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"Le Menteur" de
Pierre Corneille est une comédie intemporelle qui continue de captiver les lecteurs et spectateurs depuis sa première représentation en 1644. Ce chef-d'œuvre du théâtre classique français raconte les aventures rocambolesques de Dorante, un jeune homme brillant et séducteur, doté d'un talent inégalé pour le mensonge. Fraîchement revenu de Paris, Dorante se lance dans une série de fabulations afin de conquérir le cœur des femmes de la haute société. Ses mensonges, aussi inventifs qu'improbables, le mènent de quiproquos en situations comiques, créant un enchevêtrement d'intrigues où la vérité et l'illusion se confondent.
Le génie de Corneille réside dans sa capacité à allier l'humour et la critique sociale. À travers les aventures de Dorante, il dresse un portrait satirique des mœurs de son époque, tout en explorant des thèmes universels tels que l'amour, l'honneur et la quête de soi.
Le personnage de Dorante, avec sa faconde et son esprit, incarne le dilemme entre la vérité et le mensonge, l'illusion et la réalité. Ses mésaventures amoureuses et ses duperies entraînent une série de malentendus et de situations burlesques, qui culminent dans une résolution aussi surprenante que satisfaisante.
"Le Menteur" est plus qu'une simple comédie ; c'est une réflexion sur la nature humaine et les jeux de l'apparence. Les spectateurs se retrouvent à la fois amusés par les facéties de Dorante et touchés par sa quête désespérée de reconnaissance et d'amour. Cette pièce, par sa modernité et son dynamisme, continue d'enchanter les amateurs de théâtre et de littérature, rappelant à chacun que derrière chaque mensonge se cache souvent une vérité inavouée.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Pierre Corneille (1606-1684) est un écrivain français considéré comme l'un des plus grands auteurs de théâtre du XVIIe siècle. Il est surtout connu pour ses tragédies telles que "Le Cid" (1637) et "Horace" (1640) qui l'ont établi comme l'un des principaux auteurs de son époque. Il était également un poète talentueux et ses pièces sont remarquables pour leur langage poétique et leurs personnages complexes. Les pièces de Corneille ont eu une grande influence sur le développement de la tragédie classique française et son impact se ressent dans les œuvres de nombreux auteurs ultérieurs. Malgré les critiques et les controverses tout au long de sa carrière, les pièces de Corneille restent populaires et sont encore jouées aujourd'hui.
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Seitenzahl: 189
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Le Menteur
Pierre Corneille
– 1644 –
Epître
Monsieur,
Je vous présente une pièce de théâtre d'un style si éloigné de ma dernière, qu'on aura de la peine à croire qu'elles soient parties toutes deux de la même main, dans le même hiver. Aussi les raisons qui m'ont obligé à y travailler ont été bien différentes. J'ai fait Pompée pour satisfaire à ceux qui ne trouvaient pas les vers de Polyeucte si puissants que ceux de Cinna, et leur montrer que j'en saurais bien retrouver la pompe quand le sujet le pourrait souffrir ; j'ai fait Le Menteur pour contenter les souhaits de beaucoup d'autres qui, suivant l'humeur des Français, aiment le changement, et, après tant de poèmes graves dont nos meilleures plumes ont enrichi la scène, m'ont demandé quelque chose de plus enjoué qui ne servît qu'à les divertir. Dans le premier, j'ai voulu faire un essai de ce que pouvaient la majesté du raisonnement et la force des vers, dénués de l'agrément du sujet ; dans celui-ci, j'ai voulu tenter ce que pourrait l'agrément du sujet dénué de la force des vers. Et d'ailleurs, étant obligé au genre comique de ma première réputation, je ne pouvais l'abandonner tout à fait sans quelque espèce d'ingratitude. Il est vrai que, comme alors que je me hasardai à la quitter, je n'osai me fier à mes seules forces, et que, pour m'élever à la dignité du tragique, je pris l'appui du grand Sénèque, à qui j'empruntai tout ce qu'il avait donné de rare à sa Médée ; ainsi quand je me suis résolu de repasser du héroïque au naïf, je n'ai osé descendre de si haut sans m'assurer d'un guide, et me suis laissé conduire au fameux Lope de Vega, de peur de m'égarer dans les détours de tant d'intrigues que fait notre Menteur. En un mot, ce n'est ici qu'une copie d'un excellent original qu'il a mis au jour sous le titre de la Verdad sospechosa ; et, me fiant sur notre Horace, qui donne liberté de tout oser aux poètes ainsi qu'aux peintres, j'ai cru que, nonobstant la guerre des deux couronnes, il m'était permis de trafiquer en Espagne. Si cette sorte de commerce était un crime, il y a longtemps que je serais coupable, je ne dis pas seulement pour Le Cid, où je me suis aidé de don Guilhen de Castro, mais aussi pour Médée, dont je viens de parler, et pour Pompée même, où, pensant me fortifier du secours de deux Latins, j'ai pris celui de deux Espagnols, Sénèque et Lucain étant tous deux de Cordoue. Ceux qui ne voudront pas me pardonner cette intelligence avec nos ennemis approuveront du moins que je pille chez eux ; et, soit qu'on fasse passer ceci pour un larcin ou pour un emprunt, je m'en suis trouvé si bien, que je n'ai pas envie que ce soit le dernier que je ferai chez eux. Je crois que vous en serez d'avis, et ne m'en estimerez pas moins.
