Je t'ai rêvée - Tome 1 - Eva B. - E-Book

Je t'ai rêvée - Tome 1 E-Book

Eva B.

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Beschreibung

Alors que la drogue a l'habitude de les faire planer, l'amour et la passion vont leur offrir de nouvelles sensations !

Yohann et Greg profitent de la vie en plongeant régulièrement dans un paradis artificiel grâce aux stupéfiants — tout l’inverse de leur sage amie Lena. Tous les trois se connaissent depuis longtemps et leur amitié est fusionnelle… Mais quand Yohann s’engouffre corps et âme dans l’amour, ce sentiment inconnu jusqu’alors pour lui, cet équilibre chavire, et les trois amis apprendront à leurs dépends que rien n’est jamais acquis, surtout en matière de sentiments...

Quand l'amour vous atteint par surprise, tout peut basculer... Découvrez le premier tome d'une saga de romance qui vous tiendra en haleine jusqu'à la dernière ligne.

EXTRAIT

Ce qui est magique, quand on est sous ecstasy, c’est qu’on aime tout le monde. Complètement désinhibé, un peu l’impression de vivre aux pays des Barbapapas. Tout est vaporeux, douillet, le monde est gentil, les gens aussi, c’est un véritable conte de fées sans les sorcières ou les méchants loups qui d’ordinaire sont là pour mettre le bordel et nous trucider. Non, sous ecstasy, c’est le bonheur, le monde est beau. Les gens sont beaux. Tout est beau, et moi, encore plus que d’habitude, même si je n’ai pas un ego surdimensionné au quotidien. Ce soir, je me sens irrésistible, mais au dernier feu tricolore du boulevard de Montparnasse, je scrute quand même mon reflet dans le rétroviseur pour m’en assurer.
Mon téléphone continue de m’avertir que des messages arrivent, il fait son boulot, brave bête.
Je jette un bref coup d’œil, pas pour les lire car je m’en fiche pas mal, mais pour voir si Greg est arrivé. La photo reçue à l’instant me donne la réponse, puisque je peux y voir mes deux amis, Greg et Dimitry, une flûte de champagne à la main et un pouce levé.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Eva B. a toujours aimé lire et mûrissait depuis longtemps l’idée de passer du côté de l’écriture. Alors, quand la maternité dans laquelle elle travaillait a fermé ses portes, elle s’est dit que rien n’arrive par hasard, et elle a décidé de relever le défi d’écrire ! Ainsi naquit le premier tome de Je t’ai rêvée.

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1

31 décembre 22 h 30

Comme d’habitude, je suis en retard.

Je suis rentré du boulot avec une heure de plus que prévu, un peu énervé, j’avoue.

Mon agenda électronique bipe pour me rappeler que je dois être dans 30 minutes à Neuilly, chez Victoire et Paul. Ça me semble bien compliqué.

J’avais tout calculé pourtant : ma soirée devait débuter sur les Champs avec quelques amis, pas vus depuis un petit moment, puis j’avais prévu de m’éclipser direction Neuilly pour embrasser Jules, mon neveu de deux ans et lui apporter quelques bricoles qui viendraient compléter la cargaison de Noël. J’adore faire hurler ses parents quand j’arrive les bras chargés de cadeaux plus bruyants les uns que les autres. Ils ont promis de se venger, le jour où j’aurai un enfant. Mais ce n’est pas près d’arriver !!

Enfin, pour l’instant je suis à la bourre. Pour la partie un, c’est raté. Je vais tenter la partie deux sans me stresser.

Je n’aime pas les réveillons de la Saint-Sylvestre, comme beaucoup de gens d’ailleurs. Mais comme eux, je me retrouve à fêter le départ d’une année pour en accueillir une nouvelle, avec un coup dans l’aile, une migraine le lendemain et sans aucun doute des dommages collatéraux en bonus, pour ma part.

Si je cédais à mon envie, je zapperais aussi cette seconde soirée et n’irai qu’à la troisième. Réveillon ou pas, pour rien au monde je ne la raterai, mais j’ai envie de voir Jules, alors je vais faire vite et passer par Neuilly.

La soirée numéro trois va se poursuivre au Shot, nouvelle discothèque parisienne qui rassemble du beau monde, jeunes et moins jeunes de la jet set, ou pas d’ailleurs. Il y règne une ambiance de folie et ce n’est pas forcément grâce aux danseuses à moitié à poil qui se trémoussent pour surchauffer les clients afin de les faire picoler. Non c’est bien autre chose, c’est un tout. Deux ambiances dans une seule boite. En bas Le Catacomb, dit la Fosse, l’endroit qui, même en sélectionnant sa clientèle à l’entrée, reste ouvert à la majorité. Il faut cependant montrer patte blanche et s’armer de patience pour y accéder. Plus les semaines passent plus le lieu devient exigeant sur les critères d’admission. Succès oblige.

À l’étage ce n’est pas la même chose et on est plutôt dans l’élite.

Souvent réservé pour des soirées privées, on y monte que sur invitation. Hyper select, pas de lourdingue, pas de viande saoule (au moindre écart, c’est fini. Si on en sort, c’est pour toujours), l’American Express est fortement conseillée pour pouvoir y mettre un pied et c’est toujours en étant recommandé de la part d’un habitué qu’on y met le second. La sécurité est de mise et les libertés qu’on y prend dépassent souvent la légalité, d’où l’obligation pour la direction, de savoir à qui elle ouvre ses portes. La clientèle est belle, on y trouve un mélange d’individus qui est là pour faire la fête, pour se montrer, mais aussi pour se retrouver entre décalés. Un étrange univers.

Hétéros, homos, transsexuels, Drag-queens, célébrités, tout ce petit monde forme un mélange des plus détonnant dans une dimension improbable. L’extravagance en puissance. J’aime ça. J’adore ça.

Je me rase et file sous la douche, après avoir lancé la musique qui inonde l’appartement tout entier. L’eau chaude me brûle et je me dis que j’aurais adoré prendre un bain en sirotant une petite coupe de champagne histoire de bien commencer cette soirée. Je reste un long moment adossé au mur de la douche laissant l’eau couler sur ma peau et je me fais violence pour me sortir de là.

Le miroir me renvoie ma fatigue, mais aussi l’image d’un corps entretenu. J’en prends soin car j’apporte une importance capitale à mon apparence. J’y passe du temps, 5 h de sport par semaine minimum, ça paye.

J’enfile ma chemise après avoir choisi quel parfum m’accompagnera ce soir puis le reste de ma panoplie de beau gosse. Rien n’est laissé au hasard même si je fais simple, chemise blanche, jeans noir et veste. J’avais prévu une cravate qui finalement ne fera pas partie de la fête.

Je retrouve mon téléphone qui indique cinq appels en absence et autant de messages. Aïe.

Je baisse la musique à l’aide de la télécommande, higth tech oblige, je suis un accro à toutes ces choses qui sont là pour simplifier la vie et traverse le salon jusqu’à la véranda pour y fumer une cigarette, ce qui va me mettre encore plus en retard. Je le sais, mais je n’ai aucune volonté et j’en crève d’envie. Sur le bar de la cuisine ouverte sur le salon, une enveloppe attire mon attention, dessus il est inscrit 23 h. Je m’en empare, je sais qu’elle a été mise là par Greg et qu’elle signe le vrai début de la soirée.

Je devine aussi ce qu’il y a à l’intérieur et je sais vers où ce contenu va me mener. Je souris. Merci Greg…

J’allume ma cigarette en écoutant les messages. Les deux premiers me rappellent que je suis plus qu’en retard, les amis de la partie numéro un s’inquiètent de ne pas me voir arriver. D’abord Fred :

— T’avais promis, Yohann !!! T’abuses, allez magne-toi on t’attend !

