Je t'ai rêvée - Tome 2 - Eva B. - E-Book

Je t'ai rêvée - Tome 2 E-Book

Eva B.

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Beschreibung

Entre drames et bouleversements sentimentaux, Yohann et Greg pourront-ils compter sur leur inébranlable amitié pour reprendre goût à la vie ?

À la suite du drame qui a bousculé leur vie, Yohann et Greg doivent se reconstruire. Au chevet de Lena qui est toujours dans le coma, ils attendent son réveil… Alors que Yohann, malgré son grand sentiment de culpabilité vis-à-vis de Lena, s’engage davantage dans les bras de Rachel, Greg perd pied et s’éloigne de plus en plus d’Emily. Entre jalousie, infidélité, désir d’enfant et amitié fusionnelle, leur cheminement sentimental n’est pas de tout repos...

Dans ce second tome d'une saga pleine de passion et d'émotions, il est temps pour Yohann et Greg d'avancer en affrontant leurs responsabilités...

EXTRAIT

Et si ça recommençait ! C’est pour ça que j’ai peur tout le temps. J’ai peur sans Greg, je le veux avec moi en permanence, ou presque… surtout la nuit… Quant à Rachel, c’est encore pire ! Je ne supporte pas qu’elle m’abandonne ! Elle aussi je la veux constamment près de moi, je… je ne sais pas comment la garder davantage. C’est pour ça que je veux l’épouser, je veux lui faire un enfant, je veux lui faire l’amour tout le temps. Je suis fatigué, tellement fatigué, dis-je en me prenant la tête entre les mains. J’ai tout le temps peur. Ça me donne des palpitations cardiaques, je tremble, j’ai des flash-back qui me hantent, je frissonne, je me mets en colère. J’ai des sautes d’humeur aussi, je peux être vraiment désagréable, avec Rachel surtout… Et quand elle n’est pas là, c’est les crampes dans le ventre, la gorge qui se serre… Je ne dors pas, je suis assailli de cauchemars épouvantables… Je n’en peux plus… Je suis épuisé moralement et physiquement…

À PROPOS DE L'AUTEUR

Eva B. a toujours aimé lire et mûrissait depuis longtemps l’idée de passer du côté de l’écriture. Alors, quand la maternité dans laquelle elle travaillait a fermé ses portes, elle s’est dit que rien n’arrive par hasard, et elle a décidé de relever le défi d’écrire ! Ainsi naquit le premier tome de Je t’ai rêvée.

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Chapitre 1Yohann

Dimanche 29 janvier, midi

— Tonton !!

Jules déboule comme une tornade et passe devant sa grand-mère qui vient d’ouvrir la porte, sans même s’arrêter pour lui dire bonjour.

De la cuisine, je le vois courir vers moi en tendant les bras. Je m’avance et avant même que j’aie le temps de faire trois pas, il est déjà dans mes bras et pose sa petite bouche baveuse sur la mienne.

— Tonton !

— Hey ! Salut bonhomme ! Dis donc, t’as l’air en pleine forme ! Allez viens, on va enlever ton manteau et tes chaussures…

— Vi, tonton.

— Et tu vas aussi dire bonjour aux papys-mamies quand même !

— Non.

— Comment ça non ? dis-je en fronçant les sourcils.

— Vi, tonton.

— Ah bon. J’aime mieux ça, sinon… gare à toi ! Je te mange !

Jules s’échappe de mes bras en riant et se met à courir dans l’appartement pour que je le rattrape. Petit jeu auquel je m’adonne avec plaisir et dont il raffole lui aussi, malgré les protestations de sa mère qui nous crie dessus aussitôt.

— Yohann ! Arrête ça, tu veux ?!! Tu vas encore l’énerver et il va être insupportable tout l’après-midi.

C’est peine perdue. Ni le petit ni moi n’avons l’intention d’interrompre notre course-poursuite qui dure encore quelques minutes, jusqu’à ce que nous terminions tous les deux sur le lit de Greg pour une partie de chatouilles. De loin, j’entends encore ma sœur qui me promet en hurlant qu’elle se vengera tôt ou tard.

Je finis par prendre Jules comme un paquet en le posant sur mon épaule, ce qui le fait rire de plus belle et on se décide enfin à aller dire bonjour au reste de la famille.

— Greg n’est pas là ? me demande Anne, sa mère.

— Je pense qu’il ne va pas tarder, il est allé voir Lena à l’hôpital avec Emily.

— Tu y vas aujourd’hui, toi ?

— Je ne sais pas trop… je sais que Victoire voulait y passer avec maman et puis… j’attends quelqu’un dans l’après-midi. Pourquoi ? Tu voulais la voir ?

— Oui, mais j’irai demain ce n’est pas grave, répond-elle dans un demi — sourire.

Il est assez rare que nos familles se retrouvent chez moi le dimanche à l’heure du déjeuner, mais depuis ce que nous avons décidé d’appeler « l’accident », nous nous y retrouvons un peu plus souvent. Sans doute un besoin inexplicable d’être là, les uns près des autres pour se soutenir, mais aussi et surtout pour se rassurer.

Voilà maintenant quatorze jours que nos vies ont basculé.

En se jetant du petit pont Saint Louis dans la Seine, Lena nous a entraînés avec elle, bouleversant nos existences. Nous avons tous perdu nos repères et il faudra sans doute beaucoup de temps pour que nous retrouvions un semblant de sérénité.

Il est encore trop tôt pour que nous réussissions à sortir de cet état de dissociation dont nous parlent les médecins. Les émotions vécues au moment du drame sont bien trop fraîches dans nos têtes et nous sommes encore en sorte de pilotage automatique. Cette rupture cataclysmique de nos vies parfaitement rythmées va entraîner des changements dont nous n’avons pas conscience pour l’instant. Nous savons juste que cet événement, dramatique et incontrôlable, a été capable de saccager nos équilibres que l’on pensait stables, et de mettre à mal nos certitudes, nos repères et même notre idée du bien et du mal.

Nous allons devoir nous reconstruire avec ce bagage lourd de culpabilité et d’impuissance. Le chemin s’annonce long et tortueux pour nous. Mais il va l’être encore plus pour Lena.

Nos journées s’articulent donc autour de cette chambre de service de réanimation où Lena est maintenue en coma artificiel depuis ce soir du seize janvier. Nous la laissons seule le moins possible et enchaînons les visites chacun notre tour.

