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Nicolas Martel découvre l’existence d’un fils qu’il n’a jamais connu et qui s’avère introuvable. Son enquête pour éclaircir le mystère de cette disparition le conduit du Kenya à Madagascar où il est confronté à une vaste organisation criminelle. Avec l’aide de Karelle, journaliste, qui fut, elle-même, victime des bourreaux qu’il pourchasse désormais, il se lance dans une aventure folle afin de faire éclater la vérité et réparer les erreurs du passé. Seulement, plusieurs obstacles se dressent sur son chemin…
À PROPOS DE L'AUTRICE
Vice-présidente de l’association des écrivains de Bretagne depuis une décennie,
Zannie Voisin compte à son actif trois ouvrages publiés notamment "Gillia, passé composé futur simple", paru en 2009, "Maximila et les chevals de cœur", paru en 2010 aux éditions Edilivre et "Le guerrier des Alpujarras" paru en 2023 chez Le Lys Bleu Éditions.
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Zannie Voisin
Jardin bleu
Roman
© Lys Bleu Éditions – Zannie Voisin
ISBN : 979-10-422-1814-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Tu es le maître de tes pensées, tu es le capitaine de ton destin.
Nelson Mandela
Même la plus noire des nuits se termine, et le soleil se lève.
(Proverbe inconnu)
À Dylan, Louis et Martin,
mes petits-fils
À Nathan et Elena,
mes arrière-petits-enfants
Elle se retourna vivement s’attendant à voir un de ses mecs qui traînaient sans rien faire de leurs journées. L’homme qui venait de parler affichait un petit sourire moqueur. Il portait un jean bleu et une chemisette jaune pâle. Il était très brun, avait la peau hâlée, et cela lui allait bien. Elle-même était vêtue d’un polo blanc de tennis et d’un short suffisamment court pour laisser voir ses jambes musclées et très légèrement hâlées.
Elle la releva elle-même et l’appuya contre un arbre qui bordait le chemin de terre. L’homme hocha la tête d’un air entendu, avec toujours le même sourire moqueur sur les lèvres.
Toujours souriant, il continua de marcher dans l’herbe sans plus s’occuper d’elle.
En essayant de garder son sérieux, il se retourna et lui lança :
Il se retourna et continua sa promenade. Furibonde, elle resta plantée sur le chemin et le regarda.
KARIE ! Elle avait bien entendu KARIE. Plus personne ne l’appelait comme ça !
Il leva un bras pour lui faire comprendre qu’il l’avait bien entendu et continua de marcher.
Karelle, un peu estomaquée que cet homme, qu’elle ne connaissait pas, l’appelle par son surnom depuis longtemps oublié, restait debout à le regarder traverser le terrain en friche. Elle connaissait le propriétaire de ce terrain. Un vieux monsieur qu’elle avait connu quand elle était toute petite et qu’elle n’avait pas vu depuis fort longtemps. Mais ce n’était pas une raison pour qu’un parfait inconnu viole sa propriété ! Elle était sûre de ne pas le connaître, pourtant il l’avait appelée Karie ! Qui pouvait lui avoir dit qu’on l’appelait comme ça quand elle était enfant ? Qui était cet homme ? Elle n’aimait pas que ses questions restent sans réponses.
En ronchonnant, elle sortit son téléphone portable de la poche de son short et appela son frère Antonin pour qu’il vienne la chercher. Il exploitait une ferme ostréicole tout près de Locmariaquer et il lui annonça qu’il arrivait. Elle sentait l’air iodé qui arrivait jusqu’à elle, et, un peu plus calme, elle s’assit dans l’herbe sur le bord du fossé. Elle ne quittait pas des yeux l’étranger qui s’éloignait vers le fond du champ, soudain, il franchit un buisson et disparut à sa vue. Cet homme connaissait son surnom que plus personne n’utilisait, c’était tout de même un peu fort ! pensa-t-elle, encore indignée.
En réfléchissant, elle avait une impression, très fugitive, de déjà-vu. Elle avait une bonne mémoire et n’oubliait pas un visage. Pourtant… Il avait un petit quelque chose… Un… Elle ne savait quoi, qui lui rappelait quelqu’un. C’est ça ! Il lui fit tout à coup penser à l’acteur Hugh Jackman qu’elle venait juste de voir dans un film au cinéma. Mais Hugh Jackman était Australien. Il serait très étonnant de le croiser sur le littoral breton, aussi beau soit-il ! Elle n’eut pas le temps de penser à autre chose que son frère arrivait avec sa camionnette.