Je suis, Monsieur Votre très humble serviteur, Corneille.
Au lecteur
Bien que cette comédie et celle qui la suit soient toutes deux de l'invention de Lope de Vega, je ne vous les donne point dans le même ordre que je vous ai donné Le Cid et Pompée, dont en l'un vous avez vu les vers espagnols, et en l'autre des latins, que j'ai traduits ou imités de Guillem de Castro et de Lucain. Ce n'est pas que je n'aie ici emprunté beaucoup de choses de cet admirable original ; mais comme j'ai entièrement dépaysé les sujets pour les habiller à la française, vous trouveriez si peu de rapport entre l'Espagnol et le Français, qu'au lieu de satisfaction vous n'en recevriez que de l'importunité.
Par exemple, tout ce que je fais conter à notre Menteur des guerres d'Allemagne, où il se vante d'avoir été, l'Espagnol le lui fait dire du Pérou et des Indes, dont il fait le nouveau revenu ; et ainsi de la plupart des autres incidents, qui, bien qu'ils soient imités de l'original, n'ont presque point de ressemblance avec lui pour les pensées, ni pour les termes qui les expriments. Je me contenterai donc de vous avouer que les sujets sont entièrement de lui, comme vous les trouverez dans la vingt et deuxième partie de ses comédies. Pour le reste, j'en ai pris tout ce qui s'est pu accommoder à notre usage ; et s'il m'est permis de dire mon sentiment touchant une chose où j'ai si peu de part, je vous avouerai en même temps que l'invention de celle-ci me charme tellement, que je ne trouve rien à mon gré qui lui soit comparable en ce genre, ni parmi les anciens, ni parmi les modernes. Elle est toute spirituelle depuis le commencement jusqu'à la fin, et les incidents si justes et si gracieux qu'il faut être, à mon avis, de bien mauvaise humeur pour n'en approuver pas la conduite, et n'en aimer pas la représentation.
Je me défierais peut-être de l'estime extraordinaire que j'ai pour ce poème, si je n'y étais confirmé par celle qu'en a faite un des premiers hommes de ce siècle, et qui non seulement est le protecteur des savantes muses dans la Hollande, mais fait voir encore par son propre exemple que les grâces de la poésie ne sont pas incompatibles avec les plus hauts emplois de la politique et les plus nobles fonctions d'un homme d'Etat. Je parle de M. de Zuylichem, secrétaire des commandements de Monseigneur le prince d'Orange. C'est lui que MM. Heinsius et Balzac ont pris comme pour arbitre de leur fameuse querelle, puisqu'ils lui ont adressé l'un et l'autre leurs doctes dissertations, et qui n'a pas dédaigné de montrer au public l'état qu'il fait de cette comédie par deux épigrammes, l'un français et l'autre latin, qu'il a mis au-devant de l'impression qu'en ont faite les Elzeviers, à Leyden. Je vous les donne ici d'autant plus volontiers que, n'ayant pas l'honneur d'être connu de lui, son témoignage ne peut être suspect, et qu'on n'aura pas lieu de m'accuser de beaucoup de vanité pour en avoir fait parade, puisque toute la gloire qu'il m'y donne doit être attribuée au grand Lope de Vega, que peut-être il ne connaissait pas pour le premier auteur de cette merveille du théâtre.
