Coups d'Épingle - Harriet Beecher-Stowe - E-Book

Coups d'Épingle E-Book

Harriet Beecher-Stowe

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Beschreibung

Les vieux livres, comme les vieux films, possèdent le magique pouvoir de nous transporter à des époques disparues, et néanmoins pas si lointaines. Ils ont souvent été bâtis pour appuyer une morale, qu'ils ne manquent pas de mettre en évidence dans leur conclusion. C'est ce qu'a voulu faire Harriet Beecher-Stowe en écrivant Pink and White Tyranny, comme elle le déclare elle-même dans une courte note de l'édition originale. Sans doute les personnages de son histoire nous paraissent aujourd'hui encore plus caricaturaux qu'ils ne l'étaient aux yeux des lecteurs de la fin du siècle victorien ; mais leur psychologie théâtrale contribue à la fluidité et au piquant du récit, que l'auteur nous prie de considérer, non comme un roman astucieusement construit, mais comme une « parabole en forme de nouvelle ». Son but est d'attirer l'attention sur le caractère inaliénable, éducatif, et finalement divin du mariage. En vérité, les bouleversements sociétaux qui ont eu lieu depuis les jours où la question féministe faisait courir la plume de madame Beecher-Stowe, n'ont fait que confirmer sa thèse : le mariage ne peut trouver son sens le plus élevé, que dans une vision chrétienne du monde. Cette numérisation ThéoTeX reproduit la traduction de Hélène Janin, parue en 1874.

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Mentions Légales

Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322485482

Auteur Harriet Beecher-Stowe. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.

ThéoTEX

site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]
Coups d'Épingle
ou
Tyrannie Domestique
Harriet Beecher-Stowe
1874
♦ ♦ ♦Thé[email protected] – 2019 –
Table des matières
Un clic sur ◊ ramène à cette page.
I. Amoureux
II. Ce qu'elle en pense
III. La sœur.
IV. Préparatifs
V. Noces et voyage de noces
VI. Lune de miel et ensuite
VII. S'y plaira-t-elle ?
VIII. Spindlewood
IX. Une crise
X. Changements
XI. Newport ou le Paradis de l'indolence
XII. Une maison à la Pompadour
XIII. L'anniversaire de John.
XIV. Un conflit moral.
XV. Arrivée des Folingsby
XVI. La soirée de Mme Seymour et ce qui en advint
XVII. Après la bataille
XVIII. Le revenant.
XIX. Le château de la reine Fantaisie
XX. Les van Astrachan
XXI. La soirée de Mme Folingsby et ce qui en advint
XXII. La toile d'araignée
XXIII. Suppositions raisonnables.
XXIV. Sentiment, ou sensiblerie ?
XXV. Cloches de noces
XXVI. Maternité
XXVII. Echec et mat
XXVIII. La nouvelle Lillie
◊  IAmoureux.

— Quelle est donc cette ravissante jeune fille ? demandait John Seymour à l'instant où une blanche sylphide montait légèrement les degrés de la véranda sur laquelle il était assis.

— Celle-là ? tu ne la connais donc pas ? Mais c'est la charmante, la célèbre, la séduisante Lillie Ellis, la plus adroite pêcheuse de maris qu'on ait vue de nos jours.

— Diable ! mais c'est qu'elle est fameusement jolie, dit John en suivant d'un regard admirateur les mouvements de la sirène en question.

L'apparition toute vêtue de gaze blanche qu'il avait sous les yeux avait les formes délicates et harmonieuses d'une fée, le teint d'un blanc de perle, les joues d'un rose transparent, une physionomie douce et enfantine encadrée dans une auréole de cheveux d'or, une expression candide, franche et ingénue. John en la contemplant faisait toutes sortes de comparaisons poétiques : c'était « un rayon de soleil, » « une pâquerette encore humide de la rosée du matin, » « une violette cachée sous une pierre moussue, » enfin, il épuisait la liste des phrases que les poètes ont inventées à l'usage des jeunes gens qui se penchent au bord du précipice de l'amour.

John Seymour était un homme aussi bon et aussi honnête qu'il peut encore y en avoir dans notre monde ; c'était un avocat instruit, généreux, juste, énergique, religieux et riche, et dont tout le monde parlait avec estime. Le seul devoir de société qu'il n'eût pas encore rempli était celui du mariage. Trente-trois ans avaient passé, et, avec tous les avantages possibles à offrir à une femme, John ne s'était pas encore proclamé le défenseur et le protecteur d'un des membres de la partie la plus faible de l'humanité. Cela tenait, en premier lieu, à ce que John était très heureux auprès de sa sœur, un peu plus âgée que lui, qui dirigeait admirablement son ménage ; et, en second lieu, à une certaine timidité, une certaine défiance de lui-même qu'il éprouvait vis-à-vis des femmes. Il n'avait pas renoncé au mariage, mais l'idéal qu'il voulait épouser ne lui était pas encore apparu.