Puis Vanessa :

— Alors beau gosse ? Tu t’es perdu ? Bon... j’espérais te voir ce soir... ce serait sympa si tu venais... enfin, ça me ferait plaisir je veux dire… tu as mon numéro et au cas où tu ne viendrais pas, dis-moi où je peux te retrouver… je viendrai, je t’embrasse.

Je souris à nouveau, je la vois venir la petite brune. La dernière fois qu’on s’est vus, elle était bien collante et à mon avis, sans prétention, j’aurais pu en faire ce que je voulais, mais ce n’est pas mon genre, ni de fille ni de relation. Je m’étonne de ce message car je ne me souviens pas lui avoir donné mon numéro.

Mes yeux se perdent un instant sur les toits de Paris. La vue est magnifique, j’adore mon appartement, c’est une des plus belles affaires que j’ai réussies depuis que je suis dans l’immobilier. Non, LA plus belle !

À la rénovation de l’immeuble, Greg et moi avons remporté le marché, et 85 % des logements refaits à neuf se sont retrouvés dans nos vitrines, en contrats exclusifs. Une affaire en or qui nous a rapporté gros. J’ai négocié comme un dingue afin de conserver le dernier étage. Le toit je devrais dire et après une bagarre infernale qui a duré des mois, je suis parvenu à mes fins.

Aujourd’hui j’habite donc un 210 m2 sur l’île Saint Louis en plein cœur de Paris, dans le 4e arrondissement, au pied de la Cathédrale Notre Dame. La vue y est splendide et j’en ai fait exactement ce que je voulais, j’y suis vraiment bien.

Deux chambres, en plus de la mienne, occupées régulièrement par Greg et Léna, mes deux piliers, mes amis, mes confidents et plus encore. Un grand salon, sur lequel s’ouvre une cuisine ultra moderne, le tout bordé par des baies vitrées pour profiter un maximum du soleil. J’ai eu la fantaisie d’utiliser l’espace extérieur en y faisant installer une grande véranda jointe à la terrasse, entièrement amovible, ce qui me permet de profiter du dehors été comme hiver. Il n’est pas rare que cet espace serve à de grosses soirées et si ces dernières sont récurrentes, c’est parce que même en hiver il y fait toujours chaud. Je suis un grand frileux, pire qu’une nana dit Greg.

Le reste de l’appartement est flanqué de terrasses, chaque pièce bénéficie d’un extérieur. C’est un privilège quasi impossible à Paris, je sais que je fais des envieux.

Les deux étages du dessous sont occupés par des bureaux, ce qui n’est pas négligeable quand on fait la bringue jusqu’au petit matin voir plus tard. Au moins on ne dérange personne.

La véranda, entièrement vitrée, offre une vue imprenable sur Paris. Elle est équipée de canapés cosy et de coussins desquels on se relève difficilement, et cela, même sans avoir abusé de stupéfiants…

Au printemps prochain, un SPA viendra parfaire l’endroit et il me tarde vraiment.

Je m’approche de la baie vitrée et profite du spectacle quelques instants en tirant sur ma cigarette. Paris by night, j’adore. Des lumières dans tous les sens, qui clignotent en éclairant un peu partout les toits et les façades des monuments, des immeubles. La seine est calme, seul un bateau vient perturber le lissage de l’eau. Il avance lentement, sûrement pour laisser ses passagers profiter du moment majestueux qu’offre le décor. Sur les boulevards les voitures se pressent pour trouver une place sur le quai aux fleurs en face de chez moi, ou pour arriver le plus vite possible à destination. Je me demande où vont tous ces gens, c’est dingue cette frénésie de vouloir fêter ce passage d’année absolument. Sans doute que c’est aussi un soir unique où on peut sortir et s’amuser, mais bon sang, il y en a plein d’autres, pourquoi les gens ne profitent pas de la vie en sortant plus ? Je n’ai jamais vraiment compris. Je me dis que la plupart d’entre eux sont pressés d’enterrer cette année, même si malgré tout elle n’aura pas été si mauvaise. Mais ils ne veulent se souvenir que du plus désagréable, c’est comme ça. Comme s’il leur fallait une raison légitime pour s’amuser ce soir-là. Je me doute qu’ils mettent tous leurs espoirs dans cette nouvelle année qui arrive, elle sera forcément mieux et ils vont la commencer avec plein de bonnes résolutions, qu’ils ne tiendront pas, bien entendu, et qu’ils auront oubliées dans quinze jours. Je n’ai jamais eu cette attitude, même plus jeune, ça me faisait même marrer quand j’entendais ce genre de choses. En même temps ça fait partie des habitudes, et puis ça laisse de l’espoir, un crédit supplémentaire au temps de vie qui est imparti à chacun. L’homme se pense immortel quelque part et heureusement qu’il fait des projets, la vie serait bien triste sinon.

Je reviens à mes messages, tout en ouvrant l’enveloppe.

— Yo, c’est moi, j’espère que tu auras mon message avant de partir, je n’ai pas mes clefs, je les ai laissées chez Mily et je pense que j’en aurais besoin, dit-il en riant. Je compte sur toi, hein ! Bisous mon chat.

Je souris à nouveau. Il sait que cette marque d’affection me rend fou et que je ne supporte pas qu’il m’appelle comme ça. Le message suivant vient aussi de lui.

— … et je t’ai laissé un mot sur le bar... bon vol à tout de suite... Je fais glisser le contenu de l’enveloppe dans le creux de ma main. Le comprimé est blanc estampillé d’un E.

Je reviens aussitôt dans l’appartement, attrape une bouteille d’eau au réfrigérateur, mais je me ravise en voyant que des bouteilles de champagne ont été placées au frais. Sans doute par Greg encore. J’en attrape une et fais sauter le bouchon en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Les coupes sont prêtes aussi, tellement simple, quand on a des gens qui nous connaissent… je fais couler les bulles dans le cristal, avale le demi-cachet que je viens de casser et glisse l’autre moitié dans la poche de mon pantalon en me disant que j’ai peu de chance de remettre la main dessus plus tard. Pas grave, Greg en aura d’autres, c’est certain.

Je lui fais confiance, aucun doute, je sais qu’il l’a testé avant de me le donner.

À l’instant où je sens le morceau de comprimé dévaler mon œsophage, je me rappelle que je dois encore passer voir mon neveu... et merde. J’aurais dû attendre. Je ne peux pas arriver défoncé là-bas. Non, c’est impossible.

J’écoute le dernier message, c’est justement Victoire, ma sœur.

— Yohann, c’est Vic, écoute, Jules n’était pas en forme ce soir, je viens de le coucher, il était déçu de ne pas t’avoir vu, mais il s’est endormi tout de suite. J’espère que tu vas passer quand même, ça nous ferait plaisir. Bisous

Voilà qui résout le problème. Je sais que ce n’est pas correct, mais si Jules est au lit, je vais zapper Neuilly, tant pis, j’irai demain. Ou selon mon état, après-demain. Je vais prendre la foudre car Victoire et Paul comptent sur ma présence ce soir, mais je vais esquiver. Je les appellerai du taxi.

Merde !!! Le taxi... j’ai oublié ça aussi. C’est peine perdue, je n’essaie même pas d’appeler à l’heure qu’il est. C’est mort, je n’en trouverai pas. Je fais une croix aussi sur Uber.

L’idée de conduire ne m’enchante pas, je n’ai pas un long trajet à faire pour atteindre le Shot, mais l’ecstasy va bientôt commencer à me chauffer les oreilles et même si je suis serein pour prendre le volant, je n’aime pas ça.

Tant pis, je me dis que je vais faire un heureux, car c’est sûrement Valentin, le voiturier du Shot qui me ramènera demain et je sais qu’il adore conduire l’Audi.

