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Les hommes sont comme les chats. Ils ne font pas ce qu’on leur demande et réclament sans cesse des caresses.
Kat regrette le temps où elle était une tueuse travaillant en solitaire. Au lieu d’enchaîner les assassinats de sang-froid, elle se coltine deux hommes et demi qui se disputent son attention. Mais, avec cette nouvelle crise qui émerge, elle n’a pas le temps pour une relation, et encore moins pour trois.
Des chatons se font enlever, dont le fils de Ryker. Y a-t-il un tueur dans la nature, ou bien quelqu’un essaie-t-il d’attirer l’attention de Kat ?
Un urban fantasy plein de chats, de secrets et de meurtres. Dans ce harem inversé au rythme tranquille, Kat trouvera un jour les hommes de sa vie.
Deuxième tome de la série
Les Assassins à moustaches.
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© 2022 Skye MacKinnon
Titre original: Meow (Catnip Assassins 1)
Traduction par Lorraine Coquelin, Valentin Translation
Tous droits réservés. Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, distribuée ou transmise sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, y compris la photocopie, l’enregistrement ou autres méthodes électroniques ou mécaniques, sans la permission écrite de l’éditeur, à l’exception de brèves citations dans le cadre de critiques littéraires et autres usages à but non commercial autorisés par la loi sur le droit d’auteur.
Ce livre est une œuvre de fiction. Tous les noms, les personnages, les lieux et les incidents décrits sont le produit de l’imagination de l’auteur. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé, des choses, des lieux ou des événements réels, ne serait qu’une coïncidence.
Couverture par Ravenborn Covers.
perytonpress.com
Note de l’auteure
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Épilogue
À propos de l’auteure
À Rachel, qui n’a cessé de se battre pour ce livre.
Et aux deux Lily, l’américaine et l’allemande. Continuez à miauler !
Comme vous le constaterez très vite, cette histoire se déroule dans un monde très similaire au nôtre. Malgré tout, il y a quelques différences significatives. La technologie ne s’est pas développée de la même manière et, bien qu’il existe certains appareils dont vous êtes familiers, tels que les téléviseurs par exemple, il n’y a pas de téléphones portables, de voitures ou d’Internet. Pas d’armes à feu non plus.
Merci à tous mes followers Facebook qui m’ont montré des photos de leurs chats et m’ont parlé de leur personnalité. Cela a été d’une grande inspiration pour moi, et vous trouverez même certains de ces chats dans ce livre.
En dehors de cela, tous les personnages, les événements et les lieux sont fictifs.
Pour connaître toutes les mises à jour, vous pouvez souscrire à la newsletter de Skye : skyemackinnon.com/francais.
Le chaton me regarde d’une drôle de façon, peut-être comme un nouveau jouet amusant, ou bien comme une proie à tuer. Ou un mélange des deux, sans doute. Il miaule bruyamment, me lançant un défi. Je miaule en retour, cent fois plus fort. Il me dévisage, choqué, puis détale en courant, le poil hérissé.
— Désolé, petit, murmuré-je. Je ne veux pas de témoins ce soir.
Je continue ma progression sur les toits, aussi silencieuse que l’a été le chaton que je perçois encore dans mon esprit. Il me regarde de loin, se demandant sans doute ce qu’il peut bien se passer. Je suis une menace, sur son territoire, et pourtant, il n’a pas rassemblé assez de courage pour m’affronter. Bien. Je ne veux pas me laisser distraire ce soir.
Je saute d’un toit à l’autre, m’immobilisant de temps en temps pour être sûre d’être sur la bonne piste. C’est bien plus difficile de se diriger sur les toits, sans l’aide des panneaux et des points de repère au sol. J’ai un bon sens de l’orientation, bien que je ne m’y fie pas toujours. C’est ce que l’on m’a enseigné. Ne fais confiance à personne, pas même à ton propre esprit. Pas non plus à ce que tu entends ou à ce que tu vois. Le monde n’est qu’un tissu de mensonges entrecroisés pour donner l’apparence de la réalité.