John, comme beaucoup de ses confrères à l'aspect prosaïque et sérieux, cachait au dedans de lui une véritable teinte de romanesque ; il aurait rougi, balbutié et fait triste figure s'il lui avait fallu décrire le tableau dont l'idéale, Mme John Seymour, faisait le principal ornement.

La femme que John aimait ne ressemblait nullement à sa sœur, qu'il aimait cependant beaucoup et qu'il respectait profondément.

Mais sa sœur, c'était la prose de sa vie ; il lisait avec elle, parlait comptes et affaires, discutait politique et appréciait vivement toutes ses opinions ; avec la future Mme John Seymour il ne devait jamais lire d'histoire, régler de comptes ou causer politique, il s'élevait avec elle dans quelque région inconnue au vulgaire où, d'un côté, l'amour protecteur, de l'autre, la tendresse confiante devaient réaliser le paradis terrestre.

Aussi lorsque couché sur la véranda de l'hôtel dans lequel il passait ses vacances d'été, il aperçut ce nuage de gaze et de perles, ce sourire enfantin, ces boucles d'or, se leva-t-il avec le timide désir de s'approcher de cette créature idéale, en même temps qu'une certaine honte de sa gaucherie le clouait à sa place. Il lui semblait être devenu subitement quelque énorme Léviathan, ses bras lui paraissaient deux absurdes appendices, ses mains prenaient des proportions gigantesques, ses doigts s'allongeaient indéfiniment ; à la seule idée d'une présentation il se sentait rougir jusqu'à la racine des cheveux.

— Tu veux que je te présente, Seymour ? dit Carryl Ethridge ; je vais faire l'affaire, je la connais.

— Non, merci, dit John sèchement.

Au fond du cœur il éprouvait une certaine colère d'entendre Carryl parler ainsi de cette divine apparition. Il vit son ami s'approcher d'elle, et d'un air de familiarité lui prendre des mains son éventail, le regarder comme si c'était un éventail ordinaire, l'ouvrir et faire mine de s'éventer.

— Quel fat ! se dit John en enviant intérieurement un homme si à l'aise avec une sylphide. Ah ! John ! John ! vous n'auriez voulu à aucun prix avouer combien vous étiez absurde en ce moment.

— Que je suis bête ! reprit-il, comme si cela me faisait quelque chose ! Et il se leva et alla s'asseoir à l'autre bout de la véranda.

— Je crois que tu as un poisson de plus dans tes filets, Lillie, chuchotait Belle Trevors à l'oreille de la petite beauté.

— Qui donc ?

— Ce Seymour qui est à l'autre bout de la véranda. Il te regarde ; il est riche, très riche, d'une ancienne famille. N'as-tu pas vu comme il a tressailli quand tu es entrée sur la galerie ?

— Oh ! je l'ai bien vu, répondit la divinité en souriant.

— De quoi parlez-vous, Mesdemoiselles ? demanda Carryl Ethridge.

— Oh ! des secrets, répondit Belle Trevors, vous êtes bien curieux, Monsieur !

— M. Ethridge, dit Lillie Ellis, ne trouvez-vous pas qu'un peu de promenade ne serait pas hors de propos ? Ceci fut dit avec un calme qui prouvait que miss Lillie était maîtresse de la situation ; elle n'avait du reste aucun but en vue.

Ethridge s'empressa d'offrir son bras et tous les deux arrivèrent en causant à l'extrémité de la véranda où était assis John Seymour. Son sang bouillonnait, son cœur palpitait, il lui semblait que l'heure de sa destinée allait sonner ; il désirait ardemment battre en retraite ; il regarda la véranda en se demandant s'il ne pourrait pas sauter par-dessus la balustrade, mais, hélas ! elle était à dix pieds au-dessus du sol et ce saut désespéré l'eut exposé au ridicule ; il ne lui restait qu'à faire courageusement face à l'ennemi.

Carryl arrivait, et du ton le plus indifférent disait :

— Oh ! à propos, Mlle Ellis, permettez-moi de vous présenter mon ami, M. Seymour.