La nuit de l’accident, les médecins sont intervenus sur son cerveau suite à un hématome sous dural. Elle souffre aussi de multiples fractures aux jambes. Nous avons bien compris que le maintien en coma était indispensable afin de conserver et stabiliser au mieux ses fonctions vitales, de diminuer les sensations douloureuses et de permettre aussi aux soignants de pouvoir prodiguer les soins de manière confortable. Sédatifs et analgésiques coulent dans ses veines en continu. Si elle se réveillait elle souffrirait trop, ça, nous l’avons bien intégré.

Lena habite donc juste son corps par la conscience et en a abandonné l’enveloppe polytraumatisée, abîmée par de nombreuses blessures. Nous savons qu’elle ne souffre pas et c’est déjà un grand réconfort pour nous.

Le personnel est fantastique devant notre incompréhension, nos exigences et notre tristesse. Les infirmières sont toujours prêtes à nous répondre et à nous rassurer du mieux qu’elles le peuvent.

Les médecins, eux aussi, prennent beaucoup de temps pour nous expliquer leurs démarches et les différents protocoles qu’ils mettent en place avec notre Lena. Greg et moi avons été reçus plusieurs fois par les deux médecins qui s’occupent d’elle, car nous ne comprenions rien à ce qu’il se passait et nous débordions de questions.

Aujourd’hui nous savons à peu près à quoi nous attendre en matière de soins. Pour le reste… c’est encore un grand mystère. Quand va-t-elle se réveiller et dans quel état reviendra-t-elle ? Personne ne peut le dire et nous devons vivre, ou plutôt survivre, avec cette peur au ventre jour après jour, heure après heure.

Et puis… il y a le reste. Le gros nœud. Le pourquoi et le comment elle en est arrivée là.

Quelques fois, je souhaite qu’elle ne se souvienne pas. Jamais. J’espère en secret qu’elle oublie pour toujours ce cahier rose, cette chambre de bonne, cette clef… et même moi.

Si sa vie doit être paisible de cette façon, alors oui, je suis prêt à accepter le fait que Lena ne se souvienne pas de moi.

J’en ai parlé un peu avec le psychiatre qui me renvoie sur autre chose. Une idée, un sentiment… Mais bien sûr que je sais où il veut en venir… Si Lena oubliait… je n’aurais pas à endurer son malaise et son mal-être… il n’y aurait rien à expliquer, rien à creuser, rien à guérir, rien à démêler puisqu’elle ne se souviendrait pas. Mon scénario est très simple… lui raconter qu’elle a voulu en finir et qu’elle s’est balancée dans la Seine à cause d’un mec qu’on ne connaissait pas. Fin de l’histoire !

Tellement plus facile, Yohann… Tellement !

Oui, mais voilà… quand je me regarde dans le miroir, je sais bien qui c’était ce type.

Ce minable qui n’a pas vu, ou qui n’a rien voulu voir, bien trop occupé à manager sa petite vie en parfait égoïste, engloutissant son temps et son énergie dans une course effrénée à la performance, aux succès et aux plaisirs, avec de magnifiques œillères en or au coin des yeux…

Oui. Je sais qui c’est, le gars. Le responsable de tout ça. Celui à cause de qui Lena et Greg ont failli mourir.

C’est MOI ! Et je me dégoûte.

Chapitre 2

Greg et Emily arrivent alors que nous sommes installés au salon devant la cheminée. Jules toujours plus réceptif que nous autres les adultes, fonce vers eux en entendant la clef dans la serrure.

— Tonton !

— Oh ! Salut pirate ! dit Greg en le prenant contre lui.

— Tonton, bonbons !

— Ha, mais oui j’y ai pensé, regarde ! dit Greg en sortant un petit paquet transparent rempli de bonbons.

— Mais bien sûr, des bonbons !!! Et puis quoi encore ? lance Victoire en se précipitant sur Greg pour lui enlever les friandises des mains.

— Haaa, mais laisse-le donc tranquille cet enfant un peu ! se défend-il.

— Oui et bien on verra quand il aura mangé, mais certainement pas maintenant. D’ailleurs, Jules viens t’installer, s’il te plaît !

— Non, répond le petit en croisant ses bras maladroitement, l’air renfrogné.

— Non ? Eh bien moi aussi je vais dire non pour les bonbons tout à l’heure, assure sa mère.

Bien entendu, un flot de larmes vient aussitôt compléter les hurlements de Jules qui réclame ses bonbons, en tendant les bras vers Greg.

— Écoute pirate, tu vas aller manger et après tu auras les bonbons, OK ?

— Non.

— Tu sais je crois que maman ne voudra pas te les donner avant… mais viens voir, j’ai une idée…

Greg porte Jules dans ses bras jusque dans sa chambre et comme par magie, en quelques secondes, les voilà de retour tous les deux, sourire aux lèvres.

Ma sœur est septique et nous rions tous en voyant sa tête quand Jules prend place sans rechigner pour déjeuner.

— Tu lui as dit quoi ? demande-t-elle en interrogeant Greg du regard.

— Ha… secret de garçons, j’peux pas te dire ! répond-il en faisant un clin d’œil au petit qui se trémousse sur sa chaise.

Je m’approche pour embrasser Emily que je n’ai pas vue ce matin et en profite pour questionner Greg.

— Comment va Len ?

— Comme hier, me répond-il en soupirant. Rien de nouveau. Je n’ai pas vu le médecin, il doit passer cet après-midi. Tu y vas ?

— Je ne sais pas. Ma mère et ma sœur veulent y passer, ta mère aussi, et Rachel arrive en fin de journée, alors peut-être que j’irai plus tard ou demain.

— On se fait une bière ?

— Ça marche, dis-je en lui faisant signe de me suivre dans la véranda.

Nous laissons nos parents avec Emily pendant que Victoire se débat avec la cuillère de Jules. Il lui en fait voir de toutes les couleurs pour avaler son repas.

— Tu lui as dit quoi au petit ?

— Rien du tout ! me répond Greg en souriant largement. Je lui ai juste mis un autre paquet de bonbons dans sa poche. Ni vu ni connu j’t’embrouille !

— Attends-toi à la foudre ! Tu sais que si Vic le voit, tu vas prendre cher !

Nous rigolons en regardant ma sœur par la baie vitrée. Heureusement, elle nous tourne le dos et ne peut donc pas nous voir.

Nous nous rapprochons l’un de l’autre en allumant une cigarette et Greg me regarde sans relever la tête.

— T’as l’air crevé Chaton.

— Ouais, j’ai pas que l’air, j’ai la chanson avec et même tout le répertoire je crois… Je dors pas.

— Pourquoi tu prends pas ce que le médecin t’a donné ? T’es con, j’te jure ça aide. Moi, j’dors comme un bébé, j’rêve pas, j’cauchemarde pas… c’est nickel.

