Double assassinat dans la rue morgue - Edgar Allan Poe - E-Book

Double assassinat dans la rue morgue E-Book

Edgar Allan Poe

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Beschreibung

Double assassinat dans la rue morgue est une nouvelle de l'écrivain américain Edgar Allan Poe, parue en 1841 dans le Graham's Magazine, traduite en français par Isabelle Meunier puis, en 1856 par Charles Baudelaire pour le recueil Histoires extraordinaires.

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Seitenzahl: 67

Veröffentlichungsjahr: 2019

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DOUBLE ASSASSINAT DANS LA RUE MORGUE

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Edgar Allan Poe

Traduit par Charles Baudelaire

DOUBLE ASSASSINAT

DANS LA RUE MORGUE

Histoires extraordinaires

Quelle chanson chantaient les sirènes ? quel nom

Achille avait-il pris, quand il se cachait parmi les

femmes ? – Questions embarrassantes, il est vrai, mais

qui ne sont pas situées au-delà de toute conjecture.

SIR THOMAS BROWNE.

Les facultés de l’esprit qu’on définit par le terme

analytiquessont en elles-mêmes fort peu susceptibles

d’analyse. Nous ne les apprécions que par leurs résultats. Ce que

nous en savons, entre autre choses, c’est qu’elles sont pour celui

qui les possède à un degré extraordinaire une source de

jouissances des plus vives. De même que l’homme fort se réjouit

dans son aptitude physique, se complaît dans les exercices qui

provoquent les muscles à l’action, de même l’analyse prend sa

gloire dans cette activité spirituelle dont la fonction est de

débrouiller. Il tire du plaisir même des plus triviales occasions

qui mettent ses talents en jeu. Il raffole des énigmes, des rébus,

des hiéroglyphes ; il déploie dans chacune des solutions une

puissance de perspicacité qui, dans l’opinion vulgaire, prend un

caractère surnaturel. Les résultats, habilement déduits par

l’âme même et l’essence de sa méthode, ont réellement tout l’air

d’une intuition.

Cette faculté derésolutiontire peut-être une grande force

de l’étude des mathématiques, et particulièrement de la très

haute branche de cette science, qui, fort improprement et

simplement en raison de ses opérations rétrogrades, a été

nommée l’analyse, comme si elle était l’analyse par excellence.

Car, en somme, tout calcul n’est pas en soi une analyse. Un

joueur d’échecs, par exemple, fait fort bien l’un sans l’autre. Il

suit de là que le jeu d’échecs, dans ses effets sur la nature

spirituelle, est fort mal apprécié. Je ne veux pas écrire ici un

traité de l’analyse, mais simplement mettre en tête d’un récit

passablement singulier quelques observations jetées tout à fait à

l’abandon et qui lui serviront de préface.

-2 -

Je prends donc cette occasion de proclamer que la haute

puissance de la réflexion est bien plus activement et plus

profitablement exploitée par le modeste jeu de dames que par

toute la laborieuse futilité des échecs. Dans ce dernier jeu, où les

pièces sont douées de mouvements divers et bizarres, et

représentent des valeurs diverses et variées, la complexité est

prise – erreur fort commune – pour de la profondeur.

L’attention y est puissamment mise en jeu. Si elle se relâche

d’un instant, on commet une erreur, d’où il résulte une perte ou

une défaite. Comme les mouvements possibles sont non

seulement variés, mais inégaux enpuissance, les chances de

pareilles erreurs sont très multipliées ; et dans neuf cas sur dix,

c’est le joueur le plus attentif qui gagne et non pas le plus habile.

Dans les dames, au contraire, où le mouvement est simple dans

son espèce et ne subit que peu de variations, les probabilités

d’inadvertance sont beaucoup moindres, et l’attention n’étant

pas absolument et entièrement accaparée, tous les avantages

remportés par chacun des joueurs ne peuvent être remportés

que par une perspicacité supérieure.

Pour laisser là ces abstractions, supposons un jeu de dames

où la totalité des pièces soit réduite à quatredames, et où

naturellement il n’y ait pas lieu de s’attendre à des étourderies.

Il est évident qu’ici la victoire ne peut être décidée, – les deux

parties étant absolument égales, – que par une tactique habile,

résultat de quelque puissant effort de l’intellect. Privé des

ressources ordinaires, l’analyste entre dans l’esprit de son

adversaire, s’identifie avec lui, et souvent découvre d’un seul

coup d’œil l’unique moyen – un moyen quelquefois

absurdement simple – de l’attirer dans une faute ou de le

précipiter dans un faux calcul.

On a longtemps cité le whist pour son action sur la faculté

du calcul ; et on a connu des hommes d’une haute intelligence

qui semblaient y prendre un plaisir incompréhensible et

dédaigner les échecs comme un jeu frivole. En effet, il n’y a

aucun jeu analogue qui fasse plus travailler la faculté de

l’analyse. Le meilleur joueur d’échecs de la chrétienté ne peut

- 3 -

guère être autre chose que le meilleur joueur d’échecs ; mais la

force au whist implique la puissance de réussir dans toutes les

spéculations bien autrement importantes où l’esprit lutte avec

l’esprit.

