Juste un instant - Sébastien Martin - E-Book

Juste un instant E-Book

Sébastien Martin

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Beschreibung

Une grue, trois personnages, une rencontre à la limite du drame, de l'absurde et du loufoque. Drôle et terriblement humain.

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Sommaire

Acte I, Scène 1

Acte I, scène 2

Acte I, Scène 3

Acte I, Scène 4

Acte I, Scène 5

Acte I, Scène 6

Acte I, Scène 7

Acte I, Scène 8

Acte II, Scène 1

Acte II, Scène 2

Acte II, Scène 3

Indications préliminaires

Trois personnages : Arthur, Baptiste et Roman. Ce dernier est à la fois plus âgé et plus marqué par la vie.

Entre les scènes, le noir est soutenu quelques instants, signifiant le déroulement d’un temps indéterminé.

Sur scène, un élément de structure représentant la flèche horizontale de la grue est indispensable, le reste pouvant n’être qu’évoqué.

Ci-dessus : croquis d’une grue, avec sa flèche horizontale, sa cabine, sa tour et son échelle.

Acte I, Scène 1

Nuit noire. Obscurité totale sur scène. On ne le voit pas, mais Arthur est déjà installé sur la flèche horizontale de la grue. Durant toute la scène, Baptiste l’interpelle des coulisses. On comprendra plus tard qu’il a grimpé sur un bâtiment à proximité, ce qui fait qu’ils peuvent converser en parlant fort, mais sans avoir à crier.

Baptiste Vous êtes sûr de vous ?

Arthur Oui !

Baptiste Sûr ?

Arthur Oui !

Baptiste Sûr, vraiment ? Sûr et certain ?

Arthur Oui ! Oui, oui, oui, oui ! Oui ! Mais je vous en supplie, vous, s’il vous plaît, allez-vous-en, taisez-vous ! S’il vous plaît ! Laissez-moi tranquille, laissez-moi... un instant, juste un instant ! Cet instant-là, là, maintenant. C’est trop demander ça, déjà ? Un instant de calme, juste un instant, s’il vous plaît, s’il vous plaît, laissez-moi tranquille, laissez-moi ! J’étais bien, là...

Silence.

Baptiste Bon. Tant mieux, ceci dit. Tant mieux pour vous. Vaut mieux ça. Parce que vous savez que c’est irrémédiable ?

Arthur Oh, non !

Baptiste Ah ben si ! Bien sûr que c’est irrémédiable, vous n’y avez pas pensé ? C’est dingue ça, ben mon gars vous pensez à quoi, faut pas faire des trucs comme ça, là, c’est dangereux, et c’est irrémédiable, faut pas faire des trucs comme ça, hein !

Arthur Oh non ! S’il vous plaît, taisez-vous ! Laissez-moi tranquille ! Arrêtez de me parler, pourquoi vous me parlez comme ça depuis tout à l’heure ? Qu’est-ce que je vous ai fait ?

Baptiste Ah ben oui, mais parce que si vous faites ça, après vous ne pourrez plus revenir en arrière, hein ! Vous ne pourrez plus dire : « euh, ben en fait, non je suis désolé, je me suis trompé... euh... je voulais pas faire ça, moi...»

Arthur S’il vous plaît, juste un instant, je vous dis. C’est rien, un instant ! Un instant, c’est un tout petit moment, ridicule, tout petit, un tout petit moment de silence, un tout petit moment sans vous, sans rien ni personne, rien, please, oh please !

Baptiste « …non, non, non, je voulais pas faire ça moi, j’ai sauté d’accord, mais en fait, je voulais pas sauter, je me suis trompé, alors on rembobine, hein, et hop, je ne saute plus...»

Arthur S’il vous plaît, s’il vous plaît... Laissez-moi tranquille, vous ne pourriez pas faire ça, juste un peu, vous vous écartez, vous repartez ?

Baptiste Eh ben non, c’est pas possible, mon gars, évidemment que non, on peut pas revenir en arrière, bien sûr que non, si vous sautez, vous sautez. On pourra plus recoller les morceaux, c’est pas possible. Faut y penser maintenant ! Allez, hop ! (se reprenant) Heu, je veux dire, faut pas sauter, hein ! Allez hop, faut se ressaisir ! Vous m’entendez, faut pas sauter !

Arthur C’est vous qui ne m’entendez pas ! Je ne vais pas sauter, c’est promis, ça fait dix fois que je vous le dis ! Alors, vous pouvez partir !

