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Pour cette nouvelle aventure, Claude embarque pour l’Écosse accompagné de Bill, Rose, et Marie, sa créature génétiquement modifiée. Leur objectif : rencontrer le roi Charles, récemment chassé de Londres. Cette mission, cruciale pour la paix mondiale, les entraîne dans un périple transatlantique semé de dangers insoupçonnés et de folies imprévisibles. Auront-ils la force et le courage d’affronter ces épreuves, ou bien leur destin est-il déjà scellé ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
L’art et la nature sont des piliers essentiels dans la vie de
Patrick Nguyen qui se montre intrigué par l’état des sociétés humaines et de la planète. "La quête" représente le second volet d’une histoire débutée avec son œuvre "Les Métamorphoses", publiée par Le Lys Bleu Éditions en 2023.
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Patrick Nguyen
La quête
Roman
© Lys Bleu Éditions – Patrick Nguyen
ISBN : 979-10-422-3924-4
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12 janvier 2039
Sur le champ de Mars, les premiers flocons de neige s’agrippaient à une terre déjà froide et dure comme de la pierre. L’aéronef glissa dans cette sombre clarté d’hiver, sans un bruit de l’École militaire jusqu’à la place du Trocadéro en passant sous la tour Eiffel. Rose suivie de Marie quitta son siège pour rejoindre Claude et Bill sur le sol de Paris.
Ils furent invités à rencontrer le nouveau gouverneur de Paris, ainsi que son conseiller. Ils avaient fui la capitale le quinze août deux mille trente-huit, laissant une ville à feu et à sang et encore en proie à une violente tempête météorologique. Ils avaient perdu dans un moment tragique leur meilleur ami : Paul.
2038
Paul vivait depuis quelques années avec son père dans un Montmartre déserté en raison des nombreuses émeutes, des changements climatiques et de l’oppression d’un gouvernement totalitaire. L’appartenance aux gens du bas dits de la « Cuvette » ne lui offrait guère de futur dans ce monde glauque. Heureusement il partageait des activités artistiques avec des amis : Jacques et Rose. Il aimait aussi les discussions qu’il partageait en privé avec le Père Hassan, un prêtre anarchisant au cœur pur et droit. Il voyait aussi Charles, le régisseur de Montmartre, ancien médecin, un homme mystérieux « qui sait tout et ne dit rien ».
Claude, scientifique, appartenant aux gens du « Haut », avait confié à Paul la réalisation de quelques aquarelles en hommage à sa femme disparue. Sur le chemin dangereux du retour, boulevards abandonnés aux vagabonds et à la violence, il fit une rencontre inattendue et merveilleuse : une grenouille.
Amoureux de Rose et désespéré, il devait en plus de son père, s’occuper de Marie, la grenouille qu’il avait trouvée dans Paris.
Il errait dans les rues de Montmartre, passant d’un point à un autre, d’un ami à un autre, sans se fixer de but précis. D’ailleurs, y avait-il un but dans cette ville dissolue par les affres ?
La rencontre avec Claude et avec sa « Grenouille » lui apportait un élément nouveau dans sa vie. Il devait changer, se transcender, devenir meilleur, mais vers quoi et dans quel but ? Il était surveillé par les drones et par un policier fou et brutal. La présence de Rose lui donnait une énergie nouvelle, un souffle neuf dans ses poumons, le prétexte de se réaliser pleinement.
Rose et Paul, au fil des semaines, étaient devenus amis avec Claude et son chauffeur Bill. Après un petit voyage en Italie, il apprit la mort soudaine de son père, sauvagement assassiné par Barges, le policier sans âme. Pendant ce temps la grenouille de Claude grossissait, encore et encore…
Le temps accéléra le tempo des incertitudes. Un vent de révolte commençait à souffler sur Paris. Les uns surveillaient, certains se méfiaient et d’autres subissaient. Quelques jours avant le quinze août, une chose inouïe et incroyable arriva. La grenouille, qui avait grossi de façon exponentielle, se transforma en une masse ronde et dure. C’était une sorte de chrysalide, une bizarrerie génétique, une erreur de la nature, mais peut-être une réussite pour Claude.
Rose et Paul furent abasourdis en découvrant un matin ce que le mystère de la génétique avait décidé pour la grenouille. L’œuf énorme avait cédé, laissant une nouvelle vie dans un coin de la cave où il était caché. Une petite fille était née. Déjà d’un certain âge, elle fut aussitôt lavée, habillée, et préparée pour quitter Paris en toute hâte devant les violences qui se dessinaient.
Paul sentait que les choses dérapaient. Cette longue phase d’attentisme devenait une période d’angoisse permanente. Jade, sa voisine, avait disparu. Le temps annonçait encore de fortes chaleurs à venir. Devant la concentration de force armée dans les rues de Montmartre, Rose et Paul décidèrent de fuir, fuir immédiatement. Paul découvrit le matin du quinze août, le corps du Père Hassan assassiné, pendu comme un trophée de chasse devant la basilique.
Après la messe du cardinal, la journée du quinze dégénéra en boucherie. Ce fut d’abord dans les premières heures de la matinée, la mort de Jacques, assassiné par Barges. Puis la violence se déchaîna à Paris. Des centaines puis des milliers d’âmes tombèrent, le cardinal aussi, le gouverneur aussi, assassiné par sa propre folie. Paul, Rose, Marie, Claude et Bill essayaient de fuir cet acte de guerre qui devait rester dans les pages sanglantes de la ville. Mais le destin en avait décidé autrement pour Paul. Sa vie s’arrêta en cette journée du quinze août deux mil trente-huit.
