Histoire philosophique, politique et religieuse de la barbe chez les principaux peuples de la terre - Ligaran - E-Book

Histoire philosophique, politique et religieuse de la barbe chez les principaux peuples de la terre E-Book

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Extrait : "La mode est cosmopolite par essence ; semblable à une épidémie, elle envahit successivement toutes les contrées du monde, vole de climats en climats pour fonder son tyrannique empire, quitte un pays pour émigrer sur d'autres plages et y faire de nouveaux esclaves. Pareille encore aux globes qui sillonnent l'espace, elle décrit une orbite plus ou moins longue, et revient, après bien des siècles, à son point de départ, pour ressusciter des usages oubliés".

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Seitenzahl: 125

Veröffentlichungsjahr: 2016

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Prolégomènes

Il existe une souveraine dont les ordres les plus gênants n’éprouvent jamais d’opposition ; nul ne réclame contre ses décrets, ses fantaisies sont des oracles ; elle change les mœurs à son gré, se moque des convenances, et fait plier la sévère raison sous la marotte de la folie.

Elle règle le bien et le mal, fait et défait les réputations, donne de la beauté aux laides, de l’esprit aux sots, et de la science aux charlatans.

Elle résiste impunément aux remontrances de la justice, aux conseils de la sagesse, et souvent même aux préceptes de la morale.

Cette souveraine, c’est la mode, que le vieux Montaigne appelait la grande empérière du monde.

On a dit que la France était son royaume, et que Paris était son séjour favori.

Cette proposition n’est pas tout à fait exacte.

La mode est cosmopolite par essence ; semblable à une épidémie, elle envahit successivement toutes les contrées du monde, vole de climats en climats pour fonder son tyrannique empire, quitte un pays pour émigrer sur d’autres plages et y faire de nouveaux esclaves.

Pareille encore aux globes qui sillonnent l’espace, elle décrit une orbite plus ou moins longue, et revient, après bien des siècles, à son point de départ, pour ressusciter des usages oubliés, et faire revivre des coutumes tombées en désuétude.

Contagieuse de sa nature, elle infiltre dans toutes les classes ses bizarreries, ses caprices et ses extravagantes excentricités.

Ce que je viens de dire s’applique exactement à mon sujet, comme on en acquerra bientôt la conviction.

La connaissance des modes antiques forme une branche immense de littérature qui a de nombreux enthousiastes. C’est la passion des antiquaires.

Elle se lie logiquement à l’histoire générale des peuples et donne la clef du génie et du caractère des nations, comme dit Rollin. Parmi les histoires de ces usages, de ces modes, celle de la barbe tient sans contredit un rang distingué.

Quoiqu’elle ne semble pas d’une nature fort sérieuse, et qu’elle n’apparaisse tout d’abord aux yeux de la multitude que comme une frivolité et un simple badinage, cependant elle touche à l’homme d’assez près pour lui emprunter un degré d’importance qu’on sera certainement surpris d’y rencontrer.

Les pouvoirs les plus élevés de la terre n’ont pas dédaigné de s’occuper de la barbe, et la distinction capitale qui résulte, dans le visage humain, de son absence ou de sa présence, n’est pas une chose qui se soit traitée à la légère et sans laisser de traces.

Dieu lui-même, devant tout son peuple assemblé, a bien voulu, par l’organe de Moïse, s’expliquer sur le régime de cette décoration de la face de l’homme.

En effet, la loi mosaïque ne défend pas seulement de se raser le menton, comme le rapporte la Vulgate, mais, suivant les meilleures versions de la Bible, on y lit (Lévitique, chap. 19, v. 27) : Neque in rotundum attondebitis comam : nec radetis barbam. – Vous ne couperez pas vos cheveux en rond ; et vous ne raserez pas votre barbe.

Religieusement respectée à une époque, proscrite ou dédaignée dans une autre, la barbe est devenue le jouet du caprice et de l’inconstance des hommes.

Sacrée chez les Hébreux et les premiers Chrétiens, condamnée avec chaleur par quelques papes, protégée spécialement par d’autres, elle fut successivement regardée par l’Église comme une hétérodoxie révoltante ou comme le symbole de l’humilité chrétienne.