— Non, si je peux m’en passer, j’préfère.

— Ouep, mais en attendant tu dors pas, fait-il la cigarette coincée entre ses dents.

— Tu l’as trouvée comment ce matin Lena ? dis-je, un peu pour changer de sujet.

— Facilement. Elle avait pas bougé depuis hier, tu sais. Toujours la même chambre ! me répond-il en souriant.

— T’es con, putain.

Nous rions tous les deux de sa blague pourrie et sortons à l’extérieur pour terminer nos cigarettes et nos bières. Accoudés à la rambarde de la même façon, nos yeux ne peuvent qu’aller se poser sur le quai aux Fleurs, ou à défaut sur le petit pont Saint Louis.

Nous soupirons en cœur.

C’est une épreuve à chaque fois qu’on met le nez dehors.

— Tu crois que ça va passer à force ?

— Je sais pas mon chat, j’en sais rien… mais j’aimerais bien. Vivement le printemps, avec les feuilles des arbres on verra plus rien, ça va aider, hein ? me répond-il en me prenant par le cou.

— Tu sais, je me disais… si Lena ne peut pas revenir ici... à cause de la vue je veux dire, je le vendrai l’appart. Je m’en fous.

— On n’en est pas là, hein, et puis elle est loin d’être de retour ici Len. Au lieu de te prendre la tête, tu devrais essayer les médocs, je t’assure. Ça va aller Yo, on va se remettre sur pied. Et Len aussi. C’est une guerrière.

— Greg Saint-Cyr !! Viens ici chameau ! crie Victoire.

— Oups, on dirait que c’est ton heure, Biquet…

— Tu rigoles, j’avouerai jamais ! Même sous la torture !

Greg n’a de toute façon pas le temps d’élaborer un début de plan, car ma sœur vient le chercher dehors, visiblement pas contente.

— Tu te moques de moi ? J’ai dit quoi pour les bonbons ?

— Tu as dit oui, quand il aura mangé ! C’est pas ça ? ironise Greg.

— Et d’où sort-il ceux qu’il s’est enfournés dans la bouche à l’instant ? demande Vic agacée.

— Ha ? Je sais pas, je comprends pas…

Je me retourne pour ne pas rire, mais ma sœur n’est pas dupe et promet encore qu’un jour elle se vengera au centuple. Nous rentrons, amusés par la moue de Victoire et rions franchement en voyant la bouille de Jules, rougie par le colorant des bonbons qu’il a essayé de manger dans le dos de sa mère.

Rachel m’appelle alors que nous passons à table et je m’isole dans ma chambre pour lui parler.

— Mon cœur, c’est moi. Ça va ? se presse-t-elle de me demander.

— Oui et toi ? Tu es sur le retour ?

— Je vais embarquer d’un instant à l’autre, je t’appelle quand j’arrive, d’accord ?

— Je vais venir te chercher.

— Non, reste avec ta famille, je prendrai un taxi.

— Je peux venir te chercher, j’en ai envie, tu sais !

— S’il te plaît Yohann, allez… je te rejoins chez toi le plus vite possible, d’accord ?

— Bon… OK. Dis-moi quand tu es à Roissy quand même.

— C’est promis. À tout à l’heure mon cœur, je t’embrasse.

— Moi aussi je t’embrasse, j’ai hâte que tu sois là. Tu me manques.

— Toi aussi tu me manques. À tout de suite, bisous. Plein.

Je raccroche et reste un moment assis, regardant la photo en noir et blanc de Rachel qui est venue s’accrocher sur l’un des murs de ma chambre, un peu comme dans ma vie d’ailleurs.

Sans l’intervention de Greg, elle aussi j’aurais pu la perdre. C’est lui qui l’a appelée quand nous sommes rentrés de l’hôpital après l’accident. Il savait que je n’avais pas lu l’e-mail. Je la pensais repartie, mais elle était encore sur Paris, attendant patiemment que je lui réponde.

Quand je l’ai vue arriver chez moi le soir, j’ai d’abord cru que j’hallucinais. Mais quand j’ai compris qu’elle était là pour de vrai, que sa main est venue dans la mienne et que ses bras m’ont enlacé, je me suis senti vivant. Oui c’est le mot, vivant. Je crois que je n’ai jamais autant pleuré de ma vie que durant ces deux jours où tout a volé en éclats autour de moi.

Je ne sais toujours pas très bien où j’en suis, mais j’ai pris conscience de beaucoup de choses en très peu de temps. Je dois maintenant laisser mon cerveau ranger tout ça dans les bonnes cases. J’ai l’impression que toute ma vie est verrouillée par des cadenas que je ne sais pas ouvrir. Je cherche un sens au vide qui m’entoure en permanence. Je suis face à une énigme que m’impose la vie et je ne sais pas par quoi commencer pour réussir à la déchiffrer. Je refoule les questions qui m’assaillent le jour, mais elles me hantent la nuit et m’empêchent de trouver le sommeil. Seule la présence de Rachel m’apaise et me permet de dormir quelques heures, sans que je sois poursuivi par des images terrifiantes, des cauchemars sans fin qui me torturent et m’épuisent.

J’essaie de les oublier. J’y mets beaucoup d’énergie, mais c’est peine perdue. Depuis quelques jours, les affreux songes que j’ai faits durant la période qui a précédé l’accident de Lena me reviennent. Je refuse encore de croire qu’ils étaient prémonitoires quelque part, mais je me rends lentement à cette évidence malgré tout. Mon subconscient savait qu’un drame se préparait et mettait tout en œuvre pour me prévenir. Je n’ai pas su l’écouter. Alors forcément aujourd’hui, j’appréhende de m’endormir. Le médecin me dit que c’est normal et insiste pour que je prenne des calmants. Mais je ne veux pas. Là encore, je ne sais pas trop pourquoi. Je me dis que je dois affronter mon échec, que je mérite de payer la lourde facture d’une façon ou d’une autre. Mais ce qui m’inquiète, c’est surtout cette peur qui ne me quitte plus une seconde. Elle se teinte au grès de ma nouvelle vie. J’ai peur constamment. Je m’angoisse d’un téléphone qui sonne, redoute de rester seul, m’inquiète quand Greg s’éloigne trop longtemps d’ici et je ne supporte pas que Rachel s’en aille. Mon âme a froid et mon corps tremble souvent sans que je puisse le contrôler. Je souris du mieux que je peux, je fais semblant. Tout le temps. Il n’y a que dans les bras de Rachel que je me laisse aller quand mon corps et mon esprit saturent, mais même là je ne trouve qu’un simulacre de repos. Je me demande combien de temps il va me falloir pour me sortir de là. Je n’ai jamais eu peur de ma vie et aujourd’hui c’est elle qui me gouverne.

