La Niania - Henry Gréville - E-Book

La Niania E-Book

Henry Gréville

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Beschreibung

Henry Gréville, pseudonyme de Alice Marie Céleste Durand née Fleury (1842-1902), a publié de nombreux romans, des nouvelles, des pièces, de la poésie ; elle a été à son époque un écrivain à succès. Fille de Jean Fleury, écrivain haguais et professeur à Paris, elle l’accompagne en Russie quand il devient lecteur en littérature française à l’Université impériale de Saint-Pétersbourg. Elle y étudie les langues et les sciences avant d’y épouser en 1857, Émile Durand, professeur de droit français et amateur d’art. Elle commence à écrire dans le Journal de Saint-Pétersbourg, puis, de retour en France, en 1872, elle prend le nom de plume d’Henry Gréville, en référence au village de ses parents. Elle écrit des romans sur la société russe et publie dans la Revue des Deux Mondes, le Figaro, la Nouvelle revue, le Journal des débats, le Temps… Auteur prolifique, s’essayant au théâtre comme aux nouvelles, à la poésie comme au roman, elle a été à son époque, un écrivain à succès. Son manuel pour l’Instruction morale et civique pour les jeunes filles a été réédité 28 fois entre 1882 et 1891. Elle est morte, emportée par une congestion alors qu’elle suivait une cure à Boulogne-sur-mer.

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La Niania

Henry Gréville

I

Antonine Karzof venait d’avoir dix-neuf ans ; les violons du bal donné à l’occasion de cet anniversaire résonnaient encore aux oreilles des parents et amis ; la toilette blanche, ornée des traditionnels boutons de rose, n’avait pas eu le temps de se faner, et cependant mademoiselle Karzof était en proie au plus cruel souci. Les rayons d’un pâle soleil de printemps éclairaient de leur mieux le salon vaste et un peu sombre où l’on avait tant dansé huit jours auparavant ; le piano ouvert portait une partition à quatre mains qui témoignait d’une récente visite, – mais Antonine ne pensait ni au soleil, ni à la musique ; elle attendait quelqu’un, et ce quelqu’un ne venait pas.

Vingt fois elle alla de la fenêtre à la porte de l’antichambre, puis revint à la fenêtre, retourna de là dans sa jolie chambrette qui ouvrait dans le salon, redressa une branche de ses arbustes, refit un pli au rideau... Tout cela ne perdait pas cinq minutes, et le temps passait avec une lenteur impitoyable.

– Ma mère est-elle rentrée ? dit Antonine à une vieille servante qui apparut dans la porte de la salle à manger contiguë.

– Non, pas encore, mon ange chéri, répondit la vieille.

Antonine se jeta dans un fauteuil avec un geste d’impatience, et serra l’une contre l’autre ses deux mains fluettes, exquises de forme et toutes roses encore.

– Elle ne tardera pas, mon trésor, reprit la vieille. Pourquoi es-tu si impatiente aujourd’hui ?

– Ce n’est pas de voir rentrer maman, que je suis impatiente, murmura Antonine.

La vieille bonne poussa un soupir, et disparut sans bruit. Personne ne l’entendait jamais marcher.

Antonine, les yeux fixés sur la trace lumineuse d’un rayon de soleil qui cheminait lentement sur le parquet, se mit à réfléchir profondément au passé. Ses souvenirs remontaient à deux années en arrière. C’était à la maison de campagne de ses parents qu’elle avait commencé alors à trouver à la vie un charme nouveau et indescriptible. Pendant la saison des vacances, son frère, étudiant de l’Université de Saint-Pétersbourg, avait amené deux de ses amis pour préparer, de concert, leurs thèses d’examen.

Pourquoi l’un de ces jeunes gens était-il resté aussi indifférent à Antonine que l’herbe du gazon sur lequel ils causaient ensemble le soir ? Pourquoi les attentions de celui-là lui étaient-elles plutôt désagréables ? Et pourquoi l’autre, celui qui ne parlait presque pas, était-il devenu l’objet de ses pensées secrètes ? La théorie des atomes crochus l’expliquerait sans doute.