Jamais sous les papes Clément VII et Paul III les capuchons des disciples de Saint François n’ont soulevé d’aussi chaudes discussions que celles dont la barbe a été l’objet. Jamais la question des perruques n’a excité, parmi les ecclésiastiques, de disputes plus irritantes.

Enfin, jamais sujet n’a causé plus de troubles échauffé plus de cerveaux, et essuyé plus de tribulations.

Les souverains eux-mêmes ne sont pas restés étrangers aux persécutions que la barbe a subies aux différentes époques de l’histoire. S’il en est qui l’ont couverte de leur royale égide et qui lui ont donné l’hospitalité, on en compte d’autres qui lui ont déclaré une guerre implacable et qui l’ont impitoyablement repoussée de leurs États.

Nous marcherons à travers tous ces orages, et, les annales du monde à la main, nous passerons en revue les phases diverses que la barbe a traversées avant de ressusciter pleine de gloire au milieu de nous ; nous dirons les profondes catastrophes dont elle a été victime, l’ostracisme qui l’a exilée, quelquefois pendant plusieurs siècles, du menton de l’homme, les combats qu’elle a eu à soutenir contre les princes de l’Église et les têtes couronnées, les luttes dans lesquelles elle a succombé, et enfin les victoires qui lui ont rendu le sceptre qu’elle paraît tenir aujourd’hui en souveraine.

Les vicissitudes par lesquelles la barbe a passé depuis l’origine des peuples sont racontées dans les livres et inscrites sur les monuments que nous ont laissés l’architecture, la sculpture et la peinture des nations qui ne sont plus. Les arcs de triomphe, les bas-reliefs antiques, les marbres tumulaires, les colonnes, les verrières, les pierres gravées sont des représentations muettes d’une incontestable authenticité.

La numismatique, qui prête un appui si secourable à l’histoire, abonde aussi en témoignages dont la fidélité ne peut être contestée, et les médailles, en donnant l’effigie des personnages, reproduisent aussi leurs modes et leurs costumes avec une exactitude irréprochable.

J’ai puisé à toutes ces sources.

Vers le milieu du XVIe siècle on vit éclore sur la barbe plusieurs ouvrages dont j’ai pu retrouver quelques fragments perdus dans les richesses des bibliothèques publiques.

Le hasard m’a fait découvrir chez un étalagiste de cette ville la traduction d’un livre intitulé Barbalogia Valeriano Vannetti, 1730.

Entre autres paradoxes, ce Vannetti soutient avec chaleur contre l’illustre Van-Helmont, qu’Adam fut créé avec de la barbe au menton ; mais je confesse que, malgré le désir de contrôler cette assertion, je n’ai pas eu le courage de remonter vers une antiquité aussi reculée pour vérifier ce fait, qui, du reste, m’a toujours paru quelque peu contestable.

La volumineuse collection de l’histoire des conciles m’a fourni d’importants documents pour ce qui concerne la barbe des prêtres, et les Pères de l’Église ont été mis à contribution pour différents points de controverse et de discipline ecclésiastique.

La Guerre séraphique, où l’on voit les dangers qu’a courus la barbe des Capucins par les attaques des Cordeliers, est un ouvrage rare et curieux, quoique mal écrit, où j’ai trouvé de précieux renseignements.

La philosophie de la barbe a fourni au savant et spirituel Dulaure, dont je trahis l’anonyme, le sujet d’une petite brochure rédigée dans un style moitié sérieux, moitié badin, qui fut imprimée en 1786, à Constantinople (Paris), sous le titre de Pogonologie. C’est un livre où l’on rencontre de bonnes choses sur la barbe ; mais je le crois sujet à caution, et n’en ai détaché, pour cette raison, que ce qui m’a paru en harmonie avec la vérité de l’histoire.

Un ouvrage sans nom d’auteur, imprimé en 1826, m’a été confié par notre savant bibliophile, M. Hédouin de Pons-Ludon, dont la riche bibliothèque a été mise, par son extrême obligeance, tout entière à ma disposition. Ce petit livre, quoique bien incomplet, et dans lequel on retrouve quelques passages mal déguisés de Dulaure, m’a été d’un grand secours pour ce qui est relatif à la barbe des Français.