Le sort en était jeté ! La figure de John brûlait ; il murmura quelque chose à l'effet de prouver qu'il était trop heureux de faire la connaissance de Mlle Ellis, en ayant l'air tout le temps de vouloir sauter par-dessus la balustrade ou de chercher des ailes pour s'envoler et se débarrasser de son bonheur. Mlle Ellis était une belle de profession et comprenait parfaitement la position ; nulle part elle ne se montrait plus adroite que lorsqu'il s'agissait de mettre à leur aise ses nouveaux adorateurs.

— M. Seymour, dit-elle avec affabilité, dois-je avouer que j'ai désiré faire votre connaissance depuis que je vous ai aperçu ce matin à déjeuner ?

— J'en suis trop flatté, répondit John dont le cœur battait à grands coups, puis-je vous demander pourquoi vous m'avez fait pareil honneur ?

— A dire franchement, parce que vous ressemblez étonnamment à un de mes meilleurs amis, répondit Mlle Ellis avec sa ravissante candeur.

— Je n'en suis que plus flatté, dit John dont le cœur battit plus vite encore, seulement je crains que le contraste ne me soit pas favorable.

— Oh ! je ne sais pas, fit Lillie en souriant, nous serons bientôt bons amis, à ce que je crois.

— C'est ce que je désire ardemment, dit John avec ferveur. Belle Trevors les rejoignit en cet instant, et tous les quatre se mirent à babiller ; John était enchanté de sentir son embarras se dissiper.

— Il n'y a pas longtemps que vous êtes ici ? demanda Lillie à John.

— Non, je viens d'arriver.

— Et vous n'étiez jamais venu ?

— Non, Mademoiselle, c'est la première fois.

— Moi, je suis une ancienne habituée, et je peux me recommander comme une autorité.

— Dans ce cas, j'espère que voudrez bien me donner quelques informations.

—- Certainement, sans frais aucuns, répondit-elle avec un nouveau sourire. Vous n'avez pas encore vu la source brûlante ? ajouta-t-elle.

— Non, je n'ai rien vu.

— Alors si vous voulez me donner votre bras pour traverser la pelouse, je vous la montrerai. Tout ceci fut dit de la manière la plus naturelle du monde ; John, ravi de la demande gracieuse qui lui était faite, s'empressa d'offrir son bras à la jeune demoiselle et s'éloigna fièrement.

Ethridge et Belle Trevors les regardèrent et se firent un signe d'intelligence.

— Pris ! dit Ethridge.

— Ce sera une bonne affaire pour Lillie, n'est-ce pas ?

— Pour elle ? oh ! oui, une affaire excellente pour elle.

— Et pour lui aussi ?

— Je ne sais trop ; John est un charmant garçon, et Lillie est passablement usée à l'heure qu'il est. Voyons ! elle doit bien avoir vingt-sept ans ?

— Oh ! oui, elle a bien cela, dit Belle avec une vivacité ingénue ; elle allait déjà dans le monde lorsque je suis entrée à l'école ; Lillie a bien certainement vingt-sept ans, si ce n'est plus, mais elle est singulièrement fraîche.

— Oui, elle est toute fraîche aux yeux d'un pauvre diable comme Seymour qui ne connaît pas plus la société que l'enfant qui vient de naître. John est un grand innocent nourri d'herbe et de rosée et qui ignore tout autant les ruses du monde que sa mère ou sa sœur. Il admire Lillie avec une simplicité édifiante, mais pour moi elle est finie, je la lis comme un livre ; ses sourires, ses calculs, sa tactique, tout cela c'est une vieille histoire pour moi. Je ne mettrai aucun obstacle à ses petites ruses matrimoniales ; lais- sons-lui le champ libre ; il est d'ailleurs grand temps qu'elle se marie.

Pendant cette conversation, John, incapable de savoir s'il marchait ou s'il rêvait, se laissait conduire par son charmant cicérone dans la terre des merveilles. Ils allèrent non seulement voir la source brûlante, mais ils suivirent sans s'en douter tant de sentiers sauvages perdus dans les bois d'alentour, qu'il était presque nuit lorsqu'ils reparurent sur la pelouse ; Lillie, appuyée confidentiellement au bras de John, avait dans ses cheveux une guirlande de chèvrefeuille qu'il y avait placée lui-même, tout en s'étonnant de sa hardiesse et de la grâce de sa belle compagne.

Le couple fut aperçu des fenêtres de l'hôtel par Mme Chit qui s'empressa de courir à l'appartement de Mme Chat en l'engageant à regarder à son tour. William Parici, qui fumait son cigare sur la véranda, courut immédiatement appeler Henry Parlà et paria sur-le-champ que Lillie avait « pincé » Seymour.