Dournof ne regardait guère Antonine, lui parlait à peine, ne lui faisait jamais de compliments, et s’inquiétait peu de ses actions en apparence : c’était un garçon de vingt-deux ans alors, robuste et brun, dont l’extérieur manquait absolument de poésie : on entend par poésie le romantisme sentimental qui a fait écrire tant de livres absurdes, et commettre tant d’actions ridicules. Mais la personne de Dournof respirait l’indépendance de la volonté, l’honnêteté, la loyauté la plus parfaite ; il riait volontiers, montrant librement ses belles dents, trop larges pour l’œil d’un dentiste, mais saines et blanches ; il était jeune, alerte, ne connaissait aucun obstacle, et la liberté a sa poésie propre.

Dournof ne regardait donc pas Antonine ; dans les réunions fréquentes à la campagne où l’on danse à toute heure du jour, dans les parties de jeux innocents, il se trouvait cependant à côté d’elle presque à coup sûr. Personne n’en pouvait prendre ombrage ; ils ne se disaient pas deux mots en toute la journée. Cependant quand Dournof avait terminé la lecture d’un livre, il était rare qu’on ne vit pas le volume passer dans les mains d’Antonine. Mais là encore il n’y avait rien d’étonnant.

Madame Karzof, qui n’était pas née pour les grandes entreprises, avait pourtant suivi l’exemple général, devenu une mode dans les derniers temps, et elle avait établi une école libre dans le village. Antonine, comme de raison, s’était chargée des filles, Jean Karzof, son frère, avait voulu prendre soin des garçons ; mais Jean était un rêveur ; il oubliait l’école pour aller rôder dans les bois, avec son autre camarade, Maroutine, portant sur l’épaule un fusil avec lequel il tuait bien peu de gibier..., et Dournof prit l’habitude de le remplacer à l’école ; c’était pour la régularité, disait-il.

Antonine et lui s’en allaient donc côte à côte, sans se donner le bras ; ils entraient chacun dans la cabane de leur classe, et le plus souvent revenaient ensemble. L’été s’écoula ainsi. Ils se parlaient toujours très peu, mais un peu plus que dans les commencements. Les vacances de l’Université tiraient à leur fin, cependant, et les feuilles des tilleuls commençaient déjà à tomber sur le gazon ; Antonine, toujours sérieuse, avait un peu maigri ; ses joues étaient moins roses qu’au printemps ; parfois elle se retirait de bonne heure, sans prétexte plausible. Si sa mère inquiète la suivait alors dans sa chambre, elle la trouvait assise dans un grand fauteuil, les bras pendants, sans autre mal qu’un peu de fatigue.

Un jour qu’Antonine sortait de la maison d’école un peu plus tard que de coutume, elle vit que Dournof l’avait attendue. Assis sur les quelques marches de bois du petit perron, il regardait la route en sifflotant. Au bruit que fit la porte en retombant, il se leva, et Antonine reçut en plein visage un regard si profond, si plein de choses, qu’elle baissa les yeux.

Ils marchaient tous deux, et se dirigeaient vers la maison, lorsque Dournof, s’arrêtant brusquement, dit à Antonine :

– J’ai à vous parler.

Ils s’arrêtèrent près du puits. Ce puits, dont la margelle était haute de trois pieds environ, était construit avec de grosses poutres de sapin à peine équarries, enchevêtrées les unes dans les autres ; l’eau venait presque à fleur de terre, et un seau de bois noirci par un long usage y flottait au milieu des feuilles jaunies des bouleaux que les vents d’automne y jetaient par tourbillons. La perche à contrepoids qui sert à relever le seau se perdait dans les branches basses des arbres, la haie du jardin haute et drue faisait un fond de verdure de cette construction rustique ; l’herbe poussait là plus épaisse que partout ailleurs. À cette heure, personne ne venait au puits : à dix mètres des maisons, l’endroit était aussi solitaire que le fond d’un bois.

Antonine sentait battre son cœur, et craignait que Dournof n’en entendit les battements, tant ils lui semblaient terribles. Il resta un moment devant elle, la regardant, cette fois, de tous ses yeux.

– Vous êtes une demoiselle riche, commença-t-il.

– Je ne suis pas riche, interrompit vivement Antonine.

– Vous n’êtes peut-être pas riche pour votre monde, mais vous êtes riche en comparaison d’un petit fils de prêtre, qui n’a aucune fortune. Votre famille est de bonne noblesse.

