Envie de t' m'aimer - Sonja Sage - E-Book

Envie de t' m'aimer E-Book

Sonja Sage

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Beschreibung

La vie de Ted, écrivain et papa célibataire, tourne autour de sa fille Emma. Depuis l'abandon de la mère d'Emma, Ted ne peut s'empêcher de s'en vouloir et de faire du bonheur de sa fille sa priorité, quitte à en oublier le sien. François, gérant d'un bar, rêve d'une vie simple. Habitué aux relations sans lendemain, il aimerait rencontrer enfin l'homme de sa vie et fonder une famille. Et si le destin mettait sur le même chemin ces deux âmes solitaires? Arriveront-ils à saisir la chance qui s'offre à eux et être pleinement heureux? Sauront-ils surmonter les obstacles qui se dresseront sur leur chemin?

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ISBN: 9782322501892

Ce livre est une fiction. Les noms, les caractères, profession, lieux, évènements ou incidents sont des produits de l’imagination de l’auteur utilisés de manière fictive. Toutes ressemblance avec des personnages réels, vivant ou morts, serait totalement fortuite.

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Table des matières

Prologue

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Épilogue 1

Épilogue 2

Remerciements

Prologue Ted

Assis sur mon canapé, j’attends. Je l’attends, elle. Ma femme, Isis.

Elle est en retard comme à son habitude, lorsque c’est important pour moi, elle est aux abonnés absents. Alors, je rumine tout en triturant mes ongles.

Ça n’a pas toujours été comme ça entre nous. Moi à l’attendre et elle tentant de s’échapper de notre quotidien. Qui l’étouffe probablement tout autant que moi.

J’ai rencontré Isis lors de mes études à Paris, à la Sorbonne plus exactement. J’y étudiais la littérature. Elle travaillait dans un café non loin de ma faculté.

Un endroit que j’affectionnais tout particulièrement pour son côté chaleureux et calme. On pouvait y boire des cafés du monde entier. Il y avait de grands canapés en velours et les tables étaient assez éloignées les unes des autres, laissant à chacun une part d’intimité. J’aimais m’y rendre pour bouquiner ou relire un cours.

J’ai quitté mon pays natal, les États-Unis, car je voulais étudier la littérature française. Mon père est texan et ma mère française.

Rien ne me destinait à un tel avenir. Mon père tenait une ferme au Texas et pour lui, il était évident que j’allais reprendre le flambeau. Or, pour son plus grand désespoir, j’ai toujours préféré les livres. Je passais mon temps à lire.

Après une énième dispute avec lui concernant mon avenir profes

-sionnel, mais avec le soutien de ma mère, j’ai quitté ce pays pour aller à la découverte d’une partie de mes origines. Et surtout étudier ce que j’aimais le plus au monde : la littérature.

J’ai toujours été introverti et sans amis. Un loup solitaire en somme.

Lorsque mon regard s’est posé pour la première fois sur Isis, je l’ai tout de suite trouvée charmante. Elle ne se moquait pas de mon accent et le trouvait même plutôt adorable.

J’étais seul dans ce pays qu’au final, je connaissais peu.

Ma mère m’a appris le français et je le parle depuis mon plus jeune âge. J’ai évidemment de la famille ici, mais nous venions très peu en France. La famille de maman préférait venir passer ses vacances à la ferme.

Alors, lorsque cette jeune femme pétillante a commencé à s’intéresser à moi, à mes études, et aux livres que je lisais, je me suis senti aimé. Et aussi un peu reconnu. Je n’étais plus invisible.

Quelqu’un me regardait, moi.

Nous nous sommes liés d’amitié. J’aimais son rire. J’aimais la façon dont elle passait la main dans ses longs cheveux blonds lorsqu’elle m’écoutait parler de ma passion. Son regard bleu ciel s’illuminait.

Je me sentais unique. Au fil des mois, j’ai bien senti qu’Isis se rapprochait de moi. Elle posait discrètement une main sur ma cuisse. Puis sa tête sur mon épaule. Son regard avait changé.

Je ne suis jamais tombé amoureux. C’est peut-être triste, mais je ne connais pas ce sentiment. Cette sensation qui vous retourne la tête, qui vous crée des papillons dans le ventre. Non, je ne connais pas.