2039
Rose retrouva Charles le régisseur de Montmartre qui était devenu le conseiller du gouverneur. Celui-ci entraîna Rose et Bill dans quelques appartements pour leur séjour à Paris. Claude Vatrin s’entretenait déjà avec le gouverneur sur sa charte et les moyens de mettre en application les principales lignes directrices.
Louis Fouchet, le gouverneur était un chef militaire qui avait combattu son cousin, l’ancien gouverneur de Paris, un type fou et tyrannique. Il savait l’urgence d’agir mondialement pour le bien et la sauvegarde de tous. Il savait aussi les énormes difficultés à faire passer des idées personnelles dans un cercle mondial. Le temps devenait pressant. Le gouverneur après quelques jours de discussion avec Claude fut séduit par la charte de celui-ci.
— La route est longue encore mon ami, lança le gouverneur.
— Oui je sais, répondit Claude, on a encore beaucoup de travail et tellement de gens à convaincre !
— J’espère que vous reviendrez sur Paris, c’est important d’avoir des hommes de qualité à ses côtés.
— Pour l’instant je suis occupé, ajouta Claude, je dois encore discuter avec mon ami Rochat en Suisse et puis… tellement de choses à faire !
— Je comprends, j’espère que vous nous donnerez des nouvelles.
— Oui bien sûr si je le peux, je dois y aller maintenant.
Louis Fouchet accompagna Claude et ses amis jusqu’à l’aéronef, le temps était solidement froid. Ils disparurent dans le ciel laiteux de Paris.
19 février 2039
Claude et ses amis avaient rejoint Jean-Pierre Rochat depuis le quinze août deux mil trente-huit, sur les berges du lac de la Gruyère. Ils avaient quitté Paris, fuyant ainsi la mort et la désolation. La disparition de Paul, dans un ultime acte de bravoure, avait plongé Bill dans un sentiment de culpabilité. Il s’était laissé pousser un petit bouc comme pour marquer son visage de l’inavouable manque de son ami. Le feu crépitait dans la cheminée. Claude et Jean-Pierre discutaient de leur charte autour d’un verre de cognac. Rose et Léa jouaient avec Alina et Marie. Bill s’était plongé dans un livre d’aventure.
Léa, qui vivait un amour secret avec Jean-Pierre, avait quitté les alpages pour vivre l’hiver en compagnie du scientifique. La présence de leurs amis français ne la dérangeait pas, bien au contraire, ils ressentaient une osmose, une connectivité émotionnelle éloignant tout malentendu ou conflit.
Rose, qui avait perdu l’amour de sa vie, s’occupait activement de Marie. Elle avait perdu son regard bleu enfantin, obscurci par de noirs nuages de tristesse. L’amertume de ne pas avoir vu le regard de Paul une dernière fois, de ne pas lui avoir parlé, de ne pas lui avoir tenu la main, la terrorisait et l’enfermait dans un couloir d’incompréhension.
Marie la grenouille, la jeune fille, grandissait toujours à vue d’œil. Elle semblait être la grande sœur d’Alina, la fille de Léa. Son corps s’était incroyablement allongé et sa beauté aurait embrouillé les yeux du premier venu. Sa soif de connaissance n’avait d’égal que son appétit pour l’humour et les farces en tous genres.
— Dis-moi Jean-Pierre, lança Claude, nos amis européens sont-ils prêts ?
— C’est une bonne question qui mérite une réflexion élargie.
— À Paris, le gouverneur m’a donné son approbation pour notre « Chatre », il me plaît d’y croire à condition que son engagement soit pur et militant.
— J’ai eu Dietrich Zimmerman au téléphone, tu sais cet anthropologue de Berlin, il est entièrement avec nous, mais il a des doutes sur le nouveau chancelier allemand. Ses méthodes, ses convictions sont loin de convaincre l’opinion générale. Peut-être un nouvel embrassement populaire est-il à craindre ? Ils ont perdu déjà tellement de vies avec les inondations et les tempêtes.
— Et l’Espagne ? demanda Claude.
— L’Espagne ? C’est compliqué entre les canicules hallucinantes et les feux, sans parler d’une guérilla avec le Portugal dans la région de l’Algarve… les gens ont fui la fournaise andalouse. Beaucoup ont trouvé refuge sur les hauteurs et sur les côtes… mais comme il n’y a pas de place et de nourriture pour tout le monde, c’est la guerre ! Mais oui, le conseil des scientifiques est favorable à la Charte, ils n’ont guère d’option pour le futur.
— Tu sais l’été dernier en Italie, j’ai ressenti cette crainte de tout, comme si c’était la fin. Des jeux sanguinaires et barbares sont organisés à Rome. Le Stromboli a repris définitivement son île à ses occupants. L’Etna comme pour accompagner son frère de lave, crache sa colère jour et nuit. Sans parler du Vésuve qui est prêt à avaler tout être sur son passage. Et cette sécheresse qui dure, asséchant les cours d’eau et les gorges, heureusement, certains s’en sortent. Tu as des nouvelles de l’Europe de L’Est ?
— L’UPE (Union des Pays de l’Est, tous les petits pays qui se sont regroupés après la chute de Moscou à la suite de plus de dix ans de guerre) est totalement positive sur le sujet, d’ailleurs son représentant polonais Mr Kowalski, un psychologue de renom me presse souvent pour accélérer les choses.
— Et la Russie dans tout ça ? demanda Claude.