Antonine allait parler, il fit un geste, elle se tut.

– Je suis de naissance obscure, puisque, je viens de vous le dire, mon grand-père était prêtre. Mon père était un pauvre gratte-papier dans une administration de province ; il a acquis la noblesse héréditaire par ancienneté, et voilà pourquoi je puis mettre une couronne sur mon cachet...

Il souriait avec une certaine expression qui fit aussi sourire Antonine.

– Cela n’empêche pas que...

Il se tut et regarda Antonine qui, loin de détourner les yeux, leva sur lui son visage empourpré. Dournof alors étendit sa large main, élégante de forme, mais grande et lourde ; la jeune fille y mit la sienne, sans hésiter, mais avec une gravité recueillie.

– Je crois, reprit Dournof, que nous suivons le même chemin tous les deux ; j’ai idée de faire quelque chose... Je ne sais pas encore ce que je ferai, mais je crois bien que ce sera une œuvre utile : voulez-vous m’aider ? Non pas lorsque les chemins seront frayés et que la route sera facile, mais pendant les années de découragement et d’épreuve ; lorsque je serai accablé de railleries, pendant que je suis pauvre et obscur, pendant que personne n’a foi en moi, excepté votre frère, qui a en moi une confiance absolue. Voulez-vous me donner du courage quand j’en manquerai, et de la joie toujours ?

La main qui tenait celle d’Antonine tremblait un peu, malgré l’effort visible de Dournof pour paraître calme. Antonine regarda le jeune homme et répondit :

– Je le veux.

– Pensez-y bien, reprit-il avec émotion contenue dans la voix, je ne puis vous offrir à présent ni un toit, ni du pain... Je ne puis vous demander à ceux de qui vous dépendez que lorsque je me serai assuré de quoi vivre.

– Vous disiez tout à l’heure, interrompit Antonine, que j’ai quelque fortune...

– Précisément assez pour que je ne puisse prétendre à vous que si je vous apporte l’équivalent de ce que vous possédez. Que vous donnera-t-on en dot ?

– Trente mille francs, répondit la jeune fille sans s’étonner de cette question.

– Eh bien, il faut que j’aie une place qui me rapporte au moins le revenu de ce capital. C’est peu de chose, ajouta-t-il avec son large sourire, et je l’aurai bientôt une fois que j’aurai passé ma licence. Mais il faut attendre, et cette place ne sera qu’un acheminement vers autre chose. Les années de travail et d’épreuve seront longues...

– J’attendrai, dit Antonine sans trouble.

Dournof la regarda d’un air ravi : ce regard sembla mettre sur elle une bénédiction, tant il était sérieux et tendre.

– Je vous aime, lui dit-il, je vous aime tant, que si vous aviez refusé, je crois que j’aurais renoncé à mon rêve.

– Que serez-vous ? demanda alors Antonine.

– Avocat !

Antonine le regarda avec un peu d’étonnement. À cette époque, l’organisation des tribunaux étant encore tout entière à l’état de projet, les avocats n’existaient guère que de nom. On ne comprenait sous cette désignation que les avocats consultants, sorte d’hommes d’affaires généralement peu estimés.

Dournof lui expliqua alors les réformes projetées, et la place que pouvait prendre dans ce nouvel ordre de choses l’homme qui aurait le premier le talent, la force et le courage nécessaires pour s’imposer.

– Songez, dit-il en terminant, que jusqu’à présent tout est livré à l’arbitraire, que des milliers de gens spoliés crient justice sans rien obtenir ! Songez que la lumière va se faire dans ce chaos, et après le Tsar, qui sera le premier bienfaiteur, quel ne deviendra pas le rôle de celui qui aura obtenu pour les malheureux le droit et la justice.

– Êtes-vous ambitieux ? demanda Antonine avec la même simplicité.

Dournof rougit ; il plongea dans le fond de sa conscience et répondit ensuite.

– Non ; car si j’étais ambitieux, je voudrais travailler seul, et je ne puis vivre sans vous.

– J’attendrai, répéta Antonine. Dès à présent je vous appartiens.

Il ne lui dit pas merci, ces deux âmes fortes s’étaient comprises sans phrases. Il serra fortement la main qu’il tenait, puis la laissa retomber.

