Le Kamasutra
Le KamasutraINTRODUCTION«DE L'ONANISME EN PARTICULIER»TITRE I GÉNÉRALITÉSCHAPITRE ICHAPITRE IICHAPITRE IIITITRE IICHAPITRE ICHAPITRE IICHAPITRE IIITITRE IIICHAPITRE ICHAPITRE IICHAPITRE IIICHAPITRE IVCHAPITRE VCHAPITRE VICHAPITRE VIITITRE IVCHAPITRE ICHAPITRE IICHAPITRE IIICHAPITRE IVCHAPITRE VCHAPITRE VITITRE VCHAPITRE ICHAPITRE IICHAPITRE IIICHAPITRE IVTITRE VICHAPITRE ICHAPITRE IICHAPITRE IIICHAPITRE IVCHAPITRE VCHAPITRE VITITRE VIICHAPITRE ICHAPITRE IICHAPITRE IIITITRE VIICHAPITRE ICHAPITRE IICHAPITRE IIICHAPITRE IVCHAPITRE VCHAPITRE VITITRE IXCHAPITRE ICHAPITRE IICHAPITRE IIICHAPITRE IVCHAPITRE VCHAPITRE VITITRE XCHAPITRE ICHAPITRE IITITRE XICHAPITRE ICHAPITRE IICHAPITRE IIICHAPITRE IVCHAPITRE VCHAPITRE VICHAPITRE VIICHAPITRE VIIICHAPITRE IXCONCLUSIONDERNIÈRES RÉFLEXIONSPage de copyright
Le Kamasutra
Vatsyayana
INTRODUCTION
Les principes sur le juste et l'injuste sont les mêmes en
tout temps et en tout lieu, ils constituent la morale absolue; mais
les principes sur les moeurs varient avec les âges et les pays.
Depuis la promiscuité sans limites des tribus sauvages jusqu'à la
prohibition absolue de l'oeuvre de chair en dehors du mariage, que
de degrés divers dans la liberté accordée aux rapports sexuels par
l'opinion publique et par la loi sociale et religieuse! A
l'exception des Iraniens et des Juifs, toute l'antiquité a
considéré l'acte charnel comme permis, toutes les fois qu'il ne
blesse pas le droit d'autrui, comme par exemple le commerce avec
une veuve ou toute autre femme complètement maîtresse de sa
personne. Toutefois la Chine, la Grèce et Rome ont honoré les
vierges, et l'Inde les ascètes voués à la continence à titre de
sacrifice.Au point de vue de la raison seule et d'une conscience
égoïste, la tolérance des Indiens et des païens parait naturelle et
la règle sévère des Iraniens semble dictée par l'intérêt social ou
politique; aussi cette règle n'a-t-elle été imposée qu'au nom d'une
révélation par Zoroastre et par Moïse.De là deux grandes divisions entre les peuples sous le
rapport des moeurs; chez les uns la monogamie est obligatoire, chez
les autres la polygamie est permise sous toutes les formes qu'elle
peut revêtir, y compris le concubinage et la fornication passagère.
Dans l'antiquité on doit, entre les peuples qui n'admettent pas de
révélation, distinguer sous le rapport des moeurs: d'une part, les
Ariahs de l'Inde chez lesquels la religion et la superstition se
mêlent intimement et activement à tout ce qui concerne les moeurs,
dans un intérêt politique, avec absence de génie artistique; et
d'autre part, les Ariahs d'Occident, c'est-à-dire les Grecs et les
Romains chez lesquels ce culte a été seulement la manifestation
extérieure des moeurs, sans direction ni action marquée sur elles,
et où le génie artistique a tout idéalisé et tout
dominé.Ainsi le naturalisme des Brahmes, l'antiquité payenne et les
principes de l'Iran ou d'Israël, dont a hérité le Christianisme,
forment trois sujets d'études de moeurs à rapprocher et à faire
ressortir par leurs contrastes. La matière se trouve: pour le
premier sujet, dans les scholiastes et les poètes du brahmanisme;
pour le second, dans la littérature classique, principalement dans
les poètes latins sous les douze Césars; pour le troisième, dans
les auteurs modernes sur les moeurs, savants et théologiens. Ces
auteurs sont universellement connus et il suffira d'en citer
quelques extraits. Mais il est nécessaire de donner, dans cette
introduction, d'abord des renseignements sommaires sur les
Iraniens, puis des détails plus complets sur les
Brahmes.LES IRANIENS.—Il paraît établi que le Mazdéisme est
postérieur au XIXe siècle avant Jésus-Christ, époque où commence
l'ère védique, et antérieure au VIIIe siècle avant Jésus-Christ;
d'où l'on conclut que l'auteur de l'Avesta a précédé la loi de
Manou et n'a pu être contemporain de Pythagore comme l'affirment
quelques historiens grecs. Peut-être d'ailleurs Zoroastre est-il un
nom générique (comme l'ont été probablement ceux de Manou et de
Bouddha) qui désigne une série de législateurs dont le dernier
serait celui que Pythagore aurait connu à Babylone et à Balk où il
tenait école.L'antique Iran était à l'est du grand désert salé de Khaver,
autrefois mer intérieure; son centre était Merv et Balk. Tout près
était, sinon le berceau de la race Aryenne, au moins sa dernière
station, avant la séparation de ses deux branches
asiatiques.On s'accorde à reconnaître dans Zoroastre un réformateur qui
voulut relever son pays succombant à l'exploitation des Mages
(magiciens) et à l'inertie, et le régénérer par le travail, surtout
agricole, et par le développement de la population fondé sur le
mariage, les bonnes moeurs et les idées de pureté. Voici ses deux
préceptes essentiels que nous retrouvons dans la loi de
Moïse:Eviter et purifier les souillures physiques et morales; avoir
des moeurs pures pour augmenter la population. Zoroastre recommande
l'art de guérir et proscrit la magie, son code n'est qu'une
thérapeutique morale et physique.Il peut, ainsi que quelques-uns le prétendent de Moïse, avoir
emprunté à l'Égypte une grande partie de ses préceptes sur les
souillures et les purifications.Ce qui domine dans la morale de Zoroastre, c'est l'horreur du
mensonge; ce trait ne se trouve dans aucune des religions de
l'Orient ni dans le caractère d'aucune de ses races, sauf les
Iraniens et les Bod (anciens Scythes).Comme principe, il paraît dériver de la quasi-adoration de la
lumière, qui fait le fond du Mazdéisme. On doit certainement aussi
en faire honneur à la droiture et à l'élévation de caractère de son
fondateur.Les aspirations morales du Mazdéen, sa conception de la vie,
du devoir et de la destinée humaine, sont exprimées dans la prière
suivante:«Je vous demanderai, ô Ozmuzd, les plaisirs, la pureté, la
sainteté. Accordez-moi une vie longue et bien remplie. Donnez aux
hommes des plaisirs purs et saints, qu'ils soienttoujours engendrant, toujours dans les
plaisirs.»«Défendez le sincère et le véridique contre le menteur
etversez la lumière.»Après le mensonge, le plus grand des crimes, aux yeux de
Zoroastre, est le libertinage, tant sous la forme d'onanisme ou
d'amour stérile que sous celle d'amour illégitime et
désordonné.La perte des germes fécondants est la plus grande faute aux
yeux de la société et de Dieu.L'Iranien sans femme est dit «au dessous de
tout.»Le père dispose de sa fille et le frère de sa
soeur.La jeune fille doit être vierge. Le prêtre dit au père: «Vous
donnez cette vierge pour la réjouissance de la terre et du ciel,
pour être maîtresse de maison et gouverner un lieu.»L'acte conjugal doit être sanctifié par une prière: «Je vous
confie cette semence, ô Sapondamad» (la fille
d'Ozmuzd).Chaque matin, le mari doit invoquer Oschen (qui donne
abondamment les germes).Si l'amant se dérobe, la femme qu'il a rendue mère a le droit
de le tuer.L'infanticide et le concubinage sont punis de mort, mais la
loi n'édicte rien contre les femmes «publiquement amoureuses, gaies
et contentes, qui se tiennent par les chemins et se nourrissent au
hasard de ce qu'on leur donne.» Cette tolérance est une sorte de
soupape ouverte aux passions pour empêcher le concubinage et