J’écrase ma cigarette et jette un dernier coup d’œil au panorama parisien avant un passage ultime devant le miroir de l’entrée qui reflète l’homme que je suis, un mec de 35 ans, accompli, plutôt pas mal, et même très beau diront certains, 1 m 86 pour 75 kg, chasseur de graisses, suffisamment musclé, le cheveu brun et court, quelques jolies rides au coin de mes yeux bleus, parfois gris, parfois verts, parfois de couleur indéfinissable, et tout ça rend dingues les filles. Je souris largement à mon image puis enfile mes chaussures, tire sur les manches de ma chemise, ajuste mon col sous ma veste, mon manteau, un foulard... Je libère ma montre pour regarder l’heure, 23 h 54.

Non…

Impossible, je ne peux pas sortir maintenant, pas à six minutes de minuit, ce serait de la folie. Je me ravise et attrape une nouvelle cigarette. Je prends la décision d’attendre un peu que la frénésie urbaine se calme, je partirai un peu après les douze coups fatals.

En fait, je suis ravi d’être à ce moment-là, seul chez moi. Je remets un fond house de musique, je laisse l’ordinateur faire son choix, il me plaira forcément.

Les effets de la pilule magique sont sur le point de m’embarquer, je me laisse aller doucement au voyage acoustique qui s’offre à moi et je savoure l’odeur de ma clope mélangée à mon parfum.

Je kiffe comme dirait Greg.

J’ouvre la véranda et constate, comme je m’y attendais, les hurlements de la ville. Il est minuit. Nous venons de basculer dans une autre année.

Je serre les dents, une bouffée de chaleur vient me happer et me donner cette sensation de bien-être absolu. Je sais que mon esprit va s’ouvrir à des choses insoupçonnées et je suis prêt à les accueillir, même si je devine aussi que plus tard je vais me dégoûter d’avoir encore une fois cédé à cette tentation.

Je suis en pleine montée d’ecstasy, je connais par cœur ce moment-là et je m’en délecte.

Dehors les gens crient toujours, j’attends encore quelques instants, histoire d’être certain de reprendre pied dans la réalité un minimum avant de prendre la route.

Mon téléphone s’affole et les premiers SMS chargés de bons vœux arrivent. Je ne répondrai à aucun avant demain ou plus tard. J’ai horreur de ça.

Je me décide à partir quand Greg appelle.

— Ho ? T’es où ?

— Encore à l’appart, j’ai pris du retard.

— Quoi ? T’as pas bougé ?

— Non, je sais pas comment je me suis démerdé, mais j’ai tout foiré. Je suis même pas allé chez Paul et Victoire.

— Et maintenant t’es prêt ? T’es en vol ? dit-il en riant.

— Ouais ouais, je suis parti, ça y est...

— On se retrouve à la boite alors ? On y est dans pas longtemps. Tu sais à quelle heure Dimitry sera là ?

— Il mixe vers deux heures normalement, mais il doit déjà être sur place.

— OK, n’oublie pas mes clefs s’il te plaît hein, je compte sur toi, on va peut-être pas rentrer à la même heure...

— Je comprends rien Greg, tu ne rentres pas avec Mily ?

— Non, je ne pense pas, je t’expliquerai. Allez ramène tes fesses.

Il me raccroche au nez et je soupire en me demandant dans quelle galère il va encore se mettre.

Greg est mon meilleur ami depuis longtemps, depuis toujours même. On est copain depuis la petite école, inséparables. Il fait partie de mes premiers vrais souvenirs.

Même collège, même lycée, mêmes études, mêmes nanas parfois, on ne s’est jamais quittés. Forcément on s’est destinés au même boulot et on a fini par s’associer pour monter une agence immobilière.

Ça n’a pas été facile au début même si nos parents respectifs, amis et eux-mêmes dans la profession, nous ont apporté une aide financière non négligeable avec un carnet d’adresses déjà bien rempli. Nous avons bossé pour en arriver où nous en sommes. Aujourd’hui notre société carbure plein pot et l’argent coule à flots.

Greg est en couple avec Emily, depuis quatre ans maintenant. Ils vivent ensemble, sauf quand Greg déconne. Et Greg déconne souvent. Alors il vient chez moi, il y a sa chambre, toujours prête.

C’est plus fort que lui, il faut qu’il aille butiner ailleurs que chez lui.

Physiquement Greg et moi on se ressemble, même gabarit et même allure, certains pensent que nous sommes frères et d’autres en couple. On s’en amuse et on en joue souvent.

À en croire ses mots, Greg a donc préparé sa soirée et ne pense pas rentrer avec Mily. Mais quel fumier ! Des fois je le hais. En même temps c’est mon pote et je ne suis personne pour le juger. On a déjà parlé de ça des milliards de fois, il finit toujours par me dire que j’ai raison, mais craque à la moindre jupe un peu courte qui se trouve sur son chemin. C’est un homme à femmes. Déjà petit, il passait son temps à tomber amoureux. Ce qui est vraiment dommage c’est que je suis persuadé que Mily est faite pour lui, elle est celle qu’il lui faut. J’espère qu’il s’en rendra compte avant qu’elle ne sature. Quelle patience elle a. J’ignore ce qu’il lui raconte avant et après ses escapades, comment il s’en sort indemne à chaque fois, mais je sais qu’un jour ça ne passera pas. Et ce sera sans appel. On a déjà vécu ça, une paire de fois, mais ça ne lui a pas servi de leçon.

J’appréhende le jour où Mily va lui demander un enfant, parce que forcément, ça va arriver. Il parait que ça change les hommes… Ouais, je ne suis pas convaincu.

En ce qui me concerne, je n’en veux pas, et je ne veux pas d’une femme à plein temps non plus. Ma vie me va bien comme elle est.

Je n’ai aucun problème pour trouver des coups d’un soir, je m’y suis adonné longtemps et je m’en suis lassé. Ras-le-bol des filles levées en soirées, qui se laissent embarquer et sauter dans la foulée. J’ai eu ma dose. Ça ne m’intéresse plus, quitte à passer pour un homo refoulé ou non, ou encore pour un mec trop exigeant qui se la pète.

Mes amis les plus proches s’en inquiètent et je prends régulièrement des réflexions à ce sujet, mais je n’en fais pas cas.

Je ne suis pas inactif pour autant, j’ai deux femmes dans ma vie qui me suffisent sexuellement parlant. Elles ont leur vie, j’ai la mienne. On ne se voit pas en dehors de ces cinq à sept et c’est très bien comme ça. Pas d’intrusion dans leur vie et vice versa, c’est le deal. Marie est à Paris et souvent disponible, Ève à Berlin où je vais régulièrement pour le travail, elles n’ont pas connaissance l’une de l’autre et je n’ai pas l’intention de faire bouger ni évoluer les choses.

Nos relations sont agréables et sans ambiguïté, je pense que cela leur convient comme à moi. Je me tiens prêt pour le jour où ça s’arrêtera. J’ai beaucoup d’affection pour elles deux et je sais leur faire plaisir, mais je n’ai pas de sentiment amoureux, ça aide, contrairement à Greg, qui tombe in love au moindre battement de cils.

00 h 25 : l’agitation de la rue s’est enfin un peu calmée et je me décide à partir.

J’attrape les clefs de la voiture et les clefs de secours pour Greg, j’éteins la musique et laisse une lumière, comme à chaque fois. Je n’aime pas laisser mon chez-moi dans le noir, sale manie que j’ai toujours eu, même petit, impossible d’expliquer pourquoi, mais je ne peux pas supporter de laisser du noir derrière la porte. À vrai dire, je pense au retour et j’apprécie ouvrir la porte sur de la lumière, comme ci l’intérieur de chez moi continuait à vivre en m’attendant. Pourtant ça ne fait aucun doute, le soleil aura déjà inondé l’appartement depuis longtemps, quand je rentrerai, mais j’évite d’y penser.