Je suis déglingué, fatigué, et plus les jours passent, plus j’ai l’impression de sombrer.

La semaine de l’accident, Rachel est restée quasiment à mes côtés tout le temps. Elle a annulé ses déplacements pour s’occuper de moi et de Greg puisqu’il était là.

Elle a été parfaite, m’enveloppant d’une infinie tendresse, de mots réconfortants, de silences respectueux et de douceurs dans chacun de ses gestes. Nous nous sommes appris l’un et l’autre et en quelques jours j’ai découvert, ou plutôt j’ai confirmé ce que j’imaginais d’elle. Je l’ai vue prendre les choses en mains, réagir avec force et sérénité pour me porter. Elle a trouvé les bons mots au bon moment, devancé mes envies, si pauvres soient-elles. Elle m’a offert ses bras, ses yeux, son corps et même son âme pour tenter de soulager ma détresse et ma douleur. Je patauge dans des sables mouvants continuellement et même si depuis le 16 janvier je ne suis plus sûr de grand-chose, il me reste cependant une certitude : Rachel est la femme que je veux près de moi pour le reste de ma vie, car je l’aime éperdument. Nous n’avons pas encore franchi le cap de nous le dire, même si ces mots nous brûlent elle et moi, je le sais. Je lui ai dit des milliers de fois en silence et je l’ai lu sur ses lèvres aussi souvent… Mais sans doute est-il trop tôt ou peut-être qu’encore une fois c’est la peur qui nous en empêche ? Il n’y a qu’un mois qu’elle est entrée dans ma vie et j’ai pourtant l’impression d’être fou amoureux d’elle depuis des années. Je suis troublé, déstabilisé et perturbé par ces sentiments nouveaux, mais je sens étrangement, même si je vais mal en ce moment, qu’elle a autant besoin de moi que j’ai besoin d’elle. Nous avons cette nécessité d’être collés l’un à l’autre, d’être en contact. Nous nous cherchons de nos mains, de nos regards et de nos corps entiers, tout le temps.

Elle a dû partir trois jours à Milan et son départ a été un véritable supplice. J’étais à deux doigts de l’accompagner, mais je ne pouvais pas laisser Greg et Lena. Il m’a fallu faire un choix et ma raison l’a emporté, même si j’en ai terriblement souffert.

Les battements de mon cœur accélèrent la cadence en pensant que dans quelques heures elle sera de nouveau dans mes bras. Je soupire. J’ai tellement hâte qu’elle soit là. Je ne sais pas si mes parents seront encore chez moi quand elle arrivera, je n’y ai pas pensé, mais je me dis que s’ils sont encore ici, je leur présenterai Rachel. De toute manière j’y viendrai, et même si c’est un peu tôt, j’en ai envie. Après tout, la vie vient de me prouver qu’il fallait profiter de chaque instant. Demain il sera peut-être trop tard.

Alors je vais insister pour qu’ils restent jusqu’à ce qu’elle arrive.

Et je vais lui dire que je l’aime.

Et lui dire qu’elle est la femme de ma vie.

Et lui dire que je veux l’épouser.

Et lui faire un enfant.

Je plonge mes yeux dans les siens sur cette divine photo en noir et blanc. Elle a l’air d’accord avec mes projets. Je souris et lui envoie un SMS même si je sais qu’elle ne l’aura qu’en arrivant.

« J’ai des choses à te dire à ton retour, reviens vite »

— Ça va mon chat ? demande Greg en entrebâillant la porte de ma chambre.

— Oui, j’arrive.

— T’es sûr ? T’as l’air soucieux… dit-il en fronçant les sourcils.

— J’ai décidé de dire à Rachel que je l’aime.

— Oh, dit-il surpris, je pensais que c’était fait depuis longtemps !

— Et moi je pense que c’est un peu tôt, mais j’en peux plus d’attendre.

— Alors, dis-le-lui, t’as raison. En attendant, viens à table, OK ? On t’attend.

Je n’ai pas beaucoup d’appétit, mais je me force à manger sous l’œil inquiet de ma mère qui m’observe sans en avoir l’air. Jules m’aide à faire diversion plusieurs fois. Il s’est enfilé les deux paquets de bonbons et court partout quand il n’est pas sur mes genoux. Je le regarde faire ses allers-retours en pensant que j’aimerais avoir le même enfant avec Rachel. Vraiment j’adore ce gosse. Mais si c’est une fille, ça m’ira aussi. Je souris en me disant que je suis en train de devenir fou et je me passe une main sur le visage. Me voyant faire, ma sœur me propose d’aller m’allonger avec Jules pour faire une petite sieste. J’accepte en sachant que je ne dormirai pas, mais je ne suis pas contre un peu de repos.

Rachel me rappelle au moment où nous nous installons au salon pour prendre le café pour me dire qu’elle est arrivée et sera là dans une petite heure. J’informe donc Greg qu’il a la mission de faire revenir ma mère et ma sœur ici après leur visite à Lena pour que je leur présente Rachel. Quitte à ce qu’il séquestre mon père s’il le faut, pour être certain qu’elles reviennent.

J’emmène ensuite Jules dans ma chambre en lui expliquant qu’on va dormir tous les deux un petit moment. Il semble ravi de l’idée et part en courant pour sauter et se rouler sur mon lit.

Je ne sais pas si c’est son contact ou le fait d’être tranquillisé de savoir tout le monde chez moi, mais pour la première fois depuis des jours, je m’assoupis puis m’endors profondément sans rêver ni cauchemarder. Ce sont les petits doigts de Jules dans mes oreilles et son rire qui me réveillent, deux heures plus tard.

Je saute du lit en entendant la voix de Rachel au salon et je prends Jules dans mes bras rapidement avant de la retrouver. Enfin elle est là ! Son visage s’éclaire quand elle me voit arriver.

— Alors cette petite sieste ? me demande-t-elle en se levant du canapé.

— Je crois que je vais garder Jules, j’ai dormi comme un bébé !

— Pas sûr que ta sœur soit d’accord, mais pour un soir ce devrait être possible, dit mon père en riant.

— Je suis désolé. Greg, t’aurais pu me réveiller ! dis-je en le fusillant du regard.

— Tu dormais tellement bien, j’ai pas osé. Et puis on n’a pas eu besoin de toi pour faire les présentations !