Il attrapa le vélo et le déposa sur le plateau arrière de son véhicule sur des sacs en plastique servant à la culture des huîtres.
Surpris, Antonin la regarda tout en tournant sa clé de contact.
Il faisait allusion à leurs grands frères. Elle haussa les épaules et ne répondit pas. Elle repensait à l’inconnu et cela la chiffonnait qu’il l’ait appelée Karie.
Ils roulèrent quelques minutes en silence, puis Karelle demanda :
Elle refoula ses souvenirs, car ils arrivaient devant la maison.
Karelle Duhamel, jolie rousse aux yeux verts, pouvait passer facilement pour une Irlandaise. Mais elle était bretonne et fière de l’être. Elle était sûre que dans son sang coulait un peu de l’Océan Atlantique parce que c’était sa mer, à elle ! Sa famille paternelle était de Port Louis, et la famille de sa mère vivait dans un très joli village breton des environs de Locmariaquer. Quand ses parents s’étaient mariés, ils s’étaient installés dans ce même village avant de partir habiter à Port-Louis. Karelle portait bien ses trente-cinq ans. Sa peau laiteuse, criblée de taches de rousseur – elle les appelait « pigasses » – lui interdisait les bains de soleil trop prolongés, sinon elle devenait rouge comme une écrevisse. Elle était la troisième d’une fratrie de cinq enfants, deux filles et trois garçons. Les aînés, c’étaient les jumeaux, Florian et Fabrice, que la famille appelait « les jujus » ou les grands. Ils étaient tous les deux scientifiques, et étudiaient l’écologie et la bactériologie des Océans. De tous les océans et de toutes les mers du globe. Le plus souvent, ils naviguaient sur un navire qui faisait des recherches dans l’Arctique, et partaient pour des missions qui duraient au moins huit mois. Comme il était assez difficile de les localiser, la famille avait l’habitude de répondre qu’ils étaient aux îles « Mouckmouck ». Ce qui voulait dire nulle part et ailleurs, mais surtout très loin. Célibataires tous les deux, ils donnaient de leurs nouvelles par radio tous les mois, ou plus tôt s’il y avait une urgence. L’autre fille s’appelait Mathilde, mais on la surnommait Mathy. Elle avait deux ans de moins que Karelle et Antonin, le petit dernier, cinq ans de moins. C’était une habitude de leur mère de donner des surnoms à ses enfants, ce que n’avait jamais aimé Karelle, la rebelle de la famille.
Karelle, toujours célibataire, et pourtant grande consommatrice de la gent masculine, ne supportait pas qu’une histoire amoureuse dure plus de six mois, grand maximum. Elle racontait à ses bonnes copines qui s’en étonnaient, que si ça ne tenait pas plus longtemps c’était parce qu’elle trouvait ses amoureux plates1 au bout de quelques mois. Elle les trouvait très bien, au tout début, puis elle en avait vite assez. Elle aimait le flirt et les attentions amoureuses qui vont avec, puis passait rapidement à une autre victime, car il n’était pas exagéré de les considérer comme telles. Capricieuse de nature, elle aimait les hommes qui satisfaisaient ses moindres désirs, et puis elles les rejetaient cruellement sans aucun état d’âme, parce que justement ils satisfaisaient ses moindres caprices. Pour se sentir moins coupable, elle disait qu’ils avaient un caractère de « guenille » expression bien à elle. Si le prétendant montrait un caractère plus affirmé, elle le gardait un peu plus longtemps, mais dès qu’il lui tenait tête parce qu’elle avait tort, elle le quittait en espérant qu’il ferait tout pour la retenir et la supplier de rester avec lui – tout en sachant bien qu’elle ne renouerait pas les liens qu’elle avait volontairement coupés. Dans tous les cas, c’était voué à l’échec. Le caractère dominateur qui la caractérisait en était la cause. Mais jamais, au grand jamais, elle ne l’admettrait. Elle cherchait un homme, un vrai, un qui la comprendrait, disait-elle. Un qui la surprendrait, la ferait rire, la bousculerait de temps en temps. Un type comme justement le beau Hugh Jackman – elle adorait ce type d’homme – qu’elle avait vu dans le film « Australia » avec la belle Nicole Kidman, ou dans « Opération Espadon » avec la non moins belle Halle Berry. Elle avait ressenti des frissons quand ces acteurs s’embrassaient même si elles savaient que c’étaient des baisers de cinéma. Elle aurait donné cher pour être à la place des vedettes féminines à ce moment-là. Signe que sa libido fonctionnait normalement, malgré ce que lui balançait malicieusement sa sœur Mathy. À laquelle elle avait répondu, tout aussi malicieusement, qu’il serait judicieux qu’elle retrouve la sienne qu’elle avait perdue en même temps que son salopard de mari. « Mais, avait-elle rapidement ajouté pour ne pas faire de peine à sa sœur, un coup de pied dans une poubelle des beaux quartiers, et tu trouveras plus d’une dizaine de mecs riches, beaux, avec de bonnes manières qui seront à tes pieds, jolie comme tu es ».