Ma mâchoire se serre involontairement, je me sens bien, mais c’est le signe que je suis maintenant sous emprise. La drogue a cet effet parmi d’autres, mais pour l’instant c’est le seul qui m’incommode. Ça va passer.

Je suis pressé maintenant d’arriver dans l’effervescence du Shot. Il est pourtant tôt et ce n’est pas dans mes habitudes d’y arriver à cette heure-ci, en général, Greg et moi n’y arrivons que vers deux heures trente, après être allés dans quelques bars de nuit. Mais ce soir, nous allons y retrouver un ami de longue date, Dimitry, DJ en place à Copenhague que nous avons connu à ses débuts. Depuis toujours très branché électro, il a finalement muté dans la musique progressive, pour notre plus grand plaisir, à Greg et à moi. Ce type est juste époustouflant, et je suis vraiment très heureux de le voir ce soir mixer à L’Eden du Shot. Nous ne nous sommes pas vus depuis plusieurs mois, la dernière fois c’était à Berlin pour une soirée de malade. Greg et moi y sommes allés exprès et j’en garde des étincelles dans le cerveau.

Je profite de la descente de l’ascenseur pour envoyer un SMS à Neuilly, j’évite ainsi les longues explications dans lesquelles je risquerais de me perdre.

Yohann : Désolé Vic, je n’ai pas vu l’heure et il est trop tard pour que je passe maintenant. Je viens demain vous embrasser c’est promis.

Je rajoute aussitôt

Yohann : Et bonne année !! :)

La réponse ne se fait pas attendre.

Vic : T’as intérêt à venir demain sinon ça ira mal !!! Bonne année vilain :)

Je souris à ce texto, puis m’observe dans le miroir de l’ascenseur, mes pupilles sont dilatées, encore un signe supplémentaire qui ne trompe pas sur mon état. Je respire à fond, en espérant ne croiser personne jusqu’au garage, ce qui le cas échéant m’obligerait à parler un minimum et je n’en ai ni l’envie ni le courage.

Je retrouve ma voiture, il fait un froid glacial, mais je sais que ça vient de moi, puisque la ventilation du garage souffle à plein régime. Alors, vite mettre le contact, puis le chauffage, puis de la musique. J’attends quelques instants que la température monte et envoie un SMS à Greg.

Yohann : Je pars.

J’aspire déjà à reprendre autre chose en arrivant à la discothèque, la soif arrive, j’ai besoin d’eau, ou de champagne, la seule boisson alcoolisée que je supporte quand je suis défoncé, d’un nouveau cacheton et pourquoi pas, d’un petit rail de coke. Je me souviens alors de la moitié du E que j’ai mis dans ma poche tout à l’heure. Le temps que j’arrive, c’est un bon timing, il fera son effet. Je sors un chewing-gum de la boite à gants pour me faire saliver un peu et j’avale le morceau restant.

Ça va piquer, je le sens.

2

Le gardien du poste de sécurité de la résidence anticipe mon départ grâce aux caméras de surveillance et quand j’arrive à sa hauteur, la barrière est déjà levée, je m’arrête quand même pour le saluer, il me répond d’un signe de la main. Drôle de réveillon pour lui.

Je décide de mon itinéraire sur l’instant, en fonction du trafic. Je traverse la Seine, rattrape Cardinal Lemoine puis je remonte jusqu’au Panthéon, rue Soufflot… je connais le quartier sur le bout des doigts puisque notre Agence principale s’y trouve. Je roule doucement, je pensais qu’il y aurait moins de monde passé minuit, mais le flot de voitures et de noctambules est encore important. Je reste concentré sur mes gestes, qui se décomposent les uns après les autres par moment, comme si le monde tournait au ralenti. La musique me transporte, j’ai la sensation de voir des choses imperceptibles au commun des mortels, ces filles qui marchent sur le trottoir en riant, elles ont bu, trop, elles parlent fort et malgré la musique de la voiture, vitres fermées, je peux entendre ce qu’elles disent. J’hallucine, je le sais. Sur le Boulevard Saint-Michel, c’est au tour du conducteur de la file d’à côté de me regarder avec insistance, je lui souris, il en fait de même et je peux lire sur ses lèvres qu’il me souhaite une bonne année. Je le remercie d’un hochement de tête et articule comme je peux un « vous aussi », je me dis qu’on se connaît peut-être, je cherche rapidement, mais non.

Ce qui est magique, quand on est sous ecstasy, c’est qu’on aime tout le monde. Complètement désinhibé, un peu l’impression de vivre aux pays des Barbapapas. Tout est vaporeux, douillet, le monde est gentil, les gens aussi, c’est un véritable conte de fées sans les sorcières ou les méchants loups qui d’ordinaire sont là pour mettre le bordel et nous trucider. Non, sous ecstasy, c’est le bonheur, le monde est beau. Les gens sont beaux. Tout est beau, et moi, encore plus que d’habitude, même si je n’ai pas un ego surdimensionné au quotidien. Ce soir, je me sens irrésistible, mais au dernier feu tricolore du boulevard de Montparnasse, je scrute quand même mon reflet dans le rétroviseur pour m’en assurer.

Mon téléphone continue de m’avertir que des messages arrivent, il fait son boulot, brave bête.

Je jette un bref coup d’œil, pas pour les lire car je m’en fiche pas mal, mais pour voir si Greg est arrivé. La photo reçue à l’instant me donne la réponse, puisque je peux y voir mes deux amis, Greg et Dimitry, une flûte de champagne à la main et un pouce levé.

Je souris, passe ma langue sur mes lèvres et me mords celle inférieure.

Ça y’est, je sais que je suis proche du pic de ma défonce. Il y a longtemps que j’ai repéré ce tic et quand j’en suis là, c’est que je suis bien avancé dans mon trip.

Le quartier de Montparnasse est aussi très agité et je dois prendre mon mal en patience en arrivant aux abords du Shot. Une file de voitures attend pour se garer, certains râlent de ne pas pouvoir accéder au parking privé situé à quelques rues. Ce soir il est réservé intégralement aux clients de l’étage, alors évidemment, les gens ne sont pas contents. J’ai une énorme envie de fumer, mais je me l’interdis, jamais en voiture, c’est une règle que je n’enfreins pas alors je me rabats sur un autre chewing-gum en priant pour que la situation bouge rapidement.

C’est alors que mon sauveur arrive. Je doute quelques secondes, mais oui, c’est bien Valentin qui se dirige vers moi à grands pas.

Il arrive à ma hauteur en me souriant, j’abaisse ma vitre en redoutant déjà l’air froid qui va s’engouffrer dans la voiture.

— Bonsoir, monsieur Yohann, meilleurs vœux !! Désolé pour ce remue-ménage, on est dépassé par le nombre d’entrées, c’est comme ça depuis vingt-trois heures, je prends votre véhicule tout de suite !

Je suis à trente mètres de l’entrée de la discothèque à tout casser, mais la faune qui stagne sur le trottoir ne me rassure pas, un sentiment inconfortable s’empare de moi et je demande à Valentin de patienter jusqu’à ce que j’arrive devant la discothèque, quitte à passer pour un gros fainéant qui ne veut pas user ses chaussures sur trente mètres d’asphalte. Mais Valentin a perçu mon malaise et fait signe à un agent de sécurité qui rapplique aussitôt. Il est doué ce petit gars, je l’aime bien.

Je descends de ma voiture, serre la main de Valentin en lui tenant le bras et lui adresse un clin d’œil.

— Merci, Valentin, meilleurs vœux à vous aussi.