— Oui… enfin quand même, dis-je en regardant Rachel au fond des yeux. J’aurais préféré…

Je pose Jules à terre et m’avance pour prendre Rachel dans mes bras pour l’embrasser du bout des lèvres, même si je meurs d’envie de l’étreindre davantage.

Mon père sourit puis baisse les yeux, par pudeur sans doute.

— Papa… je te présente celle qui fait battre mon cœur, dis-je en serrant la main de Rachel.

— Je suis ravi. Vraiment. J’avoue, j’espérais en silence ! répond mon père en riant.

— Il y a longtemps que tu es là ?

— Un petit moment, me dit Rachel avec un sourire taquin.

— Oui, on a eu le temps de parler de beaucoup de choses, continue mon père.

— Tant mieux ! Mon père est très calé en histoire de l’art. Vous avez des points en commun et vous allez bien vous entendre, c’est certain ! Quelqu’un veut boire un thé ? Un café ?

— Je fais du thé ! dit Greg en se dirigeant vers la cuisine, suivi par Jules.

— Mais ? Tout le monde est parti voir Lena ? dis-je en percutant que l’appartement est vide à part nous.

— Oui, ils sont tous sortis. Il faisait beau, alors ils ont décidé d’aller marcher, répond Greg.

— Mais ils savent qu’on ne peut être que deux pour rendre visite à Lena ! C’est pas malin !

— Rachel… dites-moi, maintenant que vous allez avoir votre propre galerie à Paris, vous allez continuer à voyager autant ? demande mon père.

— Oh, tout va dépendre du remplissage, mais j’espère être là le plus possible ! Je suis en train de déléguer la gestion des galeries que j’ai en charge actuellement, d’où mon petit séjour à Milan ces derniers jours. Ce n’est pas simple. La personne pour qui je travaille a un peu de mal à se faire à l’idée que je vais voler de mes propres ailes…

Greg revient avec le thé au moment même où ma mère et les parents de Greg rentrent de leur sortie. Je me lève en prenant Rachel par la main et lui souris.

— Viens, lui dis-je impatient, même si je ne sais pas trop où je mets les pieds.

— Maman, Anne, Pierre, je vous présente Rachel. Rachel, je te présente ma mère Alice et les parents de Greg, Anne et Pierre.

Ma mère semble un peu surprise sur le moment de nous voir main dans la main, mais elle offre son plus joli sourire en saluant Rachel. Elle interroge mon père du regard, mais ce dernier fait mine de n’avoir rien vu. Nous passons ensuite tous dans la véranda alors que le soleil se cache sous un début de brouillard.

Greg sert le thé, toujours escorté par Jules, et c’est au tour de ma mère de questionner ma pauvre chérie qui ne s’attendait sûrement pas à ça en venant me retrouver.

Je ne lâche sa main que pour aider Jules à monter sur mes genoux, mais la reprend aussitôt. Mon petit bonhomme, un tantinet contrarié et jaloux vient s’installer alors entre nous, un nouveau paquet de bonbons dans les mains.

Puis c’est au tour d’Emily et de Victoire de rentrer. Rebelote les présentations. Ma sœur ne paraît pas surprise, et je me dis qu’Emily a dû lui raconter un petit bout de notre histoire en chemin.

Je me sens bien. Pour la première fois depuis quatorze jours, je suis apaisé. Je ne sais pas si c’est le fait d’avoir les gens les plus précieux (à part Len bien sûr et Paul le mari de Victoire qui est à l’étranger) auprès de moi, si c’est le fait d’avoir dormi, ou si c’est simplement celui d’avoir présenté Rachel à mes parents, mais je respire et n’éprouve aucune angoisse.

J’ai croisé plusieurs fois les yeux de Greg qui m’a rassuré d’un clin d’œil, puis ceux grands ouverts de ma sœur visiblement ravie de mon choix, et enfin ceux de mes parents apparemment charmés par ma sirène aux yeux gris, eux aussi.

Rachel quant à elle est juste parfaite d’élégance, spontanée, vive, drôle, curieuse de la vie de chacun, souriante et plus belle que jamais. Je suis tellement fier d’être à ses côtés, je la dévore des yeux et cela n’échappe à personne. Rachel a ce pouvoir inexplicable et singulier de plaire et de s’attirer la sympathie de tous. Je ne suis pas le seul à être fasciné par ce qu’elle dégage. Je le sais, et encore une fois je me dis que j’ai beaucoup de chance de l’avoir rencontrée. Avec elle à mes côtés je sais que demain il fera beau, je me mets à espérer… Je me dis que l’épreuve que je vis aujourd’hui peut devenir un événement fondateur. Il me permettra de rendre ma vie plus dense, plus riche, avec de nouvelles valeurs et me mènera à un essentiel, juste ça. J’ai besoin de Rachel. Elle est ma force et elle seule peut me porter pour le moment.

Oui, je suis bien. Je vis l’instant présent et rien d’autre, la main de Rachel lovée dans la mienne.

Jules est entre nous, blotti contre moi, la bouche et les mains collantes. Il se régale.

Tout le monde est détendu, souriant et je ferme les yeux une seconde pour savourer ce fragment de bonheur.

Je voudrais que Lena soit là et que le temps s’arrête.

Chapitre 3

La nuit tombe sur Paris et l’heure de la séparation arrive. Tout le monde repart sauf mon angoisse qui revient au grand galop, surtout quand Greg m’annonce qu’il passera la soirée avec Emily et qu’il ne rentrera que le lendemain matin.

Les pleurs de Jules n’arrangent rien. Il s’accroche à moi comme à chaque fois qu’il me quitte, et nous devons faire preuve de beaucoup de patience pour qu’il accepte de remettre chaussures et manteau. Je l’accompagne jusqu’au garage et l’installe dans la voiture de Victoire en lui promettant de le revoir très vite. J’ai depuis longtemps une réserve de bricoles que je lui offre en cas de coups durs, et lui remets donc un petit paquet cadeau en l’embrassant. Une nouvelle petite voiture à friction, car je sais qu’il les adore. Ma sœur m’embrasse et me félicite de mon choix pour Rachel.

— Tu vois quand tu veux…

— J’ai rien voulu Vic, ça m’est tombé dessus comme ça !

— Tu sais, je crois que Rachel est une femme pour toi, mais je ne sais pas… prépare-toi à relever tes manches. Ce n’est pas une midinette et tu n’en feras pas ce que tu veux. Enfin, c’est mon avis, dit-elle en levant un sourcil, moqueuse.

— Pourquoi tu me dis ça Vic ?

— Parce que jusqu’à maintenant, j’ai plutôt l’impression que c’est toi qui faisais comme bon te semblait… mais tout ça risque de changer, crois-moi !