– Il faut n’en parler à personne, n’est-ce pas ? demanda la jeune fille en reprenant le chemin du logis.

– C’est à vous de le décider, répondit Dournof. Si vous pensez que votre famille m’accueille favorablement...

Antonine ne pût s’empêcher de rire ; la nullité de son père et la frivolité bienveillante de sa mère lui inspiraient cette sorte d’affection qu’on éprouve pour des êtres irresponsables et dénués de bon sens.

– Ils ne vous accueilleront pas favorablement, dit-elle ; attendons.

– Comme vous voudrez, répondit le jeune homme.

Ils atteignirent la maison sans échanger d’autres paroles.

De ce jour, madame Karzof n’eut plus à s’inquiéter de la santé de sa fille : Antonine avait repris sa gaieté sérieuse et les couleurs de ses joues roses. Seulement elle quitta peu à peu les ouvrages à l’aiguille de pur agrément pour les travaux plus solides. Elle voulut apprendre à tailler, à coudre, à repriser.

– Mon Dieu, quelle fille originale ! disaient ses jeunes compagnes ; quel plaisir peux-tu trouver à ourler des torchons ?

Antonine plaisantait la première de ces travaux peu élégants, mais elle tint ferme, et devint très habile. L’hiver rassembla souvent les jeunes gens : on dansait prodigieusement à cette époque en Russie. Tout était prétexte à sauterie, et même sans prétexte beaucoup de familles avaient un jour fixe où la jeunesse se réunissait et dansait dès sept heures du soir.

La plus brillante de ces maisons était celle de madame Frakine ; comment celle-ci s’y prenait-elle pour procurer tant de plaisir à tant de monde avec des revenus d’une exiguïté invraisemblable et constatée ? C’est un problème que jamais personne n’a pu résoudre. Peut-être la bonne dame se privait-elle à la lettre de manger pour parvenir à payer le loyer d’un appartement très vaste et très commode ; peut-être vendait-elle en cachette ses derniers bijoux de famille pour subvenir aux dépenses d’éclairage de ce salon toujours plein le samedi ; toujours est-il que nulle part on ne dansait d’aussi bonne grâce et nulle part aussi, l’heure venue, on ne soupait d’aussi bon appétit.

Le souper se composait de jolies tranches de pain noir et blanc artistiquement coupées et alternées sur des assiettes de faïence anglaise ; d’un peu de beurre apporté de la campagne une fois par mois et soigneusement conservé à la glacière ; de quelques harengs marinés, entourés de persil et d’oignons hachés, et d’une immense salade de pommes de terre et de betteraves. Un peu de fromage enjolivait ce menu frugal, digne d’un cénobite.

Mais le tout était si bien servi, il y avait sur la table tant de couteaux et de fourchettes, tant de carafes reluisantes dans lesquelles, en guise de vin, pétillait du kvass de fabrication domestique ; tout cela était offert de si bon cœur, que la belle jeunesse, plus affamée de plaisir que de friandises, se déclarait enchantée de tout et recommençait à danser après souper, d’aussi bon cœur qu’avant.

Vers deux heures du matin, madame Frakine apparaissait dans le salon avec un grand balai, – ce qu’elle appelait son balai de cérémonie ; c’était, disait-elle, pour chasser les danseurs. On l’entourait alors en lui demandant grâce pour un quart d’heure, pour une contredanse. Elle refusait, agitant son formidable balai ; alors un enragé se mettait au piano, et jouait une valse ; madame Frakine et son balai, entraînés dans le mouvement par les jeunes gens intrépides, faisaient le tour du salon, puis riant, essoufflée, le bonnet de travers sur ses cheveux blancs, elle se laissait tomber sur un canapé. C’était le signal du départ, on s’approchait, on l’embrassait, on la cajolait et l’on partait pour recommencer le samedi suivant.

Pourquoi la bonne dame sans mari, sans enfants, dépensait-elle ainsi le plus clair de son maigre revenu pour amuser des gens qui ne lui étaient rien ? Elle l’expliquait d’un mot, et nul n’y pouvait rien répondre.

