Le Mystère de la chambre jaune - Gaston Leroux - E-Book

Le Mystère de la chambre jaune E-Book

Gastón Leroux

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  • Herausgeber: Henri Gallas
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2018
Beschreibung

Imaginez-vous devant un coffre fort fermé, où vous entendriez quelqu'un crier à l'aide , vous ouvrez et, vous ne trouvez que la victime. Par où l'assassin est-il parti ? C'est le Mystère de la chambre jaune... La plus célèbre des aventures de Rouletabille... 

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Le Mystère de la chambre jaune

Gaston Leroux

Publication: 1907Catégorie(s): Fiction, Policiers & Mystères
A Propos Leroux:

Gaston Louis Alfred Leroux (6 May 1868, Paris, France – 15 April 1927) was a French journalist and author of detective fiction. In the English-speaking world, he is best known for writing the novel The Phantom of the Opera (Le Fantôme de l'Opéra, 1910), which has been made into several film and stage productions of the same name, such as the 1925 film starring Lon Chaney; and Andrew Lloyd Webber's 1986 musical. It was also the basis of the 1990 novel Phantom by Susan Kay. Leroux went to school in Normandy and studied law in Paris, graduating in 1889. He inherited millions of francs and lived wildly until he nearly reached bankruptcy. Then in 1890, he began working as a court reporter and theater critic for L'Écho de Paris. His most important journalism came when he began working as an international correspondent for the Paris newspaper Le Matin. In 1905 he was present at and covered the Russian Revolution. Another case he was present at involved the investigation and deep coverage of an opera house in Paris, later to become a ballet house. The basement consisted of a cell that held prisoners in the Paris Commune, which were the rulers of Paris through much of the Franco-Prussian war. He suddenly left journalism in 1907, and began writing fiction. In 1909, he and Arthur Bernède formed their own film company, Société des Cinéromans to simultaneously publish novels and turn them into films. He first wrote a mystery novel entitled Le mystère de la chambre jaune (1908; The Mystery of the Yellow Room), starring the amateur detective Joseph Rouletabille. Leroux's contribution to French detective fiction is considered a parallel to Sir Arthur Conan Doyle's in the United Kingdom and Edgar Allan Poe's in America. Leroux died in Nice on April 15, 1927, of a urinary tract infection.

Chapitre1 Où l’on commence à ne pas comprendre

Ce n’est pas sans une certaine émotion que je commence à raconter ici les aventures extraordinaires de Joseph Rouletabille. Celui-ci, jusqu’à ce jour, s’y était si formellement opposé que j’avais fini par désespérer de ne publier jamais l’histoire policière la plus curieuse de ces quinze dernières années.

J’imagine même que le public n’aurait jamais connu toute la vérité sur la prodigieuse affaire dite de la «Chambre Jaune», génératrice de tant de mystérieux et cruels et sensationnels drames, et à laquelle mon ami fut si intimement mêlé, si, à propos de la nomination récente de l’illustre Stangerson au grade de grand-croix de la Légion d’honneur, un journal du soir, dans un article misérable d’ignorance ou d’audacieuse perfidie, n’avait ressuscité une terrible aventure que Joseph Rouletabille eût voulu savoir, me disait-il, oubliée pour toujours.

La «Chambre Jaune» ! Qui donc se souvenait de cette affaire qui fit couler tant d’encre, il y a une quinzaine d’années ? On oublie si vite à Paris.

N’a-t-on pas oublié le nom même du procès de Nayves et la tragique histoire de la mort du petit Menaldo ? Et cependant l’attention publique était à cette époque si tendue vers les débats, qu’une crise ministérielle, qui éclata sur ces entrefaites, passa complètement inaperçue. Or, le procès de la «Chambre Jaune», qui précéda l’affaire de Nayves de quelques années, eut plus de retentissement encore. Le monde entier fut penché pendant des mois sur ce problème obscur, – le plus obscur à ma connaissance qui ait jamais été proposé à la perspicacité de notre police, qui ait jamais été posé à la conscience de nos juges. La solution de ce problème affolant, chacun la chercha. Ce fut comme un dramatique rébus sur lequel s’acharnèrent la vieille Europe et la jeune Amérique.

C’est qu’en vérité – il m’est permis de le dire « puisqu’il ne saurait y avoir en tout ceci aucun amour-propre d’auteur » et que je ne fais que transcrire des faits sur lesquels une documentation exceptionnelle me permet d’apporter une lumière nouvelle – c’est qu’en vérité, je ne sache pas que, dans le domaine de la réalité ou de l’imagination, même chez l’auteur du double assassinat, rue morgue, même dans les inventions des sous-Edgar Poe et des truculents Conan-Doyle, on puisse retenir quelque chose de comparable, QUANT AU MYSTÈRE, « au naturel mystère de la Chambre Jaune».