Lorsque j’atteins un toit si vieux et délabré que même moi je fais craquer les tuiles usées, je m’arrête et m’accroupis doucement, prête à bondir. Je n’ai pas beaucoup d’informations sur ma cible, pas assez à mon goût. Je ne sais pas si elle est puissante ou, plus important encore, paranoïaque et à quel point. La plupart des gens de cette ville le sont, mais certains plus que d’autres. La chasse aux sorcières de la semaine dernière, la première depuis des siècles, en a été la preuve.
Comme il n’y a aucun bruit dans la maison en dessous de moi, je m’avance vers la lucarne. Elle possède un vieil encadrement de bois, qui paraît être la source de toutes les échardes de cette planète. Hors de question que j’y touche sans gants.
Je jette un rapide coup d’œil dans la mansarde. Pas de lumière, bien. Je m’agrippe au bord du toit et appuie dessus quelques fois. Il semble assez stable pour supporter mon poids. Espérons-le.
Accrochée du bout des doigts, je me laisse doucement descendre jusqu’à me retrouver les jambes pendant devant la vitre. D’après les informations que l’on m’a données, ce grenier ne sert que de rangement. Il devrait être vide. Me balançant vers l’avant, les jambes tendues, je frappe la fenêtre. Elle est si vieille qu’elle n’offre guère de résistance. J’aurais sans doute pu la faire céder à mains nues, même.
Je me laisse tomber au sol et me fige, écoutant tous les bruits de la maison. Il n’y a que le silence. Soit l’homme dort, soit il n’est pas encore rentré. J’espère que c’est la première hypothèse. J’appréhende de refaire tout ce chemin. Cette maison se situe à l’autre bout de la ville, par rapport à l’endroit où j’habite. J’essaie d’éviter de rester trop longtemps à découvert. J’ai perdu le compte du nombre de contrats sur ma tête, mais il y en avait une dizaine la dernière fois que j’ai vérifié. Cela me remplit d’une fierté un peu malsaine. Les gens ont peur de moi. Ils ont raison. La peur est une très bonne protection. Si les gens vous craignent, il y a moins de risques qu’ils tentent de vous attaquer.
Je reste accroupie quelques minutes supplémentaires. Ne percevant toujours aucun son, je me mets debout et sors une lampe torche de mon sac à dos. Je fais un rapide balayage de l’endroit. À part quelques cartons poussiéreux, le grenier est vide, comme on me l’avait promis. Vu l’épaisseur de la saleté au sol, personne n’est monté depuis des semaines.
La pièce est plutôt sympa, en fait. Après un bon nettoyage, elle ferait une superbe chambre mansardée. Les poutres en bois traversant le sol et rejoignant le plafond seraient parfaites pour y accrocher un hamac. Bien mieux que le trou à rats que je qualifie de maison à l’heure actuelle.
Un bruit à l’étage en dessous me surprend, toutefois, grâce à mon entraînement, je ne sursaute pas. Je reste immobile, les pieds ancrés au sol, totalement silencieuse. Je perçois des pas, lents et lourds. Une démarche traînante plutôt qu’affirmée. On ne m’a pas donné l’âge de ma cible, mais je déduis à ces pas qu’elle est vieille. Ce sont les plus faciles. Pour faire mon travail, oui, mais pas seulement. Pour ma conscience également. Les gens âgés meurent, de toute manière. Je ne leur dérobe que peu d’années de vie. Je m’en sens donc moins coupable.
Je reste en position, n’osant pas faire le moindre mouvement, jusqu’à ce que le bruit de la chasse d’eau et des pas traînants à nouveau m’indiquent qu’il est de retour dans sa chambre. Il est temps d’agir si je ne veux pas me retrouver aussi couverte de poussière que cette pièce.
Je m’avance prudemment jusqu’à la trappe. Elle est relativement moderne comparée au reste de la maison, avec ses charnières métalliques, qui ne donnent pas l’impression de vouloir grincer trop. Avec des gestes lents et doux, je l’ouvre et fais descendre l’échelle. Plus j’y vais lentement, moins j’ai de risques de faire un bruit.