— Avec plaisir, me répond-il, en me rendant mon clin d’œil.

On s’est compris, c’est certain.

Je me laisse escorter par le videur qui prend un plaisir flagrant à me frayer une place dans la foule en demandant aux gens de bien vouloir s’écarter. Je ne suis pas à l’aise et je n’ai qu’une envie, celle de rentrer à l’intérieur et de me retrouver parmi les gens que je connais et au chaud.

Je me dis que l’argent aide dans bien des situations, c’est le genre de privilège qu’il nous offre, et j’en suis vraiment soulagé à ce moment-là.

Le tapis rouge à l’entrée des VIP (Very Important Person) franchi, je remercie le videur et lui glisse un billet dans la main, il m’a littéralement sauvé la vie. Il sourit et me remercie à son tour, j’ai l’impression que sa bouche contient deux cent cinquante dents. Bon, cette fois-ci c’est sûr, je suis vraiment défoncé.

Le physionomiste m’accueille avec un large sourire, en me tendant la main, que je serre avec plaisir.

— Meilleurs vœux Yohann ! Bienvenue et bonne soirée !

Je suis pris en charge par une hôtesse que je n’ai jamais vue, sans doute appelée en renfort pour la soirée. Elle m’invite à la suivre dans le couloir feutré, séparé en deux parties, par des cordes, pour ne pas mélanger les invités. Ceux qui vont en haut, à gauche, les autres, à droite. Je croise malgré moi quelques regards, certains me toisent, mais je ne suis pas du genre à les ignorer même si je ne cherche pas à prouver quoi que ce soit et encore moins justifier mon avantage à être du bon côté du couloir. Je souris en pressant le pas, jetant par la même occasion, un rapide coup d’œil à la jolie paire de fesses qui me précède.

Arrivée à hauteur du vestiaire, elle se retourne, me sourit.

— Je vais prendre votre manteau si vous permettez. Je suis Ophélie, en cas de besoin, n’hésitez pas, je suis là !

J’ai mal aux joues, j’ai l’impression que je suis coincé en mode sourire. Je la remercie puis retire mon manteau, mon foulard, lui confie et avance de quelques pas pour saluer Maxime, le maître des lieux, sans qui cet endroit n’existerait pas.

— Hoooooo Yohann !! s’exclame-t-il en me voyant et en écartant les bras.

— Hey, Max !!!

Il m’attrape par le cou pour me claquer la bise et me souhaite une bonne année.

— Bonne année à toi aussi, j’espère que tu nous gâteras avec un « max » de bonnes soirées…

— Tu peux compter là-dessus, mon ami, je déborde d’idées pour les 365 soirs à venir ! Comment vas-tu ?

— Très très bien, je te remercie et toi ?

— Idem, t’as vu ce monde !!!

— Oui c’est génial !

— Allez viens je t’accompagne, tu sais que t’es attendu…

— Je me doute, dis-je en emboîtant son pas.

Nous quittons le couloir, et par la même occasion, les clients qui attendent pour entrer dans la fosse.

L’ambiance se veut instantanément plus tranquille et sécure, je me détends donc illico aidé par une bouffée de chaleur.

En bas des escaliers, deux videurs veillent au passage des invités, probablement au cas où des petits malins sans invitation réussiraient encore à se faufiler et à braver les premiers barrages. Une fois ici, impossible d’aller plus loin si on ne détient pas le carton magique ou si l’on n’est pas accompagné par le patron.

Ils me saluent en cœur d’un hochement de tête et l’un d’eux décroche la corde qui libère les premières marches de l’Eden. J’ai l’impression d’être dans Men in Black. Il ne leur manque que les armes.

Des statues de charme assez osées bordent l’escalier de pierres éclairé de rouge, au sol, de la moquette amortit nos pas et semble nous faire avancer sur des nuages. Je me détends encore un peu et relâche mes mâchoires qui depuis un moment refusaient obstinément de se desserrer.

— Il y a du beau monde ce soir, je suis assez content de moi ! on attend encore quelques drag-queens, je ne les voulais pas toutes au même moment, mais les premières ont fait un tabac.

— Je n’en doute pas et au son qui me parvient, je suis certain que ça va être fabuleux, autant pour les yeux que pour les oreilles.

— J’y compte bien, me répond-il en tirant sur le large rideau qui s’ouvre sur mon paradis.

— Pour l’instant c’est Anna qui est aux commandes, Dimitry prend la suite, je crois que tu le connais ?!

— Oui c’est un ami, et fais-lui confiance, tu ne vas pas être déçu il est top.

Max acquiesce en faisant une moue de contentement.

— Je te retrouve plus tard pour boire une coupe OK ?

— Avec plaisir Max !

Il m’abandonne à l’entrée, le rideau se referme derrière moi et j’inspire l’air le plus possible, en fermant une seconde les yeux.

Le son m’enveloppe aussitôt. Putain, ce que je suis bien

3

La boite au design ultra moderne a une capacité de quatre cents personnes, elle est juste parfaitement équilibrée, autant par ses prestations que par son espace. Les carrés VIP sont perchés au-dessus des autres tables, ce qui en plus de conférer une certaine tranquillité, permet de tout voir, mais aussi d’être vus. Tous ces emplacements bordent un large dance floor, meublés par quelques larges plots équipés de pole dance. Sur la gauche le bar, high-tech, tout ce que j’aime. Cinq barmans y officient ce soir, mais je repère Emilio tout de suite, c’est lui qui s’occupe de moi d’habitude et je suis ravi qu’il soit là. Je lui fais confiance, nous avons des codes et il sait ce que je veux au moindre coup d’œil, même si ce soir, vu le monde, il va être difficile de communiquer à distance.

Au fond de la salle, encore plus en hauteur et donc inaccessible, le DJ est en place. Pour ce début de soirée, c’est donc Anna qui s’y colle et le son qu’elle joue me plaît bien. Elle a son public et commence à jouir d’une certaine notoriété non négligeable.

Il y a beaucoup de monde et je dois me frayer un passage pour traverser la boite sur le côté. Je sursaute plusieurs fois car les gens me frôlent et je n’ai pas l’habitude de ça. Je prends garde habituellement à conserver un minimum d’espace entre les inconnus et moi. Je remets le mode ralenti et m’arrête pour saluer quelques habitués, qui veulent absolument m’offrir un verre. Des bises viennent heurter mes joues, je ne suis pas sûr de connaître tous ceux qui m’embrassent, mais la bonne humeur qui règne m’aide à passer outre. J’échange quelques mots avec bon nombre de personnes, puis du regard, part à la recherche de mon crew. Il ne me faut pas longtemps pour apercevoir Greg, installé au VIP 2. Cette place me convient, car nous sommes juste au milieu, ce qui permet d’avoir une vue globale de la discothèque. Je souris de nouveau en le voyant bouger son corps au rythme électro qu’Anna nous balance. Il est déjà bien allumé apparemment…

Je refuse une coupe de champagne qu’une femme me tend, en minaudant. Je ne la connais pas et je ne bois jamais un verre sans savoir d’où il vient, mon côté parano. J’ai beau être défoncé, je ne fais pas n’importe quoi non plus.

Les écrans géants qui se font face projettent des images psychédéliques, j’avoue que c’est assez envoûtant et j’ai du mal à m’en détacher les yeux... J’avance tout en me laissant happer par ce flot d’images qui dansent à la vitesse des basses. Anna cartonne, pas d’autres mots, elle assure vraiment la petite, je suis transporté par le son. Cent mille lumières inondent la discothèque qui brille de toute son âme. Sur le dance floor, les gens dansent, pas un qui ne soit pas en osmose avec le son. Les gestes sont délicats, lents et s’accordent parfaitement aux corps qui les génèrent. Le spectacle est jouissif.