— C’est possible. Si je vous l’ai présentée, c’est que… c’est différent avec elle et… enfin, on verra bien, dis-je en souriant.

— Oh, je pense que c’est tout vu ! Allez je me sauve, dit-elle en mettant sa ceinture de sécurité. On se voit dans la semaine ? Paul rentre mardi alors si vous voulez venir dîner à la maison…

— Je te tiens au jus d’accord ?

— OK !

C’est ensuite au tour de Greg de se préparer pour partir et là, ce n’est pas la même histoire.

Juste le voir mettre ses chaussures me met mal à l’aise. J’essaie de relativiser. Il ne va pas bien loin. Le 6e arrondissement n’est qu’à quelques rues et ce n’est pas le bout du monde.

Je devine qu’il appréhende lui aussi sa première nuit ailleurs depuis l’accident, mais il fait bonne figure et plaisante. Je sais que c’est une façade et qu’il fait un véritable effort.

Rachel, je te confie Yohann. Tu vas voir, il est pas compliqué. Je t’ai laissé de l’eau et des croquettes. Il aime pas trop la télévision, mais si tu lui trouves un bon film ça devrait lui plaire. Tu le couches vers vingt-deux heures trente, après son bain. Ah oui, le bain ! Tu mets du produit qui mousse, deux bouchons pas plus, sinon il y en a trop et il a peur de plus retrouver ses pieds. Ha oui, aussi… des fois il a du mal à s’endormir, alors dans ce cas-là tu lui mets un coup de batte de base-ball derrière les oreilles et logiquement ça marche.

— Je vais essayer une autre méthode, je crois ! dit Rachel en riant. La manière douce ça doit fonctionner aussi !

— Mouais, pourquoi pas ! Enfin si t’as besoin, je suis pas loin !

Ses yeux se sont tournés vers moi en disant ces derniers mots et je me demande s’il ne veut pas que je le retienne. Il n’a pas envie de partir, j’en suis certain. Alors pourquoi se force-t-il ?

— Greg, je peux te voir une minute s’il te plaît ? dis-je en partant vers mon bureau.

— Bien-sûr, tu veux ton câlin c’est ça ! répond-il en rigolant.

Nous laissons Rachel et Emily qui se rencardent pour aller voir une exposition sur l’Art informel qui débute cette semaine au Musée d’Art moderne, pendant que Greg me suit.

— Tu sais Greg, t’es pas obligé de partir…

— Je sais.

— Alors pourquoi tu restes pas ? dis-je en lui tournant le dos et en enfonçant mes poings dans les poches de mon pantalon.

— Yo… plus on attend, plus ce sera difficile dit-il en soupirant.

— J’ai pas envie que tu t’en ailles. Ça m’angoisse.

— Je suis dans le même état mon chat, mais Rachel est là et je serai pas seul non plus. Ça va aller.

— Non. Je sens que ça ne va pas aller. J’aimerais que tu restes. C’est trop tôt pour que tu partes, même si c’est avec Emily.

Il se poste à mes côtés sans me regarder, les yeux comme les miens, perdus dans l’obscurité de Paris.

—    Tu sais Yo, me dit-il, si on commence pas par quelque chose on n’y arrivera pas. On peut pas attendre que Lena se réveille. Si ça se trouve, ça va prendre des semaines, des mois…

—    Et si ça se trouve, elle ne se réveillera jamais, dis-je en l’interrompant.

—    C’est pas ce que je voulais dire, Yo. C’est juste que… tu as besoin de nouveaux repères et Rachel est là pour les mettre en place. Vous avez besoin d’être tous les deux pour vous construire ensemble. C’est une chouette fille et l’histoire n’a pas très bien commencé… Alors maintenant faut faire les choses comme il faut. Tu comprends ce que je veux dire ?

— Je comprends que j’ai le bide à l’envers rien qu’à te voir mettre tes pompes et que j’ai pas envie que tu partes. C’est tout, dis-je sèchement.

— Je serai là demain matin de bonne heure, ça te va ?

— Non.

— Je comptais retourner bosser un peu demain, tu veux qu’on y aille ensemble ?

— Greg, s’il te plaît. T’en vas pas. Pas ce soir.

Un court silence s’installe, mais Greg ne réfléchit pas longtemps avant d’accepter ma proposition.

— Bon… je vais emmener Emily au resto et je reviens, OK ?

— Tu vas où ?

— Ici. Je prends pas la voiture, on va rester sur l’île. Ça te va ?

— Vous pouvez dîner ici !

— Yo, t’es relou. Arrête. OK ?

— OK. Je t’attends.

Je me retourne en le voyant partir et le rappelle.

— Greg ?

— Mhhh ?

— Merci.

— Je crois que t’as raison en fait, me dit-il en baissant la voix. Je sais pas si je serais capable de dormir ailleurs. Enfin pour l’instant. Alors c’est moi qui te remercie…

— File, allez.

Les filles sont en pleine discussion sur le symbolisme dans l’art des pays baltes et ne s’aperçoivent même pas qu’on est de retour. Il faut que Greg se racle la gorge pour qu’elles daignent mettre fin à leur passionnante conversation.

J’embrasse Emily et serre Greg contre moi comme si je n’allais jamais le revoir, puis la porte se referme derrière eux.

Me voilà seul avec Rachel qui me sourit tendrement, en passant ses bras autour de mon cou.

— Et bien… je ne m’attendais pas à rencontrer tes parents et ta sœur aujourd’hui ! J’espère avoir été à la hauteur ? m’interroge-t-elle en levant les sourcils.

— Tu as été toi et tu as été parfaite. Je pense qu’ils sont tous sous le charme. Tu les as envoûtés, dis-je en souriant. Je suis désolé. C’était trop tôt ?

— C’est ce que tu penses ? me demande-t-elle.

— Non, j’ai eu envie de le faire c’est tout. Ils étaient tous là et je me suis dit que de toute manière, tôt ou tard je le ferai, alors voilà. Mais j’aurais dû t’en parler avant. Ce n’est pas correct ce que j’ai fait.

— Mais ne t’en fais pas pour ça mon cœur. J’ai apprécié les rencontrer, tu as une famille formidable ! Ils sont adorables. Et puis, ce n’est pas parce que je rencontre tes parents et ta sœur qu’on parle de mariage ! dit-elle en riant.

— Oui, c’est vrai.

— Embrasse-moi, j’en meurs d’envie depuis des heures !! dit-elle en tendant son visage vers le mien.