Je m’ennuie à mourir le temps d’atteindre le dernier barreau. Je préfère grandement les assassinats simples et rapides dans les ruelles plutôt que de me faufiler chez quelqu’un. Non seulement parce que ça prend une éternité, mais aussi parce que ça ne fait que me montrer le genre de vie que je n’ai jamais eue et que je n’aurai jamais. Des tableaux aux murs. Des photographies dans des cadres poussiéreux. Un tapis usé sur les bords, terni par le temps et tant de pas. Au bout du couloir, une plante mal en point trône dans un pot trop grand pour elle. Je parie qu’elle n’a pas été arrosée depuis des semaines. Peut-être que je lui filerai un peu d’eau quand j’aurai tué son propriétaire. On n’aura qu’à dire que c’est compris dans le tarif.
Sur la pointe des pieds, j’avance vers les ronflements bas. La direction correspond à la carte mentale que je me suis faite de la maison tandis que j’écoutais la balade de son propriétaire jusqu’aux toilettes. La porte sur ma droite mènera à sa chambre. Je sors mes couteaux des fourreaux accrochés à ma ceinture. Comme je les ai huilées hier, mes armes préférées ne font pas le moindre bruit quand je les dégaine. Elles sont aussi recouvertes de poison, une méthode bien plus subtile que les simples coups de couteau. Rien qu’une coupure avec ces lames, et ma cible meurt en moins d’une demi-heure. C’est bien plus personnel que les flèches qu’affectionnent certains de mes collègues. Non, ne les appelons pas ainsi. Mes compatriotes. Ces pauvres bougres piégés dans le même genre de vie que moi.
J’inspire profondément sans bruit et ouvre la porte. Bien qu’il fasse presque noir dans la pièce, mes yeux s’adaptent rapidement, déjà habitués à la faible luminosité du couloir. Une silhouette est allongée sur le lit, sous plusieurs couvertures. Il doit vraiment avoir froid. Nous sommes en fin de printemps, alors une simple couette devrait suffire.
Prudemment, j’avance vers la gauche du lit, les lames brandies. Je devrais peut-être n’utiliser que le poison, aujourd’hui. Qu’il meure ainsi pendant son sommeil. C’est bien plus sympa et bien moins sanglant que de lui couper la gorge. Ses draps sont de très bonne qualité, alors ça me dérangerait de les abîmer. L’un de ses héritiers aimerait peut-être les récupérer sans taches.
Remettant l’un des couteaux dans son fourreau, je sors une minuscule aiguille d’une poche cachée sous le col de ma chemise. C’est moins impressionnant que mes lames, mais soyons moins violente aujourd’hui. Ce sera compensé par le carnage de ma cible d’hier.
Alors que je tends le bras pour piquer l’homme, je constate mon erreur. Les ronflements se sont arrêtés, et sans doute dès mon arrivée dans la chambre. Cet homme ne respire pas.
— Tu n’es pas très brillante, hein ?
Je pivote vivement, prête à lancer mon couteau sur l’homme dont la voix sort d’un coin de la pièce. Une pièce que je n’ai pas contrôlée pour m’assurer qu’il n’y avait pas de pièges. Grave erreur. Sans quitter du regard les ombres où se cache l’autre homme, je secoue celui allongé derrière moi. Il est trop léger. Ce n’est même pas un corps. Par pitié, ne me dites pas que je suis tombée dans le piège des coussins glissés sous les couvertures. Je mérite vraiment de me faire attraper. J’ai été trop distraite par les plantes en pot et les tapis.
— Qui êtes-vous ? lancé-je d’une voix pleine de défi et aussi tranchante que possible.
Ne montre pas ton incertitude et ta peur.
— On m’a affirmé que l’on m’envoyait l’une des meilleures, marmonne-t-il tout bas. Je ne suis pas convaincu que ce soit toi.
— Vous êtes ma cible ?
Quand il sort de l’ombre, je lâche mon aiguille, préférant reprendre mon deuxième couteau. Même avec le faible éclairage, il est clair que l’homme est vraiment vieux, pourtant, il se déplace d’une manière étrange, fluide, qui me rappelle un prédateur traquant sa proie. Sa démarche traînante jusqu’à la salle de bains devait être de la comédie.