Les drag-queens ont investi les estrades et s’adonnent à leur chorégraphie répétée au millimètre près, elles sont magnifiques.

Greg m’aperçoit et me tend les bras, mais je suis encore loin de lui. Je lève la main pour lui montrer que je l’ai vu. Il descend de son perchoir pour venir à ma rencontre, mais s’arrête rapidement pour parler à une blonde que je ne pense pas connaître.

Je croise des regards qui en disent long, certaines filles ne se gênent pas pour m’accoster en faisant battre leurs cils, et c’est un fait, certaines sont canons. Je me laisserai facilement aller à en croquer une ou deux.

Je me fais aussi alpaguer gentiment par des homos qui me déballent leurs atouts séduction en une fraction de seconde, je m’en amuse et joue avec eux.

Le monde continue de m’approcher et de me toucher, mais je suis maintenant complètement détendu et j’abandonne toute appréhension.

Une fille, plus téméraire ou plus défoncée que les autres m’aborde.

— Bonsoir beau gosse, c’est moi que vous cherchez ?

Je souris.

— Bonsoir, non désolé, je vais un peu plus loin, à plus tard peut-être !

Elle m’envoie un baiser qu’elle fait partir de sa main.

— Quand vous voulez, bonne année Don Juan…

Je souris encore en hochant la tête.

Je pense que sous son maquillage, elle doit avoir la trentaine. J’ai du mal avec ces filles qui se tartinent le visage à outrance. C’est un mystère que je n’explique pas. Pourquoi la plupart des femmes se cachent sous ces couleurs et ces matières absolument dégueulasses. Je ne suis pas contre un joli rouge à lèvres, et un peu de noir aux yeux, juste pour les faire ressortir et sublimer un regard, mais le fond de teint et je ne sais quel autre enduit gluant je trouve ça immonde. Je me demande souvent quel visage se cache en dessous ? J’ai du mal à imaginer leur tête au réveil, ce doit être quelque chose. Je suis persuadé qu’elles sont bien plus jolies au naturel, mais bon, ça ne se discute pas, elles font bien ce qu’elles veulent.

Je me retourne pour retrouver Greg du regard, de nouveau la chaleur m’envahit. L’effet de la seconde partie du E arrive. J’en suis ravi, d’autant plus qu’Anna se déchaîne et que j’ai l’impression de me nourrir viscéralement de sa musique. Mes yeux se posent sur elle et j’ai la sensation que c’est moi qu’elle regarde, même d’aussi loin, j’arrive à voir les siens. Je m’arrête net. Je lui adresse un sourire, qu’elle me rend aussitôt.

— C’était donc bien moi qu’elle visait, je n’ai pas halluciné.

J’ai des papillons dans la tête, et je sens mon cœur qui s’accélère, non pas à cause d’Anna, certes très jolie avec ses cheveux longs et bruns qu’elle s’amuse à attacher et détacher toute les dix minutes, non, ce n’est pas ça, c’est bien plus. C’est l’assurance qu’elle vient de me donner même si je n’en manquais pas, c’est un booster inexplicable même si le E y est aussi pour beaucoup, je ne suis pas dupe.

Mon regard revient sur Greg, de plus en plus sexy à bouger comme il sait si bien le faire, je devine ses muscles sous sa chemise et son souffle court, je prends plaisir à le voir si bien se servir de son corps. Il est bien entouré, j’aperçois Mily, qui sera bien moins extravagante que son mec tout le temps où elle sera là et surtout je distingue quelques autres créatures plutôt pas mal qui gravitent, pour l’instant, gentiment, aux côtés d’Apollon-Greg. Ça va être chaud ce soir, j’en ai la conviction.

Je tourne la tête côté bar en progressant lentement, les gens continuent de m’accoster, j’ai l’impression d’être là depuis des heures et de ne pas avancer !

Je suis à quelques pas du bar, à l’opposé complet de là où je veux me rendre… Je croise le regard d’Emilio, qui ouvre grands les yeux en me voyant. Il me sourit et change de place instantanément avec son collègue pour se rapprocher de moi.

Il sort ensuite du bar et passe du côté client par l’ouverture destinée au service des bouteilles en salle, pour m’approcher. Je rigole en le voyant arriver, il porte un kilt écossais, des rangers et des grosses chaussettes blanches, style qu’il a cassé avec sa chemise blanche et son nœud papillon. J’adore !

Il me donne une longue accolade puis me serre la main avec les deux siennes.

— Meilleurs vœux !!! Je suis super content de vous voir Yohann, vraiment ça me fait plaisir que vous soyez là ce soir ! Il y a du monde hein !!!!

— Meilleurs vœux Emilio !! Oui c’est blindé et il y a du beau monde ! Je suis ravi d’être là !!

Il se penche vers moi pour me parler car Anna pousse les BPM (battements par minute) et il est impossible de s’entendre sans être très près l’un de l’autre.

— Greg a déjà passé commande et a décidé de tourner au champagne, vous me direz si vous voulez autre chose. J’ai préparé des jus de fruits, de l’eau en complément… me dit-il en me regardant droit dans les yeux. Je lui souris et me penche à son oreille à mon tour.

— C’est parfait Emilio, impeccable. Je pense qu’on va rester au champagne, mais les jus de fruits et l’eau seront bienvenus. Vous avez bien vu !

Je sais qu’il sait, lui aussi.

Ici, nous sommes tous plus ou moins sous stupéfiants et le personnel est briefé pour ça. Il sait comment gérer les gens et sait surtout s’occuper de ses bons clients. Greg et moi en faisons partie.

— Je vous emmène ? me dit Emilio en me tenant par le bras et en penchant la tête du côté où Greg continue d’enflammer le VIP 2.

— Je veux bien, car j’avoue j’ai du mal à avancer !!!

Je me dis que décidément, ce soir je ne sais rien faire tout seul et qu’heureusement, j’ai des gens formidables qui sont là pour m’assister. Je suis vraiment un gamin des fois.

Emilio attrape un plateau chargé de seaux à glace laissant deviner des bouteilles de champagne qui scintillent sous des feux de Bengale et nous fendons la foule pour atteindre le côté opposé, qui me semble à des kilomètres.

Je dois affronter des regards qui me transpercent, des lèvres qui me sourient, des corps qui cherchent à m’attraper, je scrute Anna qui détache encore ses cheveux, j’adore ça ! Aussi, je ferme les yeux et me laisse porter quelques secondes. Je ne viens quasiment jamais ici, là où les gens s’agitent avec les autres, je préfère rester là-haut et être vu de loin. Sans doute pour rester inaccessible, oui, c’est ça, inaccessible.

Mais là je suis bien et je décide de profiter de cet instant, laissant la soudaine vague de dopamine me submerger.

Emilio poursuit son chemin, je le laisse partir, j’accepte l’espace qui me sépare de ma friend zone. C’est inhabituel pour moi et je me rends compte que ce n’est pas si difficile que ça en a l’air.

Je rouvre les yeux et tombe dans ceux de Greg qui s’est arrêté net de danser en me voyant perdu dans la foule. Il attend un geste de ma part, il ne comprend pas, j’arrive à sentir son angoisse à distance, il hoche la tête pour me demander si tout va bien. Je souris et reprends ma route vers lui.

Je sens son regard sur moi, il ne me lâchera pas jusqu’à ce que j’arrive à ses côtés, et j’en suis heureux. Il ne peut rien m’arriver. Greg est là… je pouffe de rire tout seul.

Quelque chose qui brille plus que le reste attire mon regard sur la gauche alors que j’atteins presque ma destination. Je grimpe les premières marches qui vont me mener à mon espace protégé, mais je me hasarde quand même à regarder ce qui brille comme ça, je tourne la tête, je suis maintenant plus haut que la foule et j’ai l’impression que tous les regards sont sur moi.