Ce que personne ne put découvrir, le jeune Joseph Rouletabille, âgé de dix-huit ans, alors petit reporter dans un grand journal, le trouva ! Mais, lorsqu’en cour d’assises il apporta la clef de toute l’affaire, il ne dit pas toute la vérité. Il n’en laissa apparaître que ce qu’il fallait pour expliquer l’inexplicable et pour faire acquitter un innocent. Les raisons qu’il avait de se taire ont disparu aujourd’hui. Bien mieux, mon ami doit parler. Vous allez donc tout savoir ; et, sans plus ample préambule, je vais poser devant vos yeux le problème de la «Chambre Jaune», tel qu’il le fut aux yeux du monde entier, au lendemain du drame du château du Glandier.

Le 25 octobre 1892, la note suivante paraissait en dernière heure du Temps :

« Un crime affreux vient d’être commis au Glandier, sur la lisière de la forêt de Sainte-Geneviève, au-dessus d’Épinay-sur-Orge, chez le professeur Stangerson. Cette nuit, pendant que le maître travaillait dans son laboratoire, on a tenté d’assassiner Mlle Stangerson, qui reposait dans une chambre attenante à ce laboratoire. Les médecins ne répondent pas de la vie de Mlle Stangerson. »

Vous imaginez l’émotion qui s’empara de Paris. Déjà, à cette époque, le monde savant était extrêmement intéressé par les travaux du professeur Stangerson et de sa fille. Ces travaux, les premiers qui furent tentés sur la radiographie, devaient conduire plus tard M. et Mme Curie à la découverte du radium.

On était, du reste, dans l’attente d’un mémoire sensationnel que le professeur Stangerson allait lire, à l’académie des sciences, sur sa nouvelle théorie : La Dissociation de la Matière. Théorie destinée à ébranler sur sa base toute la science officielle qui repose depuis si longtemps sur le principe : rien ne se perd, rien ne se crée.

Le lendemain, les journaux du matin étaient pleins de ce drame. Le matin, entre autres, publiait l’article suivant, intitulé : « Un crime surnaturel » :

« Voici les seuls détails – écrit le rédacteur anonyme du matin – que nous ayons pu obtenir sur le crime du château du Glandier. L’état de désespoir dans lequel se trouve le professeur Stangerson, l’impossibilité où l’on est de recueillir un renseignement quelconque de la bouche de la victime ont rendu nos investigations et celles de la justice tellement difficiles qu’on ne saurait, à cette heure, se faire la moindre idée de ce qui s’est passé dans la «Chambre Jaune», où l’on a trouvé Mlle Stangerson, en toilette de nuit, râlant sur le plancher. Nous avons pu, du moins, interviewer le père Jacques – comme on l’appelle dans le pays – un vieux serviteur de la famille Stangerson. Le père Jacques est entré dans la «Chambre Jaune» en même temps que le professeur. Cette chambre est attenante au laboratoire. Laboratoire et «Chambre Jaune» se trouvent dans un pavillon, au fond du parc, à trois cents mètres environ du château.

« – il était minuit et demi, nous a raconté ce brave homme ( ?), et je me trouvais dans le laboratoire où travaillait encore M. Stangerson quand l’affaire est arrivée. J’avais rangé, nettoyé des instruments toute la soirée, et j’attendais le départ de M. Stangerson pour aller me coucher. Mlle Mathilde avait travaillé avec son père jusqu’à minuit ; les douze coups de minuit sonnés au coucou du laboratoire, elle s’était levée, avait embrassé M. Stangerson, lui souhaitant une bonne nuit. Elle m’avait dit : « Bonsoir, père Jacques ! » et avait poussé la porte de la «Chambre Jaune». Nous l’avions entendue qui fermait la porte à clef et poussait le verrou, si bien que je n’avais pu m’empêcher d’en rire et que j’avais dit à monsieur : « Voilà mademoiselle qui s’enferme à double tour. Bien sûr qu’elle a peur de la ‘‘Bête du Bon Dieu’’ ! » Monsieur ne m’avait même pas entendu tant il était absorbé. Mais un miaulement abominable me répondit au dehors et je reconnus justement le cri de la « Bête du Bon Dieu » ! … que ça vous en donnait le frisson… « Est-ce qu’elle va encore nous empêcher de dormir, cette nuit ? » pensai-je, car il faut que je vous dise, monsieur, que, jusqu’à fin octobre, j’habite dans le grenier du pavillon, au-dessus de la «Chambre Jaune», à seule fin que mademoiselle ne reste pas seule toute la nuit au fond du parc. C’est une idée de mademoiselle de passer la bonne saison dans le pavillon ; elle le trouve sans doute plus gai que le château et, depuis quatre ans qu’il est construit, elle ne manque jamais de s’y installer dès le printemps. Quand revient l’hiver, mademoiselle retourne au château, car dans la «Chambre Jaune», il n’y a point de cheminée.