— Elle l'accrochera, ma parole !

— Ah ! bah ! elle cherche toujours à accrocher les gens, mais tu vois bien qu'elle ne se marie pas, répondait le pratique Henry ; je te parie qu'il n'en sortira rien. Chacun disait l'an passé qu'elle était fiancée à Danforth, et tout a fini en fumée. Serait-ce un engagement, ou le tout s'évanouirait-il en vapeur ? Ce fut la conversation des Sources du Carmel pendant les deux semaines suivantes.

A la fin, l'esprit des Sources du Carmel fut soulagé en apprenant que c'était bel et bien un engagement. L'annonce décisive en fut authentiquement faite par Lillie à Belle Trevors qu'elle avait invitée à passer la soirée dans sa chambre.

— Eh bien ! Belle, c'est fini, il s'est déclaré.

— Il t'a demandée ?

— Certainement.

— Et tu as dit oui ?

— Mais, naturellement, j'aurais été folle de refuser.

— Quel bonheur ! s'écria Belle en embrassant son amie ; oh ! ma chère, as-tu de la chance ! c'est splendide !

Lillie supporta avec sa douceur habituelle cet élan de joie, et se tournant vers la glace se mit en devoir de détacher ses cheveux ; la jeune personne, on le voit, n'était pas suffoquée par l'émotion.

— Il est un peu chauve, et il est trop disposé à l'embonpoint, dit-elle d'un ton méditatif, mais il ira.

— Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi amoureux, dit Belle. Un sourire passa sur ses joues veloutées comme le duvet de la pêche, et Lillie répondit :

— Oh ! oui, il adore littéralement le terrain sur lequel je marche.

— Lillie, que tu es heureuse ! ce sera le plus beau mariage de la saison ! Il est riche, d'une bonne famille et très estimé.

— Je le trouve gentil moi-même, fit Lillie en brossant lentement une de ses longues boucles d'or. Ma chère, comme il vaut mieux que Danforth ! Réellement, Danforth était trop laid ; il avait des dents affreuses ! sais-tu, j'aurais eu un peu de peine à l'accepter, en dépit de son immense fortune ; et puis, il a été horriblement dissipé ; Maria Sanders m'a raconté sur son compte des choses épouvantables qu'elle sait être vraies ; tandis que je ne crois pas que jamais John ait fait parler de lui.

— Oh ! non, je sais toute son histoire ; il s'est joint à l'Église à l'âge de vingt ans, et depuis lors on l'a toujours regardé comme un modèle de sagesse. Je pense seulement que tu t'ennuieras un peu à Springdale ; il a là une belle maison et sa sœur est une excellente personne, mais ce sont des gens très simples qui ne vont jamais dans le monde.

— Oh ! qu'est-ce que ça me fait ? j'arrangerai les choses à ma guise ; on n'est pas obligée de vivre à Springdale avec d'ennuyeuses belles-sœurs, tu comprends, et John fera ce que je dirai et demeurera où je voudrai.

Elle dit cela de son air tranquille et assuré, tout en contemplant dans la glace sa jolie figure enfantine, sa petite bouche mignonne, ses doux yeux languissants, sa masse de cheveux blonds. C'était avec tout cela que la petite fée avait régné depuis son berceau ; était-il étonnant que John, à la pensée de la posséder, faillit en perdre la tête ? Franchement, elle ne voyait là rien d'extraordinaire. :

— Belle, dit Lillie après un moment de réflexion, je ne veux pas me marier en satin blanc ; j'y suis très décidée. Tu comprends — et elle se tourna vers son amie avec une animation croissante — qu'il y a déjà eu cinq mariages dans notre cercle, et toutes les jeunes filles portaient la même toilette : satin blanc et dentelle, dentelle et satin blanc, rien que cela ! Je suis parfaitement décidée à faire faire quelque chose de nouveau.

— Tu as raison ; si tu prenais du tulle blanc ? cela t'irait, tu es si mince et mignonne.

— Non, j'écrirai à Mme La Roche pour qu'elle me fasse quelque chose de tout à fait original ; je commanderai mon trousseau à Paris ; papa sera assez content de s'exécuter puisqu'il se débarrassera de moi et que mes factures ne l'ennuieront plus. Croirais-tu, Belle, que ce pauvre homme est réellement fou de moi ? Il voudrait mettre sens dessus dessous tous les bijoutiers de New-York ; il va demain choisir mon anneau de fiançailles sous prétexte qu'il ne peut se fier à personne pour en trouver un digne de moi.