Mais faut-il vraiment tomber amoureux pour vivre heureux ? Avec Isis, j’étais bien et je ne voulais rien gâcher. Sa présence, son soutien étaient importants pour moi. Je ne voulais pas risquer de la perdre. Je sais, je suis égoïste. Mais je l’aimais. Alors, oui, peut-être pas de la même façon qu’elle. Mais assez fort pour la laisser entrer dans ma vie. Et puis rapidement Ma vie est devenue Notre vie.

À la fin de mes études, nous avons emménagé ensemble. Isis a changé de travail, elle a fait une formation pour devenir assistante vétérinaire.

Pendant qu’elle s’épanouissait dans son nouveau travail, moi j’écrivais. Je n’étais pas connu. Je donnais des cours particuliers de français de temps à autre en attendant qu’un jour un de mes livres soit publié.

Nous n’étions pas riches à l’époque, mais nous étions heureux. Isis me soutenait. Elle ne s’est jamais plainte du manque d’argent. C’était une fille simple, généreuse et qui m’aimait tel que j’étais.

Et un jour, j’ai reçu le coup de fil qui allait changer ma vie. Notre vie.

Enfin, une maison d’édition allait publier mon livre. Ce fut mon premier best-seller.

Ce jour-là, nous étions euphoriques. Isis était si fière de moi. Je la trouvais si belle. La femme idéale. Une femme toujours présente pour son mari. D’un soutien indéfectible.

Je me rappelle la nuit que nous avions passée. Cette nuit, Emma a été conçue. Notre fille qui a aujourd’hui six ans. Notre fierté.

Nous avons rapidement quitté notre petit studio pour emménager dans une maison.

La belle vie s’offrait à nous. Une vie remplie de belles promesses. Force est de constater que ni Isis ni moi n’avons tenu nos promesses.

Au lieu d’être plus présent pour ma femme, je me suis enfermé dans mon bureau. Je passais mes journées à écrire, à faire vivre mes personnages. Mon temps libre, je le passais avec Emma au parc à manger une glace ou encore à nous promener.

Maintenant que l’argent n’était plus un souci, j’aurais dû prendre soin de ma femme. Me poser et réfléchir à mes sentiments.

Réfléchir à ce mal-être qui ne me quitte jamais.

Au lieu de ça, je l’ai laissée au rang d’amie. Une amie qui pouvait comprendre, me supporter.

Enfin, c’est ce que je pensais.

Je n’ai jamais aimé Isis d’amour, mais l’amitié et la reconnaissance que je lui porte auraient dû être plus fortes que ma soif d’écrire. À cause de moi, nous nous sommes éloignés. Isis préfère ses collègues à ma présence. Qui peut lui en vouloir ? Je suis devenu ennuyeux. Sans saveur. Elle ne me touche même plus. Elle rentre tard et tombe rapidement dans les bras de Morphée. Ou plutôt simule le sommeil.

Elle m’évite. Elle semble avoir baissé les bras. Sur quoi ? Je ne sais pas. Peut-être qu’elle a laissé tomber l’idée de nous voir fonder une famille unie ? Ou alors juste laissé tomber l’espoir qu’un jour je l’aime comme elle m’aime.

Je ne sais pas ce qui cloche chez moi. Je me suis toujours senti différent. Avant, par le passé Isis aimait cette différence. Maintenant, elle nous sépare.

Au fil du temps, Isis s’est éloignée de nous. De moi, puis doucement de notre fille. Elle jalouse notre lien. Car si je ne donne pas assez d’amour à ma femme, je déverse tout à ma fille.

Emma est mon rayon de soleil. Je me demande encore comment deux êtres humains peuvent créer un être si pur ?

Alors que je me perds dans mes pensées, j’entends enfin la porte s’ouvrir. Je relève la tête et découvre Isis. Le regard vide. Elle me semble loin. Perdue.

Mais que nous arrive-t-il ?

À essayer tant d’années de me comprendre, de me trouver, je me suis perdu. Je nous ai perdus.

Isis pose ses yeux bleus sur moi, inspire fortement, dépose son sac à main sur la console de l’entrée, puis repose ses yeux tristes sur moi.

– Je sais, je suis en retard. Et si pour une fois tu t’y rendais tout seul à ce foutu dîner chez ton éditeur ?

– Isis, ne puis-je m’empêcher de la réprimander.

Elle ne m’a tellement pas habitué à ce langage.

– Oh, ça va ! Ce n’est pas comme si ma présence t’était indispensable.

Je n’ai pas le temps de répondre que notre petite tornade blonde lui saute dans les bras.