« Nous étions donc restés, M. Stangerson et moi, dans le pavillon. Nous ne faisions aucun bruit. Il était, lui, à son bureau. Quant à moi, assis sur une chaise, ayant terminé ma besogne, je le regardais et je me disais : « Quel homme ! Quelle intelligence ! Quel savoir ! » J’attache de l’importance à ceci que nous ne faisions aucun bruit, car « à cause de cela, l’assassin a cru certainement que nous étions partis ». Et tout à coup, pendant que le coucou faisait entendre la demie passé minuit, une clameur désespérée partit de la «Chambre Jaune». C’était la voix de mademoiselle qui criait : « À l’assassin ! À l’assassin ! Au secours ! » Aussitôt des coups de revolver retentirent et il y eut un grand bruit de tables, de meubles renversés, jetés par terre, comme au cours d’une lutte, et encore la voix de mademoiselle qui criait : « À l’assassin ! … Au secours ! … Papa ! Papa ! »

« Vous pensez si nous avons bondi et si M. Stangerson et moi nous nous sommes rués sur la porte. Mais, hélas ! Elle était fermée et bien fermée « à l’intérieur » par les soins de mademoiselle, comme je vous l’ai dit, à clef et au verrou. Nous essayâmes de l’ébranler, mais elle était solide. M. Stangerson était comme fou, et vraiment il y avait de quoi le devenir, car on entendait mademoiselle qui râlait : « Au secours ! … Au secours ! » Et M. Stangerson frappait des coups terribles contre la porte, et il pleurait de rage et il sanglotait de désespoir et d’impuissance.

« C’est alors que j’ai eu une inspiration. » L’assassin se sera introduit par la fenêtre, m’écriai-je, je vais à la fenêtre ! » Et je suis sorti du pavillon, courant comme un insensé !

« Le malheur était que la fenêtre de la «Chambre Jaune» donne sur la campagne, de sorte que le mur du parc qui vient aboutir au pavillon m’empêchait de parvenir tout de suite à cette fenêtre. Pour y arriver, il fallait d’abord sortir du parc. Je courus du côté de la grille et, en route, je rencontrai Bernier et sa femme, les concierges, qui venaient, attirés par les détonations et par nos cris. Je les mis, en deux mots, au courant de la situation ; je dis au concierge d’aller rejoindre tout de suite M. Stangerson et j’ordonnai à sa femme de venir avec moi pour m’ouvrir la grille du parc. Cinq minutes plus tard, nous étions, la concierge et moi, devant la fenêtre de la «Chambre Jaune». Il faisait un beau clair de lune et je vis bien qu’on n’avait pas touché à la fenêtre. Non seulement les barreaux étaient intacts, mais encore les volets, derrière les barreaux, étaient fermés, comme je les avais fermés moi-même, la veille au soir, comme tous les soirs, bien que mademoiselle, qui me savait très fatigué et surchargé de besogne, m’eût dit de ne point me déranger, qu’elle les fermerait elle-même ; et ils étaient restés tels quels, assujettis, comme j’en avais pris le soin, par un loquet de fer, « à l’intérieur ». L’assassin n’avait donc pas passé par là et ne pouvait se sauver par là ; mais moi non plus, je ne pouvais entrer par là !

« C’était le malheur ! On aurait perdu la tête à moins. La porte de la chambre fermée à clef « à l’intérieur », les volets de l’unique fenêtre fermés, eux aussi, « à l’intérieur », et, par-dessus les volets, les barreaux intacts, des barreaux à travers lesquels vous n’auriez pas passé le bras… Et mademoiselle qui appelait au secours ! … Ou plutôt non, on ne l’entendait plus… Elle était peut-être morte… Mais j’entendais encore, au fond du pavillon, monsieur qui essayait d’ébranler la porte…

« Nous avons repris notre course, la concierge et moi, et nous sommes revenus au pavillon. La porte tenait toujours, malgré les coups furieux de M. Stangerson et de Bernier. Enfin elle céda sous nos efforts enragés et, alors, qu’est-ce que nous avons vu ?« Il faut vous dire que, derrière nous, la concierge tenait la lampe du laboratoire, une lampe puissante qui illuminait toute la chambre.