— Je n’ai pas trop de nouvelles, c’est un pays qui pleure. Après tant de guerres et de violences, on a l’impression qu’ils ont passé leur temps à se détruire depuis dix-neuf cent dix-sept. Un dôme de chaleur dès le printemps s’installe en Sibérie, globalement ils ont les mêmes problèmes que nous autres. J’ai un contact à Vladivostok, Boris Choulitchenko, un ancien cosmonaute spécialisé dans la climatologie. Il a passé de nombreuses années en prison… j’ai toujours du mal à comprendre ce qu’il se passe dans sa tête. C’est un homme brillant, mais je ne sais pas, quelque chose m’échappe. Je pense qu’ils seront coopératifs, après tout ne rêvent-ils pas d’un monde meilleur depuis tant d’années ?
— Et les gens du nord ? demanda Claude, ces vikings sont-ils prêts ?
— Ils le sont, mais pas pressés, leur situation géographique leur est favorable, ils ne sont pas fous et savent qu’une chose en entraînant une autre, ils seront tôt ou tard concernés. Quant aux Anglais, je crois que tu as plus de nouvelles que moi.
— Oui, Bill a fait une course à Southampton l’été dernier et je crois savoir que c’est peut-être pire qu’à Paris.
Bill, qui avait suivi la conversation en même temps que les pages de son livre, se releva pour rejoindre les deux amis.
— Alors Bill, demanda Jean-Pierre, fais-nous partager ton voyage en Angleterre.
— Voyage ? J’ai juste fait l’aller-retour, néanmoins après ma rencontre avec Lawrence Stevens, j’ai pu constater que les Anglais étaient toujours aussi différents de nous. C’est la même chose, mais pas la même comme de rouler à gauche ou de ne pas faire partie de feu l’Europe quand on est européen. J’ai survolé Londres, c’était aussi grave qu’à Paris, tous ces bâtiments détruits, ces barricades et ces barbelés. Ils ont viré le roi et mis en place un gars qui se fait appeler « le Sheriff »… peut-être qu’une mission à Londres…
Claude tapota l’épaule de Bill et lui dit : « Ce n’est pas le propos pour l’instant. »
— Ils ont viré le vieux roi Charles ? s’écria Jean-Pierre. Le dernier maillon de la longue monarchie anglaise !
— Eh oui, ajouta Claude, tout passe, tout lasse, tout casse comme on dit.
Au moment où Claude finissait sa phrase, une sonnerie d’alerte retentit sur son ordinateur portable. Ses yeux devinrent ronds comme des billes après l’avoir ouvert.
— Incroyable les amis, cria Claude, j’ai un message du roi Charles !
— Quel est-il ? demanda Jean-Pierre, agité par une curiosité presque infantile.
Bill et Jean-Pierre attendaient à côté de Claude, Rose s’était rapprochée, curieuse aussi du contenu du message.
« Dear Claude, dear french friends,
I say hello and now I try to write in french, mes chers amis, je viens vers vous pour vous exprimer mon inquiétude quant à la situation mondiale, celle de l’Europe et de mon pays, j’ai pris connaissance de votre “Charte” grâce à notre ami commun “Monsieur Stevens”, je suis de tout cœur avec vous pour ce projet, c’est comme si je me retrouvais dans ma propre vie so many years ago, le temps presse, je dois vous voir au plus vite sans vous commander. Je suis reclus au Glamis Castle, là où vivait la reine mère.
Mes chers amis, je vous attends.
Yours faithfully,
King Charles »
— Alors on y va ? interrogea Bill toujours prêt à l’action.
— Ne t’emballe pas, lui répondit Claude, regarde un peu par la fenêtre.
Dehors, une grosse tempête de neige soufflait depuis deux jours. Tout était maculé de blanc, ça tourbillonnait, montait, descendait, hurlait dans cette froide journée d’hiver. Au fil des heures le manteau neigeux s’était fortement épaissi, laissant aucune chance de déplacement à quiconque.
— Heureusement que nous avons de la réserve en bois et en nourriture, s’esclaffa Léa.
— Oui, ajouta Jean-Pierre, il ne nous reste plus qu’à attendre comme tout le monde.
— Oh ce n’est pas possible ! cria Claude, je n’ai plus aucun signal sur mon ordinateur.
— Bon alors on va sortir les cartes, poursuivit Bill en regardant la neige se déchaîner.
1er mars 2039
Sans un bruit dans la belle clarté du matin, un blanchot du bout de ses pattes endimanchées s’approchait de l’igloo. Il y pénétra et inspecta les lieus. Sans aucun danger, il y déposa quelques crottes, histoire de. De retour à l’extérieur, une voix lui fit : « Bou » ! Rapide comme l’éclair, il détala jusqu’à la lisière du bois et s’arrêta, écoutant des cascades de rires venant de l’igloo. Marie et Alina étaient tordues de plaisir en voyant le lapin prendre ses jambes à son cou pour s’enfuir. Il secoua ses longues oreilles comme pour désapprouver la chose puis disparut dans le bois.
Rose et Léa, qui observaient la scène depuis la fenêtre, étaient ravies de voir ces deux enfants s’amuser dans une totale innocence. Alina était émerveillée d’avoir une amie comme Marie dans son petit bout de montagne sauvage. Elle en admirait la beauté, sa sensibilité à comprendre les choses de la nature et surtout son incroyable rapidité à se mettre en action pour accomplir une tâche.
Alina, plus vieille que Marie semblait être sa sœur cadette. Elle ignorait totalement les origines de cette dernière, et probablement qu’elle fut trop jeune pour en comprendre les prémices. À deux, elles avaient construit cet igloo sans aucune aide. Marie comprenait les choses sans en avoir reçu la moindre éducation ou donnée technique, elle était habitée d’un sens aigu de l’observation et d’une incroyable énergie.