– Maman !

– Oh là, doucement jeune fille !

Les deux femmes de ma vie se retrouvent les fesses au sol et Isis se met à rire comme jamais. Un rire qui m’interpelle.

Isis est une mère douce et aimante. Malgré la jalousie qu’elle porte envers notre complicité à Emma et moi, je ne lui reproche rien. À part, ce soir où clairement elle est ivre.

– Emma, s’il te plaît, lâche maman et va prendre ton doudou. Nous allons partir, que toi et moi. Maman est fatiguée de sa journée.

Emma est déçue, mais ne riposte pas. Un ange cette petite.

– Comment ça, je suis fatiguée ? Tu ne veux plus de moi maintenant ?

– Clairement Isis tu as bu et je…

– Oh, je vois. Je te fais honte. Alors parce que j’ai bu à peine deux verres pour me détendre avant une soirée où tu vas encore être le centre du monde, je n’ai pas le droit de venir ?

– Ce n’est pas ça…

– Tu sais quoi ? Je vais venir, juste pour t’embêter. Je n’en ai pas plus envie que ça mais je vais venir.

– D’accord, comme tu veux, soufflé-je.

Prenant mon courage à deux mains, je poursuis :

– Isis, je crois qu’il faut qu’on parle. Après ce dîner, j’aimerais qu’on parle de nous. Je crois qu’on s’éloigne et on se fait du mal.

– Mon petit Ted, me répond-elle sarcastique, il n’y a plus de nous. Il n’y en a jamais eu d’ailleurs. Il est trop tard pour réparer quoi que ce soit.

Je n’ai pas le temps de lui demander de quoi elle parle qu’Emma nous rejoint.

– On y va papa ?

– Oui, chérie, nous y allons. Et bonne nouvelle, maman vient avec nous, tout compte fait.

Emma saute de joie tandis que je récupère les clés de la voiture des mains d’Isis. OK, elle peut venir à ce dîner mais conduire dans cet état, sûrement pas !

J’ai évidemment droit à un regard noir de ma femme, mais je n’y porte pas attention. Manquerait plus que nous ayons un accident !

Dehors il s’est mis à pleuvoir fortement. J’ouvre la voiture, pose les clés sur le contact puis j’attache tant bien que mal Emma dans son siège auto. Puis, complètement trempé, je rejoins Isis que je retrouve assise du côté conducteur.

– Isis… Ne fais pas l’enfant et va t’asseoir du côté passager. Je vais conduire.

– Ah ! Parce qu’après te faire honte, voilà que je fais l’enfant !

Je souffle. Clairement elle m’exaspère. Je ne sais plus quoi faire afin que les choses s’arrangent entre nous.

– Comme tu veux, capitulé-je en m’asseyant à ses côtés.

Elle serre le volant comme si c’était sa bouée de sauvetage. À tel point que les jointures de ses doigts sont blanches.

Je secoue la tête. Isis et moi avons un problème, c’est évident. Je n’arrête pas de recenser ses derniers mots, ceux avant qu’Emma nous interrompe, « Il est trop tard pour réparer quoi que ce soit. »

Je profite du fait que notre fille dort pour relancer le sujet. Je ne suis peut-être pas amoureux de ma femme, mais c’est ma meilleure amie, son bien-être compte beaucoup pour moi. Il est essentiel. Alors, je ne veux pas qu’il y ait des non-dits. On va trouver une solution, c’est important ! Pour nous mais aussi et surtout pour Emma.

– Isis ?

Silence…

– Isis, s’il te plaît, regarde-moi.

Elle soupire, mais, finalement se tourne vers moi.

– Quoi ?!

– Comment ça quoi ? Tu ne peux pas me dire que c’est trop tard sans me donner plus d’explications ! Je veux comprendre.

Un rire me répond.

– Ted, il n’y a rien à comprendre. Tu ne m’aimes pas, point.

– Isis, ce n’est pas ça…

– Je te trompe.

– Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?

Elle détourne quelques secondes son regard de la route pour planter ses iris furieux dans les miens. Quelques secondes qui, je ne le sais pas encore, changeront à jamais nos vies.

Un coup. Un bruit de taule qui se tord. Les cris de ma fille qui se réveille. Une douleur atroce à ma tête. Puis plus rien. Blackout.

1 François

Deux ans après…

– Combien de réservations pour ce soir ?

– Attends que je vérifie sur le carnet.