« Il faut vous dire encore, monsieur, que la «Chambre Jaune» est toute petite. Mademoiselle l’avait meublée d’un lit en fer assez large, d’une petite table, d’une table de nuit, d’une toilette et de deux chaises. Aussi, à la clarté de la grande lampe que tenait la concierge, nous avons tout vu du premier coup d’œil. Mademoiselle, dans sa chemise de nuit, était par terre, au milieu d’un désordre incroyable. Tables et chaises avaient été renversées montrant qu’il y avait eu là une sérieuse « batterie ». On avait certainement arraché mademoiselle de son lit ; elle était pleine de sang avec des marques d’ongles terribles au cou – la chair du cou avait été quasi arrachée par les ongles – et un trou à la tempe droite par lequel coulait un filet de sang qui avait fait une petite mare sur le plancher. Quand M. Stangerson aperçut sa fille dans un pareil état, il se précipita sur elle en poussant un cri de désespoir que ça faisait pitié à entendre. Il constata que la malheureuse respirait encore et ne s’occupa que d’elle. Quant à nous, nous cherchions l’assassin, le misérable qui avait voulu tuer notre maîtresse, et je vous jure, monsieur, que, si nous l’avions trouvé, nous lui aurions fait un mauvais parti. Mais comment expliquer qu’il n’était pas là, qu’il s’était déjà enfui ? … Cela dépasse toute imagination. Personne sous le lit, personne derrière les meubles, personne ! Nous n’avons retrouvé que ses traces ; les marques ensanglantées d’une large main d’homme sur les murs et sur la porte, un grand mouchoir rouge de sang, sans aucune initiale, un vieux béret et la marque fraîche, sur le plancher, de nombreux pas d’homme. L’homme qui avait marché là avait un grand pied et les semelles laissaient derrière elles une espèce de suie noirâtre. Par où cet homme était-il passé ? Par où s’était-il évanoui ? N’oubliez pas, monsieur, qu’il n’y a pas de cheminée dans la «Chambre Jaune». Il ne pouvait s’être échappé par la porte, qui est très étroite et sur le seuil de laquelle la concierge est entrée avec sa lampe, tandis que le concierge et moi nous cherchions l’assassin dans ce petit carré de chambre où il est impossible de se cacher et où, du reste, nous ne trouvions personne. La porte défoncée et rabattue sur le mur ne pouvait rien dissimuler, et nous nous en sommes assurés. Par la fenêtre restée fermée avec ses volets clos et ses barreaux auxquels on n’avait pas touché, aucune fuite n’avait été possible. Alors ? Alors… je commençais à croire au diable.

« Mais voilà que nous avons découvert, par terre, « mon revolver ». Oui, mon propre revolver… Ça, ça m’a ramené au sentiment de la réalité ! Le diable n’aurait pas eu besoin de me voler mon revolver pour tuer mademoiselle. L’homme qui avait passé là était d’abord monté dans mon grenier, m’avait pris mon revolver dans mon tiroir et s’en était servi pour ses mauvais desseins. C’est alors que nous avons constaté, en examinant les cartouches, que l’assassin avait tiré deux coups de revolver. Tout de même, monsieur, j’ai eu de la veine, dans un pareil malheur, que M. Stangerson se soit trouvé là, dans son laboratoire, quand l’affaire est arrivée et qu’il ait constaté de ses propres yeux que je m’y trouvais moi aussi, car, avec cette histoire de revolver, je ne sais pas où nous serions allés ; pour moi, je serais déjà sous les verrous. Il n’en faut pas davantage à la justice pour faire monter un homme sur l’échafaud ! »

Le rédacteur du matin fait suivre cette interview des lignes suivantes :

« Nous avons laissé, sans l’interrompre, le père Jacques nous raconter grossièrement ce qu’il sait du crime de la «Chambre Jaune». Nous avons reproduit les termes mêmes dont il s’est servi ; nous avons fait seulement grâce au lecteur des lamentations continuelles dont il émaillait sa narration. C’est entendu, père Jacques ! C’est entendu, vous aimez bien vos maîtres ! Vous avez besoin qu’on le sache, et vous ne cessez de le répéter, surtout depuis la découverte du revolver. C’est votre droit et nous n’y voyons aucun inconvénient ! Nous aurions voulu poser bien des questions encore au père Jacques – Jacques-Louis Moustier – mais on est venu justement le chercher de la part du juge d’instruction qui poursuivait son enquête dans la grande salle du château. Il nous a été impossible de pénétrer au Glandier, – et, quant à la Chênaie, elle est gardée, dans un large cercle, par quelques policiers qui veillent jalousement sur toutes les traces qui peuvent conduire au pavillon et peut-être à la découverte de l’assassin.