In praestantissimi poetae Gallici CornelliiComoediam, quae inscribiturMendaxGravi cothurno torvus, orchestra truciDudum cruentus, Gallioe justus stupor,Audivit et vatum decus Cornelius.Laudem poetas num mereret comiciPari nitore et elegantia, fuit ; Qui disputaret, et negarunt inscii ; Et mos gerendus insciis semel fuit.Et, ecce, gessit, mentiendi gratiaFacetizsque, quas Terentius, paterAmoenitatum, quas Menander, quas merumNectar doerum Plautus et mortalium,Si soeculo reddantur, agnoscant suas,Et quas negare non graventur non suas.Tandem poeta est : fraude, fuco, fabula,Mendace scena vindicavit se sibi.Cui Stagiras venit in mentem, putas,Quis qua prasivit supputator algebra,Quis cogitavit illud Euclides prior,Probare rem verissimam mendacio ? Constanter, I645. A M. CorneilleSur sa comédie : Le MenteurEh bien ! ce beau Menteur, cette pièce fameuse,Qui étonne le Rhin, et fait rougir la Meuse,Et le Tage et le Pô, et le Tibre romain,De n'avoir rien produit d'égal à cette main,A ce Plaute rené, à ce nouveau Térence,La trouve-t-on si loin ou de l'indifférence,Ou du juste mépris des savants d'aujourd'hui ? Je tiens, tout au rebours, qu'elle a besoin d'appui,De grâce, de pitié, de faveur affétée,D'extrême charité, de louange empruntée,Elle est plate, elle est fade, elle manque de sel,De pointe et de vigueur ; et n'y a carrouselOù la rage et le vin n'enfantent des CorneillesCapables de fournir de plus fortes merveilles.Qu'ai-je dit ? Ah ! Corneille, aime mon repentir ; Ton excellent Menteur m'a porté à mentir.Il m'a rendu le faux si doux et si aimable,Que, sans m'en aviser, j'ai vu le véritableRuiné de crédit, et ai cru constammentN'y avoir plus d'honneur qu'à mentir vaillamment.Après tout, le moyen de s'en pouvoir dédire ? A moins que d'en mentir, je n'en pouvais rien dire ; La plus haute pensée au bas de sa valeurDevenait injustice et injure à l'auteur.Qu'importe donc qu'on mente, ou que d'un faible élogeA toi et ton Menteur faussement on déroge ? Qu'importe que les dieux se trouvent irritésDe mensonges ou bien de fausses vérités ? Constanter
Examen
Cette pièce est en partie traduite, en partie imitée, de l'espagnol. Le sujet m'en semble si spirituel et si bien tourné, que j'ai dit souvent que je voudrais avoir donné deux plus belles que j'ai faites, et qu'il fût de mon invention. On l'a attribué au fameux Lope de Vègue, mais il m'est tombé depuis peu entre les mains un volume de don Juan d'Alarcon, où il prétend que cette comédie est à lui, et se plaint des imprimeurs qui l'ont fait courir sous le nom d'un autre. Si c'est son bien, je n'empêche pas qu'il ne s'en ressaisisse. De quelque main que parte cette comédie, il est constant qu'elle est très ingénieuse, et je n'ai rien vu dans cette langue qui m'ait satisfait davantage. J'ai tâché de la réduire à notre usage et dans nos règles, mais il m'a fallu forcer mon aversion pour les a parte, dont je n'aurais pu la purger sans lui faire perdre une bonne partie de ses beautés. Je les ai faits les plus courts que j'ai pu, et je me les suis permis rarement, sans laisser deux acteurs ensemble qui s'entretiennent tout bas cependant que d'autres disent ce que ceux-là ne doivent pas écouter. Cette duplicité d'action particulière ne rompt point l'unité de la principale, mais elle gêne un peu l'attention de l'auditeur, qui ne sait à laquelle s'attacher, et qui se trouve obligé de séparer aux deux ce qu'il est accoutumé de donner à une. L'unité de lieu s'y trouve, en ce que tout s'y passe dans Paris mais le premier acte est dans les Tuileries, et le reste à la place royale. Celle de jour n'y est pas forcée, pourvu qu'on lui laisse les vingt et quatre heures entières. Quant à celle d'action, je ne sais s'il n'y a point quelque chose à dire, en ce que Dorante aime Clarice dans toute la pièce, et épouse Lucrèce à la fin, qui par là ne répond pas à la protase. L'auteur espagnol lui donne ainsi le change pour punition de ses menteries, et le réduit à épouser par force cette Lucrèce, qu'il n'aime point. Comme il se méprend toujours au nom, et croit que Clarice porte celui-là, il lui présente la main quand on lui a accordé l'autre, et dit hautement, lorsqu'on l'avertit de son erreur, que s'il s'est trompé au nom, il ne se trompe point à la personne. Sur quoi, le père de Lucrèce le menace de le tuer s'il n'épouse sa fille après l'avoir demandée et obtenue ; et le sien propre lui fait la même menace. Pour moi, j'ai trouvé cette manière de finir un peu dure, et cru qu'un mariage moins violenté serait plus au goût de notre auditoire. C'est ce qui m'a obligé à lui donner une pente vers la personne de Lucrèce au cinquième acte, afin qu'après qu'il a reconnu sa méprise aux noms, il fasse de nécessité vertu de meilleure grâce, et que la comédie se termine avec pleine tranquillité de tous côtés.