— Tu as pris ton temps, réplique-t-il plutôt que de me répondre. C’est bon signe, j’imagine. Parfois, la patience est plus importante que l’intelligence.
Il semble déterminé à m’insulter, mais je ne réagis pas à la provocation. J’ai des années de pratique pour ce qui est d’ignorer ce que les autres disent de moi.
— Qu’est-ce que vous me voulez ? demandé-je.
Quelque chose me fait dire qu’il n’a pas l’intention de tuer son assassin. Il aurait pu le faire dès que je suis entrée dans cette chambre. Que ce soit en me sautant dessus par-derrière, en me tranchant la gorge ou en me frappant la tête avec une poêle. N’importe quelle méthode de son choix.
— J’ai une proposition à te faire, explique-t-il calmement. Tu n’es pas aussi douée que je le croyais, mais je vais devoir faire avec, j’imagine. Que dirais-tu de devenir ton propre patron ?
Je ris, sans joie.
— Aucune chance.
Non pas parce que je ne le veux pas, mais parce que je ne peux pas. Je ne vais pas le lui dire cependant. Ne dévoile jamais tes faiblesses.
— À cause du collier autour de ton cou ?
Là, mon esprit a un blanc. Comment a-t-il su ? Personne n’est au courant. Instinctivement, je porte la main à mon cou pour vérifier que mon foulard est bien en place. Il l’est. L’homme n’aurait donc pas dû pouvoir voir le collier.
— Comment ? demandé-je.
Il saurait de quoi je parle. Il pouffa.
— Secret professionnel. Mais voilà le topo. Je t’enlève le collier et tu peux monter ta propre agence. Je te donnerai parfois des cibles, mais sinon, tu seras indépendante. Je peux même te verser un peu d’argent pour débuter.
Mentalement bouche bée, je parviens à garder un visage impassible. Et à ne pas lui poser un millier de questions.
— Qu’est-ce que vous en retirez ?
Il rit.
— Ça fait longtemps que j’attends de pouvoir quitter cette ville. Il te suffit de dire que tu m’as tué. J’obtiens la paix et la tranquillité, et toi, cette maison et mes contacts actuels. Ça devrait t’aider à démarrer.
La confusion me ralentit le cerveau. Il veut que je monte ma propre boîte d’assassins ? M’enlever mon collier ? Me donner cette maison ? C’est forcément un test.
— Prouvez-le, lancé-je sur un ton de défi. Prouvez-moi que vous pouvez me débarrasser de ce truc.
Je retire mon écharpe, dévoilant le bijou en bronze. Je suis habituée à ce qu’il me serre autant et me fasse presque mal quand je déglutis. Les quelques fois où je suis restée sans, à l’époque où je grandissais sans cesse et où il fallait m’en refaire un tous les ans ou pas loin, je me sentais presque nue. Il fait partie de moi, de mon identité. Nous en avons tous un. Tout le monde dans la Meute.
— Je dois m’approcher, me prévient-il. Et si j’allumais ?
Il le fait avant que je ne puisse donner mon avis, et la lumière vacille au-dessus de ma tête. L’ampoule est faiblarde, typique de celles à économie d’énergie qui mettent un certain temps à atteindre leur pleine puissance. Cela m’arrange, c’est plus facile pour mes yeux.
Je peux enfin voir ma cible. Il est grand, étonnamment, et porte un haut-de-forme noir sur ses cheveux blancs. Sa barbe bien taillée cache un menton anguleux, mais n’empêche pas de distinguer les profondes cicatrices sur ses deux pommettes. Sans elles, il aurait l’air d’un gentleman ou d’un universitaire passant l’essentiel de ses journées derrière un bureau ou entouré par ses livres. Ces marques racontent cependant une autre histoire.
— Qui êtes-vous ? demandé-je, répétant ma question précédente, avant d’être saisie par un doute qui transperce ma perplexité. Vous avez mis un contrat sur votre propre tête pour me faire venir ici ?
— Bien, commente-t-il pour toute réponse en s’avançant vers moi.