« Nous aurions voulu également interroger les concierges, mais ils sont invisibles. Enfin nous avons attendu dans une auberge, non loin de la grille du château, la sortie de M. de Marquet, le juge d’instruction de Corbeil. À cinq heures et demie, nous l’avons aperçu avec son greffier. Avant qu’il ne montât en voiture, nous avons pu lui poser la question suivante :

« – Pouvez-vous, Monsieur De Marquet, nous donner quelque renseignement sur cette affaire, sans que cela gêne votre instruction ?

« – Il nous est impossible, nous répondit M. de Marquet, de dire quoi que ce soit. Du reste, c’est bien l’affaire la plus étrange que je connaisse. Plus nous croyons savoir quelque chose, plus nous ne savons rien !

« Nous demandâmes à M. de Marquet de bien vouloir nous expliquer ces dernières paroles. Et voici ce qu’il nous dit, dont l’importance n’échappera à personne :

« – Si rien ne vient s’ajouter aux constatations matérielles faites aujourd’hui par le parquet, je crains bien que le mystère qui entoure l’abominable attentat dont Mlle Stangerson a été victime ne soit pas près de s’éclaircir ; mais il faut espérer, pour la raison humaine, que les sondages des murs, du plafond et du plancher de la «Chambre Jaune», sondages auxquels je vais me livrer dès demain avec l’entrepreneur qui a construit le pavillon il y a quatre ans, nous apporteront la preuve qu’il ne faut jamais désespérer de la logique des choses. Car le problème est là : nous savons par où l’assassin s’est introduit, – il est entré par la porte et s’est caché sous le lit en attendant Mlle Stangerson ; mais par où est-il sorti ? Comment a-t-il pu s’enfuir ? Si l’on ne trouve ni trappe, ni porte secrète, ni réduit, ni ouverture d’aucune sorte, si l’examen des murs et même leur démolition – car je suis décidé, et M. Stangerson est décidé à aller jusqu’à la démolition du pavillon – ne viennent révéler aucun passage praticable, non seulement pour un être humain, mais encore pour un être quel qu’il soit, si le plafond n’a pas de trou, si le plancher ne cache pas de souterrain, « il faudra bien croire au diable », comme dit le père Jacques ! »

Et le rédacteur anonyme fait remarquer, dans cet article –article que j’ai choisi comme étant le plus intéressant de tous ceux qui furent publiés ce jour-là sur la même affaire – que le juge d’instruction semblait mettre une certaine intention dans cette dernière phrase : il faudra bien croire au diable, comme dit le père Jacques.

L’article se termine sur ces lignes : « nous avons voulu savoir ce que le père Jacques entendait par : « le cri de la Bête du Bon Dieu ». On appelle ainsi le cri particulièrement sinistre, nous a expliqué le propriétaire de l’auberge du Donjon, que pousse, quelquefois, la nuit, le chat d’une vieille femme, la mère « Agenoux », comme on l’appelle dans le pays. La mère « Agenoux « est une sorte de sainte qui habite une cabane, au cœur de la forêt, non loin de la « grotte de Sainte-Geneviève ».

« La «Chambre Jaune», la «Bête du Bon Dieu», la mère Agenoux, le diable, sainte Geneviève, le père Jacques, voilà un crime bien embrouillé, qu’un coup de pioche dans les murs nous débrouillera demain ; espérons-le, du moins, pour la raison humaine, comme dit le juge d’instruction. En attendant, on croit que Mlle Stangerson, qui n’a cessé de délirer et qui ne prononce distinctement que ce mot : « Assassin ! Assassin ! Assassin ! … » ne passera pas la nuit… »

Enfin, en dernière heure, le même journal annonçait que le chef de la Sûreté avait télégraphié au fameux inspecteur Frédéric Larsan, qui avait été envoyé à Londres pour une affaire de titres volés, de revenir immédiatement à Paris.

Chapitre2 Où apparaît pour la première fois Joseph Rouletabille

Je me souviens, comme si la chose s’était passée hier, de l’entrée du jeune Rouletabille, dans ma chambre, ce matin-là. Il était environ huit heures, et j’étais encore au lit, lisant l’article du matin, relatif au crime du Glandier.