De nouveau le mode ralenti, les gestes des gens sont saccadés et très lents, je mords ma lèvre inférieure au point de me faire mal, en cherchant toujours ce qui brille.

Je trouve enfin. Deux escarpins noirs, parsemés de diamants, qui clignotent au rythme du son d’Anna. Je reste scotché, immobile. Cette image me fascine. Impossible de me décrocher de cette vision sublime.

Une main m’agrippe alors fermement le bras et me ramène à la réalité.

— Yo, qu’est-ce que tu fous ? Ça va ?

Greg est venu me chercher. Il m’attire et me serre contre lui.

— T’es déchiré ? me dit-il en me regardant droit dans les yeux, son visage à quelques centimètres du mien.

— Je crois que je subis quelques turbulences ouais… 

Je lui souris à mon tour et ferme les yeux tout en resserrant mes dents sur ma lèvre encore une fois, alors qu’il me presse contre lui.

— Allez viens, on va boire un coup. T’as raté Dimitry, il est parti se préparer dans sa loge. T’as reçu la photo ?

J’acquiesce en souriant puis nous terminons l’ascension vers notre carré VIP.

Me voilà enfin arrivé et à bon port. Je soupire de soulagement, mais regrette quand même de ne pas avoir vu mon ami avant qu’il entre en scène.

Il s’est passé vingt minutes depuis mon entrée dans la boite et j’ai pourtant l’impression d’être là depuis trois heures. Greg nous sert deux coupes de champagne, m’en tend une, penche la tête, et me hurle.

— Bonne année mon chat !

— Bonne année petit con !

— Alors, ce vol ? me demande-t-il l’air sûr de lui, en souriant.

— Je viens de traverser la voie lactée, je pense…

Mon sourire est de nouveau coincé et j’ai l’impression que je vais le garder pour le reste de ma vie. Greg se remet à bouger et tout me porte à croire qu’il est aussi démonté que moi, voire plus. Je ne sais pas ce que contient le E, mais j’en veux encore. La musique démultiplie ses effets et je prends un nouveau jet orgasmique. Putain ce que c’est bon !

Mily s’approche de moi :

— Ben alors chouchou, t’en as mis du temps !!! Bonne année, me dit-elle en tapant sa coupe contre la mienne.

Je l’enlace et l’embrasse chaleureusement dans le cou.

— Tu sens bon ma chérie ! bonne et merveilleuse année à toi aussi. Tu es magnifique.

Elle se détache de mon étreinte et fait un tour sur elle-même pour me montrer sa tenue, je souris de plus belle. Si je continue de me mordre les lèvres à ce rythme, je pense que je vais saigner. Je dois arrêter, maintenant, tout de suite.

J’avale d’un trait le champagne et m’avance pour saluer les gens qui font partie de notre espace réservé. Quatre bombes se déhanchent avec classe et semblent aux anges que je fasse le premier pas vers elles. Bises et bons vœux s’ensuivent. C’est au tour de quelques amis homos présents aussi de venir m’embrasser et par la même occasion me tripoter discrètement.

J’ai chaud, vraiment très chaud, et la soif s’empare de nouveau de moi. Sur les tables, du champagne, encore et encore. Greg me ressert sans que j’aie besoin de demander.

Je quitte ma veste. Mily se rapproche et prend la liberté de défaire le deuxième bouton de ma chemise, je la laisse faire, tout en me collant à elle pour suivre son corps qui bouge sensuellement… un régal, j’adore cette complicité que nous pouvons avoir. Je jette un œil à la foule qui investit de plus en plus la piste, il y a encore plus de monde que tout à l’heure. Les filles sont belles, certaines magnifiques, de jolis corps qui ondulent, des yeux qui pétillent en trouvant les miens, je suis en apesanteur. Mily disparaît et je me retrouve avec les quatre plantes sulfureuses à mes côtés, l’une d’elles se colle derrière moi et tout en dansant, elle passe ses mains sur mon torse. Ce n’est pas désagréable et je me laisse faire. Greg sourit et me lance un clin d’œil. Il reprend ses ondulations et vient lui aussi se coller à moi de face.

Putain, on va encore nous prendre pour des homos…

Je lui lance un regard réprobateur, il éclate de rire, pose un doigt sur mon menton pour forcer l’ouverture de ma bouche et y glisse, un morceau d’ecstasy avec sa langue. Il me referme la bouche et m’invite à trinquer en me tendant une nouvelle coupe de champagne. Je n’ai pas quitté mon sourire, j’avale une gorgée de bulles afin de faire descendre mon nouveau passeport pour le prochain trip… je fais maintenant partie du tout, de l’énergie monstrueuse qui se dégage de cet endroit, cette sensation est énorme.

Je me lâche vraiment et je me sens partir, d’abord lentement, tout en délicatesse, sexy et sûr de moi puis une seconde bimbo vient me coller, je me laisse faire de nouveau, ses mains me caressent et j’y prends plaisir. Cela dit, de mon côté, je ne la touche pas.

Dans la foule j’aperçois Dimitry qui s’avance pour prendre la place d’Anna. Elle détache ses cheveux pour la centième fois sûrement et je la cherche du regard. Je me sens brûler, il me faut de l’eau absolument. Enfin, Anna me regarde, elle sourit, je suis bien plus près d’elle que tout à l’heure et je ne doute pas que ce sourire soit pour moi. Elle est terriblement jolie.

Dimitry, qui est maintenant en place, échange quelques mots avec Anna, ils s’embrassent et elle lui laisse les platines. Il s’installe, pose son casque sur ses oreilles, ses cheveux sont encore plus courts que d’habitude et je suis prêt à parier qu’il va mettre des lunettes de soleil dans moins de dix minutes.

Il lève la tête, me voit, son visage s’éclaire alors, il joint ses mains en signe de prière, puis les lève au ciel. Il serre son poing sur sa poitrine et je peux lire sur ses lèvres : « À tout à l’heure ! » La musique de Dimitry débute alors par un jingle bien connu par ceux qui le vénèrent et une voix venue d’outre-tombe annonce :

— SOUND WISDOM PRESENTED BY DIMITRY FROM COPENHAGUE

Le son monte peu à peu en puissance et transporte la foule qui hurle à pleins poumons, le bras levé… C’est parti pour le reste de la nuit. Je ferme les yeux et frissonne de plaisir.

Le panneau quantifiant les BPM s’affole et Dimitry pousse le son à son paroxysme, le voyage peut commencer réellement. Cette soirée va être gigantesque.

Anna a disparu et je cherche maintenant les yeux d’Emilio.

Il me capte très vite. À croire qu’il est connecté à mon cerveau, ce mec doit avoir des yeux cachés, c’est impossible autrement.

Je lève les bras et lui indique en tournant mes index autour d’eux-mêmes qu’il peut envoyer la suite. En moins de cinq minutes, le champagne est de nouveau dans les coupes, les jus de fruits sont là également et il dégaine une bouteille d’eau aussi. Merveilleux Emilio. Je l’embrasse pour le remercier et en profite pour glisser un billet dans la poche de son gilet. Il se tape sur la poitrine en souriant. Je sais que Greg a déjà été généreux, mais il le mérite bien et je me doute qu’il sera content de ses pourboires demain en rentrant chez lui.

Un éclair de lucidité me ramène à la réalité quelques instants plus tard. En général ces instants ne durent pas, je saute sur Greg, qui éclate de rire.

— Et Lena ? Elle vient pas ?

— Si, elle doit arriver plus tard, t’as pas eu son texto ? me crie-t-il dans les oreilles.

— Non, enfin si peut-être, mais je n’ai rien lu.