Je me dis en posant mes lèvres sur les siennes que je vais remettre à plus tard, mon idée de la demander en mariage et mon désir de lui faire un enfant. La rencontre avec mes parents est peut-être suffisante pour aujourd’hui. Cela dit, je n’aime pas les mots que je viens d’entendre et je compte bien aborder le sujet rapidement.

— Tu as faim ? me demande-t-elle.

— Non, pour l’instant ça va. Et toi ?

— Oui, mais pas de nourriture, me dit-elle en déboutonnant ma chemise avec un sourire qui en dit long.

Je plonge dans ses yeux en lui enserrant les mains puis la soulève du sol, et la porte jusque dans ma chambre. Nous basculons sur le lit et nos corps se retrouvent comme s’ils s’étaient perdus depuis des semaines. Je me sens prêt à lui dire que je l’aime. Mes mots sont sur mes lèvres et plusieurs fois alors que je lui fais l’amour le plus tendrement possible, j’ai envie de les laisser s’échapper, mais je me retiens encore. J’aimerais que ce soit elle qui me les dise, j’aimerais qu’elle ne lutte pas et qu’elle s’abandonne toute entière à moi. Alors je viens enfouir mon visage près de son oreille et doucement lui murmure :

— Rachel… dis-le-moi.

Mais elle ne répond pas. Alors je répète une fois, puis deux. Mais rien. Je relève les yeux vers elle et m’immobilise en prenant son visage dans mes mains.

— Rachel, dis-le-moi s’il te plaît.

Je sens son cœur battre la chamade aussi fort que le mien et vois ses yeux briller malgré la pénombre.

— Yohann… je ne suis pas certaine de savoir ce que tu veux m’entendre te dire…

— Dis-le. S’il te plaît.

— Il n’y a qu’une chose que je voudrais te dire, mais tu le sais déjà…

— Non je ne sais pas, je ne sais rien…

Elle soulève alors légèrement sa tête pour venir m’embrasser et me souffle à voix basse,

— Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime…

Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans ma tête à ce moment-là. Je ne me l’explique toujours pas. C’est comme si mon cerveau avait implosé et sans que je m’y attende, tout mon corps s’est mis à trembler. Je l’ai embrassé à pleine bouche et j’ai joui en m’enfonçant dans son corps. Une fraction de seconde a suffi pour que je perde tout contrôle. Ces mots que j’attendais ont résonné encore et encore, libérant je ne sais quelle hormone, mais sans aucun doute en lien avec celle du plaisir, une décharge d’endorphine monumentale. J’ai senti mes yeux me brûler, envahis par une vague de larmes et je me suis de nouveau caché dans son cou pour les laisser couler.

— Oh Rachel… si tu savais… si tu savais…

— Dis-moi !

— Mais si tu savais comme je t’aime… comme je suis fou de toi ! Je t’aime ! JE T’AIME !

Je l’ai fait basculer sur moi, j’ai retenu ses cheveux pour voir son visage et je l’ai laissé m’embrasser. C’était donc bien le moment. Enfin je respirais ! Enfin les mots étaient dits ! Enfin ils étaient sortis de nos bouches et flottaient dans l’air comme un parfum délicieux !

Nous avons refait l’amour et j’ai su que quelque chose avait évolué entre nous. Ces trois petits mots venaient de nous faire basculer dans la dimension que j’espérais.

— On va le prendre ce bain avec de la mousse ? me demande Rachel alors que je me remets doucement de mes émotions.

— Si tu veux… Tout ce que tu veux du moment que je suis avec toi, dis-je en m’asseyant alors qu’elle est encore à califourchon sur moi.

Cette position me permet de la serrer dans mes bras et d’enfouir mon visage contre son ventre, sous ses seins. Je l’embrasse et la respire en fermant les yeux comme si chaque inspiration était un souffle de vie. Elle se laisse tomber en arrière sur le lit et je passe mes mains sur son ventre plat, la caressant lentement en imaginant que je pourrais y mettre la vie. Je mords ma lèvre et cette fois retiens mes mots. Je ne peux pas lui demander ça maintenant. Cette fois c’est certain, ce serait trop. Mais une idée me traverse l’esprit…

— Mon cœur, je peux te poser une question ?

— Oui, dit-elle en se redressant sur les coudes.

— On n’en a jamais parlé, mais… tu prends une pilule contraceptive ?

— Non. Je me suis fait poser un implant, là… tu vois ? me dit-elle en me montrant l’intérieur de son bras gauche.

— Oh… ça fait mal ce genre de chose ?

— Non, pas du tout et c’est très pratique ! Je ne suis pas gênée périodiquement et je n’ai surtout pas à penser à prendre la pilule tous les jours !

— Mais… tu l’enlèves comment ?

— Pourquoi voudrais-tu que je l’enlève ? dit-elle en riant. Je ne veux pas m’embêter avec une pilule, tu sais avec les décalages horaires quand on voyage, c’est vraiment un gros casse-tête !

— Oui, mais… si tu veux l’enlever quand même, tu fais comment ?

— Je le change tous les trois ans, c’est facile à retirer et à remplacer. Mon médecin fait juste une petite incision, le récupère avec une pince et hop le tour est joué !

— Et celui-ci, tu l’as depuis combien de temps ?

— Je ne sais plus, un peu plus de deux ans je crois… mais, pourquoi tu me demandes ça ? me dit-elle d’un ton sérieux.

— Comme ça… pour savoir, c’est tout, dis-je en souriant et en l’attirant vers moi. On va prendre ce bain ?

— Oh oui ! J’en rêve !

Dix minutes plus tard, nous sommes tous les deux lovés dans la baignoire, entourés de bougies et bercés par une musique tranquille. Je joue avec la mousse et caresse le corps de Rachel en me disant que jamais je ne pourrai me lasser ou me passer d’elle.

Je me souviens de mes premières nuits avec elle où je me disais que je voulais créer un manque, pour qu’on se réclame et qu’on soit impatients de se retrouver… Quel idiot ! Je regrette ces heures perdues et même chaque minute passée loin d’elle. Je ne veux plus qu’elle s’en aille, je ne le supporterais pas. Je la veux à moi, rien qu’à moi.

— Tu as prévu quoi demain ? Il faudrait avancer dans l’achat de ta galerie. Je n’ai pas eu la tête à m’en occuper ces derniers jours, mais Greg et moi avons décidé de nous remettre sérieusement au travail cette semaine.

— Demain, je vais chez le coiffeur ! me répond-elle en se tournant vers moi puisqu’elle a son dos contre mon torse.

— Bien ! Effectivement tu en as besoin ! dis-je, moqueur.