Mais, avant toute autre chose, le moment est venu de vous présenter mon ami.

J’ai connu Joseph Rouletabille quand il était petit reporter. À cette époque, je débutais au barreau et j’avais souvent l’occasion de le rencontrer dans les couloirs des juges d’instruction, quand j’allais demander un « permis de communiquer » pour Mazas ou pour Saint-Lazare. Il avait, comme on dit, « une bonne balle ». Sa tête était ronde comme un boulet, et c’est à cause de cela, pensai-je, que ses camarades de la presse lui avaient donné ce surnom qui devait lui rester et qu’il devait illustrer. « Rouletabille ! » _ As-tu vu Rouletabille ? – Tiens ! Voilà ce « sacré » Rouletabille ! » Il était toujours rouge comme une tomate, tantôt gai comme un pinson, et tantôt sérieux comme un pape. Comment, si jeune – il avait, quand je le vis pour la première fois, seize ans et demi – gagnait-il déjà sa vie dans la presse ? Voilà ce qu’on eût pu se demander si tous ceux qui l’approchaient n’avaient été au courant de ses débuts. Lors de l’affaire de la femme coupée en morceaux de la rue Oberkampf – encore une histoire bien oubliée – il avait apporté au rédacteur en chef de l’Èpoque, journal qui était alors en rivalité d’informations avec Le Matin, le pied gauche qui manquait dans le panier où furent découverts les lugubres débris. Ce pied gauche, la police le cherchait en vain depuis huit jours, et le jeune Rouletabille l’avait trouvé dans un égout où personne n’avait eu l’idée de l’y aller chercher. Il lui avait fallu, pour cela, s’engager dans une équipe d’égoutiers d’occasion que l’administration de la ville de Paris avait réquisitionnée à la suite des dégâts causés par une exceptionnelle crue de la Seine.

Quand le rédacteur en chef fut en possession du précieux pied et qu’il eut compris par quelle suite d’intelligentes déductions un enfant avait été amené à le découvrir, il fut partagé entre l’admiration que lui causait tant d’astuce policière dans un cerveau de seize ans, et l’allégresse de pouvoir exhiber, à la « morgue-vitrine » du journal, « le pied gauche de la rue Oberkampf ».

« Avec ce pied, s’écria-t-il, je ferai un article de tête. »

Puis, quand il eut confié le sinistre colis au médecin légiste attaché à la rédaction de L’Époque, il demanda à celui qui allait être bientôt Rouletabille ce qu’il voulait gagner pour faire partie, en qualité de petit reporter, du service des « faits divers ».

« Deux cents francs par mois », fit modestement le jeune homme, surpris jusqu’à la suffocation d’une pareille proposition.

« Vous en aurez deux cent cinquante, repartit le rédacteur en chef ; seulement vous déclarerez à tout le monde que vous faites partie de la rédaction depuis un mois. Qu’il soit bien entendu que ce n’est pas vous qui avez découvert « le pied gauche de la rue Oberkampf », mais le journal L’Époque. Ici, mon petit ami, l’individu n’est rien ; le journal est tout ! »

Sur quoi il pria le nouveau rédacteur de se retirer. Sur le seuil de la porte, il le retint cependant pour lui demander son nom. L’autre répondit :

« Joseph Joséphin.

– Ça n’est pas un nom, ça, fit le rédacteur en chef, mais puisque vous ne signez pas, ça n’a pas d’importance… »

Tout de suite, le rédacteur imberbe se fit beaucoup d’amis, car il était serviable et doué d’une bonne humeur qui enchantait les plus grognons, et désarma les plus jaloux. Au café du Barreau où les reporters de faits divers se réunissaient alors avant de monter au parquet ou à la préfecture chercher leur crime quotidien, il commença de se faire une réputation de débrouillard qui franchit bientôt les portes mêmes du cabinet du chef de la Sûreté ! Quand une affaire en valait la peine et que Rouletabille –il était déjà en possession de son surnom – avait été lancé sur la piste de guerre par son rédacteur en chef, il lui arrivait souvent de « damer le pion » aux inspecteurs les plus renommés.

C’est au café du Barreau que je fis avec lui plus ample connaissance. Avocats, criminels et journalistes ne sont point ennemis, les uns ayant besoin de réclame et les autres de renseignements. Nous causâmes et j’éprouvai tout de suite une grande sympathie pour ce brave petit bonhomme de Rouletabille. Il était d’une intelligence si éveillée et si originale ! Et il avait une qualité de pensée que je n’ai jamais retrouvée ailleurs.