– Cela m’amuse, disait-elle. Il y a des gens qui prisent du tabac, d’autres qui font brûler des cierges, d’autres qui mettent tout leur argent chez le médecin et l’apothicaire ; moi, j’amuse la jeunesse, et elle me le rend bien !

C’est là que, pendant tout l’hiver qui avait suivi leur étrange conversation, Dournof et Antonine s’étaient vus librement. Madame Karzof envoyait sa fille avec sa vieille bonne chez sa voisine ; le vieux domestique venait la chercher vers minuit, et attendait en compagnie des autres, à moitié endormis sur les banquettes de l’antichambre, que la joyeuse compagnie fût rassasiée de rires et de danses. Depuis cinq ou six ans que madame Frakine recevait ainsi une cinquantaine de jeunes gens des deux sexes, plusieurs mariages s’étaient décidés et conclus dans cette heureuse atmosphère ; bien des fantaisies passagères étaient écloses aussi dans les têtes folles, et avaient sombré avant d’arriver au port de l’hyménée, mais jamais il n’en était rien résulté de fâcheux ; cette jeunesse étourdie était animée de sentiments purs et honnêtes : toutes les jeunes filles se respectaient elles-mêmes, et tous les jeunes gens respectaient les honnêtes femmes.

L’été revint, Jean Karzof ramena son camarade d’études à la campagne, et les fiancés reprirent leurs promenades à la maison d’école. Madame Karzof s’apercevait si peu de leur bonne intelligence, elle mettait tant de bonne grâce à les envoyer ensemble faire quelque course ou quelque excursion, que plus d’une fois l’idée leur vint qu’elle savait leurs projets et n’y était pas contraire.

Antonine surtout en était si bien persuadée, que Dournof eut quelque peine à la dissuader d’en parler franchement à sa mère.

– Laissez-la faire, lui dit-il : si elle nous est favorable, elle ne nous dira rien ; si vous vous trompez, elle pourrait nous séparer, au moins en attendant le jour où je viendrai vous réclamer ; et alors que ferions-nous ?

L’idée d’une séparation même temporaire, dans de telles conditions, était devenue trop pénible pour qu’Antonine ne cédât pas à ce raisonnement.

Les jeunes gens se trouvaient heureux d’habiter le même lieu, de se voir quotidiennement, de travailler séparés au but qui devait les réunir ; ce bonheur était modeste, aussi ne se sentaient-ils pas en état d’en perdre la moindre parcelle. Antonine garda le silence.

Une épreuve bien pénible les attendait. Le père de Dournof mourut pendant le second hiver, et le jeune homme fut obligé de partir pour mettre ordre à ses affaires.

La séparation, qui devait durer un mois au plus, se prolongea pendant cinq mois : Dournof dut établir sa mère et deux sœurs plus âgées, non mariées, dans une résidence plus modeste que l’appartement où son père logeait de son vivant. L’État loge volontiers ses fonctionnaires en Russie, et il les loge largement. Madame Dournof et surtout ses filles poussèrent des soupirs bien douloureux en voyant une petite maison de bois remplacer les vastes chambres, – nues, il est vrai, mais hautes et spacieuses, – où elles avaient vécu jusqu’alors.

Antonine et son fiancé avaient résolu de ne s’écrire qu’à la dernière extrémité, en cas de danger ou de besoin pressant ; mais, la séparation se prolongeant, il fallut recourir à la correspondance, et la jeune fille se décida à mettre sa vieille bonne dans la confidence de son secret.

Personne ne savait plus le nom de la bonne, on l’appelait du nom générique Niania. Née dans la maison de la mère de madame Karzof, elle avait trente-sept ans lors du mariage de celle-ci ; la jeune mariée l’avait reçue en cadeau de sa mère, comme un des meubles, et non le moins précieux, de son trousseau. La Niania avait vu naître les nombreux enfants de sa maîtresse, elle les avait tous soignés, et peu après couchés dans le cercueil à l’exception de Jean et d’Antonine, seuls restés vivants. Elle adorait ces deux êtres, comme elle adorait Dieu ; et s’il lui eût fallu choisir entre son salut éternel et la vie de l’un des deux, elle se fût damnée sans hésitation.