Baptiste Allez, allez, vous allez descendre, et puis je vais vous raccompagner chez vous. Il y a bien quelqu’un qui vous attend, hein, forcément ! C’était une mauvaise idée, un mauvais rêve, un cauchemar, ce que vous voulez. Ça peut arriver à tout le monde, vous allez voir, demain, vous allez prendre un bon petit chocolat, et hop, tout ça ne sera plus qu’un mauvais souvenir.

Arthur Mais non, le cauchemar, c’est vous, là, là, maintenant !

Baptiste Ah ! Attendez, attendez, bonne nouvelle, j’ai une idée ! J’ai cru voir les disjoncteurs tout à l’heure, on va mieux y voir. Attendez, je descends et je m’en occupe.

Un court moment, puis on entend Baptiste crier de plus loin.

Baptiste Et voilà !

Une lumière crue, comme un flash, éclaire la scène un court instant. On découvre alors le haut de la grue : le haut de la tour et de son échelle, la cabine de commande, et une partie de la flèche horizontale. Arthur est debout quelque part sur la flèche. Baptiste, au sol, est encore trop bas pour être visible sur scène.

Baptiste Non, pas celle-là, attendez !

Puis une autre lumière, toujours comme un flash. Mais elle est différente dans sa teinte et dans sa direction.

Baptiste Non pas celle-là. Ah celle-là !

Une autre lumière, encore, offrant un troisième point de vue sur cette scène, à la fois semblable et différent.

Clac ! L’obscurité revient.

Arthur Mais qu’est-ce que vous foutez ?

Baptiste Je ne sais pas. Sûrement les plombs.

Arthur Bravo ! Vous voyez, ne touchez à rien ! N’intervenez pas !

Baptiste Ah, attendez ! Si, il y a autre chose, là, on va voir...

Nouvel éclairage provenant cette fois de la tour et de la flèche, moins cru, laissant plus de place à la douceur, à l’ambiguïté et à la pénombre.

Baptiste Voilà, c’est mieux ! Attendez-moi, je remonte !

Un court moment, puis on entend Baptiste qui est revenu à sa position antérieure, posté sur un bâtiment que l’on imagine à proximité de la grue, bien qu’il ne soit pas visible sur scène.

Baptiste(essoufflé) C’est quand même mieux avec le balisage. Je ne sais pas pourquoi ils ne l’avaient pas allumé, c’est une faute, ça, c’est obligatoire d’allumer le balisage. Parce que sinon, il peut y avoir des accidents, c’est dangereux ça aussi ! Ouf ! Ça m’a fait mon sport, là, c’est haut, ce bâtiment ! C’est pratique pour vous parler, mais c’est haut !

Silence.

Baptiste Oh, ça va là-haut ? Vous êtes toujours là ? C’est pas vrai, c’est pas vrai qu’il a sauté ?

Arthur Je suis là.

Baptiste Ah !

Arthur Qu’est-ce que vous allez faire ?

Baptiste Je vais vous aider !

Arthur Je ne veux pas de votre aide.

Baptiste Ah ben oui, mais là, faut l’accepter.

Arthur Je n’en veux pas. Pourquoi faudrait-il que je l’accepte ?

Baptiste Je ne sais pas, moi. Parce que... parce que c’est vous, parce que c’est moi ?

Arthur Quoi ?

Baptiste Parce que c’est vous, vous êtes perché, et parce que c’est moi, je passe par là. Et puis parce que vous êtes un peu en difficulté, tout de même. Vous êtes en souffrance, comme on dit. Vous n’allez pas bien. Y a quelque chose qui tourne pas rond, hein !

Arthur Pardon ?

Baptiste Attention, hein, j’ai pas dit que vous étiez fou, je n’en sais rien moi, je ne vous connais pas. Je dis juste qu’il y a certainement quelque chose qui ne tourne pas rond, pour en arriver là. Allez, peu importe, oubliez, venez, venez, descendez, on va en parler.

Arthur Je ne veux pas parler. Et surtout pas avec vous.

Baptiste Mais vous n’allez pas rester là-haut cent sept ans quand même, faut bien descendre !

Arthur Ah oui, ça c’était prévu ! Je prends mon temps, et après je vais descendre, c’est promis. Mais d’abord vous partez !

Baptiste Non, non, non, mais pas comme ça, justement ! Il ne faut pas sauter, hein ! Vous allez désescalader normalement, par la tour, et si vous avez le vertige, ne vous en faites pas, j’ai une corde avec moi, je vous sécuriserai.