Bill s’approcha des femmes à la fenêtre, il posa ses mains larges sur leurs épaules et dit : « C’est beau la jeunesse ! »
— Chacun son tour Bill, lui répondit Rose, on est sur un escalier invisible qui monte encore et encore.
— Mais vers où ? interrogea Léa.
— Ben ça, va savoir, chacun ses croyances, on connaît si peu de choses sur l’après.
— Et si on allait faire un tour, proposa Bill, il fait grand beau et puis tu pourrais piloter.
— Faire un tour, je veux bien, mais c’est toi qui pilotes, j’aime rester avec Marie.
— D’accord, je vais demander à nos deux cerveaux s’ils veulent venir.
Bill revint la mine désolée : « Ils travaillent, encore, mais on peut emmener Léa et Alina si elles le désirent. » Léa regarda Bill avec un grand sourire : « Bien sûr qu’on vient, c’est une telle joie de faire une balade avec vous. »
Après s’être habillées chaudement avec les filles, Rose et Léa rejoignirent Bill qui déneigeait son appareil. Les femmes étaient montées à l’arrière avec les petites, bill à son poste de pilotage appuya sur le bouton « START ». L’engin fit mine de démarrer, toussa, puis sa voix se tut.
— Mince alors, lança Bill…
— Un souci ? demanda Rose.
— Tu vois l’icône en forme de batterie qui clignote… il dit reload, reload…
— Tu n’as plus de batterie, ce n’est pas normal !
— Pas de problème, je vais démarrer sur la batterie de réserve, et puis la principale se rechargera en vol… peut-être le froid extrême a malmené les accus.
Un long sifflement accompagné d’un brassage de neige et d’air frais envahit l’espace. Dans le cockpit, un grand « Hahhh ! » retentit. L’appareil décolla pour le bonheur de tous. Ils survolèrent le lac de la Gruyère, où tout n’était que beauté magique, maculée d’un blanc pur tranchant avec un bleu incroyablement net. Des nuées d’oiseaux traversaient ici et là l’espace.
— Regarde Marie, s’écria Rose, ce doit être des étourneaux…
— Non pas du tout, rétorqua Léa, ce sont des pinsons du Grand Nord, ils viennent de Scandinavie ou de Russie.
— Peu importe leurs origines, c’est un ballet magnifique que nous offre la nature, ajouta Marie, profitons-en !
— La gosse, quelle personnalité ! quelle ferveur ! murmura Bill.
Il amorça une grande boucle en passant par le côté est du lac Léman, survolant Montreux et Lausanne. Puis il reprit l’extrémité ouest du lac de Neuchâtel. Il descendit en altitude pour profiter de la beauté des bords du lac. Longeant le flanc nord du lac, un spectacle impressionnant s’offrait à leurs yeux. Des stalactites et des stalagmites de glace figée sur les choses étaient le décor d’un théâtre sourd et aveugle dans le froid de l’hiver. Des arbres s’étaient habillés de voiles de mariée. Des draps blancs sur des fils, des cordages, séchaient, immobiles dans le vent. Des formes plus élaborées ressemblaient à des fantômes enchaînés à leurs chaînes, mais surtout au froid saisissant laissé par la tempête.
Au bout du lac, sur la commune de Saint-Blaise, Bill vérifia son instrumentation. La jauge de batterie principale était déjà à son niveau maxi, mais il aperçut un point clignotant en rouge. C’était l’indication d’un signal de détresse venu de l’extérieur. Il survola la zone pour en déterminer la provenance.
— Qu’est-ce que tu fais Bill ? s’inquiéta Rose.
— J’ai un signal de détresse, probablement un S.O.S., je vais aller voir.
— Tu n’y penses pas j’espère, ajouta Léa, on a les filles !
Bill se rapprocha au plus près du signal sonore. C’était un grand voilier. Aucune activité humaine ne semblait l’animer. Il portait un petit pavillon russe.
— Bon on fout le camp, demanda Rose avec insistance, je n’ai aucune envie de retomber dans un traquenard comme à Venise.
— D’accord, confirma Bill, on rentre, je reviendrais seul ou avec les hommes.
L’aéronef quitta les bords du lac. Faisant une boucle par les massifs montagneux, il regagna le chalet de Jean-Pierre.
— Alors, cette balade ? demanda Claude.
— C’était magnifique ! cria Marie, dommage que tu ne fus point avec nous… tu sais, je t’aime tant !
— Moi aussi je t’adore, insista Claude, mais avec Jean-Pierre et tant d’autres qui sont si loin, on a tellement de choses à faire, à décider, à mettre en place pour que vous, la nouvelle génération, vous ayez une vie à peu près normale.
Marie fixa Claude dans les yeux, elle lui caressa la joue et dit : « Je sais, je sais tout ça depuis longtemps. »
— Il y a eu un signal de détresse sur le lac de Neuchâtel à la pointe nord, dit Bill.
— Tu veux qu’on aille voir, tu crois que c’est important ? demanda Jean-Pierre.
— Je ne sais pas, répondit Bill, il y a un petit pavillon russe sur le voilier.
— Nous irons demain, dit Claude, enfin si cela ne presse point.