Mais c’était à Antonine qu’elle s’était plus particulièrement vouée ; c’était une petite fille, et par conséquent les soins devaient être plus minutieux et plus absorbants, et puis Antonine était restée à la maison, tandis que Jean faisait ses études au gymnase et ne rentrait qu’à quatre heures.

Depuis la naissance d’Antonine, c’est la Niania qui l’avait conduite à la promenade, habillée, levée, couchée ; en un mot, elle marchait derrière Antonine comme son ombre dans l’intérieur de la maison. Ce qu’elle avait fait chasser de femmes de chambre, ce qu’elle avait lassé de gouvernantes qui avaient pris le parti de s’en aller, puisqu’on ne pouvait pas la faire renvoyer, ce qu’elle avait mis de querelles, de luttes et d’inimitiés dans la maison ferait un gros volume.

Tout être, quel qu’il fût, qui dérangeait ou ennuyait Antonine devenait bon à mettre au rebut, et il n’était pas de moyen qui ne semblât convenable à la Niania, pourvu qu’il arrivât au résultat désiré.

Les professeurs et institutrices finissaient par lâcher pied, et Antonine en vint de la sorte à se former un caractère très résolu. Si elle ne devint pas despote, c’est qu’elle avait un sens inné du juste et de l’injuste qui la préserva. Mais pour tout le reste, elle se fit une loi de sa propre volonté.

Cette fermeté la sauva du caprice, défaut ordinaire de ses compatriotes, qui, sans cesse adulés, ne trouvent point de limites à leur fantaisie, n’ont plus de règle pour leur existence. Si Antonine devint fort entêtée, au moins ne le fut-elle qu’à bon escient.

Si persuadée qu’elle fût de la tendresse aveugle de sa Niania, elle tremblait intérieurement le jour où elle lui fit l’aveu de son amour pour Dournof. La vieille servante l’écoutait, les mains pendantes, comme il convient en présence des maîtres, la tête baissée, l’air respectueux.

– Eh bien, quoi ? dit-elle, lorsque Antonine eut cessé de parler, tu aimes ce jeune homme ? Pourquoi pas, si c’est un homme de bien ?

– Mais ma mère ne voudra peut-être pas ! fit Antonine, surprise de ne pas rencontrer d’autre résistance.

– Si tu l’aimes, ça ne fait rien, ta mère ne voudra pas faire de peine à son enfant chéri. Seulement, ma belle petite, sois bien sage, ne laisse pas approcher ton amoureux...

Antonine jeta un regard si sévère à Niania que celle-ci perdit toute envie de la morigéner.

– C’est bon, c’est bon, reprit-elle. Pourvu que tu te maries à celui que ton cœur a choisi, c’est tout ce qu’il faut. Ta mère, que Dieu conserve, n’était pas si contente quand elle a épousé ton père... elle a bien pleuré !...

– Tu te le rappelles ? fit vivement Antonine.

– Certes ! elle en aimait un autre, un joli officier avec des petites moustaches, qui venait à la maison...

– Eh bien ?

– Eh bien, que veux-tu que je te dise ! elle s’est consolée... ton père est un brave homme, pour cela, il n’y a rien à dire, et ta mère a été toujours choyée comme la prunelle de ses yeux. Elle a toujours fait ce qu’elle a voulu.

Antonine garda au fond de son cœur l’espérance que sa mère, empêchée dans sa jeunesse d’épouser l’homme qu’elle aimait, serait compatissante à sa situation ; cependant elle se contenta d’espérer en silence. Niania fut chargée de mettre à la poste et de retirer la correspondance des deux fiancés, et elle s’en acquitta avec beaucoup de zèle et d’adresse.

Le matin du jour où Antonine se montrait si impatiente, elle avait reçu un mot de Dournof lui annonçant son retour pour le jour même. Aussi les heures lui paraissaient-elles longues.

II

La sonnette retentit dans l’antichambre ; la Niania courut ouvrir, et, par la porte restée entrouverte, Antonine entendit ces paroles :

– Vous voilà revenu, Féodor Ivanitch, notre faucon, notre aigle blanc ! Que Dieu vous donne une bonne santé ! La demoiselle mourait d’impatience !

– Est-elle à la maison ? répondit la voix grave de Dournof.

– Oui, oui, elle est à la maison, elle vous attend seule dans le salon.

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

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