Des hommes au fort caractère, qui savaient parler aux femmes et qui ne s’en laissaient pas conter, c’était un homme comme ça qu’elle voulait pour elle ! Il faudrait qu’il lui explique pourquoi elle, elle devrait l’aimer – comme si on pouvait se poser cette question –. Si, eux déjà l’aimaient, cela lui suffisait. Pour elle, l’amour à sens unique était normal. Elle ne voulait pas d’enfant non plus. Elle n’avait pas le temps de mettre sa carrière entre parenthèses pour un môme qui passerait son temps à chialer, qui l’empêcherait de dormir et de sortir, elle qui aimait faire la fête avec ses copines, à qui il faudrait donner à manger presque toutes les heures, sinon plus, pour ensuite passer son temps à changer des couches souillées. Non, merci, ce n’était pas pour elle !
Petite fille, elle était toujours derrière ses deux grands frères turbulents et n’avait jamais cédé devant l’un ou l’autre. Véritable garçon manqué depuis toujours, elle aimait la bagarre autant qu’eux. Ils n’avaient jamais cédé pour elle, ce qui avait aguerri son caractère déjà fort impétueux. Quand Antonin avait grandi, il s’était vivement mêlé à la bande même si les grands auraient préféré qu’il soit ailleurs, de temps en temps. Mathilde, très petite fille précieuse, n’aimait pas les jeux violents de ses frères et de sa sœur. Elle ne comprenait pas que Karelle, qu’elle admirait en secret, passe plus de temps avec eux qu’avec elle.
Karelle était journaliste et habitait à Paris. Si, au début de sa carrière, elle était restée souvent au bureau pour répondre au « courrier du cœur » de son magazine féminin, elle s’était rapidement libérée de ces cœurs en berne. Elle avait grimpé les échelons un à un, grâce au rédacteur en chef dont elle avait été la petite amie, disaient les mauvaises langues. Mais « c’est le propre des mauvaises langues de ne dire que des conneries, tout le monde sait ça ! disait-elle ». Officieusement, il en pinçait secrètement pour elle parce qu’elle savait ce qu’elle voulait et ne lâchait pas facilement le morceau et que ses reportages et photos étaient très bons. Officiellement, il n’y avait entre eux qu’un flirt verbal. D’autant que le monsieur était marié et père de famille, que Karelle connaissait son épouse, et qu’elles étaient très bonnes copines. L’épouse était au courant de ce flirt anodin et avait souvent assisté à cette passe de mots entre eux, mais elle savait aussi qu’elle ne risquait rien. C’était leur boulot de jouer avec les mots. Karelle ne « consommait » que des hommes libres.
Elle écrivait aussi des reportages pour d’autres magazines. Elle avait remarqué que les articles de ses copains journalistes étaient plus facilement acceptés que les siens, même s’ils étaient moins bons. Elle avait vite compris qu’elle vivait dans un monde sexiste. « Une femme peut faire exactement les mêmes choses que les hommes, disait-elle encore, et je le prouverai ». Elle prit l’habitude de signer de la première lettre de son prénom et de son nom en entier et il était difficile de deviner que derrière le K majuscule se cachait une femme. Elle avait un réel savoir-faire pour dénicher de bons sujets qui étaient appréciés des lecteurs. Ce qu’elle aimait par-dessus tout, c’était l’insolite, ce qui étonnait, ce qui faisait se poser des questions.