À quelque temps de là, je fus chargé de la chronique judiciaire au Cri du Boulevard. Mon entrée dans le journalisme ne pouvait que resserrer les liens d’amitié qui, déjà, s’étaient noués entre Rouletabille et moi. Enfin, mon nouvel ami ayant eu l’idée d’une petite correspondance judiciaire qu’on lui faisait signer « Business » à son journal L’Époque, je fus à même de lui fournir souvent les renseignements de droit dont il avait besoin.

Près de deux années se passèrent ainsi, et plus j’apprenais à le connaître, plus je l’aimais, car, sous ses dehors de joyeuse extravagance, je l’avais découvert extraordinairement sérieux pour son âge. Enfin, plusieurs fois, moi qui étais habitué à le voir très gai et souvent trop gai, je le trouvai plongé dans une tristesse profonde. Je voulus le questionner sur la cause de ce changement d’humeur, mais chaque fois il se reprit à rire et ne répondit point. Un jour, l’ayant interrogé sur ses parents, dont il ne parlait jamais, il me quitta, faisant celui qui ne m’avait pas entendu.

Sur ces entrefaites éclata la fameuse affaire de la «Chambre Jaune», qui devait non seulement le classer le premier des reporters, mais encore en faire le premier policier du monde, double qualité qu’on ne saurait s’étonner de trouver chez la même personne, attendu que la presse quotidienne commençait déjà à se transformer et à devenir ce qu’elle est à peu près aujourd’hui : la gazette du crime. Des esprits moroses pourront s’en plaindre ; moi j’estime qu’il faut s’en féliciter. On n’aura jamais assez d’armes, publiques ou privées, contre le criminel. À quoi ces esprits moroses répliquent qu’à force de parler de crimes, la presse finit par les inspirer. Mais il y a des gens, n’est-ce pas ? Avec lesquels on n’a jamais raison…

Voici donc Rouletabille dans ma chambre, ce matin-là, 26 octobre 1892. Il était encore plus rouge que de coutume ; les yeux lui sortaient de la tête, comme on dit, et il paraissait en proie à une sérieuse exaltation. Il agitait Le Matin d’une main fébrile. Il me cria :

– Eh bien, mon cher Sainclair… Vous avez lu ? …

– Le crime du Glandier ?

– Oui ; la «Chambre Jaune ! » Qu’est-ce que vous en pensez ?

– Dame, je pense que c’est le « diable » ou la « Bête du Bon Dieu » qui a commis le crime.

– Soyez sérieux.

– Eh bien, je vous dirai que je ne crois pas beaucoup aux assassins qui s’enfuient à travers les murs. Le père Jacques, pour moi, a eu tort de laisser derrière lui l’arme du crime et, comme il habite au-dessus de la chambre de Mlle Stangerson, l’opération architecturale à laquelle le juge d’instruction doit se livrer aujourd’hui va nous donner la clef de l’énigme, et nous ne tarderons pas à savoir par quelle trappe naturelle ou par quelle porte secrète le bonhomme a pu se glisser pour revenir immédiatement dans le laboratoire, auprès de M. Stangerson qui ne se sera aperçu de rien. Que vous dirais-je ? C’est une hypothèse ! … »

Rouletabille s’assit dans un fauteuil, alluma sa pipe, qui ne le quittait jamais, fuma quelques instants en silence, le temps sans doute de calmer cette fièvre qui, visiblement, le dominait, et puis il me méprisa :

– Jeune homme ! Fit-il, sur un ton dont je n’essaierai point de rendre la regrettable ironie, jeune homme… vous êtes avocat, et je ne doute pas de votre talent à faire acquitter les coupables ; mais, si vous êtes un jour magistrat instructeur, combien vous sera-t-il facile de faire condamner les innocents !… Vous êtes vraiment doué, jeune homme. »

Sur quoi, il fuma avec énergie, et reprit :

« On ne trouvera aucune trappe, et le mystère de la «Chambre Jaune» deviendra de plus, plus en plus mystérieux. Voilà pourquoi il m’intéresse. Le juge d’instruction a raison : on n’aura jamais vu quelque chose de plus étrange que ce crime-là…

– Avez-vous quelque idée du chemin que l’assassin a pu prendre pour s’enfuir ? demandai-je.