Acteurs
Géronte, père de Dorante.Dorante, fils de Géronte.Alcippe, ami de Dorante et amant de Clarice.Philiste, ami de Dorante et d'Alcippe.Clarice, maîtresse d'Alcippe.Lucrèce, amie de Clarice.Isabelle, suivante de Clarice.Sabine, femme de chambre de Lucrèce.Cliton, valet de Dorante.Lycas, valet d'Alcippe.La scène est à Paris.
Acte premier
Scène première
Dorante, ClitonDoranteA la fin j'ai quitté la robe pour l'épée.L'attente où j'ai vécu n'a point été trompée : Mon père a consenti que je suive mon choixEt j'ai fait banqueroute à ce fatras de lois.Mais puisque nous voici dedans les Tuileries,Le pays du beau monde et des galanteries,Dis-moi, me trouves-tu bien fait en cavalier ? Ne vois-tu rien en moi qui sente l'écolier ? Comme il est malaisé qu'aux royaumes du codeOn apprenne à se faire un visage à la mode,J'ai lieu d'appréhender...ClitonNe craignez rien pour vous,Vous ferez en une heure ici mille jaloux : Ce visage et ce port n'ont point l'air de l'écoleEt jamais comme vous on ne peignit Bartole.Je prévois du malheur pour beaucoup de maris.Mais que vous semble encor maintenant de Paris ? DoranteJ'en trouve l'air bien doux, et cette loi bien rudeQui m'en avait banni sous prétexte d'étude.Toi, qui sais les moyens de s'y bien divertir,Ayant eu le bonheur de n'en jamais sortir,Dis-moi comme en ce lieu l'on gouverne les damesClitonC'est là le plus beau soin qui vienne aux belles âmes, Disent les beaux esprits. Mais, sans faire le fin,Vous avez l'appétit ouvert de bon matin ! D'hier au soir seulement vous êtes dans la ville,Et vous vous ennuyez déjà d'être inutile ! Votre humeur sans emploi ne peut passer un jour,Et déjà vous cherchez à pratiquer l'amour ! Je suis auprès de vous en fort bonne postureDe passer pour un homme à donner tablature ; J'ai la taille d'un maître en ce noble métier,Et je suis, tout au moins, l'intendant du quartier.DoranteNe t'effarouche point : je ne cherche, à vrai dire,Que quelque connaissance où l'on se plaise à rire,Qu'on puisse visiter par divertissement,Où l'on puisse en douceur couler quelque moment.Pour me connaître mal, tu prends mon sens à gauche.ClitonJ'entends, vous n'êtes pas un homme de débauche,Et tenez celles-là trop indignes de vous,Que le son d'un écu rend traitables à tous.Aussi, que vous cherchiez de ces sages coquettesOù peuvent tous venants débiter leurs fleurettesMais qui ne font l'amour que de babil et d'yeux,Vous êtes d'encolure à vouloir un peu mieux.Loin de passer son temps, chacun le perd chez elles,Et le jeu, comme on dit, n'en vaut pas les chandelles.Mais ce serait pour vous un bonheur sans égalQue ces femmes de bien qui se gouvernent mal,Et de qui la vertu, quand on leur fait service,N'est pas incompatible avec un peu de vice.Vous en verrez ici de toutes les façons.Ne me demandez point cependant des leçons ; Ou je me connais mal à voir votre visage,Ou vous n'en êtes pas à votre apprentissage ; Vos lois ne réglaient pas si bien tous vos desseinsQue vous eussiez toujours un portefeuille aux mains.DoranteA ne rien déguiser, Cliton, je te confesse,Qu'à Poitiers j'ai vécu comme vit la jeunesse : J'étais en ces lieux-là de beaucoup de métiers.Mais Paris, après tout, est bien loin de Poitiers.Le climat différent veut une autre méthode ; Ce qu'on admire ailleurs est ici hors de mode ; La diverse façon de parler et d'agirDonne aux nouveaux venus souvent de quoi rougir.Chez les provinciaux on prend ce qu'on rencontre,Et là, faute de mieux, un sot passe à la montre.Mais il faut à Paris bien d'autres qualités,On ne s'éblouit point de ces fausses clartés ; Et tant d'honnêtes gens, que l'on y voit ensemble,Font qu'on est mal reçu, si l'on ne leur ressemble.ClitonConnaissez mieux Paris, puisque vous en parlez : Paris est un grand lieu plein de marchands mêlés ; L'effet n'y répond pas toujours à l'apparence,On s'y laisse duper autant qu'en