— Quoi ? Tu me trouves affreuse, je le savais !

— Mais non mon am… our ! dis-je en écrasant mes lèvres sur les siennes avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit.

Nos yeux restent ouverts alors que je l’embrasse et je me dis qu’elle ne peut pas douter de mon amour pour elle. C’est un fait, mais je pense aussi que je vais trop vite et qu’elle risque de prendre peur avec mon déballage de mots tendres et engageants.

— Mon amour ? dit-elle doucement, je prends du grade on dirait !

— Ne te moque pas, vilaine !

— Je ne me moque pas, j’aime bien, sourit-elle timidement.

— Rachel, dis-je en l’attirant de nouveau vers moi, je t’aime et oui… oui tu es mon amour.

— Et bien… je ne sais pas si c’est à cause de ces trois jours passés loin de toi, mais je veux bien repartir plus souvent si tu m’offres des sentiments comme ça à chaque retour !

Je la regarde en plissant les yeux et en souriant, puis je tourne la tête en mordant ma lèvre pour m’empêcher de parler. Je me revois dans mon bureau quand nous nous sommes rencontrés la première fois. C’est elle qui a mené la danse comme dirait Greg. Je pensais la faire parler et elle a inversé la machine. Tout comme elle m’a eu lors des visites des locaux, le jour où je pensais l’avoir battue à plates coutures dans sa partie de chat qui court après la souris… Non, c’est la souris qui a attrapé le chat ! Rachel m’a ensorcelé, Rachel me possède, Rachel fait ce qu’elle veut de moi et je me laisse embarquer pour Cythère sans résistance aucune.

Cette fois encore elle me cherche, elle me pousse à parler. Je sais ce qu’elle attend et je vais lui offrir sur un plateau d’argent, parce que je ne peux pas me taire et refuser la perche qu’elle me tend si adroitement.

— Puisque tu en parles, dis-je en la regardant de nouveau, je sais que tu dois encore t’occuper des galeries de Browman, mais… je voudrais que tu arrêtes.

— Que j’arrête ? répète-t-elle en éclatant de rire.

— Oui, je ne veux plus que tu partes loin de moi.

— Mais Yohann, c’est impossible ! Je ne peux pas lâcher Matthew comme ça ! Il est déjà perdu depuis que je lui ai annoncé que je ne m’occuperai plus de Milan, Rome et Bruxelles !

— Tu auras sans doute beaucoup à faire ici avec ta propre galerie et si en plus tu gères les autres… Quand va-t-on se voir ?

— Mais mon cœur, ne t’en fais pas pour ça… Mon travail me prend du temps, c’est vrai, mais tu es maintenant… ma priorité ? Oui, c’est ça ! Ma priorité ! dit-elle en s’allongeant sur moi et en m’embrassant.

Je reste stupéfait par ses paroles. Je me triture l’esprit pour savoir comment je vais réussir à aligner deux pauvres mots depuis des heures et… et elle… Mais comment fait-elle pour réussir à me bouleverser de cette façon ? Comment parvient-elle à dire des mots aussi puissants et aussi vrais comme ça, aussi simplement ?

— Alors… je suis ta priorité maintenant ? dis-je en souriant comme un idiot.

— Oui et ça te va plutôt pas mal ! Mais je vais quand même devoir partir de temps en temps, c’est indispensable. Tu comprends ?

— Non. Non je ne veux pas, dis-je en secouant la tête. Ces trois derniers jours ont été terribles, tu m’as trop manquée. Je ne veux plus que tu partes.

— Pour moi aussi ça a été très long mon chéri et je vais m’arranger pour partir moins longtemps, je te prom… Oh pardon, je ne voulais pas ! Je suis désolée mon cœur, vraiment je n’ai pas voulu dit-elle en m’embrassant sur tout le visage.

— Rachel, arrête ! Ce n’est pas grave, dis-je en prenant sa tête entre mes mains. Tu sais, je ne pourrai jamais éviter d’entendre ces mots, ni même la chanson. Un jour où l’autre j’y serai confronté. Je ne t’en veux pas. Et même, je veux bien t’entendre me promettre que tu partiras moins et moins longtemps. Tu vois, j’en suis capable.

— Oui, mais je ne voulais pas, je t’assure… dit-elle l’air vraiment désolé.

— Je n’ai rien entendu. Sauf que tu m’as appelé mon chéri, dis-je en l’embrassant de nouveau.

— Tu te moques encore de moi !

— Rachel… comme je t’aime, si tu savais comme je t’aime…

Et encore une fois nous nous laissons emporter dans un corps à corps sensuel et tendre. Je m’abandonne sans ne penser à rien d’autre qu’à la douceur qui m’enveloppe et à laquelle je ne peux ni ne veux me soustraire, tellement elle me fait du bien.

Près de Rachel, mes tensions se relâchent. Elle a ce quelque chose que je ne sais nommer et encore moins expliquer. Ce quelque chose qui me manque tant quand elle s’éloigne de moi. Quand elle n’est pas là, je ressens un vide immense, un trou béant qu’elle seule réussit à combler juste par sa présence. Elle a ce don de m’apporter une plénitude qui me rend léger et me transporte. Même la nuit elle m’apaise, j’ai cette sensation que mon inconscient est connecté au sien et que mon esprit se soulage, se libère indubitablement.

J’ai besoin d’elle dans ma survie actuelle. C’est elle qui me tire vers le haut, elle est ma raison d’être aujourd’hui. Sans Rachel je n’aurais pas la force de tenir le coup, je ne serais pas capable d’endurer le stress dans lequel nous trempons Greg et moi, depuis l’accident de Lena.

Je suis en colère contre moi-même et j’en veux à la vie de nous faire subir tout ça, mais quand je tiens Rachel dans mes bras, je me dis que Greg a raison, que les choses n’arrivent pas par hasard. Alors je la remercie, cette vie. Et je prie en silence pour qu’on se sorte de là, pour que Len vive et qu’à nouveau il fasse beau dans nos existences.

Mais j’ai mal et j’ai peur. Tout le temps.

Chapitre 4

— Rachel ? Rachel ?

Ne la sentant pas à mes côtés je m’assois brusquement dans mon lit. Je transpire et je sais que je viens de faire un cauchemar même si les images m’échappent. Ma respiration est rapide, mon cœur tape fort dans ma poitrine et ma tête me fait un mal de chien. J’ai l’impression de flotter dans un nuage de coton. Au loin une alarme retentit, c’est sans doute ça qui m’a réveillé.

Je me lève rapidement et passe par le dressing pour atteindre la salle de bain.

— Rachel ? Tu es là ?