si sauvagement les cheveux. Elle s’était fait une tresse qui reposait sur son épaule droite, serpentant jusque sur sa cuisse, retenue à l’extrémité par un petit anneau de nacre. Le peigne piqué à la base de la tresse l’embellissait de reflets irisés. Quand elle libérait sa chevelure, une cape d’or soyeuse la recouvrait, ce qui émerveillait toujours son époux. Il ne lui restait de lui que ce peigne, et en le touchant de pénibles réminiscences refirent surface. La naissance de leur petite Louisa, amour de poupon qui fut la joie de tous et l’aboutissement de leur union, puis sa disparition prématurée un an plus tard d’une mauvaise fièvre. Elle en avait été inconsolable pendant des mois, et seule la patience, la compréhension, la tendresse d’Alvin, l’avaient aidée à surmonter cette douloureuse épreuve.

Mais aujourd’hui, elle était seule, personne ne la réconforterait, ne lui tendrait la main pour sortir du piège où elle s’était fourvoyée. Jusqu’à sa mère qui la rejetait. Sa gorge se noua et l’envie de pleurer revint plus forte que jamais, son cœur pesait lourd. Et puis elle était lasse, la soif, la faim la tenaillaient. Il lui semblait qu’elle marchait depuis une éternité, le soleil était juste au-dessus d’eux, les ombres inexistantes, il était midi. Les hommes buvaient de temps en temps à leurs gourdes de peau, mais les femmes n’avaient rien eu. Enfin, agissant comme si Edwina lui avait transmis ses pensées, Fils d’Aigle tira brusquement la bride de son cheval, et levant le bras, fit stopper le convoi. Il lui donna à boire. Elle n’avait jamais autant apprécié l’eau, instantanément elle se sentit mieux. Sharon se désaltérait également. Fils d’Aigle et ses guerriers mirent pied à terre et gagnèrent l’ombre de maigres arbrisseaux avec leurs prisonnières. Les bêtes pourraient se reposer pendant qu’ils se restaureraient. Certains Peaux-Rouges se débarrassèrent de leurs carquois remplis de flèches, déposèrent leurs arcs dessus. Leurs fusils, eux étaient glissés dans un étui pendant sur le flanc des chevaux ou fixé à la selle. D’autres s’occupèrent de la distribution des vivres razziés au fort, ensuite ils s’assirent par terre en un vaste cercle. Les deux femmes détachées s’installèrent un peu à l’écart. Un très jeune Indien leur apporta de la viande et des biscuits, et bien que ce ne fût pas un festin, Edwina savoura chaque bouchée, manger lui faisait du bien. Peu à peu elle se détendit et la fatigue s’estompant, elle osa s’adresser à sa mère, silencieuse et lointaine.

–Maman, faisons la paix, veux-tu ? Pourquoi nous déchirer puisque nous devrons vivre côte à côte tous les jours que Dieu fera dans un milieu hostile, étranger pour nous. Tout est de ma faute, je le reconnais et ma peine est immense, mais nous ne pouvons plus rien changer. Maman, tu m’écoutes ? Regarde-moi ! Parle-moi !

Mais Sharon était ailleurs.

Subitement Edwina se leva, désolée devant l’attitude de sa mère. À pas lents, pour ne pas les effrayer, elle se dirigea vers les chevaux. L’une des bêtes tourna sa belle tête rousse dans sa direction. Ses grands yeux veloutés ourlés de longs cils noirs la fixèrent. Elle lui parla doucement, l’animal se laissa caresser. Elle vouait aux chevaux une véritable passion et celui-ci devait le deviner.

Fils d’Aigle ne la quittait pas des yeux. Cette belle jeune femme n’était que délicatesse et féminité. Un visage d’une grande finesse, une bouche joliment dessinée et ses prunelles d’un vert de pierre précieuse qu’elle avait en commun avec sa mère, l’avaient envoûté dans l’instant. Elle avait l’air si doux, si fragile, timide même. Mais c’était trompeur. Ne lui avait-elle pas montré une partie de son caractère hardi ce matin en lui parlant sans peur ? Et depuis, ne voyait-il pas sans cesse la colère dans ses yeux ? La révolte grondait dans son cœur. Obscurément, il prévoyait des rapports de force entre elle et lui. Il la dompterait bien sûr, mais certainement pas facilement. Elle était de la trempe de son père, ce grand guerrier valeureux devenu son ennemi. Sa beauté mise à part, elle lui avait tout spécialement plu pour son courage, sa dignité, ce qui lui avait valu de conserver la vie. Ces présomptions allaient se confirmer quelques minutes plus tard.

Sharon s’était approchée d’Edwina, silencieusement, sans qu’elle n’y prît garde. Le cheval se mit à secouer nerveusement sa belle crinière, Edwina recula vivement se heurtant à sa mère. Elle se retourna et sourit en la découvrant.