Elle aurait aimé partir dans les pays en guerre, mais le magazine qui lui assurait un salaire régulier n’envoyait personne dans les pays où existaient des conflits. Elle faisait des reportages photo en free-lance et ne désespérait pas de trouver un jour un sujet digne du « prix Pulitzer ». Le fait qu’elle soit française et que ce prix soit américain ne la gênait pas plus que ça. Elle voulait faire LE reportage. Celui que tous les médias lui envieraient, lui jalouseraient. Elle était toujours à l’affût du moindre sujet, et n’hésitait pas à se trouver quelquefois dans des situations burlesques autant que dangereuses. Elle était ingérable dès qu’elle était sur une piste et ne donnait plus de nouvelles pendant plusieurs jours. Mais ses articles étaient tellement bons qu’ils faisaient passer la pilule auprès de ses supérieurs et de son rédacteur en chef préféré. Quand son magazine ne voulait pas de ses articles, elle les vendait ailleurs aux plus offrants.
Elle était en vacances chez Antonin qui travaillait avec les parents de son épouse, ostréiculteurs de père en fils. Ils habitaient dans une jolie petite commune, près de Locmariaquer, pas loin du village où elle avait été élevée pendant sa petite enfance. Assez superstitieuse, elle gardait en permanence autour du cou une petite ancre de marine en or à laquelle il manquait une pointe. Elle était ornée d’un petit saphir, serti juste sous l’anneau et au milieu de la petite barre horizontale. La petite pierre bleue était écornée, mais cela n’enlevait rien à la beauté du petit bijou. Quand on lui faisait remarquer que l’ancre était abîmée, elle répondait que cela n’avait pas d’importance, que c’était cette imperfection qui lui portait bonheur. Le petit bijou lui avait été donné par son amoureux de maternelle. Il l’avait trouvée dans le sable pendant qu’ils bâtissaient un château fort tous les deux. Elle l’avait gardée longtemps dans une petite boîte. Quand elle était devenue adolescente, elle avait acheté une chaîne pour le petit pendentif qu’elle portait autour du cou et qu’elle ne quittait jamais. Quand elle était indécise, et sans s’en rendre vraiment compte, elle portait sa main à son cou pour toucher le bijou, et il lui semblait que la magie opérait.
L’homme qui avait proposé son aide à Karelle s’appelait Nicolas Martel. Quelques jours plus tôt, il avait signé les papiers de la succession de son grand-père paternel dont il était le seul héritier. À la mort de sa femme, le grand-père avait été placé dans une maison de retraite où il lui avait survécu quelques années. Il était décédé depuis plus d’un an et demi et la succession était enfin terminée. Nicolas envisageait de vendre les terrains, mais de garder la maison située sur le bord de la côte rocheuse. Le point de vue sur la mer était imprenable et il y avait tous ses souvenirs d’enfance heureuse dans cette maison. Il envisageait de faire faire quelques travaux intérieurs pour la moderniser un peu et pour avoir plus de commodités. Il aimait y venir seul, de temps en temps, mais aussi avec sa mère et ses deux filles, Thaïs et Séléna. Elles avaient deux ans d’écart et se ressemblaient beaucoup. Il aurait aimé avoir un fils, mais il se contentait de ses princesses qui lui apportaient beaucoup de bonheur. Ses fréquentes absences, à cause de son métier à la brigade des stupéfiants, lui avaient coûté son mariage. Il était resté en bon terme avec Gloria, son ex-épouse, qui, compréhensive, le laissait voir ses filles autant de fois qu’il le pouvait. Son métier d’officier de police judiciaire spécialisé dans la lutte contre les trafics de drogues – les Stups – lui permettait de travailler en étroite collaboration avec la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI ou brigade antigang). Son travail très prenant l’empêchait de profiter de ses filles autant qu’il l’aurait voulu, mais, dès qu’il le pouvait, il allait les voir. Il surveillait de près les devoirs de l’école, il était très souvent présent aux rencontres parents-professeurs et veillait sur leur éducation. Quand on lui demandait son métier, il annonçait qu’il était inspecteur de police, mais en réalité il était bien plus que cela.