— Oh ! il est clair que les cartes sont entre tes mains, mais, Lillie, qu'en dira ton cousin Harry ?

— Oh ! évidemment, cela ne lui plaira pas, mais je n'y peux rien ; Harry devrait bien savoir que c'est folie à lui de songer à nous marier.

— Mais j'avais toujours cru, Lillie, que tu avais quelque attachement pour Harry ?

Lillie laissa échapper un petit rire et une rougeur presque imperceptible monta à ses joues.

— A parler franchement, Belle, j'aurais pu en avoir s'il avait été en position de se marier ; mais, tu le vois, le luxe m'est indispensable, je ne pourrais pas m'astreindre aux détails du ménage ; j'aimerais mieux ne pas du tout vivre que de végéter, et Harry est pauvre et il le sera toujours ; c'est dommage, pauvre garçon, car il est gentil. Enfin ! il est aux Indes ; je sais bien qu'il va prendre un air tragique ! — Et la douce figure fit à la glace un sourire ingénu ! Pendant ce temps, John, le cœur palpitant, écrivait à sa sœur, jusqu'alors sa première, sa plus chère, sa plus intime amie. Peut-être avons-nous tort de copier la lettre d'un homme timide, amoureux pour la première fois de sa vie, mais nous nous aventurons à en donner l'extrait suivant :

« Ce n'est pas sa beauté seule qui m'a attiré vers elle, bien qu'elle soit la jeune fille la plus séduisante que j'aie jamais vue ; c'est la douceur et la délicatesse exquises de son caractère, cette souplesse sympathique avec laquelle elle devine mes moindres pensées. Toi, ma sœur, tu es la meilleure des femmes et ta place dans mon cœur reste toujours la même, mais je sens que ma chère petite fiancée, en remplissant une place que personne n'avait jamais encore occupée, sera un lien de plus entre nous. Elle nous aimera tous les deux, elle acquerra graduellement nos habitudes et nos opinions ; son extrême beauté et l'admiration dont elle a toujours été entourée l'ont exposée à bien des tentations et à bien des critiques. Jusqu'alors elle n'a vécu que dans le monde, et son éducation littéraire et domestique a été, comme elle l'avoue elle-même, quelque peu négligée.

Mais elle a hâte de sortir de ce milieu ; elle est lasse de cette vie factice et elle vient à nous pour faire partie de nous-mêmes ; peu à peu le cercle charmant des familles cultivées qui nous entourent formera son goût et élèvera son esprit.

L'amour est l'inspiration de la femme, et l'amour lui enseignera tout ce qu'il y a de meilleur. Ma chère sœur, ne crois pas que mes nouveaux liens détacheront les anciens ou diminueront la place que tu tiens dans mon cœur. J'ai déjà parlé de toi à Lillie et elle a hâte de te connaître ; tu seras pour elle ce que tu as toujours été pour moi : un guide, un philosophe et une amie.

Je n'ai jamais encore été sous le coup d'émotions plus sérieuses, plus humbles, plus reconnaissantes que maintenant. C'est pour moi une pensée solennelle que celle du bonheur de cette douce et mignonne créature qui va désormais reposer sur moi. Je sens mieux d'heure en heure mon infériorité, mais, Dieu aidant, j'essaierai d'être pour elle tout ce qu'un ami doit être, et toi, ma sœur, je sais que tu m'aideras à embellir l'avenir qu'elle me livre avec tant de confiance.

Crois, chère sœur, que je ne t'ai jamais aimée davantage.

John Seymour.   

P. -S. J'oubliais de te dire que Lillie ressemble étonnamment à cette miniature sur ivoire de notre sainte mère. Elle a été très émue quand je le lui ai dit. J'en conclus tout naturellement que Lillie a un caractère dans le genre de celui de notre mère, mais que les circonstances n'ont pas été favorables à son développement. »

Quant à savoir si cette charmante vision se réalisa, si la petite souveraine se montra juste et clémente, et quels furent les droits et privilèges qu'elle conféra à ses sujets, c'est ce que nous dira la suite de cette histoire.

◊  IICe qu'elle en pense.

Springdale était une de ces belles villes rurales dont l'aspect florissant offre un exemple frappant des originalités de la Nouvelle-Angleterre. Les rues larges bordées d'arbres dont les hautes branches se rejoignaient pour former des dômes de verdure, leurs vastes et belles maisons avec leurs jardins particuliers, leurs gazons verts, leurs retraites fleuries, étonneraient notre Europe monotone ; on eût dit une ville de maisons de plaisance. On y lisait partout fortune, économie, loisirs, culture, habitudes sérieuses et paisibles, et goûts élevés.