— Je pense qu’elle ne devrait pas tarder, elle avait dit vers trois heures.

Je me reprends un jet d’ecstasy au son d’un morceau de musique que je connais bien, la progressive de Dimitry est phénoménale. Mes pensées vers Lena s’estompent et je repars dans ma voie lactée.

4

Lena est la troisième du trio infernal que nous formons. Elle est plus jeune que Greg et moi, elle a eu trente ans cette année, mais, à l’identique, on se suit depuis toujours. On se la traîne depuis plus de vingt ans.

On l’a trouvée dans la rue, un jour près d’où nous habitions, rue de Babylone. Elle était perdue et braillait tout ce qu’elle pouvait, alors on a cherché à qui elle appartenait, on a heureusement retrouvé sa maison et depuis elle ne nous a plus quittés. On avait une dizaine d’années à l’époque, on est devenus un peu ses grands frères en quelque sorte. Même si des fois je me dis que c’est plutôt elle qui nous sert de grande sœur.

Elle a choisi de devenir infirmière en pédiatrie et travaille à Necker. C’est une fille extra, hyper engagée, elle a les pieds sur terre et bosse énormément. Elle adore son boulot, part régulièrement en mission humanitaire, mange bio, fait du sport, s’intéresse à tout et en plus elle est vraiment jolie. Elle râle souvent quand elle voit le train de vie qu’on mène avec Greg. Les soirées, la drogue, tout ça, ce n’est pas son truc. Des fois je me demande ce qu’elle fait avec nous. Le fait est que ni elle ni nous ne pouvons nous passer les uns des autres. Nous avons un rapport étroit, elle ne voit plus ses parents depuis longtemps, n’a ni frère ni sœur, et peu d’amis, que nous connaissons en tous cas. Le gros problème de Lena c’est qu’elle a le don pour toujours se fourrer dans des histoires de cœur complètement farfelues. Elle se dégote toujours des gars pas faits pour quelqu’un comme elle. Elle nous en a ramené de toutes sortes, du plus paumé au plus friqué en passant par des dépressifs, névrosés en tous genre, des jeunes et des vieux, des malades, dont un qui est mort d’ailleurs, des écolos, des anarchistes, des sympas et des cons, bref, les histoires d’amour de Lena, c’est un problème. Un très gros problème. On pourrait en faire un roman.

Depuis deux ans, il y en a un nouveau, celui-là semble s’accrocher plus que les autres, ou bien c’est elle qui ne veut pas le lâcher, on ne sait pas trop. En tout cas, lui on ne l’a jamais vu à part en photo, on n’en sait pas grand-chose, juste qu’il s’appelle Julian, qu’il est médecin, qu’il travaille avec elle et qu’il est juste un peu marié avec deux enfants à bord du navire avarié. On s’engueule souvent à ce propos. Greg et moi on n’est pas d’accord pour qu’elle continue avec ce type, mais elle ne veut rien entendre.

Cette relation, qu’on considère toxique la rend malheureuse et on met beaucoup d’énergie à tenter de la sortir de là. On a essayé de le voir, plusieurs fois, mais c’est compliqué, les médecins sont des gens overbookés, et même si on sait à quoi il ressemble, on ne sait jamais où le trouver. On ne veut pas non plus créer de problèmes à Lena, alors on se contient même si on aurait bien deux trois trucs à lui dire à ce salaud.

Lena passe par des moments d’euphorie quand elle le voit et quand tout va bien et puis l’instant d’après, c’est la catastrophe, elle débarque alors, souvent chez moi, où comme Greg, elle a toujours sa chambre de prête.

Le reste du temps, elle vit dans un studio près de l’hôpital. Là encore, on s’est battus et on continue de s’acharner pour qu’elle déménage dans un endroit plus confortable, et ce n’est pas faute de lui en avoir déniché un sacré paquet, mais non. Elle s’évertue à rester dans son 40 min 2 s pourri. Tout ça parce que l’autre débile habite la rue d’à côté. Ça me rend dingue qu’une fille comme elle perde son temps avec un mec comme ça.

Quand elle débarque chez moi, c’est qu’il y a de l’eau dans le gaz et je sais que j’en ai pour plusieurs jours à sécher ses larmes. J’espère toujours à chaque fois que c’est la bonne et qu’elle a compris puis ils se revoient, discutent, baisent et ça repart comme en 14. Alors je gueule, Greg gueule, mais ça ne change rien.

On l’a même menacée, il y a quelques mois de ne plus la voir tant qu’elle ne le quitterait pas, mais elle n’a pas cédé et au bout de quinze jours, malheureux comme des bêtes, on est allés chez elle, la queue entre les pattes, voir comment elle allait. Ça l’a fait rire. Pas nous.

Je pense qu’on serait capables du pire s’il lui arrivait quelque chose. En ce qui me concerne, je l’aime autant que ma propre sœur et je sais que pour Greg, c’est pareil.

Lui aussi est fils unique, enfin, sur le papier, car dans la vraie vie, il nous a nous, Léna et moi.

On est bien tous les trois et depuis toutes ces années, personne n’a réussi à intégrer notre trio. Même Mily, qui fait maintenant partie de la famille. Elle s’entend bien avec Lena, elles sont même très complices, je pense, pour certaines choses, mais le lien qui nous unis ne permet pas l’intrusion d’une nouvelle entité. C’est comme ça.

Quand Greg et moi avons rencontré Lena, on n’imaginait pas qu’elle prendrait autant de place dans nos vies. À l’époque, on était deux morveux qui passaient leur temps à inventer le plus de conneries possible. On bravait aussi tous les dangers sur nos skate-boards dans les rues de Paris, rien ne nous arrêtait. On s’accrochait au bus pour aller plus vite et on se mesurait aux plus grands, sûrs de nous, au Trocadéro. Bien sûr on a pris quelques pelles, on s’est souvent retrouvés dans le camion des pompiers, puis aux urgences, avec des bras et des genoux en vrac. Nos parents, désespérés, n’en pouvaient plus. Ils essayaient par tous les moyens de nous trouver des activités calmes, la musique, le théâtre, la vidéo, l’informatique, mais c’était peine perdue. Et nous priver de sortie ou de nos engins à roulettes ne faisait qu’empirer les choses. On devenait ingérables, et ce malgré nous, je crois. Bien entendu, nous avons été séparés, les punitions tombaient régulièrement, alors on déprimait tellement, à ne plus avoir d’appétit parfois, qu’ils cédaient et nous laissaient nous retrouver. On se traînait quelques jours gentiment, puis les bêtises repartaient de plus belle. Je me dis qu’on les a bien fait tourner en bourrique quand même.

Lena s’est greffée à notre duo très vite. Peu de temps après l’avoir ramassée, errante sur le trottoir, livrée à elle-même et perdue, elle a pris l’habitude de nous rejoindre au Troca. Elle savait toujours où nous retrouver, elle était patiente, et attendait parfois longtemps qu’on arrive. Un jour, elle s’est pointée sur des rollers et nous a littéralement bluffés. Elle enchaînait des figures improbables pour une gamine de son âge. On est devenus ses premiers fans.

Voilà, c’est comme ça, qu’elle s’est immiscée dans nos vies.

On se voyait tous les jours, on allait même la chercher à l’école le soir et on la gavait de bonbons qu’on volait à la boulangerie. Pas qu’on n’avait pas assez d’argent pour les payer, non, juste par ce que c’était plus marrant de les voler. Déjà on recherchait l’adrénaline par tous les moyens.

On ridait jusqu’à pas d’heure, la petite progressait au point de nous donner des conseils, elle avait cette aisance et cette délicatesse dans le moindre de ses mouvements, qui nous fascinaient. On s’arrêtait souvent pour la regarder, comme pas mal de gens d’ailleurs.