Il avait pris quelques jours de vacances pour finaliser la succession et faisait le tour du propriétaire quand il était tombé nez à nez avec Karelle. La rencontre imprévue l’avait amusé. Il avait remarqué qu’elle était devenue une très jolie femme. Il savait qu’elle était journaliste, car il avait lu quelques-uns de ses articles. En bon flic qu’il était, et plus par curiosité, il suivait sa carrière et avait entendu parler de ses nombreuses relations amoureuses.
Il était étonné qu’elle ne le reconnaisse pas. Ils avaient fréquenté la même petite école et Karelle avait pris sous son aile ce petit garçon qui était manifestement un peu trop bien nourri. Elle disait à tout le monde qu’elle était son amoureuse et qu’ils se marieraient quand ils seraient grands. Elle lui faisait faire tout ce qu’elle voulait. Nicolas, subjugué par cette petite fille qui le traînait partout, était aux anges devant elle. Il avait été surpris de la rencontrer sur le chemin qui longeait le terrain de son grand-père, jusqu’à ce qu’il se souvienne qu’une partie de sa famille était originaire de ce village. Il allait certainement la rencontrer de nouveau, et il serait toujours temps de lui rafraîchir la mémoire. Il rentra dans la maison et commença à refermer tous les volets ainsi que les fenêtres qu’il avait laissés grands ouverts. Ou bien l’odeur désagréable d’humidité s’était légèrement estompée, ou son odorat s’était habitué, car il détestait cette odeur. Son téléphone portable se mit à sonner. Il l’avait laissé sur la table de la cuisine et en le prenant, il vit qu’il avait plusieurs messages.
Un doute commença à s’insinuer dans l’esprit de Nicolas Martel.
Un long silence s’installa entre eux. Il ne savait quoi dire et elle attendait qu’il digère l’information.
Il ne savait s’il devait être flatté ou agacé.
— Pourquoi tu ne m’as jamais dit que j’avais un fils ?
Il raccrocha, visiblement agacé. Il avait toujours regretté de ne pas avoir de fils, et il lui en tombait un comme ça du ciel. Et, c’était bien sa veine, il avait disparu ! Par-dessus le marché, elle lui avait donné le même prénom que lui.
Énervé, des souvenirs plein la tête, Nicolas jeta ses affaires dans son sac de voyage, fit un dernier tour de la maison pour voir si tout était bien fermé et se dirigea vers sa voiture. Il balança son sac sur la banquette arrière avec sa veste de cuir et s’installa au volant. Avant de tourner la clé de contact, il donna encore deux coups de téléphone. Tout en parlant au téléphone, il regardait la maison, et remarqua que les hirondelles sortaient de leurs nids, fidèles d’année en année, que les hortensias bleus qu’affectionnait particulièrement sa grand-mère étaient en pleine floraison. Ils étaient magnifiques et des souvenirs de ses grands-parents lui revinrent en foule ce qui chassa pour quelques instants Olivia et ce fils inconnu. Il sortit la voiture, se gara le long du muret de pierre, et descendit pour refermer le portail. Il jeta un dernier coup d’œil à la maison. C’était une jolie petite maison bretonne appelée penty ou maison de pêcheur. Bâtie le long d’un chemin de terre faisant face à la mer, on accédait directement aux rochers couverts d’algues qui disparaissaient à marée haute. L’air sentait le sel, l’iode et l’odeur du goémon sec laissé par la dernière grande marée. Elle était construite en granit, avec un toit à deux pentes couvertes d’ardoises. L’encadrement arrondi, au-dessus des portes et des fenêtres, était constitué de blocs de granit plus clair contrastant avec le granit gris de la construction. Au rez-de-chaussée, deux très grandes pièces dont une qui servait de cuisine salle à manger salon, avec sa grande cheminée de pierre et son manteau en chêne massif patiné par le temps. L’autre pièce servait de chambre aux grands-parents. Un couloir, qui faisait face à la porte d’entrée, séparait les deux pièces et au bout de ce couloir un escalier permettait d’accéder à l’étage où se trouvaient une salle de bains et deux chambres éclairées par des petites fenêtres peintes en bleu comme la porte d’entrée. Une ancienne étable, attenante à la maison, avait été transformée pour en faire des pièces à vivre pour Nicolas et ses filles. Une double porte, donnant dans le salon des grands-parents, avait été percée entre les deux bâtisses et permettait de communiquer ou de s’isoler dans l’un ou l’autre des appartements. Nicolas était le fils unique d’un fils unique. Son père était décédé dans un accident de voiture depuis quelques années, ce qui avait lentement miné sa grand-mère, déjà de santé très fragile, qui ne lui avait succédé que de trois années.