Je lutte contre mon instinct qui me pousse à éviter le contact et prendre la fuite, et reste au contraire fermement ancrée sur place. Je suis trop curieuse pour mon propre bien. Laisser quelqu’un d’aussi dangereux que lui s’approcher autant de moi n’est jamais une bonne idée. Et pourtant, je ne bouge pas tandis qu’il lève la main droite vers mon cou, sa gauche disparaissant dans la poche de sa veste.
À chat curieux, malheur arrive. Voilà ce que l’on graverait sur ma tombe, si tant est que quelqu’un se donne la peine de m’enterrer. C’est très improbable. Mon cadavre va sans doute finir flottant dans une rivière ou jeté dans l’une des grandes poubelles de la ville. La fin parfaite pour une vie faite surtout de meurtres et de larcins.
J’écarte le col de ma chemise tandis que l’homme effleure le collier.
— Ils sont un peu plus évolués que la dernière fois que j’en ai vu un, mais ça reste assez simple. Ne bouge pas, il n’y en a pas pour longtemps.
Il ferme les yeux. Ce serait le moment parfait pour le supprimer. Pour faire ce que je suis censée faire et rentrer chez moi, déjeuner puis faire une sieste.
Mais non, je suis stupide et curieuse. S’il existe la plus petite chance qu’il puisse me débarrasser du collier qui gouverne ma vie dans ses moindres détails, je suis prête à prendre le risque. D’autres ont essayé de le retirer, avant moi. Tous ont échoué. Je ne sais même pas pourquoi je crois cet homme. Ce n’est sans doute qu’une ruse. Je me suis déjà laissée berner par l’une d’elles aujourd’hui. La première fois était un accident, un moment de distraction ; la seconde n’est que stupidité et imprudence pures.
Cela dit, je n’ai jamais prétendu être intelligente.
— Ça va bientôt s’ouvrir, marmonne l’homme. Prépare-toi, ça va être perturbant.
Il ne me laisse aucun instant pour le faire. Le collier s’écarte dans un crissement étrange. Je prends une grande inspiration qui me fait chanceler. Mon cœur se met à battre plus vite et les poils se dressent sur mes bras. Un grognement me racle la gorge.
— Calme-toi, me dit l’homme d’une voix apaisante. Tu peux garder le contrôle. Tu es forte.
Les larmes me montent aux yeux lorsque la douleur envahit le bout de mes doigts. Nul besoin de regarder pour savoir que mes griffes viennent de percer ma peau. Je cligne des paupières rapidement, et à chaque fois, les couleurs changent, alternant entre pièce lumineuse et formes floues. Comme si un peintre passait une éponge sur son œuvre pour absorber une partie des couleurs et adoucir les lignes franches.
— Tu contrôles.
Mes oreilles se tournent vers la voix de cet homme. Elle est bien plus forte et pourvue de bien plus de nuances qu’auparavant.
Les souvenirs affluent dans mon esprit. J’ai déjà connu ça. Il y a longtemps. Avant que l’on ne m’attache ce collier autour du cou. Une course dans les herbes hautes, tant de fragrances, le bruit des insectes aussi fort que celui du trafic. La douceur du sol sous mes pattes. Mes griffes…
Contrôle. Je prends une nouvelle inspiration profonde et me concentre sur cette pensée. Le contrôle. C’est moi qui ai le contrôle. Pas l’animal. Pas la bête cachée en moi.
Lentement, mes griffes rentrent et mon rythme cardiaque s’apaise. Une minute plus tard, ma vision revient à la normale. Je ne détache cependant pas les yeux du vieil homme qui est retourné dans le coin de la chambre, le regard rivé sur moi.
— Ils ont fait le bon choix en t’envoyant ici ce soir, déclare-t-il dès que je suis prête. Tu contrôles assez pour pouvoir gérer cet état. Tu n’as jamais eu besoin de collier. Ils auraient dû te l’enlever il y a longtemps. Eh bien, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Parlons affaires à présent.
— Affaires ? répété-je, la bouche sèche.