l'adultère.Zoroastre recommande aussi l'accouplement des
bestiaux.Il prescrit de traiter les chiens presque aussi bien que les
hommes; sera damné celui qui frappera une chienne mère. Dans tout
l'Orient on ne retrouve qu'au Thibet ce soin presque pieux pour les
chiens. Outre les préceptes sur le mariage et les souillures, il y
a beaucoup d'autres points de ressemblance entre l'Avesta et la
Bible. M. Renan en a conclu qu'il y a eu certainement un croisement
entre le développement iranien et le développement juif. M. de
Bunsen a publié un livre pour démontrer que le Christianisme n'est
autre chose que la doctrine de Zoroastre, transmise par un certain
nombre d'intermédiaires jusqu'à saint Jean dont l'évangile est,
selon quelques uns, l'expression de la doctrine secrète de Jésus,
de sa métaphysique. Il soutient que la formule «je crois au père,
au fils et à l'esprit» à laquelle se réduisait, d'après M. Michel
Nicolas, leCredodes premiers
chrétiens, n'est pas juive, mais qu'elle vient de
Zoroastre.Il n'est point surprenant qu'un homme d'imagination identifie
ainsi deux doctrines qui se rapprochent beaucoup par leur
pureté.M. Emile Burnouf, de son côté, pense que ceCredoétait aussi celui des Ariahs dans
l'Ariavarta, ce qui peut se concilier avec la thèse de Mr de
Bunsen.Le même auteur fait dériver la symbolique chrétienne du culte
primitif des Ariahs.Ce sont là de brillants aperçus plutôt que des faits
rigoureusement acquis à la science. Ce qui n'est point contesté,
c'est l'identité presque parfaite des règles sur les moeurs chez
les Iraniens et chez les juifs, et par suite chez les chrétiens.
Pour qu'on en soit frappé, il suffit de rappeler:1° Les préceptes du Décalogue: VIe «Tu ne forniqueras point»;
«IXe Tu ne désireras pas la femme de ton prochain»; ou bien le 6e
commandement de Dieu: «L'oeuvre de chair tu ne feras, qu'en mariage
seulement», et le 9e «Luxurieux point ne seras, de corps ni de
consentement.»2° La doctrine de l'Eglise sur l'Onanisme (Père Gury,
théologie morale).«La pollution consiste à répandre sa semence sans avoir
commerce avec un autre; la pollution directe parfaitement
volontaire est toujours un péché mortel.»«Toute effusion de semence, faite de propos délibéré, si
faible qu'elle soit, est une pollution et par suite un péché
mortel.»
«DE L'ONANISME EN PARTICULIER»
«L'onanisme tire son nom d'Onam, second fils du patriarche
Juda, qui après la mort de son frère Her, fut forcé, selon la
coutume, d'épouser sa soeur Thamar pour donner une postérité à son
frère. Mais, s'approchant de l'épouse de son frère, il répandait sa
semence à terre pour que des enfants ne naquissent pas sous le nom
de son frère. Aussi le Seigneur le frappa parce qu'il faisait une
chose abominable (Genèse XXXVIII, 9 et 10).«922.—L'onanisme volontaire est toujours un péché mortel en
tant que contraire à la nature; aussi il ne peut jamais être permis
aux époux, parce que:1° Il est contraire à la fin principale du mariage et tend en
principe à l'extinction de la société et par conséquent renverse
l'ordre naturel;2° Parce qu'il a été défendu strictement par le législateur
suprême et créateur, comme il résulte du texte précité de la
Genèse.»L'INDE.—Dans l'Inde la morale se confond avec la religion, et
la religion avec les Brahmes. Ce sont trois termes qu'on ne peut
séparer dans un exposé. Nous nous étendrons donc quelque peu sur
les Brahmes.Les moeurs des Ariahs paraissent avoir été pures dans
l'Aria-Varta, berceau commun des Ariahs asiatiques, et dans le
Septa Sindou leur première conquête dans l'Inde, entre la vallée
délicieuse de Caboul et la Serasvati.L'épouse était une compagne aussi respectée que
dévouée.Le culte était privé, le père de famille pouvait, même sans
le poète ou barde de la tribu, consommer le sacrifice; mais bientôt
le poète imposa sa présence et il devint prêtre.Dans le principe rien ne distinguait les prêtres du corps des
Ariahs ou Vishas, pasteurs; ils étaient, comme les autres membres
de la tribu, pasteurs, agriculteurs, guerriers, souvent les trois à
la fois.A la fin de la seconde période védique (la seconde série des
hymnes), le sacerdoce s'établit avec le culte public.On adore Indra soleil, qu'on agrandit pour en faire Vichnou
soleil.Des hymnes font de Roudra un dieu en deux
personnes.C'est le souffle impur lorsqu'il vient des marais
sub-himmalayens, le dieu purificateur quand il chasse l'air empesté
des bas-fonds et des jungles.Quand la conquête embrasse tout le pays entre la Sérasvati et
la Jumma, l'aristocratie guerrière se forme en même temps que la
caste sacerdotale.Les Ariahs ont à combattre lesDaysous
noirshabitants des montagnes et lesDaysous jaunes(sans doute de la race
mongole) qui occupent les plaines; ces derniers sont avancés dans
la civilisation, combattent sur des chars, ont des villes avec
enceintes. Quand ils sont assujettis, les Brahmes leur empruntent
le culte des génies qui était leur religion.Dans la vallée du Gange, les Ariahs se civilisent et se
corrompent; les Brahmes favorisent l'établissement de petites
monarchies pour tenir en bride les guerriers (Kchattrias) et parmi
les compétiteurs ils appuient ceux qui les
soutiennent.Quelques-uns sont guerriers et rois.Ils se font les gourous (directeurs de Conscience) et les
pourohitas (officiants) des rajahs.Pour acquérir un grand prestige, ils établissent le noviciat
des jeunesBrahmes et l'ascétisme des vieillards.Jouissant de la paix par la protection des Radjas (princes
guerriers), les Brahmes se divisent en deux camps; les uns
n'admettent comme efficaces pour le salut que la foi et la prière
(la backti), les autres proclament la souveraineté de la boddhi
([Grec: sorich] des Grecs, la connaissance).A la période védique succède la période héroïque, l'Inde des
Kchattrias, qui dure plusieurs siècles pendant lesquels les Ariahs
s'emparent: d'abord du cours inférieur du Gange, puis du reste de
la péninsule.Pendant que les guerriers achèvent la conquête, les trois
classes se distinguent et se séparent de plus en plus, les Brahmes
s'emparent de tous les pouvoirs civils et judiciaires.Les Brahmes et les Kchattrias se disputent le pouvoir; les
premiers, pour flatter la foule, adoptent ses superstitions et ses
dieux, ils font appel aux races non-aryennes et principalement aux
peuplades guerrières à peine soumises; avec leur aide et celle de
quelques rois qui se déclarent pour eux, ils exterminent les
Kchattrias dans le sud et ne leur laissent ailleurs qu'un rôle
subordonné.Ils composent alors une série d'ouvrages théologiques qui
change la religion et qui leur donne la possession exclusive de
tout ce qui touche au culte. Le couronnement de l'oeuvre est la loi
de Manou qui consacre leur suprématie sur tous et en toute chose et
achève l'abaissement physique et moral des classes serviles vouées,
même à leurs propres yeux, par la doctrine de la métempsycose, à
une déchéance irrémédiable.C'est ainsi que les Pariahs se croient eux-mêmes inférieurs à
beaucoup d'animaux. Par la peur, par la corruption, par le dogme de
l'obéissance aveugle à la coutume immuable, l'institution de Manou
a vécu plus qu'aucune autre et on ne saurait en prévoir la fin.