2 mars 2039
Après un petit déjeuner solide préparé par Jean-Pierre et Léa, les trois hommes grimpèrent dans l’aéronef pour aller éventuellement secourir ce qu’ils croyaient un bateau en détresse. Le temps était au beau fixe, bleu azur sur fond blanc étincelant donnait une impression de grande pureté. Ils filèrent directement sur les lieux du signal. Bill posa son engin à proximité du ponton où était amarré le voilier. Celui-ci était recouvert de glace et ne semblait abriter personne. Bill, une arme à la main descendit dans la cabine, suivi de Claude et de Jean-Pierre.
Dans un froid glaçant les os, les trois amis découvrirent dans une partie commune un homme totalement congelé. Un impact de balle sur sa boîte crânienne avait laissé couler un flot rouge qui était recouvert de paillettes de glace comme sur tout le corps du malheureux qui d’après ses vêtements était un soldat. Jean-Pierre éclairait la scène avec une lampe torche.
— Mon Dieu, souffla-t-il, quelle horreur !
— Attendez, enchaîna Bill, on va faire le tour du navire.
Il ouvrit une première cabine, celle-ci était vide. Il ouvrit une deuxième et là l’horreur était au rendez-vous. Un homme aussi raide que le premier baignait dans son sang. Tout était congelé, on lui avait coupé toutes ses extrémités, doigts, oreilles, nez, torture ou simple plaisir sadique. Il était aussi militaire.
— Qu’est-ce que c’est que cette sauvagerie, lança Claude, c’est inimaginable !
— Chut, murmura Bill, j’ai entendu du bruit.
Toujours éclairé par Jean-Pierre, son arme au poing, il poussa la porte de la troisième cabine. Sur un lit, un homme à moitié congelé, le regard bleu dur vitreux les regardait. Il tenait dans la main droite une arme à feu. Heureusement sa main comme son bras était totalement congelée.
— Putain merde, s’écria Claude, mais je connais ce type et vous aussi. Vous êtes russe, demanda-t-il à l’homme mystérieux.
— DA, DA, répondit l’inconnu d’une voix caverneuse sortie de sa bouche couverte de gerçures, méfiez-vous des Américains !
— Putain, mais qu’est-ce qu’il raconte cet enfoiré ! cria Bill.
— Méfiez-vous des Américains !
— Je sais ! s’exclama Jean-Pierre, c’est l’ancien président de la Russie !
— DA, DA, méfiez-vous des Américains !
Claude vérifia si l’homme était encore en vie. Il mit ses doigts sur son pouls. Il n’y avait pas de pouls, l’homme était déjà à moins dix degrés.
— Méfiez-Vous des Américains ! vociféra la chose qui fit craquer la peau autour de sa bouche.
Un peu surpris, les trois hommes reculèrent. Bill tira deux projectiles en direction de la tête. Cela fit un bruit sourd et métallique.
— Bill ! mais qu’est-ce que tu as fait ? s’insurgea Claude.
— Vous ne voyez pas qu’il nous embrouille avec ces conneries, j’ai fait le nécessaire !
Bill fit une incision avec son couteau au niveau des blessures. Aucun sang ne coulait, l’épiderme était froid comme de la viande surgelée. Les balles avaient traversé une surface métallique.
— Qu’est-ce que tout ça veut dire, demanda Jean-Pierre, et puis c’est quoi ce type, un cyborg, un clone, un androïde ?
Bill, avait son couteau, charcuta la peau du visage et puis celle de l’avant-bras. La chair glacée, violacée, même sous une bonne lame de chasse, offrait une résistance incroyable tellement qu’elle était froide. Finalement, dans son travail horrifique, il mit en évidence la structure du squelette : que du métal.
— C’est un cyborg ou un androïde, dit Claude, mais que faisait-il ici et pourquoi ce message ?
— Tu veux que j’ouvre plus, demanda Bill, pour voir quel type de cerveau il possède ?
— Pitié, cria Jean-Pierre, j’ai déjà envie de vomir.
Les trois hommes quittèrent l’embarcation. Bill avait pris le soin d’y mettre le feu, pour effacer toute trace de leur passage et de cette histoire. Le temps était au beau fixe. Ils filaient dans les airs probablement pour se régaler d’une fondue préparée par Léa.
— Je devrais faire une déclaration aux autorités, dit Jean-Pierre.
— Oublie ça, répondit Bill, moins ils en savent, mieux ça vaut. Pas la peine de créer un conflit suivi d’une guerre… mondiale peut-être.
15 mars 2039
La vague de froid et de neige avait presque laissé sa place au printemps. Des perce-neige pointaient leurs clochettes ici et là. Des merles cherchaient des belles tard le soir ou très tôt le matin, emplissant le silence de leur chant mélodieux. Des rouges-gorges, infatigables laboureurs, grattaient les premières pousses vertes à la recherche de quelques vers.
Marie, assise en tailleur, regardait inlassablement ce spectacle offert par la nature. Elle devinait chaque scène de ce théâtre. Le vent soufflait légèrement à travers les conifères et les quelques jeunes chênes, arrêtant momentanément la valse amoureuse des oiseaux. Elle pouvait sentir aussi la nature qui poussait tout autour d’elle, écouter des bruissements d’insectes ayant survécu à l’hiver, renifler des senteurs libérées par les premières fleurs, et les mêmes insectes se gavant des premiers nectars comme des nourrissons ayant hâte de grandir.
— Marie ! cria Alina. Tu viens jouer !
— Attends, viens et assieds-toi en face de moi et ferme les yeux.
Marie et Alina restèrent, les mains jointes, à respirer l’air de la vie naissante dans ce presque printemps. Au bout de longues minutes de silence, elles partaient en cascades de rires comme ces jeunes animaux qui découvrent le jeu et le plaisir de s’y adonner.