Arthur Je ne veux pas de votre sécurité. Vous ne me sécurisez pas du tout, vous me faites flipper. Laissez-moi tranquille ! J’ai besoin de calme, de silence !

Baptiste C’est que je ne peux pas vous laisser comme ça, moi.

Arthur Et pourquoi pas ?

Baptiste Parce que je vous ai vu. Et si je vous ai vu, il faut que je vous aide.

Arthur Mais non, vous vous trompez, je vous dis !

Baptiste Si, si, bien sûr que si ! Il faut que je vous aide. D’abord parce que c’est naturel. Et puis parce que la loi est ainsi faite. Il y a non-assistance à personne en danger. Alors, je vais vous aider.

Arthur Mais non, voyons, je vous assure ! Personne ne vous demande rien. Vous ne pouvez rien pour moi. Je ne suis pas en danger. Alors, vous rentrez chez vous, vous le buvez, votre chocolat, vous vous endormez et puis plus rien.

Baptiste Plus rien ?

Arthur Oui, plus rien ! Et puis, basta, quoi, on passe à autre chose !

Baptiste Ah non, jamais !

Arthur Vous m’épuisez. Déjà, je sens mon énergie se vider. J’ai besoin d’être seul, laissez-moi !

Baptiste Si vous n’arrivez pas à descendre, je viens vous retrouver, je vais vous aider, vous allez voir.

Arthur Je ne veux pas de votre aide, je ne veux pas de vous.

Baptiste Vous allez voir, vous serez bien, une fois sur le plancher des vaches. Allez, vous devez avoir le vertige, j’imagine, l’ivresse, euh, des hauteurs, disons, vous ne savez plus exactement où vous en êtes.

Arthur Je sais exactement où j’en suis ! Jamais de ma vie, je n’ai été aussi clair avec moi-même. Tout est limpide au contraire ! Cristal clair, comme ils disent. Un vrai diamant.

Baptiste Vous allez voir, le plancher des vaches tout ça, ça va vous faire du bien. Le sol. Le sol ! Plat. Quelque chose de stable. Ça ne tangue pas, là, en bas. Tout est stable. Stable. Stable.

Arthur Arrêtez de me parler. Ça colle, ça poisse, vos mots. Même les miens, je ne voudrais pas les dire, mais vous m’obligez. Beurk ! J’ai l’impression d’être une mouche prise les pieds dans un pot de miel. Tout était clair avant vous !

Baptiste Mais je vous veux du bien, moi !

Arthur Précisément, il m’étouffe votre bien, il me gave, je n’en veux pas, je veux de la pureté. De la beauté. Du silence. Pas de mots. Pas de miel. Pas de vous ! C’est clair ? Je voulais faire du cristal, moi, je me retrouve avec de l’ambre. Voilà ! de l’ambre. Avec une mouche prise à l’intérieur. Engluée pour des millions d’années à l’intérieur de vos mots, de votre bonne volonté, de votre bienveillance, je ne sais pas comment dire, beurk ! Voilà ce que j’ai à vous dire : beurk !

Baptiste Suffit, je vais monter ! J’arrive !

Arthur Oh non !!

Acte I, scène 2

Arthur et Baptiste sont maintenant tous deux installés sur la flèche de la grue, et ils resteront dans cette configuration jusqu’à la scène 6 incluse. Ils sont tour à tour assis, debout, au gré des échanges. Baptiste est équipé d’un baudrier, d’une corde de montagne et d’un sac à dos.

Silence.

Baptiste Vous avez vu que je me suis tu ? Je me suis tu, oh... un bon moment. Je ne sais pas combien de temps ça a duré. Mais, bien... euh... un bon moment en tout cas. Ouaip. Je sais me taire, moi aussi. Allez, je me tais. Je me tais. Je ne dis rien. Je me tais, et vous remarquerez que ça n’avance pas plus, hein ? Alors, je parle. Non, je rigole, allez, je me tais, promis. Je ne vous dérange plus, hein !

Silence.

Arthur Arrêtez avec vos « hein » !

Baptiste Hein ?

Arthur Arrêtez avec vos « hein » ! Vous n’arrêtez pas de me parler depuis tout à l’heure, et vous dites « hein » tout le temps ! C’est insupportable ! C’est comme les gens qui vous tapotent le bras ou le devant de l’épaule à chaque phrase : « Hein ? T’es d’accord ? Hein, hein, t’es là ? » Oh là, c’est insupportable ! Insupportable ! Alors, vous arrêtez, hein !

Baptiste Ben, vous avez dit « hein » !

Arthur