Jamais et nulle part on n'a poussé aussi loin que les Brahmes
l'habileté théocratique pour l'asservissement.Ce qui était resté des Kchattrias et la caste entière des
Vessiahs (Vishas) supportaient avec impatience l'arrogance et les
privilèges exorbitants des Brahmes.Les théosophes et les ascètes, en dehors de leur caste, les
combattaient dans le champ de la spéculation.Tous ces adversaires se réunirent dans le Bouddhisme; il eut
une telle faveur que tout ce qui avait une certaine valeur morale
entrait dans les couvents bouddhiques: les Brahmes délaissés et
réduits à leurs propres ressources vécurent de leurs biens et des
métiers que Manou leur permet en temps de détresse. Mais ils
n'abandonnèrent point la partie. Tandis que le célibat bouddhique
dévorait les hautes castes qui leur étaient opposées et ne laissait
rien pour le recrutement du corps religieux, les brahmes se
maintenaient par l'esprit de famille, et à force de persévérance,
de talents, d'habileté et d'astuce, ils parvenaient à supprimer le
bouddhisme.Par une série de transformations, les Brahmes ont fait de la
divinisation de la vie et de la génération, l'essence même de la
religion. Aujourd'hui les Hindous se divisent en deux grandes
sectes:—les adorateurs de Siva, autrefois Roudra, qui portent au
bras gauche un anneau dans lequel est renfermé le lingam-yoni,
sorte d'amulette figurant l'accouplement des organes des deux
sexes, (verenda utriusque sexus in actu copulationis),—et ceux de
Vishnou qui portent au front le Nahman. C'est une sorte de trident
tracé à partir de l'origine du nez. La ligne verticale du milieu
est rouge et représente le flux menstruel; les lignes droites
latérales sont d'un gris cendré et figurent la semence
virile.En introduisant la sensualité dans tout ce qui touche à la
religion, lesBrahmes avaient eu deux objectifs.Arracher au Bouddhisme et captiver par des images de leur
goût grossier les Hindous, surtout ceux de la caste servile
incapables d'atteindre aux délicatesses du sentiment et de l'idéal.
C'était avec la représentation sculpturale des scènes mythologiques
qui avait un certain mérite, non de forme, mais de mouvement, le
moyen le plus facile et peut-être unique de plaire aux yeux;
c'était aussi une concession aux cultes locaux antérieurs à la
conquête, qui purent ainsi se continuer dans le sein du
Panthéisme.Le second objectif des Brahmes, celui-là fondamental et non
point seulement une arme et un expédient de circonstance, nous est
indiqué par la prescription de Manou: «chacun doit acquitter la
dette des ancêtres» (avoir au moins un fils pour lui fermer les
yeux).Le but était d'empêcher la diminution numérique et par suite
l'effacement de la race des Ariahs, aujourd'hui représentée
uniquement par les Brahmes, et aussi de développer la population
servile dont le travail était la source principale de la richesse
publique. Le législateur pensait sans doute qu'il fallait exciter
les passions chez un peuple physiquement assez faible, d'un
tempérament lymphatique, disposé à l'anémie par l'insuffisance
d'une alimentation exclusivement végétale et par l'accablement du
climat.La religion naturaliste ou érotique de l'Inde a commencé par
l'adoration de Siva, confondu d'abord avec le fétiche du membre
viril, le linga. Le linga, qu'on rencontre partout dans l'Inde, sur
les routes, aux carrefours et places-publiques, dans les champs
n'est point ce qu'était dans l'antiquité payenne le phallus, une
image obscène et quelquefois un objet d'art. Si on n'était point
averti, on le prendrait pour une borne presque cylindrique,
c'est-à-dire un peu plus large à la base qu'au sommet, laquelle se
termine par une calotte sphérique fort aplatie et ne présentant
aucune saillie sur le fût. Celui que j'ai rapporté de l'Inde avait
une hauteur d'un mètre, un diamètre moyen de 0,25 à 0,30 m. et
reposait sur une base également en granit d'un mètre et demi de
côté, clans laquelle était creusée au pied du fût une sorte de
rainure circulaire représentant le pli du yoni (partie sexuelle de
la femme) figuré par la base, ainsi que cela a lieu
généralement.Ainsi, même aujourd'hui, après trente siècles peut-être, le
linga et l'yoni ne sont point des images qui parlent aux sens, ce
sont des corps géométriques servant de symboles, des
fétiches.Comme il ne s'est trouvé aucune trace de fétichisme chez les
Ariahs de l'époque védique, ni aucun autre fétiche dans le culte
brahmanique postérieur, il faut penser que le linga est le fétiche
probablement très ancien d'une race assujettie, peut-être les
Daysous noirs, et que les Brahmes, pour s'attacher cette race,
adoptèrent Siva et le linga, en confondant à dessein Siva avec
Roudra, le dieu védique qui s'en rapprochait le plus par ses
attributs: Siva était sans doute le dieu national d'une partie
notable de l'Inde avant la conquête Aryenne; car, dès le
commencement, il a reçu la qualification d'Issouara, l'être
suprême.Le linga n'avait point pénétré dans la religion védique, où
il n'y a point de culte du phallus. Stevenson et Lassen lui
attribuent, avec beaucoup de preuves à l'appui de leur opinion, une
origine dravidienne (la langue dravinienne, aujourd'hui le tamoul,
est en usage dans tout le sud de la péninsule).Le linga apparaît dans la religion des Brahmes en même temps
que le Sivaïsme, et celui-ci s'y montre immédiatement après la
période des hymnes; quelques morceaux du yagur-véda (véda du
cérémonial) supposent un état déjà avancé de la religion
sivaïste.Le temple d'Issouara (Siva, être suprême) à Benarès paraît
avoir été très ancien; il était dans toute sa splendeur lors de la
visite du pèlerin chinois Fa-Hien.Encore aujourd'hui, c'est le sivaïsme qui domine à Benarès,
la ville sainte et savante par excellence.Plusieurs passages du Mahabarata ont trait au culte de Siva
et du linga; les Épopées, bien que Vichnouistes, supposent une
prépondérance antérieure du culte de Mahadèva (le grand dieu, Siva,
l'être existant par lui-même).Dans les premières légendes bouddhistes, le Lalita-Vistara,