Grand, élancé, les cheveux très bruns qui commençaient légèrement à se strier de fils d’argent sur les tempes, les yeux marron – de la couleur des châtaignes – mais qui pouvaient devenir noirs sous l’action de la colère, ce qu’ils étaient en ce moment même.
Il roula très vite, bien au-dessus de la vitesse autorisée et fit le trajet jusqu’à Paris en s’arrêtant seulement deux fois pour avaler des cafés et soulager sa vessie. Il arriva quelques minutes avant l’heure de son rendez-vous et trouva de la place pour garer sa voiture presque devant le « Romarin-bar ». Dès qu’il franchit la porte, il aperçut Olivia qui l’attendait assise sur une banquette au fond du bar, et son copain Jo juché sur un haut tabouret devant le comptoir. Nicolas vint directement à lui pour lui serrer la main.
Jo attrapa son verre de bière à peine entamé et une petite mallette posée à ses pieds.
Il suivit Nicolas qui arrivait près de la jolie femme brune qui les dévisageait de ses grands yeux bleus. Son visage était pâle, de larges cernes violets et ses yeux rougis indiquaient qu’elle avait beaucoup pleuré et pas beaucoup dormi.
Olivia tamponna ses yeux avec son mouchoir et fit un sourire, qui ressembla plus à une grimace, en direction de Jo. Il était déjà sous le charme de la jeune femme.
Une tape dans le dos le fit taire.
Le regard que lui lança Nicolas l’empêcha de continuer. Olivia avait bu un thé et Nicolas lui demanda si elle en voulait un autre. Elle acquiesça en indiquant que c’est tout ce qu’elle pouvait avaler depuis la disparition de son fils. Nicolas se leva et alla au comptoir pour parler avec le serveur qui hocha la tête d’un air entendu.
Elle ne dit pas un mot, mais fit glisser une grande enveloppe de papier kraft sur la table devant Nicolas. Il l’ouvrit et en sortit des photos.
Elle hocha la tête. Nicolas commença à poser les photos une à une sur la table. Il ne parlait pas, car il était ému de faire la connaissance de son fils de cette manière. Il ne pouvait douter de sa paternité, car le gamin lui ressemblait comme deux gouttes d’eau.
Nicolas ne répondit pas et demanda à Olivia :
De son sac, elle retira une feuille sur laquelle elle avait écrit les renseignements demandés.
Les yeux d’Olivia se remplirent de larmes.
Le serveur vint déposer un café devant Nicolas, une petite théière d’eau chaude, et une soucoupe sur laquelle se trouvait un sachet de thé différent de celui qu’elle venait de boire. Olivia le prit pour le mettre dans l’eau chaude, mais regarda l’étiquette où il était écrit « Jardin Bleu » des thés Dammann Frères. Olivia leva les yeux vers Nicolas :
Elle s’essuya les yeux et se moucha. Nicolas ne voulait pas la brusquer malgré les questions qui lui venaient à l’esprit.
Comme la suite tardait, Nicolas insista :
Jo n’avait pas perdu une miette de la discussion. Il tapait sur son ordinateur et enregistrait mentalement tout ce qu’Olivia disait. Si la petite sœur était aussi craquante que la grande, il avait, soudainement, très envie de la rencontrer et le dit tout haut. Martel le regarda d’une drôle de façon. Ce n’était pas le moment, évidemment.
Elle se remit à pleurer doucement.
Elle leva ses yeux pleins de larmes et resserra les lèvres. Nicolas comprit son désarroi et lui dit simplement :
Ouf ! pensa Jo. Il va falloir que je fasse fissa connaissance avec la sœurette.
Elle hocha la tête, mais elle le regarda comme un chien battu.
Il leva le bras et le serveur vint aussitôt près lui.
Jo avait fermé son ordinateur et son carnet où il avait écrit quelques mots.
Nicolas se pencha pour l’embrasser sur la joue et lui glissa à l’oreille.
Elle esquissa un pauvre sourire et hocha la tête, moyennement convaincue. Elle s’essuya les yeux.