Quelques-unes de ces demeures appartenaient depuis plusieurs générations à la famille dont elles portaient le nom ; la maison Seymour était l'une des plus honorées. Le vieux juge Seymour, mort depuis de longues années, était le descendant du premier pasteur qui vint fonder sa petite église au milieu des bêtes sauvages et des Indiens.

La maison actuelle avait été construite sur l'emplacement même où la demeure du pauvre ministre avait été édifiée par les mains actives des nouveaux colons, et, de génération en génération, l'ordre, la piété, l'éducation, le respect s'y étaient perpétués. Le lecteur nous suivra par un beau matin de juin à travers la cour d'entrée qui n'a qu'un seul défaut, celui d'être trop ombragée. La maison est partagée par un long corridor qui conduit au jardin où les merveilles de juin éclatent dans toute leur magnificence. Les larges allées étalent des trésors de fleurs. Des corbeilles de géraniums rouges et de blancs chrysanthèmes, des roses de toutes nuances laissent tomber leurs pétales sur l'épais gazon, le chèvrefeuille s'entrelace autour des arbres, et de grands bouquets de lis blancs relèvent fièrement leurs têtes majestueuses. Ce jardin était l'orgueil et la joie de miss Grace Seymour ; chaque fleur lui parlait de sa mère bien-aimée ou de la bonne grand'mère qui les avait soignées avant elle.

Miss Grace, levée de bonne heure, son grand chapeau sur la tête, ses ciseaux à la main, son tablier plein de roses, de lis, de verveines et de chèvrefeuille destinés à remplir les vases du salon, montait les degrés du perron quand la servante lui tendit une lettre.

— De John ? dit-elle, quel bon garçon ! et elle la déposa sur la cheminée.

— Il faut d'abord que je mette mes fleurs dans l'eau, ou bien elles se faneront.

Le grand salon où elle venait d'entrer plaisait malgré son antiquité. Le tapis de Turquie était fané, le sofa de damas qui à lui seul occupait un des angles ne ressemblait nullement aux meubles actuels de ce nom. Les lourdes chaises d'acajou, l'horloge qui faisait entendre son monotone tic-tac, les fauteuils et les ottomanes aux broderies effacées parlaient du temps passé, de même que les portraits suspendus aux murailles ; l'un était celui d'une jolie jeune fille en robe blanche et les cheveux poudrés : c'était la mère de Grace ; un ministre en robe et en rabat, ses mains gantées de noir supportant une grande Bible, représentait l'aïeul respecté ; puis venait le portrait du père de John placé en face de celui de sa femme. Les parois étaient couvertes d'une tapisserie à grands ramages achetée en France soixante-quinze ans auparavant. Les vases de porcelaine du Japon, les estampes et les statuettes, tout parlait de ceux qui avaient passé depuis longtemps. Cependant le salon avait conservé un air de fraîcheur et de sociabilité, les roses trémières et le chèvrefeuille se hissaient jusqu'aux fenêtres, la table était couverte de livres et de journaux, et la corbeille à ouvrage de miss Grace représentait la vie de famille.

Miss Grace étendit un journal sur la grande table carrée et, renversant son tablier plein de fleurs, elle se mit en devoir de garnir ses vases. En ce moment Letitia Ferguson traversait le jardin, tenant d'une main un bouquet de superbes roses, de l'autre une assiette de gâteaux soigneusement recouverts d'une serviette. Les Ferguson et les Seymour occupaient les deux maisons voisines et étaient sur le pied de l'intimité la plus complète ; ils entraient sans cérémonie les uns chez les autres vingt fois par jour pour demander un renseignement, discuter un passage d'un livre, essayer quelque recette de ménage. L'aînée des filles, Letitia, était l'intime amie de Grace ; après elle venait Rose, bonne et aimable jeune fille, instruite, bien élevée, toujours de bonne humeur. Le vieux juge Ferguson était un des derniers spécimens de l'ancienne école : sérieux, digne, galant envers les dames et ayant sa large part de caprices et de fantaisies qu'il imposait à ses amis. Mme Ferguson était le modèle des épouses, avec sa toilette simple et quelque peu retardataire, ses hauts bonnets, ses questions journalières et minutieuses sur la santé de toutes ses connaissances, et sa tendre compassion pour tout ce qui vivait et souffrait dans ce monde de chagrin.