par exemple, Siva vient immédiatement après Brahma et Çakra
(Indra). On sait qu'il y a toujours eu grande sympathie et nombreux
rapprochements entre le bouddhisme et le sivaïsme, sans doute parce
que ce dernier était très rationnaliste et presque monothéiste,
tandis que le vishnouvisme représentait le panthéisme et
l'idolâtrie. Le sivaïsme est resté longtemps la religion
professionnelle des Brahmes lettrés.Il y a maintenant dans le sud de l'Inde une secte
spiritualiste qui prétend professer le sivaïsme primitif. Elle a eu
pour interprète Senathi Radja dans son livre: «le sivaïsme dans
l'Inde méridionale.»Le sivaïsme, dit l'auteur, paraît être la plus ancienne des
religions; l'ancienne littérature dravidienne est entièrement
sivaïste. Agastia est le premier sage qui a enseigné le monothéisme
sivaïste, bien avant les six systèmes de philosophie hindoue, en le
fondant à la fois sur les Vedas et sur les Agamas, écrits qui n'ont
jamais été traduits dans aucune langue européenne. Voici le résumé
de la doctrine monothéiste:«Tout est compris dans les trois termes: Dieu, l'âme, la
matière.Issouara ou Siva ou Dieu est la cause efficiente de
l'univers, son créateur et sa providence.Siva est immuable, omnipotent, omniscient et miséricordieux,
il remplit l'univers et pourtant il en diffère.Il est en union intime avec l'âme humaine immortelle, mais il
se distingue des âmes individuelles qui sont inférieures d'un degré
à son essence. Son union avec une âme devient manifeste quand
celle-ci s'affranchit du joug des sens, ce qu'elle ne peut faire
sans la grâce dont Siva est le dispensateur.La matière est éternelle et passive, c'est Siva qui la meut;
il est l'époux de la nature entière qu'il féconde par son action
universelle.Il n'y a qu'un dieu, ceux qui disent qu'il y a plusieurs
dieux seront voués au feu infernal.La révélation de Dieu est une, la destinée finale est une, la
voie morale pour l'humanité tout entière est une.»De là vient sans doute le renseignement suivant, donné par
l'abbéDubois: chaque Brahmane dirait à son fils au moment de
l'initiation:«Souviens-toi qu'il n'y a qu'un seul Dieu; mais c'est un
dogme qu'il nefaut point révéler parce qu'il ne serait point
compris.»Siva est le dieu de l'Inde qui a le plus de sanctuaires et le
linga est le symbole le plus répandu. On le trouve à profusion au
Cambodge où, tous les ans, à la fête du renouveau, on promène dans
les rues en procession un immense linga creux dans lequel se tient
un jeune garçon qui en forme la tête épanouie.Chose curieuse! Le linga est la matière d'un ex-voto très
commun pour les ascètes au Cambodge. Voici, un peu abrégée, la
dédicace d'un linga par l'un d'eux (Journal de la
Société asiatique).Om, adoration à Siva.1°.—2°.—3°.—Formules préliminaires d'adoration à
Siva.4°. Le linga érigé par l'ascète Djana-Priga dans le temps de
l'ère Çaka exprimée par le chiffre 6, les nuages 7 et les
ouvertures du corps 9, soit le nombre 976; respectez-le, habitants
des cavernes (ermites ascètes) voués à la méditation de Siva qui a
résidé en lui.5°. Réfugié auprès de tous ceux qui ont pour occupation la
science du maître des maîtres du monde (Siva), il l'a donné (le
linga) à tous pour protéger le sattra (le soma offert en sacrifice
comme symbole de la semence divine de Siva) de ces ascètes aux
mérites excellents, l'ayant tiré des entrailles de son
corps.6°. C'est le Seigneur en personne (le linga est Siva
lui-même), se disaient tous ceux qui ont des mérites excellents
(les ascètes). Aussi vouèrent-ils une affection éternelle à ce
yoghi aspirant à la délivrance (celui qui avait donné le
linga).7°. Pour lui, abattus par des haches telles que celles de
Maïtri, et précipités dans cet océan qu'on appelle la qualité de
bonté (la qualité de bonté embrassait tout ce qui est excellent et
saint),les arbres qu'on appelle les six
ennemis(les six sens) ne porteront plus aucun
fruit.8°. Sorti d'une race pure, il a accompli les oeuvres viriles
qu'il avait à accomplir. Et maintenant, son âme purifiée a en
partage la béatitude suprême (même avant la mort dans sa retraite,
etc.).9°. On voit par cette dédicace que le voeu ou la consécration
d'un linga était un acte d'austérité et que le linga, comme Siva,
avait un culte plutôt sévère qu'aimable.Le culte de Priape, en Grèce, paraît avoir eu à peu près le
même caractère. C'était une divinité rurale dont le délicieux roman
de Daphnis et Chloé nous donne une idée respectable et sympathique,
nullement licencieuse. Ce caractère paraît avoir changé à Rome par
l'effet du progrès de l'érotisme dans toutes les religions de
l'Inde. D'après Richard Payne, auteur duCulte de
Priape, Priape y avait un temple, des prêtres,
des oies sacrées. On lui amenait pour victimes de belles filles qui
venaient de perdre leur virginité.La haute antiquité du culte du linga dans l'Inde et la
certitude aujourd'hui acquise d'une expansion ou éruption de
l'hindouisme vers l'Occident, antérieur aux sept sages de la Grèce,
rendent très probable l'opinion que c'est de l'Inde qu'est venu le
culte phallique; d'abord associé sans doute à celui des divinités
assyriennes et phéniciennes dont l'une a pu représenter Siva, il
s'établit ensuite avec éclat dans l'île de Chypre qui lui fut
consacrée tout entière. Il passa de là dans l'Asie Mineure, en
Grèce et en Italie.Rien de surprenant que, dans ces contrées où l'art était
tout, le linga, encore fétiche à Paphos, se soit transformé en une
image que les idées des anciens sur les nudités, absolument
différentes des nôtres, ne faisaient point considérer comme obscène
et que la sculpture s'efforçât de rendre aussi belle et aussi
gracieuse qu'aucune autre partie du corps humain. C'est ce que l'on
voit dans la statue de l'Hercule phallophore qui porte une corne
d'abondance remplie de phallus, et dans un grand nombre de camées
antiques. Sans doute on mit beaucoup de lingas ou priapes pour
servir de délimitation ou de repère dans les champs et les jardins.