Grâce aux soins et à la bienveillance de cet érudit, les questions chronologiques ont été revues de manière à pouvoir braver toute espèce de contrôle, et plusieurs points obscurs de l’histoire ont été dilucidés par lui avec une sûreté qui met au défi les hommes les plus compétents dans ces matières.

J’ai trouvé aussi dans le Dictionnaire de la Conversation, dans le Dictionnaire des Dates et dans l’Encyclopédie méthodique, des faits historiques qui ne sont pas sans intérêt.

Je manquerais aux devoirs sacrés de l’amitié et de la reconnaissance si je ne rappelais pas publiquement que je suis redevable à M. L. Paris, conservateur de la bibliothèque, d’indications savantes et sûres, sans lesquelles j’aurais pu m’égarer dans le labyrinthe de l’antiquité.

Parmi les auteurs anciens qui ont parlé de la barbe, j’ai cité plus particulièrement, et après en avoir scrupuleusement vérifié le texte, Hérodote, Plutarque, Cicéron, Tacite, Pline, Tite-Live, Strabon, Suétone.

Les poètes grecs et latins, tels qu’Homère, Virgile, Ovide, Ausone, Juvénal, Perse, Martial, Properce, etc., n’ont point été oubliés.

L’ouvrage ayant pour titre : Icônes, Vitœ et Elogia imperatorum Romanorun, ab Huberto Goltzio, è priscis numismatibus – Antverpiœ MDCXLV, m’a été d’un grand secours pour l’histoire de la barbe sous les empereurs romains. Quant à ce qui est relatif à la barbe en France, j’ai fouillé les principaux chroniqueurs, et notamment Brantôme, Tallemant des Réaux, Mézerai, Mabillon, Odon de Deuil, Guillaume de Nangis.

J’ai abondamment moissonné dans le recueil des historiens des Gaules et de la France, par les religieux bénédictins, et dans le livre ayant pour titre Monuments français pour servir à l’histoire des arts depuis le VIejusqu’au XIXesiècle, par Willemin.

Parmi les œuvres des laborieux et infatigables bénédictins, j’ai surtout étudié celles de B. de Montfaucon, sur les antiquités, coutumes et modes grecques et romaines.

J’ai emprunté aux ouvrages d’Amédée Thierry, Pfister et Serpette de Marincourt, sur les antiquités gauloises, et à l’histoire des costumes français, publiée par notre compatriote M. Herbé, dont la modestie égale le savoir, les matériaux qui se rattachaient directement à mon sujet.

Les différents traités de glyptique et de sigillographie ont été mis à profit et comparés entre eux avec le plus grand soin.

J’ai interrogé, pour la barbe des peuplades lointaines, les voyageurs et les navigateurs célèbres, les capitaines Cook et Carver, Bougainville, Arago, Dumont d’Urville ; et pour les barbes russes, l’excellent ouvrage de M. de Custine.

Enfin, pour compléter mes recherches, j’ai eu recours à l’obligeance de M. Duquénelle, qui m’a ouvert ses trésors de numismatique et qui m’a permis d’étudier sa collection de médailles et de monnaies romaines, l’une des plus rares et l’une des plus riches, sans contredit, qui existent en France.

On restera donc convaincu, d’après ce qu’on vient de lire, que les historiens, les philosophes, les moralistes, les poètes et les Pères de l’Église ont fait de la barbe l’objet de leurs méditations.

Mais ce qu’il importe de faire remarquer, c’est qu’elle n’a jamais été considérée sous le même point de vue. Les uns en ont parlé sous le rapport chronologique, d’autres se sont renfermés dans les limites d’une province ou d’un royaume. Tel rapsode s’est contenté de l’embellir des charmes de la poésie. Celui-ci fulmine contre les mentons rasés, celui-là dresse des autels aux barbes longues. Enfin, certains écrivains n’ont parlé seulement que des barbes du clergé. Après avoir réuni péniblement tous ces travaux épars en maints endroits, j’ai pris à tâche de les coordonner et de les relier en faisceau compact, pour en faire un modeste compendium que j’abandonne à l’indulgence du lecteur.