— Ma grand-mère disait qu’il ne faut pas pleurer, ça use les yeux, lui dit Jo.
Dans la voiture, Jo demanda :
Cela avait fait du bien à Nicolas de se remémorer la croisière pendant quelques minutes, mais il n’oubliait pas l’essentiel. Il indiqua à Jo qu’il passerait le prendre le lendemain matin à la première heure pour aller au Club des Dauphins blancs. Il dormit très peu et regarda plusieurs fois les photos de son fils qu’Olivia lui avait confiées. Il trouva non seulement des ressemblances avec lui, mais aussi avec ses deux filles. Il appela son ex-femme pour la mettre au courant. Elle lui proposa de venir chez elle pour en discuter, il refusa, préférant être seul, d’autant plus qu’il devait se lever de bonne heure pour récupérer Jo. Sa nuit fut très longue, car il ne dormit pas beaucoup. Découvrir qu’on est le père d’un fils de quinze ans qui a disparu, cela ne favorise pas le sommeil.
Ils venaient de se garer devant le club, un grand hangar peint jusqu’à mi-hauteur en blanc et le reste en bleu azur. Par les portes grandes ouvertes, ils pouvaient voir des combinaisons de plongée accrochées sur un portant et sur un autre des gilets de sauvetage de toutes les tailles. Posées sur de grandes tables, des bouteilles d’oxygène étaient alignées en bon ordre. Le long des murs, des planches de surf de toutes les grandeurs, certaines avec des motifs tropicaux, d’autres portants le logo et la couleur de grandes marques. Dans un coin, au fond du hangar, des canots de rafting étaient posés sur des remorques. Le club « Les Dauphins blancs » semblait prospère. L’inscription devait coûter cher, mais le père d’Olivia semblait avoir de l’argent et c’était son seul petit-fils. Sur un côté de la bâtisse, il y avait une boutique avec des articles de plongée et des vêtements marins en vitrine. Dans tout le hangar, comme dans la boutique, il y avait de quoi satisfaire toutes les personnes voulant pratiquer un sport nautique en rivières ou en mer. Une pancarte suspendue à la porte de la boutique indiquait « Bureau ». Nicolas se pencha vers Jo.
C’est ainsi qu’il appelait son ordinateur portable dont il ne se séparait jamais, quand il ne lui donnait pas d’autres petits noms affectifs. Martel poussa la porte de la boutique. Ils se trouvèrent devant des cirés de marins, des pulls et des marinières rayés bleu marine et blanc, mais aussi d’autres couleurs, des tee-shirts au nom du Club, des slips et des maillots de bain, des planches de surf et tout le matériel nécessaire pour faire de la plongée sous-marine. Nicolas, après un rapide coup d’œil, avisa un homme qui venait vers eux et présenta sa carte de police.
Le directeur referma la porte d’une petite pièce vitrée, située au fond du magasin. Des classeurs, un vestiaire, un bureau, le tout métallique et peint en gris, semblables à ceux de l’administration, et trois chaises. Sur le côté et juste sous une fenêtre, il y avait une petite table en bois avec une seule chaise. Sur les murs, de grandes cartes avec des rivières et des cours d’eau, une carte du monde avec les courants marins, et, dans un coin, un tableau de présence avec des étiquettes de couleurs différentes. Une étagère de bois peinte en blanc supportait une cafetière électrique et un plateau avec des mugs. Sur un des murs étaient punaisées beaucoup de photos de groupes avec des gamins en tenue de plongée ou en slips de bain. D’autres clichés avaient été pris lors de rafting dans les eaux tumultueuses d’une rivière.
On sentait l’ordre méthodique du militaire. Samuel Martin alla s’asseoir derrière son bureau. Des chemises en carton, de couleurs différentes, empilées avec soin sur un coin de la table, faisaient face à deux corbeilles pour le courrier placées près d’un téléphone. Au centre, un sous-main offert par une marque de vêtements de plongée. Juste au-dessus du sous-main, une boîte en bois ayant contenu des cigares cubains contenait maintenant des crayons et des stylos. Le directeur invita les inspecteurs à s’installer sur les chaises placées devant le bureau.
L’inspecteur Martel resta impassible bien que ses mâchoires se contractèrent, ce qui n’échappa pas au regard affûté de Jo.