De là l'origine du dieu champêtre Priape. C'est la prédominance
primitive de l'énergie mâle qui se continua dans la Grèce, tandis
que, peu à peu, dans l'Inde, l'énergie femelle prenait le dessus.
Chez les poètes anciens jusqu'à Lucrèce, Vénus est la déesse de la
beauté, de la volupté, des amours faciles, des jeux et des ris
plutôt que de la fécondité. Junon avait pour les épouses ce dernier
caractère plus peut-être que Vénus; et une autre déesse, Lucine,
présidait aux accouchements. Ce fut probablement par l'effet de la
pénétration des idées indiennes transformées, au sujet des énergies
femelles, et peut-être aussi par un progrès naturel, que les poètes
philosophes tels que Lucrèce célébrèrent Vénus comme lamère universelle: Venus omnium parens.Le culte de Vénus dans l'île de Chypre réunit beaucoup de
traits du culte naturaliste de l'Inde à la prostitution sacrée des
religions assyriennes et phéniciennes, le tout relevé par l'arc
grec.Le temple de Paphos dessinait un rectangle (forme des temples
indiens et grecs) de dix-huit mètres de longueur sur neuf mètres de
largeur. Sous le péristyle, un phallus d'un mètre de hauteur, érigé
sur un piédestal, annonçait l'objet du culte. Au milieu du temple
se dressait un cône d'un mètre de hauteur (forme du linga), symbole
de l'organe générateur.Tout autour du cône étaient rangées de nombreuses déesses
dans des poses appropriées au culte du temple (comme les gopies
autour du dieu Krishna).La statue de la déesse placée dans le sanctuaire a l'index de
la main droite dirigé vers le pubis (Latchoumy, la déesse de la
fécondité, figure dans les bas-reliefs des pagodes avec un doigt
placé immédiatement au-dessous du pubis).Le bras gauche s'arrondit à la hauteur de la poitrine et
l'index de la main gauche est dirigé vers le mamelon du sein droit;
on se demande si c'est un appel à la volupté ou l'indication de
l'allaitement.Cette statue, oeuvre admirable de Praxitèle, est surtout
gracieuse et délicate; c'est la volupté idéalisée (voir à ce sujet
le chapitre des amours de Lucien).L'aphrodite phénicienne est au contraire un type réaliste;
elle a les formes massives, les flancs larges et robustes, la
poitrine rebondie, les hanches et le bassin largement développés;
tout en elle respire la luxure.A l'entrée de tous les temples naturalistes de Chypre, de la
Phénicie, se dressent des colonnes de formes diverses, symboles de
l'organe mâle. Il y avait toujours deux de ces symboles, colonnes
ou obélisques, devant les temples construits par les Phéniciens, y
compris celui de Jérusalem.Des érudits attribuent cette origine, comme emprunt fait au
temple de Jérusalem, aux deux tours ou flèches de nos cathédrales
gothiques; l'auteur duGénie du
christianismene s'en doutait guère! Et cependant
les menhirs de la Basse-Bretagne, tout à fait semblables à ceux
d'une grande région du Décan, paraissent avoir appartenu au même
culte naturaliste[1].Remarquons que les Sivaïstes et les Phéniciens, ceux-ci comme
Sémites, avaient, outre les mêmes symboles, les mêmes croyances
monothéistes.Ce qu'on adorait à Paphos et dans les autres temples
naturalistes, c'était la volupté souveraine par l'union des sexes,
l'amour universel dans le monde, la force productrice chez les
êtres animés.[Note 1: Mgr Laouénan.—Les monuments celtiques sont très
communs dans l'Inde; dans les plaines rocheuses qui s'étendent
parmi les massifs des gates orientales jusqu'à la Nerbudda et aux
monts Vindhyas, on rencontre à chaque pas pour ainsi dire des
constructions identiques à celles qui existent au nord et à l'ouest
de l'Europe. D'après la tradition locale ou l'opinion des habitants
intelligents, les menhirs représentent le linga. Les étymologies
appuient cette opinion.]Dans les fêtes d'Adonis dont la légende est un mythe solaire,
on célébrait le retour du soleil et de l'amour universel par des
transports de joie, des chants et des danses orgiaques (comme dans
le culte de Krishna, incarnation de Vishnou-Soleil).Alors avaient lieu les prostitutions sacrées considérées
comme des sacrifices (elles ont de l'analogie avec les Sakty pudja,
sacrifices de la Sackty, que nous verrons plus loin s'établir dans
le Sivaïsme).«Sous de légers berceaux de myrthe et de laurier, sous des
tentes enguirlandées de fleurs, se tenaient les Hériodules,
prêtresses de la déesse, jeunes et belles esclaves grecques ou
syriennes; elles étaient couvertes de bijoux, vêtues de riches
étoffes, coiffées d'une mitre enrichie de pierreries, de laquelle
s'échappaient les longues tresses de leurs noires chevelures
entremêlées de guirlandes de fleurs dans lesquelles se jouait une
écharpe écarlate. Sur leurs poitrines aux seins fermes et arrondis,
que protégeait une gaze légère, pendaient des colliers d'or,
d'ambre et de perles ou de verre chatoyant, comme insignes de leur
office religieux; elles tenaient à la main un rameau de myrthe et
la colombe, l'oiseau de Vénus.»Ainsi parées, elles attendaient souriantes et toujours prêtes
à célébrer le doux sacrifice en l'honneur de la déesse avec tous
ceux qui les en priaient.Partout où domine le culte du Linga ou de ses équivalents, on
est obligé de voir une émanation du Sivaïsme primitif, divinisation
du pouvoir rénovateur, avec un rôle secondaire pour la déesse de la
beauté (dans l'Inde, Parvati, la femme de Siva).Dans cette période reculée, Siva est la cause efficiente qui,
par son énergie ou sa sakti comme instrument, produit ou détruit le
monde qui a pour matrice la prakrite ou la matière universelle
(voir, pour la définition de la prakriti, le sankya commenté par M.