Dans le chalet, Jean-Pierre et ses amis finissaient leur petit-déjeuner. Rose, le nez sur la fenêtre, regardait avec admiration cette jeune fille qui un an auparavant n’existait pas. Elle en savait être l’auteur étant donné son attachement avec Paul. Après ces événements dramatiques à Paris, elle mesurait l’importance de protéger cette vie unique.
Jean-Pierre et Claude discutaient toujours de leur « Charte », ils pouvaient passer des jours juste sur un point précis, tout en se concertant avec d’autres scientifiques de la planète. Tout devait être mis à plat dans une transparence commune. Tous les thèmes étaient abordés, des plus simples aux plus complexes.
Bill discutait avec Léa sur la vie à la montagne. Il admirait, lui qui n’avait été que parisien, la vie au grand air et cette liberté de se mouvoir dans l’espace. À l’approche de la cinquantaine, il aimait se reposer, goûter au vrai, mais au fond de lui le guerrier était toujours prêt à l’action. Léa avoua à Bill qu’elle ne connaissait pas grand-chose des villes et que ceci ne la dérangeait pas. Rose se mêla à la conversation.
— C’est presque un paradis ici, dit-elle, je sais que Paul était comme un gosse en découvrant la montagne. Et puis, regarde les gosses dehors, elles jouent avec un rien, juste avec leur propre nature.
— Ah ce Paul, lança Bill, il nous manque à tous.
— Je ne l’ai connu que très peu de temps, ajouta Léa, mais il était vraiment sympathique. En tout cas, vous êtes bien ici et en sécurité loin de cette folie que vous m’avez décrite.
— Oui Léa, dit Rose en la serrant dans ses bras, on vous doit tellement !
Claude s’approcha de Bill, il lui mit une main sur l’épaule et lui dit :
— Tu sais que nous allons bientôt repartir.
— L’Angleterre ?
— Oui, hélas, nous devons répondre présents à l’appel du roi Charles !
— Mais pourquoi ne pas rester ici, demanda Rose, nous sommes bien ici, en sécurité.
— Bien sûr, mais le virtuel a ses limites, le contact physique est très important pour faire avancer les choses.
— Ça, c’est sûr, ajouta Bill, déjà prêt pour l’aventure.
La porte du chalet s’ouvrit, les deux filles rentrèrent se ravitailler d’une bonne tartine de miel.
— Évidemment, poursuivit Claude, tu peux rester ici avec Marie, j’irai avec Bill et peut-être Jean-Pierre s’il le désire.
Marie, qui avait l’ouïe très développée, attrapa la conversation au vol et dit :
— Quoi, quoi ? Qui va où ?
— Ce n’est rien ma chérie, lui chuchota Claude, on sera vite de retour.
Le visage de Marie devint fermé et dur, elle regardait Claude avec un regard plein de récrimination. Personne ne l’avait jamais vu comme ça, une tempête se préparait dans sa tête.
— Tu resteras avec Rose et Léa, confirma Bill, rassurant.
— NON ! je viens avec vous, je vous protégerais.
Les amis autour d’elle restaient sans voix et estomaqués. La jeune fille devant eux, l’ex-petite grenouille retrouvée dans Paris, affirmait un caractère bien trempé et une singulière volonté ! il y eut un silence de réflexion, et après quelques minutes, Claude annonça :
— Bon pourquoi pas, après tout ce n’est que l’Angleterre !
— Tu n’y penses pas, s’insurgea Rose, c’est pire qu’à Paris d’après Bill, je dis « non » à cette folie.
— T’inquiète pas, on va en Écosse et non boire un scotch avec le Sheriff de Londres.
— Ah bon tu prends ça à la rigolade, ajouta Rose furieuse… Eh bien alors je viens aussi.
Les visages s’étaient détendus, comme s’ils affichaient une dynamique, une osmose commune.
— C’est reparti, confirma Bill, les quatre cavaliers… mais pas de l’Apocalypse.
18 mars 2039
Après des au revoir chaleureux, l’aéronef décolla dans le ciel bleu azur du pays helvétique. Marie fit de longs coucous à Alina qui gesticulait en compagnie de Léa et de Jean-Pierre. Dans le cockpit, divers sentiments étaient palpables, celui d’une séparation douloureuse mêlée à une crainte de remonter vers Paris. Les monts du Jura disparaissaient derrière eux, en passant au-dessus de la ville de Besançon. Le ciel se couvrit peu à peu de gros nuages gris et le vent commençait à souffler. La pluie s’installa dans les airs.
— Ça va aller ? demanda Claude à Bill.
— Oui je pense, c’est très très noir au fond vers Paris !
— Ce n’est pas possible, lança Rose, dès qu’on s’approche de Paris c’est l’angoisse !
— Je suis là, dit Marie d’une voix pleine de douceur, ça va aller.
Le vent commençait à secouer sérieusement l’appareil. La pluie cinglait violemment les vitres rendant quasi nulle la visibilité. Heureusement la technologie veillait à la sécurité de tous. Paris était à quelques encablures. Le ciel était maintenant noir, éclairé par moments de violentes décharges de foudre. Bill passa en mode manuel pour le guidage de l’appareil. Les choses semblaient s’abattre sur tout et tous.
— Bill ! cria Rose, on va y arriver ?
— Ça va, répondit Bill, mais je crois qu’on va se poser sur Paris, c’est beaucoup trop instable pour continuer.
— Mais où ? interrogea Claude, mon appartement a été détruit, chez Rose, ce doit être pareil, on peut demander au gouverneur.