Letitia et Grace discutaient ensemble les moindres détails, depuis la manière d'éclaircir la gelée de groseille jusqu'aux problèmes les plus ardus de la science et de la morale. Elles étaient toutes les deux bonnes, amusantes et sincères, et avaient l'une en l'autre la confiance la plus illimitée. Comme nous l'avons dit, Letitia entra sans frapper et, passant doucement derrière miss Grace, déposa son bouquet de roses au milieu des fleurs et lui offrit son plat de gâteaux.

— Je t'ai apporté quelques spécimens de mon souvenir de la Malmaison, et mon premier essai de ta recette, Grace, dit-elle.

— Oh ! merci ! dit miss Grace, que ces roses sont belles, tu n'aurais cependant pas dû dépouiller ton arbuste.

— Il n'en fleurira que mieux ; mais goûte un de mes gâteaux, m'en suis-je bien tirée ?

— Excellents ! tu as parfaitement réussi. Je me dépêchais de mettre ces fleurs dans l'eau, parce que j'ai là une lettre de John qui m'attend.

— Une lettre ! que c'est gentil ! dit miss Letitia en regardant la cheminée ; John t'écrit aussi souvent que s'il était ton amoureux.

— Ce serait le meilleur qu'une femme pourrait désirer, dit Grace en se hâtant d'arranger ses fleurs ; quant à moi, je ne vois rien au-dessus de John.

— Laisse-moi finir tes vases pendant que tu lis ta lettre, dit Letitia en s'emparant des fleurs.

Miss Grace prit sa lettre, l'ouvrit et se mit à lire ; miss Letitia observait sa physionomie, ainsi qu'il nous arrive souvent de considérer la figure d'une personne absorbée dans une lecture. Miss Grace n'était pas jolie dans le sens technique du mot, mais son visage reflétait sa pensée, et son amie vit graduellement un nuage l'assombrir. Quand elle eut achevé sa lettre, elle appuya brusquement sa tête sur la table et se cacha la figure dans les mains, elle paraissait avoir oublié qu'elle n'était pas seule.

Letitia vint à elle et posa doucement sa main sur la sienne en lui disant :

— Qu'as-tu, ma chère ? Miss Grace releva la tête et répondit d'une voix rauque :

— Oh ! rien, seulement c'est si subit ! John est fiancé.

— John ! avec qui ?

— Lillie Ellis.

— Lillie Ellis ! répéta Mlle Ferguson d'un ton choqué.

— C'est ce qu'il m'écrit ; il est complètement aveuglé par elle.

— Que c'est prompt ! Qui aurait pu s'y attendre ? Lillie Ellis est entièrement en dehors du cercle des femmes qu'il pouvait être appelé à rencontrer…

— C'est justement pour cela ; John ne connaît que des femmes sérieuses et respectables, et il s'imagine que Lillie Ellis en est une.

— Mais c'est qu'elle n'a absolument que sa beauté en sa faveur ! s'écria Mlle Ferguson ; c'est la personne la plus égoïste qu'il soit possible de rencontrer !

— Eh bien ! c'est elle qui sera la femme de John, dit miss Grace en ramassant les fleurs dans son tablier, et voilà la fin de ma vie avec John ! j'aurais dû le prévoir ! je m'arrangerai tout de suite pour aller demeurer ailleurs ; cette maison à laquelle je tiens tant ne sera rien pour elle, et cependant c'est elle qui en sera la maîtresse ! acheva-t-elle en regardant tout autour d'elle et en fondant en larmes.

Miss Grace ne pleurait jamais, aussi son émotion alla-t-elle au cœur de son amie. Miss Letitia lui passa les bras autour du cou.

— Voyons, Grace, dit-elle, ne prends pas la chose si à cœur. John est un bon et brave frère ; il t'aime et il sera toujours le maître chez lui.

— Non, il ne le sera plus ; jamais un mari n'est maître chez lui, dit miss Grace en s'essuyant les yeux et en se redressant ; il n'a d'autres droits que ceux que sa femme veut bien lui conférer, et cette femme-là ne m'aimera pas, j'en suis sûre.

— Peut-être que oui, dit Letitia d'une voix un peu hésitante.

— Non, elle ne m'aimera pas, parce que je n'ai aucun talent pour le mensonge et l'hypocrisie, et que je n'approuverai pas sa conduite ; ces femmes fausses et flatteuses m'ont toujours été en abomination.

— Oh ! ma bonne Grace, je t'en prie, prends la chose par le bon côté.

— Je croyais, reprit miss Grace en passant son mouchoir sur ses yeux, que John avait un peu de bon sens ; je n'étais pas assez folle pour vouloir le forcer à ne vivre que pour moi, je voulais qu'il se mariât, et s'il avait pris votre Rose, par exemple… Oh ! Letitia, j'avais toujours espéré que Rose et lui s'aimeraient !