Barthélemy de Saint-Hilaire). La sakty d'un dieu forme avec lui un
seul être à double face. Peu à peu, par la prédominance de la
sakty, le rôle de l'élément mâle diminua, puis s'effaça, mais ce
fut assez tard. La prédominance de la sakty de Siva ne s'affirme
que dans les derniers Pouranas et dans la littérature des Tantras
qui commence au IVe siècle de notre ère.Le culte des saktis, tel qu'il est décrit dans lesTantras, forme une religion à part,
celle des Saktas, qui se divise en plusieurs branches et qui a sa
mythologie spéciale. La divinité dominante est Mahadeva (Siva).
Selon le Vayou Pourana, non-seulement Siva avait une double nature
mâle et femelle, mais sa nature femelle se divisa en deux moitiés,
l'une blanche et l'autre noire, cette dernière sans doute imaginée
pour la satisfaction des castes des Soudras (noirs). A la nature
blanche, ou qualité de bonté, on rattacha les Saktys ou déesses
bienfaisantes, telles que Latchoumy, Seravasti, épouses de Vischnou
et de Brahma; à la nature noire Dourga, Candi, Cananda, toutes les
saktys ou déesses redoutées. Mahadévi ou la sakty de Siva, qu'on
suppose une transformation de Maya, le principe féminin des Vedas,
se développa dans une infinité de manifestations ou de
personnifications de toutes les forces physiques, physiologiques,
morales et intellectuelles, qui eurent chacune leurs dévots et leur
culte. Comme plusieurs de ces déesses sont notoirement des
divinités aborigènes, il est vraisemblable que l'ensemble fut
constitué par le groupement des divinités femelles des cultes
aborigènes pour former une sorte de polythéisme féminin que les
Brahmes acceptèrent comme une religion populaire en y introduisant
au dernier degré les femmes mortelles, depuis les
Brahmines.Pour creuser une séparation plus profonde entre le Bouddhisme
et la religion populaire, les Brahmes avaient développé jusqu'à la
fausser la Bakti, l'ancienne doctrine du salut par la foi et la
dévotion ou la grâce, opposée à celle du salut par la boddhi (la
connaissance), doctrine de l'ancienne thésophie, du sankia, du
bouddhisme et de l'orthodoxie brahmanique moderne formulée par
Cançara, le résurrecteur du Brahmanisme presque tué par le
Bouddhisme. La backti s'adresse, dans chaque secte, à la
manifestation du dieu la plus rapprochée, par exemple, chez les
Vichnouvistes, non à Vishnou, mais à Krishna, le dieu fait homme;
il y répond par sa grâce. La dévotion au dieu de la secte suppléait
à tout, à la morale, aux oeuvres, à l'ascétisme, à la
contemplation. Cette doctrine est pleinement développée dans le
chant duBien Heureuxet
systématisée par Sandilya dans sesSutras de la
Bakti, d'où Nagardjuna les a introduits dans le
grand véhicule bouddhiste. Par elle la religion, jusque-là dérobée
aux masses dans son essence, devient un fait de sentiment que le
sensualisme hindou change bien vite en un fait de
passion.En resserrant la dévotion sectaire sur une divinité très
précise, la bakti a poussé à l'idolâtrie; elle a confondu d'abord
le dieu avec son image, puis distingué entre les sanctuaires d'un
même dieu. De là une subdivision à l'infini des sectes et des
cultes.La Bakti embrasse tout le vichnouvisme et une partie
seulement du sivaïsme.Les bakta ou sectateurs de la Bakti se divisèrent en:main droite, qui s'en tient aux
Pouranas et à la dévotion pour leurs dieux et déesses mythologiques
(les Pouranas sont la mythologie populaire recueillie
officiellement par les Brahmes), etmain
gauche, qui fait du Kaulo Upanishad et des
Tantras une sorte de veda particulier, adressant de préférence sa
dévotion aux énergies et divinités femelles et principalement à
l'union des sexes et aux pouvoirs magiques. Les Tantras sont des
livres d'érotisme et de magie.Les rites de la main gauche unissent les deux sexes en
supprimant toute distinction de caste. Dans des réunions qui ne
sont point publiques, les affiliés, gorgés de viandes et de
spiritueux, adorent la sakti sous la forme d'une femme, le plus
souvent celle de l'un d'eux; elle est placée toute nue sur une
sorte de piédestal et un initié consomme le sacrifice par l'acte
charnel. La cérémonie se termine par l'accouplement général de
tous, chaque couple représentant Siva et sa Sakty et devenant
identique avec eux. C'est absorbé dans la pensée de la divinité et
sans chercher la satisfaction des sens que le fidèle doit accomplir
ces actes. Les catéchismes qui enseignent ces pratiques sont
remplis de hautes théories morales et même d'ascétisme, mais en
réalité, les membres de ces réunions ne sont que des libertins
hypocrites. On prétend que beaucoup de brahmes en font secrètement
partie bien que publiquement ils affectent de les blâmer, parce que
toutes ces pratiques sont contraires aux règles sur les castes et
les souillures.Ce fait n'est qu'une application particulière de la politique
générale des Brahmes qui partout ont flatté les passions et semé la
corruption, pour détacher du bouddhisme les populations qu'il avait
d'abord conquises.C'est dans cette même pensée qu'ils ont constitué la grande
secte essentiellement panthéiste de Vichnou, et principalement le
culte de Krichna. Bien mieux encore que le Sivaïsme, le
Vischnouvisme, par sa théorie des incarnations et de l'action
continue de Vischnou pour la conversion du monde et par la
divination de la vie dans toutes ses manifestations, se prêtait à
l'adoption de toutes les divinités, de tous les cultes, de toutes
les superstitions aborigènes. Actuellement l'Inde compte plus de
20,000 dieux, la plupart anciennes divinités locales qui sont
adorées par les vishnouvistes, en même temps que Vichnou dans ses
principales incarnations de Rama et de Krischna et dans ses
attributs essentiels de dieu soleil, tel que le conçoivent une
grande partie des Hindous, surtout les plus instruits.Krishna fut un prince, ou chef indigène (le mot krishna veut
dire noir), guerrier habile et heureux, qui rendit aux Brahmes des
services signalés dans le cours de leurs luttes contre les
Kchattrias, et dont les premiers, en récompense, firent une
incarnation de Vichnou. Son culte et ses légendes, notamment celles
de ses amours avec Radha, furent, dès l'origine, très licencieux,
et Krishna fut sans doute tout d'abord le dieu du plaisir.
LeLalita-Vistara(vie poétique
de Bouddha) confond Krishna avec Marah, le tentateur, le dieu de la
concupiscence. Pour les besoins de leur lutte contre le bouddhisme,
les Brahmes relevèrent le culte de Krishna, fort goûté du
sensualisme hindou; ils lui laissèrent probablement toute la
licence de ses pratiques pour le bas peuple, mais en même temps ils
s'efforcèrent de l'entourer aux yeux des classes élevées d'une
auréole de mysticisme. Krishna s'élève à une grande hauteur de
philosophie religieuse dans le chant duBien
Heureux; soit rencontre fortuite, soit emprunt
du philosophe grec, la théorie des divinités secondaires, ministres
du dieu principal, est la même dans Platon et dans le poète hindou.