– Aucune, me répondit Rouletabille, aucune pour le moment… Mais j’ai déjà mon idée faite sur le revolver, par exemple… Le revolver n’a pas servi à l’assassin…

– Et à qui donc a-t-il servi, mon Dieu ? …

– Eh bien, mais… « à Mlle Stangerson… »

– Je ne comprends plus, fis-je… Ou mieux je n’ai jamais compris… »

Rouletabille haussa les épaules :

« Rien ne vous a particulièrement frappé dans l’article du Matin ?

– Ma foi non… j’ai trouvé tout ce qu’il raconte également bizarre…

– Eh bien, mais… et la porte fermée à clef ?

– C’est la seule chose naturelle du récit…

– Vraiment ! … Et le verrou ? …

– Le verrou ?

– Le verrou poussé à l’intérieur ? … Voilà bien des précautions prises par Mlle Stangerson… « Mlle Stangerson, quant à moi, savait qu’elle avait à craindre quelqu’un ; elle avait pris ses précautions ; « elle avait même pris le revolver du père Jacques », sans lui en parler. Sans doute, elle ne voulait effrayer personne ; elle ne voulait surtout pas effrayer son père… « Ce que Mlle Stangerson redoutait est arrivé… » et elle s’est défendue, et il y a eu bataille et elle s’est servie assez adroitement de son revolver pour blesser l’assassin à la main – ainsi s’explique l’impression de la large main d’homme ensanglantée sur le mur et sur la porte, de l’homme qui cherchait presque à tâtons une issue pour fuir – mais elle n’a pas tiré assez vite pour échapper au coup terrible qui venait la frapper à la tempe droite.

– Ce n’est donc point le revolver qui a blessé Mlle Stangerson à la tempe ?

– Le journal ne le dit pas, et, quant à moi, je ne le pense pas ; toujours parce qu’il m’apparaît logique que le revolver a servi à Mlle Stangerson contre l’assassin. Maintenant, quelle était l’arme de l’assassin ? Ce coup à la tempe semblerait attester que l’assassin a voulu assommer Mlle Stangerson… Après avoir vainement essayé de l’étrangler… L’assassin devait savoir que le grenier était habité par le père Jacques, et c’est une des raisons pour lesquelles, je pense, il a voulu opérer avec une « arme de silence », une matraque peut-être, ou un marteau…

– Tout cela ne nous explique pas, fis-je, comment notre assassin est sorti de la «Chambre Jaune» !

– Èvidemment, répondit Rouletabille en se levant, et, comme il faut l’expliquer, je vais au château du Glandier, et je viens vous chercher pour que vous y veniez avec moi…

– Moi !

– Oui, cher ami, j’ai besoin de vous. L’Èpoque m’a chargé définitivement de cette affaire, et il faut que je l’éclaircisse au plus vite.

– Mais en quoi puis-je vous servir ?

– M. Robert Darzac est au château du Glandier.

– C’est vrai… son désespoir doit être sans bornes !

– Il faut que je lui parle… »

Rouletabille prononça cette phrase sur un ton qui me surprit :

« Est-ce que… Est-ce que vous croyez à quelque chose d’intéressant de ce côté ? … demandai-je.

– Oui. »

Et il ne voulut pas en dire davantage. Il passa dans mon salon en me priant de hâter ma toilette.

Je connaissais M. Robert Darzac pour lui avoir rendu un très gros service judiciaire dans un procès civil, alors que j’étais secrétaire de maître Barbet-Delatour. M. Robert Darzac, qui avait, à cette époque, une quarantaine d’années, était professeur de physique à la Sorbonne. Il était intimement lié avec les Stangerson, puisque après sept ans d’une cour assidue, il se trouvait enfin sur le point de se marier avec Mlle Stangerson, personne d’un certain âge (elle devait avoir dans les trente-cinq ans), mais encore remarquablement jolie.

Pendant que je m’habillais, je criai à Rouletabille qui s’impatientait dans mon salon :

« Est-ce que vous avez une idée sur la condition de l’assassin ?

– Oui, répondit-il, je le crois sinon un homme du monde, du moins d’une classe assez élevée… Ce n’est encore qu’une impression…

– Et qu’est-ce qui vous la donne, cette impression ?

– Eh bien, mais, répliqua le jeune homme, le béret crasseux, le mouchoir vulgaire et les traces de la chaussure grossière sur le plancher…

– Je comprends, fis-je ; on ne laisse pas tant de traces derrière soi, « quand elles sont l’expression de la vérité ! »

– On fera quelque chose de vous, mon cher Sainclair ! » conclut Rouletabille.

Chapitre « Un homme a passé comme une ombre à travers les volets »

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