Quand je dis la force, j’entends cette perfection dans le jeu

qui comprend l’intelligence de tous les cas dont on peut

légitimement faire son profit. Ils sont non seulement divers,

mais complexes, et se dérobent souvent dans des profondeurs

de la pensée absolument inaccessibles à une intelligence

ordinaire.

Observer attentivement, c’est se rappeler distinctement ; et,

à ce point de vue, le joueur d’échecs capable d’une attention très

intense jouera fort bien au whist, puisque les règles de Hoyle,

basées elles mêmes sur le simple mécanisme du jeu, sont

facilement et généralement intelligibles.

Aussi, avoir une mémoire fidèle et procéder d’après le livre

sont des points qui constituent pour le vulgaire lesummumdu

bien jouer. Mais c’est dans les cas situés au-delà de la règle que

le talent de l’analyste se manifeste ; il fait en silence une foule

d’observations et de déductions. Ses partenaires en font peut-

être autant ; et la différence d’étendue dans les renseignements

ainsi acquis ne gît pas tant dans la validité de la déduction que

dans la qualité de l’observation. L’important, le principal est de

savoir ce qu’il faut observer. Notre joueur ne se confine pas dans

son jeu, et, bien que ce jeu soit l’objet actuel de son attention, il

ne rejette pas pour cela les déductions qui naissent d’objets

étrangers au jeu. Il examine la physionomie de son partenaire, il

la compare soigneusement avec celle de chacun de ses

adversaires. Il considère la manière dont chaque partenaire

distribue ses cartes ; il compte souvent, grâce aux regards que

laissent échapper les joueurs satisfaits, les atouts et les

honneurs, un à un. Il note chaque mouvement de la

physionomie, à mesure que le jeu marche, et recueille un capital

de pensées dans les expressions variées de certitude, de

- 4 -

surprise, de triomphe ou de mauvaise humeur. À la manière de

ramasser une levée, il devine si la même personne en peut faire

une autre dans la suite. Il reconnaît ce qui est joué par feinte à

l’air dont c’est jeté sur la table. Une parole accidentelle,

involontaire, une carte qui tombe, ou qu’on retourne par

hasard, qu’on ramasse avec anxiété ou avec insouciance ; le

compte des levées et l’ordre dans lequel elles sont rangées ;

l’embarras, l’hésitation, la vivacité, la trépidation, – tout est

pour lui symptôme, diagnostic, tout rend compte de cette

perception, – intuitive en apparence, – du véritable état des

choses. Quand les deux ou trois premiers tours ont été faits, il

possède à fond le jeu qui est dans chaque main, et peut dès lors

jouer ses cartes en parfaite connaissance de cause, comme si

tous les autres joueurs avaient retourné les leurs.

La faculté d’analyse ne doit pas être confondue avec la

simple ingéniosité ; car, pendant que l’analyste est

nécessairement ingénieux, il arrive souvent que l’homme

ingénieux est absolument incapable d’analyse. La faculté de

combinaison, ou constructivité, à laquelle les phrénologues – ils

ont tort, selon moi, – assignent un organe à part, en supposant

qu’elle soit une faculté primordiale, a paru dans des êtres dont

l’intelligence était limitrophe de l’idiotie, assez souvent pour

attirer l’attention générale des écrivains psychologistes. Entre

l’ingéniosité et l’aptitude analytique, il y a une différence

beaucoup plus grande qu’entre l’imaginative et l’imagination,

mais d’un caractère rigoureusement analogue. En somme, on

verra que l’homme ingénieux est toujours plein d’imaginative, et

que l’hommevraimentimaginatif n’est jamais autre chose

qu’un analyste.

Le récit qui suit sera pour le lecteur un commentaire

lumineux des propositions que je viens d’avancer. Je demeurais

à Paris, – pendant le printemps et une partie de l’été de 18.., –

et j’y fis la connaissance d’un certain C. Auguste Dupin. Ce

jeune gentleman appartenait à une excellente famille, une

famille illustre même ; mais, par une série d’événements

malencontreux, il se trouva réduit à une telle pauvreté, que

- 5 -

l’énergie de son caractère y succomba, et qu’il cessa de se

pousser dans le monde et de s’occuper du rétablissement de sa

fortune. Grâce à la courtoisie de ses créanciers, il resta en

possession d’un petit reliquat de son patrimoine ; et, sur la rente

qu’il en tirait, il trouva moyen, par une économie rigoureuse, de

subvenir aux nécessités de la vie, sans s’inquiéter autrement des

superfluités. Les livres étaient véritablement son seul luxe, et à

Paris on se les procure facilement.

Notre première connaissance se fit dans un obscur cabinet

de lecture de la rue Montmartre, par ce fait fortuit que nous

étions tous deux à la recherche d’un même livre, fort

remarquable et fort rare ; cette coïncidence nous rapprocha.

Nous nous vîmes toujours de plus en plus. Je fus profondément

intéressé par sa petite histoire de famille, qu’il me raconta

minutieusement avec cette candeur et cet abandon, – ce sans-

façon dumoi, – qui est le propre de tout Français quand il parle

de ses propres affaires.