On a commenté les amours de Krishna avec Rhada, comme une allégorie
figurant le commerce de l'âme avec Dieu. Mais, de même que nous
l'avons vu tout à l'heure pour les Tantras et les catéchismes de la
Sakty, il faut penser que ce prétendu amour divin n'existait que
pour des ascètes, et que, au fond, c'était pour les Brahmes une
manière de couvrir d'une apparence de piété l'érotisme du
culte.A mesure que la Bakti s'accentue dans le vichnouvisme et que
les mérites de la dévotion sont de plus en plus considérés comme
dispensant de tous les autres, la religion de Krishna plonge de
plus en plus dans l'érotisme et fait parler davantage à l'amour
divin le langage de la passion. Cette tendance se montre avec un
éclat incomparable dans le Baghavata pourana et avec plus
d'intensité encore dans les remaniements populaires de cet ouvrage
répandus dans toute l'Inde, notamment dans le Premsagar Indi
(l'Océan d'amour).Le Baghavata Pourana donne des descriptions très lascives des
amours deKrishna avec les gopies (bergères).Le poëme lyrique deGita Govinda(le Chant du pâtre, Krishna) rappelle le Cantique des
Cantiques et Lassen ne l'a traduit qu'en latin. Il n'a été dépassé
en verve érotique que par l'ode à Priape de Piron. L'érotisme a
infecté tous le vichnouvisme; M. Théodore Pavie a vu à Ceylan des
scènes répugnantes jusqu'au dégoût. Dans la province de Bombay et
au Bengale, les dévots de Krishna, surtout dans les campagnes, ont
des réunions de nuit où, en imitation des jeux de Krishna et des
Gopies, ils s'exaltent en commun jusqu'à un paroxysme frénétique et
une licence sans bornes.Krishna est le véritable dieu de l'amour pour les Hindous.
Quant au dieu Kama, le Cupidon indien, c'est évidemment un emprunt
fait aux Grecs. Le mot Kama signifie le plaisir charnel et il est
employé dans ce sens par les plus anciens auteurs, en même temps
que le Darma (devoir religieux) et I'Artha (la science de la
richesse). Ces trois mots forment la trilogie hindoue des mobiles
de nos actions. Comme les Hindous sont fort imitateurs, ils ont
adopté le Cupidon des Grecs, après l'établissement de ceux-ci dans
une partie du Punjab, et lui ont donné le nom déjà bien ancien de
Kama. Il figure seulement dans une légende sans doute relativement
récente des Pouranas[2].[Note 2: Le baron d'Ekstein dit: «Les Ariabs ont emprunté aux
Cephenès, leurs prédécesseurs dans l'Inde, le dieu Kama,pareil à l'Eros des Grecs; ils l'ont
embelli, _bien qu'il n'appartienne pas dans son principe à leur
pensée cosmologique et ils l'ontpostérieurementreproduit dans le Véda
comme il est décrit par Hosunt.]Les bayadères ne sont pas, comme on pourrait le croire,
consacrées au dieu Kama; elles sont les épouses de Soubramaniar, le
dieu de la guerre.Après avoir reçu du paganisme Cupidon, sous le nom de Kama,
l'Inde, à son tour, semble lui avoir donné, comme imitation ou
importation de ses pratiques de plus en plus corrompues, surtout de
celles des saktis de la main gauche, le culte de plus en plus
corrompu de Priape, dont le chevalier Richard Payne nous a donné
une histoire. En voici quelques traits essentiels.Avant la célébration d'un mariage, on plaçait la fiancée sur
la statue du dieu, le phallus, pour qu'elle fût rendue féconde par
le principe divin. Dans un poème ancien sur Priape (Priapi Carmen) on voit une dame
présentant au dieu les peintures d'Éléphantis et lui demandant
gravement de jouir des plaisirs auxquels il préside, dans toutes
les attitudes décrites par ce traité.Lorsqu'une femme avait rempli le rôle de victime dans le
sacrifice à Priape, elle exprimait sa gratitude par des présents
déposés sur l'autel, des phallus en nombre égal à celui des
officiants du sacrifice. Quelquefois ce nombre était grand et
prouvait que la victime n'avait pas été négligée.Ces sacrifices se faisaient dans des fêtes de nuit, aussi
bien que tous ceux offerts aux divinités qui présidaient à la
génération. Les dévots à ces divinités s'enfermaient dans les
temples et y vivaient dans la promiscuité. Il y avait aussi des
initiées dont Pétrone a peint les moeurs dans quelques pages que
nous avons résumées.A Corinthe et à Ereix, ville de Sicile, il y avait des
temples consacrés à la prostitution.Selon l'érudit Larcher, Vénus était la déesse qui possédait
le plus grand nombre de temples dans les deux Grèces; on en
comptait une centaine. Plusieurs villes de la Grèce, mais surtout
Athènes et Corinthe, célébraient ses fêtes avec un nombre de belles
femmes qu'on ne pourrait réunir aujourd'hui. Elle était encore plus
en honneur à Rome dont elle était considérée comme la mère. Jamais
peuple ne porta la sensualité plus loin que les Romains; hommes et
femmes de toute condition et de tout rang se livraient avec fureur
à tous les débordements.LITTÉRATURE ÉROTIQUE DE L'INDE.—SON RÔLE RELIGIEUX ET
POLITIQUE.—LE KAMA-SOUTRA OU L'ART D'AIMER DE VATSYAYANA.—PLAN DE
CET OUVRAGE.Nous avons vu les Brahmes introduire l'érotisme le plus
réaliste dans le culte, dans la religion et dans les livres qui en
font partie intégrante, comme les Pouranas, les Tantras, les
catéchismes des Saktis, etc. Ils s'en étaient servi, bien avant la
venue de Bouddha, pour captiver les populations sujettes et les
rallier à leur cause dans leurs luttes contre les Kchattrias. Le
bouddhisme conquit l'Inde si complètement que les Brahmes presque
partout furent délaissés; la plupart durent, pour vivre, recourir à
tous les métiers que Manou leur permetdans les
temps de détresse. Mais ils avaient la
persistance et l'habileté des aristocraties héréditaires. Gens
essentiellement pratiques et aptes aux affaires, juristes,
financiers, administrateurs, diplomates, au besoin soldats et
généraux, dialecticiens vigoureux, subtils, polémistes sans
scrupules, poètes élégants, ingénieux et quelquefois pleins d'éclat
et de génie, ils se rendirent indispensables aux princes et aux
grands par les services qu'eux seuls savaient leur rendre, et
gagnèrent leur faveur par l'agrément de leur esprit et de leurs
talents et par la souplesse de leur caractère. En même temps qu'ils
développaient dans les masses le vichnouvisme ou plutôt la religion
de Krishna que le Bouddha avait condamnée, ils produisaient
beaucoup d'oeuvres remarquables. Ils ennoblissaient par de grandes
épopées et popularisaient par des légendes écrites les dieux et les