Je me sens bizarre. Comme envahie de cette faiblesse que l’on ressent juste avant de tomber malade, quand on ignore encore ce qu’il se passe et qu’on n’arrive pas à comprendre pourquoi on ne se sent pas aussi bien que d’habitude. Je me caresse le cou. La peau là où se trouvait le collier est douce et sensible. Faible. Je décale le col de ma chemise et remets mon foulard. Et je me souviens que je devrais prévenir cet homme d’un truc.
— Tenez, ça peut vous intéresser, dis-je en lui lançant une minuscule fiole, cachée dans l’une des nombreuses poches de ma chemise.
Il l’attrape sans peine et l’observe avec curiosité.
— Qu’est-ce que c’est ?
— L’antidote au poison que je vous ai administré, avoué-je en souriant. Désolée, je ne savais pas si vous m’enlèveriez le collier ou si vous aviez d’autres projets plus sinistres.
Il haussa un sourcil.
— Des aiguilles ?
Je hoche la tête.
— Cachées dans mon col. Je vous ai piqué lorsque vous avez mis les mains autour de mon cou.
— Hum. Je ne l’avais pas vu venir. C’est impressionnant. Tu es peut-être plus intelligente que tu n’en as l’air.
Il débouche la fiole et en vide le contenu. Je suis ébahie qu’il me fasse confiance. Ça aurait pu être du poison. D’accord, je lui en ai déjà administré, mais cela aurait pu être un double bluff.
Il fronce le nez, dégoûté.
— La prochaine fois, ajoute un peu de cannelle. Ça améliorera l’arrière-goût.
Je reste impassible.
— Je vais prendre votre remarque en considération.
— Il y a un labo au sous-sol. Tu trouveras dans le bureau là-bas un dossier contenant tous les codes de la maison et des pièces importantes.
Il voit mon air interrogateur.
— La salle de stockage des armes, le labo que je viens de mentionner, la salle de sport et la morgue.
Je ne peux retenir mon exclamation surprise cette fois-ci.
— Une morgue ? Dans cette maison ?
Il me lance un regard étrange.
— Évidemment. Ton employeur actuel n’en a pas ?
Je secoue la tête.
— Nous jetons les corps ou les laissons là où ils sont.
Il claque la langue sur son palais.
— Quel gâchis. On peut en apprendre tellement sur la mort en étudiant les corps. Et on ne sait jamais quand on peut avoir besoin d’un cadavre bien placé pour envoyer un message à quelqu’un.
C’est logique, dans un sens, mais, en même temps, ai-je envie de vivre au-dessus d’une morgue ? Je suis un assassin, me rappelé-je. La seule chose que je ne crains pas, c’est la mort. Il y a bien pire sur terre que le trépas.
— Je ne crois pas que mon employeur, déclaré-je, insistant bien sur ce dernier mot puisque je n’avais jamais appelé Brut ainsi, me laissera partir aussi facilement. Il a investi de l’argent pour moi, il m’a formée. Il n’acceptera pas que je parte et fonde ma propre agence.
— Ne t’inquiète pas pour ça, réplique l’homme peu concerné. Il ne te posera aucun problème. Tu devrais plutôt te demander qui tu vas embaucher. J’ai pas mal de travail pour toi, et tu ne pourras pas tout gérer toute seule. Tu peux commencer petit, mais j’attends de toi que tu aies un jour autant d’employés que ton responsable actuel.
« Employeur », « responsable », utilise-t-il des euphémismes volontairement ou bien croit-il vraiment que ça se passe comme ça ? « Esclavagiste » conviendrait mieux. « Propriétaire », aussi. Après tout, je n’ai jamais signé pour travailler avec lui. Et je n’ai aucun salaire. Cet homme espère-t-il que j’agisse comme Brut ou que je gère au contraire mes affaires différemment ?
— Tu trouveras tout ce dont tu as besoin dans le bureau, y compris ta première mission. Tu es libre de faire ce que tu veux, mais à une seule condition : celles que je te confie doivent être prioritaires sur les autres. En échange, tu obtiens cette maison, de l’argent et, bien sûr, une vie sans collier. Acceptes-tu ?