Max, mon associé et meilleur ami contourne le bar et récupère le carnet de réservation.

Ce soir, comme chaque jeudi soir, un groupe joue dans notre bar, Le Savior. Traduction, Le Sauveur. C’est un hommage à la défunte petite amie de Max. Une vieille et tragique histoire. Mais Max a su se relever, grâce entre autres à l’amour que lui porte sa femme Lou. Ma meilleure amie. Eh oui, mes deux amis sont en couple et heureux !

Ce que j’aimerais trouver l’amour !

Je n’ai jamais été gâté de ce côté-là. Au lycée, j’étais éperdument amoureux d’Alex. Mais trop difficile. Il n’était pas prêt à faire son coming out.

Et puis, il y a eu ce danseur, Abel. Oh là, là, lorsque je repense à lui, ça me fait tourner la tête. Il était torride mais beaucoup trop infidèle. Après cette rupture, j’ai quitté Paris pour revenir dans ma ville natale, Annecy. J’avais besoin de me remettre de mon chagrin d’amour. Je me suis associé avec Max et depuis je ne vis que pour le travail. C’est triste, mais c’est malheureusement la vérité.

Même les différents sites de rencontres ne m’ont jamais permis de trouver quelqu’un de sérieux. Ou en tout cas qui aspirait aux mêmes choses que moi.

Les coups d’un soir, c’est bien un temps mais ce n’est pas pour moi. Je veux plus. J’attends plus. J’ai besoin de davantage.

Le plaisir charnel ne me suffit plus. Je suis à la recherche de l’homme de ma vie. Celui avec qui je partagerai ma fin de journée autour d’un bon repas. Celui avec qui je ferai le tour du monde. Celui avec qui j’achèterai un chien, une maison. Et pourquoi pas ? Je veux la totale ! J’ai le droit, moi aussi au bonheur.

– Deux tables de huit, une de six, deux de quatre et attends, ah oui, les filles seront là.

– Excuse-moi, tu disais ?

– Ça va, François ? Tu es un peu ailleurs en ce moment ?

– Non, non, ne t’inquiète pas. C’est seulement mon dernier rencard qui me laisse perplexe.

– Ah oui, Fred ? C’est ça ?

– Non, lui c’était la semaine dernière ! Non, là je te parle de George. Essaie de suivre un peu.

– Oh ! Excuse-moi de ne plus réussir à retenir le prénom de tous tes rencards, s’amuse Max.

– Arrête ! Je cherche Le mec. Le bon !

– Tu sais ce que je pense de ces sites, François.

– Oui, oui…

– Un pique-sous ! disons-nous à l’unisson.

– C’est exactement ça ! Mon ami, tu ne trouveras jamais le grand amour dans ce genre de site. Je suis peut-être vieux jeu mais rien de tel qu’une belle rencontre au hasard.

– C’est facile pour toi, tu es marié depuis des années à Lou. Rencontrée alors qu’elle était encore au lycée.

– Ouais mais tu oublies que je suis plus âgé et que je tenais déjà Le Savior. C’est le hasard qui me l’a fait rencontrer. C’était notre destin. Et je suis certain que toi aussi, un jour tu trouveras chaussure à ton pied.

– Ouais ben, ce n’est pas gagné ! Le George faisait au moins du 47 en pointure. Des panards de géant avec des doigts de pieds poilus et tordus.

– Du 47 ? demande Max en riant.

– Ouais, des pieds immenses.

– Et alors, c’est vrai ce qu’on dit sur les grands pieds ?

– Eh bien, figure-toi que c’est ça qui me laisse perplexe, dis-je en me marrant, le reste ne suivait pas. Minuscule. De grands pieds, passe encore mais là, je ne pouvais pas.

Max se met à rire de plus belle.

– Et quoi ? Tu l’as planté ?

– Ben, oui ! Tu voulais que je fasse quoi d’autre ? J’ai prétexté que ma grand-mère, paix à son âme, avait besoin de moi et je suis parti aussi vite que j’ai pu.

Je hausse les épaules tandis que mon ami rigole de plus belle.

Ben quoi, je ne pouvais pas rester là. Quelquefois la fuite est la seule solution.

Le téléphone de mon ami se met à sonner. Il s’excuse et part en direction du bureau pour répondre. Quant à moi, je vais en réserve prendre quelques boissons afin que ce soir nous ne manquions de rien.