héros. Restés les seuls héritiers du genre Aryen dans l'Inde et
possédant dans la langue sanscrite un admirable instrument pour la
poésie et la philosophie[3], ils renouvelèrent tout: hymnes, poèmes
épiques, systèmes théosophiques, codes de lois. Ce fut une
véritable renaissance. Des rois, amis de l'ancienne littérature,
tinrent à leur cour des Académies de poètes aimables et de beaux
esprits qu'ils payaient fort cher. On y improvisait des vers et
jusqu'à des madrigaux et des épigrammes. Parmi ces poètes, on cite
Kalidaça, l'auteur du drame si admiré deÇakountala. Commencé avant l'ère
chrétienne, ce mouvement littéraire se continua jusqu'à la conquête
musulmane. Cette littérature des Brahmes plaisait beaucoup plus que
la soporifique et nuageuse métaphysique des Bouddhistes. La faveur
des princes les aidait à écraser leurs adversaires. Ils achevèrent
de se la concilier en ayant pour leur usage et pour celui de ce
qu'on appellerait aujourd'hui la haute société et la bonne
compagnie et pour eux-mêmes, en ce qui concerne les plaisirs
charnels, une morale des plus faciles. Les règles ont été tracées
par Vatsyayana dans leKama-Soutraou traité de l'amour (art d'aimer), qui est considéré comme
le chef-d'oeuvre et le code sur la Matière.[Note 3: Ce mouvement extraordinaire suivit de près
l'invention et l'adoption de l'écriture sanscrite qui servirent à
la fois au Bouddhisme et à la renaissance brahmanique, de même que
la découverte de l'imprimerie favorisa le développement de le
Réforme et de la Renaissance.]Ce livre doit être rattaché à la renaissance brahmanique; il
a été écrit pendant la lutte entre les brahmes et les bouddhistes,
puisqu'il défend aux épouses de fréquenter lesmendiantes bouddhistes(on sait que les
religieuses bouddhistes étaient mendiantes).L'Inde a plusieurs autres livres érotiques fort répandus, la
plupart postérieurs auKama-Soutra.On se procure facilement les suivants, écrits en
sanscrit:1° LeRatira hasya, ou
les Secrets de l'Amour, par le poète Koka. Il a été traduit dans
tous les dialectes de l'Inde et est fort répandu sous le nom
deKoka-Shastra; il se compose
de 800 vers, formant dix chapitres appelés Pachivédas. Il paraît
postérieur auKama-Soutraet
contient la définition des quatre classes de femmes: Padmini,
Chitrini, Hastini et Sankini (voir l'appendice du chapitre II du
titre I).Il indique les jours et les heures auxquels chacun de ces
types féminins est plus particulièrement porté à l'amour. L'auteur
cite des écrits qu'il a consultés et qui ne sont point parvenus
jusqu'à nous.2°Les Cinq flèches de l'Amour, par Djyotiricha, grand poète et grand musicien; 600 vers,
formant cinq chapitres dont chacun porte le nom d'une fleur qui
forme la flèche.3°Le Flambeau de l'Amour, par le fameux poète Djayadéva, qui se vante d'avoir écrit
sur tout.4°La Poupée de l'Amour,
par le poète Thamoudatta, brahmane; trois chapitres.5°L'Anourga Rounga, ou
le Théâtre de l'Amour, appelé encore:Le Navire
sur l'Océan de l'Amour, composé par le poète
Koullianmoull, vers la fin du XVe siècle. Il traite trente-trois
sujets différents et donne 130 recettes ou prescriptionsad hoc. Voici les
principales:1re Recette pour hâter le spasme de la femme;2e Pour retarder celui de l'homme;3e Les aphrodisiaques;4e Moyens pour rétrécir le yoni, pour le
parfumer;7e L'art d'épiler le corps et les parties
sexuelles;8e Recette pour faciliter l'écoulement mensuel de la
femme;9e Pour empêcher les hémorragies;10e Pour purifier et assainir la matrice;11e Pour assurer l'enfantement et protéger la
grossesse;12e Pour prévenir les avortements;13e Pour rendre l'accouchement facile et la délivrance
prompte;14e Pour limiter le nombre des enfants;21e Pour faire grossir les seins;22e Pour les affermir et les relever;23e, 24e, 25e Pour parfumer le corps; faire disparaître
l'odeur forte de la transpiration; oindre le corps après le
bain;26e Parfumer l'haleine, en faire disparaître la mauvaise
odeur;27e Pour provoquer, charmer, fasciner, subjuguer les femmes
et les hommes;28e Moyens pour gagner et conserver le coeur de son
mari;29e Collyre magique pour assurer l'amour et
l'amitié;30e Moyen pour triompher d'un rival;31e Filtres et autres moyens de captiver;32e Encens pour fasciner, fumigations excitant la
génésique;33e Vers magiques qui fascinent.Etc. etc.Il est évident que ce livre fourmille d'erreurs; selon toute
probabilité, il ne dit rien qui ne soit acquis à la science
moderne.L'Art d'Aimer, de Vatsyayana, se
distingue de tous ces écrits par son caractère et sa forme
exclusivement didactiques. Chacune de ses parties forme un
catéchisme: catéchisme des rapports sexuels sous toutes les formes
et du fleurtage pour les deux sexes; catéchisme des épouses et du
harem; de la séduction et du courtage d'amour; et enfin catéchisme
des courtisanes. C'est un document historique précieux, car il nous
initie de la manière la plus intime aux moeurs de la haute société
hindoue de l'époque (il y a environ 2,000 ans) et aux conseils de
plaisir et de duplicité des Brahmes.La curiosité qu'éveille le fonds ne suffirait peut être pas à
faire supporter la sécheresse de la forme, si le lecteur était
strictement limité aux leçons de Vatsyayana; pour éviter cet écueil
on a mis à la suite de chacune d'elles, dans un appendice au
chapitre qui la contient, les équivalents ou les correspondants de
la morale payenne qui se trouvent dans les poètes, les seuls
docteurs ès-moeurs de l'antiquité payenne; on a cité aussi quelques
poètes hindous et deux morceaux concernant les Chinois. On a
complété chaque appendice par la morale Iranienne, soit la morale
chrétienne empruntée à laThéologie
moraledu père Gury, en se bornant à un petit
nombre d'articles accompagnés quelquefois de renseignements
physiologiques.Ce rapprochement des textes divers se rapportant
respectivement à chaque sujet, permet au lecteur de se faire une
idée relative très exacte des trois morales sur chaque point
traité.Celle que notre raison préfère est évidemment la morale
Iranienne socialement le plus recommandable, source des plaisirs
les plus purs et, par cela même, peut-être les plus grands, parce
que le coeur y entre pour une forte part.La morale du Paganisme nous séduit par sa facilité, par l'art
et la poésie qui l'accompagnent; mais, à la réflexion, nous sommes
frappés d'une supériorité del'Art
d'Aimer