Pas besoin d’y réfléchir à deux fois. Non pas parce que j’approuve toutes ses promesses sans réserve. Je pense qu’il va les rompre un jour. Mais je suis douée pour doubler les gens. Très douée. Et quoiqu’il puisse en penser, je suis aussi très douée pour prendre soin de moi.
Il pue la sueur et la peur. Je croise les jambes, les pieds posés sur le bureau derrière lequel je suis assise. « Vautrée » serait sans doute plus correct. De la boue coule des semelles de mes chaussures. Je vais devoir nettoyer plus tard, mais ça marche du tonnerre pour l’allure de dure à cuire que j’essaie de dégager. On ne déconne pas avec moi. Je me fiche des règles, des conventions et des codes vestimentaires. Si l’homme en face de moi est vêtu d’un costume impeccable, je porte pour ma part ma tenue habituelle : legging en cuir et tunique. Un legging, car ça ne gêne pas les mouvements quand il faut se battre ou sauter d’un bâtiment à l’autre, et une tunique, parce que c’est plus long qu’une chemise, ce qui laisse plus d’espace pour des poches secrètes. Tout en noir, bien sûr. Les taches de sang sont une vraie plaie à nettoyer. Je suis pragmatique.
Mes cheveux sont cachés sous la casquette noire que je porte depuis peu. Je trouve qu’elle me confère un air mystérieux, même si Lily n’arrête pas de me répéter de l’enlever. Cette fille n’a aucune notion de mode quand il s’agit de transmettre un message. Un message de danger, dans le cas précis. « Évitez de m’énerver », voilà ce que dit ma tenue. Surtout les bottes boueuses sur le bureau.
L’homme se racle la gorge.
— Vous m’avez été chaudement recommandée, marmonne-t-il, comme s’il n’est pas sûr d’être en droit de parler.
Je hausse un sourcil.
— Par qui ?
Il écarquille les yeux. Typiquement comme une biche surprise par un chasseur. Il a peur, mais pas seulement de moi.
— Des contacts, réplique-t-il, évasif. Votre prix sera le mien.
Tout à coup, mes services viennent de devenir dix fois plus cher qu’en temps normal. J’aime les clients fortunés. Ils se fichent de mes dépenses, contrairement aux personnes moins aisées.
— Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? demandé-je en l’étudiant de près.
Il n’a pas l’air d’être le genre d’homme à fréquenter régulièrement des assassins. Il ressemble plutôt à un employé classique qui n’entendait parler d’histoires louches que dans les journaux.
— Mon frère s’est fait tuer. Je voudrais que vous découvriez qui a fait ça.
Voilà qui attire mon attention. Je me redresse un peu.
— Vous n’êtes pas au bon endroit, monsieur, répliqué-je avec une pointe de condescendance. Je ne déniche pas les assassins. Je les envoie.
Il a un mouvement de recul.
— Quand vous aurez trouvé qui a tué mon frère, vous pourrez vous charger de lui avec grand plaisir.
Je fais la moue, réfléchissant. Ce n’est pas une requête habituelle. À vrai dire, c’est la première fois. Depuis six mois que je suis à mon compte, avec beaucoup de réussite d’ailleurs, personne ne m’a demandé de repérer un assassin.
— Et s’il s’avère que c’est l’un de mes tueurs ? l'interrogé-je en ôtant mes pieds du bureau pour fouiller mes dossiers. Comment s’appelle-t-il ?
— Je ne pense pas que ce soit l’œuvre d’un professionnel, marmonne-t-il, sans me regarder dans les yeux. C’était très violent et ça n’avait pas l’air prémédité.
Il hausse légèrement les épaules.
— Il y avait beaucoup de sang.
Intéressant. Il a raison, ça ne ressemble pas à du boulot d’assassin professionnel. Nous tirons une immense fierté de notre capacité à laisser une scène de crime aussi nette que possible. Hors de question de faciliter le travail de la police.
— Comment s’appelle-t-il ? répété-je.
— Winston Kindler. 14 B, rue des Négociants. Il possédait un magasin de bonbons.
Une confiserie ? Je devrais me charger de cette affaire moi-même. C’est alléchant.