— Non, j’ai une idée, pas géniale, mais bon pour la nuit ça peut dépanner.
— Quelle est-elle ?
— J’ai un appartement à Saint-Cloud, pas grand, mais avec un toit.
— D’accord, allons-y.
Ils commencèrent la traversée de Paris. Le temps était horrible, des bourrasques de vents violents déportaient l’aéronef. Sous les yeux de Bill, l’instrumentation électronique et numérique s’affolait certainement due à des champs électromagnétiques très puissants. La visibilité nulle avait capté l’attention des quatre amis.
— Vas-y Bill ! cria Marie, tu vas réussir.
— T’inquiète, je vois déjà la Seine, plus que deux minutes et c’est bon… peut-être.
Sur ces mots, l’instrumentation s’éteignit en même temps que l’arrêt des hélices. L’engin piqua du nez en direction de la Seine.
— Passe sur la batterie de secours ! cria Marie.
Le doigt de bill appuya lourdement sur le commutateur « CHANGE POWER », la puissance revint immédiatement et l’engin frôla la surface de l’eau. Ils remontèrent sur Saint-Cloud, pour se poser sur l’immeuble de Bill. Le gardien et ami de Bill, qui avait été averti par ses radars, arriva pour les accueillir sous la tempête. Ils descendirent sous des trombes d’eau avant de rejoindre le box du gardien.
— Ben dit donc Bill, demanda le gardien, qu’est-ce que tu fais dans cet orage ?
— J’arrive de vacances, j’étais en Suisse avec mes amis, dit Bill avec un petit sourire en coin.
— Ô toi ! ajouta le gardien, t’es vraiment un phénomène.
— Mon appartement est-il prêt ?
— Oui bien sûr, nettoyé une fois par mois.
Ils descendirent deux étages. Bill déverrouilla la porte de son studio.
— Voilà, ce n’est pas grand, Rose et Marie prendront la chambre, moi et Claude on restera ici.
— Bill, j’ai faim, protesta Marie.
— Bien sûr, répondit Bill, installez-vous, je vais voir si le gardien a une solution de dépannage.
Il repartit et revint une bonne demi-heure plus tard, un plat de pâtes à la tomate à la main. Ils mangèrent à la bonne franquette dans un bonheur partagé tandis que dehors les éléments se déchaînaient.
— Ça me rappelle la canicule de l’année dernière, murmura Rose…
— C’était effrayant, dit Marie, je m’en souviens aussi.
Rose, abasourdie et totalement subjuguée, regardait Marie avec une admiration contemplative. Elle se disait en elle-même : « Elle sait tout, a tout mémorisé, compris depuis ses premières heures ! Impressionnant ! »
19 mars 2039
Au petit matin, le soleil pointait son nez derrière une anarchie de nuages disloqués aux quatre vents. À Saint-Cloud, le monde s’éveillait en même temps que le jour.
— Bill, demanda Claude, on en a pour combien de temps jusqu’à Londres ?
— Deux heures grand max.
— Et pour Glamis ?
— Cinq heures, répondit Bill, pourquoi tu veux faire du shoping à Paris ?
— Non je me demandais si on n’irait pas voir le gouverneur.
Marie et Rose entrèrent dans la pièce pour y déjeuner.
— J’ai faim Bill, dit Marie suppliante en le regardant.
— Désolé petite, je n’ai rien ici !
— Eh bien allons voir Charles, répliqua Rose, il m’offrait toujours un café autrefois.
— J’appelle le gouverneur, dit Claude, savoir s’il peut nous accueillir pour le temps d’un petit déjeuner.
Ils quittèrent Saint-Cloud pour le Trocadéro. Le gouverneur, accompagné de Charles, s’avança sur l’esplanade pour accueillir le groupe.
— Venez, dit-il, j’ai quelques instants à vous consacrer, nous allons discuter en déjeunant.
Rose retrouva Charles avec une certaine nostalgie de sa vie d’avant. Ils s’installèrent dans un grand salon autour d’une table ronde. Du café, du thé, du pain, du beurre frais et des confitures trônaient sur la table pour le plaisir de tous.
— Alors vous partez en Écosse pour voir le roi Charles ? demanda le gouverneur.
— Oui mon ami, répondit Claude, si vous avez quelques messages ou missions à nous confier.
— Pour l’instant non, j’ai déjà tellement à faire ici. L’exercice du pouvoir n’est pas une chose facile. Entre compromis incertain, explosion latente, désespoir populaire, tout n’est que fragilité, une danse sur un fil de funambule. J’aimerais être scientifique comme vous, expliquer les choses de manière mathématique et non avoir un jargon politique qui est souvent entendu d’une oreille frondeuse.
— Scientifique ? ajouta Claude, vous savez que nous avons été ignorés pendant des décennies. Le monde vivait la vie comme une longue fête sans fin et sans limites ou abondance et profusion rimaient avec insouciance. Mais je dois dire que je préfère être scientifique que politique.
— Mon cher Claude, j’admire votre franchise, c’est pour ça que j’adhère à votre « Charte » … un président du monde, un scientifique !
— Pour toutes les raisons que vous avez citées avant, c’est un projet difficile et en même temps la seule alternative à ce que nous vivons.
De l’autre côté de la table, Rose s’entretenait avec Charles. Elle évoqua la course poursuite à travers Paris. Lui, déplora la mort tragique de Jade, la dame au chapeau. À côté, mangeant des tartines de confiture, Bill faisait l’inventaire de ses nombreuses cicatrices à Marie, elle admirait la puissance de ses bras, la force de son torse.