Lorsque je me retrouve devant nos étagères où sont rangées nos bouteilles, je constate que quelques rayons sont vides et je grogne.

C’est à Éric, notre serveur, de veiller à ce que les étagères soient remplies. Il faut s’assurer que toutes les bouteilles soient à portée de main. Au cas où il y ait un coup de bourre au bar et que nous ayons besoin de quoi que ce soit. Nous ne devons pas perdre de temps à chercher dans les cartons.

Bon, je ne peux pas trop lui en vouloir, en ce moment il a la tête ailleurs. Vanessa, sa petite amie, mais également notre serveuse, est enceinte. Elle entre dans son huitième mois de grossesse alors je suppose qu’il est stressé et doit gérer trop de choses.

Je vais lui proposer de prendre en charge la gestion des stocks de la réserve pour un temps. Cela lui permettra de se concentrer sur les clients et sur sa petite amie.

Éric et Vanessa travaillent au Savior depuis le début. Et leur amour est né dans ce bar. Au fil du temps ils sont devenus collègues, puis amis, amants et enfin en couple. Je suis heureux pour eux.

Décidément cet endroit en a vu naître des couples.

Max et moi avons beaucoup de considération pour nos collaborateurs. Leurs besoins et leur bien-être sont primordiaux. Le Savior est une grande famille. Et franchement, ils nous le rendent bien.

Personne ne compte ses heures, chacun vient avec le sourire. Il y a vraiment une bonne ambiance de travail et j’en suis ravi.

Ma tâche terminée, j’emporte une cagette remplie de boissons. Je les range, nettoie les derniers verres. Passe un coup d’éponge sur le bar puis sur les tables.

Je pose mon torchon sur l’épaule et vais me faire un café bien mérité.

La porte d’entrée s’ouvre et laisse apparaître Éric. Je lève un sourcil lorsqu’il se place devant moi. Le teint pâle et des cernes.

– Nuit difficile ? Demandé-je en lui préparant un café.

Il s’assoit sur un des tabourets et se frotte le visage. Je lui tends sa tasse et il me remercie par un sourire.

– Tu n’as pas idée. J’ai dû emmener Vanessa à la clinique.

– Oh mince ! Un problème avec le bébé ?

– Que se passe-t-il ? demande Max qui nous a rejoints.

– Rien de grave, j’ai dû emmener Vanessa à la clinique. Elle avait quelques contractions, du coup nous avions peur que le travail ait commencé. C’est tôt, mais ça arrive.

– Et alors ? Ils vont bien ? demandé-je.

– Oui, oui, apparemment ça arrive en fin de grossesse. Il faut juste que ma belle se repose un peu et reste allongée. Mais bon tu la connais !

– Oh oui ! Rester à ne rien faire, ce n’est pas trop son truc.

– Bon courage mon petit, dit Max en tapotant l’épaule de notre employé, ce n’est que le début des nuits blanches. Mais tu verras, ce n’est que du bonheur.

– Je suis prêt pour les nuits blanches, me lever la nuit pour soutenir ma femme. J’ai hâte de rencontrer notre fille. Mais pas trop tôt quand même. Il faut encore qu’elle reste au chaud dans le ventre de sa mère.

– Je vous envie tellement les mecs ! Adopter un enfant lorsqu’on est homosexuel et célibataire, c’est un vrai parcours du combattant. Ce n’est pas gagné pour moi.

– Ne perds pas espoir…

– Non, Max, le coupé-je, c’est gentil d’essayer de me consoler, mais j’ai tiré un trait là-dessus depuis longtemps. Et puis, je suis « tonton » de deux supers gamins. Tes enfants me donnent beaucoup d’amour. Je suis gérant de deux bars, j’ai de fabuleux amis. Que demander de plus ?! Je suis chanceux. Sérieusement, ne vous en faites pas pour moi.

Éric et Max se jettent un coup d’œil, perplexe devant mon discours mais ont la gentillesse de ne pas renchérir.

– Bon, dis-je en frappant dans mes mains, on reste ici à discuter comme des chiffes molles ou on se sert un bon rhum comme des mecs, histoire de se donner du courage avant de mettre la salle en place ?

– Rhum ! déclare Max, après tout il est presque 19 heures.

Max passe derrière le bar et nous sert un shot à chacun. Je décide de mettre de côté mes idées noires et de profiter de la soirée.

Un jour mon tour viendra. Je serai pleinement heureux et accompli. Je le sais. Je le sens.