lieu de France ; Et parmi tant d'esprits, plus polis et meilleurs,Il y croît des badauds autant et plus qu'ailleurs.Dans la confusion que ce grand monde apporte,Il y vient de tous lieux des gens de toute sorte,Et dans toute la France il est fort peu d'endroitsDont il n'ait le rebut aussi bien que le choix.Comme on s'y connaît mal, chacun s'y fait de mise,Et vaut communément autant comme il se prise ; De bien pires que vous s'y font assez valoir.Mais, pour venir au point que vous voulez savoir,Etes-vous libéral ? DoranteJe ne suis point avare.ClitonC'est un secret d'amour et bien grand et bien rare.Mais il faut de l'adresse à le bien débiter,Autrement on s'y perd au lieu d'en profiter : Tel donne à pleines mains qui n'oblige personne.La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne : L'un perd exprès au jeu son présent déguisé ; L'autre oublie un bijou qu'on aurait refusé.Un lourdaud libéral auprès d'une maîtresseSemble donner l'aumône alors qu'il fait largesse, Et d'un tel contre-temps il fait tout ce qu'il fait,Que, quand il tâche à plaire, il offense en effet.DoranteLaissons là ces lourdauds contre qui tu déclames,Et me dis seulement si tu connais ces dames.ClitonNon. Cette marchandise est de trop bon aloi : Ce n'est point là gibier à des gens comme moi.Il est aisé pourtant d'en savoir des nouvelles,Et bientôt leur cocher m'en dira des plus belles.DorantePenses-tu qu'il t'en dise ? ClitonAssez pour en mourir : Puisque c'est un cocher, il aime à discourir.
Scène II
Dorante, Clarice, Lucrèce, IsabelleClarice, faisant un faux pas, et comme se laissant choir.Ay ! Dorante, lui donnant la main.Ce malheur me rend un favorable office,Puisqu'il me donne lieu de ce petit service,Et c'est pour moi, Madame, un bonheur souverainQue cette occasion de vous donner la main.ClaristeL'occasion ici fort peu vous favorise,Et ce faible bonheur ne vaut pas qu'on le prise.DoranteIl est vrai, je le dois tout entier au hasard : Mes soins ni vos désirs n'y prennent point de part,Et sa douceur, mêlée avec cette amertume, Ne me rend pas le sort plus doux que de coutume,Puisque enfin ce bonheur, que j'ai si fort prisé,A mon peu de mérite eût été refusé.ClaristeS'il a perdu sitôt ce qui pouvait vous plaire,Je veux être à mon tour d'un sentiment contraire,Et crois qu'on doit trouver plus de félicitéA posséder un bien sans l'avoir mérité.J'estime plus un don qu'une reconnaissance : Qui nous donne fait plus que qui nous récompense,Et le plus grand bonheur au mérite renduNe fait que nous payer de ce qui nous est dû.La faveur qu'on mérite est toujours achetée ; L'heur en croit d'autant plus, moins elle est méritée ; Et le bien où sans peine elle fait parvenirPar le mérite à peine aurait pu s'obtenir.DoranteAussi ne croyez pas que jamais je prétendeObtenir par mérite une faveur si grande.J'en sais mieux le haut prix, et mon coeur amoureux,Moins il s'en connaît digne, et plus s'en tient heureux : On me l'a pu toujours dénier sans injure ; Et si, la recevant, ce coeur même en murmure,Il se plaint du malheur de ses félicités,Que le hasard lui donne, et non vos volontés : Un amant a fort peu de quoi se satisfaireDes faveurs qu'on lui fait sans dessein de les faire ; Comme l'intention seule en forme le prix,Assez souvent sans elle on les joint au mépris.Jugez par là quel bien peut recevoir ma flammeD'une main qu'on me donne en me refusant l'âme.Je la tiens, je la touche, et je la touche en vain,Si je ne puis toucher le coeur avec la main.ClaristeCette flamme, Monsieur, est pour moi fort nouvelle,Puisque j'en viens de voir la première étincelle.Si votre coeur ainsi s'embrase en un moment,Le mien ne sut jamais brûler si promptement.Mais peut-être, à présent que j'en suis avertie,Le temps donnera place à plus de sympathie. Confessez cependant qu'à tort vous murmurezDu mépris de vos feux, que j'avais ignorés.