— Nous ne pouvons choisir pour nos frères, et, quelque difficile que cela soit, nous devons nous efforcer d'aimer celles qu'ils choisissent. Qui sait si les bonnes influences ne feront pas beaucoup en faveur de cette pauvre Lillie Ellis ? Elle a toujours été mal entourée, ses parents sont excessivement vulgaires, sans éducation ni instruction, et ce n'est que sa beauté qui la fait remarquer ; ils s'en sont toujours servis comme de drapeau.

— Et John dit dans sa lettre qu'elle lui rappelle notre mère ! reprit Grace ; tout naturellement il s'imagine qu'elle a le même caractère. Pense donc !

— Il est allé trop loin, mais tu sauras qu'elle est jolie à faire perdre la tête ; elle a par moments une expression si pure, si douce, si angélique, qu'on la prendrait pour une sainte, et puis elle sait parfaitement quelle figure elle doit faire, et John ne peut être blâmé de s'être laissé entraîner. Moi-même qui la connais bien, je m'y laisse quelquefois tromper.

— Eh bien ! dit miss Grace, Mme Lennox était à Newport en même temps qu'elle et m'en a beaucoup parlé, elle dit que c'est une femme sans principes ni scrupules ; elle n'a aucun goût littéraire ; elle n'aime ni l'étude ni la lecture, elle éloignera peu à peu tous nos amis, elle ne m'aimera pas et elle cherchera à détacher John de moi ; voilà ce qu'il y a de clair.

— Tu peux lire cette lettre, ajouta miss Grace dont les yeux se remplissaient de larmes ; et prenant la lettre de son frère elle la posa sur les genoux de son amie.

— Quel bon garçon ! s'écria Letitia après sa lecture, tu vois qu'il te dit que son cœur restera toujours le même.

— Oh ! je connais le cœur de John, je ne doute pas de son affection, c'est le meilleur homme du monde ; je dis seulement qu'il compte sans son hôte en croyant qu'il pourra conserver toutes ses anciennes relations quand il aura installé ici une nouvelle maîtresse, et quelle maîtresse ! …

— Mais si elle l'aime réellement…

— Ah ! bah ! elle ne l'aime pas ! cette espèce de femmes ne peut pas aimer ; elles sont comme les chats qui ne demandent qu'à être choyés, dorlotés, gâtés et font patte de velours à ceux qui les caressent, voilà tout ! Quant à l'amour qui produit les sacrifices, elles en ignorent le premier mot.

— Grace, je ne te reconnais pas ; si tu reçois ton frère de la sorte, tu le froisseras et tu seras peut-être cause d'une malheureuse rupture ; reçois-le en chrétienne. Tu sais, ajouta-t-elle avec douceur, à qui nous devons remettre nos chagrins et demander conseil.

— Oh ! je le sais bien, Letitia, mais je me laisse aller à être un peu méchante, cela me soulage le cœur ; je devrais me gronder, mais la chose a été si subite ! Oui ! je m'en vais relire ma Bible et Fénelon, avant de revoir John, pauvre garçon !

— Et tu essaieras d'avoir foi pour elle, dit miss Letitia.

— Oui, j'essaierai, mais j'espère bien qu'il se passera quelques jours avant que John me tombe dessus avec ses descriptions ; les amoureux sont insupportables !

— Mais, bon Dieu ! dit miss Letitia en tournant la tête vers la fenêtre, qui est-ce qui vient là ? Grace, c'est John en personne !

— John ! répéta Grace en pâlissant.

— Fais bien attention à toi, ma chère, je vais passer par le jardin et vous laisser seuls.

Et à l'instant où miss Letitia descendait légèrement les degrés, le lourd pas de John se faisait entendre à la grande porte d'entrée.

◊  IIILa sœur.

Grace Seymour était une femme d'une intelligence cultivée qui, ainsi que beaucoup de ses sœurs de la Nouvelle-Angleterre, était arrivée à l'âge mûr sans s'être mariée. La tendance de nos villes rurales rejette dans les contrées de l'ouest et du sud nos jeunes gens et ne laisse dans nos demeures qu'une population où l'élément féminin prédomine ; ce sont ces femmes, que leurs sentiments élevés et leur instruction condamnent au célibat, qui soignent leurs vieux parents, égaient leurs maisons et se montrent si aimables en société que les pères de famille des environs s'écrient avec enthousiasme : — Mais pourquoi Mademoiselle une telle ne s'est-elle pas mariée ?