2 Ted

Je me sers un deuxième café et grogne lorsque je vois qu’il est déjà 8 heures passées.

– Emma ! Tu vas être en retard à l’école. Allez, fais un petit effort, j’en ai marre de devoir subir chaque matin le regard désapprobateur de la directrice. Elle me fait peur cette bonne femme, je te jure.

J’avale une gorgée que je rejette immédiatement.

– Et merde, je me suis brûlé la langue. Putain de journée qui commence mal.

– Oh papa, c’est pas joli, joli tout ça. Deux gros mots en une seule phrase. Bravo ! Je ne te félicite pas, me réprimande ma fille.

– Oui, oui, excuse-moi. C’est juste que nous allons encore être en retard et…

– Et la sorcière de directrice va encore te faire la morale.

– Ah, toi aussi tu trouves qu’elle ressemble à Cruella, dis-je en attrapant ma veste et les clés de la voiture posées sur l’îlot central de la cuisine.

– Avec ses cheveux noir corbeau, son teint pâle et ses yeux exorbités, elle fait peur à tous les enfants de l’école.

Elle prend son sac d’école et nous sortons enfin de la maison, direction l’école élémentaire de ma fille.

Nous habitons une petite ville en Haute-Savoie qui se nomme Saint-Jorioz. Un endroit où ma fille et moi avons trouvé la paix et le bonheur.

Il y fait bon vivre. Le lac d’Annecy est tout proche et les commerçants sont super sympa.

Emma va en école privée. Pourquoi ? Je ne sais pas trop. J’ai toujours fréquenté les instituts privés alors j’ai naturellement suivi mon parcours.

Peu de temps après l’accident qui a failli nous coûter la vie il y a deux ans, nous avons eu besoin de quitter Paris et essayer de refaire notre vie. Loin des mauvais souvenirs d’un passé que nous voulons oublier Emma et moi.

Une de mes amies écrivains, Lou, habite cette région. À l’entendre parler, c’était le paradis. Alors je me suis dit pourquoi pas.

Ce terrible soir où nous avons eu l’accident, je suis tombé quelques jours dans le coma. Je me suis rapidement remis de mes blessures mais ça n’a pas été le cas de ma fille.

Aujourd’hui, elle n’a plus aucune séquelle, cependant ça a été difficile. Traumatisme crânien. Plusieurs séquelles physiques, heureusement légères, qui ont été réglées grâce à des séances de kinésithérapie et d’ostéopathie.

Le plus dur a été de traiter le psychologique. Emma souffrait d’un état post-traumatique dû évidemment à l’accident mais également à l’abandon de sa mère.

En effet, Isis a petit à petit disparu de notre vie. Elle s’en voulait terriblement et n’avait pas la force d’affronter les conséquences de cet accident.

Elle a d’abord déménagé, puis elle n’a pas demandé la garde de notre fille lors du divorce. Un divorce éclair soit dit en passant. Normal, elle n’a rien demandé.

Elle voulait fuir.

Nous.

Notre vie.

Emma.

Et puis doucement, les visites à notre fille se sont transformées en appels téléphoniques. Pour arriver à plus aucun contact.

Isis a quitté nos vies sans un mot. Changé de numéro de téléphone et déménagé comme si elle n’avait jamais existé. Ça a été très dur pour Emma.

Je lui en veux terriblement d’avoir fait souffrir notre fille. Le pire, c’est que je ne lui ai jamais reproché l’accident.

Elle n’aurait jamais pu éviter la voiture qui venait en face de nous.

Le conducteur qui a fait un délit de fuite n’a pas été retrouvé. On ne saura jamais pourquoi il conduisait à contresens.

Il est fautif mais il n’est pas le seul. Je le suis tout autant. Je n’aurais pas dû permettre à Isis de conduire.

On me rabâche que je n’aurais certainement pas réussi à l’éviter moi non plus. Mais je ne parle pas que de ce soir-là. Je suis fautif car j’ai poussé ma femme à me tromper. J’ai détruit notre mariage. Je suis mauvais. Je porte malheur.

Emma va mieux. Grâce à une année de thérapie et à mon amour, elle se sent bien même si je sais que je ne pourrai jamais remplacer une mère.

Aujourd’hui, ma vie est centrée sur ma petite tornade blonde. Mon rayon de soleil. Il n’y a qu’elle qui compte. Pas de place pour autre chose ni pour une autre personne. En même temps, je n’en éprouve pas le besoin. Mon cœur est en berne et pour le reste je me satisfais de temps à autre avec ma main.