Scène III
Dorante, Clarice, Lucrèce, Isabelle, ClitonDoranteC'est l'effet du malheur qui partout m'accompagne : Depuis que j'ai quitté les guerres d'Allemagne,C'est-à-dire du moins depuis un an entier,Je suis et jour et nuit dedans votre quartier ; Je vous cherche en tous lieux, au bal, aux promenades ; Vous n'avez que de moi reçu des sérénades,Et je n'ai pu trouver que cette occasionA vous entretenir de mon affection.ClaristeQuoi ! Vous avez donc vu l'Allemagne et la guerre ? DoranteJe m'y suis fait quatre ans craindre comme un tonnerre.ClitonQue lui va-t-il conter ? DoranteEt durant ces quatre ansIl ne s'est fait combats, ni sièges importants,Nos armes n'ont jamais remporté de victoire,Où cette main n'ait eu bonne part à la gloire,Et même la gazette a souvent divulgué...Cliton, le tirant par la basque.Savez-vous bien, Monsieur, que vous extravaguez ? DoranteTais-toi.ClitonVous rêvez, dis-je, ou...DoranteTais-toi, misérable. ClitonVous venez de Poitiers, ou je me donne au diable ; Vous en revîntes hier.Dorante, à Cliton.Te tairas-tu, maraud ? à ClariceMon nom dans nos succès s'était mis assez hautPour faire quelque bruit sans beaucoup d'injustice,Et je suivrais encore un si noble exercice,N'était que, l'autre hiver, faisant ici ma cour,Je vous vis, et je fus retenu par l'amour.Attaqué par vos yeux, je leur rendis les armes ; Je me fis prisonnier de tant d'aimables charmes ; Je leur livrai mon âme, et ce coeur généreuxDès ce premier moment oublia tout pour eux.Vaincre dans les combats, commander dans l'armée,De mille exploits fameux enfler ma renommée,Et tous ces nobles soins qui m'avaient su ravir,Cédèrent aussitôt à ceux de vous servir.Isabelle, à Clarice, tout bas.Madame, Alcippe vient ; il aura de l'ombrage.ClaristeNous en saurons, Monsieur, quelque jour davantage.Adieu.DoranteQuoi ! Me priver sitôt de tout mon bien ? ClaristeNous n'avons pas loisir d'un plus long entretien,Et, malgré la douceur de me voir cajolée,Il faut que nous fassions seules deux tours d'allée.DoranteCependant accordez à mes voeux innocentsLa licence d'aimer des charmes si puissants.ClaristeUn coeur qui veut aimer, et qui sait comme on aime,N'en demande jamais licence qu'à soi-même.
Scène IV
Dorante, ClitonDoranteSuis-les, Cliton.ClitonJ'en sais ce qu'on en peut savoir.La langue du cocher a fait tout son devoir : "La plus belle des deux, dit-il, est ma maîtresse,Elle loge à la Place, et son nom est Lucrèce."DoranteQuelle place ? ClitonRoyale, et l'autre y loge aussi ; Il n'en sait pas le nom, mais j'en prendrai souci.DoranteNe te mets point, Cliton, en peine de l'apprendre.Celle qui m'a parlé, celle qui m'a su prendre,C'est Lucrèce, ce l'est sans aucun contredit : Sa beauté m'en assure, et mon coeur me le dit.ClitonQuoique mon sentiment doive respect au vôtre,La plus belle des deux, je crois que ce soit l'autre.DoranteQuoi ! Celle qui s'est tue et qui, dans nos propos,N'a jamais eu l'esprit de mêler quatre mots ? ClitonMonsieur, quand une femme a le don de se taire,