Chapitre Ier

Idée présumée du Créateur en dotant l’homme de la barbe. – Considérations médicales. – Hygiène de la barbe. – De ses avantages et de ses inconvénients au point de vue moral et physique.

Plusieurs docteurs, se ruant comme Pangloss à la recherche de la raison suffisante des choses, ont, dans le cours des siècles, savamment disserté sur l’utilité de la barbe, et sur le but qu’a dû se proposer le Créateur en faisant ce présent à l’homme.

La barbe, a-t-on dit, serait-elle une sentinelle vigilante placée autour de la bouche et des narines, et aurait-elle reçu la mission de garantir ces ouvertures naturelles contre les offenses des corps étrangers, comme les cils sont plantés au bord des voiles membraneux des paupières pour protéger la surface de l’organe de la vision ?

Mais alors pourquoi la femme, à part quelques exceptions que nous nous garderons bien de passer sous silence, en est-elle déshéritée ? pourquoi ne jouit-elle pas du privilège accordé à l’homme, et pourquoi le menton de celui-ci ne commence-t-il à fleurir qu’à une certaine époque de sa vie ? Dieu n’a fait rien en vain ; on ne pourrait penser autrement sans accuser notre père commun d’imprévoyance, et sans taxer d’inconséquence ce qui a dû être l’effet d’un plan motivé et arrêté par la haute sagesse de l’auteur de toutes choses.

Donner à l’homme un air grave et sévère, lui conserver sur le sexe l’empire que la nature lui a concédé, faire briller sur son visage les traits caractéristiques de la virilité, telles sont quelques-unes des prérogatives de la barbe.

Mais ce n’est pas du côté philosophique seulement que la barbe doit être envisagée ; chacun sait en effet que cette messagère vient annoncer à l’adolescent que le temps est venu où ses organes vont lui donner une existence nouvelle et qu’un duvet naissant l’avertit que pour lui les beaux jours de l’enfance ne sont plus. Ceux qui considèrent la barbe sous un autre point de vue, et qui veulent aussi lui assigner un but final, professent des doctrines qu’il n’est pas tout à fait inutile de rapporter.

Les uns prétendent qu’une longue barbe, en entretenant uniformément la transpiration, maintient l’harmonie des fonctions, et qu’en la coupant on court le risque de contracter les affections les plus graves.

Pierius Valerianus, dans un ouvrage intitulé : Pro Sacerdotum barbis, dit que ceux qui se rasent souvent sont torturés par d’horribles douleurs dentaires, assaillis par de fréquentes esquinancies, et fatigués par des nausées dues au relâchement de la luette.

Le médecin Adrien Junius, qui vivait au XVIe siècle, assure que la barbe est un préservatif de plusieurs maux.

Gentien Hervet, dans son deuxième discours sur les barbes, rapporte qu’après le concile de Trente plusieurs ecclésiastiques ayant été, comme nous le verrons plus loin, dans l’obligation de se raser, furent atteints de douleurs de tête opiniâtres, et d’érysipèles du visage.

Bonaparte, qui n’était pas docteur, quoique membre de l’Institut, mais qui savait observer et qui s’entendait à résumer ses observations, a dit quelque part dans ses Mémoires : « Les Orientaux se rasent le crâne et portent la barbe, les ophtalmies sont chez eux plus fréquentes que la perte des dents ; les Européens se rasent le menton et conservent leurs cheveux, les maladies des dents sont plus communes chez eux que les ophtalmies. »

Des hommes qui ont la manie de vouloir tout interpréter disent que ce n’est pas sans raison que les anciens avaient représenté Esculape, le dieu de la médecine, orné d’une épaisse barbe d’or. Suivant eux, cette barbe symbolique annonçait aux Grecs non seulement qu’il fallait conserver leurs mentons barbus, mais encore elle témoignait par la richesse de son métal combien la barbe était précieuse à leur santé.

Ce ne fut pas impunément, si l’on en croit encore quelques auteurs, que Denys le Tyran eut l’impiété d’enlever au dieu de la médecine cette riche toison ; ils regardent comme un châtiment de ce sacrilège le besoin où sa méfiance le mettait de se faire brûler la barbe par ses enfants avec des coquilles de noix ardentes, plutôt que de recourir aux barbiers de Syracuse.