Je ne suis pas triste pour autant. Je suis heureux ainsi. Enfin, ça me convient. Je ne veux pas prendre le risque de faire entrer quelqu’un dans notre bulle de sérénité. Ni dans mon cœur.

Nous avons une belle maison, j’ai retrouvé mon amie Lou et je me suis fait de nouveaux amis. Mes livres se vendent très bien. Mon métier me permet de m’occuper seul de ma fille et pour les quelques fois où je dois m’absenter, Justine la nounou d’Emma est toujours disponible.

Une nouvelle vie pour un nouveau départ.

Depuis un an, nous nous sommes enfin retrouvés. Je ne veux pas perdre ce que j’ai construit. Et surtout pas nuire à la sérénité de ma fille.

Je me gare sur le parking de l’école. Emma sort de la voiture et court déjà en direction du portail qui se ferme sous ses yeux.

– Madame Schmidt, Madame Schmidt, je suis là !

Je rejoins ma fille en courant également, mais je fais aussitôt demitour lorsque je remarque qu’Emma est sortie du véhicule sans son cartable.

Grrr !

J’ouvre la voiture. Prends le sac. Cours vers le portail puis tends le cartable à ma fille. Elle me fait un léger bisou et se dirige sans attendre vers sa classe.

Je pose mes mains sur mes genoux et souffle comme un bœuf. Bon, va falloir que je me mette à la course à pied moi.

J’entends quelqu’un se racler la gorge. Ah oui, Cruella est là.

– Bonjour Madame Schmidt, dis-je en me redressant.

Je lui souris et poursuis comme si de rien n’était.

– C’est une belle journée qui s’annonce, n’est-ce pas ?

– Monsieur Wilson, cela fait déjà trois retards ce mois-ci ! Et nous sommes seulement à la moitié du mois d’avril.

– Oh, déjà avril. Que le temps passe vite.

Je tente l’humour mais apparemment avec cette peau de vache, cela ne marche pas. Elle croise les bras sous sa poitrine et hausse un sourcil.

– Bien madame Schmidt. J’en prends bonne note. Cela ne se reproduira pas.

Je n’attends pas sa réponse et file de là le plus vite possible.

– J’espère bien Monsieur Wilson, l’entends-je au loin.

J’ai 40 ans et je me fais réprimander comme si j’étais un enfant de 5 ans. Je déteste ça ! Un jour je vais me la faire, c’est inévitable. J’ai des limites quand même !

Je saute dans ma voiture lorsque mon téléphone se met à sonner. J’enclenche le bluetooth et démarre. C’est Lou.

– Salut Lou, comment vas-tu ?

– Bien et toi ?

– À part le fait que je viens de me faire réprimander comme un sale gosse par la directrice de l’école de ma fille, tout va bien.

– Encore en retard ?

– Oui, oui, oui… Je n’y peux rien. Le matin ce n’est pas notre truc à Emma et moi. Mais bon, je suppose que tu ne m’appelais pas pour m’entendre râler. Dis-moi ?

– Je viens également de déposer les enfants à l’école et je me disais qu’on aurait pu aller se boire un café. Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus. Dis oui, dis oui, dis oui ! S’il te plaîîît ! geint-elle.

– Comment te résister quand t’es comme ça ?! Allez, va pour un café. On se rejoint où ?

– À cette heure-ci, Le Savior est fermé mais Max y est déjà pour sa comptabilité. On y sera tranquille pour discuter. J’ai besoin que tu me remontes le moral. L’inspiration n’est plus là. Je ne vais jamais réussir à terminer ce manuscrit à temps.

– OK, je ne suis pas loin. À tout de suite.

J’ai croisé Lou à la Sorbonne mais nous ne sommes devenus amis qu’après que le hasard nous ait fait signer dans la même maison d’édition.

Elena, notre éditrice est d’ailleurs très vite devenue une proche amie de Lou. En même temps, cette fille est un ange. Son seul problème, c’est son terrible manque de confiance en elle. Je suis certain que son manuscrit sera terminé à temps.

Je me gare devant le bar. Le Savior. Quelquefois je me dis que j’aimerais bien moi aussi être sauvé. Rencontrer la personne qui panserait mes blessures. Avec qui je pourrais fonder une famille pour Emma.