–Maman ! Je ne t’ai pas entendue venir, s’exclama-t-elle gentiment.

Mais en disant ces mots, elle discerna la rage démesurée qui l’habitait. Elle était blanche, ses yeux brillaient cruellement. Jamais elle n’avait vu sa mère ainsi.

–Maman, qu’as-tu, ça ne…

Edwina n’eut pas le temps de terminer. Sharon lui sautait à la gorge en l’injuriant :

–Garce, fille maudite. Tu as ruiné ma vie. Comment peux-tu me demander de faire la paix, alors que je te hais.

Interdite par la violence de l’assaut, Edwina perdit l’équilibre. Elles roulèrent ensemble au sol. Sharon ne lâchait pas son cou, ses doigts au contraire s’y imprimaient davantage. La plupart des hommes, intéressés, riant aux éclats, les avaient rejointes se disposant en demi-cercle autour d’elles. Le spectacle des deux femmes qui se battaient, représentait une attraction fort drôle. Ils criaient et les encourageaient dans leur langue.

La respiration coupée, Edwina ne savait comment se débarrasser de cette furie. Elle lui tira les cheveux de toutes ses forces, mais elle ne cédait pas. De ses deux mains, elle repoussait le visage dément de sa mère, mais l’emprise des doigts demeurait la même. Elle suffoquait, un voile rouge dansait devant ses yeux. Sharon allait bel et bien l’étrangler. Dans un ultime instinct défensif, elle lui enfonça deux doigts en fourchettes dans les yeux. Sharon hurla et décolla son corps de celui d’Edwina. C’était tout ce que celle-ci souhaitait. Aussitôt, elle profita de la faiblesse de sa partenaire qui, malgré cela, serrait toujours aussi fort, pour replier une jambe et lui expédier un bon coup de genou dans l’abdomen. Sharon lâcha prise. Elle étouffait et se replia sur elle-même, mais Edwina ne la laissa pas se ressaisir, en l’espace de quelques secondes, elle fut maîtresse de la situation. Sharon se retrouva plaquée à terre, Edwina la chevauchait en lui tenant fermement les poignets au-dessus de la tête. Vaincue, elle haletait, exténuée, pourtant la rage la possédait encore.

Edwina était parvenue à la ridiculiser aux yeux des sauvages. Ils acclamaient sa fille victorieuse et grâce à elle, ils venaient de passer un bon moment. Réduite à l’impuissance, Sharon lui cracha à la figure dans un regain de mépris. Pour la jeune femme c’était la pire des offenses, sa mère allait trop loin. Abandonnant l’un de ses poignets, elle la gifla, puis elle se releva. Sharon s’assit au milieu de la liesse générale, soufflant, se calmant lentement. Comme dégrisée, elle sentit sa haine décroître, tandis qu’Edwina fulminait. Du revers de la main, elle essuya la marque infâme qui coulait sur sa joue, fonçant tête baissée, droit devant elle. Fils d’Aigle l’arrêta en lui posant la main sur l’épaule. Bien que durant la lutte des deux femmes, il se fût tenu au loin, cela ne l’avait pas empêché de suivre toute la scène et même de saisir les paroles insultantes de la mère envers la fille. Qu’il était grand ! Edwina se sentit insignifiante devant lui, désarmée. Elle baissa les yeux, s’obligeant à s’apaiser, mais elle avait chaud, sa respiration était courte et elle était couverte de poussière.

–Pardonne-nous de nous être laissées aller à de tels excès, dit-elle avec peine.

Elle leva les yeux et nota une lueur ironique au fond des prunelles sombres.

–Pourquoi ta mère ne t’aime-t-elle pas ? questionna-t-il.

Edwina parut embarrassée.

–Ma mère m’en veut terriblement parce que si le malheur nous a frappées aujourd’hui, c’est à cause de moi, ce qui est vrai je l’avoue, répondit-elle d’un ton triste.

Et comme pour elle-même, elle ajouta :

–Tellement de choses nous séparent elle et moi, on ne se comprend pas. Malgré tout je l’aime, une mère fait cadeau de la vie, c’est tant déjà.

–Tes paroles sont sages et bonnes, et tu as su te battre avec ruse. Qui t’a appris ?

–Mon père. Il m’a enseigné l’art de la lutte et le maniement des armes à feu quand j’étais enfant. Il aurait voulu un fils, mais ma mère ne lui donné que des filles, alors il m’a élevée comme un garçon car mon caractère s’accordait au sien. J’adorais mon père, conclut-elle la voix troublée en le défiant du regard.

–Va rejoindre ta mère, lui commanda-t-il durement. Nous partons.

Il était fixé. Cette hostilité dans ses yeux pendant qu’elle lui parlait de son père voulait tout dire. Elle se révolterait, c’était sûr, et réflexion faite, il était intéressant de la mettre à l’épreuve pour voir jusqu’où irait son endurance morale et physique, d’autant plus intéressant que d’après l’éducation qu’elle avait reçue, elle devait pouvoir en supporter beaucoup avant de se plaindre. Il sourit au-dedans en grimpant sur son cheval.