— Bill, je serai forte comme toi plus tard, lui dit-elle.
— Tu l’es déjà, encouragea-t-il, je t’ai vu à la course ou porter des choses… tu as déjà une force hors du commun.
Marie pleine de timidité esquissa un sourire. La tablée finit le petit déjeuner. Après des poignées de mains et des remerciements, ils repartirent vers la piste d’envol. Le ciel était clair, Bill ajusta ses lunettes sur son nez et dit en rigolant : « Le capitaine et moi-même vous souhaitons un bon vol ! »
Au loin de gros nuages remplissaient le ciel, une petite pluie commençait à assiéger Paris.
19 mars 2039
Après avoirquitté Paris, ils prirent de la hauteur en survolant Calais. Le temps était idéal pour le voyage, un grand ciel clair et pas de vent. La Manche fut avalée en quelques minutes. Bill s’était fait un plan de vol en longeant la côte est de l’Angleterre jusqu’à Édimbourg.
— On va où ? demanda Marie à Claude.
— En Écosse, lui répondit-il, on va voir un très vieux roi.
— Ah le roi Charles !
— C’est ça on ne peut rien te cacher.
— Pourquoi va-t-on voir ce vieux roi ? s’interrogea Marie.
— Il veut me voir, sans doute pour ma « Charte », enfin ça semblait important dans son message.
— J’espère qu’il n’y aura pas d’émeutes ou de violences là-bas, surenchérit Rose.
— Ça, on ne peut pas prévoir, c’est pour ça qu’on se réunit autour d’un projet commun, un projet qui peut nous sauver de l’extinction, de la folie meurtrière, de tout ce que tu détestes… mais ceci ne se fera pas sans dommages collatéraux.
— Oui sans doute, dit Rose, excuse-moi Claude, mais je crains tellement pour Marie et pour nous tous.
— Ne t’inquiète pas Maman Rose, j’adore ce que nous faisons ensemble et j’apprends à chaque instant… l’Écosse droit devant, allons-y !
Bill amorça une descente en altitude en survolant Édimbourg. Le ciel commença à se charger de gros nuages tout pommelés. Un vol d’oies bernaches volait vers le sud. Le Firth of Forth fut traversé en quelques minutes. Bill continua sur Kirkcaldy puis Saint-Andrews avant de bifurquer sur Glamis. Le château se dressait devant eux, lourd, imposant, majestueux, enveloppé d’une légère brume du soir. Bill descendit vers l’héliport du château où un petit comité d’accueil les attendait. Un vieil homme à la moustache bien fournie et portant le kilt, entonna Scotland the Brave sur sa cornemuse. Un autre à l’allure militaire s’approcha d’eux et les invita à s’avancer vers la royale demeure. Ils furent escortés jusqu’à l’entrée du château par des gardes en tartan, vareuses militaires et bérets aux couleurs locales. La porte du château s’ouvrit.
Une dame aux allures distinguées les salua et se présenta : Good evening Ladies and Gentlemen, I am Miss Margaret. Puis elle les convia à la suivre dans un dédale de couloirs. De passages secrets en portes dérobées, ils remontèrent les siècles dans un silence de cathédrale. Enfin ils s’arrêtèrent devant une lourde porte où l’accompagnatrice frappa lourdement trois fois sur celle-ci avant d’en manipuler la serrure. Elle poussa la porte et les fit entrer. C’était la chapelle de Glamis. Devant l’autel, un vieil homme semblait communier avec le Christ sur sa croix. L’homme se releva et les regarda avec des yeux tendres perdus dans le passé. C’était le roi.
— Hello King Charles ! envoya Claude à sa seigneurie.
— Hello everybody, I’m so glad to see you, I was waiting for you with a lot of patience, répondit le roi, bon maintenant on parlera en français, enfin si vous m’y inviter.
— Bien sûr mon Roi, proclama Claude, vous êtes chez vous et je respecte la hiérarchie malgré ma non-appartenance à une quelconque noblesse.
— Well et bien, bienvenue à tous à Glamis Castle. Mon intendante va vous guider vers vos appartements, nous parlerons pendant le souper.
Marie regardait le roi. Il portait un costume de tweed de couleur marron, une chemise en soie blanche et un gilet matelassé où était accrochée une broche en forme de rose. Son visage élégamment vieux et ridé était entouré de favoris incroyablement blancs qui tranchaient avec le bleu de ses yeux.
— Vous êtes le roi ? demanda-t-elle.
— Oui je suis le roi de Glamis, affirma Charles, autrefois j’étais le roi d’Angleterre, enfin d’un royaume en voie d’extinction, aujourd’hui je suis là avec la tête sur les épaules… en Angleterre on ne décapite pas les rois comme en France.
— Ce n’est pas grave, dit Marie, vous êtes un bon monsieur, je le vois dans vos yeux.
— Je ne sais pas petite, j’ai été dévoré par mon siècle et mon époque. On se verra plus tard si tu le veux bien.
— Oui bien sûr, j’aurai grand plaisir à parler avec vous.
Claude et ses amis rejoignirent leurs appartements, afin de se reposer avant le dîner. Bill et Claude avaient chacun leur chambre, individuelle, mais immense. Rose et Marie, quant à elles, furent installées dans une immense suite aux murs médiévaux très épais décorés de portraits d’ancêtres. Une cheminée trônait dans la partie salon.
— Rose, s’exclama Marie, on est bien ici, manque Papa Paul et ce serait presque le bonheur.
— Oui presque, enchaîna Rose… attendons de savoir ce que veut le roi Charles.