La longue file reformée, Edwina et Sharon furent rattachées à leurs gardiens. Les yeux des deux femmes se croisèrent, Edwina ne distingua plus d’animosité chez sa mère. La jeune femme lui sourit franchement, Sharon lui rendit son sourire plus timidement, mais elle sourit.

Edwina eut chaud au cœur, elles allaient se réconcilier, ce qu’elle désirait ardemment. Si elles se serraient les coudes, leurs dures conditions de détention s’adouciraient un peu. Lorsqu’elles sortirent de l’ombre qui n’apportait qu’une relative fraîcheur, la canicule leur sauta au visage comme une chape de feu. Le soleil culminait. En ce début d’après-midi, elles s’apprêtaient à souffrir.

« J’espère qu’il me donnera à boire, pensa Edwina, je ne tiendrai pas sans ça. » Elle lança un coup d’œil sur Fils d’Aigle, son visage était hermétique, il ne subsistait rien du semblant d’humanité qui avait effleuré ses traits lors de leur échange. « Comment peut-on être aussi froid et inexpressif ? » se demanda-t-elle. Elle frissonna, par moments, il la glaçait d’effroi.

La marche reprit plus rude que jamais. Aspirant au repos, Edwina avait hâte d’être au soir. À n’en pas douter, ils se mettraient en quête d’un point d’eau indispensable pour les bêtes et eux-mêmes. Malheureusement, elle n’en était pas là. Le paysage ne variait pas dans sa monotonie, et son regard désabusé se promenait sur tout et rien, comme son esprit qui vagabondait sans se concentrer sur une idée précise, évitant ainsi de ranimer sa peine. Du moins essayait-elle et ce n’était pas chose aisée avec, à ses côtés, les chevelures des êtres aimés qui se balançaient au rythme du pas des chevaux…

Edwina perdait la notion de l’heure. L’après-midi s’avançait, le soleil commençait à descendre. Fils d’Aigle lui donna à boire pour la première fois depuis la pause du repas. Sa gorge et ses lèvres étaient desséchées. Assoiffée, elle saisit la gourde à deux mains, mais elle n’absorba que trois, quatre gorgées, il la lui retira avec brusquerie. Pourquoi la rationnait-il, sa gourde était encore bien pleine. Uniquement par méchanceté. Il était plus prévenant avec son cheval dont il inondait fréquemment les naseaux pour le rafraîchir. Elle étouffait, la sueur coulait sur son front, son corsage collait à son buste, révélant les rondeurs de sa généreuse poitrine. Les animaux soufflaient et écumaient. Seuls, les cavaliers ne paraissaient pas incommodés, à croire qu’ils ignoraient la chaleur, la fatigue.

Soudain, un cri perça l’air.

Fils d’Aigle fit exécuter à sa monture un brusque demi-tour. L’animal se cabra. Les autres bêtes l’imitèrent, puis s’écartèrent rapidement du chemin en hennissant. Dans sa volte-face, il avait lâché Edwina qui venait juste de se retourner pour découvrir sa mère étendue de tout son long. Elle ne bougeait plus, mais elle le devait et vite, Cuyloga hurlait sur elle comme un fou. Edwina voyait la catastrophe arriver. Profitant de sa liberté d’action pour se rapprocher d’elle, elle la tira par le bras.

–Maman, relève-toi, la pria-t-elle, presse-toi, il faut te lever, essaie, maman, essaie, il va te battre, il n’attend que ça.

Au prix d’un énorme effort, Sharon finit par se redresser avec l’aide d’Edwina. Il était temps, Cuyloga levait un fouet court à plusieurs lanières qui lui servait de cravache. La jeune femme restait pétrifiée, sa mère venait d’échapper à une sévère correction, mais pour combien de temps ? Elle était blême, ses yeux boursouflés d’avoir trop pleuré, étaient soulignés de larges cernes mauves. Le bas de sa robe partait en lambeaux. Elle avait dû s’empêtrer les pieds dans le flot de ses jupons. L’image lamentable qu’elle donnait d’elle étreignit Edwina. Fils d’Aigle fixait Sharon sans rien dire, mais il y avait de l’impatience dans son attitude et son cheval énervé piaffait en attendant de reprendre la route. Si cela se reproduisait, ce serait dramatique. Edwina l’implora :

–Fais-la monter à cheval.

Le silence recueillit sa demande. Il lui indiqua simplement par un signe de ramasser le morceau de corde et de le lui présenter. Jamais, elle ne s’était sentie dans un tel état d’infériorité, à croire qu’il faisait exprès de la rabaisser.

–Salaud ! marmonna-t-elle, furieuse, en évitant son regard.